Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 6

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car s'il arma des mains que la Religion réservait seulement au ministère
de l'Autel, il les arma pour cet autel même et pour des citoyens dans
la cause la plus juste, et pour la défense la plus nécessaire, qui est
toujours au-dessus des lois. Ses confrères ne s'étaient armés que dans des
Guerres Civiles et contre des Chrétiens. Peut-être, si l'apothéose est due
à quelques hommes, eût-il mieux valu mettre dans le Ciel ce Prélat qui
combattit et mourut pour son Pays, que tant d'hommes obscurs, dont la
vertu, s'ils en ont eu, a été pour le moins inutile au Monde.
Les Normands tinrent la Ville assiégée une année et demie, les Parisiens
éprouvèrent toutes les horreurs qu'entraînent dans un long siège la famine
et la contagion, qui en sont les suites, et ne furent point ébranlés. Au
bout de ce temps l'Empereur Charles le Gros, Roi de France, parut enfin à
leurs secours sur le Mont de Mars, qu'on appelle aujourd'hui Montmartre,
mais il n'osa pas attaquer les Normands, il ne vint que pour acheter
encore une trêve honteuse. Ces Barbares quittèrent Paris pour aller
assiéger Sens et piller la Bourgogne, tandis que Charles alla dans Mayence
assembler ce Parlement qui lui ôta un trône dont il était si indigne.
Les Normands continuèrent leurs dévastations, mais quoiqu'ennemis du Nom
Chrétien il ne leur vint jamais en pensée de forcer personne à renoncer au
Christianisme. Ils étaient à peu près tels que les Francs, les Goths, les
Alains, les Huns, les Hérules, qui en cherchant au IVe Siècle de nouvelles
Terres, loin d'imposer une Religion aux Romains, s'accommodèrent aisément
de la leur: ainsi les Turcs en pillant l'Empire des Califes, se sont
fournis à la Religion Mahométane.
Enfin Rolon ou Raoul, le plus illustre de ces Brigands du Nord, après
avoir été chassé du Danemark, ayant rassemblé en Scandinavie tous ceux
qui voulurent s'attacher à sa fortune, tenta de nouvelles aventures, et
fonda l'espérance de sa grandeur sur la faiblesse de l'Europe. Il aborda
l'Angleterre, où ses compatriotes étaient déjà établis; mais après deux
victoires inutiles il retourna du côté de la France, que d'autres Normands
savaient ruiner, mais qu'ils ne savaient pas asservir.
Rolon fut le seul de ces Barbares qui cessa d'en mériter le nom, en
cherchant un établissement fixe. Maître de Rouen sans peine, au lieu de
la détruire, il en fit relever les murailles et les tours. Rouen devint
sa place d'armes, de-là il volait tantôt en Angleterre, tantôt en France,
faisant la guerre avec politique, comme avec fureur. La France était
expirante sous le règne de Charles le Simple, Roi de nom, et dont la
Monarchie était encore plus démembrée par les Ducs, par les Comtes et par
les Barons ses sujets, que par les Normands. Charles n'avait donné que
de l'or aux Barbares, Charles le Simple offrit à Rolon sa fille et des
provinces.
Raoul demanda d'abord la Normandie, et on fut trop heureux de la lui
céder. Il demanda ensuite la Bretagne, on disputa, mais il fallut la céder
encore avec des clauses que le plus fort explique toujours à son avantage.
Ainsi la Bretagne qui était tout à l'heure un Royaume, devint un Fief de
la Neustrie; et la Neustrie qu'on s'accoutuma bientôt à nommer Normandie
du nom de ses usurpateurs, fut un État séparé, dont les Ducs rendaient un
vain hommage à la couronne de France.
L'Archevêque de Rouen sut persuader à Rolon de se faire Chrétien. Ce
Prince embrassa volontiers une Religion qui affermissait sa puissance.
Les véritables Conquérants sont ceux qui savent faire des lois. Leur
puissance est stable, les autres sont des torrents qui passent. Rolon
paisible fut le seul Législateur de son temps dans le Continent Chrétien.
On sait avec quelle inflexibilité il rendit la justice. Il abolit le vol
chez ses Danois, qui n'avaient jusques-là vécu que de rapine. Longtemps
après lui son nom seul prononcé, était un ordre aux Officiers de Justice
d'accourir pour réprimer la violence, et de-là est venu cet usage de la
clameur de _Haro_, si connue en Normandie. Le sang des Danois et des
Francs mêlés ensemble produisit ensuite dans ce Pays ces Héros qu'on verra
conquérir l'Angleterre et la Sicile.


DE L'ANGLETERRE VERS LE IVe SIÈCLE.

L'Angleterre après avoir été divisée en sept petits Royaumes, s'était
presque réunie sous le Roi Egbert, lorsque ces mêmes Pirates vinrent la
ravager aussi bien que la France. On prétend qu'en 852 ils remontèrent la
Tamise avec trois cents Voiles. Les Anglais ne se défendirent guère mieux
que les Francs. Ils payèrent, comme eux, leurs vainqueurs. Un Roi nommé
Ethelbert suivit le malheureux exemple de Charles le Chauve. Il donna de
l'argent; la même faute eut la même punition. Les Pirates se servirent
de cet argent pour mieux subjuguer le Pays. Ils conquirent la moitié de
l'Angleterre. Il fallait que les Anglais, nés courageux et défendus par
leur situation, eussent dans leur Gouvernement des vices bien essentiels,
puisqu'ils furent toujours assujettis par des Peuples qui ne devaient pas
aborder impunément chez eux. Ce qu'on raconte des horribles dévastations
qui désolèrent cette Île, surpasse encore ce qu'on vient de voir en
France. Il y a des temps où la Terre entière n'est qu'un théâtre de
carnage, et ces temps sont trop fréquents.
Il me semble que le Lecteur respire enfin un peu, lorsque dans ces
horreurs il voit s'élever quelque grand-homme qui tire sa patrie de la
servitude, et qui le gouverne en bon Roi.
Je ne sais s'il y a jamais eu sur la Terre un homme plus digne des
respects de la postérité qu'Alfred le Grand, qui rendit ses services à sa
patrie.
En 872 il succédait à son frère Ethelred I qui ne lui laissa qu'un droit
contesté sur l'Angleterre, partagée plus que jamais en Souverainetés, dont
plusieurs étaient possédées par les Danois. De nouveaux Pirates venaient
encore, presque chaque année, disputer aux premiers usurpateurs le peu de
dépouilles qui pouvaient rester.
Alfred n'ayant pour lui qu'une Province de l'Ouest, fut vaincu d'abord
en bataille rangée par ces Barbares, et abandonné de tout le monde il ne
se retira point à Rome dans le Collège Anglais, comme Butred son oncle,
devenu Roi d'une petite Province et chassé par les Danois; mais seul et
sans secours, il voulut périr ou venger sa patrie. Il se cacha six mois
chez un Berger dans une chaumière environnée de marais. Le seul Comte de
Devon qui défendait encore un faible château, savait son secret. Enfin
ce Comte ayant rassemblé des troupes et gagné quelque avantage, Alfred
couvert de haillons d'un Berger, osa se rendre dans le camp des Danois, en
jouant de la harpe: voyant ainsi par ses yeux la situation du camp et ses
défauts, instruit d'une fête que les Barbares devaient célébrer, il court
au Comte de Devon qui avait des milices prêtes, il revient aux Danois avec
une petite troupe mais déterminée, il les surprend et gagne une victoire
complète. La discorde divisait alors les Danois. Alfred sut négocier comme
combattre; et ce qui est étrange, les Anglais et les Danois le reconnurent
unanimement pour Roi. Il n'y avait plus à réduire que Londres, il la
prit, la fortifia, l'embellit, équipa des flottes, contint les Danois
d'Angleterre, s'opposa aux descentes des autres, et s'appliqua ensuite
pendant douze années d'une possession paisible, à policer sa patrie. Ses
lois furent douces, mais sévèrement exécutées. C'est lui qui fonda les
Jurés, qui partagea l'Angleterre en Shires ou Comtés, et qui le premier
encouragea ses sujets à commercer. Il prêta des vaisseaux et de l'argent
à des hommes entreprenants et sages, qui allèrent jusqu'à Alexandrie,
et de-là passant l'Isthme de Suez, trafiquèrent dans la Mer de Perse. Il
institua des Milices, il établit divers Conseils, mit partout la règle et
la paix qui en est la suite.
Il me semble qu'il n'y a point de véritablement grand-homme, sans avoir un
bon esprit. Alfred fonda l'Académie d'Oxford. Il fit venir des livres de
Rome. L'Angleterre toute barbare n'en avait presque point. Il se plaignait
qu'il n'y eût pas alors un Prêtre Anglais qui sût le Latin. Pour lui, il
le savait. Il était même assez bon Géomètre pour ce temps-là. Il possédait
l'Histoire. On dit même qu'il faisait des vers en Anglo-Saxon. Les moments
qu'il ne donnait pas aux soins de l'État, il les donnait à l'étude.
Une sage économie le mit en état d'être libéral. On voit qu'il rebâtit
plusieurs Églises, mais aucun Monastère. Il pensait sans-doute que dans
un État désolé, qu'il fallait repeupler, il eût mal servi sa patrie, en
favorisant trop ces familles immenses sans père et sans enfants, qui se
perpétuent aux dépens de la Nation: aussi ne fut-il pas au nombre des
Saints; mais l'Histoire, qui d'ailleurs ne lui reproche ni défaut ni
faiblesse, le met au premier rang des Héros utiles au Genre-humain, qui
sans ces hommes extraordinaires eût toujours été semblable aux bêtes
farouches.


DE L'ESPAGNE ET DES MUSULMANS AUX VIIIe ET IXe SIÈCLES.

Je vois dans l'Espagne des malheurs et des révolutions d'un autre genre,
qui méritent une attention particulière. Il faut remonter en peu de mots à
la source, et se souvenir que les Goths usurpateurs de ce Royaume, devenus
Chrétiens et toujours barbares, furent chassés au VIIIe Siècle par les
Musulmans d'Afrique. Je crois que l'imbécillité du Roi Vamba qu'on enferma
dans un Cloître, fut l'origine de la décadence de ce Royaume. C'est à sa
faiblesse qu'on doit les fureurs de ses successeurs. Vitiza, Prince plus
insensé encore que Vamba, puisqu'il était cruel, fit désarmer ses sujets
qu'il craignait, mais par-là il se priva de leur secours.
Rodrigue dont il avait assassiné le père, l'assassina à son tour, et fut
encore plus méchant que lui. Il ne faut pas chercher ailleurs la cause
de la supériorité des Musulmans en Espagne. Je ne sais s'il est bien vrai
que Rodrigue eût violé Florinde, nommée la _Cava_ ou la _Méchante_, fille
malheureusement célèbre du Comte Julien, et si ce fut pour venger son
honneur que ce Comte appela les Maures. Peut-être l'aventure de la Cava
est copiée en partie sur celle de Lucrèce, et ni l'une ni l'autre ne
paraît appuyée sur des monuments bien authentiques. Il paraît que pour
appeler les Africains on n'avait pas besoin du prétexte d'un viol, qui
est d'ordinaire aussi difficile à prouver qu'à faire. Déjà sous le Roi
Vamba, le Comte Hervig, depuis Roi, avait fait venir une armée de Maures.
Opas Archevêque de Séville, qui fut le principal instrument de la grande
révolution, avait des intérêts plus chers à soutenir que ceux de la pudeur
d'une fille. Cet Évêque, fils de l'usurpateur Vitiza détrôné et assassiné
par l'usurpateur Rodrigue, fut celui dont l'ambition fit venir les Maures
pour la seconde fois. Le Comte Julien, gendre de Vitiza, trouvait dans
cette seule alliance assez de raisons pour se soulever contre le tyran.
Un autre Évêque nommé Torizo, entra dans la conspiration d'Opas et du
Comte. Y a-t-il apparence que deux Évêques se fussent ligués ainsi avec
les ennemis du Nom Chrétien, s'il ne s'était agi que d'une fille?
Quoi qu'il en soit, les Mahométans étaient maîtres comme ils le sont
encore, de toute cette partie de l'Afrique qui avait appartenu aux Romains,
ils venaient d'y fonder la Ville de Maroc près du Mont Atlas. Le Calife
Valid Almanzor, maître de cette belle partie de la Terre, résidait à Damas
en Syrie. Son Vice-roi Muzza, qui gouvernait l'Afrique, fit par un de ses
Lieutenants la conquête de toute l'Espagne. Il y envoya d'abord son
Général Tarif, qui gagna en 714 cette célèbre bataille où Rodrigue perdit
la vie. On prétend que les Sarrasins ne tinrent pas leurs promesses à
Julien, dont ils se défiaient sans-doute. L'Archevêque Opas fut plus
satisfait d'eux. Il prêta serment de fidélité aux Mahométans, et conserva
sous eux beaucoup d'autorité sur les Églises Chrétiennes, que les
vainqueurs toléraient.
Pour le Roi Rodrigue, il fut si peu regretté que sa veuve Egilone épousa
publiquement le jeune Abdalis, fils du Sultan Muzza, dont les armes
avaient fait périr son mari, et réduit en servitude son Pays et sa
Religion.
L'Espagne avait été soumise en quatorze mois à l'Empire des Califes, à la
réserve des cavernes et des rochers de l'Asturie. Pélage Teudomer, parent
du dernier Roi Rodrigue, caché dans ces retraites, y conserva sa liberté.
Je ne sais comment on a pu donner le nom de Roi à ce Prince, qui en était
en effet digne, mais dont toute la Royauté se borna à n'être point captif.
Les Historiens Espagnols et ceux qui les ont suivis, lui font remporter de
grandes victoires, imaginent des miracles en sa faveur, lui établissent
une Cour, lui donnent son fils Favilla et son gendre Alphonse pour
successeurs tranquilles dans ce prétendu Royaume. Mais comment dans ce
temps-là même les Mahométans, qui sous Abdérame vers l'an 734 subjuguèrent
la moitié de la France, auraient-ils laissé subsister derrière les
Pyrénées ce Royaume des Asturies? C'était beaucoup pour les Chrétiens
de pouvoir se réfugier dans ces montagnes et d'y vivre de leurs courses,
en payant tribut aux Mahométans. Ce ne fut que vers l'an 759 que les
Chrétiens commencèrent à tenir tête à leurs vainqueurs affaiblis par les
victoires de Charles Martel et par leurs divisions; mais eux-mêmes plus
divisés entre eux que les Mahométans, retombèrent bientôt sous le joug.
En 783, Maurégat, à qui il a plû aux Historiens de donner le titre de Roi,
eut la permission de gouverner les Asturies et quelques Terres voisines,
en rendant hommage et en payant tribut. Il se soumit surtout de fournir
cent belles filles tous les ans pour le sérail d'Abdérame.
On donne pour successeur à ce Maurégat un Diacre nommé Vérémon, Chef de
ces Montagnards réfugiés, faisant le même hommage et payant le même nombre
de filles qu'il était obligé de payer souvent. Est-ce-là un Royaume, et
sont-ce-là des Rois?
Après la mort de cet Abdérame, les Émirs des Provinces d'Espagne voulurent
être indépendants. On a vu dans l'article de Charlemagne, qu'un d'eux,
nommé Ibna Larabi, eut l'imprudence d'appeler ce conquérant à son
secours. S'il y avait eu alors un véritable Royaume Chrétien en Espagne,
Charles n'eût-il pas protégé ce Royaume par ses armes, plutôt que de se
joindre à des Mahométans? Il prit cet Émir sous sa protection, et se fit
rendre hommage des Terres qui sont entre l'Ebre et les Pyrénées, que les
Musulmans gardèrent. On voit en 794 le Maure Abutar rendre hommage à Louis
le Débonnaire, qui gouvernait l'Aquitaine sous son père avec le titre de
Roi.
Quelque temps après, les divisions augmentèrent chez les Maures d'Espagne.
Le Conseil de Louis le Débonnaire en profita, ses troupes assiégèrent
deux ans Barcelone, et Louis y entra en triomphe en 796. Voilà l'époque
de la décadence des Maures. Ces vainqueurs n'étaient plus soutenus par
les Africains et par les Califes dont ils avaient secoué le joug. Les
successeurs d'Abdérame ayant établi le siège de leur Royaume à Cordoue,
étaient mal obéis des Gouverneurs des autres Provinces.
Alfonse de la race de Pélage commença dans ces conjonctures heureuses à
rendre considérables les Chrétiens Espagnols retirés dans les Asturies.
Il refusa le tribut ordinaire à des Maîtres contre lesquels il pouvait
combattre; et après quelques victoires il se vit maître paisible des
Asturies et de Léon au commencement du IXe Siècle.
C'est par lui qu'il faut commencer de retrouver en Espagne des Rois
Chrétiens. Cet Alfonse était artificieux et cruel. On l'appelle le Chaste,
parce qu'il fut le premier qui refusa les cent filles aux Maures. On ne
songe pas qu'il ne soutint point la guerre pour avoir refusé ce tribut,
mais que voulant se soustraire à la domination des Maures et ne plus être
tributaire, il fallait bien qu'il refusât les cent filles ainsi que le
reste.
Les succès d'Alfonse qui, malgré beaucoup de traverses, enhardit les
Chrétiens de Navarre à se donner un Roi. Les Aragonais levèrent l'étendard
sous un Comte: ainsi sur la fin de Louis le Débonnaire, ni les Maures, ni
les Français n'eurent plus rien dans ces Contrées stériles, mais le reste
de l'Espagne obéissait aux Rois Musulmans. Ce fut alors que les Normands
ravagèrent les côtes de l'Espagne, mais étant repoussés, ils retournèrent
piller la France et l'Angleterre.
On ne doit point être surpris que les Espagnols des Asturies, de Léon,
d'Aragon, aient été alors des barbares. La guerre qui avait succédé à
la servitude, ne les avait pas polis. Ils étaient dans une si profonde
ignorance, qu'Alfonse Roi de Léon et des Asturies, surnommé le Grand,
fut obligé de donner à son fils des Précepteurs Mahométans.
Je ne cesse d'être étonné, quand je vois quels titres les Historiens
prodiguent aux Rois. Cet Alfonse qu'ils appellent le Grand, fit crever
les yeux à ses quatre frères; sa vie n'est qu'un tissu de cruautés et de
perfidies. Ce Roi finit par faire révolter contre lui ses Sujets, et fut
obligé de céder son petit Royaume à son fils vers l'an 910.
Cependant les Mahométans qui perdaient cette partie de l'Espagne qui
confine à la France, s'étendaient partout ailleurs. Si j'envisage leur
Religion, je la vois embrassée par toutes les Indes, et par les côtes
orientales de l'Afrique où ils trafiquaient. Si je regarde leurs conquêtes,
d'abord le Calife Aaron Rachild impose un tribut de soixante et dix mille
écus d'or par an à l'Impératrice Irène. L'Empereur Nicéphore ayant ensuite
refusé de payer le tribut, Aaron prend l'Île de Chypre et vient ravager la
Grèce. Almamon son petit-fils, Prince d'ailleurs si recommandable par son
amour pour les Sciences et par son savoir, s'empare par ses Lieutenants de
l'Île de Crète en 825. Les Musulmans y firent bâtir la Ville de Candie.
En 826 les mêmes Africains qui avaient subjugué l'Espagne et fait des
incursions dans cette Île fertile, encouragés par un Sicilien nommé
Euphémiris, qui ayant, à l'exemple de son Empereur Michel, épousé une
Religieuse, et poursuivi par les lois que l'Empereur s'était rendu
favorables, fit à peu près en Sicile ce que le Comte Julien avait fait
en Espagne.
Ni les Empereurs Grecs, ni ceux d'Occident ne purent alors chasser de
Sicile les Musulmans, tant l'Orient et l'Occident étaient mal gouvernés.
Ces Conquérants allaient se rendre maîtres de l'Italie, s'ils avaient été
unis; mais leurs fautes sauvèrent Rome, comme celle des Carthaginois la
sauvèrent autrefois. Ils partent de Sicile en 846 avec une flotte
nombreuse. Ils entrent par l'embouchure du Tibre, et ne trouvant qu'un
Pays, presque désert, ils vont assiéger Rome. Ils prirent les dehors, et
ayant pillé la riche Église de Saint Pierre hors des murs, ils levèrent le
siège pour aller combattre une armée de Français, qui venait secourir Rome
sous un Général de l'Empereur Lothaire. L'armée Française fut battue, mais
la Ville rafraîchie fut manquée; et cette expédition qui devait être une
conquête, ne devint par leur mésintelligence qu'une incursion de Barbares.
Ils revinrent bientôt après avec une armée formidable, qui semblait devoir
détruire l'Italie et faire une Bourgade Mahométane de la Capitale du
Christianisme. Le Pape Léon IV prenant dans ce danger une autorité que
les Généraux de l'Empereur Lothaire semblaient abandonner, se montra digne
en défendant Rome, d'y commander en Souverain. Il avait employé les
richesses de l'Église à réparer les murailles, à élever des tours, à
tendre des chaînes sur le Tibre. Il arma les milices à ses dépens, engagea
les habitants de Naples et de Gayette à venir défendre les côtes et le
port d'Ostie, sans manquer à la sage précaution de prendre d'eux des
otages, sachant bien que ceux qui sont assez puissants pour nous secourir,
le sont assez pour nous nuire. Il visita lui-même tous les postes et reçut
les Sarrasins à leur descente, non pas en équipage de guerrier, ainsi
qu'en avait usé Goflin Évêque de Paris dans une occasion encore plus
pressante, mais comme un Pontife qui exhortait un Peuple Chrétien, et
comme un Roi qui veillait à la sûreté de ses Sujets. Il était né Romain.
Le courage des premiers âges de la République revivait en lui dans un
temps de lâcheté et de corruption, tel qu'un des beaux monuments de
l'ancienne Rome qu'on trouve quelquefois dans les ruines de la nouvelle.
Son courage et ses soins furent secondés.
En 849, on reçut les Sarrasins courageusement à leur descente, et la
tempête ayant dissipé la moitié de leurs vaisseaux, une partie de ces
conquérants échappés au naufrage fut mise à la chaîne. Le Pape rendit sa
victoire utile, en faisant travailler aux fortifications de Rome et à ses
embellissements les mêmes mains qui devaient les détruire. Les Mahométans
restèrent cependant maîtres du Garillan entre Capoue et Gayette, mais
plutôt comme une Colonie de Corsaires indépendants, que comme des
Conquérants disciplinés.
Je vois donc au IXe Siècle les Musulmans redoutables à la fois à Rome et
à Constantinople, maîtres de la Perse, de la Syrie, de l'Arabie, et de
toutes les Côtes d'Afrique jusqu'au Mont Atlas, et des trois quarts de
l'Espagne. Mais ces Conquérants ne forment pas une Nation, comme les
Romains étendus presqu'autant qu'eux, n'avaient fait qu'un seul Peuple.
Sous le fameux Calife Almamon vers l'an 815, un peu après la mort de
Charlemagne, l'Égypte devint indépendante, et le Grand-Caire fut la
résidence d'un Soudan. Le Prince de la Mauritanie Tangitane, sous le titre
de Misamolin, était maître absolu de l'Empire de Maroc. La Nubie et la
Lybie obéissaient à un autre Soudan. Les Abdérames qui avaient fondé le
Royaume de Cordoue, ne purent empêcher d'autres Mahométans de fonder celui
de Tolède. Toutes ces nouvelles Dynasties révéraient dans le Calife le
successeur de leur Prophète. Ainsi que les Chrétiens allaient en foule en
pèlerinage à Rome, les Mahométans de toutes les parties du Monde allaient
à la Mecque, gouvernée par un Shérif que nommait le Calife; et c'était
principalement par ce pèlerinage que le Calife maître de la Mecque était
vénérable à tous les Princes de sa croyance. Mais ces Princes distinguant
la Religion de leurs intérêts, dépouillaient le Calife en lui rendant
hommage.


DE L'EMPIRE DE CONSTANTINOPLE, AUX VIIIe et IXe SIÈCLES.

Tandis que l'Empire de Charlemagne se démembrait, que les inondations
des Sarrasins et des Normands désolaient l'Occident, l'Empire de
Constantinople subsistait comme un grand arbre, vigoureux encore. Mais
déjà vieux, dépouillé de quelques racines, et assailli de tous côtés par
la tempête, cet Empire n'avait plus rien en Afrique, la Syrie et une
partie de l'Asie Mineure lui étaient enlevées. Il défendait contre les
Musulmans ses frontières vers l'orient de la Mer Noire, et tantôt vaincu,
tantôt vainqueur, il aurait pu au moins se fortifier contre eux par cet
usage continuel de la guerre. Mais du côté du Danube et vers le bord
occidental de la Mer Noire, d'autres ennemis le ravageaient. Une Nation
de Scythes, nommée les Abares ou Avares, les Bulgares, autres Scythes,
dont la Bulgarie tient son nom, désolaient tous ces beaux climats de la
Roumanie[12], où Adrien et Trajan avaient construit de si belles Villes,
et ces grands-chemins desquels il ne subsiste plus que quelques chaussées.
[Note 12: «Romanie» dans l'édition originale de Jean Neaulme (1753).]
Les Abares surtout répandus dans la Hongrie et dans l'Autriche se jetaient
tantôt sur l'Empire d'Orient, tantôt sur celui de Charlemagne. Ainsi des
frontières de la Perse à celles de la France, la Terre était en proie à
des incursions presque continuelles.
Si les frontières de l'Empire Grec étaient toujours resserrées et toujours
désolées, la Capitale était le théâtre des révolutions et des crimes. Un
mélange de l'artifice des Grecs et de la férocité des Thraces, formait le
caractère qui régnait à la Cour. En effet quel spectacle nous représente
Constantinople? Maurice et ses cinq enfants massacrés: Phocas assassiné
pour prix de ses meurtres et de ses incestes: Constantin empoisonné par
l'Impératrice Martine, à qui on arrache la langue tandis qu'on coupe
le nez à Héracléonas son fils: Constans assommé dans un bain par ses
domestiques: Constantin Pogonate qui fait crever les yeux à ses deux
frères: Justinien II son fils prêt à faire à Constantinople ce que
Théodose fit à Thessalonique, surpris, mutilé et enchaîné par Léonce au
moment qu'il allait faire égorger les principaux Citoyens: Léonce bientôt
traité lui-même comme il avait traité Justinien II, ce Justinien rétabli,
faisant couler sous ses yeux dans la Place publique le sang de ses ennemis,
et périssant enfin sous la main d'un bourreau: Philippe Bardanés détrôné
et condamné à perdre les yeux: Léon l'Isaurien et Constantin Copronyme
morts à-la-vérité dans leur lit, mais après un règne sanguinaire, aussi
malheureux pour le Prince que pour les Sujets. L'Impératrice Irène,
la première femme qui monta sur le trône des Césars, et la première qui
fit périr son fils pour régner: Nicéphore son successeur, détesté de
ses Sujets, pris par les Bulgares, décollé, servant de pâture aux
bêtes, tandis que son crâne sert de coupe à son vainqueur. Enfin Michel
Curopalate contemporain de Charlemagne, confiné dans un Cloître,
et mourant ainsi moins cruellement, mais plus honteusement que ses
prédécesseurs. C'est ainsi que l'Empire est gouverné pendant 200 ans.
Quelle histoire de brigands obscurs punis en Place publique pour leurs
crimes, est plus horrible et plus dégoûtante? Cependant il faut voir
au IXe Siècle Léon l'Arménien, brave guerrier, mais ennemi des Images,
assassiné à la Messe dans le temps qu'il chantait une Antienne: ses
assassins s'aplaudissant d'avoir tué un hérétique, vont tirer de prison un
Officier, nommé Michel le Bègue, condamné à la mort par le Sénat, et qui
au lieu d'être exécuté, reçut la Pourpre Impériale. Ce fut lui qui étant
amoureux d'une Religieuse, se fit prier par le Sénat de l'épouser, sans
qu'aucun Évêque osât être d'un sentiment contraire. Ce fait est d'autant
plus digne d'attention, que presqu'en même temps on voit Euphemius en
Sicile, poursuivi criminellement pour un semblable mariage; et quelque
temps après, on avait condamné à Constantinople le mariage très-légitime
de l'Empereur Léon.
Les affaires de l'Église sont si mêlées avec celles de l'État, que je peux
rarement les séparer, comme je voudrais.
Cette ancienne querelle des Images troublait toujours l'Empire. La Cour
était tantôt favorable, tantôt contraire à leur culte, selon qu'elle
voyait pencher l'esprit du plus grand nombre. Michel le Bègue commença
par les consacrer, et finit par les abattre.
Son successeur Théophile, qui régna environ douze ans depuis 829 jusqu'à
842, se déclara contre ce culte. On a écrit qu'il ne croyait point la
Résurrection, qu'il niait l'existence des Démons, et qu'il n'admettait
pas Jésus-Christ pour Dieu. Il se peut faire qu'un Empereur pensât ainsi;
mais faut-il croire, je ne dis pas sur les Princes seulement, mais sur
les particuliers, des ennemis qui sans prouver aucun fait, décrient la
religion et les mœurs des hommes qui n'ont pas pensé comme eux?
Ce Théophile fils de Michel le Bègue fut presque le seul Empereur qui
eut succédé paisiblement à son père depuis deux Siècles. Sous lui les
adorateurs des Images furent plus persécutés que jamais. On connaît
aisément par ces longues persécutions, que tous les citoyens étaient
divisés.
Il est remarquable, que deux femmes aient rétabli les Images. L'une est
l'Impératrice Irène veuve de Léon IV et l'autre l'Impératrice Théodora
veuve de Théophile.
Théodora, maîtresse de l'Empire d'Orient sous le jeune Michel son fils,
persécuta à son tour les ennemis des Images. Elle porta son zèle ou sa
politique plus loin. Il y avait encore dans l'Asie Mineure un grand nombre
de Manichéens qui vivaient paisibles, parce que la fureur d'enthousiasme,
qui n'est guère que dans les sectes naissantes, était passée. Ils étaient
riches par le commerce. Soit qu'on en voulût à leurs opinions ou à leurs
biens, on fit contre eux des Édits sévères, qui furent exécutés avec
cruauté. La persécution leur rendit leur premier fanatisme. On en fit
périr des milliers dans les supplices. Le reste désespéré se révolta. Il
en passa plus de 40000 chez les Musulmans, et ces Manichéens auparavant
si tranquilles, devinrent des ennemis irréconciliables, qui joints aux
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