Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 3

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Ravenne, Boulogne, Incola, Fuenza, Forli, Ferrare, Rimini, Pezaro, Ancone,
Urbin; Rome n'y fut pas comprise, et l'Évêque n'osa pas s'emparer de la
Capitale de son Souverain. Le peuple alors ne l'eût pas souffert, tant le
nom de Rome et ses débris imprimaient encore de respect à ses citoyens.
Cet Évêque fut le premier Prêtre Chrétien qui devint Seigneur temporel, et
qu'on pût mettre au rang des Princes; aucun ne le fut jamais en Orient.
Sous les yeux du Maître les sujets restent sujets; mais loin du Souverain
et dans le temps de trouble, il fallait bien que de nouvelles Puissances
s'établissent dans un Pays abandonné; mais il ne faut pas croire que les
Papes jouirent paisiblement de cette donation; non seulement les Terres
furent bientôt reprises par les Lombards, mais lorsqu'ensuite Charlemagne
eut confirmé cette Donation, et ajouté encore tant de nouveaux domaines au
Patrimoine de St. Pierre, les Seigneurs de ces Patrimoines, ou ceux qui
les envahirent, ne regardèrent pas la Donation de Charlemagne comme un
droit incontestable. L'autorité spirituelle des Papes, déjà grande dans
l'Occident qui tenait d'eux la Religion Chrétienne, ne dominait point
ainsi en Orient. Les Papes ne convoquèrent point les six premiers Conciles
Œcuméniques, et dès le VIe Siècle on voit que Jean le Jeûneur, Patriarche
de Constantinople, reconnu pour Saint chez les Grecs, prenait le titre
d'Évêque universel; titre qui semblait permis au Pasteur de la Ville
Impériale. On voit au VIIIe Siècle ce Patriarche se nommer Pape dans
un Acte public. Au IIe Concile de Nicée on appelait ce Patriarche
_Très-Saint Père_. Le Pape était toujours nommé le premier, excepté dans
quelques Actes passés entre lui et le Patriarche à Constantinople; mais
cette primauté purement spirituelle n'avait rien de la Souveraineté; le
Pape était le premier des Évêques, et n'était le maître d'aucun Évêque.


ÉTAT DE L'ÉGLISE EN ORIENT AVANT CHARLEMAGNE.

En Orient les Chefs de la Religion ne pouvant se faire une domination
temporelle, y excitèrent d'autres troubles par ces querelles interminables,
fruit de l'esprit sophistique des Grecs et de leurs Disciples.
Depuis que Constantin eut donné une liberté entière aux Chrétiens auxquels
on ne pouvait plus l'ôter, et dont le parti l'avait mis sur le Trône,
cette liberté était devenue une source intarissable de querelles; car le
Fondateur de la Religion n'ayant rien écrit, et les hommes voulant tout
savoir, chaque mystère fit naître des opinions, et chaque opinion coûta du
sang.
Fallut-il décider si le Fils était consubstantiel au Père? le Monde
Chrétien fut partagé, et la moitié persécuta l'autre. Voulut-on savoir si
la Mère de Jésus-Christ était la Mère de Dieu, ou de Jésus? si le Christ
avait deux natures et deux volontés dans une même personne, ou deux
personnes et une volonté, ou une volonté et une personne? Toutes ces
disputes nées dans Constantinople, dans Antioche, dans Alexandrie,
excitèrent des séditions. Un parti anathématisait l'autre, la faction
dominante condamnait à l'exil, à la prison, à la mort, et aux peines
éternelles après la mort l'autre faction qui se vengeait à son tour par
les mêmes armes.
De pareils troubles n'avaient point été connus dans le Paganisme, la
raison en est que les Païens dans leurs erreurs grossières, n'avaient point
de dogmes, et que les Prêtres des Idoles, encore moins les Séculiers, ne
s'assemblèrent jamais juridiquement pour disputer.
Dans le VIIIe Siècle on agita dans les Églises d'Orient s'il fallait
rendre un culte aux Images. La Loi de Moïse les avait expressément
défendues, cette Loi n'avait jamais été révoquée, et les premiers
Chrétiens pendant plus de 200 ans n'en avaient jamais souffert dans leurs
assemblées.
Peu à peu la coutume s'introduisit partout d'avoir chez soi des Crucifix.
Ensuite on eut les portraits vrais ou faux des Martyrs ou des Confesseurs.
Il n'y avait point encore d'Autels érigés pour les Saints, point de Messes
célébrées en leur nom seulement à la vue d'un Crucifix et de l'image d'un
homme de bien. Le cœur qui surtout dans ces climats a besoin d'objets
sensibles, s'excitait à la vertu.
Cet usage s'introduisit dans les Églises. Quelques Évêques ne l'adoptèrent
pas. On voit qu'en 393 St. Épiphane arracha d'une Église de Syrie une
Image devant laquelle on priait. Il déclara que la Religion Chrétienne ne
permettait pas ce culte, et la sévérité ne causa point de Schisme.
Enfin cette pratique pieuse dégénéra en abus, comme toutes les choses
humaines. Le Peuple toujours grossier ne distingua point Dieu et les
Images. Bientôt on en vint jusqu'à leur attribuer des vertus et des
miracles. Chaque Image guérissait une maladie. On les mêla même aux
Sortilèges, qui ont presque toujours séduit la crédulité du Vulgaire.
Je dis non seulement le vulgaire du Peuple, mais celui des Princes et
des Savants.
En 727 l'Empereur Léon l'Isaurien voulut, à la persuasion de quelques
Évêques, déraciner l'abus; mais par un abus encore plus grand, il
fit effacer toutes les peintures. Il abattit les statues et les
représentations de JÉSUS-CHRIST et des Saints, en ôtant ainsi tout d'un
coup aux Peuples les objets de leur culte; il les révolta, on désobéit,
il persécuta, il devint Tyran, parce qu'il avait été imprudent.
Son Fils Constantin Copronime fit passer en Loi Civile et Ecclésiastique
l'abolition des Images. Il tint à Constantinople un Concile de 338 Évêques;
ils proscrivirent d'une commune voix ce culte reçu dans plusieurs Églises,
et surtout à Rome.
Cet Empereur eût voulu abolir aussi aisément les Moines, qu'il avait
en horreur, et qu'il n'appelait que les abominables; mais il ne put y
réussir: ces Moines déjà fort riches défendirent plus habilement leurs
biens, que les Images de leurs Saints.
Le Pape Grégoire III et ses successeurs, ennemis secrets des Empereurs,
et opposés ouvertement à leur doctrine, ne lancèrent pourtant point
ces sortes d'excommunications, depuis si fréquemment et si légèrement
employées. Mais soit que ce vieux respect pour les successeurs des Césars
contînt encore les Métropolitains de Rome, soit plutôt qu'ils vissent
combien ces excommunications, ces interdits et dispenses du serment de
fidélité seraient méprisés dans Constantinople, où l'Église Patriarcale
s'égalait au moins à celle de Rome, les Papes se contentèrent d'un Concile
en 732, où l'on décida que tout ennemi des Images serait excommunié,
sans rien de plus, et sans parler de l'Empereur. Il paraît que les Papes
songèrent plutôt à négocier qu'à disputer, et qu'en agissant aux dehors en
Évêques fermes, mais modérés, ils se conduisirent en vrais politiques, et
préparèrent la révolution d'Occident.


RENOUVELLEMENT DE L'EMPIRE EN OCCIDENT.

Le Royaume de Pépin s'étendait du Rhin aux Pyrénées et aux Alpes;
Charlemagne son fils aîné recueillit cette succession toute entière car
un de ses frères était mort après le partage, et l'autre s'était fait
Moine auparavant au Monastère de St. Sylvestre. Une espèce de piété qui
se mêlait à la barbarie de ces temps, enferma plus d'un Prince dans le
Cloître; ainsi Rachis Roi des Lombards, Carloman frère de Pépin, un Duc
d'Aquitaine, avaient pris l'habit de Bénédictin. Il n'y avait presque
alors que cet Ordre dans l'Occident. Les Couvents étaient riches,
puissants, respectés. C'étaient des asiles honorables pour ceux qui
cherchaient une vie paisible. Bientôt après ces asiles furent les prisons
des Princes détrônés.
Pépin n'avait pas à beaucoup près le domaine direct de tous ces États:
l'Aquitaine, la Bavière, la Provence, la Bretagne Pays nouvellement
conquis, rendaient hommage et payaient tribut.
Deux Voisins pouvaient être redoutables à ce vaste État, les Germains
Septentrionaux et les Sarrasins. L'Angleterre, conquise par les
Anglo-Saxons partagée en sept dominations, toujours en guerre avec
l'Albanie qu'on nomme Écosse, et avec les Danois, était sans politique
et sans puissance. L'Italie faible et déchirée n'attendait qu'un nouveau
Maître qui voulût s'en emparer.
Les Germains Septentrionaux étaient alors appelés Saxons. On connaissait
sous ce nom tous ces Peuples qui habitaient les bords du Weser et ceux de
l'Elbe, de Hambourg à la Moravie, et de Mayence à la Mer Baltique. Ils
étaient Païens, ainsi que tout le Septentrion. Leurs Mœurs et leurs Lois
étaient les mêmes que du temps des Romains. Chaque Canton se gouvernait en
République, mais ils élisaient un Chef pour la Guerre. Leurs Lois étaient
simples comme leurs mœurs: leur Religion grossière: ils sacrifiaient dans
les grands dangers, des hommes à la Divinité, ainsi que tant d'autres
Nations; car c'est le caractère des Barbares, de croire la Divinité
malfaisante, les hommes font Dieu à leur image. Les Français, quoique
déjà Chrétiens, eurent sous Théodebert cette superstition horrible, ils
immolèrent des victimes humaines en Italie au rapport de Procope, et les
Juifs avaient commis quelquefois ces sacrilèges par piété. D'ailleurs ces
Peuples cultivaient la justice, ils mettaient leur gloire et leur bonheur
dans la liberté. Ce sont eux qui sous le nom de Cattes, de Chéruskes et de
Bructéres avaient vaincu Varus, et que Germanicus avait ensuite défait.
Une partie de ces Peuples vers le Ve Siècle appelée par les Bretons
insulaires contre les habitants de l'Écosse, subjugua la Bretagne qui
touche à l'Écosse, et lui donna le nom d'Angleterre. Ils y avaient déjà
passé au IIIe Siècle; car au temps de Constantin les côtes de cette Île
étaient appelées les Côtes Saxoniques.
Charlemagne, le plus ambitieux, le plus politique et le plus grand
guerrier de son Siècle, fit la guerre aux Saxons trente années avant de
les assujettir pleinement. Leur Pays n'avait point encore ce qui tente
aujourd'hui la cupidité des Conquérants. Les riches Mines de Goflar,
dont on a tiré tant d'argent, n'étaient point découvertes, elles ne le
furent que sous Henri l'Oiseleur. Point de richesses accumulées par une
longue industrie, nulle Ville digne de l'ambition d'un Usurpateur. Il ne
s'agissait que d'avoir pour esclaves des millions d'hommes qui cultivaient
la terre sous un climat triste, qui nourrissaient leurs troupeaux, et qui
ne voulaient point de Maîtres.
Ils étaient mal armés; car je vois dans les Capitulaires de Charlemagne
une défense rigoureuse de vendre des cuirasses aux Saxons. Cette
différence des armes, jointe à la discipline, avait rendu les Romains
vainqueurs de tant de Peuples, elle fit triompher enfin Charlemagne.
Le Général de la plupart de ces Peuples était ce fameux Vitiking, dont on
fait aujourd'hui descendre les principales Maisons de l'Empire; Homme tel
qu'Arminius, mais qui eut enfin plus de faiblesse. Charles prend d'abord
la fameuse Bourgade d'Eresbourg; car ce lieu ne méritait ni le nom de
Ville, ni celui de Forteresse. Il fait égorger les habitants. Il y pille
et rase ensuite le principal Temple du Pays, élevé autrefois au Dieu
_Tanfana_, Principe universel, et dédié alors au Dieu Irminsul; Temple
révéré en Saxe comme celui de Sion chez les Juifs. On y massacra les
Prêtres sur les débris de l'Idole renversée. On pénétra jusqu'au Weser
avec l'armée victorieuse. Tous ces Cantons se soumirent. Charlemagne
voulut les lier à son joug par le Christianisme, tandis qu'il court
à l'autre bout de ses États à d'autres conquêtes, il leur laisse des
Missionnaires pour les persuader, et des soldats pour les forcer. Presque
tous ceux qui habitaient vers le Weser, se trouvèrent en un an Chrétiens
et esclaves.
Vitiking retiré chez les Danois qui tremblaient déjà pour leur liberté
et pour leurs Dieux, revient au bout de quelques années. Il ranime ses
compatriotes, il les rassemble. Il trouve dans Brème, Capitale du Pays
qui porte ce nom, un Évêque, une Église, et ses Saxons désespérés, qu'on
traîne à des autels nouveaux. Il chasse l'Évêque, qui a le temps de fuir
et de s'embarquer. Il détruit le Christianisme, qu'on n'avait embrassé
que par la force. Il vient jusqu'auprès du Rhin suivi d'une multitude de
Germains. Il bat les Lieutenants de Charlemagne.
Ce Prince accourt. Il défait à son tour Vitiking, mais il traite de
révolte cet effort courageux de liberté. Il demande aux Saxons tremblants
qu'on lui livre leur Général, et sur la nouvelle qu'ils l'ont laissé
retourner en Danemark, il fait massacrer 4500 prisonniers au bord de la
petite Rivière d'Aire. Si ces prisonniers avaient été des sujets rebelles,
un tel châtiment aurait été une sévérité horrible; mais traiter ainsi
des hommes qui combattaient pour leur liberté et pour leurs lois, c'est
l'action d'un Brigand, que d'illustres succès et des qualités brillantes
ont d'ailleurs fait Grand-homme.
Il fallut encore trois victoires avant d'accabler ces Peuples sous le
joug. Enfin le sang cimenta le Christianisme et la Servitude. Vitiking
lui-même lassé de ses malheurs fut obligé de recevoir le baptême, et de
vivre désormais tributaire de son Vainqueur. Le Roi pour mieux s'assurer
du Pays, transporta des Colonies Saxonnes jusqu'en Italie, et établit des
Colonies de Francs dans les terres des vaincus, mais il joignit à cette
politique sage la cruauté de faire poignarder par des espions les Saxons
qui voulaient retourner à leur culte. Souvent les Conquérants ne sont
cruels que dans la guerre. La paix amène des mœurs et des lois plus
douces. Charlemagne au contraire fit des lois qui tenaient de l'inhumanité
de ses conquêtes.
Ayant vu comment ce Conquérant traita les Allemands idolâtres, voyons
comment il se conduisit avec les Mahométans d'Espagne. Il arrivait déjà
parmi eux ce qu'on vit bientôt après, en Allemagne, en France et en
Italie. Les Gouverneurs se rendaient indépendants. Les Émirs de Barcelone
et ceux de Saragosse s'étaient mis sous la protection de Pépin. L'Émir de
Saragosse en 778 vient jusqu'à Paderborne prier Charlemagne de le soutenir
contre son Souverain. Le Prince Français prit le parti de ce Musulman,
mais il se donna bien garde de le faire Chrétien. D'autres intérêts,
d'autres soins. Il s'allie avec des Sarrasins contre des Sarrasins; mais
après quelques avantages sur les frontières d'Espagne, son arrière-garde
est défaite à Roncevaux, vers les montagnes des Pyrénées par les Chrétiens
mêmes de ces montagnes, mêlés aux Musulmans. C'est là que périt Roland son
neveu. Ce malheur est l'origine de ces fables qu'un Moine écrivit au IIe
Siècle, sous le nom de l'Archevêque Turpin, et qu'ensuite l'imagination de
l'Arioste a embellies. On ne sait point en quel temps Charles essuya cette
disgrâce, et on ne voit point qu'il ait tiré vengeance de sa défaite.
Content d'assurer ses frontières contre des ennemis trop aguerris, il
n'embrasse que ce qu'il peut retenir, et règle son ambition sur les
conjonctures qui la favorisent.
C'est à Rome et à l'Empire d'Occident que cette ambition aspirait.
La puissance des Rois de Lombardie était le seul obstacle; l'Église de
Rome et toutes les Églises sur lesquelles elle influait, les Moines déjà
puissants, les Peuples déjà gouvernés par eux, tout appelait Charlemagne
à l'Empire de Rome. Le Pape Adrien né Romain, homme d'un génie adroit et
ferme, aplanit la route. D'abord il l'engage à répudier la fille du Roi
Lombard Didier, et Charlemagne la répudie après un an de mariage, sans
en donner d'autre raison, sinon qu'elle ne lui plaisait pas. Didier qui
voit cette union fatale du Roi et du Pape contre lui, prend un parti,
courageux. Il veut surprendre Rome et s'assurer de la personne du Pape,
mais l'Évêque habile fait tourner la guerre en négociation. Charles envoie
des Ambassadeurs pour gagner du temps. Enfin il passe les Alpes, une
partie des troupes de Didier l'abandonne. Ce Roi malheureux s'enferme dans
Pavie sa Capitale, Charlemagne l'y assiège au milieu de l'hiver. La Ville
réduite à l'extrémité se rend après un siège de six mois. Didier pour
toute condition obtient la vie. Ainsi finit ce Royaume des Lombards qui
avaient détruit en Italie la puissance Romaine, et qui avaient substitué
leurs lois à celles des Empereurs. Didier le dernier de ces Rois fut
conduit en France dans le Monastère de Corbie, où il vécut et mourut
captif et Moine, tandis que son fils allait inutilement demander des
secours dans Constantinople à ce fantôme d'Empire Romain détruit en
Occident par ses ancêtres. Il faut remarquer que Didier ne fut pas le
seul Souverain que Charlemagne enferma, il traita ainsi un Duc de Bavière
et ses enfants.
Charlemagne n'osait pas encore se faire Souverain de Rome. Il ne prit que
le titre de Roi d'Italie, tel que le portaient les Lombards. Il se fit
couronner comme eux dans Pavie d'une couronne de fer qu'on garde encore
dans la petite Ville de Monza. La justice s'administrait toujours à
Rome au nom de l'Empereur Grec. Les Papes même recevaient de lui la
confirmation de leur élection. Charlemagne prenait seulement ainsi que
Pépin le titre de _Patrice_, que Théodoric et Attila avaient aussi daigné
prendre; ainsi ce nom d'Empereur, qui dans son origine ne désignait qu'un
Général d'armée, signifiait encore le Maître de l'Orient et de l'Occident.
Tout vain qu'il était, on le respectait, on craignait de l'usurper, on
n'affectait que celui de _Patrice_, qui autrefois voulait dire Sénateur
Romain.
Les Papes déjà très puissants dans l'Église, très-grands Seigneurs à Rome
et Princes temporels dans un petit Pays, n'avaient dans Rome même qu'une
autorité précaire et chancelante. Le Préfet, le Peuple, le Sénat, dont
l'ombre subsistait, s'élevaient souvent contre eux. Les inimitiés des
familles qui prétendaient au Pontificat, remplissaient Rome de confusion.
Les deux neveux d'Adrien conspirèrent contre Léon III son successeur,
élu Pape selon l'usage par le Peuple et le Clergé Romain. Ils l'accusent
de beaucoup de crimes, ils animent les Romains contre lui: on traîne en
prison, on accable de coups à Rome celui qui était si respecté partout
ailleurs. Il s'évade, il vient se jeter aux genoux du Patrice Charlemagne
à Paderborne. Ce Prince qui agissait déjà en maître absolu, le renvoya
avec une escorte et des Commissaires pour le juger. Ils avaient ordre
de le trouver innocent. Enfin Charlemagne, maître de l'Italie comme de
l'Allemagne et de la France, juge du Pape, arbitre de l'Europe vient à
Rome en 801. Il se fait reconnaître et couronner Empereur d'Occident,
titre qui était éteint depuis près de 500 années.
Alors régnait en Orient cette Impératrice Irène, fameuse par son courage
et par ses crimes, qui avait fait mourir son fils unique, après lui avoir
arraché les yeux. Elle eût voulu prendre Charlemagne; mais trop faible
pour lui faire la guerre, elle voulut l'épouser et réunir ainsi les deux
Empires. Tandis qu'on ménageait ce mariage, une révolution chassa Irène
d'un trône qui lui avait tant coûté. Charles n'eut donc que l'Empire
d'Occident. Il ne posséda presque rien dans les Espagnes; car il ne faut
pas compter pour domaine le vain hommage de quelques Sarrasins. Il n'avait
rien sur les côtes d'Afrique, tout le reste était sous sa domination.
S'il eût fait de Rome sa Capitale, si ses Successeurs y eussent fixé
leur principal séjour, et surtout si l'usage de partager ses États à ses
enfants n'eût point prévalu chez les Barbares, il est vraisemblable qu'on
eût vu renaître l'Empire Romain. Tout concourut depuis à démembrer ce
vaste corps, que la valeur et la fortune de Charlemagne avait formé, mais
rien n'y contribua plus que ses descendants.
Il n'avait point de Capitale, seulement Aix-la-Chapelle était le séjour
qui lui plaisait le plus. Ce fut-là qu'il donna des audiences avec
le faste le plus imposant aux Ambassadeurs des Califes et à ceux de
Constantinople. D'ailleurs il était toujours en guerre ou en voyage, ainsi
que vécut Charlequint longtemps après lui. Il partagea ses États et même
de son vivant, comme tous les Rois de ce temps-là.
Mais enfin quand de ses fils qu'il avait désignés pour régner, il n'y
resta plus que ce Louis si connu sous le nom de _Débonnaire_, auquel il
avait déjà donné le Royaume d'Aquitaine, il l'associa à l'Empire dans
Aix-la-chapelle et lui commanda de prendre lui-même sur l'autel la
Couronne Impériale, pour faire voir au monde que cette Couronne n'était
due qu'à la valeur du Père et au mérite du fils, et comme s'il eût
pressenti qu'un jour les Ministres de l'autel voudraient disposer de ce
diadème.
Il avait raison de déclarer son fils Empereur de son vivant; car cette
Dignité acquise par la fortune de Charlemagne, n'était point assurée au
fils par le droit d'héritage; mais en laissant l'Empire à Louis, et en
donnant l'Italie à Bernard fils de son fils Pépin, ne déchirait-il pas
lui-même cet Empire qu'il voulait conserver à sa postérité? N'était-ce pas
armer nécessairement ses successeurs les uns contre les autres? Était-il à
présumer que le neveu Roi d'Italie obéirait à son oncle Empereur, ou que
l'Empereur voudrait bien n'être pas le Maître en Italie?
Il paraît que dans les dispositions de sa famille, il n'agit ni en Roi
ni en Père; Partager les États, est-il d'un sage Conquérant? Et puisqu'il
les partageait, laisser trois autres enfants sans aucun héritage, à la
discrétion de Louis, était-il d'un Père juste?
Il est vrai qu'on a cru que ces trois enfants ainsi abandonnés, nommés
Drogon, Thierri et Hugues, étaient bâtards; mais on l'a cru sans preuve.
D'ailleurs les enfants des concubines héritaient alors. Le grand Charles
Martel était bâtard, et n'avait point été déshérité.
Quoi qu'il en soit, Charlemagne mourut en 813, avec la réputation d'un
Empereur aussi heureux qu'Auguste, aussi guerrier qu'Adrien, mais non tel
que les Trajans et les Antonins, auxquels nul Souverain n'a été comparable.
Il y avait alors en Orient un Prince qui l'égalait en gloire comme en
puissance; c'était le célèbre Calife Aaron Rachild, qui le surpassa
beaucoup en justice, en science, en humanité.
J'ose presque ajouter à ces deux hommes illustres le Pape Adrien, qui dans
un rang moins élevé, dans une fortune presque privée, et avec des vertus
moins héroïques, montra une prudence à laquelle ses successeurs ont dû
leur agrandissement.
La curiosité des hommes qui pénètre dans la vie privée des Princes, a
voulu savoir jusqu'au détail de la vie de Charlemagne et au secret de ses
plaisirs. On a écrit qu'il avait poussé l'amour des femmes jusqu'à jouir
de ses propres filles. On en a dit autant d'Auguste: mais qu'importe au
Genre-humain le détail de ces faiblesses, qui n'ont influé en rien sur les
affaires publiques!
J'envisage son règne par un endroit plus digne de l'attention d'un
citoyen. Les Pays qui composent aujourd'hui la France et l'Allemagne
jusqu'au Rhin, furent tranquilles pendant près de cinquante ans, et
l'Italie pendant treize, depuis l'avènement à l'Empire. Point de
révolution en France, point de calamité pendant ce demi-Siècle, qui par
là est unique. Un bonheur si long ne suffit pas pourtant pour rendre aux
hommes la Politesse et les Arts. La rouille de la Barbarie était trop
forte, et les Âges suivants l'épaissirent encore.


DES USAGES DU TEMPS DE CHARLEMAGNE

Je m'arrête à cette célèbre époque pour considérer les Usages, les Lois,
la Religion, les Mœurs, l'Esprit qui régnaient alors.
J'examine d'abord l'Art de la guerre, par lequel Charlemagne établit cette
puissance que perdirent ses enfants.
Je trouve peu de nouveaux règlements, mais une grande fermeté à faire
exécuter les anciens. Voici à peu près les lois en usage, que sa valeur
fit servir à tant de succès, et que sa prudence perfectionna.
Des Ducs amovibles gouvernaient les Provinces, et levaient les troupes à
peu près comme aujourd'hui les Beglierbeis des Turcs. Ces Ducs avaient été
institués en Italie par Dioclétien. Les Comtes dont l'origine me paraît
du temps de Théodose, commandaient sous les Ducs, et assemblaient les
troupes, chacun dans son Canton. Les Métairies, les Bourgs, les Villages
fournissaient un nombre de soldats proportionné à leurs forces. Douze
Métairies donnaient un cavalier armé d'un casque et d'une cuirasse, les
autres soldats n'en portaient point, mais tous avaient le bouclier carré
long, la hache d'armes, le javelot et l'épée. Ceux qui se servaient de
flèches, étaient obligés d'en avoir au moins douze dans leur carquois.
Leur habit me paraît ressembler à celui des troupes Prussiennes
d'aujourd'hui. La Province qui fournissait la milice, lui distribuait du
blé et les provisions nécessaires pour six mois, le Roi en fournissait
pour le reste de la campagne. On faisait la revue au premier de Mars ou
au premier de Mai. C'est d'ordinaire dans ces temps qu'on tenait les
Parlements. Dans les sièges de Ville on employait le bélier, la baliste,
la tortue, et la plupart des machines des Romains. Les Seigneurs nommés
Barons, leudes richeomes, composaient avec leurs suivants le peu de
cavalerie qu'on voyait alors dans les armées. Les Musulmans d'Afrique
et d'Espagne avaient plus de cavaliers.
Charles avait des forces navales aux embouchures de toutes les grandes
Rivières de son Empire; avant lui on ne les connaissait pas chez les
Barbares, après lui on les ignora longtemps. Par ce moyen et par la police
guerrière il arrêta ces inondations des peuples du Nord, il les contint
dans leurs climats glacés, mais sous ses faibles descendants ils se
répandirent dans l'Europe.
Les affaires générales se réglaient dans des assemblées, qui
représentaient la Nation. Sous lui ses Parlements n'avaient d'autre volonté
que celle d'un Maître qui savait commander et persuader.
Il fit fleurir le Commerce, parce qu'il était le Maître des Mers;
ainsi les Marchands des Côtes de Toscane, et ceux de Marseille allaient
trafiquer à Constantinople chez les Chrétiens et au Port d'Alexandrie chez
les Musulmans, qui les recevaient, et dont ils tiraient les richesses de
l'Asie.
Venise et Gênes, si puissantes depuis par le Négoce, n'attiraient pas
encore à elles les richesses des Nations; mais Venise commençait à
s'enrichir et à s'agrandir. Rome, Ravenne, Milan, Lyon, Arles, Tours,
avaient beaucoup de Manufactures d'Étoffes de laine. On damasquinait le
Fer à l'exemple de l'Asie. On fabriquait le Verre, mais les Étoffes de
Soie n'étaient tissées dans aucune Ville de l'Empire d'Occident.
Les Vénitiens commençaient à les tirer de Constantinople, mais ce ne fut
que près de quatre cents ans après Charlemagne que les Princes Normands
établirent à Palerme une Manufacture de Soie. Le Linge était peu commun.
Saint Boniface dans une Lettre à un Évêque d'Allemagne, lui mande qu'il
lui envoie du drap à longs poils pour se laver les pieds. Probablement ce
manque de linge était la cause de toutes ces maladies de la peau, connues
sous le nom de _lèpre_, si générales alors; car les Hôpitaux nommés
_Léproseries_ étaient déjà très nombreux.
La Monnaie avait à peu près la même valeur que celle de l'Empire Romain
depuis Constantin. Le Sou d'or était le _solidum romanum_. Ce sou d'or
équivalait à quarante deniers d'argent. Ces deniers tantôt plus forts,
tantôt plus faibles, pesaient l'un portant l'autre trente grains.
Le sou d'or vaudrait aujourd'hui 1740 environ quinze francs, le denier
d'argent trente sous de compte.
Il faut toujours en lisant les Histoires, se ressouvenir qu'outre ces
monnaies réelles d'or et d'argent, on se servait dans le calcul d'une
autre dénomination. On s'exprimait souvent en monnaie de compte, monnaie
fictive, qui n'était comme aujourd'hui qu'une manière de compter.
Les Asiatiques et les Grecs comptaient par Mines et par Talens; les
Romains par grands Sesterces, sans qu'il y eût aucune monnaie qui valût un
grand sesterce ou un talent.
La Livre numéraire du temps de Charlemagne, était réputée le poids d'une
livre d'argent de douze onces. Cette livre se divisait numériquement comme
aujourd'hui en vingt parties. Il y avait à-la-vérité des sous d'argent
semblables à nos écus, dont chacun pesait la 20. ou 22. ou 24. partie
d'une livre de douze onces, et ce sou se divisait comme le nôtre en douze
deniers. Mais Charlemagne ayant ordonné que le sou d'argent serait
précisément la 20. partie de douze onces, on s'accoutuma à regarder dans
les comptes numéraires 20 sous pour une livre.
Pendant deux Siècles les Monnaies restèrent sur le pied où Charlemagne
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