Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde - 02

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AYANT su ce que c'est que la lumiere, d'où elle nous vient, comment &
en quel tems elle arrive à nous; voyons ses proprietés, & ses effets
ignorés jusqu'à nos jours. Le premier de ses effets est qu'elle semble
rejaillir de la surface solide de tous les objets, pour en apporter
dans nos yeux les images.
Tous les hommes, tous les Philosophes, & les Descartes & les
Mallebranches, & ceux qui se sont éloignez le plus des pensées
vulgaires, ont également cru qu'en effet ce sont les surfaces solides
des corps qui nous renvoyent les rayons. Plus une surface est unie &
solide, plus elle fait, dit-on, rejaillir de lumiere; plus un corps
a de pores larges & droits, plus il transmet de rayons à travers sa
substance. Ainsi le miroir poli dont le fond est couvert d'une surface
de vif argent, nous renvoye tous les rayons; ainsi ce même miroir sans
vif argent ayant des pores droits & larges & en grand nombre, laisse
passer une grande partie des rayons. Plus un corps a de pores larges &
droits, plus il est diaphane: tel est, disoit-on, le diamant, telle est
l'eau elle-même; voilà les idées généralement reçues, & que personne ne
révoquoit en doute.
Cependant toutes ces idées sont entiérement fausses, tant ce qui est
vraisemblable, est souvent ce qui est le plus éloigné de la vérité. Les
Philosophes se sont jettez en cela dans l'erreur, de la même maniere
que le Vulgaire y est tout porté, quand il pense que le Soleil n'est
pas plus grand qu'il le paroît aux yeux. Voici en quoi consistoit cette
erreur des Philosophes.
[Aucun corps uni.]
Il n'y a aucun corps dont nous puissions unir véritablement la
surface. Cependant beaucoup de surfaces nous paraissent unies & d'un
poli parfait. Pourquoi voyons nous uni & égal ce qui ne l'est pas?
La superficie la plus égale, n'est par rapport aux petits corps
qui composent la lumiere, qu'un amas de montagnes, de cavitez &
d'intervales, de même que la pointe de l'éguille la plus fine est
hérissée en effet d'éminences & d'aspérités que le Microscope découvre.
Tous les faisceaux des rayons de lumiere qui tomberoient sur ces
inégalités, se réflechiroient selon qu'ils y seroient tombez; donc
étant inégalement tombez ils ne se réflechiroient jamais réguliérement,
donc on ne pourroit jamais se voir dans une glace.
[Lumiere non réflechie par les parties solides.]
La lumiere qui nous apporte notre image de dessus un miroir, ne vient
donc point certainement des parties solides de la superficie de ce
miroir; elle ne vient point non plus des parties solides de mercure
& d'étain étendues derriere cette glace. Ces parties ne sont pas
plus planes, pas plus unies, que la glace même. Les parties solides
de l'étain & du mercure sont incomparablement plus grandes, plus
larges, que les parties solides constituantes de la lumiere; donc si
les petites particules de lumiere tombent sur ces grosses parties de
mercure, elle s'éparpilleront de tous côtés comme des grains de plomb
tombant sur des platras. Quel pouvoir inconnu fait donc rejaillir vers
nous la lumiere réguliérement? Il paroît déja que ce ne sont pas les
corps qui nous la renvoyent ainsi. Ce qui sembloit le plus connu le
plus incontestable chez les hommes, devient un mystère plus grand que
ne l'étoit autrefois la pesanteur de l'air. Examinons ce Problême de la
Nature, notre étonnement redoublera. On ne peut s'instruire ici qu'avec
surprise.
Prenez un morceau, un cube de cristal, par exemple; voici tout ce
qui arrive aux rayons du Soleil qui tombent sur ce corps solide &
transparent.
[Illustration]
1º. Une petite partie des rayons rebondissent à vos yeux de sa premiere
surface A. sans toucher même à cette surface, comme il sera plus
amplement prouvé.
2º. Une partie des rayons est reçue dans la substance de ce corps, elle
s'y joue, s'y perd & s'y éteint.
3º. Une troisième partie parvient à l'intérieur C. de la surface B. &
d'auprès de cette surface B. elle retourne en A. & quelques rayons en
viennent à vos yeux.
4º. Une quatrième partie passe dans l'air.
5º. Une cinquième partie qui est la plus considérable revient d'au-delà
de la surface ultérieure B. dans le cristal, y repasse, & vient
se réflechir à vos yeux. N'examinons ici que ces derniers rayons
qui, s'échappant de la surface ultérieure B. & ayant trouvé l'air,
rejaillissent de dessus cet air vers nous en rentrant à travers le
cristal. Certainement ils n'ont pas rencontré dans cet air des parties
solides sur lesquelles ils ayent rebondi, car si au lieu d'air ils
rencontrent de l'eau à cette surface B. peu reviennent alors, ils
entrent dans cette eau, ils la pénétrent en grand nombre. Or l'eau est
environ huit cens fois plus pesante, plus solide, moins rare que l'air.
Cependant ces rayons ne rejaillissent point de dessus cette eau, &
rejaillissent de dessus cet air dans ce verre, donc ce n'est point des
parties solides des corps que la lumiere est réflechie.
Voici une observation plus singuliere & plus décisive: Exposez dans une
chambre obscure ce cristal A. B. aux rayons du Soleil de façon, que les
traits de lumiere parvenus à sa superficie B. fassent un angle de plus
de 40. degrez avec la perpendicule.
[Expériences décisives.]
[Illustration]
La plûpart de ces rayons alors ne pénétre plus dans l'air, ils
rentrent tous dans ce cristal à l'instant même qu'ils en sortent, ils
reviennent, comme vous voyez, mais cette courbure est insensible.
Certainement ce n'est pas la surface solide de l'air qui les a
repoussés dans ce verre, plusieurs de ces rayons entroient dans l'air
auparavant, quand ils tomboient moins obliquement; pourquoi donc à une
obliquité de 40 degrez dix-neuf minutes, la plûpart de ces rayons n'y
passe-t-elle plus? trouvent-ils à ce degré plus de résistance, plus
de matiere dans cet air, qu'ils n'en trouvent dans ce cristal qu'ils
avoient pénétré? trouvent-ils plus de parties solides, dans l'air à
quarante degrés & un tiers qu'à 40? l'air est à peu près deux mille
quatre cens fois plus rare, moins pesant, moins solide, que le cristal,
donc ces rayons devoient passer dans l'air avec deux mille quatre cens
fois plus de facilité, qu'ils n'ont pénétré l'épaisseur du cristal.
Cependant, malgré cette prodigieuse apparence de facilité, ils sont
repoussez; ils le sont donc par une force qui est ici deux mille quatre
cens fois plus puissante que l'air, ils ne sont donc point repoussez
par l'air; les rayons encore une fois ne sont donc point réflechis à
nos yeux par les parties solides de la matiere. La lumiere rejaillit si
peu dessus les parties solides des corps, que c'est en effet du vuide
qu'elle rejaillit.
Vous venez de voir que la lumiere tombant à un angle de 40. degrez 19.
minutes sur du cristal, rejaillit presque toute entiere de dessus l'air
qu'elle rencontre à la surface ultérieure de ce cristal. Que la lumiere
y tombe à un angle moindre d'une seule minute, il en passe encore moins
hors de cette surface dans l'air. Qu'on ôte l'air, il ne passera plus
de rayons du tout. C'est une chose démontrée.
Or quand il y a de l'eau à cette surface, beaucoup de rayons entrent
dans cette eau au lieu de rejaillir. Quand il n'y a que de l'air, bien
moins de rayons entrent dans cet air. Quand il n'y a plus d'air, aucun
rayon ne passe; donc c'est du vuide en effet que la lumiere rejaillit.
Voilà donc des preuves indubitables que ce n'est point une superficie
solide qui nous renvoye la lumiere: il y a bien d'autres preuves encore
de cette nouvelle vérité; en voici une que nous expliquerons à sa
place. Tout corps opaque réduit en lame mince, laisse passer à travers
sa substance des rayons d'une certaine espèce, & réflechit les autres
rayons: or, si la lumiere étoit renvoyée par les corps, tous les rayons
qui tomberoient sur ces lames, seroient réflechis sur ces lames. Enfin
nous verrons que jamais si étonnant paradoxe n'a été prouvé en plus de
manieres. Commençons donc par nous familiariser avec ces Vérités.
1º. Cette lumiere qu'on croit réflechie par la surface solide des
corps, rejaillit en effet sans avoir touché à cette surface.
2º. La lumiere n'est point renvoyée de derriere un miroir par la
surface solide du vif argent; mais elle est renvoyée du sein des pores
du miroir, & des pores du vif argent même.
3º. Il ne faut point, comme on l'a pensé jusques à présent, que les
pores de ce vif argent soient très-petits pour réflechir la lumiere, au
contraire il faut qu'ils soient larges.
[Plus les pores sont petits plus la lumiere passe.]
Ce sera encore un nouveau sujet de surprise pour ceux qui n'ont pas
étudié cette Philosophie, d'entendre dire que le secret de rendre un
corps opaque, est souvent d'élargir ses pores, & que le moyen de le
rendre transparent est de les étrecir. L'ordre de la Nature paraitra
tout changé: ce qui sembloit devoir faire l'opacité, est précisément
ce qui opérera la transparence; & ce qui paraissoit rendre les corps
transparens, sera ce qui les rendra opaques. Cependant rien n'est si
vrai, & l'expérience la plus grossiére le démontre.
Un papier sec, dont les pores sont très-larges, est opaque, nul rayon
de lumiere ne le traverse: étrecissez ses pores en l'imbibant, ou d'eau
ou d'huile, il devient transparent; la même chose arrive au linge, au
sel, &c.
Il y a donc des principes ignorés qui opérent ces merveilles, des
causes qui font rejaillir la lumiere, avant qu'elle ait touché une
surface, qui la renvoyent des pores du corps transparent, qui la
ramenent du milieu même du vuide; nous sommes invinciblement obligés
d'admettre ces faits, quelle qu'en puisse être la cause.
Etudions donc les autres mystères de la lumiere, & voyons si de ces
effets surprenans, on remonte jusqu'à quelque Principe incontestable,
qu'il faille admettre aussi-bien que ces effets même.
[Illustration]


[Illustration]
CHAPITRE TROIS.
_De la proprieté que la lumiere a de se briser en passant d'une
substance dans une autre, & de prendre un nouveau chemin._

LA SECONDE proprieté des rayons de la lumiere qu'il faut bien examiner,
est celle de se détourner de leur chemin en passant du Soleil dans
l'air, de l'air dans le verre, du verre dans l'eau, &c. C'est cette
nouvelle direction dans ces différens milieux, c'est ce brisement de
la lumiere qu'on appelle réfraction, c'est par cette proprieté qu'une
rame plongée dans l'eau parait courbée au Matelot qui la manie; c'est
ce qui fait que dans une jatte nous appercevrons, en y jettant de
l'eau, l'objet que nous n'appercevions pas auparavant en nous tenant à
la même place.
Enfin c'est par le moyen de cette réfraction que nos yeux jouïssent
de la vûe. Les secrets admirables de la réfraction étoient ignorés de
l'Antiquité, qui cependant l'avoit sous les yeux, & dont on faisoit
usage tous les jours, sans qu'il soit resté un seul Ecrit, qui puisse
faire croire qu'on en eût deviné la raison. Ainsi encore aujourd'hui
nous ignorons la cause des mouvemens même de notre corps, & des pensées
de notre ame; mais cette ignorance est différente. Nous n'avons & nous
n'aurons jamais d'Instrument assez fin pour voir les premiers ressorts
de nous-mêmes; mais l'industrie humaine s'est faite de nouveaux yeux,
qui nous ont fait appercevoir sur les effets de la lumiere, presque
tout ce qu'il est permis aux hommes d'en savoir.
[Comment la lumiere se brise.]
Il faut se faire ici une idée nette d'une expérience très-commune. Une
pièce d'or est dans ce bassin: votre œil est placé au bord du bassin à
telle distance, que vous ne voyez point cette pièce:
[Illustration]
Qu'on y verse de l'eau, vous ne l'apperceviez point d'abord où elle
étoit: maintenant vous la voyez où elle n'est pas; qu'est-il arrivé?
L'objet A. réflechit un rayon qui vient frapper contre le bord du
bassin, & qui n'arrivera jamais à votre œil: il réflechit aussi ce
rayon A. B. qui passe par-dessus votre œil: or à présent vous recevez
ce rayon A. B. ce n'est point votre œil qui a changé de place, c'est
donc le rayon A. B.; il s'est manifestement detourné au bord de ce
bassin en passant de l'eau dans l'air, ainsi il frappe votre œil en C.
[Illustration]
Mais vous voyez toujours les objets en ligne droite, donc vous voyez
l'objet suivant la ligne droite C. D. donc vous voyez l'objet au point
D. au-dessus du lieu où il est en effet.
Si ce rayon se brise en un sens, quand il passe de l'eau dans l'air,
il doit se briser en un sens contraire, quand il entre de l'air dans
l'eau.
[Illustration]
J'élève sur cette eau une perpendiculaire, le rayon A. qui partant
du point lumineux se brise au point B. & s'approche dans l'eau de
cette perpendiculaire en suivant le chemin B. D. & ce même rayon D.
B. en passant de l'eau dans l'air, se brise en allant vers A., & en
s'éloignant de cette même perpendiculaire; la lumiere se réfracte donc
selon les milieux qu'elle traverse. C'est sur ce Principe que la Nature
a disposé les humeurs différentes qui sont dans nos yeux, afin que
les traits de lumiere, qui passent à travers ces humeurs, se brisent
de façon qu'ils se réunissent après dans un point sur notre _rétine_:
c'est enfin sur ce Principe que nous fabriquons les Lunettes dont les
verres éprouvent des réfractions encore plus grandes qu'il ne s'en fait
dans nos yeux, & qui, apportant ainsi plus de rayons réunis, peuvent
étendre, jusqu'à deux cens fois, la force de notre vûe; de même que
l'invention des leviers a donné une nouvelle force à nos bras, qui
sont des leviers naturels. Nous allions expliquer la raison que Neuton
a trouvée de cette proprieté de la lumiere; mais vous voulez voir
auparavant comment cette réfraction agit dans nos yeux, & comment le
sens de la vûe, le plus étendu de tous nos Sens, doit son existence
à la réfraction. Quelque connue que soit cette matiere, il est bon
de fortifier par un nouvel examen les idées que vous en avez. Les
personnes qui pourront lire ce petit Ouvrage, seront bien-aises de ne
point chercher ailleurs ce qu'elles desireroient savoir touchant la vûe.
[Illustration]


[Illustration]
CHAPITRE QUATRE.
_De la conformation de nos yeux, comment la lumiere entre & agit dans
cet organe._

[Description de l'œil.]
POur connaitre l'œil de l'homme en physicien qui ne considere que la
vision, il faut d'abord savoir que la premiere enveloppe blanche, le
rempart & l'ornement de l'œil, ne transmet aucun rayon. Plus ce blanc
de l'œil est fort & uni, plus il réflechit de lumiere; & lorsque
quelque passion vive porte au visage de nouveaux esprits, qui viennent
encore tendre & ébranler cette tunique, alors des étincelles semblent
en sortir.
Au milieu de cette membrane s'éleve un peu la cornée, mince, dure &
transparente, telle précisément que le verre de votre montre que vous
placeriéz en cette façon sur une boule.
[Illustration]
Sous cette _cornée_, est _l'iris_, autre membrane, qui, colorée par
elle-même, répand ses couleurs sur cette _cornée_ transparente qui la
couvre; c'est cette _iris_ tantôt brune, tantôt bleue, qui rend les
yeux bleus ou noirs. Elle est percée dans son milieu, qui ainsi paroît
toujours noir; & ce milieu est la prunelle de l'œil. C'est par cette
ouverture que sont introduits les rayons de la lumiere: elle s'agrandit
par un mouvement involontaire dans les endroits obscurs, pour recevoir
plus de rayons; elle se resserre ensuite, lorsqu'une grande clarté
l'offense.
Les rayons admis par cette prunelle ont déja souffert une réfraction
assez forte en passant à travers la _cornée_ dont elle est couverte.
Imaginez cette _cornée_ comme le verre de votre montre, il est convexe
en dehors, & concave en dedans: tous les rayons obliques se sont brisés
dans l'épaisseur de ce verre; mais ensuite sa concavité rétablit ce que
sa convéxité a brisé. La même chose arrive dans notre _cornée_. Les
rayons ainsi rompus & brisés, trouvent après avoir franchi la _cornée_,
une humeur transparente dans laquelle ils passent. Cette eau est nommée
l'humeur aqueuse. Les Anatomistes ne s'accordent point encore entr'eux
sur la forme de ce petit réservoir. Mais, quelle que soit sa figure, la
Nature semble avoir placé là cette humeur claire & limpide, pour opérer
des réfractions, pour transmettre purement la lumiere, pour que le
_cristallin_, qui est derriere, puisse s'avancer sans effort, & changer
librement de figure, pour que l'humidité nécessaire s'entretienne, &c.
Enfin, les rayons étant sortis de cette eau trouvent une espèce de
diamant liquide, taillé en lentille, & enchassé dans une membrane
déliée & diaphane elle-même. Ce diamant est le _cristallin_, c'est
lui qui rompt tous les rayons obliques, c'est un principal organe de
la réfraction & de la vûe; parfaitement semblable en cela à un Verre
lenticulaire de Lunette. Soit ce cristallin ou ce Verre lenticulaire.
[Illustration]
Le rayon perpendiculaire A. le pénétre, sans se détourner; mais les
rayons obliques B & C. se détournent dans l'épaisseur du Verre en
s'approchant des perpendiculaires, qu'on tireroit sur les endroits
où ils tombent. Ensuite quand ils sortent du Verre pour passer dans
l'air, ils se brisent encore en s'éloignant du perpendicule; ce nouveau
brisement est précisément ce qui les fait converger en D. foyer du
Verre lenticulaire.
Or la _rétine_, cette membrane legére, cette expansion du nerf optique,
qui tapisse le fond de notre œil, est le foyer du cristallin: c'est
à cette _rétine_ que les rayons aboutissent: mais avant d'y parvenir,
ils rencontrent encore un nouveau milieu qu'ils traversent; ce nouveau
milieu est l'humeur vitrée, moins solide que le _cristallin_, moins
fluide que l'humeur aqueuse.
C'est dans cette humeur vitrée que les rayons ont le tems de
s'assembler, avant de venir faire leur derniere réunion sur les
points du fond de notre œil. Figurez-vous donc sous cette lentille
du _cristallin_, cette humeur vitrée sur laquelle le _cristallin_
s'appuye; cette humeur tient le _cristallin_ dans sa concavité, & est
arondie vers la _rétine_.
Les rayons en s'échapant de cette derniere humeur achevent donc de
converger. Chaque faisceau de rayons parti d'un point de l'objet vient
fraper un point de notre _rétine_.
Une figure, où chaque partie de l'œil se voit sous son propre nom,
expliquera mieux tout cet artifice, que ne pourroient faire des lignes,
des A. & des B. La structure des yeux ainsi développée, on peut
connaitre aisément pourquoi on a si souvent besoin du secours d'un
Verre, & quel est l'usage des Lunettes.
[Oeil presbite.]
Souvent un œil sera trop plat, soit par la conformation de sa
_cornée_, soit par son cristallin, que l'âge ou la maladie aura
desseché; alors les réfractions seront plus faibles & en moindre
quantité, les rayons ne se rassembleront plus sur la _rétine_.
Considérez cet œil trop plat que l'on nomme œil de _presbite_.
[Illustration: _Pag. 54._]
[Illustration: _Pag. 55._]
Ne regardons, pour plus de facilité, que trois faisceaux, trois
cones des rayons, qui de l'objet tombent sur cet œil, ils se réuniront
aux points A. A. A. par delà la _rétine_, il verra les objets confus.
La Nature a fourni un secours contre cet inconvénient, par la force
qu'elle a donnée aux muscles de l'œil d'allonger, ou d'aplatir
l'œil, de l'approcher ou de le reculer de la _rétine_. Ainsi dans
cet œil de Vieillard, ou dans cet œil malade, le _cristallin_ a la
faculté de s'avancer un peu, & d'aller en D. D.: alors l'espace entre
le _cristallin_ & le fond de la _rétine_ deviennent plus grands, les
rayons ont le tems de venir se réunir sur la _rétine_, au lieu d'aller
au-delà; mais lorsque cette force est perdue, l'industrie humaine y
supplée, un verre lenticulaire est mis entre l'objet & l'œil affaibli.
L'effet de ce verre est de rapprocher les rayons qu'il a reçus, l'œil
les reçoit donc & plus rassemblés & en plus grand nombre: ils viennent
aboutir à un point de la _rétine_ comme il le faut; alors la vûe est
nette & distincte.
[Oeil myope.]
Regardez cet autre œil, qui a une maladie contraire, il est trop
rond: les rayons se réunissent trop tôt, comme vous le voyez au point
B. ils se croisent trop vîte, ils se séparent en B. & vont faire une
tache sur la _rétine_. C'est-là ce qu'on appelle un œil _myope_. Cet
inconvénient diminue à mesure que l'âge en amene d'autres, qui sont la
sécheresse & la faiblesse: elles aplatissent insensiblement cet œil
trop rond; & voilà pourquoi on dit que les vûes courtes durent plus
long-tems. Ce n'est pas qu'en effet elles durent plus que les autres,
mais c'est qu'à un certain âge, l'œil desseché s'aplatit: alors celui
qui étoit obligé auparavant d'approcher son Livre à trois ou quatre
pouces de son œil, peut lire quelquefois à un pied de distance: mais
aussi sa vûe devient bien-tôt trouble & confuse, il ne peut voir les
objets éloignés; telle est notre condition, qu'un défaut ne se répare
presque jamais que par un autre.
[Illustration: _Pag. 56._]
Or, tandis que cet œil est trop rond, il lui faut un Verre qui empêche
les rayons de se réunir si vîte. Ce Verre fera le contraire du premier,
au lieu d'être convexe des deux côtés, il sera un peu concave des
deux côtés, & les rayons divergeront dans celui-ci, au lieu qu'ils
convergeroient dans l'autre. Ils viendront par conséquent se réunir
plus loin, qu'ils ne faisoient auparavant dans l'œil, & alors cet œil
jouïra d'une vûe parfaite. On proportionne la convéxité & la concavité
des Verres aux défauts de nos yeux: c'est ce qui fait que les mêmes
Lunettes qui rendent la vûe nette à un Vieillard, ne seront d'aucun
secours à un autre; car il n'y a ni deux maladies, ni deux hommes, ni
deux choses au monde égales.
L'Antiquité ne connaissoit point ces Lunettes. Cependant elle
connaissoit les Miroirs ardents; une vérité découverte n'est pas
toujours une raison pour qu'on découvre les autres véritéz qui y
tiennent. L'attraction de l'Aimant étoit connue, & sa direction
échapoit aux yeux. La démonstration de la circulation du sang étoit
dans la saignée même que pratiquoient tous les Médecins Grecs, &
cependant personne ne se doutoit que le sang circulât.
Il y a grande apparence que c'est du tems de Roger Bacon au XIII.
Siècle que l'on trouva ces lunettes appellées besicles, & les loupes
qui donnent de nouveaux yeux aux Vieillards; car il est le premier qui
en parle.
Vous venez de voir les effets que la réfraction fait dans vos yeux,
soit que les rayons arrivent sans secours intermédiaire, soit qu'ils
ayent traversé des cristaux: vous concevez que sans cette réfraction
opérée dans nos yeux, & sans cette réflexion des rayons de dessus les
surfaces des corps vers nous, les organes de la vûe nous seroient
inutiles. Les moyens que la Nature employe pour faire cette réfraction,
les loix qu'elle suit, sont des mystères que nous allons déveloper. Il
faut auparavant achever ce que nous avons à dire touchant la vûe, il
faut satisfaire à ces questions si naturelles: Pourquoi nous voyons
les objets au-delà d'un Miroir, & non sur le Miroir même? Pourquoi un
Miroir concave rend l'objet plus grand? Pourquoi le Miroir convexe rend
l'objet plus petit? Pourquoi les Telescopes rapprochent & agrandissent
les choses? Par quel artifice la Nature nous fait connaitre les
grandeurs, les distances, les situations? Quelle est enfin la véritable
raison, qui fait que nous voyons les objets tels qu'ils sont, quoique
dans nos yeux ils se peignent renversez? Il n'y a rien là qui ne mérite
la curiosité de tout Etre pensant; mais nous ne nous étendrions pas
sur ces sujets que tant d'illustres Ecrivains ont traités, & nous
renverrions à eux, si nous n'avions pas à faire connaitre quelques
vérités assez nouvelles, & curieuses pour un petit nombre de Lecteurs.
[Illustration]


[Illustration]
CHAPITRE CINQ.

_Des Miroirs, des Telescopes: des Raisons que les Mathématiques donnent
des mystères de la vision; que ces raisons ne sont point du tout
suffisantes._

LES RAYONS qu'une Puissance, jusqu'à nos jours inconnue, fait rejaillir
à vos yeux de dessus la surface d'un Miroir, sans toucher à cette
surface, & des pores de ce Miroir, sans toucher aux parties solides;
ces rayons, dis-je, retournent à vos yeux dans le même sens qu'ils
sont arrivés à ce Miroir. Si c'est votre visage que vous regardez,
les rayons partis de votre visage parallèlement & en perpendiculaire
sur le Miroir, y retournent de même qu'une balle qui rebondit
perpendiculairement sur le plancher.
[Miroir plan.]
Si vous regardez dans ce Miroir M. un objet qui est à côté de vous
comme A. il arrive aux rayons partis de cet objet la même chose qu'à
une balle, qui rebondiroit en B. où est votre œil. C'est ce qu'on
appelle l'angle d'incidence égal à l'angle de réflexion.
[Illustration]
La ligne A. C. est la ligne d'incidence, la ligne C. B. est la ligne
de réflexion. On sait assez, & le seul énoncé le démontre, que ces
lignes forment des angles égaux sur la surface de la glace; maintenant
pourquoi ne vois-je l'objet ni en A. où il est, ni dans C. dont
viennent à mes yeux les rayons, mais en D. derriere le Miroir même?
La Géométrie vous dira: c'est que l'angle d'incidence est égal à
l'angle de réflexion: c'est que votre œil en B. rapporte l'objet en
D.; c'est que les objets ne peuvent agir sur vous qu'en ligne droite,
& que la ligne droite continuée dans votre œil B. jusques derriere le
miroir en D. est aussi longue que la ligne A C. & la ligne C B. prises
ensemble.
Enfin elle vous dira encore: vous ne voyez jamais les objets que du
point où les rayons commencent à diverger. Soit ce Miroir M. I.
[Illustration]
[Miroir plan.]
Les faisceaux de rayons qui partent de chaque point de l'objet A,
commencent à diverger dès l'instant qu'ils partent de l'objet; ils
arrivent sur la surface du Miroir: là chacun de ces rayons tombe,
s'écarte, & se réflechit vers l'œil. Cet œil les rapporte aux
points D. D. au bout des lignes droites, où ces mêmes rayons se
rencontreroient; mais en se rencontrant aux points D. D. ces rayons
feroient la même chose qu'aux points A. A. ils commenceroient à
diverger; donc vous voyez l'objet A. A. aux points D. D.
Ces angles & ces lignes servent, sans doute, à vous donner une
intelligence de cet artifice de la Nature; mais il s'en faut beaucoup
qu'elles puissent vous apprendre, la raison Physique efficiente,
pourquoi votre ame rapporte sans hésiter l'objet au-delà du Miroir à la
même distance qu'il est au deçà. Ces lignes vous représentent ce qui
arrive, mais elles ne vous apprennent point pourquoi cela arrive.
Si vous voulez savoir comment un Miroir convexe diminue les objets, &
comment un Miroir concave les augmente, ces lignes d'incidence & de
réflexion vous en rendront la même raison.
[Miroir convexe.]
On vous dit: Ce cone de rayons qui diverge du point A. & qui tombe
sur ce Miroir convexe, y fait des angles d'incidence égaux aux angles
de réflexion, dont les lignes vont dans notre œil. Or ces angles
sont plus petits que s'ils étoient tombés sur une surface plane, donc
s'ils sont supposés passer en B. ils y convergeront bien plutôt, donc
l'objet qui seroit en B. B. seroit plus petit.
[Illustration]
Or votre œil rapporte l'objet en B. B. aux points d'où les rayons
commenceroient à diverger, donc l'objet doit vous paraitre plus petit,
comme il l'est en effet dans cette figure. Par la même raison qu'il
parait plus petit, il vous parait plus près, puisqu'en effet les points
où aboutiroient les rayons B. B. sont plus près du Miroir que ne le
sont les rayons A. A.
[Illustration]
Par la raison des contraires, vous devez voir les objets plus grands &
plus éloignés dans un Miroir concave, en plaçant l'objet assez près du
Miroir.
Car les cones des rayons A. A. venant à diverger sur le Miroir aux
points où ces rayons tombent, s'ils se réflechissoient à travers ce
Miroir, ils ne se réuniroient qu'en B. B. donc c'est en B. B. que vous
les voyez. Or B. B. est plus grand & plus éloigné du Miroir que n'est
A. A. donc vous verrez l'objet plus grand, & plus loin.
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