Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde - 05

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tant de mouches n'étoient pas parfaitement dures, elles se briseroient
certainement l'une contre l'autre, par le mouvement rapide où tout est
dans la Nature. Elles se briseroient d'autant plus, que les petits
corps ont plus de surface par rapport à leur grosseur. Cependant cet
inconvénient n'arrive point: l'œuf d'une mouche produit toujours les
mouches qu'il contenoit; chaque semence, depuis l'Or jusques au grain
de moutarde, reste éternellement la même. Donc il est à croire que
chaque semence des choses est composée d'atomes toujours indivisés, qui
font la substance de chaque chose: mais ce n'est pas assez d'indiquer
cette grande Vérité à laquelle l'observation des rayons de la lumiere
nous a conduits: il la faut démontrer: il faut prouver en rigueur qu'il
y a nécessairement des atomes physiquement indivisibles; & c'est ce que
nous allons faire voir dans le Chapitre suivant.


[Illustration]

CHAPITRE DIXIE'ME.
_Preuves qu'il y a des atomes indivisibles, & que les parties simples
de la lumiere sont de ces atomes. Suite des découvertes._

[Preuve qu'il y a des atomes.]
VOUS avez déja compris quelle est l'extrême porosité de tous les corps.
L'eau même qui n'est que dix-neuf fois moins pesante que l'or, passe
pourtant entre les pores de l'or même, le plus solide des Métaux. Il
n'y a aucun corps qui n'ait incomparablement plus de pores que de
matiere: mais supposons un cube qui même, si l'on veut, ait autant de
matiere apparente que de pores: par cette supposition il n'aura donc
réellement que la moitié de la matiere qu'il parait avoir; mais chaque
partie de ce corps étant dans le même cas, & perdant ainsi la moitié
d'elle-même, ce cube ne sera donc par cette deuxième opération que le
quart de lui-même; il n'y aura donc dans lui que le quart de la matiere
qui semble y être. Divisez ainsi chaque partie de chaque partie;
restera le huitième de matiere. Continuez toujours cette progression
jusqu'à l'infini, & faites passer votre division par tous les ordres
d'infini; la fin de la progression des pores sera donc l'infini, & la
fin de la diminution de la matiere sera _zero_. Donc si l'on pouvoit
physiquement diviser la matiere à l'infini, il se trouveroit qu'il n'y
auroit que des pores & point de matiere. Donc la matiere, telle qu'elle
est, n'est pas réellement physiquement divisible à l'infini: Donc il
est démontré qu'il y a des atomes indivisibles, c'est-à-dire, des
atomes qui ne seront jamais divisés, tant que durera la constitution
présente du Monde.
Présentons cette démonstration d'une maniere encore plus palpable.
Je suis arrivé par ma division aux deux derniers pores: il y a entre
eux un corps, ou non: s'il n'y en a point, il n'y avoit donc point de
matiere; s'il y en a, ce corps est donc sans pores. Je dis qu'il est
sans pores; puisque je suis arrivé aux derniers pores, cette particule
de matiere est donc réellement indivisible.
Au reste, que cette proposition ne vous paraisse point contradictoire
à la démonstration géométrique, qui vous prouve qu'une ligne est
divisible à l'infini.
[La divisibilité de la matiere n'empêche point qu'il n'y ait des
atomes.]
Ces deux proportions qui semblent se détruire l'une l'autre,
s'accordent très-bien ensemble. La Géométrie a pour objet les idées de
notre esprit. Une ligne géométrique est une ligne en idée, toujours
divisible en idée, comme une unité numérique est toujours réductible en
autant d'unités qu'il me plaira d'en concevoir. Je puis diviser l'unité
d'un pied, en cent milles milliasses d'autres unités; mais ensuite je
pourrai toujours considerer ce pied comme une unité[*].
[*] Mr. de Malesieu, dans la Géométrie de Mr. le Duc de Bourgogne, n'a
pas fait assez d'attention à cette vérité, p. 117. Il trouve de la
contradiction où il n'y en a point. Il demande, comme une question
insoluble, si un pied de matiere est une substance ou plusieurs?
C'est une substance certainement, quand on le considére comme un pied
cube. Ce sont dix-sept cens vingt-huit substances, quand on le divise
en pouces.
Les points sans ligne, les lignes sans surfaces, les surfaces sans
solides, l'infini 1., l'infini 2., l'infini 3., sont en effet les
objets de propositions certaines de la Géométrie; mais il est également
certain que la Nature ne peut produire des surfaces, des lignes,
des points sans solides. De même il est indubitable qu'une ligne en
Géométrie est divisible à l'infini; & il est indubitable qu'il y a dans
la Nature des corps indivisibles, c'est-à-dire, des corps indivisés,
des corps qui resteront tels, tant que la constitution présente des
choses subsistera.
Tenons donc pour certain qu'il y a des atomes. Chaque partie
constituante d'un rayon simple coloré, peut être considérée comme un
atome; chacun de ces atomes est pesant, c'est sa différente attraction
qui fait sa différente réfrangibilité. Songeons que ces atomes les plus
réfrangibles sont aussi les plus réflexibles, & qu'enfin puisqu'ils
sont réfrangibles à raison de leur attraction vers le milieu le plus
agissant, il faut bien qu'ils réflechissent aussi en raison de cette
attraction. Maintenant il est aisé de connaitre que le rayon violet,
par exemple, qui est le plus réfrangible, est toujours le premier qui
se réflechit en sortant du prisme qui a reçu tous les rayons. Mr.
Neuton a fait cette expérience à l'aide de quatre prismes avec une
sagacité & une industrie dignes de l'inventeur de tant de vérités.
Je donnerai ici la plus simple de ces expériences.
[Illustration]
[Expérience importante.]
Ce prisme a envoyé sur ce papier ces sept couleurs: tournez ce prisme
sur lui-même dans le sens A, B, C. vous aurez bien-tôt cet angle selon
lequel toute lumiere se réflechira de dedans ce prisme au dehors, au
lieu de passer sur ce papier; si-tôt que vous commencez à approcher de
cet angle, voilà tout d'un coup le rayon violet qui se détache de ce
papier, & que vous voyez se porter au Plat-fond de la chambre. Après le
violet, vient le pourpre; après le pourpre, le bleu; enfin le rouge
quitte le dernier ce papier où il est peint, pour venir à son tour
se réflechir sur le Plat-fond. Donc tout rayon est plus réflexible
à mesure qu'il est plus réfrangible; donc la même cause opére la
réflexion & la réfrangibilité.
Or la partie solide du verre ne fait ni cette réfrangibilité, ni cette
réflexion; donc encore une fois ces proprietés ont leur naissance dans
une autre cause que dans l'impulsion connue sur la Terre. Il n'y a rien
à dire contre ces expériences, il faut s'y soumettre, quelque rebelle
que l'on soit à l'évidence.
[Objection.]
On pourroit tirer des expériences même de Neuton de quoi faire quelques
difficultés contre les loix qu'il établit. On pourroit lui dire, par
exemple: Vous nous avez prouvé que l'impulsion d'aucun corps connu ne
peut opérer le brisement de la lumiere, ni sa réflexion, puisqu'elle
se brise dans des pores & se réflechit dans du vuide: Vous nous avez
dit qu'il y a un pouvoir dans la Nature qui fait tendre tous les corps
les uns vers les autres, & en attendant que vous nous montriez, comme
vous nous l'avez promis, les loix de ce pouvoir, nous concevons qu'en
effet sa puissance doit agir sur toute la matiere, & que le plus petit
des corps imaginables doit être soumis à cette puissance de même que le
plus grand de tous les corps possibles: Vous nous avez dit qu'une des
loix de ce pouvoir est d'agir sur tous les corps, selon leurs masses,
& nous avouons que cela est bien vraisemblable; mais par vos propres
expériences ne démentez-vous pas ce Systême? L'eau a beaucoup plus de
masse que l'esprit de vin, que l'esprit de térébenthine: cependant
elle attire moins un rayon de lumiere, la réfraction se fait moindre
dans l'eau que dans l'esprit de vin; donc ce pouvoir de gravitation,
d'attraction, n'agit pas comme vous le dites, selon la masse.
[Réponse. Pourquoi les fluides moins pesants que l'eau attirent plus
la lumiere.]
Cette objection loin d'ébranler la vérité des découvertes nouvelles, la
confirme en effet. Pour la résoudre clairement, considérons que tous
les corps tendent vers le centre de la Terre, que tous tombent dans
l'air avec une force proportionnée à leur masse; mais que si outre
cette force on leur en applique encore une autre, ils iront plus
vîte qu'ils n'auroient été par leur propre poids. Tel est le cas des
rayons de la lumiere entrant dans des corps déja remplis de particules
inflammables, lesquelles ne sont que la lumiere elle-même retenue dans
leurs pores.
Ces atomes de feu qui résident en effet dans certains corps sulphureux
& transparens, augmentent la réfraction de la lumiere vers la ligne
perpendiculaire, comme une nouvelle force qui lui est appliquée: il
arrive alors ce qui arrive à un flambeau qui vient d'être éteint, & qui
fume encore; il se rallume dès qu'il est à une certaine distance d'un
autre flambeau allumé.
Il est tout naturel que les rayons de lumiere entrent aisément dans
l'esprit sulphureux de térébenthine, comme la flamme dans la méche
fumante d'un flambeau éteint; or une nouvelle cause jointe à la
réfraction augmente nécessairement la réfraction.
De plus, la réaction est toujours égale à l'action: les corps
sulphureux sont ceux sur lesquels le feu, qui n'est que la lumiere,
agit davantage; donc ils doivent agir aussi plus que les autres corps
sur la lumiere, la briser, la réfracter davantage.
[L'attraction n'entre pas dans tous les effets de la lumiere.]
Remarquons sur-tout ici que cette attraction inhérente dans la matiere
ne s'étend pas à tout, n'opére pas tous les effets. Le mystère de la
lumiere réflechie du milieu des pores, & de dessus les surfaces, sans
toucher aux surfaces, a des profondeurs que les loix de l'attraction
ne peuvent sonder: il n'y a qu'un Charlatan, qui se vante d'avoir un
remede universel, & ce seroit être Charlatan en Philosophie que de
rapporter tout, sans preuve, à la même cause; cette même force d'esprit
qui a fait découvrir à Neuton le pouvoir de l'attraction, lui a fait
avouer que ce pouvoir est bien loin d'être l'unique Agent de la Nature.
Il est bien vrai que le rayon le plus réfrangible étant le plus
réflexible, c'est une preuve évidente que la même puissance opére la
réflexion, la réfraction, & l'accélération de la chûte des rayons dans
ce verre, &c.; mais enfin la force de l'attraction semble n'avoir rien
de commun avec d'autres phénomênes. Il y a sur-tout des vibrations
de rayons, des jets alternatifs de la lumiere allant & venant sur
les corps, que la gravitation n'expliqueroit pas; mais ces nouvelles
difficultés, c'est Neuton lui-même qui les a créées. Non-seulement il
a découvert des mystères que la gravitation développe; mais il en a
trouvé qu'elle ne développe pas. Ces jets alternatifs de la réflexion
de la lumiere sont un de ces Secrets de la Nature, dont il est bien
étonnant que les yeux humains ayent pu s'appercevoir.
Nous parlerons de cette singularité en son lieu dans le Chapitre
treizième; continuons à voir les effets de la réfrangibilité.
L'Arc-en-Ciel est un de ces effets, & le plus considérable, nous allons
l'expliquer dans le Chapitre qui suit.
[Illustration]


[Illustration]
CHAPITRE ONZIE'ME.
_De l'Arc-en-Ciel; que ce Météore est une suite nécessaire des loix de
la réfrangibilité._

[Mécanisme de l'Arc-en-Ciel inconnu à toute l'Antiquité.]
L'Arc-en-Ciel, ou l'Iris, est une suite nécessaire des proprietés de la
lumiere que nous venons d'observer. Nous n'avons rien, dans les Ecrits
des Grecs, ni des Romains, ni des Arabes, qui puisse faire penser
qu'ils connussent les raisons de ce phénomêne. Lucrèce n'en dit rien, &
par toutes les absurdités qu'il débite au nom d'Epicure sur la lumiere
& sur la vision, il parait que son Siècle, si poli d'ailleurs, étoit
plongé dans une profonde ignorance en fait de Physique. On savoit qu'il
faut qu'une nuée épaisse se résolvant en pluye, soit exposée aux rayons
du Soleil, & que nos yeux se trouvent entre l'Astre & la nuée pour voir
ce qu'on appelloit l'Iris, _mille trahit varios adverso sole colores_,
mais voilà tout ce qu'on savoit; personne n'imaginoit ni pourquoi
une nuée donne des couleurs, ni comment la nature & l'ordre de ces
couleurs sont déterminés, ni pourquoi il y a deux Arcs-en-Ciel l'un sur
l'autre, ni pourquoi on voit toujours ce phénomêne sous la figure d'un
demi-cercle.
[Ignorance d'Albert le Grand.]
Albert qu'on a surnommé _le Grand_, parce qu'il vivoit dans un Siècle
où les hommes étoient bien petits, imagina que les couleurs de
l'Arc-en-Ciel venoient d'une rosée qui est entre nous & la nuée, &
que ces couleurs reçues sur la nuée, nous étoient envoyées par elle.
Vous remarquerez encore que cet _Albert le Grand_, croioit avec toute
l'Ecole que la lumiere étoit un accident.
[L'Archevêque _Antonio de Dominis_ est le premier qui ait expliqué
l'Arc-en-Ciel.]
Enfin le célèbre _Antonio de Dominis_ Archevêque de Spalatro en
Dalmatie, chassé de son Evêché par l'Inquisition, écrivit vers l'an
1590. son petit Traité _De radiis Lucis & de Iride_, qui ne fut imprimé
à Venise que vingt ans après. Il fut le premier qui fit voir que les
rayons du Soleil réflechis de l'intérieur même des goûtes de pluye,
formoient cette peinture qui parait en Arc, & qui sembloit un miracle
inexplicable; il rendit le miracle naturel, ou plutôt il l'expliqua par
de nouveaux prodiges de la Nature.
Sa découverte étoit d'autant plus singuliére, qu'il n'avoit d'ailleurs
que des notions très-fausses de la maniere dont se fait la vision. Il
assûre dans son Livre que les images des objets sont dans la prunelle,
& qu'il ne se fait point de réfraction dans nos yeux: chose assez
singuliére pour un bon Philosophe! Il avoit découvert les réfractions
alors inconnues dans les goûtes de l'Arc-en-Ciel, & il nioit celles qui
se font dans les humeurs de l'œil, qui commençoient à être démontrées;
mais laissons ses erreurs pour examiner la vérité qu'il a trouvée.
[Son expérience.]
Il vit avec une sagacité alors bien peu commune, que chaque rangée,
chaque bande de goûtes de pluye qui forme l'Arc-en-Ciel, devoit
renvoyer des rayons de lumiere sous différens angles: il vit que la
différence de ces angles devoit faire celle des couleurs: il sut
mesurer la grandeur de ces angles: il prit une boule d'un crystal bien
transparent qu'il remplit d'eau; il la suspendit à une certaine hauteur
exposée aux rayons du Soleil.
[Imitée par Descartes.]
Descartes qui a suivi Antonio de Dominis, qui l'a rectifié & surpassé
en quelque chose, & qui peut-être auroit du le citer, fit aussi la même
expérience. Quand cette boule est suspendue à telle hauteur que le
rayon de lumiere, qui donne du Soleil sur la boule, fait ainsi avec le
rayon allant de la boule à l'œil un angle de quarante-deux degrez deux
ou trois minutes, cette boule donne toujours une couleur rouge.
[Illustration]
Quand cette boule est suspendue un peu plus bas, & que ces angles
sont plus petits, les autres couleurs de l'Arc-en-Ciel paraissent
successivement de façon, que le plus grand angle, en ce cas, fait le
rouge, & que le plus petit angle de 40 degrez 17 minutes forme le
violet. C'est-là le fondement de la connaissance de l'Arc-en-Ciel; mais
ce n'en est encore que le fondement.
[La réfrangibilité unique raison de l'Arc-en-Ciel.]
La réfrangibilité seule rend raison de ce phénomêne si ordinaire, si
peu connu, & dont très-peu de Commençans ont une idée nette; tâchons
de rendre la chose sensible à tout le monde. Suspendons une boule de
crystal pleine d'eau, exposée au Soleil: plaçons-nous entre le Soleil
& elle; pourquoi cette boule m'envoye-t-elle des couleurs? & pourquoi
certaines couleurs? Des masses de lumiere, des millions de faisceaux,
tombent du Soleil sur cette boule: dans chacun de ces faisceaux il y a
des traits primitifs, des rayons homogênes, plusieurs rouges, plusieurs
jaunes, plusieurs verds, &c. tous se brisent à leur incidence dans la
boule, chacun d'eux se brise différemment & selon l'espèce dont il est,
& selon l'endroit dans lequel il entre.
Vous savez déja que les rayons rouges sont les moins réfrangibles; les
rayons rouges d'un certain faisceau déterminé iront donc se réunir dans
un certain point déterminé au fond de la boule, tandis que les rayons
bleus & pourpres du même faisceau iront ailleurs. Ces rayons rouges
sortiront aussi de la boule en un endroit, & les verds, les bleus, les
pourpres en un autre endroit. Ce n'est pas assez. Il faut examiner les
points, où tombent ces rayons rouges en entrant dans cette boule & en
sortant pour venir à votre œil.
Pour donner à ceci tout le degré de clarté nécessaire, concevons cette
boule telle qu'elle est en effet, un assemblage d'une infinité de
surfaces planes; car le cercle étant composé d'une infinité de droites
infiniment petites, la boule n'est qu'une infinité de surfaces.
[Illustration]
Des rayons rouges A, B, C. viennent parallèles du Soleil sur ces trois
petites surfaces. N'est-il pas vrai que chacun se brise selon son degré
d'incidence? N'est-il pas manifeste que le rayon rouge A. tombe plus
obliquement sur sa petite surface, que le rayon rouge B. ne tombe sur
la sienne? Ainsi tous deux viennent au point R. par différens chemins.
Le rayon rouge C. tombant sur sa petite surface encore moins
obliquement se rompt bien moins, & arrive aussi au point R. en ne se
brisant que très-peu.
[Explication de ce phénomêne.]
J'ai donc déja trois rayons rouges, c'est-à-dire, trois faisceaux de
rayons rouges, qui aboutissent au même point R.
A ce point R. chacun fait un angle de réflexion égal à son angle
d'incidence, chacun se brise à son émergence de la boule, en
s'éloignant de la perpendiculaire de la nouvelle petite surface
qu'il rencontre, de même que chacun s'est rompu à son incidence en
s'approchant de sa perpendicule; donc tous reviennent parallèles, donc
tous entrent dans l'œil, selon l'ouverture de l'angle propre aux
rayons rouges.
S'il y a une quantité suffisante de ces traits homogênes rouges pour
ébranler le nerf optique, il est incontestable que vous ne devez avoir
que la sensation de rouge.
Ce sont ces rayons A, B, C. qu'on nomme rayons visibles, rayons
efficaces de cette goûte; car chaque goûte a ses rayons visibles.
Il y a des milliers d'autres rayons rouges, qui, venant sur d'autres
petites surfaces de la boule, plus haut & plus bas, n'aboutissent point
en R, ou qui, tombés en ces mêmes surfaces à une autre obliquité,
n'aboutissent point non plus en R.; ceux-là sont perdus pour vous, ils
viendront à un autre œil placé plus haut, ou plus bas.
Des milliers de rayons orangés, verds, bleus, violets, sont venus à la
vérité avec les rouges visibles sur ces surfaces A, B, C.; mais vous
ne pourrez les recevoir. Vous en savez la raison, c'est qu'ils sont
tous plus réfrangibles que les rouges: c'est qu'en entrant tous au même
point, chacun prend dans la boule un chemin différent; tous rompus
davantage, ils viennent au-dessous du point R., ils se rompent aussi
plus que les rouges en sortant de la boule. Ce même pouvoir qui les
approchoit plus du perpendicule de chaque surface dans l'intérieur de
la boule, les en écarte donc davantage à leur retour dans l'air: ils
reviennent donc tous au-dessous de votre œil; mais baissez la boule,
vous rendez l'angle plus petit. Que cet angle soit de quarante degrez
environ dix-sept minutes, vous ne recevez que les objets violets.
Il n'y a personne qui sur ce principe ne conçoive très-aisément
l'artifice de l'Arc-en-Ciel; imaginez plusieurs rangées, plusieurs
bandes de goûtes de pluye, chaque goûte fait précisément le même effet
que cette boule.
Jettez les yeux sur cet Arc, &, pour éviter la confusion, ne considerez
que trois rangées de goûtes de pluye, trois bandes colorées.
[Illustration]
Il est visible que l'angle P, O, L. est plus petit que l'angle V, O,
L., & que l'angle R, O, L. est le plus grand des trois. Ce plus grand
angle des trois est donc celui des rayons primitifs rouges: cet autre
mitoyen est celui des primitifs verds; ce plus petit P, O, L. est celui
des primitifs pourpres. Donc vous devez voir l'Iris rouge dans son bord
extérieur, verte dans son milieu, pourpre & violette dans sa bande
intérieure. Remarquez seulement que la derniére couche violette est
toujours teinte de la couleur blanchâtre de la nuée dans laquelle elle
se perd.
Vous concevez donc aisément que vous ne voyez ces goûtes que sous
les rayons efficaces parvenus à vos yeux après une réflexion & deux
réfractions, & parvenus sous des angles déterminés. Que votre œil
change de place, qu'au lieu d'être en O. il soit en T. ce ne sont plus
les mêmes rayons que vous voyez: la bande qui vous donnoit du rouge
vous donne alors de l'orangé, ou du verd, ainsi du reste; & à chaque
mouvement de tête vous voyez une Iris nouvelle.
Ce premier Arc-en-Ciel bien conçu, vous aurez aisément l'intelligence
du second que l'on voit d'ordinaire qui embrasse ce premier, & qu'on
appelle le faux Arc-en-Ciel, parce que ses couleurs sont moins vives, &
qu'elles sont dans un ordre renversé.
[Les deux Arcs-en-Ciel.]
Pour que vous puissiez voir deux Arcs-en-Ciel, il suffit que la
nuée soit assez étendue & assez épaisse. Cet Arc, qui se peint sur
le premier & qui l'embrasse, est formé de même par des rayons que
le Soleil darde dans ces goûtes de pluye, qui s'y rompent, qui s'y
réflechissent de façon, que chaque rangée des goûtes vous envoye aussi
des rayons primitifs; cette goûte un rayon rouge, cette autre goûte un
rayon violet.
Mais tout se fait dans ce grand Arc d'une maniere opposée à ce qui se
passe dans le petit; pourquoi cela? C'est que votre œil qui reçoit les
rayons efficaces du petit Arc venus du Soleil dans la partie supérieure
des goûtes, reçoit au contraire les rayons du grand Arc venus par la
partie basse des goûtes.
[Illustration]
Vous appercevez que les goûtes d'eau du petit Arc reçoivent les rayons
du Soleil par la partie supérieure, par le haut de chaque goûte; les
goûtes du grand Arc-en-Ciel au contraire reçoivent les rayons qui
parviennent par leur partie basse. Rien ne vous sera, je crois, plus
facile que de concevoir comment les rayons se réflechissent deux fois
dans les goûtes de ce grand Arc-en-Ciel, & comment ces rayons deux fois
réfractés, & deux fois réflechis, vous donnent une Iris dans un ordre
opposé à la premiere, & plus affaiblie de couleur. Vous venez de voir
que les rayons entrent ainsi dans la petite partie basse des goûtes
d'eau de cette Iris extérieure.
[Illustration]
Une masse de rayons se présente à la surface de la goûte en G. là une
partie de ces rayons se réfracte en dedans, & une autre s'éparpille en
dehors; voilà déja une perte de rayons pour l'œil. La partie réfractée
parvient en H. une moitié de cette partie s'échappe dans l'air en
sortant de la goûte, & est encore perdue pour vous. Le peu qui s'est
conservé dans la goûte, s'en va en K. là une partie s'échappe encore:
troisième diminution. Ce qui en est resté en K. s'en va en M. & à cette
émergence en M., une partie s'éparpille encore: quatrième diminution;
& ce qui en reste parvient enfin dans la ligne M, N. Voilà donc dans
cette goûte autant de réfractions que dans les goûtes du petit Arc;
mais il y a comme vous voyez deux réflexions au lieu d'une dans ce
grand Arc. Il se perd donc le double de la lumiere dans ce grand Arc où
la lumiere se réflechit deux fois, & il s'en perd la moitié moins dans
le petit Arc intérieur, où les goûtes n'éprouvent qu'une réflexion.
Il est donc démontré que l'Arc-en-Ciel extérieur doit toujours être
de moitié plus faible en couleur que le petit Arc intérieur. Il est
aussi démontré par ce double chemin que font les rayons, qu'ils doivent
parvenir à vos yeux dans un sens opposé à celui du premier Arc, car
votre œil est placé en O.
Dans cette place O. il reçoit les rayons les moins réfrangibles de la
premiere bande extérieure du petit Arc, & il doit recevoir les plus
réfrangibles de la premiere bande extérieure de ce second Arc; ces
plus réfrangibles sont les violets. Voici donc les deux Arcs-en-Ciel
ici dans leur ordre, en ne mettant que trois couleurs pour éviter la
confusion.
[Illustration]
[Ce phénomêne vu toujours en demi-cercle.]
Il ne reste plus qu'à voir pourquoi ces couleurs sont toujours
apperçues sous une figure circulaire. Considérez cette ligne O, Z.
qui passe par votre œil. Soient conçues se mouvoir ces deux boules
toujours à égale distance de votre œil, elles décriront des bases de
cones, dont la pointe sera toujours dans votre œil.
[Illustration]
Concevez que le rayon de cette goûte d'eau R. venant à votre œil O.
tourne autour de cette ligne O, Z. comme autour d'un axe, faisant
toujours, par exemple, un angle avec votre œil de 42 degrez deux
minutes; il est clair que cette goûte décrira un cercle qui vous
paraitra rouge. Que cette autre goûte V. soit conçue tourner de même,
faisant toujours un autre angle de quarante degrez dix-sept minutes,
elle formera un cercle violet; toutes les goûtes qui seront dans ce
plan formeront donc un cercle violet, & les goûtes qui sont dans le
plan de la goûte R. feront un cercle rouge. Vous verrez donc cette Iris
comme un cercle, mais vous ne voyez pas tout un cercle; parce que la
Terre le coupe, vous ne voyez qu'un Arc, une portion de cercle.
La plûpart de ces vérités ne purent encore être apperçues ni par
Antonio de Dominis, ni par Descartes: ils ne pouvoient savoir pourquoi
ces différens angles donnoient différentes couleurs; mais c'étoit
beaucoup d'avoir trouvé l'Art. Les finesses de l'Art sont rarement
dues aux premiers inventeurs. Ne pouvant donc deviner que les couleurs
dépendoient de la réfrangibilité des rayons, que chaque rayon
contenoit en soi une couleur primitive, que la différente attraction
de ces rayons faisoit leur réfrangibilité, & opéroit ces écartemens
qui font les différens angles, Descartes s'abandonna à son esprit
d'invention pour expliquer les couleurs de l'Arc-en-Ciel. Il y employa
le _tournoyement_ imaginaire de ces globules & _cette tendance au
tournoyement_; preuve de génie, mais preuve d'erreur. C'est ainsi que
pour expliquer la _systole_ & la _diastole_ du cœur, il imagina un
mouvement & une conformation dans ce viscère, dont tous les Anatomistes
ont reconnu la fausseté. Descartes auroit été le plus grand Philosophe
de la Terre, s'il eût moins inventé.
[Illustration]


[Illustration]
CHAPITRE DOUZE.
_Nouvelles découvertes sur la cause des couleurs qui confirment la
doctrine précédente. Démonstration que les couleurs sont occasionnées
par l'épaisseur des parties qui composent les corps._

PAr tout ce qui a été dit jusqu'à présent il résulte donc, que toutes
les couleurs nous viennent du mêlange des sept couleurs primordiales
que l'Arc-en-Ciel & le prisme nous font voir distinctement.
Les corps les plus propres à réflechir des rayons rouges, & dont les
parties absorbent ou laissent passer les autres rayons, seront rouges,
& ainsi du reste. Cela ne veut pas dire que les parties de ces corps
réflechissent en effet les rayons rouges; mais qu'il y a un pouvoir,
une force jusqu'ici inconnue, qui réflechit ces rayons d'auprès des
surfaces & du sein des pores des corps.
[Connaissance plus approfondie de la formation des couleurs.]
Les couleurs sont donc dans les rayons du Soleil, & rejaillissent à
nous d'auprès des surfaces, & des pores & du vuide. Cherchons à présent
en quoi consiste le pouvoir apparent des corps de nous réflechir
ces couleurs, ce qui fait que l'écarlate parait rouge, que les Prés
sont verds, qu'un Ciel pur est bleu; car dire que cela vient de la
différence de leurs parties, c'est dire une chose vague qui n'apprend
rien du tout.
[Grandes vérités tirées d'une expérience commune.]
Un divertissement d'enfant, qui semble n'avoir rien en soi que de
méprisable, donna à Mr. Neuton la premiere idée de ces nouvelles
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