Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques - 06

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Jam redit et virgo, . . . . . . .
Jam nova progenies cœlo dimittitur alto.
Eugène Hatin a omis de citer ce recueil dans sa _Bibliographie
historique et critique de la presse périodique française_ (1866).
M. Ch.-M. Des Granges a copieusement comblé cette lacune et donné,
dans sa _Presse littéraire sous la Restauration_, un fac-simile, non
seulement du titre, mais de la page contenant la première strophe de
l'ode. A mon Père:
«Quoi! toujours une lyre et jamais une épée!»]
]
[Note 71: Paris, Lecointe et Durey, libraires, quai des Augustins,
nº 49, 1823, 4 vol. in-12.
C'est l'exemplaire portant la dédicace du fils au père sur lequel nous
avons eu la chance de pouvoir mettre la main, à Blois.]
Il est urgent que la nourrice que tu aurais la bonté de nous
procurer, s'il est possible, ait promptement l'enfant, que je ne vois
pas sans inquiétude entre les mains de cette femme. Tâche de l'amener
avec toi, et en tout cas, réponds-moi courrier par courrier, car mon
Adèle est très inquiète et n'a plus d'espérance qu'en toi qu'elle
sait si _bon_ et qu'elle aime tant.
Le général n'a point perdu de temps. Il a été assez heureux pour
pouvoir mettre la main sur une nourrice qu'il expédiait aussitôt à son
fils. Elle arrivait à Paris le 2 août. Le lendemain, Victor, exprimait
abondamment sa reconnaissance et celle d'Adèle Hugo.
Mon cher papa,
Pour pouvoir t'exprimer la joie et la reconnaissance dont nous
pénètrent (_sic_) ta lettre, il faudrait qu'il fût possible en même
tems de dire tout ce qu'il y a de sentiments tendres et de touchante
bonté dans ton cœur paternel. Ainsi tu veux entrer plus encore que
moi dans mes devoirs de père, et en effet le premier sourire comme
le premier regard de ce pauvre petit Léopold te sera dû. Je voudrais
épancher ici tout ce que ta fille et moi ressentons d'amour pour
toi, mon excellent père, mais il faudrait répéter ici tout ce qui
remplit nos entretiens depuis deux jours, et je me borne à ce qui
n'excède pas les limites de ce papier.
A la réception de ta lettre, mon cœur était trop plein, et je voulais
te répondre sur-le-champ. Mais un avis sage l'a emporté sur mon
impatience, et j'ai attendu que ce que tu avais si bien préparé fût
exécuté, pour pouvoir, en t'exprimant notre vive reconnaissance, te
donner en même tems des nouvelles de ton Léopold, de la nourrice et
de mon Adèle.
La nourrice est arrivée hier matin bien portante et gaie; elle
nous a remis ta lettre et tes instructions ont été suivies de tout
point. Tout le monde a été enchanté et d'elle et de son nourrisson.
Nous avons dans la même matinée retiré ton pauvre enfant de chez sa
marâtre, et il a parfaitement commencé toutes ses fonctions. Je ne
sais si c'est illusion personnelle, mais nous le trouvons déjà mieux
ce matin.
Adieu, bon et bien cher papa, exprime, de grâce, à ta femme toute
notre vive et sincère gratitude, il nous tarde de la lui exprimer
nous-mêmes, et nous t'embrassons tendrement en attendant cet heureux
jour.
Ton fils reconnaissant et respectueux,
Victor.
3 août.
Tu trouveras inclus le mot que je te prie de communiquer au père
nourricier. Adieu, adieu.
La santé d'Eugène continue à se soutenir physiquement, mais il est
toujours d'une malpropreté désolante. Le Val-de-Grâce n'a envoyé
avec lui à Charenton qu'une partie de son linge; nous nous occupons
de rassembler le reste pour le lui faire porter. Ce qui me contrarie
vivement, c'est l'extrême difficulté de voir notre pauvre frère à
Saint-Maurice.
Les nouvelles d'Eugène ne sont guère bonnes, comme on voit. Et d'après
ce mot, la jeune maman est loin encore d'être rétablie.
Mon cher papa,
Quoique très faible encore, je ne puis laisser échapper l'occasion
de vous exprimer toute ma reconnaissance qui ne pourra jamais être
trop grande pour vos bontés et celles de notre belle-mère. Croyez que
nous sommes profondément touchés de tout ce qui fait notre bonheur
aujourd'hui, car depuis que nous avons cette nourrice j'espère élever
mon petit Léopold qui vous devra une seconde vie et combien nous
serons heureux de pouvoir visiter en même temps et notre enfant et
vous, mes chers parens. Adieu, papa, embrassez la grand'maman de mon
petit Léopold pour moi.
Adèle.

Sa belle-fille embrasse bien «la grand'maman de son petit Léopold»;
pour le général, cela ne suffit pas, paraît-il, Victor n'a point assez
oublié sa mère, pour que la dame Thomas y Saëtoni, veuve d'Almeg, ne
demeure point pour lui l'étrangère. Sa reconnaissance envers elle, ne
semble pas aux yeux de son mari, d'un lyrisme suffisant. Il ne lui
écrit pas directement pour la remercier et le général a dû, à ce sujet,
adresser quelques observations à Victor.
Et celui-ci, on le sent embarrassé, de répondre du ministère de la
Guerre, où il est allé, sans doute, soumettre à M. Foucher cette
correspondance.
Ministère
de la Guerre
Mon cher papa,
Ta lettre m'a causé un véritable chagrin, et il me tarde que tu aies
reçu celle-ci pour m'en sentir un peu soulagé. Comment donc as-tu
pu supposer un seul instant que tout mon cœur ne fût pas plein de
reconnaissance pour les bontés dont ta femme a comblé notre Eugène
et notre Léopold? Il faudrait que je ne fusse ni frère ni père pour
ne pas sentir le prix de ce qu'elle a fait pour eux, cher papa, et
par conséquent pour moi. Si c'est à toi principalement que se sont
adressés mes remerciements, c'est que notre père est pour nous la
source de tout amour et de toute tendresse, c'est que j'ai pensé
qu'il te serait doux de porter à ta femme l'hommage tendre et profond
de ma gratitude filiale, et que dans ta bouche cet hommage même
aurait bien plus de prix que dans la mienne.
Je t'en supplie, mon cher et bon père, ne m'afflige plus ainsi. Je
suis bien sûr que ce n'est pas ta femme qui aura pu me supposer
ingrat et croire que je n'étais pas sincèrement touché de tous ses
soins pour ton Léopold, et comment, grand Dieu, ne serais-je pas
vivement attendri de cette bienveillante sollicitude qui a peut-être
sauvé mon enfant? cher papa, je te le répète, hâte-toi de réparer
la peine que tu m'as injustement causée au milieu de tant de joie,
et qui m'a paru bien plus cruelle encore dans un moment où mon
âme s'ouvrait avec tant de confiance à toutes les tendresses et à
toutes les félicités. Adieu, je ne veux pas insister davantage sur
une explication que ton cœur et le mien trouvent déjà trop longue,
et dont le chagrin ne sera entièrement effacé pour moi que par le
bonheur de te revoir bientôt ici, ainsi que ta femme.
Tout continue à aller ici de mieux en mieux, mère, enfant, nourrice.
Cette dernière continue à se porter parfaitement et gaiement. La
lettre de son mari lui a fait grand plaisir, elle me charge de le lui
mander, ainsi que toutes les amitiés du monde.
Je compte, maintenant que j'ai quelque répit, aller voir un peu notre
pauvre Eugène et lui porter le reste de ses effets demain jeudi. Il
continue aussi, du reste, à aller un peu mieux.
Ainsi, cher et excellent père, que nous te revoyions bientôt et rien
ne manquera à nos joies. Réponds-moi promptement, de grâce, et viens,
si tu le peux, plus promptement encore. Tout le monde ici t'embrasse
tendrement ainsi que la grand-maman de Léopold qui voudra bien sans
doute être ma panégyriste et mon avocat près de toi, puisque tu ne
veux pas être mon interprète près d'elle.
Ton fils dévoué et respectueux,
Victor.
6 août 1823.
Mon Adèle me charge de mille tendresses pour toi et pour ta femme.
Abel se joint à nous. Il se porte toujours bien et t'attend
impatiemment.
La venue à Paris du général et de la comtesse Hugo mit momentanément
fin à ce malentendu. Le jeune ménage a fait la connaissance de la
belle-mère. Il n'a plus l'excuse de ne la point connaître.
Puis, les parents étant repartis, emmenant avec eux l'enfant malade
et la nourrice, le moment eût été singulièrement mal choisi de ne pas
joindre aux formules de politesse pour Mme Hugo les nécessaires
mensonges d'une affection, toute sur le papier.
Victor, dont la femme a mal au pied, s'exécute sans enthousiasme. Quant
à Adèle Hugo, sa lettre est pleine de cœur et de simplicité. Elle nous
fait mieux connaître la jeune femme devenue maman. Elle n'a dans ses
lignes brèves nul souci de la littérature.
Son Léopold l'intéresse seul. La nourrice manque peut-être de propreté
et demande à être surveillée à ce point de vue; mais, que de jolis
détails, à côté de la biscotte, chère aujourd'hui aux spécialistes de
l'estomac, dont cette lettre nous révèle déjà l'existence[72].
[Note 72: «Les biscottes de Bruxelles sont recherchées.» (_Compl.
de l'Acad._)]
Pour elle, la belle-mère est devenue «maman», et, sous sa plume,
l'effort ne se sent pas.
Mon cher papa,
Ta bonne et précieuse lettre pouvait seule nous consoler du départ
de notre père et de notre fils. Les tendres soins que ta femme a
prodigués durant la route à son pauvre petit-fils nous ont attendris
et touchés profondément. Chaque jour nous prouve de plus qu'elle a
pour nous ton cœur, et c'est un témoignage qu'il m'est bien doux de
lui rendre.
Mon Adèle depuis ton départ n'est pas sortie, il lui est venu au
pied un petit bobo fort incommode qui l'empêche de marcher et la
fait même, par intervalle, assez vivement souffrir. Elle supporte
ce nouvel ennui avec l'égalité d'humeur que tu lui connais, mais moi
j'en suis attristé pour elle.
Je reçois à l'instant une lettre du Colonel qui me charge des plus
tendres amitiés pour toi et je t'en envoie sous ce couvert une autre
du major.
Malgré tout mon désir de prolonger cette lettre, il faut la terminer
ici: ma femme qui a beaucoup de choses à dire à la tienne, me demande
le reste de mon papier. J'espère que Léopold continue à se bien
porter. Présente mes affectueux hommages à sa grand'mère, embrasse
pour moi son oncle Paul et dis-moi si depuis son voyage, ses yeux
se sont agrandis à force de s'ouvrir. Abel et moi t'embrassons
tendrement.
Ton fils dévoué et respectueux,
Victor.
13 septembre 1823.
Je tâcherai de te donner des nouvelles de notre Eugène dans ma
prochaine lettre.
Ma chère maman,
Depuis votre départ, je n'ai cessé de penser à mon Léopold et cette
pensée est inséparable des bontés que vous avez pour ce cher enfant
et de toutes celles que vous avez pour nous, et si je suis si à
plaindre d'être loin de lui, il est bien heureux d'être près de vous.
J'ai été charmée de sa bonne conduite pendant le voyage, j'espère
qu'il a continué d'être aimable et de vous sourire, car il serait
bien ingrat s'il en était autrement. J'espère aussi que la nourrice
ne vous a donné que des sujets de contentement, c'est une bonne
femme qu'il faudra je crois surveiller pour la propreté: j'ai oublié
de faire emporter à la nourrice une petite brosse pour sa tête, il
y en a à Paris de fort commodes en chiendent. S'il n'y en a pas à
Blois je vous en enverrai une; dites-moi aussi, chère maman, si vous
pouvez vous procurer de la biscotte, nourriture, dit-on, très saine
et surtout légère pour les enfants. Dans le cas où la bouillie ou
bien une petite panade ne lui conviendrait pas je lui en enverrais.
Croyez-vous aussi, qu'il ne lui serait pas bon de le mettre dans son
berceau les jambes un peu à l'air, ce qui lui donnerait des forces
et lui ferait plaisir; car j'ai remarqué qu'il ne disait jamais rien
démailloté et criait très fort lorsqu'il sentait ses petites jambes
en prison: cela n'empêcherait pas de le couvrir lorsqu'il ferait
froid. Je ne me permets de vous dire tout cela que parce que je sais
que vous en agirez suivant votre volonté et pour le bien-être de
notre fils.
Je suis retenue à la chambre par une écorchure au pied qui me fait
souffrir. Mais toutes mes souffrances sont des bonheurs pour moi,
puisque tous les soins qui me sont prodigués viennent de mon Victor,
qui est toujours un ange et fait toujours de belles odes.
Agréez, chère maman, tous mes sentiments de respect.
A. Hugo.
Papa et maman ont été très sensibles à tout ce que vous leur dites
d'amical. Nous embrassons tous notre Léopold et Paul.
Victor a ajouté ce post-scriptum. Il a trait au large cachet, aux armes
du général, dont est scellée cette lettre.
Le cachet de cuivre dont tu verras l'empreinte sur cette lettre, est
terminé. Il est fort beau. Celui d'acier, qui demande plus de temps,
me sera bientôt remis par le graveur. Il ne veut pas faire l'écusson
colorié à moins de 12 francs. J'attends tes instructions à cet égard.
Marque-moi de même par quelle voie il faudra t'envoyer le cachet
d'acier. Adieu encore, bon et cher papa.
Paul Foucher, le jeune beau-frère de Victor Hugo, avait accompagné
les grands-parents à Blois. Il est revenu à Paris, porteur de bonnes
nouvelles et les yeux agrandis à force de s'ouvrir. Adèle remercie le
général et sa belle-mère de leur bon accueil.
Les Mémoires s'impriment chez Ladvocat. Victor a prié l'éditeur de lui
en communiquer les feuilles à mesure. Sa femme désire les lire avant
tout le monde et «_désir de femme est un feu qui dévore_».
L'écusson colorié a coûté deux francs de plus qu'il n'était prévu,
mais il est tout à fait digne d'être encadré.
4 octobre 1823.
Mon cher papa,
Paul est arrivé enchanté et m'a enchantée par ce qu'il m'a dit de
mon Léopold; je ne parle pas des soins si attentifs de la grand'mère
parce qu'ils sont tels que (je) renonce à mes droits de mère. Je
suis ravie quand je pense que dans deux mois je vous verrai ainsi
que ce cher enfant qui nous est si précieux, et qui vous coûte tant
de peines et de sollicitudes. Je suis triste seulement de penser
que je ne serai que très secondaire dans sa tendresse puisque je ne
serai que sa seconde mère; et que je n'aurai même pas droit d'en être
jalouse.
Je voulais vous consulter pour faire vacciner notre fils: je crois
que le temps est favorable; et il est important qu'il le soit, au
reste que tout cela soit selon votre volonté.
Je ne sais si je dois attendre l'arrivée de cette Dame pour vous
envoyer les objets que je vous ai annoncés, ainsi que le cachet qui
a son portrait joliment peint, et le petit livre que vous demandez,
j'attends votre réponse pour cela. Mon Victor vous aurait écrit s'il
n'avait toujours son doigt très douloureux, mais je crois que malgré
cela il n'aura pas le courage de laisser partir cette lettre sans y
mettre quelques mots.
Maman doit écrire à mon autre maman pour la remercier des soins et
des bontés qu'elle a eus pour Paul qui vous aime tant et qui est si
charmé de son voyage; elle voudrait aussi savoir comment vous faire
parvenir l'argent qu'elle vous doit pour Paul.
Adieu, mon cher papa, embrassez s'il vous plaît mon Léopold et sa
grand'maman et comptez sur les sentiments respectueux de votre fille.
A. Hugo.
Mon cher et bon papa,
Il y a trop longtemps que je ne me suis entretenu avec toi, pour
ne pas sentir le besoin de te renseigner aussi moi-même combien je
suis profondément touché de toutes les bontés dont notre Léopold est
comblé par toi, et par son excellente grand'maman. La première lettre
que je puis écrire avec ma main convalescente, doit être pour toi,
cher papa. J'ignore comment je pourrai te rendre tous les sentiments
de reconnaissance et de tendresse que je voudrais t'exprimer,
mais cette impuissance même fait mon bonheur. Puisse un jour, ton
petit-fils, digne de toi, te payer ainsi que la seconde mère qu'il a
trouvée en ta femme, par tout ce que l'amour filial a de plus tendre
et de plus dévoué! Voilà des sentiments qu'il me sera aisé de lui
inspirer.
Nous espérons que ce pauvre petit _chevreau_ continue à se bien
trouver de son nouveau régime. Paul nous a dit tous les soins et
toutes les caresses que tu lui prodigues ainsi que sa grand'mère et
toute ta maison. Ce récit a ému Adèle jusqu'aux larmes c'est te dire
l'impression qu'il a produite sur moi.
L'écusson colorié a coûté 14 francs au lieu de 12 à cause d'un
passe-partout qui le rend tout à fait digne d'être encadré. Je ne
t'ai point encore envoyé le livre que tu me demandes, parce que j'ai
pensé que si la dame qui doit venir à Paris, veut bien s'en charger,
ainsi que du cachet et de l'écusson peint, cela t'épargnera les frais
de port. Mande-moi tes instructions définitives à cet égard.
Voici une lettre de Francis qui est pour toi. Ma maudite habitude de
ne pas lire les adresses de mes lettres fait que je l'ai décachetée
étourdiment. Maintenant j'y prendrai garde puisque le major choisit
mon canal pour t'écrire.
Ma femme qui est souffrante et qu'on purge, désire beaucoup lire
tes _Mémoires_ avant tout le monde. _Désir de femme est un feu qui
dévore._ J'ai fait prier Ladvocat de m'envoyer les feuilles à mesure
qu'elles s'impriment. Écris-lui, si tu en as le tems, pour qu'il
presse les envois.
Adieu bien cher et excellent père, nous ne voyons Abel que bien
rarement, mais je t'embrasse toujours en son nom et au mien.
Ton fils tendre et respectueux,
Victor.
Mes empressés hommages à la grand'maman.
Il était malheureusement de la santé physique du petit Léopold, comme
de la santé morale d'Eugène. Le lait de la nouvelle nourrice, le
changement d'air, les soins dont il était entouré, n'avaient pu avoir
raison de l'état bien précaire du nourrisson. Les nouvelles envoyées
par le général à son fils laissent bien peu d'espoir.
Mon cher papa,
L'impatience d'avoir des nouvelles de son Léopold, a porté ma femme à
décacheter hier la lettre que tu écrivais à son père. Tu peux juger
de sa désolation et de ses inquiétudes.
Pour moi, bon et excellent père, je me confie avec une tendre
confiance aux sollicitudes maternelles de ta femme. Dis-lui,
répète-lui cent fois, que nul être au monde ne sent plus profondément
que moi tout ce qu'elle fait pour ce pauvre enfant qui sera plus
encore à elle qu'à moi.
Nous espérons, puisque ta lettre permet encore d'espérer, nous
espérons puisque ta femme a eu la secourable pensée de s'adresser au
ciel, nous espérons enfin, parce que vous êtes là, vous, ses bons
parents, ses protecteurs, ses sauveurs.
Envoie-nous promptement de ses nouvelles, cher papa. Nous espérons,
mais nous sommes résignés; c'est une force qui vient aussi du ciel.
Adèle attend ta réponse avec courage; je ne t'embrasse pas pour elle,
elle veut le faire elle-même. Porte l'expression de ma tendre et
profonde reconnaissance au pied de la grand'maman de ce pauvre petit
ange. Je t'embrasse encore une fois avec tendresse et respect.
6 8bre
Le cri de la mère, menacée dans le fruit de ses entrailles, est
terrible et angoissant. Sa lettre, ce mot rapide, n'a point la tenue de
celle de Victor. On sent les larmes prêtes à jaillir.
Ma chère maman,
Je viens d'apprendre une nouvelle désolante pour nous. Mon pauvre
petit est donc bien mal? et quel mal vous-même n'avez-vous pas? Si
je pouvais partir de suite pour Blois, j'irais vous relayer dans vos
soins maternels, mais moi-même je suis très souffrante et ai besoin
d'être soignée. Je n'écouterais pas encore tout cela, si le médecin
ne s'y opposait très expressément, malgré tout je partirai suivant
votre conseil pour mêler nos larmes ou pour l'embrasser encore une
fois ce pauvre enfant. Quel droit n'avez-vous pas, chère maman, à
notre tendresse? et comment notre Léopold n'est-il pas guéri, soigné
par une si tendre mère? Adieu, j'embrasse mon bon papa, et vous chère
maman que j'aime tant.
A. Hugo.
Maman vient de perdre son père. Nous prenons le deuil demain.
Trois jours plus tard, l'enfant mourait, en effet, et les registres
de l'état civil de Blois, nous ont conservé cette mention du court
passage dans la vie de Léopold-Victor Hugo.
L'an mil huit cent vingt-trois le dixième jour d'octobre à dix heures
du matin par devant nous Denis Gault, officier de l'État civil de la
commune de Blois, canton de Blois, département de Loir-et-Cher, sont
comparus Monsieur Jules Benoist, âgé de vingt-cinq ans, licencié en
droit domicilié à Blois et Monsieur Charles-Henry Lemaignen, âgé de
quarante-neuf ans, profession d'employé, domicilié à Blois.
Lesquels nous ont déclaré que le neuf du mois d'octobre à trois
heures du soir Léopold-Victor Hugo, âgé de trois mois, né à Paris
demeurant à Blois, département de Loir-et-Cher, fils de Monsieur
Victor-Marie Hugo, membre de l'Académie des Jeux Floraux et de dame
Adèle Foucher son épouse, domiciliés à Paris.
Est décédé en notre commune, en la maison de M. le général Hugo, rue
du Foix.
Le premier nous a déclaré être voisin et le second témoin être voisin
du décédé; et les déclarans ont signé avec nous le présent acte après
que lecture leur en a été faite.
J. Benoist
H. Lemaignen
Gault
Le vaudeville doit donc se mêler toujours un peu aux tristesses
humaines. La bonne Madame Foucher a caché les lettres annonçant la
mort de l'enfant, de peur que sa fille ne les lût. Elle les a si bien
cachées, qu'elle ne les a pu retrouver. Il lui a fallu annoncer de vive
voix la désolante nouvelle à son gendre.
Victor de répondre à des lettres dont il n'a point eu connaissance par
celle-ci, trop écrite, trop résignée, où perce déjà trop l'ode qui
suivra.
Cher papa,
Je n'accroîtrai pas ta douleur en te dépeignant la nôtre; tu as senti
tout ce que je sens, ta femme éprouve tout ce qu'éprouve Adèle.
Non, je ne veux pas t'attrister de toute notre affliction; si tu
étais ici, excellent père, nous pleurerions ensemble, et nous nous
consolerions en partageant nos larmes.
Tout le monde est ici plongé dans la stupeur, comme si Léopold, comme
si cet enfant d'hier, cet être maladif et délicat n'était pas mortel.
Hélas il faut remercier Dieu qui a daigné lui épargner les douleurs
de la vie. Il est des moments où elles sont bien cruelles.
Notre Léopold est un ange aujourd'hui, cher papa, nous le prierons
pour nous, pour toi, pour sa seconde mère, pour tous ceux qui l'ont
aimé durant sa courte apparition sur la terre.
Il ne faut pas croire que Dieu n'ait pas eu son dessein en nous
envoyant ce petit ange, sitôt rappelé à lui. Il a voulu que Léopold
fût un lien de plus entre vous, tendres parens et nous, enfants
dévoués. Mon Adèle au milieu de ses sanglots me répétait hier que
l'une de ses douleurs les plus vives était de penser à celles que toi
et ton excellente femme avez éprouvées.
Ce n'est pas à ta lettre que je réponds. J'ai appris la fatale
nouvelle de Madame Foucher. Dans le premier moment, elle avait
caché les deux lettres de peur qu'Adèle ne les lût, elle n'a pu les
retrouver depuis.
Du reste, elle m'a dit tout votre chagrin, toutes vos tendres et
pieuses intentions pour que la trace de ce cher petit ne s'efface pas
plus sur la terre qu'elle ne s'effacera dans nos cœurs.
Adieu, bon et cher papa, console-toi de mon malheur.
C'était hier (12 oct.) l'anniversaire de notre mariage. Le bon Dieu
nous a donné une leçon en nous ramenant ce doux souvenir de joie au
milieu d'une si vive douleur.
Adieu encore, ma femme et moi avons le cœur plein de tendresse pour
vous deux.
Ton fils résigné et respectueux,
Victor.
13 octobre.
On peut comparer cette lettre à l'ode adressée _A l'Ombre d'un Enfant_.
L'inspiration est bien la même.
Oh! parmi les soleils, les sphères, les étoiles,
Les portiques d'azur, les palais de saphir,
Parmi les saints rayons, parmi les sacrés voiles
Qu'agite un éternel zéphir!
Dans le torrent d'amour où toute âme se noie,
Où s'abreuve de feux le séraphin brûlant:
Dans l'orbe flamboyant qui sans cesse tournoie
Autour du trône étincelant!
Parmi les jeux sans fin des âmes enfantines;
Quand leurs soins, d'un vieil astre, égaré dans les cieux,
Avec de longs efforts et des voix argentines,
Guident les chancelans essieux;
Ou lorsqu'entre ses bras quelque vierge ravie
Les prend, d'un saint baiser leur imprime le sceau,
Et rit, leur demandant si l'aspect de la vie
Les effrayait, dans leur berceau;
Ou qu'enfin dans son arche éclatante et profonde,
Rangeant de cieux en cieux son cortège ébloui,
Jésus, pour accomplir ce qui fut dit au monde,
Les place le plus près de lui;
Oh! dans ce monde auguste où rien n'est éphémère,
Dans ces flots de bonheur que ne trouble aucun fiel,
Enfant! loin du sourire et des pleurs de ta mère,
N'es-tu pas orphelin au ciel?
Octobre 1823[73].
[Note 73: _Odes et Ballades._ Livre V, 1819-1828. Ode XV. Edition
définitive, Livre V, ode XVI.]


V
Le cachet du Général.--Ode sur _la guerre d'Espagne_.--Les _Nouvelles
Odes_.--La négligence de Ladvocat.--Les bonnes dispositions du duc
d'Angoulême vis-à-vis du Général.--Les dessous d'une disgrâce:
Chateaubriand et Mme Boni de Castellane.

Victor Hugo a trop éloquemment exprimé sa douleur pour qu'elle fût
de longue durée. La mère fut plus longue à se consoler et pour se
distraire, dessinait un peu.
Le poète continue à faire à Paris les courses du général. Le fameux
cachet d'acier--«il a excité l'admiration de tout le monde»--et
l'écusson colorié semblent tenir une grande place dans les
préoccupations du père et du fils.
Mon cher papa,
Notre désolée mère commence à se consoler un peu; tandis que je
t'écris ceci, elle s'occupe à dessiner quelque chose qui fera plaisir
à ses chers parents de Blois, car l'un de ses sentiments les plus
vifs est sa tendresse et sa reconnaissance pour vous. Tu connais
quelqu'un, cher papa, qui partage bien ces sentiments.
M. Lemaire te remettra avec cette lettre les deux bouteilles de fleur
d'orange, le cachet d'acier qui a excité ici l'admiration de tout
le monde par la beauté de son fini et l'écusson colorié. J'ai eu le
malheur dans tous mes malheurs, d'égarer la lettre où tu m'envoies la
note d'un livre à t'acheter. Seras-tu assez bon pour m'excuser et me
récrire de nouveau ce renseignement.
Adieu, bon et cher papa, ma femme t'embrasse tendrement, ainsi que
ton excellente femme. J'en fais autant. Nous sommes inquiets des
santés de Blois. Il y a longtemps que nous n'avons de tes nouvelles.
Ton fils dévoué et respectueux,
Victor.
16 octobre.
Le dessin destiné par Adèle aux parents de Blois est terminé. M. de
Féraudy, de passage à Paris, veut bien se charger de le leur porter.
Mon cher papa,
Je t'écris à la hâte quelques mots; M. de Féraudy attend ma lettre
et le paquet; ma femme se dépêche de terminer ce qu'elle envoie à
ses bons parents de Blois; j'espère que tu en seras content; et
je me tais parce que je craindrais en louant le talent de mon
Adèle, de paraître vouloir rehausser son présent. Nous aurions bien
voulu t'envoyer ceci encadré; mais M. de Féraudy nous ayant fait
quelques observations sur la difficulté du transport, tu sens qu'une
délicatesse impérieuse nous a interdit de t'offrir ce beau dessin
dans toute sa splendeur. Au reste M. de Féraudy s'est chargé de
la commission avec une grâce toute parfaite, et je te prie de lui
réitérer à Blois tous nos vifs remerciemens.
Il y a bien longtems, ce me semble, cher papa, que nous n'avons de
vos nouvelles. Comment se porte ta femme? Console-la en notre nom de
notre malheur. Je chercherai ce que tu me demandes.
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