Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 8

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à l'âge de 18 ans par le crédit de sa famille. Il prit le nom de Jean XII
en mémoire de Jean XI son oncle. C'est le premier Pape qui ait changé son
nom à son avènement au Pontificat. Il n'était point dans les Ordres quand
sa famille le fit Pontife. C'était un jeune-homme qui vivait en Prince,
aimant les armes et les plaisirs. On s'étonne que sous tant de Papes
si scandaleux et si peu puissants, l'Église Romaine ne perdit ni ses
prérogatives, ni ses prétentions; mais alors presque toutes les autres
Églises étaient ainsi gouvernées. Le Clergé d'Italie pouvait mépriser les
Papes, mais il respectait la Papauté, d'autant plus qu'ils y aspiraient;
enfin dans l'opinion des hommes la place était sacrée, quand la personne
était exécrable.
Pendant que Rome et l'Église étaient ainsi déchirées, Bérenger qu'on
appelle _le Jeune_, disputait l'Italie à Hugues d'Arles. Les Italiens,
comme le dit Luitprand contemporain, voulaient toujours avoir deux Maîtres
pour n'en avoir réellement aucun: fausse et malheureuse politique, qui
les faisait changer de tyrans et de malheurs. Tel était l'État déplorable
de ce beau Pays, lorsqu'Othon le Grand y fut appelé par les plaintes de
presque toutes les Villes, et même par ce jeune Pape Jean XII réduit à
faire venir les Allemands qu'il ne pouvait souffrir.


SUITE DE L'EMPIRE D'OTHON ET DE L'ÉTAT DE L'ITALIE

Othon entra en Italie, et il s'y conduisit comme Charlemagne. Il vainquit
Bérenger, qui en affectait la Souveraineté. Il se fit sacrer et couronner
Empereur des Romains par les mains du Pape, prit le nom de César et
d'Auguste, et obligea le Pape à lui faire serment de fidélité sur le
tombeau dans lequel on dit que repose le corps de St. Pierre. On dressa un
instrument authentique de cet Acte. Le Clergé et la Noblesse Romaine se
soumettent à ne jamais élire de Pape qu'en présence des Commissaires de
l'Empereur. Dans cet Acte Othon confirme les donations de Pépin, de
Charlemagne, de Louis le Débonnaire, «sauf en tout notre puissance, dit-il,
et celle de notre fils et de nos descendants». Cet Instrument écrit en
lettres d'or, souscrit par sept Évêques d'Allemagne, cinq Comtes, deux
Abbés et plusieurs Prélats Italiens, est gardé encore au Château Saint
Ange; la date est du 13 Février 962.
On dit, et Mézéray le dit après d'autres, que Lothaire Roi de France et
Hugues Capet depuis Roi, assistèrent à ce couronnement. Les Rois de France
étaient en effet alors si faibles, qu'ils pouvaient servir d'ornement au
Sacre d'un Empereur; mais le nom de Lothaire et de Hugues Capet ne se
trouve pas dans les signatures de cet Acte.
Le Pape s'étant ainsi donné un Maître, quand il ne voulait qu'un
Protecteur, lui fut bientôt infidèle. Il se ligua contre l'Empereur avec
Bérenger même, réfugié chez des Mahométans qui venaient de se cantonner
sur les côtes de Provence. Il fit venir le fils de Bérenger à Rome, tandis
qu'Othon était à Pavie. Il envoya chez les Hongrois pour les solliciter à
rentrer en Allemagne, mais il n'était pas assez puissant pour soutenir
cette action hardie, mais l'Empereur l'était assez pour le punir.
Othon revint donc de Pavie à Rome, et s'étant assuré de la Ville, il tint
un Concile, dans lequel il fit juridiquement le procès au Pape. Au lieu de
le juger militairement, on assembla les Seigneurs Allemands et Romains,
40 Évêques, 17 Cardinaux dans l'Église de Saint Pierre, et là en présence
de tout le peuple on accusa le Saint Père d'avoir joui de plusieurs femmes,
et surtout d'une nommée Étiennette, qui était morte en couche. Les autres
chefs d'accusation étaient d'avoir fait Évêque de Tody un enfant de dix
ans, d'avoir vendu les Ordinations et les Bénéfices, d'avoir fait crever
les yeux à son parrain, d'avoir châtré un Cardinal, et ensuite de l'avoir
fait mourir; enfin de ne pas croire en JÉSUS-CHRIST, et d'avoir invoqué le
Diable: deux choses qui semblent se contredire. On mêlait donc, comme il
arrive presque toujours, de fausses accusations à de véritables; mais on
ne parla point du tout de la seule raison pour laquelle le Concile était
assemblé. L'Empereur craignait sans doute de réveiller cette révolte et
cette conspiration dans laquelle les accusateurs même du Pape avaient
trempé. Ce jeune Pontife qui avait alors vingt-sept ans, parut déposé pour
ses incestes et ses scandales, et le fut en effet pour avoir voulu ainsi
que tous les Romains, détruire la puissance Allemande dans Rome.
Othon ne put se rendre maître de sa personne, ou s'il le put, il fit une
faute en le laissant libre. À peine avait-il fait élire le Pape Léon VIII
qui, si l'on en croit le discours d'Arnoud Évêque d'Orléans, n'était ni
Ecclésiastique, ni même Chrétien. À peine en avait-il reçu l'hommage, et
avait-il quitté Rome, dont probablement il ne devait pas s'écarter, que
Jean XII eut le courage de faire soulever les Romains, et opposant alors
Concile à Concile, on déposa Léon VIII. On ordonna que jamais l'inférieur
ne pourrait ôter le rang à son supérieur.
Le Pape par cette décision n'entendait pas seulement, que jamais les
Évêques et les Cardinaux ne pourraient déposer le Pape, mais on désignait
aussi l'Empereur, que les Évêques de Rome regardaient toujours comme un
séculier, qui devait à l'Église l'hommage et les serments qu'il exigeait
d'elle. Le Cardinal nommé Jean, qui avait écrit et lu les accusations
contre le Pape, eut la main droite coupée. On arracha la langue, on coupa
le nez et deux doigts à celui qui avait servi de Greffier au Concile de
déposition.
Au reste dans tous ces Conciles où présidaient la faction et la vengeance,
on citait toujours l'Évangile et les Pères, on implorait les lumières du
Saint Esprit, on parlait en son nom, on faisait même des règlements utiles;
et qui lirait ces Actes sans connaître l'Histoire, croirait lire les
Actes des Saints.
Tout cela se faisait presque sous les yeux de l'Empereur; et qui sait
jusqu'où le courage et le ressentiment du jeune Pontife, le soulèvement
des Romains en sa faveur, la haine des autres Villes d'Italie contre les
Allemands, eussent pu porter cette révolution? Mais le Pape Jean XII fut
assassiné trois mois après, entre les bras d'une femme mariée par les
mains du mari qui vengeait sa honte. (964)
Il avait tellement animé les Romains, qu'ils osèrent, même après sa mort,
soutenir un siège, et ne se rendirent qu'à l'extrémité. Othon deux fois
vainqueur de Rome, fut le maître de l'Italie comme de l'Allemagne.
Le Pape Léon créé par lui, le Sénat, les principaux du Peuple, le Clergé
de Rome solennellement assemblés dans Saint Jean de Latran, confirmèrent
à l'Empereur le droit de se choisir un Successeur au Royaume d'Italie,
d'établir le Pape et de donner l'investiture aux Évêques. Après tant de
Traités et de serments formés par la crainte, il fallait des Empereurs qui
demeurassent à Rome pour les faire observer.
À peine l'Empereur Othon était retourné en Allemagne, que les Romains
voulurent être libres. Ils mirent en prison leur nouveau Pape, créature
de l'Empereur. Le Préfet de Rome, les Tribuns, le Sénat, voulurent faire
revivre les anciennes lois; mais ce qui dans un temps est une entreprise
de héros, devient dans d'autres une révolte de séditieux. Othon revole en
Italie, fait pendre une partie du Sénat, et le Préfet de Rome qui avait
voulu être un Brutus, fut fouetté dans les carrefours, promené nu sur un
âne, et jeté dans un cachot, où il mourut de faim.
Tel fut à peu près l'état de Rome sous Othon le Grand, Othon II et
Othon III. Les Allemands tenaient les Romains subjugués, et les Romains
brisaient leurs fers dès qu'ils le pouvaient.
Un Consul nommé Crescentius, fils du Pape Jean X et de la fameuse Marozie,
prenant avec ce titre de Consul la haine de la Royauté, arma Rome contre
Othon II. Il fit mourir en prison Benoît VI créature de l'Empereur; et
l'autorité d'Othon quoiqu'éloigné, ayant dans ces troubles donné la Chaire
Romaine au Chancelier de l'Empire en Italie, qui fut Pape sous le nom de
Jean XIV ce malheureux Pape fut une nouvelle victime que le Parti Romain
immola. Le Pape Boniface VIII créature du Consul Crescentius déjà souillé
du sang de Benoît VI fit encore périr Jean XIV. Les temps de Caligula, de
Néron, de Vitellius, ne produisirent ni des infortunes plus déplorables,
ni de plus grandes barbaries; mais les horreurs de ces Papes sont obscures
comme eux. Ces tragédies sanglantes se jouaient sur le théâtre de Rome,
mais petit et ruiné; et celles des Césars avaient pour théâtre le Monde
connu.
Crescentius maintint quelque temps l'ombre sur la République Romaine.
Il chassa du siège Pontifical Grégoire IV neveu de l'Empereur Othon III.
Mais enfin Rome fut encore assiégée et prise. Crescentius attiré hors du
Château Saint Ange sur l'espérance d'un accommodement et sur la foi des
serments de l'Empereur, eut la tête tranchée. Son corps fut pendu par les
pieds, et le nouveau Pape élu par les Romains, sous le nom de Jean XV
eut les yeux crevés et le nez coupé. On le jetta en cet état du haut du
Château Saint Ange dans la Place.
Les Romains renouvellèrent alors à Othon III les serments faits à
Othon Ier et à Charlemagne.
Après les trois Othon, ce combat de la domination Allemande, et de
la liberté Italique, resta longtemps dans les mêmes termes. Sous les
Empereurs Henri II de Bavière, Conrad II le Salique, dès qu'un Empereur
était occupé en Allemagne, il s'élevait un parti en Italie. Henri II y
vint comme les Othons dissiper des factions, confirmer aux Papes les
donations des Empereurs, et recevoir les mêmes hommages. Cependant la
Papauté était à l'encan, ainsi que presque tous les autres Évêchés.
Benoît VIII Jean XIX l'achetèrent publiquement l'un après l'autre: ils
étaient frères de la maison des Marquis de Toscane, toujours puissante à
Rome depuis le temps de Marozie.
En 1034, après leur mort, pour perpétuer le Pontificat dans leur maison
on acheta encore les suffrages pour un enfant de douze ans. C'était
Benoît IX qui eut l'Évêché de Rome de la même manière, qu'on voit encore
aujourd'hui tant de familles acheter, mais en secret, des Bénéfices pour
des enfants.
Ce désordre n'eut point de bornes. On vit sous le Pontificat de ce Benoît
IX deux autres Papes élus à prix d'argent, et trois Papes dans Rome
s'excommunier réciproquement; mais par un accord heureux qui étouffa une
guerre civile, ces trois Papes s'accordèrent à partager les revenus de
l'Église, et à vivre en paix, chacun avec sa Maîtresse.
Ce Triumvirat pacifique et singulier ne dura qu'autant qu'ils eurent de
l'argent; et enfin, quand ils n'en eurent plus, chacun vendit sa part de
la Papauté au Diacre Gratien, homme de qualité, fort riche. Mais comme
le jeune Benoît IX avait été élu longtemps avant les deux autres, on lui
laissa par un accord solennel la jouissance du tribut que l'Angleterre
payait alors à Rome, qu'on appelait le _Denier de Saint Pierre_, à quoi
un Roi Danois d'Angleterre, nommé Etelvolft, Edelvolf ou Ethelulfe s'était
soumis en 852.
En 1046, ce Gratien qui prit le nom de Grégoire VI et qui passe pour
s'être conduit très-sagement, jouissait paisiblement du Pontificat,
lorsque l'Empereur Henri III fils de Conrad II le Salique, vint à Rome.
Jamais Empereur n'y exerça plus d'autorité. Il déposa Grégoire VI que les
Romains aimaient, et nomma Pape Suidger son Chancelier Évêque de Bamberg
sans qu'on osât murmurer.
En 1048, après la mort de cet Allemand qui parmi les Papes est appelé
Clément II, l'Empereur qui était en Allemagne, y créa Pape un Bavarois
nommé Popon: c'est Damaze II qui avec le Brevet de l'Empereur alla se
faire reconnaître à Rome. Il le fut malgré ce Benoît IX qui voulait
encore rentrer dans la Chaire Pontificale après l'avoir vendue.
Ce Bavarois étant mort vingt-trois jours après son intronisation,
l'Empereur donna la Papauté à son cousin Brunon de la Maison de Lorraine,
qu'il transféra de l'Évêché de Toul à celui de Rome avec une autorité
absolue.


DE LA FRANCE VERS LE TEMPS DE HUGUES CAPET.

Pendant que l'Allemagne commençait à prendre ainsi une nouvelle forme
d'administration, et que Rome et l'Italie n'en avaient aucune, la France
devenait comme l'Allemagne un Gouvernement entièrement féodal.
Ce Royaume s'étendait des environs de l'Escaut et de la Meuse jusqu'à la
Mer Britannique et des Pyrénées au Rhône. C'était alors ses bornes; car
quoique tant d'Historiens prétendent que ce grand Fief de la France allait
par-delà les Pyrénées jusqu'à l'Ebre, il ne paraît point du tout que les
Espagnols de ces Provinces entre l'Ebre et les Pyrénées fussent soumis au
faible Gouvernement de France en combattant contre les Mahométans.
La France, dans laquelle ni la Provence ni le Dauphiné n'étaient compris,
était un assez grand Royaume, mais il s'en fallait beaucoup que le Roi
de France fût un grand Souverain. Louis, le dernier des descendants de
Charlemagne, n'avait plus pour tout domaine que les Villes de Laon, de
Soissons, et quelques Terres qu'on lui contestait. L'hommage rendu par la
Normandie, ne servait qu'à faire un Roi vassal qui aurait pu soudoyer son
Maître. Chaque Province avait ou ses Comtes ou ses Ducs héréditaires,
celui qui n'avait pu se saisir que de deux ou trois Bourgades, rendait
hommage aux usurpateurs d'une Province; et qui n'avait qu'un Château,
relevait de celui qui avait usurpé une Ville.
Le temps et la nécessité établirent que les Seigneurs des grands Fiefs
marcheraient avec des troupes au secours du Roi. Tel Seigneur devait 40
jours de service, tel autre 25; les arrières-vassaux marchaient aux ordres
de leurs Seigneurs immédiats. Mais si tous ces Seigneurs particuliers
servaient l'État quelques jours, ils se faisaient la guerre entre eux
presque toute l'année. En vain les Conciles, qui dans ces temps de crimes
ordonnèrent souvent des choses justes, avaient réglé qu'on ne se battrait
point depuis le jeudi jusqu'au point du jour du lundi, et dans les temps
de Pâques et dans d'autres solennités, ces règlements n'étant point
appuyés d'une justice coercitive, étaient sans vigueur. Chaque Château
était la Capitale d'un petit État de Brigands, chaque Monastère était en
armes: leurs Avocats qu'on appelait Avoyers, institués dans les premiers
temps pour présenter leurs requêtes au Prince et ménager leurs affaires,
étaient les Généraux de leurs troupes: les Moissons étaient ou brûlées, ou
coupées avant le temps, ou défendues, l'épée à la main: les Villes presque
réduites en solitude, et les Campagnes dépeuplées par de longues famines.
Il semble que ce Royaume sans Chef, sans police, sans ordre, dût être la
proie de l'Étranger; mais une anarchie presque semblable dans tous les
Royaumes, fit sa sûreté; et quand sous les Othons l'Allemagne fut plus à
craindre, les guerres intestines l'occupèrent.
C'est de ces temps barbares que nous tenons l'usage de rendre hommage pour
une Maison et pour un Bourg au Seigneur d'un autre Village. Un Praticien,
un Marchand qui se trouve possesseur d'un ancien Fief, reçoit foi et
hommage d'un autre Fermier ou d'un Pair du Royaume qui aura acheté un
arrière-fief dans sa censive. Les lois de Fiefs ne subsistent plus, mais
ces vieilles coutumes de mouvances, d'hommages, de redevances subsistent
encore: dans la plupart des Tribunaux on admet cette maxime, _nulle Terre
sans Seigneur_, comme si ce n'était pas assez d'appartenir à la Patrie.
Quand la France, l'Italie et l'Allemagne furent ainsi partagées sous un
nombre innombrable de petits Tyrans, les armées dont la principale force
avait été l'Infanterie sous Charlemagne, ainsi que sous les Romains, ne
furent plus que de la Cavalerie. On ne connut plus que les Gens d'armes;
les Gens de pied n'avaient pas ce nom, parce qu'en comparaison des hommes
de cheval ils n'étaient point armés.
Les moindres possesseurs de Chatellenies ne se mettaient en campagne
qu'avec le plus de chevaux qu'ils pouvaient, et le faste consistait alors
à mener avec soi des Écuyers qu'on appela _vaslets_ du mot _vassalet_,
petit vassal. L'honneur étant donc mis à ne combattre qu'à cheval, on prit
l'habitude de porter une armure complète de fer, qui eût accablé un homme
à pied de son poids. Les brassards, les cuissards furent une partie de
l'habillement. On prétend que Charlemagne en avait eu, mais ce fut vers
l'an mille que l'usage en fut commun.
Quiconque était riche devint presqu'invulnérable à la guerre, et c'était
alors qu'on se servit plus que jamais de massues pour assommer ces
Chevaliers que les pointes ne pouvaient percer. Le plus grand commerce
alors fut en cuirasses, en boucliers, en casques ornés de plumes.
Les Paysans qu'on traînait à la guerre, seuls exposés et méprisés,
servaient de pionniers plutôt que de combattants. Les chevaux plus estimés
qu'eux, furent bardés de fer, leur tête fut armée de champfrain.
On ne connut guère alors de lois que celles que les plus puissants
firent pour le service des Fiefs. Tous les autres objets de la justice
distributive furent abandonnés au caprice des Maîtres-d'hôtel, Prévôts,
Baillis, nommés par les possesseurs des Terres.
Les Sénats de ces Villes qui sous Charlemagne et sous les Romains avaient
joui du gouvernement municipal, furent abolis presque partout. Le mot de
_Senior_, _Seigneur_, affecté longtemps à ces principaux du Sénat des
Villes, ne fut plus donné qu'aux possesseurs des Fiefs.
Le terme de Pair commençait alors à s'introduire dans la Langue
Gallo-Tudesque, qu'on parlait en France. Il venait du mot Latin _par_,
qui signifie _égal_ ou _confrère_. On ne s'en était servi que dans ce sens
sous la première et la seconde Race des Rois de France. Les enfants de
Louis le Débonnaire s'appellèrent _pares_ dans une de leurs entrevues
l'an 851; et longtemps auparavant Dagobert donne le nom de _pairs_ à des
Moines. Godegrand, Évêque de Metz du temps de Charlemagne, appelle _Pairs_
des Évêques et des Abbés, ainsi que le marque le savant Du Cange.
Les Vassaux d'un même Seigneur s'accoutumèrent donc à s'appeler _Pairs_.
Alfred le Grand avait établi en Angleterre les Jurés, c'était des Pairs
dans chaque profession. Un homme dans une cause criminelle choisissait
douze hommes de sa profession pour être juges. Quelques Vassaux en France
en usèrent ainsi, mais le nombre des Pairs n'était pas pour cela déterminé
à douze. Il y en avait dans chaque Fief autant que de Barons qui
relevaient du même Seigneur, et qui étaient Pairs entre eux, mais non
Pairs de leur Seigneur féodal.
Les Princes qui rendaient un hommage immédiat à la Couronne, tels que les
Ducs de Guyenne, de Normandie, de Bourgogne, les Comtes de Flandres, de
Toulouse, étaient donc en effet des Pairs de France.
Hugues Capet n'était pas le moins puissant. Il possédait depuis longtemps
le Duché de France, qui s'étendait jusqu'en Touraine. Il était Comte de
Paris. De vastes domaines en Picardie et en Champagne lui donnaient encore
une grande autorité dans ces Provinces. Son frère avait ce qui compose
aujourd'hui le Duché de Bourgogne. Son grand-père Robert le Fort, et son
grand-oncle Eudes ou Odon, avaient tous deux porté la couronne du temps de
Charles le Simple. Hugues son père, surnommé l'Abbé à cause des Abbayes
de St. Denis, de St. Martin de Tours, de St. Germain des Prez, et de tant
d'autres qu'il possédait, avait ébranlé et gouverné la France. Ainsi l'on
peut dire, que depuis l'année 810, où le Roi Eudes commença son règne, sa
Maison a gouverné sans interruption; et que si on excepte Hugues l'Abbé
qui ne voulut pas prendre la Couronne Royale, elle forme une suite de
Souverains de plus de 850 ans, filiation unique parmi les Rois.
On sait comment Hugues Capet, Duc de France, Comte de Paris, enleva la
couronne au Duc Charles oncle du dernier Roi Louis V. Si les suffrages
eussent été libres, le sang de Charlemagne respecté, et le droit de
succession aussi sacré qu'aujourd'hui, Charles aurait été Roi de France.
Ce ne fut point un Parlement de la Nation qui le priva du droit de ses
ancêtres; ce fut ce qui fait et défait les Rois, la force aidée de la
prudence.
Tandis que Louis, ce dernier Roi du Sang Carolingien, était prêt à finir à
l'âge de 23 ans sa vie obscure par une maladie de langueur, Hugues Capet
assemblait déjà ses forces; et loin de recourir à l'autorité d'un
Parlement, il sut dissiper avec des troupes un Parlement qui se tenait
à Compiègne pour assurer la succession à Charles. La lettre de Gerbert,
depuis Archevêque de Reims et Pape sous le nom de Sylvestre II déterrée
par Duchesne, en est un témoignage authentique.
Charles Duc de Brabant et de Hainaut, États qui composaient la basse
Lorraine, succomba sous un rival plus puissant et plus heureux que lui;
trahi par l'Évêque de Laon, surpris et livré à Hugues Capet, il mourut
captif dans la tour d'Orléans; et deux enfants mâles qui ne purent le
venger, mais dont l'un eut cette basse Lorraine, furent les derniers
Princes de la postérité masculine de Charlemagne. Hugues Capet devenu Roi
de ses Pairs, n'en eut pas un plus grand domaine.


ÉTAT DE LA FRANCE AUX Xe et XIe SIÈCLES.

La France démembrée languit dans des malheurs obscurs depuis Charles le
Gros jusqu'à Philippe Ier arrière-petit-fils de Hugues Capet, près de 250
années. Nous verrons si les Croisades qui signalèrent le règne de Philippe
Ier à la fin de l'XIe Siècle, rendirent la France plus florissante. Mais
dans l'espace de temps dont je parle, tout ne fut que confusion, tyrannie,
barbarie et pauvreté. Chaque Seigneur un peu considérable faisait battre
monnaie, mais c'était à qui l'altèrerait. Les belles Manufactures étaient
en Grèce et en Italie. Les Français ne pouvaient les imiter dans des
Villes sans privilège, et dans un Pays sans union.
De tous les évènements de ce temps, le plus digne de l'attention d'un
Citoyen est l'excommunication du Roi Robert. Il avait épousé Berthe sa
cousine au quatrième degré; mariage en soi légitime, et de plus nécessaire
au bien de l'État. Nous avons vu de nos jours des particuliers épouser
leurs nièces, et acheter au prix ordinaire les dispenses à Rome, comme
si Rome avait des droits sur des mariages qui se font à Paris. Le Roi
de France n'éprouva pas autant d'indulgence. L'Église Romaine dans
l'avilissement et les scandales où elle était plongée, osa imposer au Roi
une pénitence de sept ans, lui ordonna de quitter sa femme, l'excommunia
en cas de refus. Le Pape interdit tous les Évêques qui avaient assisté
à ce mariage, et leur ordonna de venir à Rome lui demander pardon. Tant
d'audace paraît incroyable, mais l'ignorante superstition de ces temps
peut l'avoir souffert, et la politique peut l'avoir causée. Grégoire V
qui fulmina cette excommunication, était Allemand, et gouverné par
Gerbert ci-devant Archevêque de Reims, ennemi de la Maison de France.
L'Empereur Othon III peu ami de Robert, assista lui-même au Concile où
l'excommunication fut prononcée; tout cela fait croire que la Raison
d'État eut autant de part à cet attentat, que le fanatisme.
Les Historiens disent que cette excommunication fit en France tant d'effet,
que tous les Courtisans du Roi et ses propres Domestiques l'abandonnèrent,
et qu'il ne lui resta que deux Serviteurs qui jetaient au feu le reste
de ses repas, ayant horreur de ce qu'avait touché un excommunié. Quelque
dégradée que fût alors la Raison humaine, il n'y a pas d'apparence que
l'absurdité pût aller si loin. Le premier Auteur qui a écrit cet excès
de l'abrutissement de la Cour de France, est le Cardinal Pierre Damien,
qui n'écrivit que 64 ans après. Il rapporte qu'en punition de cet
inceste prétendu, la Reine accoucha d'un monstre; mais il n'y eut rien de
monstrueux dans toute cette affaire, que l'audace du Pape, et la faiblesse
du Roi qui se sépara de sa femme.
Les excommunications, les interdits sont des foudres qui n'embrasent un
État que quand ils trouvent des matières combustibles. Il n'y en avait
point alors, mais peut-être Robert craignit-il qu'il ne s'en formât.
La condescendance du Roi Robert enhardit tellement les Papes, que son
petit-fils Philippe Ier fut excommunié comme lui. D'abord le fameux
Grégoire VII le menaça de le déposer en 1075, s'il ne se justifiait de
l'accusation de simonie devant ses Nonces. Un autre Pape l'excommunia en
effet, Philippe s'était dégoûté de sa femme, et était amoureux de Bertrade
épouse du Comte d'Anjou. Il se servit du ministère des Lois pour casser
son mariage sous prétexte de parenté, et Bertrade sa Maîtresse fit casser
le sien avec le Comte d'Anjou sous le même prétexte.
Le Roi et sa Maîtresse furent ensuite mariés solennellement par les mains
d'un Évêque de Bayeux. Ils étaient condamnables, mais ils avaient au moins
rendu ce respect aux lois, que de se servir d'elles pour couvrir leurs
fautes. Quoi qu'il en soit, un Pape avait excommunié Robert pour avoir
épousé sa parente, et un autre Pape excommunia Philippe pour avoir quitté
sa parente. Ce qu'il y a de plus singulier, c'est qu'Urbain II qui
prononça cette sentence, la prononça dans les propres États du Roi, à
Clermont en Auvergne, où il venait chercher un asile, et dans ce même
Concile où nous verrons qu'il prêcha la Croisade.
Cependant il ne paraît point que Philippe excommunié ait été en horreur à
ses Sujets; c'est une raison de plus pour douter de cet abandon général,
où l'on dit que le Roi Robert avait été réduit.
Ce qu'il y eut d'assez remarquable, c'est le mariage du Roi Henri père
de Philippe avec une Princesse Moscovite. Les Moscovites ou Russes
commençaient à être Chrétiens, mais ils n'avaient aucun commerce avec
le reste de l'Europe. Ils habitaient au-delà de la Pologne, à peine
Chrétienne elle-même, et sans aucune correspondance avec la France.
Cependant le Roi Henri envoya jusqu'en Russie demander la fille du
Souverain, à qui les autres Européens donnaient le titre de Duc, aussi
bien qu'au Chef de la Pologne. Les Russes le nommaient dans leur langage
_Tzar_, dont on a fait depuis le mot de _Czar_. On prétend que Henri
se détermina à ce mariage, dans la crainte d'essuyer des querelles
Ecclésiastiques. De toutes les superstitions de ces temps-là, ce n'était
pas la moins nuisible au bien des États, que celle de ne pouvoir épouser
sa parente au septième degré. Presque tous les Souverains de l'Europe
étaient parents de Henri. Quoi qu'il en soit, Anne fille de Jaraflau Czar
de Moscovie fut Reine de France, et il est à remarquer qu'après la mort de
son mari, elle n'eut point la Régence et n'y prétendit point.
Les Lois changent selon les temps. Ce fut le Comte de Flandres, un des
Vassaux du Royaume, qui en fut Régent. La Reine veuve se remaria à un
Comte de Crépi. Tout cela serait singulier aujourd'hui, et ne le fut point
alors.
Ni Henri, ni Philippe Ier ne firent rien de mémorable, mais de leur temps
leurs Vassaux et Arrières-vassaux conquirent des Royaumes.


CONQUÊTE DE LA SICILE PAR LES NORMANDS.

Le goût des pèlerinages et aventures régnait alors. Quelques Normands
ayant été en Palestine vers l'an 983, passèrent à leur retour sur la Mer
de Naples dans la Principauté de Salerne. Les Seigneurs de ce petit État
l'avaient usurpé sur les Empereurs de Constantinople. Gaimar, Prince
de Salerne, était assiégé dans sa Capitale par les Mahométans. Les
Aventuriers Normands lui offrirent leurs services, et l'aidèrent à faire
lever le siège. De retour chez eux, comblés des présents du Prince, ils
engagèrent d'autres Aventuriers à chercher leur fortune à son service. Peu
à peu les Normands reprirent l'habitude de leurs pères de passer les mers.
Un d'eux, nommé Raoul, alla l'an 1016 avec une troupe choisie offrir au
Pape Benoît VIII ses services contre les Mahométans. Le Pape le pria de
le secourir plutôt contre l'Empereur d'Orient, qui dépouillé de tout en
Occident soutenait encore quelques droits contre l'Église dans la Calabre
et dans la Pouille. Les Normands auxquels il était très-indifférent de se
battre contre des Musulmans, ou contre des Chrétiens, servirent très-bien
le Pape contre leur ancien Souverain. Bientôt après Tancréde de Hauteville,
du territoire de Coutance en Normandie, alla dans la Pouille avec
plusieurs de ses enfants, vendant toujours leurs services à qui les payait
le mieux. Ils passèrent des petites armées du Duc de Capoue à celles du
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