Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 4

Total number of words is 4648
Total number of unique words is 1540
34.2 of words are in the 2000 most common words
46.9 of words are in the 5000 most common words
53.0 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
les avait mis; mais petit à petit les Rois dans leurs besoins tantôt
chargèrent les sous d'alliage, tantôt en diminuèrent le poids; de sorte
que par un changement qui est presque la honte des Gouvernements de
l'Europe, ce sou qui était autrefois ce qu'est à peu près un écu d'argent,
n'est plus qu'une légère pièce de cuivre avec un 11e d'argent tout au
plus; et la livre qui était le signe représentatif de douze onces d'argent,
n'est plus en France que le signe représentatif de 20 de nos sous
de cuivre. Le Denier qui était la 124. partie d'une livre d'argent,
n'est plus que le tiers de cette vile monnaie qu'on appelle un liard:
supposé donc qu'une Ville de France dût à une autre 120 livres de
rente, c'est-à-dire 1440 onces d'argent du temps de Charlemagne, elle
s'acquitterait aujourd'hui de sa dette en payant ce que nous appelons un
écu de six francs.
La Livre de compte des Anglais, celle des Hollandais, ont moins varié.
Une Livre sterling d'Angleterre vaut environ 22 francs de France, et une
Livre de compte Hollandaise vaut environ 12 francs de France; ainsi les
Hollandais se sont écartés moins que les Français de la Loi primitive, et
les Anglais encore moins.
Toutes les fois donc que l'Histoire nous parle de Monnaie sous le nom de
livres, nous n'avons qu'à examiner ce que valait la livre au temps et dans
le Pays dont on parle, et la comparer à la valeur de la nôtre. Nous devons
avoir la même attention en lisant l'Histoire Grecque et Romaine. C'est par
exemple un très-grand embarras pour le Lecteur, d'être obligé de réformer
à chaque page les comptes qui se trouvent dans l'Histoire ancienne d'un
célèbre Professeur de l'Université de Paris, et dans tant d'autres
Auteurs. Quand ils veulent exprimer en Monnaie de France les talens, les
mines, les sesterces, ils se servent toujours de l'évaluation que quelques
Savants ont fait avant la mort du grand Colbert. Mais le Marc de 8 onces,
qui valait sous ce Ministre 26 francs et dix sous, vaut depuis longtemps
49 francs, ce qui fait une différence de près de la moitié. Ces fautes
donnent une idée des forces des anciens Gouvernements, de leur Commerce,
de la paye de leurs Soldats, extrêmement contraire à la vérité.
Il paraît qu'il y avait alors autant d'argent à peu près en France,
en Italie et vers le Rhin, qu'il y en a aujourd'hui. On n'en peut juger
que par le prix des denrées, et je le trouve presque le même; 24 livres
de pain blanc valaient un denier d'argent par les Capitulaires de
Charlemagne. Ce denier était la 40. partie d'un sou d'or, qui valait
environ 15 francs de notre Monnaie; ainsi la livre de pain revenait à près
de cinq liards, ce qui ne s'éloigne pas du prix ordinaire dans les bonnes
années.
Dans les Pays Septentrionaux l'argent était beaucoup plus rare, le prix
d'un bœuf fut fixé par exemple à un sou d'or. Nous verrons dans la suite
comment le commerce et les richesses se sont étendues de proche en proche.
En voilà déjà trop pour un abrégé.


DE LA RELIGION.

La querelle des Images est ce qui s'offre de plus singulier en matière
de Religion. Je vois d'abord que l'Impératrice Irène, Tutrice de son
malheureux fils Constantin Porphyrogénète, pour se frayer le chemin à
l'Empire, flatte le Peuple et les Moines, à qui le Culte des Images
proscrit par tant d'Empereurs depuis Léon l'Isaurien plaisait encore. Elle
y était elle-même attachée, parce que son mari les avait eu en horreur. On
avait persuadé à Irène que pour gouverner son mari, il fallait mettre sur
le chevet de son lit les Images de certaines Saintes. La plus ridicule
crédulité entre dans les esprits politiques. L'Empereur son mari en avait
puni les auteurs. Irène après la mort de son mari donne un libre cours à
son goût et à son ambition. Voilà ce qui assemble en 786 le second Concile
de Nicée, septième Concile Œcuménique, commencé d'abord à Constantinople.
Elle fait élire pour Patriarche un Laïc Secrétaire d'État, nommé Taraise.
Il y avait eu autrefois quelques exemples de Séculiers élevés ainsi à
l'Évêché, sans passer par les autres grades; mais alors cette coutume ne
subsistait plus.
Ce Patriarche ouvrit le Concile. La conduite du Pape Adrien est
très-remarquable. Il n'anathématise pas ce Secrétaire d'État qui se fait
Patriarche. Il proteste seulement avec modestie dans ses Lettres à Irène
contre le titre de Patriarche Universel, mais il insiste qu'on lui rende
les patrimoines de la Sicile. Il redemande hautement ce peu de bien,
tandis qu'il arrachait ainsi que ses prédécesseurs le domaine utile de
tant de belles Terres données par Pépin et par Charlemagne. Cependant le
Concile Œcuménique de Nicée, auquel président les Légats du Pape et ce
Ministre Patriarche, rétablit le Culte des Images.
C'est une chose avouée de tous les sages Critiques, que les Pères de ce
Concile, qui étaient au nombre de 350, y rapportèrent beaucoup de Pièces
évidemment fausses; beaucoup de Miracles, dont le récit n'aurait que
scandalisé dans d'autres temps; beaucoup de Livres apocryphes. Mais ces
Pièces fausses ne firent point de tort aux vraies, sur lesquelles on
décida.
Mais quand il fallut faire recevoir ce Concile par Charlemagne et par les
Églises de France, quel fut l'embarras du Pape? Charles s'était déclaré
hautement contre les Images. Il venait de faire écrire les Livres qu'on
nomme _Carolins_, dans lesquels ce culte est anathématisé. Il assemblait
en 794 un Concile à Francfort, composé de 300 Évêques ou Abbés tant
d'Italie que de France, qui rejetait d'un consentement unanime le service
et l'adoration des Images. Ce mot équivoque d'adoration était la source de
tous ces différends, car si les hommes définissaient les mots dont ils
se servent, il y aurait moins de dispute, et plus d'un Royaume a été
bouleversé pour un mal-entendu.
Tandis que le Pape Adrien envoyait en France les Actes du second Concile
de Nicée, il reçoit les Livres Carolins opposés à ce Concile, et
on le presse au nom de Charles de déclarer hérétique l'Empereur de
Constantinople et sa mère. On voit assez par cette conduite de Charles,
qu'il voulait se faire un nouveau droit de l'hérésie prétendue de
l'Empereur, pour lui enlever Rome sous couleur de justice.
Le Pape partagé entre le Concile de Nicée qu'il adoptait et Charlemagne
qu'il ménageait, prit, me semble, un tempérament politique qui devrait
servir d'exemple dans toutes ces malheureuses disputes qui ont toujours
divisé les Chrétiens. Il explique les Livres Carolins d'une manière
favorable au Concile de Nicée, et par là réfute le Roi sans lui déplaire;
il permet qu'on ne rende point de culte aux Images; ce qui était très
raisonnable chez les Germains à peine sortis de l'Idolâtrie, et chez
les Français grossiers qui avaient peu de Sculpteurs et de Peintres.
Il exhorte en même temps à ne point briser ces mêmes Images. Ainsi il
satisfait tout le monde, et laisse au temps à confirmer ou à abolir un
culte encore douteux. Attentif à ménager les hommes et à faire servir la
Religion à ses intérêts, il écrit à Charlemagne. «Je ne peux déclarer
Irène et son fils hérétiques après le Concile de Nicée, mais je les
déclarerai tels s'ils ne me rendent les biens de Sicile».
On voit la même prudence de ce Pape dans une dispute encore plus délicate,
et qui seule eût suffi en d'autres temps pour allumer des guerres civiles.
On avait voulu savoir si le St. Esprit procède du Père et du Fils, ou
du Père seulement? Toute l'Église Grecque avait toujours cru qu'il ne
procédait que du Père. Tout l'Empire de Charlemagne croyait la procession
du Père et du Fils. Ces mots du Symbole _qui ex patre filioque procedit_,
étaient sacrés pour les Français, mais ces mêmes mots n'avaient jamais
été adoptés à Rome. On presse de la part de Charlemagne le Pape de le
déclarer. Le Pape répond qu'il est de l'avis du Roi, mais ne change rien
au Symbole de Rome: Il apaise la dispute en ne décidant rien, en laissant
à chacun ses usages. Il traite en un mot les affaires spirituelles en
Prince, et trop de Princes les ont traité en Évêques.
Dès lors la politique profonde des Papes établissait peu à peu leur
puissance. Ce même Adrien fait paraître adroitement au jour un recueil des
faux Actes connus aujourd'hui sous le nom de _fausses Décretales_. Il ne
se hasarde pas à les donner lui même. C'est un Espagnol nommé Isidore qui
les digère. Ce sont les Évêques Allemands, dont la bonne foi fut trompée,
qui les répandent et les font valoir. Dans ces fausses Décretales on
suppose d'anciens Canons, qui ordonnent qu'on ne tiendra jamais un seul
Concile Provincial sans la permission du Pape; et que toutes les Causes
Ecclésiastiques ressortiront à lui. On y fait parler les successeurs
immédiats des Apôtres. On leur suppose des écrits. Il est vrai que tout
étant de ce mauvais style du VIIe Siècle, tout étant plein de fautes
contre l'Histoire et la Géographie, l'artifice était grossier; mais
c'était des hommes grossiers qu'on trompait. Ces fausses Décretales ont
abusé les hommes pendant huit Siècles; et enfin quand l'erreur a été
reconnue, les usages par elle établis, ont subsisté dans une partie de
l'Église: l'antiquité leur a tenu lieu de vérité.
Dès ces temps les Évêques d'Occident étaient des Seigneurs temporels,
et possédaient plusieurs Terres en fief, mais aucun n'était Souverain
indépendant. Les Rois de France nommaient aux Évêchés; plus hardis en cela
et plus politiques que les Empereurs des Grecs, et les Rois de Lombardie,
qui se contentaient d'interposer leur autorité dans les élections.
Les premières Églises Chrétiennes s'étaient gouvernées en Républiques sur
le modèle des Synagogues. Ceux qui présidaient à ces assemblées, avaient
pris insensiblement le titre d'Évêque, d'un mot Grec, dont les Grecs
appelaient les Gouverneurs de leurs Colonies. Les Anciens de ces
assemblées se nommaient Prêtres, qui signifie en Grec _Vieillard_.
Charlemagne dans sa vieillesse accorda aux Évêques un droit dont son
propre fils devint la victime. Ils firent accroire à ce Prince que dans
le Code rédigé sous Thédose une loi portait que si de deux Séculiers en
procès, l'un prenait un Évêque pour juge, l'autre était obligé de se
soumettre à ce jugement sans en pouvoir appeler. Cette loi qui jamais
n'avait été exécutée, passe chez tous les Critiques pour supposée. Elle a
excité une guerre civile sourde entre les Tribunaux de la Justice et les
Ministres du Sanctuaire, mais comme en ce temps-là tout ce qui n'était
pas Clergé était en Occident d'une ignorance profonde, il faut s'étonner
qu'on n'ait pas donné encore plus d'empire à ceux qui seuls étant un peu
instruits, semblaient seuls mériter de juger les hommes.
Ainsi que les Évêques disputaient l'autorité aux Séculiers, les Moines
commençaient à la disputer aux Évêques, qui pourtant étaient leurs maîtres
par les Canons. Ces Moines étaient déjà trop riches pour obéir. Cette
célèbre Formule de Marculfe était déjà bien souvent mise en usage, _moi,
pour le repos de mon âme, et pour n'être pas placé après ma mort parmi
les boucs, je donne à tel Monastère, etc_. Elle avait enrichi ceux qui
s'étaient consacrés à la pauvreté. Des Abbés Bénédictins longtemps
avant Charlemagne étaient assez puissants pour se révolter. Un Abbé de
Fontenelle avait osé se mettre à la tête d'un parti contre Charles Martel,
et assembler des troupes. Le Héros fit trancher la tête au Religieux;
exécution juste, qui ne contribue pas peu à toutes ces révélations que
tant de Moines eurent depuis de la damnation de Charles Martel.
Avant ce temps on voit un Abbé de St. Rémy de Reims[8] et l'Évêque de
cette Ville susciter une guerre civile contre Childebert au VIe Siècle:
crime qui n'appartient qu'aux hommes puissants.
[Note 8: «Rheims» dans l'édition originale de Jean Neaulme (1753).]
Les Évêques et les Abbés avaient beaucoup d'esclaves. On reproche à l'Abbé
Alewin d'en avoir eu jusqu'à vingt mille. Ce nombre n'est pas incroyable.
Alewin avait trois Abbayes, dont les terres pouvaient être habitées au
moins par vingt mille hommes. Ces esclaves connus sous le nom de _serfs_,
ne pouvaient se marier ni changer de demeure sans la permission de l'Abbé.
Ils étaient obligés de marcher 50 lieues avec leurs charrettes, quand il
l'ordonnait. Ils travaillaient pour lui trois jours de la semaine, et il
partageait tous les fruits de la terre.
«En France et en Allemagne plus d'un Évêque allait au combat avec ses
serfs. Charlemagne dans une Lettre à une de ses femmes, nommée Frastade,
lui parle d'un Évêque qui a vaillamment combattu auprès de lui, dans une
bataille contre les Avares, Peuples descendus des Scytes, qui habitaient
vers le Pays qu'on nomme à présent l'Autriche. Je vois de son temps 14
Monastères qui doivent fournir des Soldats; pour peu qu'un Abbé fût
guerrier, rien ne l'empêchait de les conduire lui-même. Il est vrai
qu'en 603 un Parlement se plaignit à Charlemagne du trop grand nombre de
Prêtres qu'on avait tué à la guerre. Il fut défendu alors aux Ministres de
l'Autel d'aller aux combats. Il n'était pas permis de se dire Clerc sans
l'être, de porter la tonsure sans appartenir à un Évêque. De tels Clercs
s'appelaient _acéphales_. On les punissait comme vagabonds. On ignorait
cet état aujourd'hui si commun, qui n'est ni Séculier ni Ecclésiastique.
Le titre d'Abbé, qui signifie Père, n'appartenait qu'aux Chefs des
Monastères.
Les Abbés avaient dès lors le Bâton Pastoral que portaient les Évêques,
et qui avait été autrefois la marque de la Dignité Pontificale dans Rome
Païenne. Telle était la puissance de ces Abbés sur les Moines, qu'ils
condamnaient quelquefois aux peines afflictives les plus cruelles. Ils
furent les premiers qui prirent le barbare usage des Empereurs Grecs,
de faire brûler les yeux; et il fallut qu'un Concile leur défendît cet
attentat, qu'ils commençaient à regarder comme un droit.
La Messe était différente de ce qu'elle est aujourd'hui, et plus encore de
ce qu'elle était dans les premiers temps.
La Confession Auriculaire commençait à s'introduire. Les Évêques exigèrent
d'abord que les Chanoines se confessassent à eux. Les Abbés fournirent
leurs Moines à ce joug, et les Séculiers peu à peu le portèrent. La
Confession publique ne fut jamais en usage dans l'Occident; car lorsque
les Barbares embrassèrent le Christianisme, les abus et les scandales
qu'elle entraînait après elle, l'avaient abolie en Orient, sous le
Patriarche Nectaire, à la fin du IVe Siècle; mais souvent les Pécheurs
publics faisaient des pénitences publiques dans les Églises d'Occident,
surtout en Espagne, où l'invasion des Sarrasins redoublait la ferveur des
Chrétiens humiliés.
La Religion Chrétienne ne s'était point encore étendue au Nord plus loin
que les conquêtes de Charlemagne. La Scandinavie, le Danemark, qu'on
appelait le _Pays des Normands_, étaient plongés dans une idolâtrie
grossière. Ils adoraient Odin, et ils se figuraient qu'après leur mort le
bonheur de l'homme consistait à boire dans la salle d'Odin de la bière
dans le crâne de ses ennemis. On a encore de leurs anciennes chansons
traduites, qui expriment cette idée. C'était beaucoup pour eux que de
croire une autre Vie. La Pologne n'était ni moins barbare, ni moins
idolâtre. Les Moscovites, plus sauvages que le reste de la grande Tartarie,
en savaient à peine assez pour être Païens; mais tous ces Peuples
vivaient en paix dans leur ignorance: heureux d'être inconnus à
Charlemagne, qui vendait si cher la connaissance du Christianisme!
Les Anglais commençaient à recevoir la Religion Chrétienne. Elle y avait
été apportée un peu auparavant par Constance Chlore, protecteur secret de
cette Religion alors persécutée. Elle n'y domina point, l'Idolâtrie eut
le dessus encore longtemps. Quelques Missionnaires des Gaules cultivèrent
grossièrement un petit nombre de ces Insulaires. Le fameux Pélage, trop
zélé défenseur de la Nature Humaine, était né en Angleterre; mais il n'y
fut point élevé, et il faut le compter parmi les Romains.
L'Irlande qu'on appelait _Écosse_ et l'Écosse connue alors sous le nom
d'_Albanie_, ou du _Pays des Pictes_, avait reçu aussi quelques semences
du Christianisme, étouffées toujours par l'idolâtrie, qui dominait. Le
Moine Colombon né en Irlande, était du VIe Siècle; mais il paraît par sa
retraite en France, et par les Monastères qu'il fonda en Bourgogne, qu'il
y avait peu à faire et beaucoup à craindre pour ceux qui cherchaient en
Irlande et en Angleterre de ces établissements riches et tranquilles,
qu'on trouvait ailleurs à l'abri de la Religion.
Après une extinction presque totale du Christianisme dans l'Angleterre,
l'Écosse et l'Irlande, la tendresse conjugale l'y fit renaître. Etherbert,
un des Rois Barbares Anglo-Saxons de l'Eptarchie d'Angleterre, qui avait
son petit Royaume dans la Province de Kent, où est Cantorbery, voulut
s'allier avec un Roi de France. Il épousa la fille de Chérébert Roi de
Paris. Cette Princesse Chrétienne, qui passa la mer avec un Évêque de
Soissons, disposa son mari à recevoir le baptême, comme Clotilde avait
soumis Clovis. Le Pape Grégoire le Grand envoya Augustin avec d'autres
Moines Romains en 598. Ils firent peu de conversions; car il faut au-moins
entendre la langue du Pays, pour en changer la Religion; mais favorisés
par la Reine ils bâtirent un Monastère.
Ce fut proprement la Reine qui convertit le petit Royaume de Cantorbery.
Ses sujets Barbares, qui n'avaient point d'opinions, suivirent aisément
l'exemple de leurs Souverains. Cet Augustin n'eut pas de peine à se faire
déclarer Primat par Grégoire le Grand. Il eût voulu même l'être des Gaules;
mais Grégoire lui écrivit qu'il ne pouvait lui donner de juridiction que
sur l'Angleterre. Il fut donc premier Archevêque de Cantorbery, premier
Primat de l'Angleterre. Il donna à l'un de ses Moines le titre d'Évêque
de Londres, à l'autre celui de Rochester. On ne peut mieux comparer ces
Évêchés, qu'à ceux d'Antioche et de Babylone, qu'on appelle Évêques in
_partibus infidelium_. Mais avec le temps, la Hiérarchie d'Angleterre
se forma. Les Monastères surtout étaient très-riches au VIIIe et au IXe
Siècle. Ils mettaient au catalogue des Saints tous les grands Seigneurs
qui leur avaient donné des terres, d'où vient que l'on trouve parmi
leurs Saints de ce temps-là, sept Rois, sept Reines, huit Princes, seize
Princesses. Leurs Chroniques disent que dix Rois et onze Reines finirent
leurs jours dans des Cloîtres; mais il est croyable que ces dix Rois et
ces onze Reines se firent seulement revêtir à leur mort d'habits religieux,
et peut-être porter à leurs dernières maladies dans des Couvents, mais
non pas qu'en effet ils aient en santé renoncé aux affaires publiques,
pour vivre en Cénobites.


SUITE DES USAGES DU TEMPS DE CHARLEMAGNE,
DE LA JUSTICE, DES LOIS ET COUTUMES SINGULIÈRES.

La Justice se rendait ordinairement par les Comtes nommés par le Roi.
Ils avaient leurs districts assignés. Ils devaient être instruits des
Lois, qui n'étaient ni si difficiles ni si nombreuses, que les nôtres.
La procédure était simple, chacun plaidait sa cause en France et en
Allemagne. Rome seule et ce qui en dépendait, avait encore retenu beaucoup
de Lois et de formalités de l'Empire Romain. Les Lois Lombardes avaient
lieu dans le reste de l'Italie citérieure.
Chaque Comte avait sous lui un Lieutenant, nommé _Viguier_, sept
Assesseurs, _Scabini_, et un Greffier, _Notarius_. Les Comtes publiaient
dans leur juridiction l'ordre des marches pour la guerre, enrôlaient les
soldats sous des Centeniers, les menaient aux rendez-vous, et laissaient
alors leurs Lieutenants faire les fonctions de Juge.
Les Rois envoyaient des Commissaires avec Lettres expresses, _missi
Dominici_, qui examinaient la conduite des Comtes. Ni ces Commissaires, ni
ces Comtes ne condamnaient presque jamais à la mort, ni à aucun supplice;
car si on en excepte la Saxe, où Charlemagne fit des Lois de sang, presque
les délits se rachetaient dans le reste de son Empire. Le seul crime de
rébellion était puni de mort, et les Rois s'en réservaient le jugement. La
Loi Salique, celle des Lombards, celle de Ripuaires, avaient évalué à prix
d'argent la plupart des autres attentats.
Leur Jurisprudence qui paraît humaine, était en effet plus cruelle que
la nôtre. Elle laissait la liberté de mal faire à quiconque pouvait la
payer. La plus douce loi est celle qui mettant le frein le plus terrible
à l'iniquité, prévient ainsi le plus de crimes.
Par les anciennes _Lois Ripuaires_ rédigées sous Théodoric, et depuis sous
le Roi des Francs Dagobert, il en coûtait cent sous pour avoir coupé une
oreille à un homme, et si la surdité ne suivait pas, on était quitte pour
cinquante sous.
Le troisième Chapitre de la _Loi Ripuaire_ permettait au meurtrier d'un
Évêque de racheter son crime avec autant d'or qu'en pouvait peser une
tunique de plomb, de la hauteur du coupable, et d'une épaisseur déterminée.
La _Loi Salique_ remise en vigueur sous Charlemagne, fixe le prix de la
vie d'un Évêque à neuf cents sous d'or.
On donnait la question, mais seulement aux esclaves; et celui qui avait
fait mourir dans les tourments de la question l'esclave innocent d'un
autre Maître, était obligé de lui en donner deux pour toute satisfaction.
Charlemagne qui corrigea les _Lois Saliques_ et _Lombardes_, ne fit que
hausser le prix des crimes. Ils étaient tous spécifiés. On distinguait ce
que valait un coup qui avait ôté seulement un os de la tête, d'avec un
coup qui laissait voir la cervelle.
Je trouve qu'une Sorcière convaincue d'avoir mangé de la chair humaine,
était condamnée à deux cents sous: et cet article est un témoignage bien
humiliant pour la Nature Humaine.
Il en coûtait sept cents sous pour le meurtre d'une Femme grosse, deux
cents pour celui d'une Fille non encore adulte.
Tous les outrages à la pudicité avaient aussi leurs prix fixes. Le rapt
d'une Femme non mariée ne valait que deux cents sous. Si on avait violé
une Fille sur le grand-chemin on ne payait que quarante sous, et on
la rendait à son Maître. De ces lois barbares la plus sévère était
précisément celle qui devait être la plus douce. Charlemagne lui-même au
VIe Livre de ses _Capitulaires_, dit que d'épouser sa Comère est un crime
digne de mort, et qui ne peut se racheter qu'en passant toute sa vie en
pèlerinage.
Parmi ces _Lois Saliques_, il s'en trouve une qui marque bien expressément
dans quel mépris étaient tombés les Romains chez les Peuples barbares.
Le Franc qui avait tué un Citoyen Romain, ne payait que mille cinquante
deniers, et le Romain payait pour le sang d'un Franc deux mille cinq cents
deniers.
Dans les Causes criminelles indécises, on se purgeait par serment. Il
fallait non seulement que la partie accusée jurât, mais elle était obligée
de produire un certain nombre de témoins qui juraient avec elle. Quand les
deux parties opposaient serment à serment, on permettait quelquefois le
combat, mais ce combat n'était point ce qu'on appela depuis _combat à
outrance_.
Ces combats étaient appelés, comme on sait, _le jugement de Dieu_;
c'est aussi le nom qu'on donnait à une des plus déplorables folies de ce
Gouvernement barbare. Les accusés étaient fournis à l'épreuve de l'eau
froide, de l'eau bouillante, ou du fer ardent. Le célèbre Étienne Baluze
a rassemblé toutes les anciennes cérémonies de ces épreuves. Elles
commençaient par la Messe, on y communiait l'accusé. On bénissait l'eau
froide, on l'exorcisait. Ensuite l'accusé était jeté, garrotté, dans
l'eau. S'il tombait au fond, il était réputé innocent. S'il surnageait, il
était jugé coupable. Mr. de Fleury dans son _Histoire Ecclésiastique_ dit
que c'était une manière sûre de ne trouver personne criminel. J'ose croire
que c'était une manière de faire périr beaucoup d'innocents. Il y a bien
des gens qui ont la poitrine assez large et les poumons assez légers, pour
ne point enfoncer, lorsqu'une grosse corde qui les lie avec plusieurs
tours, fait avec leur corps un volume moins pesant qu'une pareille
quantité d'eau. Cette malheureuse coutume, proscrite depuis dans les
grandes Villes, s'est conservée jusqu'à nos jours dans beaucoup de
Provinces. On y a très-souvent assujetti même par sentence de Juge, ceux
qu'on faisait passer pour Sorciers: car rien ne dure si longtemps que la
Superstition, et il en a coûté la vie à plus d'un malheureux.
Le jugement de Dieu par l'eau chaude s'exécutait en faisant plonger le
bras nu de l'accusé dans une cuve d'eau bouillante. Il fallait prendre
au fond de la cuve un anneau béni. Le Juge en présence des Prêtres et du
Peuple enfermait dans un sac le bras du patient, scellait le sac de son
cachet, et si trois jours après il ne paraissait sur le bras aucune marque
de brûlure, l'innocence était reconnue.
Tous les Historiens rapportent l'exemple de la Reine Teutberge, bru de
l'Empereur Lothaire petit-fils de Charlemagne, accusée d'avoir commis un
inceste avec son frère Moine et Sous-diacre. Elle nomma un champion qui se
soumit pour elle à l'épreuve de l'eau bouillante, en présence d'une Cour
nombreuse. Il prit l'anneau béni sans se brûler. Plusieurs hommes crédules,
fondés sur de telles histoires, pensent qu'il y a des secrets qui peuvent
rendre la peau insensible à l'action de l'eau bouillante; mais il n'y en a
aucun; et tout ce qu'on peut dire sur cette aventure, et sur toutes celles
qui lui ressemblent, c'est qu'elles ne sont pas vraies, ou que les Juges
fermaient les yeux sur les artifices dont on se servait, pour faire croire
qu'on plongeait la main dans l'eau chaude, car on pouvait aisément faire
une cuve à double fond, l'air échauffé pouvait par des tuyaux soulever
l'eau à peine tiède et la faire paraître bouillante. Il y a bien des
manières de tromper, mais aucune d'être invulnérable.
La troisième épreuve était celle d'une barre de fer ardent, qu'il fallait
porter dans la main l'espace de neuf pas. Il était plus difficile de
tromper dans cette épreuve que dans les autres, aussi je ne vois personne
qui s'y soit soumis dans ces Siècles grossiers.
À l'égard des Lois Civiles, voici ce qui me paraît de plus remarquable. Un
homme qui n'avait point d'enfants, pouvait en adopter. Les époux pouvaient
se répudier en Justice, et après le divorce il leur était permis de passer
à d'autres noces. Nous avons dans Marculfe le détail de ces lois.
Mais ce qui paraîtra peut-être plus étonnant, et ce qui n'en est pas moins
vrai, c'est qu'au Livre II de ces Formules de Marculfe, on trouve que
rien n'était plus permis ni plus commun que de déroger à cette fameuse
_Loi Salique_, par laquelle les Filles n'héritaient pas. On amenait sa
fille devant le Comte ou le Commissaire, et on disait «ma chère fille, un
usage ancien et impie ôte parmi nous toute portion paternelle aux filles,
mais ayant considéré cette impiété, j'ai vu que, comme vous m'avez été
donnés tous de Dieu également, je dois vous aimer de même; ainsi, ma chère
fille, je veux que vous héritiez par portion égale avec vos frères dans
toutes mes Terres, etc.»
On ne connaissait point chez les Francs qui vivaient suivant la _Loi
Salique et Ripuaire_, cette distinction de Nobles et de Roturiers, de
Nobles de nom et d'armes, et de Nobles _ab avo_ ou gens vivant noblement.
Il n'y avait que deux ordres de Citoyens, les Libres et les Serfs, à peu
près comme aujourd'hui dans les Empires Mahométans et à la Chine.


LOUIS LE DÉBONNAIRE.

L'Histoire des grands évènements de ce Monde n'est guère que l'Histoire
des crimes. Je ne vois point de Siècle que l'ambition des Séculiers et des
Ecclésiastiques n'ait rempli d'horreurs.
À peine Charlemagne est-il au tombeau, qu'une guerre civile désole sa
Famille et l'Empire.
Les Archevêques de Milan et de Crémone allumèrent les premiers feux.
Leur prétexte est que Bernard, Roi d'Italie, est le Chef de la Maison
Carolingienne[9], le fils de l'aîné de Charlemagne. On voit assez la
véritable raison dans cette fureur de remuer et dans cette frénésie
d'ambition, qui s'autorise toujours des lois même faites pour la réprimer.
Un Évêque d'Orléans entre dans leurs intrigues, l'oncle et le neveu lèvent
des armées. On est prêt d'en venir aux mains à Châlons sur Saône, mais
le parti de l'Empereur gagne par argent et par promesses la moitié de
You have read 1 text from French literature.
Next - Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint - 5