Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 9

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Duc de Salerne; ils servirent contre les Sarrasins, s'armèrent ensuite
contre les Grecs, et enfin contre les Papes, ayant pour ennemi tous ceux
qu'ils pouvaient dépouiller.
Le Pape Léon IX se servit contre eux d'excommunications. Guillaume
Fierabra fils de Tancréde, et ses frères Humfroy, Robert et Richard, Chefs
de ces Normands, après avoir vaincu la petite armée du Pape, l'assiégèrent
dans un Château près de Bénévent, le prirent prisonnier, le gardèrent plus
d'une année, et ne le relâchèrent que quand il fut attaqué d'une maladie,
dont il alla mourir à Rome.
Il fallut bientôt que la Cour de Rome pliât sous ces nouveaux usurpateurs.
Elle leur céda une partie des patrimoines que les Empereurs d'Occident lui
avaient donné sans en être les maîtres.
Le Pape Nicolas II alla lui-même dans la Pouille trouver ces Normands,
toujours excommuniés et toujours donnant la loi. Il céda à Richard la
Principauté de Capoue, à Robert Guichard la Pouille, la Calabre et la
Sicile entière, que Robert Guichard commençait à conquérir sur les
Sarrasins. Robert se soumit de son côté envers le Pape à la redevance
perpétuelle de douze deniers monnaie de Pavie pour chaque paire de bœufs
dans tous les Pays qu'on lui cédait, et lui fit hommage de ce que ses
frères et lui avaient conquis sur les Chrétiens et sur les Mahométans.
Enfin en 1101 Roger, petit-fils de Tancréde et frère de ce Boemond si
célèbre dans les Croisades, acheva de conquérir sur les Mahométans toute
la Sicile, dont les Papes sont demeurés toujours Seigneurs Suzerains.


CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE PAR GUILLAUME DUC DE NORMANDIE

Tandis que de simples Citoyens de Normandie fondaient si loin des Royaumes,
leurs Ducs en acquéraient un plus beau, sur lequel les Papes osèrent
prétendre le même droit que sur la Sicile. La Nation Britannique était,
malgré sa fierté, destinée à se voir toujours gouvernée par des étrangers.
Après la mort d'Alfred arrivée en 900, l'Angleterre retomba dans la
confusion et la barbarie. Les anciens Anglo-Saxons ses premiers vainqueurs,
et les Danois ses usurpateurs nouveaux, s'en disputaient toujours la
possession, et de nouveaux Pirates Danois venaient encore souvent partager
les dépouilles. Ces Pirates continuaient d'être si terribles et les
Anglais si faibles, que vers l'année 1000 on ne put se racheter d'eux
qu'en payant quarante-huit mille livres sterling. On imposa pour lever
cette somme, une taxe qui dura depuis assez longtemps en Angleterre, ainsi
que la plupart des autres taxes qu'on continue toujours de lever après le
besoin. Ce tribut humiliant fut appelé Argent Danois, _Danngeld_.
Canut Roi de Danemark qu'on a nommé le Grand, et qui n'a fait que de
grandes cruautés, remit sous sa domination en 1017 le Danemark et
l'Angleterre. Les naturels Anglais furent traités alors comme des
esclaves. Les Auteurs de ce temps avouent que quand un Anglais rencontrait
un Danois, il fallait qu'il s'arrêtât jusqu'à ce que le Danois eût passé.
La race de Canut ayant manqué en 1041, les États du Royaume reprenant
leur liberté, déférèrent la couronne à Édouard, un descendant des anciens
Anglo-Saxons, qu'on appelle le Saint et le Confesseur. Une des grandes
fautes ou un des grands malheurs de ce Roi, fut de n'avoir point d'enfants
de sa femme Édithe, fille du plus puissant Seigneur du Royaume. Il
haïssait sa femme ainsi que sa propre mère pour des raisons d'État, et
les fit éloigner l'une et l'autre. La stérilité de son mariage servit à sa
canonisation. On prétendit qu'il avait fait vœu de chasteté: vœu téméraire
dans un mari, et absurde dans un Roi qui avait besoin d'héritiers. Ce vœu,
s'il fut réel, prépara de nouveaux fers à l'Angleterre.
Les mœurs et les usages de ce temps-là ne ressemblent en rien aux nôtres.
Guillaume VIII Duc de Normandie, qui conquit l'Angleterre, loin d'avoir
aucun droit sur ce Royaume, n'en avait pas même sur la Normandie, si la
naissance donnait les droits. Son père le Duc Robert qui ne s'était jamais
marié, l'avait eu de la fille d'un Péletier de Falaise, que l'Histoire
appelle _Harlot_, terme qui signifiait et signifie encore aujourd'hui en
Anglais _concubine_ ou femme publique. Ce bâtard reconnu du vivant de son
père pour héritier légitime, se maintint par son habileté et par sa valeur
contre tous ceux qui lui disputaient son Duché. Il régnait paisiblement
en Normandie, et la Bretagne lui rendait hommage. Lorsqu'Édouard le
Confesseur étant mort, il prétendit au Royaume d'Angleterre, le droit
de succession ne paraissait alors établi dans aucun État de l'Europe. La
couronne d'Allemagne était élective, l'Espagne était partagée entre les
Chrétiens et les Musulmans. La Lombardie changeait chaque jour de Maître.
La Race Carolingienne détrônée en France, faisait voir ce que peut la
force contre le droit du sang. Édouard le Confesseur n'avait point joui
du trône à titre d'héritage. Harald successeur d'Édouard n'était point
de sa race, mais il avait le plus incontestable de tous les droits, les
suffrages de toute la Nation. Guillaume le Bâtard n'avait pour lui ni le
droit d'élection, ni celui d'héritage, ni même aucun parti en Angleterre.
Il prétendit que dans un voyage qu'il fit autrefois dans cette Île, le Roi
Édouard avait fait en sa faveur un testament que personne ne vit jamais.
Il disait encore qu'autrefois il avait délivré de prison Harold, et qu'il
lui avait cédé ses droits sur l'Angleterre. Il appuya ses faibles raisons
d'une forte armée.
Les Barons de Normandie assemblés en forme d'États, refusèrent de l'argent
à leur Duc pour cette expédition, parce que s'il ne réussissait pas, la
Normandie en resterait appauvrie, et qu'un heureux succès la rendrait
Province d'Angleterre; mais plusieurs Normands hasardèrent leur fortune
avec leur Duc. Un seul Seigneur nommé Fiz Othbern équipa quarante
vaisseaux à ses dépens. Le Comte de Flandres, beau-père du Duc Guillaume,
le secourut de quelque argent. Le Pape même entra dans ses intérêts. Il
excommunia tous ceux qui s'opposeraient aux desseins de Guillaume. Enfin
il partit de Saint Valery avec une flotte nombreuse. On ne sait combien il
avait de vaisseaux, ni de soldats. Il aborda sur les côtes de Sussex, et
bientôt après se donna dans cette Province la fameuse bataille de Hastings
(14 Octobre 1066), qui décida seule du sort de l'Angleterre. Les Anglais
ayant leur Roi Harold à leur tête, et les Normands conduits par leur Duc,
combattirent pendant douze heures. La gendarmerie qui commençait à faire
ailleurs la force des armées, ne paraît pas avoir été employée dans cette
bataille. Les Chefs y combattirent à pied, Harold et deux de ses frères
y furent tués. Le vainqueur s'approcha de Londres, portant devant lui
une bannière bénite, que le Pape lui avait envoyée. Cette bannière fut
l'étendard auquel tous les Évêques se rallièrent en sa faveur. Ils vinrent
aux portes avec le Magistrat de Londres lui offrir la couronne qu'on ne
pouvait refuser au vainqueur.
Guillaume sut gouverner comme il sut conquérir. Plusieurs révoltes
étouffées, des irruptions des Danois rendues inutiles, des lois
rigoureuses durement exécutées signalèrent son règne. Anciens Bretons,
Danois, Anglo-Saxons, tous furent confondus dans le même esclavage. Les
Normands qui avaient eu part à sa victoire, partagèrent par ses bienfaits,
les terres des vaincus. De-là toutes ces Familles Normandes, dont les
descendants ou du-moins les noms subsistent encore en Angleterre. Il fit
faire un dénombrement exact de tous les biens des Sujets, de quelque
nature qu'ils fussent. On prétend qu'il en profita pour se faire en
Angleterre un revenu de quatre cents mille livres sterling; ce qui ferait
aujourd'hui environ cinq millions sterling, et plus de cent millions de
France. Il est évident qu'en cela les Historiens se sont trompés. L'État
d'Angleterre d'aujourd'hui, qui comprend l'Écosse et l'Irlande, n'a pas
un si gros revenu, si vous en déduisez ce qu'on paye pour les anciennes
dettes du Gouvernement. Ce qui est sûr, c'est que Guillaume abolit toutes
les Lois du Pays pour y introduire celles de Normandie. Il ordonna qu'on
plaidât en Normand, et depuis lui tous les Actes furent expédiés en cette
langue jusqu'à Édouard III. Il voulut que la langue des vainqueurs fût
la seule du Pays. Des Écoles de la Langue Normande furent établies dans
toutes les Villes et les Bourgades. Cette langue était le Français mêlé
d'un peu de Danois: idiome barbare, qui n'avait aucun avantage sur celui
qu'on parlait en Angleterre. On prétend qu'il traitait non seulement la
Nation vaincue avec dureté, mais qu'il affectait encore des caprices
tyranniques. On en donne pour exemple la _Loi du couvre-feu_, par laquelle
il fallait au son de la cloche éteindre le feu dans chaque maison à huit
heures du soir. Mais cette loi bien loin d'être tyrannique, n'est qu'une
ancienne police Ecclésiastique, établie presque dans tous les anciens
Cloîtres du Pays du Nord. Les maisons étaient bâties de bois, et la
crainte du feu était un objet des plus importants de la Police générale.
On lui reproche encore d'avoir détruit tous les Villages qui se trouvaient
dans un circuit de quinze lieues, pour en faire une Forêt, dans laquelle
il pût goûter le plaisir de la chasse. Une telle action est trop insensée
pour être vraisemblable. Les Historiens ne font pas attention qu'il faut
au moins vingt années pour qu'un nouveau plan d'arbres devienne une Forêt
propre à la chasse. On lui fait semer cette Forêt en 1080, il avait alors
63 ans. Quelle apparence y a-t-il qu'un homme raisonnable ait à cet âge
détruit des Villages pour semer quinze lieues en bois dans l'espérance d'y
chasser un jour?
Le Conquérant de l'Angleterre fut la terreur du Roi de France Philippe Ier
qui voulut abaisser trop tard un Vassal si puissant, se jeta sur le Maine,
qui dépendait alors de la Normandie. Guillaume repassa la mer, reprit le
Maine, et contraignit le Roi de France à demander la paix.
Les prétentions de la Cour de Rome n'éclatèrent jamais plus singulièrement
qu'avec ce Prince. Le Pape Grégoire VII prit le temps qu'il faisait la
guerre à la France pour demander qu'il lui rendît hommage du Royaume
d'Angleterre. Cet hommage était fondé sur cet ancien Denier de Saint
Pierre, qu'une partie de l'Angleterre payait à l'Église de Rome. Il
revenait à environ trois livres de notre monnaie par chaque maison,
aumône trop forte que les Papes regardaient comme un tribut. Guillaume le
Conquérant fit dire au Pape, qu'il pourrait bien continuer l'aumône, mais
au lieu de faire hommage il fit défense en Angleterre de ne reconnaître
d'autre Pape que celui qu'il approuverait. La proposition de Grégoire VII
devint par-là ridicule à force d'être audacieuse. C'est ce même Grégoire
VII qui bouleversait l'Europe pour élever le Sacerdoce au-dessus de
l'Empire; mais avant de parler de cette querelle mémorable et des
Croisades qui prirent naissance dans ces temps, il faut voir en peu de
mots en quel état étaient les autres Pays de l'Europe.


DE L'ÉTAT OÙ ÉTAIT L'EUROPE AUX Xe ET XIe SIÈCLES

La Russie avait embrassé le Christianisme à la fin du VIIIe Siècle. Les
femmes étaient destinées à convertir les Royaumes. Une sœur des Empereurs
Basile et Constantin, mariée au père de ce Czar Jaraslau, dont j'ai parlé,
obtint de son mari qu'il se ferait baptiser. Les Russes esclaves de leur
Maître l'imitèrent, mais ils ne prirent du Rite Grec que les superstitions.
Environ dans ce temps-là une femme attira encore la Pologne au
Christianisme. Miceslas Duc de Pologne fut converti par sa femme sœur du
Duc de Bohême. J'ai déjà remarqué que les Bulgares avaient reçu la foi de
la même manière. Giselle sœur de l'Empereur Henri fit encore Chrétien son
mari Roi de Hongrie dans la première année du XIe Siècle; ainsi il est
très-vrai que la moitié de l'Europe doit aux femmes son Christianisme.
La Suède chez qui elle avait été prêchée dès le IXe Siècle, était
redevenue idolâtre. La Bohême et tout ce qui est au Nord de l'Elbe,
renonça au Christianisme en 1013. Toutes les Côtes de la Mer Baltique vers
l'Orient étaient Païennes. Les Hongrois en 1047 retournèrent au Paganisme.
Mais toutes ces Nations étaient beaucoup plus loin encore d'être polies,
que d'être Chrétiennes.
La Suède, probablement depuis longtemps épuisée d'habitants par ces
anciennes émigrations dont l'Europe fut inondée, paraît dans le VIIIe,
IXe, Xe et XIe Siècles comme ensevelie dans sa barbarie, sans guerre et
sans commerce avec ses voisins; elle n'a part à aucun grand événement, et
n'en fut probablement que plus heureuse.
La Pologne beaucoup plus barbare que Chrétienne conserva jusqu'au XIIIe
Siècle toutes les coutumes des anciens Sarmates, de tuer leurs enfants qui
naissaient imparfaits, et les vieillards invalides. Qu'on juge par-là du
reste du Nord.
L'Empire de Constantinople n'était ni plus resserré ni plus agrandi que
nous l'avons vu au IXe Siècle. À l'Occident il se défendait contre les
Bulgares, à l'Orient et au Nord contre les Turcs et les Arabes.
On a vu en général ce qu'était l'Italie: des Seigneurs particuliers
partageaient tout le Pays depuis Rome jusqu'à la Mer de la Calabre; et
les Normands en avaient la plus grande partie. Florence, Milan, Pavie, se
gouvernaient par leurs Magistrats sous des Comtes ou sous des Ducs nommés
par les Empereurs. Bologne était plus libre.
La Maison de Maurienne dont descendent les Ducs de Savoie, Rois de
Sardaigne, commençait à s'établir. Elle possédait comme Fief de l'Empire
la Comté héréditaire de Savoie et de Maurienne, depuis que Humbert
aux blanches mains, tige de cette Maison, avait eu en 888 ce petit
démembrement du Royaume de Bourgogne.
Les Suisses et les Grisons détachés aussi de ce même Royaume, obéissaient
aux Baillis que les Empereurs nommaient.
Deux Villes maritimes d'Italie commençaient à s'élever non par ces
invasions subites qui ont fait les droits de presque tous les Princes
qui ont passé en revue, mais par une industrie sage qui dégénéra aussi
bientôt en esprit de conquête. Ces deux Villes étaient Gênes et Venise.
Gênes célèbre du temps des Romains, regardait Charlemagne comme son
restaurateur. Cet Empereur l'avait rebâtie quelque temps après que les
Goths l'avaient détruite. Gouvernée par des Comtes sous Charlemagne et ses
premiers descendants, elle fut saccagée au Xe Siècle par les Mahométans,
et presque tous ses citoyens furent emmenés en servitude. Mais comme
c'était un Port commerçant, elle fut bientôt repeuplée. Le Négoce qui
l'avait fait fleurir, servit à la rétablir. Elle devint alors une
République. Elle prit l'Île de Corse sur les Arabes, qui s'en étaient
emparés. C'est ici qu'il faut se souvenir que Louis le Débonnaire avait
donné la Corse aux Papes. Ils exigèrent un tribut des Génois pour cette
Île. Les Génois payèrent ce tribut au commencement de l'XIe Siècle, mais
bientôt après ils s'en affranchirent sous le Pontificat de Lucius II.
Enfin leur ambition croissant avec leurs richesses, de Marchands ils
voulurent devenir Conquérants.
La Ville de Venise bien moins ancienne que Gênes affectait le frivole
honneur d'une plus ancienne liberté, et jouissait de la gloire solide
d'une puissance bien supérieure. Ce ne fut d'abord qu'une retraite de
pêcheurs et de quelques fugitifs, qui s'y réfugièrent au commencement du
Ve Siècle, quand les Goths ravageaient l'Italie. Il n'y avait pour toute
Ville que des cabanes sur le Rialto. Le nom de Venise n'était point encore
connu. Ce Rialto bien loin d'être libre, fut pendant trente années une
simple Bourgade appartenant à la Ville de Padoue, qui le gouvernait par
des Consuls. La vicissitude des choses a mis depuis Padoue sous le joug de
Venise.
Il n'y a aucune preuve que sous les Rois Lombards Venise ait eu une
liberté reconnue. Il est plus vraisemblable que ses habitants furent
oubliés dans leurs marais.
Le Rialto et les petites Îles voisines ne commencèrent qu'en 709 à se
gouverner par leurs Magistrats. Ils furent alors indépendants de Padoue,
et se regardèrent comme une République.
C'est en 709 qu'ils eurent leur premier Doge, qui ne fut qu'un Tribun du
Peuple élu par des Bourgeois. Plusieurs familles qui donnèrent leur voix à
ce premier Doge, subsistent encore. Elles sont les plus anciens Nobles de
l'Europe, sans en excepter aucune Maison; et prouvent que la Noblesse peut
s'acquérir autrement qu'en possédant un Château, ou en payant des Patentes
à un Souverain.
Héraclée fut le premier siège de cette République jusqu'à la mort de son
troisième Doge. Ce ne fut que vers la fin du IXe Siècle que ces Insulaires
retirés plus avant dans leurs lagunes, donnèrent à cet assemblage de
petites Îles qui formèrent une Ville, le nom de Venise, du nom de cette
côte, qu'on appelait _terrae Venetorum_. Les habitants de ces marais ne
pouvaient subsister que par leur commerce. La nécessité fut l'origine de
leur puissance. Il n'est pas assurément bien décidé que cette République
fût alors indépendante. On voit que Bérenger reconnu quelque temps
Empereur en Italie, accorda l'an 950 au Doge le privilège de battre
monnaie. Ces Doges même étaient obligés d'envoyer aux Empereurs en
redevance un manteau de drap d'or tous les ans, et Othon III leur remit
en 998 cette espèce de petit tribut. Mais ces légères marques de vassalité
n'étaient rien à la véritable puissance de Venise; car tandis que les
Vénitiens payaient un manteau d'étoffe d'or aux Empereurs, ils acquirent
par leur argent et par leurs armes toute la Province d'Istrie, et presque
toutes les côtes de Dalmatie, Spalatro, Raguse, Narenta. Leur Doge prenait
vers le milieu du Xe Siècle le titre de _Duc de Dalmatie_; mais ces
conquêtes enrichissaient moins Venise que le Commerce, dans lequel elle
surpassait encore les Génois; car tandis que les Barons d'Allemagne et de
France bâtissaient des donjons et opprimaient les peuples, Venise attirait
leur argent, en leur fournissant toutes les denrées de l'Orient. Les Mers
étaient déjà couvertes de leurs vaisseaux, et elle s'enrichissait de
l'ignorance et de la barbarie des Nations Septentrionales de l'Europe.


DE L'ESPAGNE ET DES MAHOMÉTANS DE CE ROYAUME,
JUSQU'AU COMMENCEMENT DU XIIe SIÈCLE.

L'Espagne était toujours partagée entre les Mahométans et les Chrétiens,
mais les Chrétiens n'en avaient pas la quatrième partie, et ce coin de
terre était la Contrée la plus stérile. L'Asturie dont les Princes
prenaient le titre de _Roi de Leon_, une partie de la vieille Castille
gouvernée par des Comtes, Barcelone et la moitié de la Catalogne aussi
sous un Comte, la Navarre qui avait un Roi, une partie de l'Aragon
unis quelque temps à la Navarre, voilà ce qui composait les États des
Chrétiens. Les Arabes possédaient le Portugal, la Murcie, l'Andalousie,
Valence, Grenade, Tortose, et s'étendaient au milieu des terres par-delà
les montagnes de la Castille et de Saragosse. Le séjour des Rois
Mahométans était toujours à Cordoue. Ils y avaient bâti cette grande
Mosquée, dont la voûte est soutenue de 365 Colonnes de marbre précieux,
et qui porte encore parmi les Chrétiens le nom de la _Mosqueta_, Mosquée,
quoiqu'elle soit devenue Cathédrale.
Les Arts y fleurissaient, les plaisirs recherchés, la magnificence, la
galanterie régnaient à la Cour des Rois Maures. Les Tournois, les Combats
à la barrière sont peut-être de l'invention de ces Arabes. Ils avaient des
Spectacles, des Théâtres, qui tout grossiers qu'ils étaient, montraient
du-moins que les autres Peuples étaient moins polis que ces Mahométans.
Cordoue était le seul Pays de l'Occident où la Géométrie, l'Astronomie,
la Chimie, la Médecine fussent cultivées. Sanche le Gros, Roi de Leon, fut
obligé de s'aller mettre à Cordoue en 956 entre les mains de ce fameux
Médecin Arabe, qui invité par le Roi voulut que le Roi vînt à lui.
Cordoue est un Pays de délices arrosé par le Guadalquivir, où des forêts
de citronniers, d'orangers, de grenadiers parfument l'air, et où tout
invite à la mollesse.
Le luxe et le plaisir corrompirent enfin les Rois Musulmans. Leur
domination fut au Xe Siècle, comme celle de presque tous les Princes
Chrétiens, partagée en petits États. Tolède, Murcie, Valence, Huelca même,
eurent leurs Rois. C'était le temps d'accabler cette puissance divisée,
mais les Chrétiens d'Espagne étaient plus divisés encore. Ils se faisaient
une guerre continuelle, se réunissaient pour se trahir, et s'alliaient
souvent avec les Musulmans. Alphonse V Roi de Leon, donna même l'année
1000 sa sœur Thérèse en mariage au Sultan Abdala Roi de Tolède.
Les jalousies produisent plus de crimes entre les petits Princes qu'entre
les grands Souverains. La guerre seule peut décider du sort des vastes
États; mais les surprises, les perfidies, les assassinats, les
empoisonnements sont plus communs entre des rivaux voisins, qui ayant
beaucoup d'ambition et peu de ressources, mettent en œuvre tout ce qui
peut suppléer à la force. C'est ainsi qu'un Sancho Garcias Comte de
Castille empoisonna sa mère à la fin du Xe Siècle, et que son fils Don
Garcie fut poignardé par trois Seigneurs du Pays dans le temps qu'il
allait se marier.
Enfin en 1035 Ferdinand, fils de Sanche Roi de Navarre et d'Aragon, réunit
sous sa puissance la vieille Castille, dont la famille avait hérité par
le meurtre de ce Don Garcie, et le Royaume de Leon dont il dépouilla son
beau-frère, qu'il tua dans une bataille (1036).
Alors la Castille devint un Royaume, et Leon en fut une Province. Ce
Ferdinand, non content d'avoir ôté la couronne de Leon et la vie à
son beau-frère, enleva aussi la Navarre à son propre frère, qu'il fit
assassiner dans une bataille qu'il lui livra. C'est ce Ferdinand à qui les
Espagnols ont prodigué le nom de _grand_, apparemment pour déshonorer ce
titre trop prodigué aux usurpateurs.
Son père Don Sanche, surnommé aussi le Grand pour avoir succédé aux
Comtes de Castille, et pour avoir marié un de ses fils à la Princesse des
Asturies, s'était fait proclamer Empereur, et Don Ferdinand voulut aussi
prendre ce titre. Il est sûr qu'il n'y a, ni ne peut y avoir de titre
affecté aux Souverains, que ceux qu'ils veulent prendre, et que l'usage
leur donne. Le nom d'Empereur signifiait partout l'héritier des Césars et
le maître de l'Empire Romain, ou du-moins celui qui prétendait l'être. Il
n'y a pas d'apparence que cette appellation pût être le titre distinctif
d'un Prince mal affermi, qui gouvernait la quatrième partie de l'Espagne.
L'Empereur Henri III et non Henri II comme le disent tant d'Auteurs,
mortifia la fierté Espagnole, en demandant à Ferdinand l'hommage de ses
petits États comme d'un Fief de l'Empire. Il est difficile de dire quelle
était la plus mauvaise prétention, celle de l'Empereur Allemand, ou
celle de l'Espagnol. Ces idées vaines n'eurent aucun effet, et l'État
de Ferdinand resta un petit Royaume libre.
C'est sous le règne de ce Ferdinand que vivait Rodrigue surnommé le Cid,
qui en effet épousa depuis Chimène, dont il avait tué le père. Tous ceux
qui ne connaissent cette histoire que par la tragédie si célèbre dans le
Siècle passé, croient que le Roi Don Ferdinand possédait l'Andalousie.
Les fameux exploits du Cid furent d'abord d'aider Don Sanche fils aîné de
Ferdinand à dépouiller ses frères et ses sœurs de l'héritage que leur
avait laissé leur père. Mais Don Sanche ayant été assassiné dans une de
ces expéditions injustes, ses frères rentrèrent dans leurs États. (1073)
Ce fut alors qu'il y eut près de vingt Rois en Espagne soit Chrétiens soit
Musulmans, et outre ces vingt Rois un nombre considérable de Seigneurs
indépendants, qui venaient à cheval, armés de toutes pièces, et suivis de
quelques Écuyers offrir leurs services aux Princes ou aux Princesses qui
étaient en guerre. Cette coutume, déjà répandue en Europe, ne fut nulle
part plus accréditée qu'en Espagne. Les Princes à qui ces Chevaliers
s'engageaient, leur ceignaient le baudrier, et leur faisaient présent
d'une épée, dont ils leur donnaient un coup léger sur l'épaule. Les
Chevaliers Chrétiens ajoutèrent d'autres cérémonies à l'accolade. Ils
faisaient la veille des armes devant un autel de la Vierge. Les Musulmans
se contentaient de se faire ceindre un cimeterre. Ce fut-là l'origine des
Chevaliers errants, et de tant de combats particuliers. Le plus célèbre
fut celui qui se fit après la mort du Roi Don Sanche, assassiné en
assiégeant sa sœur Ouraca dans la Ville de Zamore. Trois Chevaliers
soutinrent l'innocence de l'Infante contre Don Diègue de Lare qui
l'accusait. Ils combattirent l'un après l'autre en champ clos, en présence
des Juges nommés de part et d'autre. Don Diègue renversa et tua deux des
Chevaliers de l'Infante, et le cheval du troisième ayant les rênes coupées
et emportant son Maître hors des barrières, le combat fut jugé indécis.
Parmi tant de Chevaliers le Cid fut celui qui se distingua le plus contre
les Musulmans. Plusieurs Chevaliers se rangèrent sous sa bannière, et
tous ensemble avec leurs Écuyers et leurs Gendarmes composaient une
armée couverte de fer, montée sur les plus beaux chevaux du Pays. Le Cid
vainquit plus d'un petit Roi Maure, et s'étant ensuite fortifié dans la
Ville d'Alcosar, il s'y forma une Souveraineté.
Enfin il persuada à son Maître Alfonse VI Roi de la vieille Castille
d'assiéger la Ville de Tolède, et lui offrit tous ses Chevaliers pour
cette entreprise. Le bruit de ce siège et la réputation du Cid, appelèrent
de l'Italie et de la France beaucoup de Chevaliers et de Princes. Raimond
Comte de Toulouse, et deux Princes du sang de France de la branche de
Bourgogne, vinrent à ce siège. Le Roi Mahométan nommé Hiaja, était fils
d'un des plus généreux Princes dont l'Histoire ait conservé le nom.
Almamon son père avait donné dans Tolède un asile à ce même Roi Alfonse
que son frère Sanche persécutait alors. Ils avaient vécu longtemps
ensemble dans une amitié peu commune, et Almamon loin de le retenir, quand
après la mort de Sanche il devint Roi et par conséquent à craindre, lui
avait fait part de ses trésors. On dit même qu'ils s'étaient séparés en
pleurant. Plus d'un Chevalier Mahométan sortirent des murs pour reprocher
au Roi Alfonse son ingratitude envers son bienfaiteur, et il y eut plus
d'un combat singulier sous les murs de Tolède.
Le siège dura une année. Enfin Tolède capitula, mais à condition que l'on
traiterait les Musulmans comme ils en avaient usé avec les Chrétiens;
qu'on leur laisserait leur Religion et leurs Lois. Promesse qu'on tint
d'abord, et que le temps fit violer. Toute la Castille neuve se rendit
ensuite au Cid, qui en prit possession au nom d'Alfonse; et Madrid,
petite Place qui devait un Jour être la Capitale de l'Espagne, fut pour
la première fois au pouvoir des Chrétiens.
Plusieurs familles vinrent de France s'établir dans Tolède. On leur donna
des privilèges qu'on appelle même encore en Espagne _fransches_. Le Roi
Alfonse fit aussitôt une assemblée d'Évêques, laquelle sans le concours du
peuple autrefois nécessaire, élut pour Évêque de Tolède un Prêtre nommé
Bernard, à qui le Pape Grégoire VII conféra la Primatie d'Espagne à
la prière du Roi. La conquête fut presque toute pour l'Église, mais le
premier soin du Primat fut d'en abuser, en violant les conditions que
le Roi avait jurées aux Maures. La grande Mosquée devait rester aux
Mahométans. L'Archevêque pendant l'absence du Roi, en fit une Église, et
excita contre lui une sédition. Alfonse revint à Tolède, irrité contre
l'indiscrétion du Prélat. Il allait même le punir, et il fallut que les
Mahométans à qui le Roi eut la sagesse de rendre la Mosquée, demandassent
la grâce de l'Archevêque.
Alfonse augmenta encore par un mariage les États qu'il gagnait par l'épée
du Cid. Soit politique, soit goût, il épousa Zaïd fille de Benabat nouveau
Roi Maure d'Andalousie, et reçut en dot plusieurs Villes.
On lui reproche d'avoir conjointement avec son beau-père appelé en Espagne
d'autres Mahométans d'Afrique. Il est difficile de croire qu'il ait fait
une si étrange faute contre la politique, mais tous les Rois se conduisent
quelquefois contre la vraisemblance. Quoi qu'il en soit, une armée de
Maures vient fondre d'Afrique, en Espagne, et augmenter la confusion où
tout était alors. Le Miramolin qui régnait à Maroc, et dont la race y
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