Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 7

Total number of words is 4595
Total number of unique words is 1476
32.3 of words are in the 2000 most common words
42.6 of words are in the 5000 most common words
49.3 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
Sarrasins ravagèrent l'Asie Mineure jusqu'aux portes de la Ville Impériale,
dépeuplée par une peste horrible en 842, et devenue un objet de pitié.
La peste proprement dite, est une maladie particulière aux Peuples de
l'Afrique, comme la petite-vérole. C'est de ces Pays qu'elle vient
toujours par des Vaisseaux marchands. Elle inonderait l'Europe sans
les sages précautions qu'on prend dans nos Ports, et probablement
l'inattention du Gouvernement laissa entrer la contagion dans la Ville
Impériale.
Cette même inattention exposa l'Empire à un autre fléau. Les Russes
s'embarquèrent vers le Port qu'on nomme aujourd'hui Azoph sur la Mer Noire,
et vinrent ravager tous les rivages du Pont Euxin. Les Arabes d'un autre
côté poussèrent encore leurs conquêtes par-delà l'Arménie et dans l'Asie
Mineure. Enfin Michel le Jeune, après un règne cruel et infortuné, fut
assassiné par Basile, qu'il avait tiré de la plus basse condition pour
l'associer à l'Empire.
L'administration de Basile ne fut guère plus heureuse. C'est sous son
règne qu'est l'époque du grand Schisme, qui divisa l'Église Grecque de la
Latine.
Les malheurs de l'Empire ne furent pas beaucoup réparés sous Léon, qu'on
appela le Philosophe; non qu'il fût un Antonin, un Marc-Aurèle, un Julien,
un Aaron Rachild, un Alfred, mais parce qu'il était savant. Il passe pour
avoir le premier ouvert un chemin aux Turcs, qui si longtemps après ont
pris Constantinople.
Les Turcs qui combattirent depuis les Sarrasins et qui mêlés à eux,
furent leur soutien et les destructeurs de l'Empire Grec, avaient-ils
déjà envoyé des Colonies dans ces contrées voisines du Danube? On n'a
guère d'histoires véritables de ces émigrations des Barbares.
Il n'y a que trop d'apparence que les hommes ont ainsi vécu longtemps.
À peine un Pays était un peu cultivé, qu'il était envahi par une Nation
affamée, chassée à son tour par une autre. Les Gaulois n'étaient-ils pas
descendus en Italie, n'avaient-ils pas été jusque dans l'Asie Mineure?
Vingt Peuples de la Grande Tartarie n'ont-ils pas cherché de nouvelles
Terres?
Malgré tant de désastres, Constantinople fut encore longtemps la Ville
Chrétienne la plus opulente, la plus peuplée, la plus recommandable par
les Arts. Sa situation seule par laquelle elle domine sur deux Mers, la
rendait nécessairement commerçante. La peste de 842, toute destructive
qu'elle avait été, ne fut qu'un fléau passager. Les Villes de commerce et
où la Cour réside, se repeuplent toujours par l'affluence des voisins. Les
Arts mécaniques et les beaux Arts même ne périssent point dans une vaste
Capitale qui est le séjour des riches.
Toutes ces révolutions subites du Palais, les crimes de tant d'Empereurs
égorgés les uns par les autres, sont des orages qui ne tombent guère sur
des hommes cachés, qui cultivent en paix des professions qu'on n'envie
point.
Les richesses n'étaient point épuisées: on dit qu'en 857 Théodora mère de
Michel, en se démettant malgré elle de la Régence, et traitée à peu près
par son fils comme Marie de Médicis le fut de nos jours par Louis XIII
fit voir à l'Empereur, qu'il y avait dans le trésor cent neuf mille livres
pesant d'Or et trois cents mille livres d'Argent.
Un Gouvernement sage pouvait donc encore maintenir l'Empire dans sa
puissance. Il était resserré, mais non démembré, changeant d'Empereurs,
mais toujours uni sous celui qui se revêtait de la pourpre. Enfin plus
riche, plus plein de ressources, plus puissant que celui d'Allemagne.
Cependant il n'est plus, et l'Empire d'Allemagne subsiste encore.


DE L'ITALIE, DES PAPES, ET DES AUTRES AFFAIRES DE L'ÉGLISE
AUX VIIIe et IXe SIÈCLES.

On a vu avec quelle prudence les Papes se conduisirent sous Pépin et sous
Charlemagne, comme ils assoupirent habilement les querelles de Religion,
et comme chacun d'eux établit sourdement les fondements de la grandeur
Pontificale.
Leur pouvoir était déjà trop grand, puisque Grégoire IV rebâtit le Port
d'Ostie et que Léon IV fortifia Rome à ses dépens. Mais tous les Papes ne
pouvaient être de grands-hommes, et toutes les conjonctures ne pouvaient
leur être favorables. Chaque vacance de siège causait presque autant de
troubles que l'élection d'un Roi en Pologne. Le Pape élu avait à ménager
à la fois le Sénat Romain, le Peuple et l'Empereur. La Noblesse Romaine
avait grande part au Gouvernement, elle élisait alors deux Consuls tous
les ans. Elle créait un Préfet, qui était une espèce de Tribun du Peuple.
Il y avait un Tribunal de douze Sénateurs, et c'était ces Sénateurs qui
nommaient les principaux Officiers du Duché de Rome. Ce Gouvernement
municipal avait tantôt plus, tantôt moins d'autorité. Les Papes avaient
à Rome plutôt un grand crédit qu'une puissance législative.
S'ils n'étaient pas Souverains de Rome, ils ne perdaient aucune occasion
d'agir en Souverains de l'Église d'Occident.
Nicolas I écrivait ainsi à Hincmar, Archevêque de Reims en 863: «Nous
avons appris par le rapport de plusieurs personnes fidèles, que vous avez
déposé notre cher frère Rothade absent; c'est pourquoi nous vous mandons
de venir incessamment à Rome avec ses accusateurs et le Prêtre qui a été
le sujet de sa déposition. Si dans un mois après la réception de cette
Lettre vous ne rétablissez pas Rothade, je vous défends de célébrer la
Messe, etc.»
On résistait toujours à ces entreprises des Papes, mais pour peu que de
tant d'Évêques un seul vînt à fléchir, sa soumission était regardée à Rome
comme un devoir: il fallait donc nécessairement que l'Église de Rome,
supérieure d'ailleurs aux autres, fût presque leur Souveraine à force de
vouloir l'être.
Gontier Archevêque de Cologne, déposé par le même Nicolas I pour avoir
été d'un avis contraire au Pape dans un Concile tenu à Metz en 864,
écrivit à toutes les Églises, «Quoique le Seigneur Nicolas qu'on nomme
Pape, et qui se compte Pape et Empereur, nous ait excommuniés, nous avons
résisté à sa folie». Ensuite dans son écrit s'adressant au Pape même,
«Nous ne recevons point, dit-il, votre maudite sentence, nous la méprisons,
nous vous rejetons vous-même de notre Communion, nous contentant de celle
des Évêques nos frères que vous méprisez», etc.
Un frère de l'Archevêque de Cologne porta lui-même cette protestation
à Rome, et la mit sur le tombeau de Saint Pierre, l'épée à la main.
Mais bientôt après l'état politique des affaires ayant changé, ce même
Archevêque changea aussi. Il vint au Mont Cassin se jeter aux genoux du
Pape Adrien successeur de Nicolas. «Je déclare, dit-il, devant Dieu et
devant ses Saints, à vous Monseigneur Adrien, Souverain Pontife, aux
Évêques qui vous sont soumis, et à toute l'Assemblée, que je supporte
humblement la sentence de déposition donnée canoniquement contre moi
par le Pape Nicolas», etc. On sent combien un exemple de cette espèce
affermissait les prétentions de l'Église Romaine, et les conjonctures
rendaient ces exemples fréquents.
Le même Nicolas I excommunia la femme de Lothaire Roi de Lorraine, fils
de l'Empereur Lothaire. Il n'était pas bien décidé si elle était épouse
légitime; mais il était moins décidé encore, si le Métropolitain de Rome
devait se mêler du lit d'un Souverain; ce n'était pas-là que se bornaient
leurs prétentions.
En 876, Le Pape Jean VIII dans une sentence qu'il prononça
contre Formose Évêque de Porto, qui fut depuis Pape, dit positivement
qu'il a élu et ordonné Empereur son cher fils Charles le Chauve.
Je passe beaucoup d'entreprises de cette nature, qui rempliraient des
volumes. Il suffit de voir quel était l'esprit de Rome.
La plus grande affaire que l'Église eut alors, et qui en est encore une
très-importante aujourd'hui, fut l'origine de la séparation totale des
Grecs et des Latins. La Chaire Patriarcale de Constantinople étant, ainsi
que le Trône, l'objet de l'ambition, était sujette aux mêmes révolutions.
L'Empereur mécontent du Patriarche Ignace, l'obligea à signer lui-même
sa déposition, et mit à sa place Photius, Eunuque du Palais, homme d'une
grande qualité, d'un vaste génie, et d'une science universelle. Il était
Grand-Écuyer et Ministre d'État. Les Évêques pour l'ordonner Patriarche,
le firent passer en six jours par tous les degrés. Le premier jour on
le fit Moine, parce que les Moines étaient alors regardés comme faisant
partie de la Hiérarchie. Le second jour il fut Lecteur, le troisième
Sous-Diacre, puis Diacre, Prêtre, et enfin Patriarche le jour de Noël
en 858.
Le Pape Nicolas prit le parti d'Ignace, et excommunia Photius. Il lui
reprochait surtout d'avoir passé de l'État Laïc à celui d'Évêque avec
tant de rapidité; mais Photius répondait avec raison, que Saint Ambroise,
Gouverneur de Milan et à peine Chrétien, avait joint la dignité d'Évêque
à celle de Gouverneur plus rapidement encore. Photius excommunia donc le
Pape à son tour, et le déclara déposé. Il prit le titre de Patriarche
Œcuménique, et accusa hautement d'hérésie les Évêques d'Occident de la
communion du Pape. Le plus grand reproche qu'il leur faisait, roulait sur
la procession du Père et du Fils. Les autres sujets d'anathème étaient que
les Latins se servaient de pain non levé pour l'Eucharistie, mangeaient
des œufs en Carême, et que leurs Prêtres se faisaient raser la barbe.
Étranges raisons pour brouiller l'Occident avec l'Orient.
L'Empereur Basile, assassin de Michel son bienfaiteur et des protecteurs
de Photius, déposa ce Patriarche dans le temps qu'il jouissait de sa
victoire. Rome profita de cette conjoncture pour faire assembler, en 869,
à Constantinople, le huitième Concile Œcuménique, composé de trois cents
Évêques. Il est à remarquer que les Légats qui présidaient ne savaient
pas un mot de Grec, et que parmi les autres Évêques très peu savaient le
Latin. Photius y fut universellement condamné comme intrus, et soumis à
la pénitence publique. On signa pour les cinq Patriarches avant de signer
pour le Pape. Mais en tout cela les questions qui partageaient l'Orient et
l'Occident, ne furent point agitées, on ne voulait que déposer Photius.
Quelques temps après, le vrai Patriarche, Ignace, étant mort, Photius eut
l'adresse de se faire rétablir par l'Empereur Basile. Le Pape Jean VIII
le reçut à sa communion, le reconnut, lui écrivit, et malgré ce huitième
Concile Œcuménique, qui avait anathématisé ce Patriarche, le Pape envoya
ses Légats à un autre Concile, en 879, à Constantinople, dans lequel
Photius fut reconnu innocent par quatre cents Évêques, dont trois cents
l'avaient auparavant condamné. Les Légats de ce même siège de Rome,
qui l'avaient anathématisé, servirent eux-mêmes à casser le huitième
Concile Œcuménique. On a beaucoup blâmé cette condescendance du Pape Jean
VIII mais on n'a pas assez songé que ce Pontife avait alors besoin de
l'Empereur Basile. Un Roi de Bulgarie, nommé Bogoris, gagné par l'habileté
de sa femme qui était Chrétienne, s'était converti à l'exemple de Clovis
et du Roi Egbert. Il s'agissait de savoir de quel Patriarcat cette
nouvelle Province Chrétienne dépendrait. Constantinople et Rome se
la disputaient. La décision dépendait de l'Empereur Basile. Voilà en
partie le sujet des complaisances qu'eut l'Évêque de Rome pour celui de
Constantinople.
Il ne faut pas oublier que dans ce Concile, ainsi que dans le précédent,
il y eut des _Cardinaux_. On nommait ainsi des Prêtres et des Diacres qui
servaient de Conseils aux Métropolitains. Il y en avait à Rome comme dans
d'autres Églises. Ils étaient déjà distingués, mais ils signaient après
les Évêques et les Abbés.
Le Pape donna par ses Lettres et par ses Légats le titre de _Votre
sainteté_ au Patriarche Photius. Les autres Patriarches sont aussi
appelés _Papes_ dans ce Concile. C'est un nom Grec, commun à tous les
Prêtres, et qui peu à peu est devenu le terme distinctif du Métropolitain
de Rome.
On eut encore l'adresse de ne point parler dans ce Concile des points
qui divisaient les Églises d'Orient et d'Occident. Le Pape écrivit au
Patriarche, qu'il était convenable de suspendre la grande querelle sur le
_qui ex Patre Filioque procedit_; et que l'usage immémorial étant à Rome
de chanter dans le Symbole _qui ex Patre procedit_, il fallait s'en tenir
à cet usage, sans blâmer ceux qui ajoutaient _ex Filio_.
Il paraît que Jean VIII se conduisait avec prudence; car ses successeurs
s'étant brouillés avec l'Empire Grec, et ayant alors adopté le huitième
Concile Œcuménique de 869, et rejeté l'autre, qui absolvait Photius,
la paix établie par Jean VIII fut alors rompue. Photius éclata contre
l'Église Romaine, la traita d'hérétique au sujet de cet article du
_Filioque procedit_, des œufs en Carême, de l'Eucharistie faite avec du
pain sans levain, et de plusieurs autres usages. Mais le grand point de la
division était la Primatie. Photius et ses successeurs voulaient être les
premiers Évêques du Christianisme, et ne pouvaient souffrir que l'Évêque
de Rome, d'une Ville qu'ils regardaient alors comme barbare, séparée
de l'Empire par sa rébellion, et en proie à qui voudrait s'en emparer,
disputât la préférence à l'Évêque de la Ville Impériale. Le temps a décidé
la supériorité de Rome et l'humiliation de Constantinople.
Photius qui eut dans sa vie plus de revers que de gloire, fut déposé par
des intrigues de Cour, et mourut malheureux, mais ses successeurs attachés
à ses prétentions, les soutinrent avec vigueur.
Le Dogme ne troubla point encore l'Église d'Occident; à peine a-t-on
conservé la mémoire d'une petite dispute excitée en 814 par un nommé Jean
Godescale sur la Prédestination et sur la Grâce; et je ne ferai nulle
mention d'une folie épidémique, qui saisit le peuple de Dijon en 844, à
l'occasion d'une Sainte Bénigne qui donnait, disait-on, des convulsions à
ceux qui priaient sur son tombeau; je ne parlerais pas, dis-je, de cette
superstition populaire, si elle ne s'était renouvellée de nos jours avec
fureur dans des circonstances toutes pareilles. Les mêmes folies semblent
destinées à reparaître de temps en temps sur la scène du Monde: mais aussi
le bon-sens est le même dans tous les temps, et on n'a rien dit de si sage
sur les miracles modernes de Saint Médard de Paris, que ce que dit en 844
un Évêque de Lyon sur ceux de Dijon. «Voilà un étrange Saint, qui estropie
ceux qui ont recours à lui: il me semble que les miracles devraient être
faits pour guérir les maladies, et non pour en donner».
Ces minuties ne troublaient point la paix en Occident, et les querelles
Théologiques n'étaient point ce à quoi Rome s'attachait; on travaillait à
augmenter la puissance temporelle. Elles firent plus de bruit en Orient,
parce que les Ecclésiastiques y étaient sans puissance temporelle. Il y a
encore une autre cause de la paix en Occident, c'est la grande ignorance
des Ecclésiastiques.


ÉTAT DE L'EMPIRE DE L'OCCIDENT, DE L'ITALIE, ET DE LA PAPAUTÉ
SUR LA FIN DU IXe SIÈCLE, DANS LE COURS DU Xe ET DANS LA MOITIÉ
DU XIe JUSQU'À HENRI III.

Après la déposition de Charles le Gros, l'Empire d'Occident ne subsista
plus que de nom. Arnould, Arnolfe ou Arnold, bâtard de Carloman et d'une
fille nommée Carantine, se rendit maître de l'Allemagne; mais l'Italie
était partagée entre deux Seigneurs, tous deux du sang de Charlemagne par
les femmes; l'un était un Duc de Spoléte, nommé Gui; l'autre Bérenger Duc
de Frioul. Tous deux investis de ces Duchés par Charles le Chauve, tous
prétendants à l'Empire aussi bien qu'au Royaume de France. Arnould en
qualité d'Empereur, regardait aussi la France comme lui appartenant de
droit, tandis que la France détachée de l'Empire était partagée entre
Charles le Simple qui la perdait et le Roi Eudes grand-oncle de Hugues
Capet, qui l'usurpait.
Un Bozon, Roi d'Arles, disputait encore l'Empire. Le Pape Formose, Évêque
peu accrédité de la malheureuse Rome, ne pouvait que donner l'Onction
Sacrée au plus fort. Il couronna en 892 ce Gui de Spoléte. L'année d'après
il couronna Bérenger vainqueur, et deux autres années après il fut forcé
de couronner cet Arnoud qui vint assiéger Rome et la prit d'assaut. Le
serment équivoque, que reçut Arnoud des Romains, prouve que déjà les Papes
prétendaient à la souveraineté de Rome. Tel était ce serment: «Je jure
par les Saints Mystères que sauf mon honneur, ma loi et ma fidélité à
Monseigneur Formose Pape, je serai fidèle à l'Empereur Arnoud».
Les Papes étaient alors en quelque sorte semblables aux Califes de Bagdad,
qui révérés dans tous les États Musulmans comme les Chefs de la Religion,
n'avaient plus guère d'autre droit que celui de donner les investitures
des Royaumes à ceux qui les demandaient les armes à la main; mais il y
avait entre ces Califes et ces Papes cette différence, que les Califes
étaient tombés, et que les Papes s'étaient élevés.
Il n'y avait réellement plus d'Empire, ni de droit ni de fait. Les Romains
qui s'étaient donnés à Charlemagne par acclamation, ne voulaient plus
reconnaître des bâtards, des étrangers, à peine maîtres d'une partie de
la Germanie.
Le Peuple Romain dans son abaissement, dans son mélange avec tant
d'étrangers, conservait encore comme aujourd'hui cette fierté secrète que
donne la grandeur passée. Il trouvait insupportable que des Bructères, des
Cattes, des Marcomans, se disent les successeurs des Césars, et que les
rives du Main et la forêt Hercynie fussent le centre de l'Empire de Titus
et de Trajan.
On frémissait à Rome d'indignation, et on riait en même temps de pitié,
lorsqu'on apprenait qu'après la mort d'Arnoud, son fils Hiludovic, que
nous appelons Louis, avait été créé Empereur des Romains à l'âge de
trois ou quatre ans dans un Village barbare, nommé Fourkem, par quelques
Seigneurs et Évêques Germains. C'était en effet un étrange Empire Romain
que ce Gouvernement qui n'avait alors ni les Pays entre le Rhin et la
Meuse, ni la France, ni la Bourgogne, ni l'Espagne, ni rien enfin dans
l'Italie, et pas même une Maison dans Rome qu'on pût dire appartenir à
l'Empereur.
Du temps de ce Louis, dernier Empereur du sang de Charlemagne par
bâtardise, mort en 912, l'Empire Romain resserré en Allemagne, fut ce
qu'était la France, une Contrée dévastée par les guerres civiles et
étrangères, sous un Prince élu en tumulte et mal obéi.
Tout est révolution dans les Gouvernements: c'en est une frappante que de
voir ces Saxons, sauvages traités par Charlemagne comme les Ilotes par les
Lacédémoniens, donner ou prendre au bout de 112 ans cette même dignité,
qui n'était plus dans la maison de leur vainqueur. Othon[13], Duc de Saxe,
après la mort de Louis, met par son crédit la couronne d'Allemagne sur
la tête de Conrad Duc de Franconie; et après la mort de Conrad, le fils
du Duc Othon de Saxe, Henri l'Oiseleur est élu. Tous ceux qui s'étaient
fait Princes héréditaires en Germanie, joints aux Évêques, faisaient ces
élections.
[Note 13: Dans l'édition de Jean Neaulme ce nom se trouve sous deux
orthographes, Otton ou Othon, nous avons retenu cette dernière.]
Dans la décadence de la famille de Charlemagne, la plupart des Gouverneurs
des Provinces s'étaient rendus absolus. Mais ce qui d'abord était
usurpation, devint bientôt un droit héréditaire.
Les Évêques de plusieurs grands sièges, déjà puissants par leur dignité,
n'avaient plus qu'un pas à faire pour être Princes, et ce pas fut bientôt
fait. De-là vient la puissance séculière des Évêques de Mayence, de
Cologne, de Trêves, de Wurtzbourg, et de tant d'autres en Allemagne et
en France. Les Archevêques de Reims, de Lyon, de Beauvais, de Langres,
de Laon, s'attribuèrent les droits régaliens. Cette puissance des
Ecclésiastiques ne dura pas en France, mais en Allemagne elle est affermie
pour longtemps. Enfin les Moines eux-mêmes devinrent Princes, les Abbés de
Fulde, de Saint Gal, de Kempten, de Corbie, etc. Ils étaient de petits
Rois dans les Pays où 80 ans auparavant ils défrichaient avec leurs mains
quelques terres que des propriétaires charitables leur avaient données.
Tous ces Seigneurs, Ducs, Comtes, Marquis, Évêques, Abbés, rendaient
hommage au Souverain. On a longtemps cherché l'origine de ce Gouvernement
Féodal. Il est à croire qu'elle n'en a point d'autre que l'ancienne
coutume de toutes les Nations, d'imposer un hommage et un tribut au plus
faible. On sait qu'ensuite les Empereurs Romains donnèrent des Terres à
perpétuité à de certaines conditions. On en trouve des exemples dans les
vies d'Alexandre Sévère et de Probus. Les Lombards furent les premiers qui
érigèrent des Duchés relevant en fief de leur Royaume. Spoléte et Bénévent
furent sous les Rois Lombards des Duchés héréditaires.
Avant Charlemagne, Tassillon possédait le Duché de Bavière à condition
d'un hommage, et ce Duché eût appartenu à ses descendants, si Charlemagne
ayant vaincu ce Prince, n'eût dépouillé le père et les enfants.
Point de Villes libres alors en Allemagne, ainsi point de commerce, point
de grandes richesses. Les Villes n'avaient pas même de murailles. Cet État
qui pouvait être si puissant, était devenu si faible par le nombre et la
division de ses Maîtres, que l'Empereur Conrad fut obligé de promettre
un tribut annuel aux Hongrois, Huns ou Pannoniens, si bien contenus par
Charlemagne, et si humiliés par les Empereurs de la Maison d'Autriche.
Mais alors ils semblaient être ce qu'ils avaient été sous Attila. Ils
ravageaient l'Allemagne, les Frontières de la France. Ils descendaient en
Italie par le Tyrol, après avoir pillé la Bavière, et revenaient ensuite
avec les dépouilles de tant de Nations.
C'est au règne d'Henri l'Oiseleur que se débrouilla un peu le chaos de
l'Allemagne. Ses limites étaient alors le Fleuve de l'Oder, la Bohême, la
Moravie, la Hongrie, les rivages du Rhin, de l'Escaut, de la Moselle, de
la Meuse, et vers le Septentrion la Poméranie et le Holstein étaient ses
barrières.
Il faut que Henri l'Oiseleur fût un des Rois des plus dignes de régner.
Sous lui les Seigneurs de l'Allemagne si divisés sont réunis. Le premier
fruit de cette réunion est l'affranchissement du tribut qu'on payait aux
Hongrois, et une grande victoire remportée sur cette Nation terrible (936).
Il fit entourer de murailles la plupart des Villes d'Allemagne. Il
institua des Milices. On lui attribua même l'invention de quelques Jeux
militaires, qui donnaient quelques idées des Tournois. Enfin l'Allemagne
respirait, mais il ne paraît pas qu'elle prétendît être l'Empire Romain.
L'Archevêque de Mayence avait sacré Henri l'Oiseleur. Aucun Légat du Pape,
aucun Envoyé des Romains n'y avait assisté. L'Allemagne sembla pendant
tout ce règne oublier l'Italie.
Il n'en fut pas ainsi sous Othon le Grand, que les Princes Allemands,
les Évêques et les Abbés élurent unanimement après la mort d'Henri son
père. L'héritier reconnu d'un Prince puissant, qui a fondé ou rétabli
un État, est toujours plus puissant que son père, s'il ne manque pas de
courage; car il entre dans une carrière déjà ouverte, il commence où son
prédécesseur a fini. Ainsi Alexandre avait été plus loin que Philippe son
père, Charlemagne plus loin que Pépin, et Othon le Grand passa beaucoup
Henri l'Oiseleur.
Les Italiens toujours factieux et faibles ne pouvaient ni obéir à
leurs compatriotes, ni être libres, ni se défendre à la fois contre les
Sarrasins et les Hongrois, dont les incursions infestaient encore leur
Pays.


DE LA PAPAUTÉ AU DIXIÈME SIÈCLE AVANT QU'OTHON LE GRAND
SE RENDIT MAÎTRE DE ROME.

Le Pape Formose, fils du Prêtre Léon, étant Évêque de Porto, avait été à
la tête d'une faction contre Jean VIII et deux fois excommunié par ce
Pape; mais ces excommunications qui furent bientôt après si terribles aux
Têtes couronnées, le furent si peu pour Formose qu'il se fit élire Pape
en 890.
Étienne VI aussi fils de Prêtre, successeur de Formose, homme qui
joignait l'esprit du fanatisme à celui de la faction, ayant toute sa vie
haï Formose, fit déterrer son corps qui était embaumé, et l'ayant revêtu
des habits pontificaux, le fit comparaître dans un Concile assemblé pour
juger sa mémoire. On donna au mort un Avocat, on lui fit son procès en
forme, le cadavre fut déclaré coupable d'avoir changé d'Évêché, et d'avoir
quitté celui de Porto pour celui de Rome; et pour réparation de ce crime,
on lui trancha la tête par la main du bourreau, on lui coupa trois doigts,
et on le jeta dans le Tibre.
Le Pape Étienne VI se rendit si odieux par cette farce aussi horrible que
folle, que les amis de Formose ayant soulevé les citoyens, les chargèrent
de fers, et l'étranglèrent en prison.
La faction ennemie de cet Étienne fit repêcher le corps de Formose, et le
fit enterrer pontificalement une seconde fois.
Cette querelle échauffait les esprits. Sergius III qui remplissait Rome
de ses brigues pour se faire Pape, fut exilé par son rival Jean IX ami
de Formose; mais reconnu Pape après la mort de Jean IX il fit jeter une
seconde fois Formose dans le Tibre. Dans ces troubles Théodora mère de
Marozie qu'elle maria depuis au Marquis de Toscane, et d'une autre
Théodora, toutes trois, célèbres par leurs galanteries, avait à Rome
la principale autorité. Sergius n'avait été élu que par les intrigues
de Théodora la mère. Il eut étant Pape un fils de Marozie qu'il éleva
publiquement dans son Palais. Il ne paraît pas qu'il fût haï des Romains,
qui naturellement voluptueux suivaient ses exemples plus qu'ils ne les
blâmaient.
Après sa mort les deux sœurs Marozie et Théodora procurèrent la Chaire de
Rome à un de leurs favoris, nommé Landon, mais ce Landon étant mort, la
jeune Théodora fit élire Pape son Amant Jean X Évêque de Bologne, puis
de Ravenne, et enfin de Rome. On ne lui reprocha point comme à Formose,
d'avoir changé d'Évêché. Ces Papes condamnés par la postérité comme
Évêques peu religieux, n'étaient point d'indignes Princes. Il s'en faut
beaucoup. Ce Jean X que l'amour fit Pape, était un homme de génie et de
courage; il fit ce que tous les Papes ses prédécesseurs n'avaient pu faire;
il chassa les Sarrasins de cette partie de l'Italie nommée le _Garillan_.
Pour réussir dans cette expédition, il eut l'adresse d'obtenir des troupes
de l'Empereur de Constantinople, quoique cet Empereur eût à se plaindre
autant des Romains rebelles que des Sarrasins. Il fit armer le Comte de
Capoue. Il obtint des milices de Toscane, et marcha lui-même à la tête
de cette armée, menant avec lui un jeune fils de Marozie et du Marquis
Adelbert: ayant chassé les Mahométans du voisinage de Rome, il voulait
aussi délivrer l'Italie des Allemands et des autres étrangers.
L'Italie était envahie presqu'à la fois par les Bérengers, par un Roi de
Bourgogne, par un Roi d'Arles. Il les empêcha tous de dominer dans Rome.
Mais au bout de quelques années Guido, frère utérin de Hugo Roi d'Arles,
Tyran de l'Italie, ayant épousé Marozie toute puissante à Rome, cette même
Marozie conspira contre le Pape si longtemps Amant de sa sœur. Il fut
surpris, mis aux fers, et étouffé entre deux matelas.
Marozie, maîtresse de Rome, fit élire Pape un nommé Léon, qu'elle fit
mourir en prison au bout de quelques mois. Ensuite ayant donné le siège
de Rome à un homme obscur, qui ne vécut que deux ans, elle mit enfin sur
la Chaire Pontificale Jean XI son propre fils, qu'elle avait eu de son
adultère avec Sergius III.
Jean XI n'avait que 24 ans quand sa mère le fit Pape; elle ne lui conféra
cette dignité qu'à condition qu'il s'en tiendrait uniquement aux fonctions
d'Évêque, et qu'il ne serait que le Chapelain de sa mère.
On prétend que Marozie empoisonna alors son mari Guido, Marquis de
Toscane. Ce qui est vrai, c'est qu'elle épousa le frère de son mari Hugo
Roi de Lombardie, et le mit en possession de Rome, se flattant d'être avec
lui Impératrice; mais un fils du premier lit de Marozie se mit alors à la
tête des Romains contre sa mère, chassa Hugues de Rome, renferma Marozie
et le Pape son fils dans le Château Saint Ange. On prétend que Jean XI y
mourut empoisonné.
Un Étienne VII Allemand de naissance, élu en 939, fut par cette naissance
seule si odieux aux Romains, que dans une sédition le peuple lui balafra
le visage au point qu'il ne put jamais depuis paraître en public.
Quelque temps après un petit-fils de Marozie, nommé Octavien, fut élu Pape
You have read 1 text from French literature.
Next - Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 8