Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde - 01

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[Illustration]

ELÉMENS
DE LA
PHILOSOPHIE
DE NEUTON,
Mis à la portée de tout le monde.
Par MONSIEUR. DE VOLTAIRE.
[Illustration]
A AMSTERDAM,
Chez ETIENNE LEDET & Compagnie.
M. DCC. XXXVIII.


ELEMENS
DE LA
PHILOSOPHIE
DE NEUTON.

[Illustration]


[Illustration]
A MADAME
LA
MARQUISE DU CH.**

Tu m'appelles à toi vaste & puissant Génie,
Minerve de la France, immortelle Emilie,
Disciple de Neuton, & de la Vérité,
Tu pénétres mes sens des feux de ta clarté,
Je renonce aux lauriers, que long-tems au Théâtre
Chercha d'un vain plaisir mon esprit idolâtre.
De ces triomphes vains mon cœur n'est plus touché.
Que le jaloux Rufus à la terre attaché,
Traîne au bord du tombeau la fureur insensée,
D'enfermer dans un vers une fausse pensée,
Qu'il arme contre moi ses languissantes mains
Des traits qu'il destinoit au reste des humains.
Que quatre fois par mois un ignorant Zoïle,
Eleve en fremissant une voix imbécile.
Je n'entends point leurs cris que la haine a formez.
Je ne vois point leurs pas dans la fange imprimez.
Le charme tout-puissant de la Philosophie
Eleve un esprit sage au-dessus de l'envie.
Tranquille au haut des Cieux que Neuton s'est soumis,
Il ignore en effet s'il a des Ennemis.
Je ne les connois plus. Déja de la carriere
L'auguste Vérité vient m'ouvrir la barriere.
Déja ces tourbillons l'un par l'autre pressez,
Se mouvant sans espace, & sans règle entassez,
Ces fantômes savants à mes yeux disparaissent.
Un jour plus pur me luit; les mouvements renaissent.
L'espace qui de Dieu contient l'immensité,
Voit rouler dans son sein l'Univers limité,
Cet Univers si vaste à notre faible vûe,
Et qui n'est qu'un atome, un point dans l'étendue.
Dieu parle, & le Chaos se dissipe à sa voix;
Vers un centre commun tout gravite à la fois,
Ce ressort si puissant l'ame de la Nature,
Etoit enséveli dans une nuit obscure,
Le compas de Neuton mesurant l'Univers,
Leve enfin ce grand voile & les Cieux sont ouverts.
Il déploye à mes yeux par une main savante,
De l'Astre des Saisons la robe étincelante.
L'Emeraude, l'azur, le pourpre, le rubis,
Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits.
Chacun de ses rayons dans sa substance pure,
Porte en soi les couleurs dont se peint la Nature,
Et confondus ensemble, ils éclairent nos yeux,
Ils animent le Monde, ils emplissent les Cieux.
Confidens du Très-Haut, Substances éternelles,
Qui brûlés de ses feux, qui couvrez de vos aîles
Le Trône où votre Maître est assis parmi vous,
Parlez, du grand Neuton n'étiez-vous point jaloux?
La Mer entend sa voix. Je vois l'humide Empire,
S'élever, s'avancer, vers le Ciel qui l'attire,
Mais un pouvoir central arrête ses efforts,
La Mer tombe, s'affaisse, & roule vers ses bords.
Cometes que l'on craint à l'égal du tonnerre,
Cessez d'épouvanter les Peuples de la Terre,
Dans une ellipse immense achevez votre cours,
Remontez, descendez près de l'Astre des jours,
Lancez vos feux, volez, & revenant sans cesse,
Des Mondes épuisez ranimez la vieillesse.
Et toi Sœur du Soleil, Astre, qui dans les Cieux,
Des sages éblouïs trompois les faibles yeux,
Neuton de ta carriere a marqué les limites,
Marche, éclaire les nuits; tes bornes sont prescrites.
Terre change de forme, & que la pesanteur,
En abaissant le Pole, éleve l'Equateur.
Pole immobile aux yeux, si lent dans votre course,
Fuyez le char glacé de sept Astres de l'Ourse,
Embrassez dans le cours de vos longs mouvements,
Deux cens siècles entiers par delà six mille ans.
Que ces objets sont beaux! que notre ame épurée
Vole à ces vérités dont elle est éclairée!
Oui dans le sein de Dieu, loin de ce corps mortel,
L'esprit semble écouter la voix de l'Eternel.
Vous à qui cette voix se fait si bien entendre,
Comment avez-vous pu, dans un âge encor tendre,
Malgré les vains plaisirs, ces écueils des beaux jours,
Prendre un vol si hardi, suivre un si vaste cours,
Marcher après Neuton dans cette route obscure
Du labyrinthe immense, où se perd la Nature?
Puissai-je auprès de vous, dans ce Temple écarté,
Aux regards des Français montrer la Vérité.
Tandis[a] qu'Algaroti, sûr d'instruire & de plaire,
Vers le Tibre étonné conduit cette Etrangere,
Que de nouvelles fleurs il orne ses atraits,
Le Compas à la main j'en tracerai les traits,
De mes crayons grossiers je peindrai l'Immortelle.
Cherchant à l'embellir je la rendrais moins belle,
Elle est ainsi que vous, noble, simple & sans fard,
Au-dessus de l'éloge, au-dessus de mon Art.
[a] Mr. Algaroti jeune Vénitien fait imprimer actuellement à
Venise un Traité sur la lumiere dans lequel il explique l'attraction.
[Illustration]


[Illustration]
A MADAME
LA
MARQUISE DU CH**
_AVANT PROPOS._

MADAME,
Ce n'est point ici une Marquise, ni une Philosophie imaginaire. L'étude
solide que vous avez faite de plusieurs nouvelles vérités & le fruit
d'un travail respectable, sont ce que j'offre au Public pour votre
gloire, pour celle de votre Sexe, & pour l'utilité de quiconque voudra
cultiver sa raison & jouïr sans peine de vos recherches. Il ne faut pas
s'attendre à trouver ici des agrémens. Toutes les mains ne savent pas
couvrir de fleurs les épines des Sciences; je dois me borner à tâcher
de bien concevoir quelques Vérités & à les faire voir avec ordre &
clarté. Ce seroit à vous de leur prêter des ornemens.
Ce nom de Nouvelle Philosophie ne seroit que le titre d'un Roman
nouveau, s'il n'annonçoit que les conjectures d'un Moderne, opposées
aux fantaisies des Anciens. Une Philosophie qui ne seroit établie
que sur des explications hazardées, ne mériteroit pas en rigueur le
moindre examen. Car il y a un nombre innombrable de manieres d'arriver
à l'Erreur, il n'y a qu'une seule route vers la Vérité: il y a donc
l'infini contre un à parier, qu'un Philosophe qui ne s'appuiera que
sur des Hypothèses ne dira que des chiméres. Voilà pourquoi tous les
Anciens qui ont raisonné sur la Physique sans avoir le flambeau de
l'expérience, n'ont été que des aveugles, qui expliquoient la nature
des couleurs à d'autres aveugles.
Cet Ecrit ne sera point un cours de Physique complet. S'il étoit tel,
il seroit immense; une seule partie de la Physique occupe la vie de
plusieurs hommes, & les laisse souvent mourir dans l'incertitude.
Vous vous bornez dans cette étude, dont je rends compte, à vous faire
seulement une idée nette de ces Ressorts si déliez & si puissants, de
ces Loix primitives de la Nature, que Neuton a découvertes; à examiner
jusqu'où l'on a été avant lui, d'où il est parti, & où il s'est arrêté.
Nous commencerons, comme lui, par la lumiere: c'est de tous les
corps qui se font sentir à nous le plus délié, le plus approchant de
l'infini en petit, c'est pourtant celui que nous connoissons davantage.
On l'a suivi dans ses mouvemens, dans ses effets; on est parvenu à
l'anatomiser, à le séparer en toutes ses parties possibles. C'est celui
de tous les corps dont la nature intime est le plus développée. C'est
celui qui nous approche de plus près des premiers Ressorts de la Nature.
On tâchera de mettre ces _Elémens_, à la portée de ceux qui ne
connaissent de Neuton & de la Philosophie que le nom seul. La Science
de la Nature est un bien qui appartient à tous les hommes. Tous
voudroient avoir connaissance de leur bien, peu ont le tems ou la
patience de le calculer; Neuton a compté pour eux. Il faudra ici se
contenter quelquefois de la somme de ces calculs. Tous les jours un
homme public, un Ministre, se forme une idée juste du résultat des
opérations que lui-même n'a pu faire; d'autres yeux ont vu pour lui,
d'autres mains ont travaillé, & le mettent en état par un compte fidèle
de porter son jugement. Tout homme d'esprit sera à peu près dans le cas
de ce Ministre.
La Philosophie de Neuton a semblé jusqu'à présent à beaucoup de
personnes aussi inintelligible que celle des Anciens: mais l'obscurité
des Grecs venoit de ce qu'en effet ils n'avoient point de lumiere;
& les ténèbres de Neuton viennent de ce que sa lumiere étoit trop
loin de nos yeux. Il a trouvé des vérités: mais il les a cherchées &
placées dans un abîme, il faut y descendre & les apporter au grand jour.
On trouvera ici toutes celles qui conduisent à établir la nouvelle
proprieté de la matiere découverte par Neuton. On sera obligé de parler
de quelques singularités, qui se sont trouvées sur la route dans cette
carriere; mais on ne s'écartera point du but.
Ceux qui voudront s'instruire davantage, liront les excellentes
Physiques des Gravesandes, des Keils, des Muschenbroeks, des Pembertons
& s'approcheront de Neuton par degrez.
[Illustration]


[Illustration]
CHAPITRE PREMIER.
_Ce que c'est que la Lumiere & comment elle vient à nous._

[Définition singuliére par les Péripatéticiens.]
LES GRECS & ensuite tous les Peuples Barbares, qui ont appris d'eux
à raisonner & à se tromper, ont dit de Siècle en Siècle: «La Lumière
est un accident, & cet accident est l'acte du transparent en tant que
transparent, les couleurs sont ce qui meut les corps transparens. Les
corps lumineux & colorez ont des qualités semblables à celles qu'ils
excitent en nous par la grande raison que rien ne donne ce qu'il n'a
pas. Enfin, la lumiere & les couleurs sont un melange du chaud, du
froid, du sec, & de l'humide; car l'humide, le sec, le froid, & le
chaud, étant les Principes de tout, il faut bien que les couleurs en
soient un composé».
C'est cet absurde galimatias que des Maîtres d'ignorance, payez par
le Public, ont fait respecter à la crédulité humaine pendant tant
d'années: c'est ainsi qu'on a raisonné presque sur-tout, jusqu'aux tems
des Galilées & des Descartes. Long-tems même après eux ce Jargon, qui
deshonore l'Entendement humain, a subsisté dans plusieurs Ecoles. J'ose
dire que la Raison de l'homme, ainsi obscurcie, est bien au-dessous
de ces connaissances si bornées, mais si sûres, que nous appellons
Instinct dans les Brutes. Ainsi nous ne pouvons trop nous féliciter
d'être nez dans un tems & chez un Peuple, où l'on commence à ouvrir
les yeux, & à jouïr du plus bel appanage de l'Humanité, l'usage de la
Raison.
[L'Esprit Systématique a égaré Descartes.]
Tous les prétendus Philosophes ayant donc deviné au hazard, à travers
le voile qui couvroit la Nature, Descartes est venu qui a découvert un
coin de ce grand voile. Il a dit: la Lumiere est une matiere fine &
déliée, qui est répandue par-tout, & qui frappe nos yeux. Les couleurs
sont les sensations que Dieu excite en nous, selon les divers mouvemens
qui portent cette Matiere à nos organes. Jusques-là Descartes a eu
raison, il falloit, ou qu'il s'en tint là, ou qu'en allant plus loin,
l'expérience fût son guide. Mais il étoit possédé de l'envie d'établir
un Systême. Cette passion fit dans ce grand Homme ce que font les
passions dans tous les hommes; elles les entraînent au-delà de leurs
Principes.
Il avoit posé pour premier fondement de sa Philosophie, qu'il ne
falloit rien croire sans évidence; & cependant au mépris de sa propre
Règle, il imagine trois Elémens formez des cubes prétendus qu'il
suppose avoir été faits par le Créateur, & s'être brisez en tournant
sur eux-mêmes, lorsqu'ils sortirent des mains de Dieu. Ces trois
Elémens imaginaires sont, comme on sait:
[Son Systême.]
1º. La partie la plus épaisse de ces cubes, & c'est cet Elément
grossier dont se formerent selon lui les corps solides des Planetes,
les Mers, l'Air même.
2º. La poussiere impalpable que le brisement de ces dés avoit produite,
& qui remplit à l'infini les interstices de l'Univers infini dans
lequel il ne suppose aucun vuide.
3º. Les milieux de ces prétendus dés brisés, attenués également de
tous côtés, & enfin arondis en boules, dont il lui plaît de faire la
lumiere, & qu'il répand gratuitement dans l'Univers.
[Faux.]
Plus ce Systême étoit ingénieusement imaginé, plus vous sentez qu'il
étoit indigne d'un Philosophe. Car, puisque rien de tout cela n'est
prouvé, autant valloit adopter le froid & le chaud, le sec & l'humide.
Erreur pour erreur qu'importe laquelle domine! Ne perdons point de tems
à combattre cette création des cubes & des trois Elémens, ou plutôt ce
Chaos. Contentons-nous de voir ici seulement les erreurs Philosophiques
dans lesquelles l'esprit Systématique a entraîné le génie sublime
de Descartes; & ne réfutons sur-tout que ces sortes d'erreurs qui,
ayant l'air de la vérité, sembloient respectables, & méritoient d'être
relevées.
Selon Descartes la lumiere ne vient point à nos yeux du Soleil, mais
c'est une matiere globuleuse répandue par-tout, que le Soleil pousse,
& qui presse nos yeux comme un bâton poussé par un bout presse à
l'instant à l'autre bout. Cela paroissoit plausible, mais cela n'en
est pas moins faux: cependant Descartes étoit tellement persuadé de
ce Systême que dans sa dix-septième Lettre du troisième Tome, il dit
& répète positivement: _J'avoue que je ne sai rien en Philosophie si
la lumiere du Soleil n'est pas transmise à nos yeux en un instant_.
En effet, il faut avouer que, tout grand génie qu'il étoit, il savoit
encore peu de chose en vraye Philosophie; il lui manquoit l'expérience
du Siècle qui l'a suivi. Ce Siècle est autant supérieur à Descartes,
que Descartes l'étoit à l'Antiquité.
[Du mouvement progressif de la lumiere.]
1º. Si la lumiere étoit toujours répandue, toujours existante dans
l'air, nous verrions clair la nuit comme le jour, puisque le Soleil
sous l'Hemisphére pousseroit toujours les globules en tout sens, & que
l'impression en viendroit également à nos yeux.
2º. Il est démontré que la lumiere émane du Soleil, & on sait que c'est
à peu près en sept ou huit minutes de tems qu'elle fait ce chemin
immense, qu'un boulet de Canon conservant sa vîtesse ne feroit pas en
vingt-cinq années.
[Erreur du Spectacle de la Nature.]
L'Auteur du Spectacle de la Nature, Ouvrage très-estimable, est
tombé ici dans une petite méprise qu'il corrigera sans doute à la
premiere Edition de son Livre. Il dit que la lumiere vient en _sept
minutes des Etoiles, selon Neuton_; il a pris les Etoiles pour le
Soleil. La lumiere émane des Etoiles les plus prochaines en six mois,
selon un certain calcul fondé sur des expériences très-délicates &
très-fautives. Ce n'est point Neuton, c'est Huygens & Hartsoeker,
qui ont fait cette supposition. Il dit encore, pour prouver que Dieu
créa la lumiere avant le Soleil, _que la lumiere est répandue par
toute la Nature, & qu'elle se fait sentir, quand les Astres lumineux
la poussent_; mais il est démontré qu'elle arrive des Etoiles fixes
en un tems très-long. Or, si elle fait ce chemin, elle n'étoit donc
point répandue auparavant. Il est bon de se précautionner contre ces
erreurs, que l'on répète tous les jours dans beaucoup de Livres qui
sont l'écho les uns des autres.
Voici en peu de mots la substance de la Démonstration sensible de
Romer, que la lumiere employe sept à huit minutes dans son chemin du
Soleil à la Terre.
[Démonstration du mouvement de la lumiere.]
On observe de la Terre en C. ce Satellite de Jupiter, qui s'éclipse
réguliérement une fois en quarante-deux heures & demie. Si la
Terre étoit immobile, l'Observateur en C. verroit en trente fois
quarante-deux heures & demie, trente émersions de ce Satellite, mais au
bout de ce tems, la Terre se trouve en D. alors l'Observateur ne voit
plus cette émersion précisément au bout de trente fois quarante-deux
heures & demie, mais il faut ajouter le tems que la lumiere met à se
mouvoir de C. en D. & ce tems est sensiblement considérable. Mais cet
espace C. D. est encore moins grand que l'espace G. H. car C. D. est
corde du Cercle, & G. H. est le Diametre du Cercle. Ce Cercle est le
grand Orbe que décrit la Terre, le Soleil est au milieu; la lumiere en
venant du Satellite de Jupiter, traverse C. D. en dix minutes, & G.
H. en 15. ou 16. minutes. Le Soleil est entre G. & H. donc la lumiere
vient du Soleil en 7 ou 8 minutes.
[Illustration: _pag. 20._]
Mr. Broadley, en dernier lieu, a observé par des expériences réïtérées
& sûres, que plusieurs Etoiles, vues en différens tems, paroissoient
tantôt un peu plus vers le Nord, tantôt un peu plus vers le Sud; il a
prouvé que cette différence ne pouvoit venir que du mouvement annuel de
la Terre, & de la progression de la lumiere. Il a observé que si ces
Etoiles ont une parallaxe, cette parallaxe n'est que d'une seconde.
Or cela présupposé, voici le raisonnement que je fais: Un Astre, qui
n'a qu'une seconde de parallaxe annuelle, est quatre cens mille fois
plus loin de nous que le Soleil; si la lumiere nous vient du Soleil
en 8. minutes, comme le croit Mr. Broadley, elle nous viendra donc de
ces Etoiles en 6. années & plus d'un mois. Mais ce n'est pas tout. Ces
Etoiles sont de la premiere grandeur, donc les Etoiles de la sixième
grandeur, étant six fois plus éloignées, ne font parvenir leur lumiere
à nous qu'en plus de 36. ans & demi.
3º. Les rayons qu'on détourne par un Prisme, & qu'on force de prendre
un nouveau chemin, démontrent que la lumiere se meut effectivement, &
n'est pas un amas de globules simplement pressé.
4º. Si la lumiere étoit un amas de globules existans dans l'air & en
tous lieux, un petit trou qu'on pratique dans une chambre obscure
devroit l'illuminer toute entiére: car la lumiere, poussée alors en
tout sens par ce petit trou, agiroit en tout sens, comme des boules
d'yvoire rangées en rond, ou en quarré, s'écarteroient toutes, si
une seule d'elles étoit fortement pressée; mais il arrive tout le
contraire. La lumiere reçue par un petit orifice, lequel ne laisse
passer que peu de rayons, éclaire à peine un demi-pied de l'endroit
qu'elle frappe.
5º. La lumiere entre toujours par un trou en ligne droite, en quelque
sens que l'on puisse imaginer, mais si des globules étoient simplement
pressés, il seroit impossible que cette pression se fît en ligne
droite. Il est donc démontré que Descartes s'est trompé & sur la nature
de la lumiere & sur la maniere dont elle nous est transmise.
[Erreur du Pere Mallebranche.]
Le Pere Mallebranche, génie plus subtil que vrai, qui consulta toujours
ses méditations, mais non toujours la Nature, adopta sans preuve les
trois Elémens de Descartes; mais il changea beaucoup de choses à ce
Château enchanté. Il imagina sans autre preuve une autre explication de
la lumiere.
Des vibrations du Corps lumineux impriment, selon lui, des secousses à
de petits tourbillons mous, capables de compression, & tout composés
de matiere subtile. Mais si on avoit demandé à Mallebranche comment
ces petits tourbillons mous auroient transmis à nos yeux la lumiere,
comment l'action du Soleil pourroit passer en un instant à travers
tant de petits corps comprimés les uns par les autres, & dont un
très-petit nombre suffiroit pour amortir cette action, comment enfin
ses tourbillons mous, ne se seroient point mêlez en tournant les uns
sur les autres, qu'auroit répondu le Pere Mallebranche? Sur quel
fondement posoit-il cet édifice imaginaire? Faut-il que des hommes qui
ne parloient que de _vérité_ n'ayent écrit que des Romans!
[Définition de la lumiere.]
Qu'est-ce donc enfin que la lumiere? C'est _le feu lui-même_, lequel
brûle à une petite distance, lorsque ses parties sont moins tenuës, ou
plus rapides, ou plus réunies; & qui éclaire doucement nos yeux, quand
il agit de plus loin, quand ses particules sont plus fines, & moins
rapides, & moins réunies.
Ainsi une bougie allumée brûleroit l'œil qui ne seroit qu'à quelques
lignes d'elle, & éclaire l'œil qui en est à quelques pouces. Ainsi les
rayons du Soleil, épars dans l'espace de l'air, illuminent les objets,
& réunis dans un verre ardent fondent le plomb & l'or.
Ce feu est dardé en tout sens du point rayonnant: c'est ce qui
fait qu'il est apperçu de tous les côtez; il faut donc toujours le
considérer comme des lignes partant d'un centre à la circonférence.
Ainsi tout faisceau, tout amas, tout trait de rayons, venant du Soleil
ou d'un feu quelconque, doit être considéré comme un cone, dont la base
est sur notre prunelle, & dont la pointe est dans le feu qui le darde.
Cette matiere de feu s'élance du Soleil jusqu'à nous & jusqu'à Saturne,
&c. avec une rapidité qui épouvante l'imagination.
Le calcul apprend que, si le Soleil est à vingt-quatre mille
demi-diametres de la Terre, il s'ensuit que la lumiere parcourt de cet
Astre à nous, (en nombres ronds) mille millions de pieds par seconde.
Or un boulet d'une livre de balle, poussé par une demi-livre de poudre,
ne fait en une seconde que 600. pieds; ainsi donc la rapidité d'un
rayon du Soleil est, en nombres ronds, seize cens soixante & six mille
six cens fois plus forte que celle d'un boulet de Canon.
[Voyez Mémoires de l'Académie 1728.]
Je n'entrerai point ici dans la fameuse dispute des forces vives; je
renvoye sur cela le Lecteur au Mémoire plein de sagesse & de profondeur
qu'a donné Mr. de Mairan.
J'espére que ce Philosophe & ceux qui sont le plus opposés aux forces
vives, permettront qu'on avance en toute rigueur cette Proposition
suivante:
L'effet que produit la force d'un corps dans un mouvement, du moins
uniformement accéléré, est le produit de sa masse par le quarré de sa
vîtesse; c'est-à-dire qu'un corps, s'il a dix degrez de vîtesse, fera,
toutes choses égales, cent fois autant d'impression, que s'il n'avoit
qu'un degré de vîtesse.
[Extrême petitesse du corps de la lumiere.]
Si donc une seule particule de lumiere agit en raison du quarré de sa
vîtesse, & si cette vîtesse est environ seize cens mille par rapport à
celle du boulet, ce quarré sera 2560000000000; il sera donc vrai que,
si cet atome n'est que deux milliasses cinq cens soixante miliards
moins gros qu'une livre, il fera encore le même effet qu'un boulet de
Canon. Supposez cet atome mille miliards plus petit encore; un moment
d'émanation de lumiere détruiroit tout ce qui vegète sur la surface
de la Terre. Concevez qu'elle doit être la petitesse d'une particule
de lumiere, qui passe si librement à-travers d'un verre; & pour avoir
quelque idée de l'infini, concevez ce que doit être une matiere un
million de fois plus subtile encore, qui passe entre les pores de l'Or
& de l'Aimant, & qui pénétre les Rochers & les entrailles de la Terre.
Le Soleil qui nous darde cette matiere lumineuse en sept ou huit
minutes, & les Etoiles, ces autres Soleils, qui nous l'envoyent
en plusieurs années, en fournissent éternellement, sans paraître
s'épuiser, à peu près comme le Musc élance sans cesse autour de lui des
corps odoriférants, sans rien perdre sensiblement de son poids.
Enfin, la rapidité avec laquelle le Soleil darde ses rayons est en
proportion avec sa grosseur, qui surpasse environ un million de fois
celle de la Terre, & avec la vîtesse dont ce Corps de feu immense roule
sur lui-même en vingt-cinq jours & demi.
[Proportion dans laquelle toute lumiere agit.]
La force, l'illumination, l'intensité, la densité de toute lumiere,
est calculée. Il se trouve par un calcul singulier que cette force
est précisément en même raison, que la force avec laquelle les corps
tombent, & avec laquelle Mr. Neuton fait voir que tous les Globes
célestes s'attirent. Cette proportion est ce qu'on appelle la raison
inverse du quarré des distances. Il faut se familiariser avec cette
expression. Elle signifie une chose simple & intelligible: c'est qu'un
corps qui sera exposé à quatre pieds d'un feu quelconque, sera seize
fois moins éclairé & moins échauffé, recevra seize fois moins de rayons
que le corps qui sera à un pied; seize est le quarré de quatre. Or
quatre est la distance où est le corps moins éclairé, donc la lumiere
envoye à ce corps distant de quatre pieds, non pas quatre fois moins
de rayons, mais seize fois moins de rayons. Voilà ce qu'on appelle la
raison inverse du quarré des distances, ce qu'il faut bien entendre;
car cette proportion sera un des fondemens de la Nouvelle Philosophie
que nous tâchons de rendre familiere.
[Progression de la lumiere. Preuve de l'impossibilité du plein.]
Nous pouvons en passant conclure de la célérité avec laquelle la
substance du Soleil s'échappe ainsi vers nous en ligne droite, combien
le plein de Descartes est chimérique. Car 1º. comment une ligne droite
pourroit-elle parvenir à nous, à travers tant de millions de couches
de matiere mues en ligne courbe, & à travers tant de mouvemens divers?
2º. Comment un corps si délié pourroit-il en sept ou huit minutes
parcourir l'espace de trente millions de nos lieues, qui est entre
le Soleil & nous, s'il avoit à pénétrer dans cet espace une matiére
résistante? Il faudroit que chaque rayon dérangeât en un moment trente
millions de lieues de matiére subtile. Remarquez encore que cette
prétendue matiére subtile résisteroit dans le plein absolu, autant que
la matiére la plus compacte. Car une livre de poudre d'or, pressée dans
une boëte, résiste autant qu'un morceau d'or pesant une livre. Ainsi
un rayon du Soleil auroit bien plus d'effort à faire, que s'il avoit à
percer un cone d'or, dont l'axe seroit trente millions de lieues.
Il y a plus. L'expérience, ce vrai Maître de Philosophie, nous apprend
que la lumiere en venant d'un Elément dans un autre Elément, d'un
milieu dans un autre milieu, n'y passe pas toute entiere, comme nous le
dirons: une grande partie est réflechie, l'air en fait rejaillir plus
qu'il n'en transmet; ainsi il seroit impossible qu'il nous vint aucune
lumiere des Etoiles, elle seroit toute absorbée, toute répercutée,
avant qu'un seul rayon pût seulement venir à moitié de notre atmosphére.
Mais dans les Chapitres, où nous expliquerons les principes de la
gravitation, nous verrons une foule d'arguments, qui prouvent que ce
plein prétendu étoit un Roman.
Arrêtons-nous ici un moment pour voir combien la Vérité s'établit
lentement chez les hommes.
Il y a près de cinquante ans que Romer avoit démontré par les
observations sur les Eclipses des Satellites de Jupiter, que la
lumiere émane du Soleil à la Terre en sept minutes & demie ou environ,
cependant non-seulement on soutient encore le contraire dans plusieurs
Livres de Physique; mais voici comme on parle dans un Recueil en trois
Volumes, tiré des observations de toutes les Académies de l'Europe,
imprimé en 1730. _page 35. Volume. 1_.
«Quelques-uns ont prétendu que d'un Corps lumineux, comme le Soleil,
il se fait un écoulement continuel d'une infinité de petites parties
insensibles, qui portent la lumiere jusqu'à nos yeux; mais cette
opinion, qui se ressent encore un peu de la vieille Philosophie,
n'est pas soutenable».
Cette opinion est pourtant démontrée de plus d'une façon: & loin de
ressentir la vieille Philosophie, elle y est directement contraire; car
quoi de plus contraire à des mots vuides de sens, que des mesures, des
calculs, & des expériences?
[Illustration]


[Illustration]
CHAPITRE DEUX.
_La proprieté que la lumiere a de se réflechir n'étoit pas
véritablement connue. Elle n'est point réflechie par les parties
solides des corps, comme on le croioit._

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