Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 01

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VICTOR HUGO A VINGT ANS


_DU MEME AUTEUR_

Un chapitre inédit de l'Histoire du Costume.--Le
Pantalon féminin. Préface d'Armand Silvestre
(Ch. Carrington) 1 vol.
_Etude iconographique sur Ronsard._ Le Portrait,
le buste et l'épitaphe de Ronsard au
musée de Blois (H. Champion) 1 vol.
Le Tombeau de Jean de Morvillier et les
Pleureuses de Germain Pilon (H. Champion) 1 vol.

_Sous presse._
Napoléon en Loir-et-Cher. _Blois, 3 avril,
13 août 1808. Vendôme, 14 août, 30 octobre
1808, 22 janvier 1809._--Les Gardes
d'honneur.


PIERRE DUFAY

Victor Hugo
à vingt ans

--_GLANES ROMANTIQUES_--
PARIS
MERCVRE DE FRANCE
XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI
MCMIX
JUSTIFICATION DU TIRAGE:
Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.

A
MONSIEUR LÉON SÉCHÉ,
_en témoignage de haute et de vive sympathie_.


I
La Jeunesse et les débuts.--Mme Hugo.--Le général Hugo.--Premiers
succès académiques.--Le _Conservateur littéraire_.--Les _Odes et
Poésies diverses_.--La seconde femme du Général: Marie-Catherine Thomas
y Saëtoni, veuve Anaclet d'Almeg.

La Bibliothèque de Blois, assez pauvre en manuscrits, a la bonne
fortune de posséder une quarantaine de lettres autographes de Victor
Hugo à son père, le général Hugo.
Elles ont trouvé place par extraits dans le tome premier de la
_Correspondance_ de Victor Hugo[1] et ont fourni à M. Louis Belton,
avocat à Blois, matière à une fort attachante étude: _Victor Hugo et
son Père, le général Hugo à Blois_[2].
[Note 1: Victor Hugo: _Correspondance, 1815-1835_. Paris,
Calmann-Lévy, 1896; in-8º de 383 pp. _Lettres au général Hugo_, pp.
166-215.]
[Note 2: Louis Belton: _Victor Hugo et son père, le général Hugo_ à
Blois, d'après les lettres de Victor Hugo conservées à la Bibliothèque
de Blois et divers documents inédits.
Publiée d'abord dans le tome XVI des _Mémoires de la Société des
Sciences et Lettres de Loir-et-Cher_, pp. 9-85, cette étude a été
l'objet d'un élégant tirage à part. Blois, Typ. et Lith. C. Migault et
Cie, 1902, in-8º de 81 pp.
Cette étude fort bien faite a été souvent mise à contribution au cours
de ce travail. Des notes, que je ferai suivre des initiales L. B., y
ont, même, été textuellement empruntées.]
Embrassant une période de quatre ans,--la première est du 4 juillet
1822 et la dernière du 4 novembre 1826,--ces lettres offrent le très
vif intérêt d'avoir été écrites par le poète de vingt à vingt-quatre
ans, à la veille et au lendemain de son mariage. Ainsi, assistons-nous
aux joies initiales et aux premiers chagrins du ménage, ce pendant que
paraît et s'épuise la première édition des _Odes et Poésies diverses_
et que des cendres du _Conservateur littéraire_ ne tardera pas à éclore
la _Muse française_.
L'_Histoire du Romantisme_ de Gautier--et enthousiasma-t-elle nos
quinze ans, appareillant nos curiosités en partance vers les floraisons
inconnues et magiques de Baudelaire!--ne parle pour ainsi dire que de
la seconde période déjà du Romantisme: Petrus Borel, le lycanthrope,
farouche et énigmatique, Jehan du Seigneur, Augustus Mac-Keat,
Philothée O'Neddy, chacun a sa façon de porter le gilet rouge. Cette
correspondance, au contraire, nous ramène aux temps héroïques de la
nouvelle école.
Ces dates de 1822 et de 1823 évoquent non point ces satellites qui lors
de la représentation d'_Hernani_ commençaient à graviter, «grandiloques
et bousingots», autour de l'astre fulgurant qu'était Hugo, mais les
ouvriers de la première heure, anciens collaborateurs du _Conservateur
littéraire_, créateurs de la _Muse_ de demain.
Alfred de Vigny, tôt maître de son instrument, atteint déjà à la
sereine magnificence de ses poèmes. Plus tard, un froid pourra se
produire entre Hugo et lui, mais à ce moment, leur affection semble
sincère et étroite; le chantre d'_Eloa_ sera le témoin de Victor, lors
de son mariage et sa «tour d'ivoire» n'est point tellement éloignée de
la terre, qu'il ne soit des fondateurs du nouveau recueil.
Le souci de son exclusive réputation et l'ennui de participer aux
frais de la publication semblent en avoir éloigné Lamartine, dont les
_Méditations_ venaient de consacrer le nom. Il ne devait pas tarder,
d'ailleurs, à y être bientôt malmené.
Hugo et Lamartine semblent, en vérité, s'observer plutôt que s'aimer.
Le Cygne de Saint-Point se préoccupait, avant tout, de lui-même,
puis, sa nature paraissait répugner à la collectivité d'un effort,
ce par quoi se traduit toute école littéraire ou artistique. Malgré
son singulier éclectisme, on peut dire que la _Muse française_ ne fut
jamais la sienne.
Mais à côté de la mer de Sorrente et de son «flot hexamètre», eût
spécifié Corbière, que de talents se dessinaient et donnaient
alors des espérances de succès et de gloire: Guiraud, Gaspard de
Pons, camarade de Vigny à la Garde royale, Adolphe de Saint-Valry,
moins euphoniquement Souillard dans la vie privée et châtelain à
Montfort-l'Amaury, le toulousain Jules de Rességuier et tant d'autres,
injustes oubliés de la grande critique, dont les murmures de l'Anio
n'ont pas empêché l'implacable Léthé de submerger les noms.
Elles sont contemporaines de cette génération et la rappellent,
ces lettres. Souvent, elles complètent, et rectifient parfois, les
souvenirs de jeunesse dictés par Olympio à sa femme, dans _Victor Hugo
raconté par un Témoin de sa Vie_[3].
[Note 3: Édition consultée: _Victor Hugo raconté par un Témoin de
sa Vie_, avec œuvres inédites de Victor Hugo, entre autres un drame
en trois actes: _Inez de Castro_. Paris, A. Lacroix, Verbœckhoven et
Cie, 1867, 2 in-12 de 376; 419 pp.]
Le grand homme aimait trop la légende pour n'en point créer autour de
lui quelques-unes, surtout lorsqu'elles faisaient bien et prêtaient à
antithèse. D'où le père bonapartiste et la mère vendéenne.
La gloire claironnante du fils a pu faire négliger assez communément
celle, assez restreinte, du père, le «héros au sourire si doux[4]», et
ses _Mémoires_: il ne messied point de le mieux connaître[5].
[Note 4: _La Légende des Siècles: Après la Bataille._]
[Note 5: _Mémoires du général Hugo_, gouverneur de plusieurs
provinces et aide-major général des armées en Espagne. Paris, Ladvocat,
1823, 3 in-8º de 175-292, CII; 388 et 480 pp.
Ces Mémoires «contenant l'Histoire abrégée des guerres de la Révolution
française depuis 1792 jusqu'en 1815, et notamment les campagnes des
armées du Rhin, de la Vendée, d'Italie, d'Espagne», et la relation des
deux sièges de Thionville, sont précédés de _Mémoires inédits sur la
guerre de Vendée_, par le général Aubertin.
Un _Précis historique_, dû à Abel Hugo, _des Événements qui ont conduit
Joseph Napoléon sur le trône d'Espagne_ sert d'introduction à la
deuxième partie des _Mémoires du général Hugo_, (T. II; pp. V-CII).]
Dans son autobiographie, les souvenirs d'enfance et de jeunesse de
Victor Hugo débordent d'affection et de reconnaissance,--c'était
justice,--pour sa mère, cette Sophie Trébuchet, épousée, en 1796, par
le général, alors simple capitaine et qui devait être si parfaite et si
indulgente pour ses enfants, lorsqu'une aventurière corse, plus tard
épousée, aurait fait abandonner à leur père le domicile conjugal et la
vie commune.
La silhouette du général apparaît, au contraire, au second plan
seulement, comme effacée, et ne prend corps qu'au moment où elle prête
matière à une antithèse connue et souvent répétée.
Les enfants semblent avoir pris depuis longtemps parti contre leur
père, insoucieux, d'ailleurs, de la pension qu'il leur devrait servir,
et entre Victor et le général, cela a tout l'air d'une réconciliation.
Ils ne se connaissaient pas ou si peu.
Les lettres de Victor Hugo conservées à la Bibliothèque de Blois, sur
ce point comme sur d'autres, remettent singulièrement les choses au
point. L'éloignement entre le père et ses fils était plutôt matériel et
ceux-ci de savoir fort bien lui réclamer leurs mois de pension, quand
ils se faisaient trop attendre.
Elles ne sont postérieures que de dix-huit mois à la mort de Mme
Hugo, ce déchirant chagrin pour Abel, Eugène et Victor, et d'un an
à peine au second mariage qu'alla perpétrer, presque en cachette,
le général dans l'Indre et, cependant, elles sont empreintes d'une
attention respectueuse et continue du fils vis-à-vis du père. Elles
ne sont même pas exemptes d'une certaine tendresse. On la désirerait
sans doute plus simple et moins apprêtée, mais n'y avait-il pas entre
eux le souvenir de leur mère et la présence de «l'Intruse», cette veuve
Anaclet d'Almet, comtesse de Salcano, auquel le vieux brave n'avait pas
craint d'associer sa vie.
Quant aux choses de l'esprit, loin de les haïr, le général les aimait
fort, et, dans sa retraite anticipée, avait conservé pour elles un goût
très prononcé[6].
[Note 6: Outre ses _Mémoires_, on doit au général Hugo:
_Coup d'œil militaire sur la manière d'escorter et de défendre les
convois et sur les moyens de diminuer la fréquence des convois et d'en
assurer la marche: suivi d'un mot sur le pillage._
Paris, 1796, in-12.
Ces considérations ont été jointes au tome Ier des _Mémoires du
général Hugo_, pp. 209-255.
_Mémoires sur les moyens de suppléer à la traite des nègres par des
individus libres, et d'une manière qui garantisse pour l'avenir la
sûreté des colons et la dépendance des colonies._
(Publié sous le pseudonyme de Genty, cet ouvrage parut à Blois, 1818,
in-8º).
_Journal historique du blocus de Thionville en 1814, et de Thionville,
Sierck et Rodemack en 1815, contenant quelques détails sur le siège de
Longwy_; rédigé sur des rapports et mémoires communiqués par M. A.-A.
M***, ancien officier d'état-major au gouvernement de Madrid.
Blois, 1819, in-8º.
_L'Aventure tyrolienne_, par Sigisbert (roman).
Paris, 1826, 3 in-12.
(Est-ce à ce roman que, sous un autre titre, faisait allusion Méry dans
sa conversation avec les Goncourt: «Méry nous raconte la vente qu'il
conclut au prix de 600 francs, d'un roman du général Hugo, le père de
Victor Hugo, qui s'appelait la Vierge du Monastère.» (_Journal des
Goncourt_, tome II, 1862-1865, Paris, Charpentier, 1887, in-12; 18 mai
1864, p. 198). Méry était en effet revenu à Paris en 1824.
Peu de temps avant sa mort, en 1827, le général Hugo avait tenté
d'organiser une souscription pour la publication d'un ouvrage demeuré
inédit.
Prospectus de l'ouvrage intitulé: _Des grands moyens accessoires de
défense et de conservation aujourd'hui indispensables aux places
fortes, aux armées, aux colonies et aux États qui les possèdent_.
Paris, 1827, in-8º.
Enfin, il laissait un certain nombre de manuscrits dont M. Louis Belton
a relevé les titres dans l'inventaire établi après son décès:
«La duchesse d'Alba (1820).
«Le tambour Robin (1823).
«L'Ermite (ou le Solitaire) du Lac.
«L'épée de Brennus.
«Perrine, ou la nouvelle Nina, anecdote napolitaine.
«L'Intrigue de Cour, comédie en trois actes.
«La Permission, anecdote.
«Variante des Amants ennemis (1824).
«Joseph, ou l'Enfant trouvé (1825).
«Essai complémentaire sur le commandement des places de guerre et
autres.
«Minutes (antérieures à 1826) de la défense des nations, et de leurs
grands intérêts maritimes et coloniaux.
«Enfin le général préparait un ouvrage, et il avait préparé des notes
sur les pensions des veuves de militaires.»
(Louis Belton: _Victor Hugo et son père, le général Hugo, à Blois_, p.
19).]
Les craintes qu'inspirait deux ans plus tôt la collaboration d'Eugène
et de Victor au _Conservateur littéraire_,--n'allaient-ils point
négliger par trop leurs études de droit[7]?--semblent évanouies. Il ne
leur tient pas rigueur d'avoir préféré l'incertaine fortune des lettres
à l'avenir réputé sûr de Polytechnique, ce rêve de tous les parents de
province et même de Paris.
[Note 7: M. Émile Paul, dans le _Catalogue de la Bibliothèque
romantique_ de M. J. Noilly (Paris, A. Labitte, 1886), fournit à ce
sujet la curieuse note que voici:
«_Lettre autographe_ du général Hugo, père du poète, au doyen de la
Faculté de droit de Paris; Blois, le 28 avril 1820, 1 p. 1/2 in-4º. Il
s'informe auprès du doyen de la Faculté de droit de Paris si Eugène et
Victor Hugo suivent leurs cours. Il craint qu'une entreprise littéraire
dont il a entendu parler (le _Conservateur littéraire_) n'absorbe leur
argent et ne les détourne de leurs études.»]
Les débuts de Victor étaient, au reste, assez glorieux pour le
rassurer sur ce point. Nul besoin d'employer vis-à-vis de lui le verbe
comminatoire.
Les délassements intellectuels n'étaient point étrangers à l'ancien
défenseur de Thionville: il les aimait.
Une seule chose aurait pu l'inquiéter peut-être: la détresse morale
d'Eugène..., il ne pouvait la soupçonner.
Le pauvre garçon était déjà bizarre, avant que d'être fou.
La politique ne semblait point davantage devoir les séparer. Si le
général Hugo devait de la reconnaissance au roi Joseph, il n'avait
jamais eu beaucoup à se louer de Napoléon. Maréchal de camp des armées
du roi d'Espagne depuis le 20 août 1809, à peine si, à sa rentrée en
France, en juillet 1813, l'Empereur lui avait reconnu le grade de major
dans l'armée française. Comme tel, il avait été appelé, le 9 janvier
suivant, à défendre Thionville contre les troupes alliées.
L'on sait ce que cette défense de quatre-vingt-huit jours--il la devait
renouveler en 1815--comporta d'héroïsme et d'intelligence. Le général
en a écrit le _Journal_, et, tout en le mettant en demi-solde, Louis
XVIII, loin de lui tenir rigueur, lui avait auparavant accordé la croix
de chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis (1er
novembre 1814) et le grade de maréchal de camp des armées françaises
(21 novembre 1814), pour prendre rang à la date de sa rentrée en
France, 11 septembre 1813.
Quelques mois plus tard, le général était ainsi qu'un de ses frères, le
colonel Louis-Joseph, promu par la même ordonnance, au grade d'officier
de la Légion d'honneur[8].
[Note 8: Ordonnance du 14 février 1815 (_Moniteur universel_, 19
février 1815).]
Sauf un commandement actif, il n'avait donc pas à en vouloir trop aux
Bourbons, et son bonapartisme, pour le moins douteux[9], n'avait
point à s'offusquer du royalisme ardent, alors si bien porté, dont
témoignaient ses fils et dont ils firent montre dans le _Conservateur
littéraire_[10].
[Note 9: Lettre à M. le Comte Roger de Damas, gouverneur pour le
Roi, à Nancy:
Thionville, le 18 avril 1814.
Monsieur le Comte,
La brave garnison que je commande, mon conseil de défense et moi, avons
unanimement adhéré le 14 aux actes du Sénat.
Enfermés pendant quatre-vingt-huit jours dans cette forteresse, nous y
avons été fidèles à l'oriflamme de l'honneur: c'est vous rappeler celui
d'Henri IV.
En combattant nous n'avons pas attendu les éloges des hommes; l'amour
sacré de la patrie nous animait. Que le bon prince qui vient régner
sur nous daigne sourire à notre constance, et nous en aurons reçu le
prix. Nous avons été fidèles et loyaux sous l'Empereur; le serment qui
nous enchaîne au roi Louis XVIII est la garantie que nous le serons
également sous lui. Donnez à cet auguste monarque de la confiance dans
sa brave garnison de Thionville; elle y répondra noblement, elle saura
mourir pour sa gloire et pour son service.
Je vous prie, etc.
Le général Hugo.
(_Mémoires du général Hugo_, tome III, notes et pièces justificatives,
p. 467).]
[Note 10: _Le Conservateur littéraire._ A Paris, chez Anthe.
Boucher, imprimeur-éditeur, rue des Bons-Enfants, nº 34.
Décembre 1819-mars 1821; 30 livraisons formant 3 volumes in-8º.
En épigraphe, au-dessous du titre, à partir de la seconde livraison:
... Fungar vice cotis acutum
Reddere quæ ferrum valet, exsors ipsa secandi.
(Hor.)
Il faut lire en quels termes le brave M. Agier, qui, en 1816, avait été
président des _Francs régénérés_, encourageait dans le _Conservateur_,
dont le _Conservateur littéraire_ cuidait être le supplément, les
débuts de ses jeunes confrères:
«Il y a dans cette honorable entreprise quelque chose de plus
intéressant, de plus touchant encore, c'est son motif, dont MM. Hugo,
que nous n'avons point l'avantage de connaître, nous pardonneront de
révéler ici le secret. L'éducation de ces intéressants jeunes gens a
été dirigée par une mère distinguée, qui a pensé de bonne heure que de
bons principes et des talents formaient la seule fortune qui pût être
à l'abri des révolutions, la seule arme avec laquelle on pût ne pas se
défendre de l'envie, de la calomnie, mais la braver. Maintenant, fils
reconnaissants, ils essaient d'acquitter une dette aussi sacrée que
douce. Ils doivent à leur mère une seconde vie: ils veulent soutenir,
embellir la sienne; et pour y parvenir, ils unissent la fraternité
du talent à la fraternité du sang. Heureux jeunes gens d'avoir une
mère qui ait senti le prix de l'éducation! Heureuse mère de voir
ainsi couronner ses soins! Outre l'utilité et la bonne rédaction du
_Conservateur littéraire_, c'est donc la piété filiale et maternelle
qui le recommande à tous les amis des lettres et du bien....» (_Le
Conservateur_, tome VI, 1820, p. 465). Ce passage a été reproduit par
M. Ch.-M. Des Granges dans son très intéressant volume: _La Presse
Littéraire sous la Restauration_ dont nous avons souvent mis à profit
la précieuse documentation.
M. Agier ne se contentait point d'être pompier; en mars 1815 il avait
troqué sa robe de substitut du procureur général, pour l'uniforme de
capitaine d'une compagnie de volontaires royaux!
Quant au légitimisme ultra du _Conservateur littéraire_, la disparition
de son aîné, en 1820, ne l'affaiblit en rien, et dans la préface du
tome II (avril 1820), les «intéressants jeunes gens», que louait si
fort M. Agier, de clamer sur le mode majeur leurs opinions:
«Nous continuerons donc de servir autant qu'il sera en nous le trône
et la littérature; trop heureux si nous pouvons ranimer le goût des
lettres et éveiller de jeunes talents; plus heureux encore, si nous
pouvons propager le royalisme et convertir aux saines doctrines de
généreux caractères!.....
«Enfin, puisque notre redoutable aîné, le _Conservateur_, a cessé
de paraître, nous promettons de conserver intact l'héritage de
saints principes qu'il nous a légués avec son titre; nous espérons
que ses honorables rédacteurs reconnaîtront entre eux et nous une
confraternité, sinon de talent, du moins de zèle et d'opinions; et
nous croyons dire assez quel haut prix nous attachons à ce titre de
royalistes, en ajoutant que cette seconde confraternité ne nous paraît
pas moins glorieuse que la première.»
Cf: Ch.-M. Des Granges: _Le Romantisme et la Critique.--La Presse
littéraire sous la Restauration_, 1815-1830. Paris, Société du Mercure
de France, 1907, in-8º, de 386 pp.]
De ses trois fils, Victor était, comme on le sait, le plus jeune,
Abel étant né à Paris le 15 novembre 1798 et Eugène à Nancy, le 29
fructidor an VIII (16 septembre 1800).
Après avoir fait partie des pages du roi Joseph, ancien officier
d'état-major à quinze ans! Abel était venu retrouver ses frères. Ils
avaient mis leurs jeux, puis leurs travaux en commun. Si en 1822
Victor Hugo connaissait déjà la gloire, par deux mentions à l'Académie
française[11] et par le lis et l'amarante d'or de l'Académie des
Jeux Floraux, qui, le 28 août 1820, l'avait nommé maître ès jeux
floraux[12], sans parler des _Odes et Poésies diverses_ qui venaient
de paraître[13]. Abel et Eugène avaient glané, eux aussi, quelques
lauriers académiques: Abel devait être couronné, en décembre 1822, par
la Société d'Émulation de Cambrai, pour son _Ode sur la bataille de
Denain_[14] et Eugène avait déjà obtenu, en 1818 et en 1819, un souci
réservé et une mention des Jeux Floraux, pour une _Ode sur la mort du
duc d'Enghien_[15] et une autre sur celle de _S. A. R. Louis-Joseph de
Bourbon, prince de Condé_.
[Note 11: Victor Hugo avait, on le sait, obtenu en 1817, à l'âge de
quinze ans, une neuvième mention pour le sujet, mis au concours le 5
avril 1815, durant les Cent-Jours, par la seconde classe de l'Institut
impérial pour le prix de poésie: _Le bonheur que procure l'étude dans
toutes les situations de la vie._
La pièce de Victor Hugo, inscrite sous le nº 15, avait pour épigraphe
ce vers d'Ovide:
_At mihi jam puero cœlestia sacra placebant._
Deux ans plus tard, en 1819, il avait obtenu une nouvelle mention,
ayant, cette fois, traité comme sujet de concours: _Avantages de
l'enseignement mutuel._
Des fragments de ce discours ont été publiés par Victor Hugo dans
_Littérature et Philosophie mêlées_.]
[Note 12: M. Edmond Biré a relevé dans son _Victor Hugo avant 1830_
(Paris, Jules Gervais; Nantes, Emile Grimaud, 1883, in-12 de 533 pages)
la liste des succès du poète aux Jeux Floraux:
1819.--_Les Derniers Bardes_; mention.
_Les Vierges de Verdun_; amarante réservée.
_Le Rétablissement de la Statue de Henri IV_; lis d'or.
1820.--_Moïse sur le Nil_; amarante d'or réservée.
Par lettre du 28 avril, Victor Hugo avait été nommé _maître ès jeux
floraux_, et proclamé tel dans la séance du 3 mai suivant.]
[Note 13: _Odes et Poésies diverses._ Paris, Pélicier, libraire,
place du Palais-Royal, nº 243, 1822.
Très médiocre comme édition, ce recueil contenait, outre les premières
odes: _Raymond d'Ascoli_, élégie; _Les Deux Ages_, idylle; _Les
Derniers Bardes_, poème, qui légitimaient la seconde partie du titre du
volume, et disparurent avec elle, en 1828, de l'édition définitive.
Envoyés au concours de l'Académie des Jeux Floraux, en 1819, où ils
n'obtinrent qu'une mention, publiés ensuite dans le _Conservateur
littéraire_, _Les Derniers Bardes_ devaient prendre place, plus tard,
dans _Victor Hugo raconté par un Témoin de sa Vie_.]
[Note 14: «Le prix de poésie a été décerné à M. Abel Hugo, pour une
ode sur la bataille de Denain». (Le _Moniteur universel_, 11 décembre
1823).]
[Note 15: C'est là, avec les _Stances à Thaliarque_, traduites
d'Horace, la seule pièce de vers d'Eugène Hugo, publiée par le
_Conservateur littéraire_, dont une note spécifie, tome Ier, p. 320,
au sujet de MM. Hugo «que deux de ces messieurs seulement, l'aîné et le
plus jeune (Abel et Victor) comptent parmi les rédacteurs».]
A Blois, où il s'était retiré, le général Hugo, créé par Joseph comte
de Siguenza[16]--titre qu'il ne devait porter que plus tard--en
souvenir et en récompense des défaites qu'il avait infligées à
l'Empecinado, s'était d'abord installé au château de Saint-Lazare,
maison bourgeoise luxueuse pour l'époque, située hors la ville et
aujourd'hui transformée en annexe de l'Asile d'aliénés, qu'il avait
acheté 36.000 francs[17].
[Note 16: Dans son _Armorial du Premier Empire_ (Paris, 1894-1897,
4 vol. in-8º), le Vicomte A. Révérend parle bien en note du général
Hugo (tome II, p. 323), mais par une singulière inadvertance, il le
donne pour le grand-père et non comme le père du poète et substitue au
comté de Siguenza celui de Gogolludo:
«Le général Hugo, grand-père du célèbre poète, qui fut pair de France,
appartenait à une autre famille et avait reçu de Joseph Bonaparte, roi
d'Espagne, le titre de comte de Cogolludo, qui ne fut pas l'objet d'une
confirmation impériale.»]
[Note 17: «L'acquisition, faite d'abord sous le nom d'un tiers, ne
fut régularisée à son profit que le 1er mai 1822, par un acte devant
Me Pardessus, notaire à Blois.»
Le château et le domaine de Saint-Lazare «comprenaient à cette époque
une grande maison de maître, logement de closier et de jardinier,
bâtiments d'exploitation: pressoir garni de ses ustensiles, cour,
basse-cour, jardins, promenades, charmilles, bosquets, vignes et terres
labourables, le tout en un seul clos entouré de murs, et contenant 9
hectares 72 ares 48 centiares». (L. B.).
Léproserie au moyen âge, Saint-Lazare formait, en 1789, un prieuré
conventuel de Génovéfains qui fut remis à la Nation le 6 décembre 1790
et vendu, par adjudication publique, le 9 février 1791.]
Un second mariage n'avait point tardé à suivre, comme il a été dit, la
mort de Sophie Trébuchet. Moins de trois mois après, le 6 septembre
1821, à 6 heures du soir, il épousait devant l'officier de l'état civil
de la commune de Chabris (Indre), le marquis de Béthune-Sully, une
veuve d'origine corse: Marie-Catherine Thomas y Saëtoni, veuve Anaclet
d'Almeg.
L'acte de mariage est peu connu[18] et n'est point dénué d'intérêt. Il
fixe deux dates, et, à l'orthographe près, fournit les noms exacts de
l'aventurière que le général Hugo allait épouser à Chabris[19]:
[Note 18: Je m'étais adressé pour avoir le texte de l'acte de
mariage du général Hugo, à M. le Maire de Chabris, ignorant alors qu'il
avait déjà été reproduit par le Dr G. Patrigeon dans une intéressante
notice qu'il y aurait injustice à ne point citer: _Excursions à travers
le passé.--Le père de Victor Hugo (Général Joseph-Léopold-Sigisbert
Hugo) à propos de son deuxième mariage à Chabris en septembre
1821._--Châteauroux, A. Mellotée, 1892, in-8º, de 21 pp.
Cette étude avait d'abord été publiée par la _Revue du Berry_ et par le
_Bulletin du Musée municipal de Châteauroux_.]
[Note 19: M. Edmond Biré fixe, en effet, d'après les Archives
municipales de Nancy, le second mariage du général à la date du 20
juillet 1821 et non du 6 septembre. Marie-Catherine y Saëtoni y devient
Marie-Catherine Thomas y Sactoin. D'autre part, l'acte de son décès, à
l'état civil de Blois (1858) ne donne pas les noms de ses père et mère.]
Nº 10
Hugo Joseph-Léopold-Sigisbert
et
Marie-Catherine
Tomat Isaétony

_Du 6 Septembre 1821_
Aujourd'hui six septembre mil huit cent vingt-un, à six heures
du soir, par devant Nous, Louis, marquis de Béthune Sully,
chevalier de l'ordre Royal de la Légion d'honneur, maire et
officier de l'état-civil de la commune de Chabris, canton de
Saint-Christophe, arrondissement d'Issoudun (Indre), sont comparus M.
Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, ancien officier général, domicilié à
Nancy[20], département de la Meurthe, né à Nancy le quinze novembre
mil sept cent soixante-treize, fils majeur de feu Joseph Hugo, vivant
propriétaire, décédé à Nancy, le quinze messidor, an sept et de feue
Marguerite Michaud, décédée aussi à Nancy le vingt-trois février mil
huit cent quatorze.
[Note 20: Le général Hugo résidait, en fait, à Blois, depuis
plusieurs années.]
D'une part,
Et Dame Marie-Catherine Tomat Isaétony, domiciliée à Chabris[21],
Comtesse de Salcano, née à Cervione, le cinq novembre mil sept cent
quatre-vingt-quatre, veuve de Anaclet d'Almay, vivant propriétaire,
décédé à la Havane, le quinze août mil huit cent dix-sept, fille
majeure de feu Nicolas de Ligny Tomat, décédé en Corse le premier
novembre mil huit cent trois et feue Lina Isaétony de Compolor,
décédée à Cervione le quinze décembre mil sept cent quatre-vingt-cinq,
[Note 21: «Plus exactement elle résidait au Château de Beauregard,
habitation du marquis de Béthune-Sully, dont elle était l'hôte» (Dr
Patrigeon)... passagère, car la veuve d'Almeg était depuis 1816,
propriétaire à Blois, et cet acte de l'état civil n'était que la
consécration des liens... religieux (?) qui depuis longtemps déjà
l'unissaient au général Hugo.]
D'autre part,
Lesquels nous ont requis de procéder à la célébration du mariage
projeté entre eux et dont les publications ont été faites dans cette
commune les dimanches vingt-deux et vingt-neuf juillet dernier et
dans la ville de Nancy, les dimanches vingt-deux et vingt-neuf
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