Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 02

Total number of words is 4516
Total number of unique words is 1556
37.2 of words are in the 2000 most common words
49.2 of words are in the 5000 most common words
54.5 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
juillet aussi dernier, d'après qu'il résulte du certificat de
Monsieur l'adjoint dudit Nancy, en date du dix-huit août dernier,
signé Morville, adjoint.
Aucune opposition audit mariage ne nous ayant été signifiée, vu aussi
la permission de mariage accordée par le Ministre Secrétaire d'État
au département de la Guerre, en date du vingt-huit août dernier,
faisant droit à leur réquisition, après leur avoir donné lecture
de toutes les pièces ci-dessus mentionnées, ainsi que du chapitre
six du code civil: _Du Mariage_; nous avons demandé au futur époux
et à la future épouse s'ils veulent se prendre pour mary et femme;
chacun d'eux nous ayant répondu séparément et affirmativement, nous
avons déclaré: Au nom de la loi, que Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo
et Marie-Catherine Tomat Isaétony sont unis par le mariage, dont
acte fait à la mairie de Chabris, les jour, mois et an que dessus,
en présence des sieurs Jacques Rousseau, chevalier de l'ordre royal
de la Légion d'honneur, âgé de quarante-six ans[22], de Jacob
Schiésingeyer, cocher de M. le marquis de Béthune Sully, âgé de
trente-quatre ans; de Chantreau Maurice, homme d'affaires de M. de
Béthune, âgé de quarante-huit ans, et de Nicolas Kallenborenne,
tailleur d'habits, âgé de trente-cinq ans, tous demeurant commune
de Chabris et ont, lesdits comparants et témoins, signés avec Nous,
après lecture faite.
[Note 22: Ancien soldat de l'Empire, Jacques Rousseau était adjoint
au maire de Chabris.
«Il n'y eut pas de bénédiction nuptiale à l'église de Chabris. Aucun
contrat ne fut passé en l'étude de Me Jaupitre, notaire de la
localité» (Dr Patrigeon).]
_Le Général Hugo_
_Veuve Dalmay_
_Rousseau, Jacob Schiésingeyer, Chantreau, Kallenborenne,
Le Marquis de Béthune Sully._
L'on connaît par Edmond Biré, le singulier faire-part que le général
adressa en cette occasion à ses connaissances:
_M._
Monsieur le général Léopold Hugo a l'honneur de vous faire part qu'il
vient de faire légaliser, par devant M. l'officier public de Chabris
(Indre), les liens purement religieux qui l'unissaient à Madame veuve
d'Almé, comtesse de Salcano.
Saint-Lazare, près Blois[23].
[Note 23: Edmond Biré: _Victor Hugo avant 1830_, p. 233.]
La religion a parfois bon dos... Victor, cependant, se contenta
d'ignorer ainsi que ses frères, la seconde femme du général «la femme
pour laquelle il a quitté sa famille[24]» jusqu'au jour où les soins
donnés à son frère Eugène et à son petit Léopold amenèrent entre le
beau-fils et la belle-mère un rapprochement passager.
[Note 24: Victor Hugo: _Lettres à la Fiancée_, 1820-1822, Paris,
Fasquelle, 1901, in-12 de 340 pp. Note, p. 231.]


II
Les fiançailles et le mariage.--Les lettres de Victor à son père.--La
_Société littéraire de Blois_.--Une pension longue à toucher.--Le
colonel Louis Hugo.--_La Révolte des Enfers._--Un ban à racheter.--Un
mariage d'amour.

Au surplus, il avait d'autres préoccupations en tête que sa belle-mère.
Il était amoureux. Le clair roman éclos sous les frais ombrages du
jardin de la rue des Feuillantines touchait à son dénouement. Depuis
près d'un an, au retour du voyage de Dreux, il était fiancé de fait
à Mlle Adèle Foucher, la camarade des jeux de leur enfance et la
gracieuse voisine de la rue du Cherche-Midi. L'autorisation de son
père et une demande régulière lui importaient autrement que «l'épouse
actuelle», du général, Marie-Catherine Thomas y Saëtoni.
Le vendredi 8 mars 1822, il avait écrit au général, pour lui demander
son autorisation; elle lui parvenait enfin le 13 mars, et un court
billet des _Lettres à la Fiancée_ témoigne de la joie sans mélange,
s'il n'y eût eu «un nuage»,--le nuage était l'intruse--de Victor-Marie
Hugo[25].
[Note 25: _Lettres à la Fiancée_, p. 230.]
Cette année-là, M. et Mme Foucher avaient loué pour deux mois, dans
la grande banlieue de Paris, à Gentilly, une maison de campagne où
ils vinrent passer avril et mai. Agréé officiellement comme fiancé, à
la suite de l'assentiment de son père, le poète fut autorisé à venir
habiter, près de la bien-aimée, «une vieille tourelle de l'ancienne
construction où il y avait une chambre, vrai nid d'oiseau ou de
poète[26]». Il prenait ses repas auprès d'elle, et pouvait lui faire
sa cour, à la condition expresse de ne jamais rester seul avec elle.
Aussi ce qu'il ne pouvait lui dire, il le lui écrivait, et même durant
les deux mois où ils vécurent presque côte à côte, la correspondance ne
chôma point entre eux.
[Note 26: _Victor Hugo raconté par un Témoin de sa Vie_, tome II,
p. 55.]
Victor Hugo, dans son autobiographie a joliment évoqué cette maison de
Gentilly, le jardin où se promenaient les amoureux, leurs voisins, les
fous de Bicêtre, et ce gentil garçon, amené un jour par Paul Foucher,
qui avec ses douze ans et ses cheveux d'un blond de lin, «imitait un
ivrogne avec une facilité et une vérité extraordinaires».
«Il se nommait Alfred de Musset[27].»
[Note 27: _Victor Hugo raconté par un Témoin de sa Vie_, t. II, p.
57.]
La maison existe toujours, et l'un des hommes qui connaissent le
mieux Paris et ses environs, dont il s'est fait l'historiographe par
excellence M. Fernand Bournon, en donnait fort élégamment ces temps
derniers la description dans son état actuel[28].
[Note 28: Fernand Bournon: _Victor Hugo à Gentilly_, Paris,
Lucien Gougy, 1906, in-8º de 10 pp. (Publication de la Société «Les
Hugophiles»).]
Ces deux mois furent vite passés. En juin, les Foucher regagnèrent, rue
du Cherche-Midi, l'hôtel de Toulouse, où séait le Conseil de guerre.
M. Foucher en avait longtemps tenu le greffe, qu'il avait cédé, depuis
quelques années, à son beau-frère M. Asseline, et y avait cependant
conservé son appartement.
Le premier volume des _Odes_ paraissait à ce moment[29]; et, de la rue
du Dragon, attendant, pour que le mariage ait lieu, le versement de la
pension promise sur la cassette royale, Victor Hugo avait repris sa
correspondance journalière avec sa fiancée, à laquelle ne tarda point à
s'en joindre une autre, assez suivie, avec son père, le général.
[Note 29: Les _Odes et Poésies diverses_ parurent en juin 1822,
chez Pélicier, libraire, place du Palais-Royal. Il éditait, la même
année, les _Romances historiques traduites de l'espagnol_ d'Abel Hugo,
qui avait été l'intermédiaire entre le poète et le libraire. Pélicier
ne fit point fortune et ses affaires furent moins que brillantes. Il
méritait mieux cependant, ne publia-t-il point, toujours en 1822, les
premiers _Poèmes_ d'Alfred de Vigny. Ils tenaient trop du chef-d'œuvre
pour ne point passer inaperçus.
Témoin cette phrase du _Figaro_, du 28 mai 1829:
«Les poèmes de M. de Vigny avaient été publiés séparément, sans faste
et sans prôneurs; longtemps il a fait partie des dieux inconnus de la
_Muse française_;...»
Plus perspicace, un rédacteur anonyme du _Moniteur_ rendit cependant
compte des deux volumes à la date du 29 octobre 1822, unissant Victor
Hugo et Alfred de Vigny dans l'éloge, comme ils l'étaient alors par
l'amitié:
«Ils nous pardonneront, disait ce journal, de n'avoir qu'une seule
couronne pour leur double triomphe; nous ne nous pardonnerions pas
de l'arrêter plus longtemps sur un front que sur l'autre: ces deux
talents ont une même source, le cœur; tous deux sont doués de force
et de grâce; ils ont tous deux initié la poésie au secret des plus
intimes émotions. La moindre préférence serait une grande injustice, et
cependant, comme pour doubler nos plaisirs en les variant, si tout est
égal entre eux, rien n'est pareil, ni le système de composition, ni la
facture du vers, ni le coloris, ni les mouvements du style.»
Léon Séché: _Alfred de Vigny_ et son temps. Paris, A. Juven, S. D.
in-8º de XV; 376 pp., p. 107.]
L'écriture de ces lettres est courante, assez fine même. Ce n'est point
encore l'écriture définitive, si connue du maître. Çà et là cependant,
des hampes de lettres, fortement appuyées, égratignant presque le
papier, en trahissent déjà la griffe.
Elles sont simplement signées Victor,--un et quatre ans plus tard et
dans deux lettres seulement apparaîtront les initiales V. M. H.,--le
prénom du poète entouré d'un paraphe délié, et sont d'abord adressées.
«A Monsieur
Monsieur le général Hugo
à sa terre de Saint-Lazare,
près Blois.»
Le plus souvent, Victor tient la plume pour ses frères, donne de leurs
nouvelles, excuse leur silence et rappelle au père la pension dont les
mensualités ne sont pas toujours exactement servies.
Abel est très occupé, Eugène toujours bizarre--le roman se vivait,
hélas! en partie double--la correspondance est impartie au plus jeune.
Nul ne saurait mieux flatter l'orgueil du père, puis par Paris, et
jusqu'à Meudon,--encore qu'on n'en fût plus au _Voyage de Paris à
Saint-Cloud par mer_, c'était encore presque une expédition!--il
faisait si bien les courses du général, et elles étaient nombreuses.
Non content de lire et d'écrire, (il lui faut savoir gré de ne s'être
point attelé à une traduction d'Horace ou des Géorgiques), le général
a eu l'inconsciente ironie de vouloir fonder, à Blois, une société
littéraire! Et l'on ne saurait croire combien de pas et démarches il
faut, pour ne point aboutir à faire autoriser par le gouvernement une
telle chimère.
Littéraire ou non, nulle société n'avait, cette année-là, chance
d'être autorisée. Saumur, Belfort, La Rochelle, trois conspirations
militaires avaient marqué l'année 1822. Condamnations et exécutions:
les hommes de 1815, revenus au pouvoir, s'étaient montrés implacables.
L'on poursuivait jusqu'à Béranger, et un autre chansonnier, Eugène de
Pradel, se voyait, en mai, condamner à six mois de prison.
Victor ne se rebute point cependant. Du ministère de l'Intérieur, où
M. Lelarge de Lourdoueix[30] présidait à la division des beaux-arts,
sciences et belles-lettres, à la direction de la police, que M.
Franchet-Desperey[31] devait à son mariage avec la cadette des
Sainte-Luce, il voit de près et peut admirer les rouages de notre
administration. C'est presque un chapitre de Courteline: un dossier
perdu.
[Note 30: Jacques-Honoré Lelarge de Lourdoueix, né en 1787 au
château de Beaufort, près Boussac (Creuse). Après avoir fait ses études
à l'ancien collège de Pont-Levoy (Loir-et-Cher), et un court passage
dans l'administration, il se vit confier la rédaction de la _Gazette de
France_, qu'il quitta momentanément pour prendre en 1821 la direction
de la division des beaux-arts, sciences et belles-lettres au ministère
de l'Intérieur. Démissionnaire à la chute de M. de Villèle et à
l'avènement du ministère Martignac, il devint à la _Gazette de France_
le collaborateur de M. de Genoude, à qui il succéda en 1849. Il est
mort à Paris, en 1860.]
[Note 31: Franchet Desperey, fils de cultivateurs des environs
de Lyon où il était né vers 1775. Après des emplois infimes, poussé
par la congrégation et servi par les relations du roi de Prusse
avec la famille de Sainte-Luce, s'était vu appeler en 1821 à la
direction générale de la police par le ministère Villèle. Fanatique
et ultramontain, accusé d'avoir organisé avec le préfet Delaveau les
massacres de la rue Saint-Denis (19-20 novembre 1827), il dut quitter
la direction de la police à l'arrivée au pouvoir de M. de Martignac.
Les ordonnances de juillet le nommèrent conseiller d'État et membre du
conseil privé. La Révolution de 1830 mit un terme à cette faveur. Il
se retira en Prusse, où sa belle-sœur, l'aînée des Sainte-Luce avait
épousé un général.]
Puis, c'est, bien naturelle, son impatience de voir se terminer ses
affaires aux ministères--toujours la pension promise--pour pouvoir
épouser celle qu'il aime, et toujours également le soin qu'il a de
recommander ses frères, ce pauvre Eugène surtout, à la sollicitude et à
la... générosité du général.
Celui-ci n'est riche que de cédules hypothécaires du roi Joseph,
moins que des châteaux en Espagne, la pension des fils s'en ressent,
semble-t-il. Mais qu'importe, la première édition des _Odes_ s'épuise
avec une rapidité que le poète n'osait espérer. Il songe déjà à une
seconde. En vendrait-on, à Blois?
Paris, 4 juillet 1822.
Mon cher papa,
Je mettais à suivre la demande de la Société autant d'activité que
le bureau des belles-lettres y mettait de lenteur. Enfin, il y a
quelques jours M. de Lourdoueix m'annonça qu'il fallait m'adresser
aux bureaux de M. Franchet, c'est-à-dire à la police générale; il me
demanda en outre la liste des membres que je ne pus lui donner: puis
il ajouta que du reste, puisqu'elle était recommandée par moi, la
Société de Blois était sans doute composée de manière à ne pouvoir
inquiéter le gouvernement. Je crus pouvoir lui en donner l'assurance
et il me dit que très probablement, dans le moment de troubles où
nous sommes, l'approbation de l'autorité dépendrait de la composition
de la Société.
Je me rendis d'après son indication aux bureaux de la direction de
la police, où l'on me promit de faire des recherches. Hier j'y suis
retourné et le chef de bureau auquel a dû être renvoyée la demande
(qui est je crois celui de l'_ordre_) m'a déclaré l'avoir cherchée
en vain et n'en avoir jamais entendu parler. Il paraît donc qu'elle
s'est égarée de l'un à l'autre ministère. Il m'a conseillé d'en faire
expédier sur-le-champ une autre accompagnée de la liste de MM. les
membres et des statuts; car c'est d'après ces pièces que doit décider
le ministre, lequel, m'a-t-il dit, accorde très difficilement ces
sortes de demandes dans l'instant de crise où nous sommes.
Je m'empresse de te rendre fidèlement compte de tous ces détails,
cher papa, afin que tu te consultes sur ce que tu veux faire. Tu me
trouveras toujours prêt à te seconder de tout mon faible pouvoir.
D'après ton désir je suis retourné chez M. le général d'Hurbal que
je n'ai point trouvé chez lui. J'ai demandé son adresse à Meudon,
et j'irai, quoiqu'on m'ait dit qu'il était assez difficile de le
rencontrer parce qu'il fait de fréquentes excursions.
Puisque l'eau de Barèges te fait du bien, je te prie d'en continuer
l'usage. Il faut espérer que les palpitations dont tu te plains
disparaîtront tout à fait avec du repos et du bonheur.
Pour moi, mon bon et cher papa, je vois le moment du mien approcher
avec la fin de mes affaires aux ministères, mon impatience est
grande, et tu le comprendras. Quand j'aurai tout reçu de toi, comment
pourrai-je m'acquitter?
Je croyais t'avoir dit qu'Eugène n'avait d'autre ressource que la
pension que tu lui fais, en attendant qu'il s'en soit créé par son
travail. C'est pour cela que je le recommandai si souvent à ta
générosité. Nul doute qu'en se refroidissant il ne sente toute la
reconnaissance qu'il te doit.
Nous supporterons encore le sacrifice que la nécessité t'oblige de
nous faire supporter. Nous ne doutons pas que puisque tu le fais,
c'est que tu ne peux autrement.
Adieu, cher papa, j'attends avec impatience ton poëme et les conseils
que tu m'annonces. Je te remercie vivement de toute la peine que je
te cause. Ils pourront m'être fort utiles pour ma seconde édition
à laquelle je vais bientôt songer, car celle-ci s'épuise avec une
rapidité que j'étais loin d'espérer. Crois-tu qu'il s'en vendrait à
Blois?
Le papier me manque pour te parler de mes grands projets littéraires,
mais non pour te renouveler la tendre assurance de mon respect et de
mon amour. Je t'embrasse.
Ton fils soumis,
Victor.
J'ai envoyé au colonel[32] un exemplaire avant d'avoir reçu ta lettre.
[Note 32: Le colonel, Louis-Joseph Hugo, né le 14 février 1777,
mort en 1854. Promu officier de la Légion d'honneur par la même
ordonnance que son frère, 14 février 1815, il reçut les étoiles
de brigadier, et commanda longtemps comme tel la subdivision de
la Corrèze. Il laissa deux enfants. Son fils Léopold, après avoir
préparé Saint-Cyr où il ne fut pas admis, vécut et mourut en Corrèze.
Devenue veuve, sa fille Marie Hugo entra au Carmel de Tulle, où elle
devint Sœur Marie-Joseph de Jésus et où elle est morte en 1906.
Elle n'était point tellement retirée du monde qu'elle n'écrivît des
lettres charmantes, quand elle pouvait rendre un service, et au cours
desquelles elle aimait à évoquer des souvenirs de son enfance et de sa
jeunesse et à citer des vers de son oncle Victor Hugo.]
L'amoureux avait bien l'autorisation officieuse de son père d'épouser
Mlle Foucher, mais aucune demande officielle n'avait été faite
encore.
A sa prière, le général lui a adressé la lettre, demandant la main
d'Adèle, qu'il remettra lui-même à M. Foucher, lorsque enfin la pension
royale sera autre chose qu'une promesse. Les temps semblent proches.
Son cœur déborde envers son père de reconnaissance, ce pendant que, par
les gazettes, il semble assurer le service de presse du _Journal de
Thionville_.
Le nuage ne crève pas, mais menace. Victor a, jusqu'ici, négligé de
joindre à ses lettres toute formule de politesse vis-à-vis de la
seconde Mme Hugo. Le général s'en est plaint sans doute; et de façon
assez désinvolte, Victor s'en excuse: il n'a «contre _son_ épouse
actuelle aucune prévention, n'ayant pas l'honneur de la connaître».
Mon cher Papa,
Ta lettre a comblé ma joie et ma reconnaissance. Je n'attendais pas
moins de mon bon et tendre père. Je sors de chez M. de Lourdoueix;
il doit sous très peu de jours me fixer un terme précis, alors je
montrerai ta lettre à M. et à Mme Foucher. Ainsi je te devrai
tout, vie, bonheur, tout. Quelle gratitude n'es-tu pas en droit
d'attendre de moi, toi, mon père, qui as comblé le vide immense
laissé dans mon cœur par la perte de ma bien-aimée mère!
Je doute, pour ce qui concerne la pension que je viens d'obtenir à
la maison du Roi, qu'on me rappelle le trimestre de juillet, alors
elle ne courrait qu'à dater du 1er octobre, ce qui remettrait mon
bienheureux mariage à la fin de septembre. C'est bien long, mais je
me console en pensant que mon bonheur est décidé. Quand l'espérance
est changée en certitude, la patience est moins malaisée. Cher papa,
si tu savais quel ange tu vas nommer ta fille!
J'attends toujours bien impatiemment ton _poëme_, et je ferai des
exemplaires du _Journal de Thionville_ l'usage que tu m'indiques. Un
Espagnol, nommé d'_Abayma_, qui m'est venu voir hier m'a parlé de mon
père, de manière à m'en rendre fier, si je ne l'avais pas déjà été.
Je n'ai aucune prévention contre ton épouse actuelle, n'ayant pas
l'honneur de la connaître. J'ai pour elle le respect que je dois à
la femme qui porte ton noble nom, c'est donc sans aucune répugnance
que je te prierai d'être mon interprète auprès d'elle, je ne crois
pouvoir mieux choisir. N'est-il pas vrai, mon excellent et cher papa?
Adieu, pardonne à ce griffonnage, c'est ma reconnaissance, c'est ma
joie qui me rendent illisible. Adieu, cher papa, porte-toi bien et
aime ton fils heureux, dévoué et respectueux,
Victor.
Paris, 26 juillet.
Je tâcherai de remettre en personne ta lettre au général d'Hurbal.
Je renouvelle mes démarches pour la Société de Blois.
Dans ma prochaine lettre, je te parlerai de tous les travaux auxquels
le bonheur va me permettre de livrer un esprit calme, une tête
tranquille et un cœur content. Tu seras peut-être satisfait. C'est au
moins mon plus vif désir.
Le poète des _Odes_ continue à assurer, à Paris, le service de presse
du _Journal de Thionville_,--un exemplaire en a été remis au rédacteur
du _Dictionnaire des Généraux français_--et à prêter son appui aux
difficultueux débuts de la Société littéraire de Blois.
Le général, non content de manier la prose, «sacrifie aux muses».
Il a envoyé à son fils une copie de son poème, _la Révolte des
Enfers_. Victor Hugo se montre moins sévère que dans le _Conservateur
littéraire_. Il a lu et relu les alexandrins paternels--les Mémoires
du Général valaient beaucoup mieux,--s'extasie devant un vers assez
médiocre, et admire que son père ait «mis si peu de temps à faire» ce
«joli poëme».
Mon cher Papa,
Au moment où je commence cette lettre, on m'apporte l'argent du mois.
Les 36 francs qui y sont joints seront remis aujourd'hui même à leur
destination. Les exemplaires de l'intéressant _Journal de Thionville_
que tu destinais à l'Académie des Sciences et au rédacteur du
_Dictionnaire des Généraux français_ sont déjà parvenus à la leur.
J'ai reçu en même temps que ta dernière lettre un paquet de M.
le Secrétaire de la Société de Blois. J'aurai l'honneur de lui
répondre directement dès que les nouvelles démarches que je viens
d'entreprendre m'auront donné un résultat quelconque. Il est tout
simple, cher Papa, que j'apporte beaucoup de zèle à cette affaire: tu
y prends intérêt.
Je me hâte d'en venir à ton ingénieux poëme; il me tardait de te dire
tout le plaisir que j'ai éprouvé à le lire. Je l'ai déjà relu trois
fois et j'en sais des passages par cœur. On trouve à chaque page une
foule de vers excellents tels que _et vendre à tout venant le pardon
que je donne_ et de peintures pleines de verve et d'esprit comme
celle de Lucifer prenant sa lunette pour observer l'ange. Plusieurs
de mes amis, qui sont en même temps de nos littérateurs les plus
distingués, portent de ton ouvrage le même jugement que moi. Tu vois
donc bien, cher papa, que je ne suis pas prévenu par l'amour profond
et la tendre reconnaissance que je t'ai vouée pour la vie.
Ton fils soumis et respectueux,
Victor.
Paris, 8 août.
Je crois en vérité M. le général d'Hurbal _introuvable_. J'ai été à
Meudon _inutilement_. J'espère être plus heureux un de ces jours.
J'attends toujours un mot de M. de Lourdoueix qui ne peut se faire
attendre maintenant que la session est presque finie.
Encore un mot, cher papa, malgré l'heure de la poste qui me presse,
je ne puis m'empêcher de te dire combien il m'a semblé remarquable
que tu aies mis si peu de temps à faire ton joli poëme. Parle-moi de
ta santé, de grâce, dans ta prochaine. Ce projet d'aller passer les
vendanges près de toi était charmant, j'y ai reconnu toute ta bonté;
mais il faut remettre ce bonheur à l'année prochaine, rien alors ne
l'entravera.
Le gouvernement se montre peu disposé à accorder à la Société
littéraire de Blois l'autorisation sollicitée, d'autant que «MM. les
Députés qui s'étaient chargés d'appuyer la demande ne l'ont fait que
très faiblement».
Toutefois, on a indiqué au poète un biais--on a, à la direction de la
police, l'ironie facile--pour suppléer à cette faveur. La société peut
se passer d'être autorisée, ne comptant pas vingt membres. Et, de fait,
elle disparut, sans avoir jamais atteint ce chiffre.
Que M. de Chateaubriand revienne au pouvoir[33], Victor aura plus de
crédit et se fait fort d'obtenir de lui les droits à la littérature de
la ville de Blois.
[Note 33: Chateaubriand n'avait pas seulement été disgracié,
mais désavoué par Louis XVIII qui avait cru devoir donner à son
mécontentement une publicité pour le moins singulière: «Le vicomte de
Chateaubriand ayant dans un écrit imprimé, élevé des doutes sur notre
volonté personnelle, manifestée par notre ordonnance du 5 septembre,
nous avons ordonné ce qui suit: le vicomte de Chateaubriand cesse, de
ce jour, d'être compté au nombre de nos ministres d'État.»
La réaction qui suivit l'assassinat du duc de Berry avait mis fin à
cet imbroglio. Avec le ministère Villèle, Chateaubriand acceptait
l'ambassade de France à Londres, accompagnait M. de Montmorency
au congrès de Vérone (15 octobre 1822), et après la démission de
celui-ci, le portefeuille des Affaires étrangères par ordonnance du
28 novembre... Non moins cavalièrement, on verra à la suite de quels
événements, ce portefeuille devait lui être retiré le 6 juin 1824.]
Il connaît en ce moment l'ennui des formalités administratives qui
accompagnent les actes principaux de la vie. Des papiers lui manquent,
son père pourrait-il lui procurer une copie de son acte de naissance et
un extrait de baptême.
Ne perdant pas le nord, le «bon oncle Louis», le colonel Louis Hugo,
commandant le bureau de recrutement de Tulle, a déjà écrit à son neveu
pour mettre à profit le crédit au ministère de la Guerre de M. Foucher,
son futur beau-père.
Mon cher Papa,
Il y a déjà longtems que j'aurais répondu à ta bonne et chère lettre,
si je n'avais désiré te marquer en même tems le résultat définitif
de mes démarches pour la Société de Blois. Il n'est pas tel que tu
le désirais et c'est une peine qui se mêle au plaisir de t'écrire.
Tu sais que le dossier de la Société fut renvoyé (selon l'usage, à
ce qu'il paraît) dans les bureaux de la direction générale de la
police. Après plusieurs démarches dans ces bureaux, j'obtins enfin il
y a quelque tems cette réponse de M. Franchet que _le gouvernement
ne jugeait pas à propos d'accorder en ce moment aucune autorisation
de ce genre_; que d'ailleurs la Société de Blois n'étant composée
actuellement que de quatorze membres pouvait se passer de cette
autorisation, laquelle ne lui deviendrait nécessaire qu'autant
qu'elle en porterait le nombre au delà de vingt, cette réponse me
fut donnée comme irrévocable. Sentant néanmoins ce qu'elle avait de
peu satisfaisant pour la Société, j'ai voulu, avant de te l'envoyer,
remonter jusqu'au ministre de l'Intérieur, qui n'a fait que me
confirmer d'une manière décisive la réponse du directeur de la
police. Je me hâte donc, bien à regret, de t'en faire part. Je pense
du reste, mon cher papa, que la Société ne doit pas se décourager.
L'obstacle opposé par le gouvernement passera avec les événemens qui
le font naître, et d'ailleurs, si jamais M. de Chateaubriand arrivait
au ministère, je ne désespérerais pas de le faire lever pour peu
que tu le désirasses encore. J'aurais alors, par le moyen de cet
illustre ami, un peu plus de crédit. Veuille, je te prie, mon cher
papa, transmettre tous ces détails à M. le Secrétaire de la Société,
auquel j'aurais eu l'honneur d'écrire si selon mon vif désir, j'avais
eu de bonnes nouvelles à vous annoncer. Pour ne rien te cacher, je
te dirai très confidentiellement que MM. les députés qui s'étaient
chargés d'appuyer la demande ne l'ont fait que très faiblement. Pour
moi, j'ai fait bien des pas et des démarches inutiles: mais je n'en
aurais, certes, aucun regret, si j'avais réussi.
Maintenant, cher papa, c'est toi que je vais importuner. Tout annonce
que mes affaires à l'intérieur vont enfin se terminer et que mon
bonheur va commencer. Mais il me faudra mon acte de naissance et
mon extrait de baptême. Je m'adresse à toi, mon bon et cher papa,
ne connaissant personne à Besançon, je ne sais comment m'y prendre
pour obtenir ces deux papiers. Ta bonté inépuisable est mon recours.
Je voudrais les avoir dès à présent, car si j'attendais encore, je
tremblerais qu'ils n'apportassent du retard à cette félicité qui me
semble déjà si lente à venir. Moi qui connais ton cœur, je sais que
tu vas te mettre à ma place; pardonne-moi de te causer encore ce
petit embarras. Tu nous avais envoyé il y a quatre ans nos actes de
naissance: mais en prenant nos inscriptions de droit, nous avons dû
les déposer au bureau de l'école, selon la loi, et la loi s'oppose
à ce qu'on les restitue. Tu me rendrais donc bien heureux en me
procurant cette pièce avec mon extrait de baptême, nécessaire pour
l'église, comme tu sais.
Adieu, cher et excellent papa, l'offre que tu me fais dans ta
charmante lettre de m'envoyer des vues de Saint-Lazare, dessinées
par toi, me comble de joie et d'une douce reconnaissance. Il me
serait bien doux de pouvoir placer des ornements aussi chers dans
l'appartement qui sera témoin de mon bonheur. Réalise, je t'en prie,
You have read 1 text from French literature.
Next - Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 03
  • Parts
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 01
    Total number of words is 4234
    Total number of unique words is 1511
    31.4 of words are in the 2000 most common words
    42.5 of words are in the 5000 most common words
    47.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 02
    Total number of words is 4516
    Total number of unique words is 1556
    37.2 of words are in the 2000 most common words
    49.2 of words are in the 5000 most common words
    54.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 03
    Total number of words is 4463
    Total number of unique words is 1464
    35.0 of words are in the 2000 most common words
    46.6 of words are in the 5000 most common words
    51.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 04
    Total number of words is 4464
    Total number of unique words is 1512
    37.9 of words are in the 2000 most common words
    48.0 of words are in the 5000 most common words
    53.0 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 05
    Total number of words is 4479
    Total number of unique words is 1409
    37.1 of words are in the 2000 most common words
    48.0 of words are in the 5000 most common words
    53.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 06
    Total number of words is 4638
    Total number of unique words is 1341
    39.1 of words are in the 2000 most common words
    51.9 of words are in the 5000 most common words
    57.0 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 07
    Total number of words is 4449
    Total number of unique words is 1432
    37.3 of words are in the 2000 most common words
    49.2 of words are in the 5000 most common words
    54.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 08
    Total number of words is 4353
    Total number of unique words is 1618
    34.1 of words are in the 2000 most common words
    45.9 of words are in the 5000 most common words
    51.7 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 09
    Total number of words is 4533
    Total number of unique words is 1545
    37.1 of words are in the 2000 most common words
    48.7 of words are in the 5000 most common words
    54.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 10
    Total number of words is 4056
    Total number of unique words is 1473
    33.8 of words are in the 2000 most common words
    45.4 of words are in the 5000 most common words
    51.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 11
    Total number of words is 3848
    Total number of unique words is 1207
    28.8 of words are in the 2000 most common words
    38.0 of words are in the 5000 most common words
    44.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 12
    Total number of words is 3870
    Total number of unique words is 1117
    30.2 of words are in the 2000 most common words
    42.0 of words are in the 5000 most common words
    46.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 13
    Total number of words is 2319
    Total number of unique words is 801
    30.4 of words are in the 2000 most common words
    39.6 of words are in the 5000 most common words
    45.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.