Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 1

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ABRÉGÉ
DE
L'HISTOIRE UNIVERSELLE
DEPUIS CHARLEMAGNE JUSQUES À CHARLEQUINT.
par
Mr. de VOLTAIRE


TOME PREMIER.


À LA HAYE,
Chez JEAN NEAULME,
MDCCLIII.


AVERTISSEMENT DU LIBRAIRE.

J'ai lieu de croire que Mr. de Voltaire ne sera pas fâché de voir que son
Manuscrit, qu'il a intitulé _Abrégé de l'Histoire Universelle depuis
Charlemagne jusqu'à Charles-Quint_, et qu'il dit être entre les mains
de trente Particuliers, soit tombé entre les miennes. Il sait qu'il m'en
avait flatté dès l'année 1742, à l'occasion de son Siècle de Louis XIV,
auquel je ne renonçai en 1750, que parce qu'il me dit alors à Postdam,
où j'étais, qu'il l'imprimait lui-même à ses propres dépens. Ainsi il ne
s'agit ici que de dire comment cet Abrégé m'est tombé entre les mains, le
voici.
À mon retour de Paris, en Juin de cette année 1753, je m'arrêtai à
Bruxelles, où j'eus l'honneur de voir une Personne de mérite, qui en
étant le possesseur me le fit voir, et m'en fit aussi tout l'éloge
imaginable, de même que l'histoire du Manuscrit, et de tout ce qui s'était
passé à l'occasion d'un _Avertissement_ qui se trouve inséré dans le
_second Volume du mois de Juin 1752 du Mercure de France_, et répété dans
l'_Épilogueur du 31 Juillet de la même année_, avec la Réponse que l'on y
a faite, et qui se trouve dans le même _Épilogueur du 7 Août suivant_:
toutes choses inutiles à relever ici, mais qui m'ont ensuite déterminé à
acheter des mains de ce Galant-Homme le Manuscrit après avoir été offert
à l'Auteur, bien persuadé d'ailleurs qu'il était effectivement de Mr. de
Voltaire; son génie, son style, et surtout son orthographe s'y trouvant
partout. J'ai changé cette dernière, parce qu'il est notoire que le Public
a toutes les peines du monde à s'y accoutumer; et c'est ce que l'Auteur
est prié de vouloir bien excuser.[1]
Je dois encore faire remarquer que par la dernière période de ce Livre,
il paraît qu'elle fait la clôture de cet Abrégé, qui finit à _Charles VII
Roi de France_, au lieu que l'Auteur la promet par son Titre jusqu'à
l'_Empereur Charles-Quint_. Ainsi il est à présumer que ce qui devrait
suivre, est cette partie différente d'Histoire qui concerne _les Arts_,
qu'il serait à souhaiter que Mr. de Voltaire retrouvât, ou, pour mieux
dire, qu'il voulût bien refaire, et la pousser jusqu'au _Siècle de
Louis XIV_, afin de remplir son plan, et de nous donner ainsi une suite
d'Histoire qui ferait grand plaisir au Public et aux Libraires.
[Note 1: Dans la présente édition du project Gutenberg nous avons, à
quelques exceptions près, rétabli l'orthographe actuelle, suivant ainsi
les conseils de l'École Nationale des Chartes pour l'édition des textes du
XVIIIe siècle. (http://www.enc.sorbonne.fr/)]


TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS LE TOME PREMIER.

--Introduction.
--De la Chine.
--Des Indes, de la Perse, de l'Arabie, et du Mahométisme.
--État de l'Italie et de l'Église Chrétienne.
--Origine de la Puissance des Papes.
--État de l'Église en Orient avant Charlemagne.
--Renouvellement de l'Empire en Occident.
--Des Usages du temps de Charlemagne.
--De la Religion.
--Suite des Usages du temps de Charlemagne, de la Justice, des Lois et
Coutumes singulières.
--Louis le Débonnaire.
--État de l'Europe après la mort de Louis le Débonnaire.
--Des Normands vers le IVe Siècle.
--De l'Angleterre vers le IVe Siècle.
--De l'Espagne et des Musulmans aux VIIIe et IXe Siècles.
--De l'Empire de Constantinople aux VIIIe et IXe Siècles.
--De l'Italie, des Papes, et des autres affaires de l'Église aux VIIIe
et IXe Siècles.
--État de l'Empire de l'Occident, de l'Italie, et de la Papauté sur la
fin du IXe Siècle, dans le cours du Xe et dans la moitié du XIe jusqu'à
Henri III.
--De la Papauté au Xe Siècle.
--Suite de l'Empire d'Othon et de l'État de l'Italie.
--De la France vers le temps de Hugues Capet.
--État de la France aux Xe et XIe Siècles.
--Conquête de la Sicile par les Normands.
--Conquête de l'Angleterre par Guillaume Duc de Normandie.
--De l'état où était l'Europe aux Xe et XIe Siècles.
--De l'Espagne et des Mahométans de ce Royaume, jusqu'au commencement
du XIIe Siècle.
--De la Religion et de la Superstition de ces temps-là.


INTRODUCTION.

Plusieurs esprits infatigables ayant débrouillé autant qu'on le peut, le
chaos de l'Antiquité, et quelques Génies éloquents ayant écrit l'Histoire
Universelle jusqu'à Charlemagne, j'ai regretté qu'ils n'aient pas fourni
une carrière plus longue. J'ai voulu pour m'instruire de ce qu'ils ne
disent pas, mettre sous mes yeux un précis de l'Histoire, laquelle nous
intéresse, à mesure qu'elle devient plus moderne.[2]
[Note 2: Les lettres majuscules utilisées dans l'édition de Jean Neaulme
pour les substantifs tels que Antiquité, Génie, Histoire, etc. sont
conservées dans la présente édition du project Gutenberg.]
Ma principale idée est de connaître autant que je pourrai, les mœurs
des Peuples, et d'étudier l'Esprit humain. Je regarderai l'ordre des
Successions des Rois et la Chronologie comme mes guides, mais non comme
le but de mon travail. Ce travail serait bien ingrat, si je me bornais à
vouloir apprendre seulement en quelle année un Prince indigne d'être connu,
succéda à un Prince barbare.
Il semble en lisant les Histoires, que la Terre n'ait été faite que pour
quelques Souverains, et pour ceux qui ont servi leurs passions; tout le
reste est négligé. Les Historiens, semblables en cela aux Rois, sacrifient
le Genre-Humain à un seul homme. N'y a-t-il donc eu sur la Terre que
des Princes; et faut-il que presque tous les Inventeurs des Arts soient
inconnus, tandis qu'on a des suites chronologiques de tant d'hommes qui
n'ont fait aucun bien ou qui ont fait beaucoup de mal? Autant il faut
connaître les grandes actions des Souverains qui ont changé la face de la
Terre, et surtout de ceux qui ont rendu leurs Peuples meilleurs et plus
heureux; autant on doit ignorer le vulgaire des Rois, qui ne servirait
qu'à charger la mémoire.
Je me propose de diviser mon étude par Siècles; mais je sens qu'en ne
présentant à mon esprit que ce qui se fait précisément dans le Siècle
que j'aurai sous les yeux, je serai obligé de trop partager mon attention
et de séparer en trop de parties les idées suivies que je veux me
faire, d'abandonner la recherche d'une Nation, ou d'un Art, ou d'une
Révolution, que pour ne la reprendre que longtemps après. Je remonterai
donc quelquefois à la source éloignée d'un Art, d'une Coutume importante,
d'une Loi, d'une Révolution. J'anticiperai quelquefois, mais le moins que
je pourrai, et en évitant, autant que ma faiblesse me le permettra, la
confusion et la dispersion des idées. Je tâcherai de présenter à mon
esprit une peinture fidèle de ce qui mérite d'être connu dans l'Univers.
Avant de considérer l'état où était l'Europe vers le temps de Charlemagne,
et les débris de l'Empire Romain, j'examine d'abord s'il n'y a rien qui
soit digne de mon attention dans le reste de notre Hémisphère. Ce reste
est douze fois plus étendu que la Domination Romaine, et m'apprend d'abord
que ces monuments des Empereurs de Rome, chargés des titres de Maîtres et
de Restaurateurs de l'Univers, sont des témoignages immortels de vanité et
d'ignorance, non moins que de grandeur.
Frappés de l'éclat de cet Empire, de ses accroissements et de sa chute,
nous avons dans la plupart de nos Histoires Universelles traité les autres
hommes comme s'ils n'existaient pas. La Province de la Judée, la Grèce,
les Romains se sont emparés de toute notre attention; et quand le célèbre
Bossuet dit un mot des Mahométans, il n'en parle que comme d'un déluge de
Barbares. Cependant beaucoup de ces Nations possédaient des Arts utiles,
que nous tenons d'elles: leurs Pays nous fournissaient des commodités et
des choses précieuses, que la Nature nous a refusées, et vêtus de leurs
étoffes, nourris des productions de leurs terres, instruits par leurs
inventions, amusés même par les jeux qui sont le fruit de leur industrie,
nous nous sommes fait avec trop d'injustice une loi de les ignorer.


ABRÉGÉ DE L'HISTOIRE UNIVERSELLE.


DE LA CHINE.

En portant ma vue aux extrémités de l'Orient, je considère en premier
lieu l'Empire de la Chine, qui dès lors était plus vaste que celui de
Charlemagne, surtout en joignant la Corée et le Tonkin[3], Provinces alors
tributaires des Chinois, environ 29 degrés de longitude et 24 en latitude,
forment son étendue. Le corps de cet État subsiste avec splendeur depuis
plus de 4000 ans, sans que les lois, les mœurs, le langage, la manière
même de s'habiller aient souffert d'altération sensible.
Son Histoire incontestable et la seule qui soit fondée sur des
observations célestes, remonte par la Chronologie la plus sûre, jusqu'à
une Éclipse calculée 2155 ans avant notre Ère vulgaire, et vérifiée par
les Mathématiciens missionnaires, qui envoyés dans les derniers siècles
chez cette Nation inconnue, l'ont admirée et l'ont instruite. Le Père
Gaubil a examiné une suite de 36 Éclipses de Soleil, rapportées dans
les Livres de Confucius, et il n'en a trouvé que deux douteuses et deux
fausses.
Il est vrai qu'Alexandre avait envoyé de Babylone en Grèce les
observations des Chaldéens, qui remontaient à 400 années plus haut que les
Chinois, et c'est sans contredit le plus beau monument de l'Antiquité:
mais ces Éphémérides de Babylone n'étaient point liées à l'Histoire des
faits: les Chinois au contraire ont joint l'Histoire du Ciel à celle de la
Terre, et ont ainsi justifié l'une par l'autre.
Deux cent trente ans au-delà du jour de l'Éclipse (calculée 2155 ans
avant notre Ère vulgaire) leur Chronologie atteint sans interruption et
par les témoignages les plus authentiques, jusqu'à l'Empereur Hiao,
habile Mathématicien pour son temps, qui travailla lui-même à réformer
l'Astronomie, et qui dans un règne d'environ 80 ans, chercha à rendre les
hommes éclairés et heureux. Son nom est encore en vénération en la Chine,
comme l'est en Europe celui des Titus, des Trajans, et des Antonins.
Avant ce Grand-homme, on trouve encore six Rois ses prédécesseurs; mais
la durée de leur règne est incertaine. Je crois qu'on ne peut mieux faire
dans ce silence de la Chronologie, que de recourir à la règle de Newton,
qui ayant composé une année commune des années qu'ont régné les Rois de
différents Pays, réduit chaque règne à 22 ans ou environ. Suivant ce
calcul, d'autant plus raisonnable qu'il est plus modéré, ces six Rois
auront régné à peu près 130 ans, ce qui est bien plus conforme à l'ordre
de la nature, que les 250 ans qu'on donne, par exemple, aux sept Rois de
Rome; et que tant d'autres calculs démentis par l'expérience de tous les
temps.
Le premier de ces Rois, nommé Fohi, régnait donc 25 siècles au moins
avant l'Ère vulgaire, au temps que les Babyloniens avaient déjà une
suite d'observations astronomiques: et dès lors la Chine obéissait à
un Souverain. Ses 15 Royaumes réunis sous un seul homme, prouvent que
longtemps auparavant cet État était très peuplé, policé, partagé en
beaucoup de Souverainetés; car jamais un grand État ne s'est formé que de
plusieurs petits; c'est l'ouvrage du temps, de la politique et du courage.
La Chine était au temps de Charlemagne comme longtemps auparavant,
et surtout aujourd'hui, plus peuplée encore que vaste. Le dernier
dénombrement dont nous avons connaissance, fait seulement dans les 15
Provinces qui composent la Chine proprement dite, monte jusqu'à près de
60 millions d'hommes capables d'aller à la guerre; en ne comptant ni les
soldats vétérans, ni les vieillards au-dessus de 60 ans, ni la jeunesse
au-dessous de 20 ans, ni les Mandarins, ni la multitude des Lettrés, ni
les Bonzes, encore moins les Femmes qui sont partout en pareil nombre que
les hommes à un 13 ou 14 près, selon les observations de ceux qui ont
calculé avec le plus d'exactitude ce qui concerne le Genre-humain. À ce
compte il paraît impossible qu'il y ait moins de 130 millions d'habitants
à la Chine: notre Europe n'en a pas probablement beaucoup davantage, à
compter (en exagérant) 20 millions en France, 25 en Allemagne, et le reste
à proportion.
On ne doit donc pas être surpris, si les Villes Chinoises sont immenses;
si Pékin,[3] la nouvelle Capitale de l'Empire, a près de six de nos grandes
lieues de circonférence, et renferme environ quatre millions de Citoyens:
si Nankin,[3] l'ancienne Métropole, en avait autrefois davantage: si une
simple Bourgade nommée Quientzeng, où l'on fabrique la Porcelaine,
contient environ un million d'habitants.
[Note 3: «Tonquin, Pequin et Nanquin»: dans le texte ci-dessous la lettre
«k» sera de même substituée aux deux lettres «qu» de l'édition originale
de Jean Neaulme.]
Les Forces de cet État consistent selon les relations des hommes les plus
intelligents qui aient jamais voyagé, dans une Milice d'environ 800000
soldats bien entretenus; cinq cent soixante et dix mille chevaux sont
nourris ou dans les écuries ou dans les pâturages de l'Empereur, pour
monter les gens de guerre, pour les voyages de la Cour, et pour les
courriers publics. Plusieurs Missionnaires, que l'Empereur Cang-hi dans
ces derniers temps approcha de sa personne par amour pour les Sciences,
rapportent qu'ils l'ont suivi dans ces chasses magnifiques vers la grande
Tartarie, où 100000 cavaliers et 60000 hommes de pied marchaient en ordre
de bataille.
Les Villes Chinoises n'ont jamais eu d'autres fortifications que
celles que le bon-sens a inspiré à toutes les Nations, avant l'usage
de l'Artillerie. Un fossé, un rempart, une forte muraille et des tours,
depuis même que les Chinois se servent de canons, ils n'ont point suivi le
modèle de nos Places de guerre; mais au-lieu qu'ailleurs on fortifie des
Places, les Chinois ont fortifié leur Empire. La grande muraille qui
séparait et défendait la Chine des Tartares, bâtie cent trente-sept ans
avant notre Ère, subsiste encore dans un contour de 500 lieues, s'élève
sur des montagnes, descend dans des précipices, ayant presque partout 20
de nos pieds de largeur sur plus de 30 de hauteur. Monument supérieur aux
Pyramides d'Égypte par son utilité, comme par son immensité.
Ce rempart n'a pu empêcher les Tartares de profiter dans la suite des
temps des divisions de la Chine, et de la subjuguer; mais la constitution
de l'État n'en a été ni affaiblie ni changée. Le Pays des Conquérants est
devenu une partie de l'État conquis, et les Tartares Mandchous, maîtres
aujourd'hui de la Chine, n'ont fait autre chose que se soumettre les armes
à la main aux Lois du Pays dont ils ont envahi le Trône.
Le revenu ordinaire de l'Empereur se monte, selon les supputations
les plus vraisemblables, à deux cents millions d'onces d'argent. Il est
à remarquer que l'once d'argent ne vaut pas cent de nos sous valeur
intrinsèque, comme le dit l'Histoire de la Chine; car il n'y a point de
valeur intrinsèque numéraire; mais à prendre le marc de notre argent à
50 de nos livres de compte, cette somme revient à 1250 millions de notre
monnaie en 1740. Je dis en ce temps; car cette valeur arbitraire n'a que
trop changé parmi nous, et changera peut-être encore: c'est à quoi ne
prennent pas assez garde les Écrivains plus instruits des livres que
des affaires, qui évaluent souvent l'argent étranger d'une manière fort
fautive.
Ils ont eu des Monnaies d'or et d'argent frappées avec le coin, longtemps
avant que les Dariques fussent frappés en Perse. L'Empereur Cang-hi avait
rassemblé une suite de 3000 de ces monnaies, parmi lesquelles il y en
avait beaucoup des Indes; autre preuve de l'ancienneté des Arts dans
l'Asie; mais depuis longtemps l'or n'est plus une mesure commune à la
Chine, il y est marchandise comme en Hollande, l'argent n'y est plus
monnaie: le poids et le titre en font le prix; on n'y frappe plus que du
cuivre, qui seul dans ce Pays a une valeur arbitraire. Le Gouvernement
dans des temps difficiles a passé en papier, comme on a fait depuis dans
plus d'un État de l'Europe; mais jamais la Chine n'a eu l'usage des
Banques publiques, qui augmentent les richesses d'une Nation, en
multipliant son crédit.
Ce Pays favorisé de la Nature possède presque tous les fruits de notre
Europe, et beaucoup d'autres qui nous manquent. Le Blé, le Riz, la Vigne,
les Légumes, les Arbres de toutes espèces y couvrent la terre; mais les
Peuples n'ont jamais fait de Vin, satisfaits d'une liqueur assez forte
qu'ils savent tirer du riz.
L'Insecte précieux qui produit la Soie, est originaire de la Chine; c'est
de-là qu'il passa en Perse assez tard avec l'Art de faire des étoffes, du
duvet qui les couvre; et ces étoffes étaient si rares du temps même de
Justinien, que la Soie se vendait en Europe au poids de l'or.
Le Papier fin et d'un blanc éclatant était fabriqué chez les Chinois de
temps immémorial, on en faisait avec les filets de bois de Bambou bouilli.
On ne connaît pas la première époque de la Porcelaine et de ce beau Vernis
qu'on commence à imiter et à égaler en Europe.
Ils savent depuis 2000 ans fabriquer le Verre, mais moins beau et moins
transparent que le nôtre.
L'Imprimerie y fut inventée par eux du temps de Jules César. On sait
que cette Imprimerie est une gravure sur des planches de bois, telle
que Gutenberg la pratiqua le premier à Mayence au XIVe Siècle. L'Art de
graver les caractères sur le bois, est plus perfectionné à la Chine; notre
méthode d'employer les caractères mobiles et de fonte, beaucoup supérieure
à la leur, n'a point encore été adoptée par eux, tant ils sont attachés à
leurs anciens usages.
Ils avaient un peu de Musique, mais si informe et si grossière, qu'ils
ignoraient les semi-tons.
L'usage des Cloches est chez eux de la plus haute antiquité. Ils ont
cultivé la Chimie, et sans devenir jamais bons Physiciens, ils ont inventé
la poudre; mais ils ne s'en servaient que dans des Fêtes, dans l'Art des
Feux d'artifice, où ils ont surpassé les autres Nations. Ce furent les
Portugais qui dans ces derniers Siècles leur ont enseigné l'usage de
l'Artillerie, et ce sont les Jésuites qui leur ont appris à fondre le
Canon. Si les Chinois ne s'appliquent pas à inventer ces instruments
destructeurs, il ne faut pas en louer leur vertu, puisqu'ils n'en ont pas
moins fait la guerre.
Jamais leur Géométrie n'alla au-delà des simples éléments. Ils poussèrent
plus loin l'Astronomie, en tant qu'elle est la science des yeux et le
fruit de la patience. Ils observèrent le Ciel assidûment, remarquèrent
tous les phénomènes, et les transmirent à la postérité. Ils divisèrent,
comme nous, le cours du Soleil en 365 parties. Ils connurent, mais
confusément, la précision des Équinoxes et des Solstices. Ce qui mérite
peut-être le plus d'attention, c'est que de temps immémorial ils partagent
le mois en semaines de sept jours.
On montre encore les instruments dont se servit un de leurs fameux
Astronomes mille ans avant notre Ère, dans une Ville qui n'est que du
troisième ordre.
Nankin, l'ancienne Capitale, conserve un Globe de bronze, que trois
hommes ne peuvent embrasser, porté sur un cube de cuivre qui s'ouvre, et
dans lequel on fait entrer un homme pour tourner ce Globe, sur lequel sont
tracés les méridiens et les parallèles.
Pékin a un Observatoire rempli d'Astrolabes et de Sphères armillaires;
instruments à-la-vérité inférieurs aux nôtres pour l'exactitude, mais
témoignages célèbres de la supériorité des Chinois sur les autres Peuples
d'Asie.
La Boussole qu'ils connaissaient, ne servait pas à son véritable usage de
guider la route des Vaisseaux. Ils ne naviguaient que près des côtes;
possesseurs d'une terre qui fournit tout, ils n'avaient pas besoin d'aller,
comme nous, au bout du Monde. La Boussole, ainsi que la Poudre à tirer,
était pour eux une simple curiosité, et ils n'en étaient pas plus à
plaindre.
Il est étrange que leur Astronomie et leurs autres Sciences soient en même
temps si anciennes chez eux et si bornées: ce qui est moins étonnant,
c'est la crédulité avec laquelle ces Peuples ont toujours joint leurs
erreurs de l'Astrologie judiciaire aux vraies Connaissances célestes.
Cette superstition a été celle de tous les hommes, et il n'y a pas
longtemps que nous en sommes guéris, tant l'erreur semble faite pour le
Genre humain.
Si on cherche pourquoi tant d'Arts et de Sciences cultivées sans
interruption depuis si longtemps à la Chine, ont cependant fait si peu de
progrès, il y en a peut-être deux raisons; l'une est le respect prodigieux
que ces Peuples ont pour ce qui leur a été transmis par leurs Pères, et
qui rend parfait à leurs yeux tout ce qui est ancien, l'autre est la
nature de leur Langue, premier principe de toutes les connaissances.
L'Art de faire connaître ses idées par l'écriture, qui devrait n'être
qu'une méthode très-simple, est chez eux ce qu'ils ont de plus difficile.
Chaque mot a des caractères différents: un Savant à la Chine est celui
qui connaît le plus de ces caractères, quelques-uns sont arrivés à la
vieillesse avant de savoir bien écrire.
Ce qu'ils ont le plus connu, le plus cultivé, le plus perfectionné,
c'est la Morale et les Lois. Le respect des enfants pour les Pères est le
fondement du Gouvernement Chinois. L'autorité paternelle n'y est jamais
affaiblie. Un fils ne peut plaider contre son Père qu'avec le consentement
de tous les parents, des amis, et des Magistrats. Les Mandarins lettrés
y sont regardés comme les Pères des Villes et des Provinces, et le Roi
comme le Père de l'Empire. Cette idée enracinée dans les cœurs, forme une
famille de cet État immense.
Tous les vices y existent comme ailleurs, mais plus réprimés par le frein
des Lois.
Les cérémonies continuelles qui y gênent la société, et dont l'amitié
seule se défait dans l'intérieur des maisons, ont établi dans toutes les
Nations une retenue et une honnêteté qui donne à la fois aux mœurs de
la gravité et de la douceur. Ces qualités s'étendent jusqu'au dernier du
peuple. Des Missionnaires racontent que souvent dans des Marchés publics,
au milieu de ces embarras et de ces confusions qui excitent dans nos
Contrées des clameurs si barbares et des emportements si fréquents et
si odieux, ils ont vu les Paysans se mettre à genoux les uns devant
les autres selon la coutume du Pays, se demander pardon de l'embarras
dont chacun s'accusait, s'aider l'un l'autre, et débarrasser tout avec
tranquillité.
Dans les autres Pays les Lois punissent les Crimes; à la Chine elles font
plus, elles récompensent la Vertu. Le bruit d'une action généreuse et rare
se répand-il dans une Province, le Mandarin est obligé d'en avertir
l'Empereur, et l'Empereur envoie une marque d'honneur à celui qui l'a si
bien mérité. Cette Morale, cette obéissance aux Lois, jointe à l'adoration
d'un Être suprême, forment la Religion de la Chine, celle des Empereurs et
des Lettrés. L'Empereur est de temps immémorial le premier Pontife, c'est
lui qui sacrifie au _Tien_, au Souverain du Ciel et de la Terre. Il doit
être le premier Philosophe, le premier Prédicateur de l'Empire; ses Édits
sont presque toujours des instructions qui animent à la vertu.
Congfutsée que nous appelons _Confucius_, qui vivait il y a 2300 ans,
un peu avant Pythagore, rétablit cette Religion, laquelle consiste à être
juste. Il l'enseigna et la pratiqua dans la grandeur, dans l'abaissement,
tantôt premier Ministre du Roi tributaire de l'Empereur, tantôt exilé,
fugitif et pauvre. Il eut de son vivant 5000 disciples, et après sa
mort ses disciples furent les Empereurs, les _Colao_, c'est-à-dire les
Mandarins, les Lettrés, et tout ce qui n'est pas peuple.
Sa famille subsiste encore, et dans un Pays où il n'y a d'autre Noblesse
que celle des services actuels, elle est distinguée des autres familles en
mémoire de son Fondateur: pour lui, il a tous les honneurs, non pas les
honneurs divins qu'on ne doit à aucun homme, mais ceux que mérite un homme,
qui a donné de la Divinité les idées les plus saines que puisse former
l'esprit humain sans Révélation.
Quelque temps avant lui, Lao-Kum avait introduit une Secte, qui croit aux
Esprits malins, aux Enchantements, aux Prestiges. Une Secte semblable
à celle d'Épicure fut reçue et combattue à la Chine 500 ans avant
JÉSUS-CHRIST: mais dans le premier Siècle de notre Ère, ce Pays fut inondé
de la superstition des Bonzes. Ils apportèrent des Indes l'idole de _Fo_
ou de _Foé_, adoré sous différents noms par les Japonais et les Tartares,
prétendu Dieu descendu sur la Terre, à qui on rend le culte le plus
ridicule, et par conséquent le plus fait pour le Vulgaire. Cette Religion
née dans les Indes près de mille ans avant JÉSUS-CHRIST, a infecté
l'Asie orientale; c'est ce Dieu que prêchent les _Bonzes_ à la Chine,
les _Talapoins_ à Siam, les _Lamas_ en Tartarie. C'est en son nom qu'ils
promettent une vie éternelle, et que des milliers de Bonzes consacrent
leurs jours à des exercices de pénitence, qui effrayent la nature.
Quelques-uns passent leur vie nus et enchaînés; d'autres portent un carcan
de fer, qui plie leurs corps en deux et tient leur front toujours baissé
à terre. Leur fanatisme se subdivise à l'infini. Ils passent pour chasser
des Démons, pour opérer des miracles; ils vendent aux peuples la rémission
des péchés. Cette Secte séduit quelquefois des Mandarins, et par une
fatalité qui montre que la même superstition est de tous les Pays,
quelques Mandarins se sont fait tondre en Bonzes par piété.
Ce sont eux qui dans la Tartarie ont à leur tête le _Dailama_, Idole
vivante qu'on adore, et c'est là peut-être le triomphe de la Superstition
humaine.
Ce _Dailama_, successeur et vicaire du Dieu _Fo_, passe pour immortel.
Les Prêtres nourrissent toujours un jeune _Lama_ désigné successeur secret
du Souverain Pontife, qui prend sa place dès que celui-ci, qu'on croit
immortel, est mort. Les Princes Tartares ne lui parlent qu'à genoux. Il
décide souverainement tous les points de Foi sur lesquels les Lamas sont
divisés. Enfin il s'est depuis quelque temps fait Souverain du Tibet à
l'occident de la Chine. L'Empereur reçoit ses Ambassadeurs, et lui en
envoie avec des présents considérables.
Ces Sectes sont tolérées à la Chine pour l'usage du Vulgaire, comme des
aliments grossiers faits pour le nourrir; tandis que les Magistrats et
les Lettrés séparés en tout du peuple, se nourrissent d'une substance plus
pure. Confucius gémissait pourtant de cette foule d'erreurs: _Pourquoi_,
dit-il dans un de ses Livres, _y a-t-il plus de crimes chez la populace
ignorante que parmi les Lettrés? C'est que le peuple est gouverné par les
Bonzes_.
Beaucoup de Lettrés sont à-la-vérité tombés dans le Matérialisme, mais
leur Morale n'en a point été altérée. Ils pensent que la vertu est si
nécessaire aux hommes, et si aimable par elle-même, qu'on n'a pas même
besoin de la connaissance d'un Dieu pour la suivre.
On prétend que vers le VIIIe Siècle, du temps de Charlemagne, la Religion
Chrétienne était connue à la Chine. On assure que nos Missionnaires ont
trouvé dans la Province de Kinski une inscription en caractères Syriaques
et Chinois. Ce monument qu'on voit tout au long dans Kirker, atteste qu'un
Évêque nommé Olopuen, partit de Judée l'an de Notre Seigneur 636 pour
annoncer l'Évangile; qu'aussitôt qu'il fut arrivé au faubourg de la Ville
Impériale, l'Empereur envoya un Colao au devant de lui, et lui fit bâtir
une Église Chrétienne, etc. La date de l'inscription est de l'année 782.
Ce monument est peut-être une de ces fraudes pieuses, qu'on s'est toujours
trop aisément permises. Ce nom d'_Olopuen_, qui est Espagnol, rend déjà
le monument bien suspect. Cet empressement d'un Empereur de la Chine à
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