Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 10

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règne encore, envoie son Général Abénana au secours du Roi d'Andalousie.
Ce Général trahit non seulement ce Roi même à qui il était envoyé, mais
encore le Miramolin au nom duquel il venait. Enfin le Miramolin irrité
vient lui-même combattre son Général perfide, qui faisait la guerre aux
autres Mahométans, tandis que les Chrétiens étaient aussi divisés entre
eux.
L'Espagne était déchirée par tant de Nations Mahométanes et Chrétiennes,
lorsque le Cid Don Rodrigue à la tête de sa Chevalerie subjugua le Royaume
de Valence. Il y avait en Espagne peu de Rois plus puissants que lui,
mais il n'en prit pas le nom, soit qu'il préférât le titre de Cid, soit
que l'esprit de Chevalerie le rendît fidèle au Roi Alfonse son Maître.
Cependant il gouverna Valence avec l'autorité d'un Souverain, recevant des
Ambassadeurs, et respecté de toutes les Nations. Après sa mort, arrivée
l'an 1096, les Rois de Castille et d'Aragon continuèrent toujours leurs
guerres contre les Maures. L'Espagne ne fut jamais plus sanglante et plus
désolée. Triste effet de l'ancienne conspiration de l'Archevêque Opas et
du Comte Julien, qui faisait au bout de 400 ans et fit encore longtemps
après les malheurs de l'Espagne.


DE LA RELIGION ET DE LA SUPERSTITION DE CES TEMPS-LÀ.

Les hérésies semblent être le fruit d'un peu de science et de loisir.
On a vu que l'état où était l'Église au Xe Siècle, ne permettait guère
le loisir ni l'étude. Tout le monde était armé, et on ne se disputait
que des richesses. Cependant en France, du temps du Roi Robert, il y eut
quelques Prêtres, et entre autres un nommé Étienne, Confesseur de la Reine
Constance, accusés d'hérésie. On les appela Manichéens, pour leur donner
un nom plus odieux; car ils n'enseignaient rien des dogmes de Manès.
C'était probablement des enthousiastes, qui tendaient à une perfection
outrée, pour dominer sur les esprits. C'est le caractère de tous les Chefs
de Sectes. On leur imputa des crimes horribles et des sentiments dénaturés,
dont on charge toujours ceux dont on ne connaît pas les dogmes.
En 1028, ils furent juridiquement accusés de réciter les Litanies à
l'honneur des Diables, d'éteindre ensuite les lumières, de se mêler
indifféremment, et de brûler le premier des enfants qui naissaient de ces
incestes, pour en avaler les cendres. Ce sont à peu près les reproches
qu'on faisait aux premiers Chrétiens. Je crois que cette calomnie des
Païens contre eux, était fondée sur ce que les Chrétiens faisaient
quelquefois la Cène, en mangeant d'un pain fait en forme de petits enfants
pour représenter JÉSUS-CHRIST, comme il se pratique encore dans quelques
Églises Grecques. Ce qu'on peut recueillir de certain concernant les
opinions des Hérétiques dont je parle, c'est qu'ils enseignaient que Dieu
n'était point en effet venu sur la Terre, n'était ni mort ni ressuscité,
et que du pain et du vin ne pouvaient devenir son corps et son sang.
Le Roi Robert et sa femme Constance se transportèrent à Orléans, où
se tenaient quelques assemblées de ceux qu'on appelait Manichéens.
Les Évêques firent brûler treize de ces malheureux. Le Roi, la Reine,
assistèrent à ce spectacle indigne de leur majesté. Jamais avant cette
exécution on n'avait en France livré au supplice aucun de ceux qui
dogmatisent sur ce qu'ils n'entendent point. Il est vrai que Priscillien
au IVe Siècle avait été condamné à la mort dans Trêves avec sept de ses
disciples. Mais la Ville de Trêves qui était alors dans les Gaules, n'est
plus annexée à la France depuis la décadence de la famille de Charlemagne.
Ce qu'il faut observer, c'est que Saint Martin de Tours ne voulut point
communiquer avec les Évêques qui avaient demandé le sang de Priscillien.
Il disait hautement qu'il était horrible de condamner des hommes à la mort,
parce qu'ils se trompent. Il ne se trouva point de Saint Martin du temps
du Roi Robert.
Il s'élevait alors quelques légers nuages sur l'Eucharistie, mais ils ne
formaient point encore d'orages. Je ne sais comment ce sujet de querelle
avait échappé à l'imagination ardente des Chrétiens Grecs. Il fut
probablement négligé, parce qu'il ne laissait nulle prise à cette
métaphysique cultivée par les Docteurs depuis qu'ils eurent adopté les
idées de Platon. Ils avaient trouvé de quoi exercer cette philosophie
dans l'explication de la Trinité, dans la consubstantialité du Verbe, dans
l'union des deux Natures et des deux Volontés, enfin dans l'abîme de la
Prédestination. La question, Si du pain et du vin sont changés en la
seconde personne de la Trinité, et par conséquent en Dieu? Si on mange
et on boit cette seconde personne par la foi seulement? cette question,
dis-je, était d'un autre genre, qui ne paraissait pas soumis à la
philosophie de ces temps. Aussi on se contenta de faire la Cène le soir
dans les premiers âges du Christianisme, et de communier à la Messe sous
les deux espèces au temps dont je parle, sans avoir une idée fixe et
déterminée sur ce mystère. Il paraît que dans beaucoup d'Églises, et
surtout en Angleterre, on croyait qu'on ne mangeait et qu'on ne buvait
JÉSUS-CHRIST que spirituellement. On trouve dans la Bibliothèque
Bodléienne une Homélie du Xe Siècle, dans laquelle sont ces propres
mots, «C'est véritablement par la consécration le corps et le sang de
JÉSUS-CHRIST, non corporellement, mais spirituellement. Le corps dans
lequel JÉSUS-CHRIST souffrit et le corps Eucharistique sont entièrement
différents. Le premier était composé de chair et d'os animés par une âme
raisonnable; mais ce que nous nommons Eucharistie n'a ni sang, ni os, ni
âme. Nous devons donc l'entendre dans un sens spirituel.»
Jean Scot, surnommé Eugène parce qu'il était d'Irlande, avait longtemps
auparavant sous le règne de Charles le Chauve, et même, à ce qu'il dit par
ordre de cet Empereur, soutenu la même opinion.
Du temps de Jean Scot, Ratram Moine de Corbie et d'autres avaient écrit
sur ce mystère d'une manière à laisser au moins douter s'ils croyaient
ce qu'on appela depuis la _Présence réelle_. Car Ratram dans son écrit
adressé à l'Empereur Charles le Chauve, dit en termes exprès «C'est
le corps de JÉSUS-CHRIST qui est vu, reçu, et mangé non par les sens
corporels, mais par les yeux de l'esprit fidèle».
On avait écrit contre eux, et le sentiment le plus commun était sans-doute
qu'on mangeait le véritable corps de JÉSUS-CHRIST, puisqu'on disputait
pour savoir, si on le digérait et si on le rendait avec les excréments.
Enfin Bérenger, Archidiacre de Tours, enseigna vers 1050 par écrit et dans
la chaire, que le corps véritable de Jésus-Christ n'est point et ne peut
être dans du pain et dans du vin. Cette proposition révolta d'autant plus
alors, que Bérenger ayant une très-grande réputation avait d'autant plus
d'ennemis. Celui qui se distingua le plus contre lui, fut Lanfranc de race
Lombarde, né à Pavie, qui était venu chercher une fortune en France. Il
balançait la réputation de Bérenger. Voici comme il s'y prenait pour le
confondre dans son Traité _de corpore Domini_.
«On peut dire avec vérité que le Corps de Notre Seigneur dans
l'Eucharistie est le même qui est sorti de la Vierge, et que ce n'est pas
le même. C'est le même quant à l'essence et aux propriétés de la véritable
nature, et ce n'est pas le même quant aux espèces du pain et du vin; de
sorte qu'il est le même quant à la substance, et qu'il n'est pas le même
quant à la forme.»
Ce sentiment de Lanfranc parut être celui de toute l'Église. Bérenger fut
condamné au Concile de Paris en 1050, condamné encore à Rome en 1079, et
obligé de prononcer sa rétractation; mais cette rétractation forcée ne fit
que graver plus avant ces sentiments dans son cœur. Il mourut dans son
opinion, qui ne fit alors ni schisme ni guerre civile. Le temporel seul
était le grand objet qui occupait l'ambition des hommes. L'autre source
qui devait faire verser tant de sang, n'était pas encore ouverte.
On croit bien que l'ignorance de ces temps affermissait les superstitions
populaires. J'en rapporterai quelques exemples, qui ont longtemps exercé
la crédulité humaine. On prétend que l'Empereur Othon III fit périr sa
femme Marie d'Aragon pour cause d'adultère. Il est très possible qu'un
Prince cruel et dévot, tel qu'on peint Othon III envoie au supplice
sa femme moins débauchée que lui. Mais vingt Auteurs ont écrit, et
Maimbourg a répété après eux, et d'autres ont répété après Maimbourg,
que l'Impératrice ayant fait des avances à un jeune Comte Italien, qui
les refusa par vertu, elle accusa ce Comte auprès de l'Empereur de l'avoir
voulu séduire, et que le Comte fut puni de mort. La veuve du Comte,
dit-on, vint la tête de son mari à la main demander justice et prouver son
innocence. Cette veuve demanda d'être admise à l'épreuve du fer ardent.
Elle tint tant qu'on voulut une barre de fer toute rouge dans ses mains
sans se brûler; et ce prodige servant de preuve juridique, l'Impératrice
fut condamnée à être brûlée vive.
Maimbourg aurait dû faire réflexion que cette fable est rapportée par des
Auteurs qui ont écrit très-longtemps après le règne d'Othon III qu'on ne
nomme pas seulement les noms de ce Comte Italien, et de cette veuve qui
maniait si impunément des barres de fer rouge. Enfin quand même des
Auteurs contemporains auraient authentiquement rendu compte d'un tel
événement, ils ne mériteraient pas plus de croyance que les Sorciers qui
déposent en justice qu'ils ont assisté au Sabbat.
L'aventure de la barre de fer doit faire révoquer en doute le supplice
de l'Impératrice Marie d'Aragon rapporté dans tant de Dictionnaires,
d'Histoires, où dans chaque page le mensonge est joint à la vérité.
Le second événement est du même genre. On prétend que Henri II successeur
d'Othon III éprouva la fidélité de sa femme Cunegunde, en la faisant
marcher pieds nus sur neuf socs de charrue rougis au feu. Cette histoire
rapportée dans tant de Martyrologes, mérite la même réponse que celle de
la femme d'Othon.
Didier Abbé du Mont Cassin et plusieurs autres Écrivains rapportent un
fait à peu près semblable. En 1063 des Moines de Florence, mécontents de
leur Évêque, allèrent crier à la Ville et à la Campagne «Notre Évêque est
un simoniaque et un scélérat». Et ils eurent, dit-on, la hardiesse de
promettre qu'ils prouveraient cette accusation par l'épreuve du feu. On
prit donc jour pour cette cérémonie, et ce fut le mercredi de la première
semaine du Carême. Deux bûchers furent dressés, chacun de dix pieds de
long sur cinq de large, séparés par un sentier d'un pied et demi de
largeur, rempli de bois sec. Les deux bûchers ayant été allumés et cet
espace réduit en charbons, un Moine Minime, nommé Aldobrandin, passe à
travers sur ce sentier à pas graves et mesurés, et revient même prendre au
milieu des flammes son manipule qu'il avait laissé tomber. Voilà ce que
plusieurs Historiens disent, qu'on ne peut nier qu'en renversant tous les
fondements de l'Histoire; mais il est sûr qu'on ne peut le croire sans
renverser tous les fondements de la Raison.
Il se peut faire sans-doute qu'un homme passe très-rapidement entre deux
bûchers et même sur des charbons, sans être tout-à-fait brûlé; mais y
passer et y repasser d'un pas grave pour reprendre son manipule, c'est
une de ces aventures de la _Légende Dorée_, dont il n'est plus permis de
parler à des hommes raisonnables.
La dernière épreuve que je rapporterai, est celle dont on se servit
pour décider en Espagne après la prise de Tolède, si on devait réciter
l'Office Romain, ou celui qu'on appelait Mozarabique. On convint d'abord
unanimement de terminer la querelle par le duel. Deux champions armés de
toutes pièces combattirent dans toutes les règles de la Chevalerie. Don
Ruis de Montania, Chevalier du Missel Mozarabique, fit perdre les arçons à
son adversaire, et le renversa mourant. Mais la Reine qui avait beaucoup
d'inclination pour le Missel Romain, voulut qu'on tentât l'épreuve du feu.
Toutes les Lois de la Chevalerie s'y opposaient. Cependant on jeta au
feu les deux Missels, qui probablement furent brûlés; et le Roi pour ne
mécontenter personne, fit en sorte que quelques Églises prieraient Dieu
selon le Rituel Romain, et que d'autres garderaient le Mozarabique. Dans
la plupart des choses que je viens de rapporter, on croirait lire une
relation des Hottentots ou de Nègres; et il faut l'avouer, nous leur
ressemblons encore en quelque chose.
Fin du premier Tome.
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