Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 2

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envoyer à cet Olopuen un Grand de sa Cour, est plus suspect encore dans
un Pays où il était défendu sous peine de mort aux Étrangers de passer
les frontières. La date de l'inscription ne porte-t-elle pas encore
le caractère du mensonge? Les Prêtres et les Évêques de Jérusalem ne
comptaient point leurs années au VIIe Siècle, comme on les compte dans
ce monument. L'Ère Vulgaire de Denys le Petit n'est point reçue chez les
Nations Orientales, et on ne commença même à s'en servir en Occident
que vers le temps de Charlemagne. De plus, comment cet Olopuen aurait-il
pu, en arrivant, se faire entendre dans une Langue qu'on peut à peine
apprendre en dix années; et comment un Empereur eut-il fait tout d'un coup
bâtir une Église Chrétienne en faveur d'un Étranger qui aurait bégayé par
interprète une Religion si nouvelle?
Il est donc probable qu'au temps de Charlemagne, la Religion Chrétienne
était absolument inconnue à la Chine.
Je me réserve à jeter les yeux sur Siam, sur le Japon, et sur tout ce qui
est situé vers l'Orient et le Midi, lorsque je serai parvenu au temps où
l'industrie des Européens s'est ouvert un chemin facile à ces extrémités
de notre Hémisphère.


DES INDES, DE LA PERSE, DE L'ARABIE ET DU MAHOMÉTISME.

En me ramenant vers l'Europe, je trouve d'abord l'Inde ou l'Indoustan,
Contrée un peu moins vaste que la Chine, et plus connue par les denrées
précieuses que l'industrie des Négociants en a tiré dans tous les temps,
que par des relations exactes.
Une chaîne de montagnes peu interrompues, semble en avoir fixé les limites
entre la Chine, la Tartarie et la Perse. Le reste est entouré de mers.
Cependant l'Inde en-deçà du Gange fut longtemps soumise aux Persans, et
voilà pourquoi Alexandre, vengeur de la Grèce et vainqueur de Darius,
poussa ses conquêtes jusqu'aux Indes tributaires de son ennemi. Depuis
Alexandre les Indiens avaient vécu dans la liberté et dans la mollesse
qu'inspirent la valeur du climat et la richesse de la terre.
Les Grecs y voyageaient avant Alexandre pour y chercher la Science. C'est
là que le célèbre Pilpay écrivit, il y a 2300 années, ces _Fables Morales_,
traduites dans presque toutes les Langues du Monde. Le Jeu des Échecs y
fut inventé. Les Chiffres dont nous nous servons, et que les Arabes nous
ont apporté vers le temps de Charlemagne, nous viennent de l'Inde.
Peut-être les anciennes Médailles, dont les Curieux Chinois font tant de
cas, sont une preuve que les Arts furent cultivés aux Indes avant d'être
connus des Chinois.
On y a de temps immémorial divisé la route annuelle du Soleil en douze
parties. L'année des Bracmanes et des plus anciens Gymnosophistes commença
toujours, quand le Soleil entrait dans la Constellation qu'ils nomment
_Moscham_, et qui est pour nous le Bélier. Leurs Semaines furent toujours
de sept jours: division que les Grecs ne connurent jamais. Leurs Jours
portent les noms des sept Planètes. Le Jour du Soleil est appelé chez
eux _Mitradinam_, reste à savoir si ce mot _Mitra_, qui chez les Perses
signifie aussi le Soleil, est originairement un terme de la Langue des
Mages, ou de celle des Sages de l'Inde. Il est bien difficile de dire,
laquelle des deux Nations enseigna l'autre; mais s'il s'agissait de
décider entre les Indes et l'Égypte, je croirais les Sciences bien plus
anciennes dans les Indes. Ma conjecture est fondée sur ce que le terrain
des Indes est bien plus aisément habitable que le terrain voisin du Nil,
dont les débordements dûrent longtemps rebuter les premiers Colons, avant
qu'ils eussent dompté ce fleuve en creusant des canaux. Le sol des Indes
est d'ailleurs d'une fertilité bien plus variée, et qui a dû exciter
davantage la curiosité et l'industrie humaine: mais il ne paraît pas que
la Science du Gouvernement et de la Morale y ait été perfectionnée autant
que chez les Chinois.
La Superstition y a dès longtemps étouffé les Sciences qu'on y venait
apprendre dans les temps reculés. Les Bonzes et les Bramins,[4] successeurs
des Bracmanes[4], y soutiennent la doctrine de la Métempsycose. Ils y
répandent d'ailleurs l'abrutissement avec l'erreur: ils engagent, quand
ils peuvent, les femmes à se brûler sur le corps de leurs maris morts. Les
vastes Côtes de Coromandel sont en proie à ces coutumes affreuses, que le
Gouvernement Mahométan n'a pu encore détruire.
[Note 4: Orthographe originale de l'édition de Jean Neaulme (1753).]
Ces Bramins, qui entretiennent dans le peuple la plus stupide idolâtrie,
ont pourtant entre leurs mains un des plus anciens Livres du Monde, écrit
par leurs premiers Sages, dans lequel on ne reconnaît qu'un seul Être
suprême. Ils conservent précieusement ce témoignage qui les condamne. Ils
prêchent des erreurs qui leur sont utiles, et cachent une vérité qui ne
serait que respectable.
Dans ce même Indoustan sur les Côtes de Malabar et de Coromandel, on est
surpris de trouver des Chrétiens établis depuis environ 1200 ans. Ils se
nomment les Chrétiens de St. Thomas. Un Marchand Chrétien de Syrie nommé
_Mar Thomas_ (_Mar_ signifie _Monsieur_) y établit sa religion avec son
commerce. Il y laissa une nombreuse famille, des Facteurs, des Ouvriers,
qui s'étant un peu multipliés, ont depuis douze Siècles conservé la
Religion de _Mar Thomas_, qu'on n'a pas manqué de prendre ensuite pour
St. Thomas l'Apôtre.
Ces Chrétiens ne connaissaient ni la Suprématie de Rome, ni la
Transubstantiation, ni plusieurs Sacrements, ni le Purgatoire, ni le Culte
des Images. Nous verrons en son temps comment de nouveaux Missionnaires
leur ont appris ce qu'ils ignoraient.
En remontant vers la Perse, on y trouve un peu avant le temps qui me
sert d'époque, la plus grande et la plus prompte révolution que nous
connaissions sur la Terre.
Une nouvelle Domination, une Religion et des Mœurs jusqu'alors inconnues,
avaient changé la face de ces Contrées; et ce changement s'étendait déjà
fort avant en Asie, en Afrique et en Europe.
Pour me faire une idée du Mahométisme qui a donné une nouvelle forme à
tant d'Empires, je me rappellerai d'abord les parties du Monde qui lui
furent les premières soumises.
La Perse avait étendu sa domination avant Alexandre, de l'Égypte à la
Bactriane au-delà du Pays où est aujourd'hui Samarcande, et de la Thrace
jusqu'au Fleuve de l'Inde.
Divisée et resserrée sous les Séleucides, elle avait repris des
accroissements sous Arsaces le Parthien 250 ans avant JÉSUS-CHRIST. Les
Arsacides n'eurent ni la Syrie, ni les Contrées qui bordent le Pont-Euxin;
mais ils disputèrent avec les Romains de l'Empire de l'Orient, et leur
opposèrent toujours des barrières insurmontables.
Du temps d'Alexandre Sévère, vers l'an 226, Artaxare enleva ce Royaume et
rétablit l'Empire des Perses, dont l'étendue ne différait guères alors de
ce qu'elle est de nos jours.
Au milieu de toutes ces révolutions, l'ancienne Religion des Mages
s'était toujours soutenue en Perse, et ni les Dieux des Grecs, ni d'autres
Divinités n'avaient prévalu.
Noushirvan ou Cosroés le Grand, sur la fin du VIe Siècle, avait étendu
son empire dans une partie de l'Arabie pétrée et de celle qu'on nommait
heureuse. Il en avait chassé des Abyssins Chrétiens, qui l'avaient
envahie. Il proscrivit autant qu'il le put le Christianisme de ses propres
États, forcé à cette sévérité par le crime d'un fils de sa femme, qui
s'étant fait Chrétien, se révolta contre lui.
La dernière année du règne de ce fameux Roi, naquit Mahomet à la Mecque
dans l'Arabie pétrée en 570. Son Pays défendait alors sa liberté contre
les Perses et contre ces Princes de Constantinople, qui retenaient
toujours le nom d'Empereurs Romains.
Les enfants du Grand Noushirvan, indignes d'un tel Père, désolaient la
Perse par des guerres civiles et par des parricides. Les successeurs du
sage Justinien avilissaient le nom de l'Empire. Maurice venait d'être
détrôné par les armes de Phocas, et par les intrigues du Patriarche
Ciriaque et de quelques Évêques, que Phocas punit ensuite de l'avoir
servi. Le sang de Maurice et de ses cinq fils avait coulé sous la main
du bourreau; et le Pape Grégoire le Grand, ennemi des Patriarches de
Constantinople, tâchait d'attirer le Tyran Phocas dans son parti, en lui
prodiguant des louanges, et en condamnant la mémoire de Maurice, qu'il
avait loué pendant sa vie.
L'Empire de Rome en Occident était anéanti, un déluge de Barbares, Goths,
Hérules, Huns, Vandales inondaient l'Europe, quand Mahomet jetait dans les
Déserts de l'Arabie les fondements de la Religion et de la Puissance
Musulmane.
On sait que Mahomet était le cadet d'une famille pauvre, qu'il fut
longtemps au service d'une femme de la Mecque, nommée Caditscha, laquelle
exerçait le négoce; qu'il l'épousa, et qu'il vécut obscur jusqu'à l'âge
de quarante ans. Il ne déploya qu'à cet âge les talents qui le rendaient
supérieur à ses compatriotes. Il avait une éloquence vive et forte,
dépouillée d'art et de méthode, telle qu'il la fallait à des Arabes; un
air d'autorité et d'insinuation, animé par des yeux perçants et par une
physionomie heureuse; l'intrépidité d'Alexandre, sa libéralité, et la
sobriété dont Alexandre aurait eu besoin pour être un grand-homme en tout.
L'amour, qu'un tempérament ardent lui rendait nécessaire, et qui lui
donna tant de femmes et de concubines, n'affaiblit ni son courage, ni
son application, ni sa santé. C'est ainsi qu'en parlent les Arabes
contemporains, et ce portrait est justifié par ses actions.
Après avoir bien connu le caractère de ses concitoyens, leur ignorance,
leur crédulité et leur disposition à l'enthousiasme, il vit qu'il
pouvait s'ériger en Prophète. Il feignit des révélations, il parla, il
se fit croire d'abord dans sa maison, ce qui était probablement le plus
difficile. En trois ans il eut quarante-deux disciples persuadés; Omar,
son persécuteur, devint son Apôtre; au bout de cinq ans il en eut 114.
Il enseignait aux Arabes adorateurs des Étoiles, qu'il ne fallait adorer
que le Dieu qui les a faites: que les Livres des Juifs et des Chrétiens
s'étant corrompus et falsifiés, on devait les avoir en horreur: qu'on
était obligé sous peine de châtiment éternel de prier cinq fois par jour;
de donner l'aumône; et surtout, en ne reconnaissant qu'un seul Dieu, de
croire en Mahomet son dernier Prophète; enfin de hasarder sa vie pour sa
foi.
Il défendit l'usage du Vin, parce que l'abus en est trop dangereux. Il
conserva la Circoncision pratiquée par les Arabes, ainsi que par les
anciens Égyptiens, instituée probablement pour prévenir ces abus de la
première puberté, qui énervent souvent la jeunesse. Il permit aux hommes
la pluralité des femmes, usage immémorial de tout l'Orient. Il n'altéra
en rien la Morale, qui a toujours été la même dans le fond chez tous les
hommes, et qu'aucun Législateur n'a jamais corrompue.
Il proposait pour récompense une Vie éternelle, où l'Âme serait enivrée
de tous les plaisirs spirituels, et où le Corps ressuscité avec ses sens
goûterait par ces sens même toutes les voluptés qui lui sont propres.
Sa Religion s'appela l'_Islamisme_,[5] qui signifie _résignation
à la volonté de Dieu_. Le Livre qui la contient, s'appela _Coran_,
c'est-à-dire le _Livre_, ou l'_Écriture_, ou _la Lecture par excellence_.
[Note 5: Écrit «Ismamisme» dans l'édition originale de Jean Neaulme
(1753).]
Tous les Interprètes de ce Livre conviennent que sa morale est contenue
dans ces paroles: _Recherchez qui vous chasse; donnez à qui vous offense;
pardonnez à qui vous offense; faites du bien à tous; ne contestez point
avec les Ignorants_.
Parmi les déclamations incohérentes, dont ce Livre est rempli selon le
goût Oriental, on ne laisse pas de trouver des morceaux qui peuvent
paraître sublimes. Mahomet, par exemple, en parlant de la cessation du
Déluge, s'exprime ainsi. _Dieu dit, Terre engloutis tes eaux, Ciel puise
les ondes que tu a versées: le Ciel et la Terre obéirent_.
Sa définition de Dieu est d'un genre plus véritablement sublime.
On lui demandait quel était cet _Alla_ qu'il annonçait: _C'est celui_,
répondit-il, _qui tient l'être de soi-même, et de qui les autres le
tiennent; qui n'engendre point, et qui n'est point engendré; et à qui
rien n'est semblable dans toute l'étendue des Êtres_.
Il est vrai que les contradictions, les absurdités, les anachronismes sont
répandues en foule dans ce Livre. On y voit surtout une ignorance profonde
de la Physique la plus simple et la plus connue. C'est-là la pierre de
touche des Livres que les fausses Religions prétendent écrits par la
Divinité; car Dieu n'est ni absurde ni ignorant; mais le Vulgaire qui ne
voit point ces fautes, les adore, et les Docteurs emploient un déluge de
paroles pour les pallier.
Quelques personnes ont cru sur un passage équivoque de l'Alcoran, que
Mahomet ne savait ni lire ni écrire; ce qui ajouterait encore aux prodiges
de ses succès: mais il n'est pas vraisemblable qu'un homme qui avait été
négociant si longtemps, ne sût pas ce qui est si nécessaire au négoce:
encore moins est-il probable, qu'un homme si instruit des Histoires et des
Fables de son Pays, ignorât ce que savaient tous les enfants de sa Patrie.
D'ailleurs les Auteurs Arabes rapportent qu'en mourant, Mahomet demanda
une plume et de l'encre.
Persécuté à la Mecque, sa fuite qu'on nomme _Égire_, devint l'époque de sa
gloire et de la fondation de son Empire. De fugitif il devint conquérant;
réfugié à Médine, il y persuada le peuple et l'asservit: il battit d'abord
avec 113 hommes les Mecquois, qui étaient venus fondre sur lui au nombre
de mille. Cette victoire, qui fut un miracle aux yeux de ses Sectateurs,
les persuada que Dieu combattait pour eux, comme eux pour lui. Dès la
première victoire, ils espérèrent la conquête du Monde. Mahomet prit la
Mecque, vit ses persécuteurs à ses pieds, conquit en neuf ans par la
parole et par les armes toute l'Arabie, Pays aussi grand que la Perse,
et que les Perses ni les Romains n'avaient pu conquérir.
Dès ses premiers succès il avait écrit au Roi de Perse Cosroès Second, à
l'Empereur Héraclius, au Prince des Coptes Gouverneur d'Égypte, au Roi des
Abyssins, à un Roi nommé Mandar, qui régnait dans une Province près du
Golfe Persique.
Il osa leur proposer d'embrasser sa Religion; et ce qui est étrange, c'est
que de ces Princes il y en eut deux qui se firent Mahométans. Ce furent
le Roi d'Abyssinie et ce Mandar. Cosroès déchira la Lettre de Mahomet avec
indignation. Héraclius répondit par des présents. Le Prince des Coptes lui
envoya une Fille qui passait pour un chef-d'œuvre de la Nature, et qu'on
appelait _La belle Marie_.
Mahomet au bout de neuf ans se croyant assez fort pour étendre sa conquête
et sa religion dans l'Empire Grec et Persan, commença par attaquer la
Syrie soumise alors à Héraclius, et lui prit quelques Villes. Cet Empereur
entêté de disputes métaphysiques de Religion, et qui avait pris le
parti des Monothélites, essuya en peu de temps deux propositions bien
singulières; l'une de la part de Cosroès Second, qui l'avait longtemps
vaincu, et l'autre de la part de Mahomet. Cosroès voulait qu'Héraclius
embrassât la Religion des Mages, et Mahomet qu'il se fît Musulman.
Enfin Mahomet maître de l'Arabie, et redoutable à tous ses voisins,
attaqué d'une maladie mortelle à Médine à l'âge de 63 ans, voulut que ses
derniers moments parussent ceux d'un Héros et d'un Juste: _Que celui à qui
j'ai fait violence et injustice paraisse_, s'écria-t-il, _et je suis prêt
de lui faire réparation_. Un homme se leva, qui lui redemanda quelque
argent; Mahomet le lui fit donner, et expira peu de temps après, regardé
comme un grand-homme par ceux mêmes qui savaient qu'il était un imposteur,
et révéré comme un Prophète par tout le reste.
Sa dernière volonté ne fut point exécutée. Il avait nommé Aly son gendre
et Fatime sa fille pour les héritiers de son Empire. Mais l'ambition
qui l'emporte sur le fanatisme même, engagea les Chefs de son Armée à
déclarer Calife, c'est-à-dire Vicaire du Prophète, le vieux Abubéker son
beau-père, dans l'espérance qu'ils pourraient bientôt eux-mêmes partager
la succession. Aly resta dans l'Arabie, attendant le temps de se signaler.
Abubéker rassembla d'abord en un corps les feuilles éparses de l'Alcoran.
On lut en présence de tous les Chefs les chapitres de ce Livre, et on
établit son authenticité invariable.
Bientôt Abubéker mena ses Musulmans en Palestine, et y défit le frère
d'Héraclius. Il mourut peu après avec la réputation du plus généreux de
tous les hommes, n'ayant jamais pris pour lui qu'environ quarante sous de
notre monnaie par jour de tout le butin qu'on partageait, et ayant fait
voir combien le mépris des petits intérêts peut s'accorder avec l'ambition
que les grands intérêts inspirent.
Omar élu après lui fut un des plus rapides Conquérants qui aient désolé la
Terre. Il prend d'abord Damas, célèbre par la fertilité de son territoire,
par les ouvrages d'acier les meilleurs de l'Univers, par ces étoffes de
Soie qui portent encore son nom. Il chasse de la Syrie et de la Phénicie
les Grecs qu'on appelait Romains. Il reçoit à composition après un long
siège, la Ville de Jérusalem toujours occupée par des étrangers, qui se
succédèrent les uns aux autres, depuis que David l'eut enlevée à ses
anciens citoyens.
Dans le même temps les Lieutenants d'Omar s'avançaient en Perse. Le
dernier des Rois Persans, que nous appelons Hormisdas IV, livre bataille
aux Arabes à quelques lieues de Madain, devenue la Capitale de cet Empire.
Il perd la bataille et la vie. Les Perses passent sous la domination
d'Omar, plus facilement qu'ils n'avaient subi le joug d'Alexandre.
Alors tomba cette ancienne Religion des Mages, que le Vainqueur de Darius
avait respectée; car il ne toucha jamais au culte des Peuples vaincus.
Les Mages fondés par Zoroastre et réformés ensuite par un autre Zoroastre
du temps de Darius, fils d'Hydaspes, adorateurs d'un seul Dieu, ennemis
de tout simulacre, révéraient dans le Feu qui donne la vie à la Nature,
l'emblême de la Divinité. Ils reconnaissaient de tout temps un mauvais
Principe, à qui Dieu permettait de faire le mal, ils le nommaient _Satan_,
et c'est parmi eux que Mannés avait puisé sa Doctrine des deux Principes.
Ils regardaient leur Religion comme la plus ancienne et la plus pure.
La connaissance qu'ils avaient des Mathématiques, de l'Astronomie et de
l'Histoire, augmentait leur mépris pour leurs vainqueurs alors ignorants.
Ils ne purent abandonner une Religion consacrée par tant de siècles pour
une Secte ennemie qui venait de naître.
Ils se retirèrent aux extrémités de la Perse et de l'Inde. C'est là qu'ils
vivent aujourd'hui sous le nom de _Gavres_ ou de _Guèbres_, ne se mariant
qu'entre eux, entretenant le Feu sacré, fidèles à ce qu'ils connaissent
de leur ancien culte, mais ignorants, méprisés et, à leur pauvreté près,
semblables aux Juifs si longtemps dispersés sans s'allier aux autres
Nations, et plus encore aux Banians, qui ne sont établis et dispersés que
dans l'Inde.
Tandis qu'un Lieutenant d'Omar subjugue la Perse, un autre enlève l'Égypte
entière aux Romains et une grande partie de la Lybie. C'est dans cette
conquête qu'est brûlée la fameuse Bibliothèque d'Alexandrie, monument des
connaissances et des erreurs des hommes, commencée par Ptolémée[6]
Philadelphe, et augmentée par tant de Rois. Alors les Sarrasins ne
voulaient de Science que l'Alcoran.
[Note 6: Écrit «Ptolomée» dans l'édition originale de Jean Neaulme (1753).]
Après Omar tué par un Esclave Perse, Aly ce gendre de Mahomet que les
Persans révèrent aujourd'hui, et dont ils suivent les principes en
opposition à ceux d'Omar, obtint enfin le Califat, et transféra le Siège
des Califes dans la Ville de Médine, où Mahomet est enseveli dans la Ville
de Couffa sur les bords de l'Euphrate: à peine en reste-t-il aujourd'hui
des ruines. C'est le sort de Babylone, de Séleucie, et de toutes les
anciennes Villes de la Chaldée, qui n'étaient bâties que de briques.
Après le règne de seize Califes de la Maison des Ommiades, régnèrent les
Califes Abassides. C'est Abougrafar Almanzor, second Calife Abasside, qui
fixa le Siège de ce grand Empire à Bagdad[7] au-delà de l'Euphrate dans
la Chaldée. Les Turcs disent qu'il en jeta les fondements. Les Persans
assurent qu'elle était très-ancienne, et qu'il ne fit que la réparer.
C'est cette Ville qu'on appelle quelquefois Babylone, et qui a été le
sujet de tant de guerres entre la Perse et la Turquie.
[Note 7: Écrit «Bagdat» dans l'édition originale de Jean Neaulme (1753).]
La domination des Califes dura 655 ans, despotiques dans la Religion,
comme dans le Gouvernement. Ils n'étaient point adorés, ainsi que le grand
Lama; mais ils avaient une autorité plus réelle, et dans les temps même de
leur décadence, ils furent respectés des Princes qui les persécutaient.
Tous ces Sultans Turcs, Arabes, Tartares, reçurent l'investiture des
Califes, avec bien moins de contestation, que plusieurs Princes Chrétiens
n'en ont reçu des Papes. On ne baisait point les pieds du Calife, mais on
se prosternait sur le seuil de son Palais.
Si jamais Puissance a menacé toute la Terre, c'est celle de ces Califes,
car ils avaient le droit du Trône et de l'Autel, du Glaive et de
l'Enthousiasme. Leurs ordres étaient autant d'oracles, et leurs soldats
autant de fanatiques.
Dès l'an 671 ils assiégèrent Constantinople, qui devait un jour devenir
Mahométane; les divisions presque inévitables parmi tant de Chefs féroces,
n'arrêtèrent pas leurs conquêtes. Ils ressemblèrent en ce point aux
anciens Romains, qui parmi leurs guerres civiles avaient subjugué l'Asie
mineure.
On les voit en 711 passer d'Égypte en Espagne, soumise aisément tour à
tour, par les Carthaginois, par les Romains, par les Goths et Vandales,
et enfin par ces Arabes qu'on nomme Maures. Ils y établissent d'abord le
Royaume de Cordoue. Le Sultan d'Égypte secoue à-la-vérité le joug du grand
Calife de Bagdag, et Abdérame, Gouverneur de l'Espagne conquise, ne
reconnaît plus le Sultan d'Égypte; cependant tout plie encore sous les
Armes Musulmanes.
Cet Abdérame, petit-fils du Calife Hétham, prend les Royaumes de Castille,
de Navarre, de Portugal, d'Aragon, il établit les siens en Languedoc, il
s'empare de la Guyenne et du Poitou; et sans Charles Martel, qui lui ôta
la victoire et la vie, la France était une Province Mahométane.
À mesure que les Mahométans devinrent puissants, ils se polirent. Ces
Califes toujours reconnus pour Souverains de la Religion, et en apparence
de l'Empire, par ceux qui ne reçoivent plus leurs ordres de si loin,
tranquilles dans leur nouvelle Babylone, y font enfin renaître les
Arts. Aaron Rachild contemporain de Charlemagne, plus respecté que ses
prédécesseurs, et qui sut se faire obéir jusqu'en Espagne et aux Indes,
ranima les Sciences, fit fleurir les Arts agréables et utiles, attira les
Gens-de-Lettres, composa des vers, et fit succéder dans ses vastes États
la Politique à la Barbarie. Sous lui les Arabes qui adoptaient déjà les
Chiffres Indiens, nous les apportèrent. Nous ne connûmes en Allemagne et
en France le cours des Astres, que par le moyen de ces mêmes Arabes. Le
mot seul d'_Almanach_ en est encore un témoignage.
L'Almageste de Ptolémée fut alors traduit du Grec en Arabe par l'astronome
Benhonain. Ce Calife Almanon fit mesurer géométriquement un degré du
Méridien pour déterminer la grandeur de la Terre. Opération qui n'a
été faite en France que plus de 900 ans après, sous Louis XIV. Ce même
Astronome Benhonain poussa les observations assez loin, reconnut ou
que Ptolémée avait fixé la plus grande déclinaison du Soleil trop au
septentrion, ou que l'obliquité de l'Écliptique avait changé. Il vit même
que le période de trente-six mille ans qu'on avait assigné au mouvement
prétendu des Étoiles fixes d'Occident en Orient, devait être beaucoup
racourcie.
La Chimie et la Médecine étaient cultivées par les Arabes. La Chimie
perfectionnée par nous, ne nous fut connue que par eux. Nous leur devons
de nouveaux remèdes, qu'on nomme les _minoritifs_, plus doux et plus
salutaires que ceux qui étaient auparavant en usage dans l'École
d'Hippocrate et de Galien. Enfin dès le second Siècle de Mahomet, il
fallut que les Chrétiens d'Occident s'instruisissent chez les Musulmans.


ÉTAT DE L'ITALIE ET DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE.

Plus l'Empire de Mahomet fleurissait, plus Constantinople et Rome
étaient avilies, Rome ne s'était jamais relevée du coup fatal que lui
porta Constantin en transférant le Siège de l'Empire. La gloire, l'amour
de la Patrie n'animèrent plus les Romains. Il n'y eut plus de fortune à
espérer pour les habitants de l'ancienne Capitale; le courage s'énerva,
les Arts tombèrent; on ne connut plus dans le séjour des Scipions et des
Césars que des contestations entre les Juges Séculiers et l'Évêque. Prise
et reprise, saccagée tant de fois par les Barbares, elle obéissait encore
aux Empereurs. Depuis Justinien un Vice-Roi sous le nom d'Exarque,
la gouvernait, mais ne daignait plus la regarder comme la Capitale de
l'Italie. Il demeurait à Ravenne, et delà il envoyait ses ordres aux
Romains. L'évêque dans ces temps de Barbarie augmentait de jour en jour
son autorité par l'avilissement même de la Ville. Les richesses de son
église se multipliaient. Le Préfet de Rome ne pouvait pas s'opposer
sans-cesse aux prétentions de l'Évêque, toujours appuyées de la sainteté
du Ministère. En vain l'Église de Ravenne contestait mille droits à
celle de Rome. On reconnaissait l'Église de Rome dans tout l'Occident
Chrétien comme la Mère commune. On la consultait, on lui demandait des
Millionnaires, et dans la servitude de la Ville l'Évêque dominait au
dehors.
Le reste de l'Italie citérieure obéissait aux Rois Lombards, qui régnaient
dans Pavie, ils se frayaient toujours le chemin à la conquête de Rome,
et le Peuple Romain aurait voulu n'être fourni ni aux Lombards, ni aux
Empereurs Grecs. Les Papes conçurent dans ce VIIIe Siècle le dessein de
se rendre eux-mêmes maîtres de Rome; ils virent avec prudence, que ce qui
dans d'autres temps n'eût été qu'une révolte et une sédition impuissante,
pouvait devenir une révolution excusable par la nécessité, et illustre par
le succès.


ORIGINE DE LA PUISSANCE DES PAPES.

Le Pape Grégoire III fut le premier qui imagina de se servir du bras des
Français pour ôter l'Italie aux Empereurs et aux Lombards. Son Successeur
Zacharie reconnut Pépin usurpateur du Royaume de France pour Roi légitime.
On a prétendu que Pépin, qui n'était que premier Ministre, fit demander
d'abord au Pape, quel était le vrai Roi, ou de celui qui n'en avait que le
droit et le nom, ou de celui qui en avait l'autorité et le mérite? Et que
le Pape décida que le Ministre devait être Roi. Il n'a jamais été prouvé
qu'on ait joué cette Comédie; mais ce qui est vrai, c'est que le Pape
Étienne III appela Pépin à son secours, qu'il feignit une Lettre de St.
Pierre, adressée du Ciel à Pépin et à ses fils, qu'il vint en France,
qu'il donna dans St. Denis l'Onction Royale à Pépin, premier Roi sacré
en Europe. Non seulement ce premier usurpateur reçut l'Onction Sacrée
du Pape, après l'avoir reçue de St. Boniface, qu'on appelait l'_Apôtre
d'Allemagne_, mais Étienne III défendit sous peine d'excommunication aux
Français de se donner jamais des Rois d'une autre race. Tandis que cet
Évêque chassé de sa patrie et suppliant dans une terre étrangère, avait le
courage de donner des Lois, sa politique prenait une autorité qui assurait
celle de Pépin, et ce Prince pour mieux jouir de ce qui ne lui était pas
dû, laissait au Pape des droits qui ne lui appartenaient pas.
Hugues Capet fit voir depuis ce que valait une telle défense et une
telle excommunication. Les fruits de cette union avec Pépin furent
l'anéantissement du pouvoir des Empereurs dans Rome, la révolution de
l'Occident, et la puissance de l'Église Romaine.
Les Lombards venaient de s'emparer de l'Exarcat de Ravenne. Pépin après
les avoir vaincus et leur avoir ôté le reste du domaine des Empereurs,
fit présent au Pape d'une partie des biens qu'il avait conquis. Il donna
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