Eureka - 7

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l'Astronomie pouvait démontrer l'existence d'une _nébuleuse,_ dans le
sens qu'on donne présentement à ce terme, je considérerais la Théorie
Cosmogonique, non pas comme fortifiée par cette démonstration, mais
comme irréparablement renversée.
Cependant, pour ne rendre à César que _juste_ ce qui appartient à
César, qu'il me soit permis de faire observer que l'hypothèse qui
a conduit Laplace à un si glorieux résultat semble lui avoir été,
en grande partie, suggérée par une fausse conception,--par cette
même fausse conception dont nous venons de parler,--par la méprise
générale relative au caractère des prétendues nébuleuses. Lui aussi, il
supposait qu'elles étaient en réalité ce qu'implique leur désignation.
Le fait est que ce grand homme avait, très-justement, une foi médiocre
dans ses propres facultés de perception. Ainsi, relativement à
l'existence positive des nébuleuses, existence si présomptueusement
affirmée par les astronomes ses contemporains, il s'appuyait bien moins
sur ce qu'il voyait que sur ce qu'il entendait dire.
On verra que les seules objections valables qu'on puisse opposer à
sa théorie sont celles faites à l'hypothèse prise en elle-même, à ce
qui l'a suggérée et non à ce qu'elle suggère, aux propositions qui
l'accompagnent plutôt qu'à ses résultats. La supposition la moins
justifiée de Laplace consiste à donner aux atomes un mouvement vers un
centre, malgré qu'il comprenne évidemment les atomes comme s'étendant,
dans une succession illimitée, à travers l'espace universel. J'ai déjà
montré qu'avec de telles données aucun mouvement n'aurait pu avoir
lieu; ainsi Laplace pour supposer un mouvement, se place sur une base
aussi peu philosophique qu'elle est inutile pour établir ce qu'il
voulait établir.
Son idée originale semble avoir été un composé des vrais atomes
d'Épicure et des pseudo-nébuleuses de ses contemporains; et ainsi sa
théorie se présente à nous avec la singulière anomalie d'une vérité
absolue, déduite, comme résultat mathématique, d'une création hybride
de l'imagination antique mariée au sens obtus moderne. La force réelle
de Laplace consistait, en somme, dans un instinct mathématique presque
miraculeux; c'était là-dessus qu'il s'appuyait; jamais cet instinct ne
lui a manqué; jamais il ne l'a trompé. Dans le cas de la Cosmogonie, il
l'a conduit, les yeux bandés, à travers un labyrinthe d'Erreur, vers un
des plus lumineux et des plus prodigieux temples de Vérité.

[Footnote 1: Je suis prêt à démontrer que la révolution anormale des
satellites d'Uranus est simplement une anomalie perspective provenant
de l'inclinaison de l'axe de la planète. E. P.]
[Footnote 2: _Tableau de l'Architecture des deux.--_Une lettre
attribuée au Docteur Nichol, écrivant à un ami d'Amérique, a fait
le tour de nos journaux, il y a environ deux ans, qui admettait
la _nécessité_ à laquelle je fais allusion. Dans une _lecture_
postérieure, M. Nichol semble toutefois avoir triomphé en quelque
sorte de la _nécessité,_ et ne renonce pas absolument à la théorie,
bien qu'il ait l'air de s'en moquer un peu comme d'une _pure
hypothèse._ Avant les expériences de Maskelyne, qu'était donc la Loi de
Gravitation? Une hypothèse. Et qui mettait en question cette loi, même
alors?]

X

Imaginons, pour le moment, que l'anneau projeté le premier par le
Soleil, c'est-à-dire l'anneau qui, en se brisant, a constitué Neptune,
ne se soit brisé que lors de la projection de l'anneau qui a donné
naissance à Uranus; que ce dernier anneau, de son côté, soit resté
intact jusqu'à l'émission de celui dont est né Saturne; que ce dernier,
à son tour, ait gardé sa forme entière jusqu'à l'émission de celui qui
a été l'origine de Jupiter, et ainsi de suite. Imaginons, en un mot,
qu'aucune rupture n'ait eu lieu parmi les anneaux jusqu'à la projection
finale de celui qui a donné naissance à Mercure. Nous créons ainsi
pour l'œil de l'esprit une série de cercles concentriques coexistants,
et les considérant en eux-mêmes aussi bien que dans le mode suivant
lequel, selon l'hypothèse de Laplace, ils ont été engendrés, nous
apercevons tout d'abord une très singulière analogie entre les couches
atomiques et le mode d'irradiation originelle tel que je l'ai décrit.
Est-il impossible, en mesurant les forces respectives qui ont projeté
successivement chaque cercle planétaire, c'est-à-dire en mesurant
la force excédante successive de rotation par rapport à la force de
gravitation, laquelle a occasionné les éruptions successives, de
trouver l'analogie en question plus décidément confirmée? _Est-il
improbable que nous découvrions que ces forces ont varié,--comme dans
l'irradiation originelle,--proportionnellement avec les carrés des
distances?_
Notre système solaire, consistant principalement en un Soleil, avec
seize planètes à coup sûr, et peut-être un peu plus, qui roulent autour
de lui à des distances variées, et qui sont accompagnées certainement
de dix-sept lunes, mais très-probablement de quelques autres, doit
être maintenant considéré comme un des types de ces agglomérations
innombrables qui ont commencé à se produire à travers la Sphère
Universelle, lorsque s'est retirée la Volonté Divine. Je veux dire
que nous avons à considérer notre système solaire comme fournissant
un cas générique de ces agglomérations, ou, plus correctement, des
conditions ultérieures auxquelles elles sont parvenues. Si nous fixons
notre attention sur l'idée qui a présidé au dessein du Tout-Puissant,
à savoir _la plus grande somme possible de rapports_ et la précaution
prise pour atteindre le but avec la différence de formes dans les
atomes originels et l'inégalité particulière de distance, nous verrons
qu'il est impossible de supposer même une minute que deux seulement de
ces agglomérations commençantes soient arrivées à la fin précisément
au même résultat. Nous serons plutôt inclinés à penser qu'il n'y a
pas dans tout l'Univers deux corps stellaires, soleils, planètes ou
lunes, qui soient semblables dans le particulier, malgré que tous le
soient dans le général. Encore moins pouvons-nous imaginer que deux
assemblages de tels corps, deux systèmes quelconques, puissent avoir
une ressemblance plus que générale[1] M. Nos télescopes, sur ce point,
confirment parfaitement nos déductions. Prenant donc notre système
solaire comme type approchant ou général de tous les autres, nous
sommes arrivés assez avant dans notre thème pour considérer l'Univers
sous l'aspect d'un espace sphérique à travers lequel, disséminée avec
une égalité purement générale, existe une certaine quantité de systèmes
ayant entre eux une ressemblance purement générale.
Élargissant maintenant nos conceptions, regardons chacun de ces
systèmes comme étant en lui-même un atome, ce qu'il est en réalité,
quand nous ne le considérons que comme une des innombrables myriades
de systèmes qui constituent l'Univers. Les prenant donc tous pour des
atomes colossaux, chacun étant doué de la même indestructible tendance
à l'Unité qui caractérise les atomes réels dont il est composé, nous
entrons tout de suite dans un ordre nouveau d'aggrégations. Les plus
petits systèmes, placés dans le voisinage d'un plus grand, devront
inévitablement s'en rapprocher de plus en plus. Ici il s'en rassemblera
un millier, là un million; ici peut-être un trillion,--laissant
ainsi autour d'eux d'incommensurables vides dans l'espace. Et si
maintenant on demande pourquoi, dans le cas de ces systèmes, de ces
véritables atomes titaniques (je parle simplement d'un assemblage,
et non, comme dans le cas des atomes positifs, d'une agglomération
plus ou moins consolidée), si on demande pourquoi je ne pousse pas ma
suggestion jusqu'à sa conclusion légitime, pourquoi je ne décris pas
ces assemblages de systèmes-atomes se précipitant et se consolidant
en sphères, se condensant chacun en un magnifique soleil, je réponds
que ce sont là de simples _mellonta,_ et que je ne fais que m'arrêter
un instant sur le seuil terrifiant du Futur. Pour le présent, nous
appelons ces assemblages des _groupes,_ et nous les voyons dans leur
état commençant de consolidation. Leur consolidation absolue est encore
à venir.
Nous voici arrivés à un point d'où nous contemplons l'Univers comme
un espace sphérique, parsemé inégalement de _groupes._ Observez
que je préfère ici l'adverbe _inégalement_ à cette phrase déjà
employée: «avec une égalité purement générale.» Il est évident en
fait que l'égalité de distribution diminuera en raison du progrès de
l'agglomération, c'est-à-dire à mesure que les choses diminueront en
nombre. Ainsi l'accroissement de l'inégalité, accroissement qui devra
continuer jusqu'à une époque plus ou moins lointaine, où la plus grosse
agglomération absorbera toutes les autres, ne peut être considéré que
comme un symptôme confirmatif de la _tendance à l'Unité._
Enfin ici il peut paraître bon de s'enquérir si les faits acquis de
l'Astronomie confirment l'arrangement général que j'ai, par déduction,
imposé aux mondes célestes. Or, cela est confirmé, et entièrement.
L'observation télescopique, guidée par les lois de la perspective, nous
permet de voir que l'Univers perceptible existe comme _un groupe de
groupes irrégulièrement disposés._

[Footnote 1: Il n'est pas impossible que quelque perfectionnement
imprévu d'optique nous révèle, parmi les innombrables variétés de
systèmes, un soleil lumineux, entouré d'anneaux lumineux et non
lumineux, en dedans, en dehors desquels, et entre lesquels roulent des
planètes lumineuses et non lumineuses, accompagnées de lunes ayant
leurs lunes, et même ces dernières possédant également leurs lunes
particulières.]

XI

Les groupes dont est composé cet universel _groupe de groupes_ sont
simplement ce que nous avons coutume de nommer _nébuleuses,_ et parmi
ces nébuleuses il en est une qui est pour l'humanité d'un intérêt
suprême. Je veux parler de la Galaxie ou Voie Lactée. Elle nous
intéresse, d'abord et évidemment, en raison de sa grande supériorité,
par son volume apparent, non-seulement sur tout autre groupe du
firmament, mais même sur tous les autres groupes pris ensemble. Le
plus grand de ces derniers n'occupe comparativement qu'un point dans
l'espace et ne se laisse voir distinctement qu'à l'aide du télescope.
La Galaxie traverse tout le ciel et se montre brillante à l'œil
nu. Mais elle intéresse l'homme particulièrement, quoique moins
immédiatement, en ce qu'elle fait partie de fa région où il est situé,
de la région de fa Terre sur laquelle il vit, de la région du Soleil
autour duquel tourne cette Terre, de la région de tout le système
d'astres dont le « Soleil est le centre et l'astre principal, fa Terre,
un des seize secondaires ou une des planètes, la Lune, un des dix-sept
tertiaires ou satellites. La Galaxie, je le répète, n'est qu'un des
groupes dont j'ai parlé, une de ces prétendues nébuleuses, qui ne se
révèlent à nous quelquefois qu'à l'aide du télescope, et comme de
faibles taches brumeuses dans différentes parties du ciel. Nous n'avons
aucune raison de supposer que la Voie Lactée soit en réalité plus vaste
que la moindre de ces nébuleuses. Sa grande supériorité de volume n'est
qu'apparente, et vient de sa position relativement à nous, c'est-à-dire
de notre position à nous qui en occupons le milieu. Quelque étrange que
cette assertion puisse paraître tout d'abord à ceux qui ne sont pas
versés dans l'Astronomie, l'astronome, lui, n'hésite pas à affirmer
que nous sommes placés au milieu de cette inconcevable multitude
d'étoiles, de soleils, de systèmes qui constituent la Galaxie. En
outre, non-seulement nous avons, non-seulement notre Soleil a le droit
de revendiquer la Galaxie comme étant son groupe spécial; mais on peut
dire, avec une légère réserve, que toutes les étoiles distinctement
visibles du firmament, toutes les étoiles visibles à l'œil nu, ont le
droit de s'en réclamer également.
Une idée bien fausse a été conçue relativement à la forme de la
Galaxie, de laquelle il est dit, dans presque tous nos traités
astronomiques, qu'elle ressemble à celle d'un Y capital. En réalité, le
groupe en question a une certaine ressemblance générale, très-générale,
avec la planète Saturne, enfermée dans son triple anneau. Au lieu du
globe solide de cette planète, nous devons toutefois nous figurer une
île stellaire ou collection lenticulaire d'étoiles; notre Soleil étant
placé excentriquement, près du bord de l'île, du côté qui est le plus
rapproché de la constellation de la Croix et le plus éloigné de celle
de Cassiopée. L'anneau qui l'entoure, dans la partie qui avoisine notre
position, est marqué d'une entaille longitudinale qui, en effet, lui
donne, aperçu de notre région, l'apparence vague d'un Y capital.
Cependant il ne faut pas que nous tombions dans cette erreur, de
concevoir cette ceinture, peu définie d'ailleurs, comme tout à fait
séparée, comparativement parlant, du groupe lenticulaire également
indéfini qu'elle entoure; et ainsi, pour rendre notre explication
plus claire, nous pouvons dire de notre Soleil qu'il est positivement
situé sur le point de l'Y où se rencontrent les trois lignes qui le
composent, et, nous figurant cette lettre comme douée d'une certaine
solidité, d'une certaine épaisseur, très-minime en comparaison de sa
longueur, nous pouvons dire que notre position est dans le milieu de
cette épaisseur. En nous figurant que nous sommes placés ainsi, nous
n'éprouverons plus aucune peine à nous rendre compte des phénomènes
en question, qui sont uniquement des phénomènes de perspective. Quand
nous regardons en haut ou en bas, c'est-à-dire quand nous jetons
les yeux dans le sens de _Y épaisseur_ de la lettre, notre regard
rencontre un moins grand nombre d'étoiles que lorsque nous jetons les
yeux dans le sens de sa _longueur,_ ou le long d'une des trois lignes
qui la composent. Naturellement, les étoiles, dans le premier cas,
apparaissent comme éparpillées, et, dans le second, comme accumulées.
Renversons, s'il vous plaît, l'explication: un habitant de la Terre
qui regarde la Galaxie, comme nous disons ordinairement, la considère
alors dans un des sens de sa longueur;--il regarde le long des lignes
de l'Y; mais quand, regardant dans le Ciel général, il détourne ses
yeux de la Galaxie, il la voit alors dans le sens de l'épaisseur de la
lettre; et c'est pour cela que les étoiles lui semblent clair-semées,
quoique, en réalité, elles soient aussi rapprochées, en moyenne, que
dans la partie massive du groupe. Il n'y a pas de considération qui
soit mieux faite pour donner une idée de l'effrayante étendue de ce
groupe.
Si, avec un télescope d'une profonde puissance, nous examinons
soigneusement le firmament, nous découvrirons _une ceinture de
groupes,_ faite de ce que nous avons jusqu'à présent nommé des
nébuleuses,--une _bande,_ d'une largeur variable, s'étendant d'un
horizon à l'autre, et coupant à angle droit la direction générale de
la Voie Lactée. Cette bande est le dernier _groupe de groupes._ Cette
ceinture est l'_Univers._ Notre Galaxie n'est qu'un des groupes, un des
moindres peut-être, qui entrent dans la composition de cette suprême
_bande_ ou _ceinture_ universelle. L'aspect de bande ou de ceinture,
que prend à nos yeux ce groupe de groupes, n'est qu'un phénomène de
perspective, analogue à celui qui nous fait aussi voir notre propre
groupe grossièrement sphérique, la Galaxie, sous la forme d'une
ceinture traversant les Cieux et coupant le groupe universel à angles
droits. Naturellement la forme du groupe qui enferme tous les autres
est, en général, celle de chaque groupe individuel qui y est contenu.
De même que les étoiles clair-semées que nous voyons dans le Ciel
général, quand nous détournons nos regards de la Galaxie, ne sont,
en réalité, qu'une partie de la Galaxie elle-même, aussi intimement
mêlées à elle qu'en aucun autre point où le télescope nous les montre
à l'état le plus dense,--de même les nébuleuses éparpillées, que nous
apercevons sur tous les points du firmament quand nous détournons
nos yeux de la ceinture Universelle, doivent être considérées comme
éparpillées seulement par la perspective et comme faisant partie
intégrante de l'unique _Sphère_ suprême et Universelle.
Il n'y a pas d'erreur astronomique plus insoutenable, et il n'y
en a pas qui ait obtenu une plus opiniâtre adhésion que celle qui
consiste à se figurer l'Univers sidéral comme absolument illimité.
Il me semble que les raisons qui nous le font croire limité, telles
que je les ai énoncées à _priori,_ sont irréfutables; mais, pour
n'en plus parler, l'observation seule nous montre qu'il y a, dans de
nombreuses directions autour de nous, si ce n'est dans toutes, une
limite positive; ou, tout au moins, elle ne nous fournit aucun motif
pour penser autrement. Si la succession des étoiles était illimitée,
l'arrière-plan du ciel nous offrirait une luminosité uniforme, comme
celle déployée par la Galaxie, _puisqu'il n'y aurait absolument aucun
point, dans tout cet arrière-plan, où n'existât une étoile._ Donc, dans
de telles conditions, la seule manière de rendre compte des _vides_ que
trouvent nos télescopes dans d'innombrables directions est de supposer
cet arrière-plan invisible placé à une distance si prodigieuse qu'aucun
rayon n'ait jamais pu parvenir jusqu'à nous. Qu'il en _puisse_ être
ainsi, qui oserait s'aviser de le nier? Je maintiens simplement que
nous n'avons pas même l'ombre d'une raison pour croire qu'il en _est_
ainsi.
En parlant de la propension vulgaire à considérer tous les corps
de la Terre comme tendant seulement vers le centre de la Terre, je
faisais observer que «sauf certaines exceptions dont il serait fait
mention plus tard, chaque corps de la Terre tendait, non-seulement
vers le centre de la Terre, mais encore vers toute autre direction
concevable.» Le mot _exceptions_ avait trait à ces vides fréquents
dans le Ciel, où l'examen le plus minutieux non-seulement ne découvre
pas de corps stellaires, mais ne trouve même pas d'indices quelconques
de leur existence. Là, des gouffres béants, plus noirs que l'Erèbe,
nous apparaissent comme des échappées ouvertes, à travers les murs
limitrophes de l'Univers Sidéral, sur l'Univers illimité du Vide. Or,
tout corps existant sur la Terre est exposé, soit par son mouvement
propre, soit par celui de la Terre, à traverser ou à longer un de ces
vides ou abîmes cosmiques, et il est évident qu'en ce moment il cesse
d'être attiré dans la _direction du Vide_ et qu'il est conséquemment
_plus lourd_ qu'à aucune autre époque, soit avant, soit après.
Indépendamment, toutefois, de la considération de ces vides, et ne nous
occupant que de la distribution généralement inégale des étoiles, nous
voyons, que la tendance absolue des corps de la Terre vers le centre de
la Terre est dans un état de variation perpétuelle.
Nous comprenons donc l'_insulation_ de notre Univers. Nous percevons
l'isolement de l'Univers, c'est-à-dire de _tout_ ce que nos sens
peuvent saisir. Nous savons qu'il existe un _groupe de groupes,_
une agglomération autour de laquelle, de tous côtés, s'étend un
incommensurable Espace désert fermé à toute perception humaine.
Mais, parce que nous sommes obligés de nous arrêter sur les confins
de cet Univers Sidéral, nos sens ne pouvant plus nous fournir de
témoignage, est-il juste de conclure qu'en réalité il n'existe pas de
point matériel au delà de celui qu'il nous a été permis d'atteindre?
Avons-nous, ou n'avons-nous pas le droit analogique d'inférer que cet
Univers sensible, que ce groupe de groupes, n'est qu'un morceau d'une
_série_ de groupes de groupes, dont les autres nous restent invisibles
à cause de la distance,--soit parce que la diffusion de leur lumière,
avant qu'elle parvienne jusqu'à nous, est si excessive qu'elle ne peut
produire sur notre rétine aucune impression lumineuse, soit parce
qu'il n'existe aucune espèce d'émanation lumineuse dans ces mondes
inexprimablement distants, ou enfin parce que l'intervalle qui nous en
sépare est si vaste que, depuis des myriades d'années écoulées, leurs
effluves électriques n'ont pas encore pu le franchir?
Avons-nous quelques droits à faire de telles suppositions, avons-nous
quelque motif pour accepter de telles visions? Si nous avons ce droit
à un degré quelconque, nous avons aussi le droit de leur donner une
extension infinie.
Le cerveau humain a évidemment un penchant vers l'_Infini_ et caresse
volontiers ce fantôme d'idée. Il semble aspirer vers cette conception
impossible avec une ferveur passionnée, avec l'espérance d'y croire
intellectuellement aussitôt qu'il l'a conçue. Ce qui est général
parmi toute la race humaine, aucun individu n'a sans doute le droit
de le considérer comme anormal; néanmoins, il peut exister une classe
d'intelligences supérieures pour qui ce tour d'esprit populaire porte
tout le caractère d'une monomanie.
Ma question, cependant, n'a pas encore trouvé sa réponse--Avons-nous
le droit de supposer, ou plutôt d'imaginer une succession interminable
de _groupes de groupes_ ou _d'Univers_ plus ou moins semblables?
Je réponds que le _droit,_ dans un cas tel que celui-ci, dépend
absolument de la hardiesse de l'imagination qui s'avise d'y prétendre.
Qu'il me soit permis seulement de déclarer que je me sens, pour
mon compte personnel, porté à _imaginer_ (je n'ose pas me servir
d'un terme plus affirmatif) qu'il existe réellement une succession
illimitée d'Univers, plus ou moins semblables à celui dont nous
avons connaissance, à celui-là _seul_ dont nous aurons jamais
connaissance,--du moins jusqu'au moment où notre Univers particulier
rentrera dans l'Unité. Cependant, si de tels groupes de groupes
existent,--et ils existent,--il est suffisamment clair que, n'ayant
pas de participation dans notre origine, ils ne participent pas à
nos lois. Ils ne nous attirent pas et nous ne les attirons pas. Leur
matière, leur esprit ne sont pas les nôtres, ne sont pas ce qui
agit, influe dans une partie quelconque de notre Univers. Ils ne
pourraient impressionner ni nos sens ni nos âmes. Entre eux et nous,
les considérant tous pour un moment collectivement, il n'y a pas
d'influences communes. Chacun existe, à part et indépendant, _dans le
sein de son Dieu propre et particulier._

XII

Dans la conduite de ce Discours, je vise moins à l'ordre physique qu'au
métaphysique. La clarté avec laquelle les phénomènes, même matériels,
sont présentés à l'intelligence dépend très-peu, il y a longtemps que
j'en ai acquis l'expérience, d'un arrangement purement naturel, et
naît presque entièrement de l'arrangement moral. Si donc j'ai l'air
de m'abandonner à des digressions et de sauter trop vite d'un point
à un autre de mon sujet, qu'il me soit permis de dire qu'en faisant
ainsi j'ai l'espoir de mieux conserver, sans la rompre, cette chaîne
d'impressions graduées, par laquelle seule l'intelligence de l'Homme
peut embrasser les grandeurs dont je parle et les comprendre dans leur
majestueuse totalité.
Jusqu'à présent, notre attention s'est dirigée presque exclusivement
vers un groupement général et relatif des corps stellaires dans
l'espace. De spécification, nous n'en avons fait que très-peu; et les
quelques idées relatives à la _quantité,_ c'est-à-dire au nombre, à
la grandeur et à la distance, que nous avons émises, ont été amenées
accessoirement et en manière de préparation pour des conceptions plus
définitives. Essayons maintenant d'atteindre à ces dernières.
Notre système solaire, comme nous l'avons déjà dit, consiste
principalement en un soleil et seize planètes au moins, auxquelles,
très-probablement, s'ajoutent quelques autres, qui tournent autour de
lui comme centre, accompagnées de dix-sept lunes connues et peut-être
de quelques autres que nous ne connaissons pas encore. Ces divers corps
ne sont pas de véritables sphères, mais des sphéroïdes aplatis, des
sphères comprimées dans la région des pôles de l'axe imaginaire autour
duquel elles tournent, l'aplatissement étant une conséquence de la
rotation. Le Soleil n'est pas absolument le centre du système; carie
Soleil lui-même, avec toutes les planètes, roule autour d'un point
de l'espace perpétuellement variable, qui est le centre général de
gravité du système. Nous ne devons pas non plus considérer les lignes
sur lesquelles se meuvent ces différents sphéroïdes,--les lunes autour
des planâtes, les planètes autour du Soleil, ou le Soleil autour du
centre commun,--comme des cercles dans le sens exact du mot. Ce sont,
en réalité, des _ellipses, l'un des foyers étant le point autour
duquel se fait la révolution._ Une ellipse est une courbe retournant
sur elle-même, qui a un de ses diamètres plus long que l'autre. Sur le
diamètre le plus long sont deux points, également distants du milieu
de la ligne, et, d'ailleurs, situés de telle façon que si, à partir
de chacun d'eux, on tire une ligne droite vers un point quelconque de
la courbe, la somme des deux lignes réunies sera égale au plus grand
des diamètres. Concevons donc une ellipse de cette nature. A l'un des
points en question, qui sont les _foyers,_ fixons une orange. Par un
fil élastique unissons cette orange à un pois, et plaçons ce dernier
sur la circonférence de l'ellipse. Le fil élastique, naturellement,
varie en longueur à mesure que nous faisons mouvoir le pois, et forme
ce que nous appelons en géométrie un _radius vector._ Or, si l'orange
est prise pour le Soleil et le pois pour une planète tournant autour
de lui, la révolution devra se faire avec une vitesse variable plus
ou moins grande, mais telle que le _radius vector_ franchira des
aires _égales en temps égaux._ La marche du pois _sera_ donc ou, en
d'autres termes, la marche de la planète _est_ lente à proportion
de son éloignement du Soleil, rapide à proportion de sa proximité.
Ces planètes, en outre, se meuvent d'autant plus lentement qu'elles
sont situées plus loin du Soleil, _les carrés de leurs périodes de
révolution étant entre eux dans la même proportion que les cubes de
leurs distances moyennes du Soleil._
On comprend que les lois terriblement complexes de révolution que
nous décrivons ici ne règnent pas seulement dans notre système.
Elles dominent partout où domine l'Attraction. Elles régissent
l'Univers. Chaque point brillant du firmament est sans doute un Soleil
lumineux, ressemblant au nôtre, au moins dans son caractère général,
et accompagné d'une plus ou moins grande quantité de planètes plus
ou moins grosses, dont la luminosité encore attardée ne peut pas se
manifester à nous à une si grande distance, mais qui, néanmoins,
roulent, escortées de leurs lunes, autour de leurs centres sidéraux,
obéissant aux principes que nous avons constatés, obéissant aux trois
lois absolues de révolution, aux trois immortelles lois devinées par
l'esprit imaginatif de Kepler et subséquemment expliquées et démontrées
par l'esprit patient et mathématique de Newton. Dans une certaine
tribu de philosophes, qui font vanité de ne s'appuyer que sur les
faits positifs, il est beaucoup trop à la mode de se moquer de toute
spéculation et de la flétrir de la vague et élastique appellation
_d'œuvre conjecturale._ La valeur de celui qui conjecture, tel est
le point à examiner. En conjecturant de temps à autre avec Platon,
nous dépenserons notre temps avec plus d'utilité qu'en écoutant une
démonstration d'Alcmæon.
Dans maint ouvrage d'astronomie, je vois qu'il est nettement établi que
les lois de Kepler sont la _base_ du grand principe de la Gravitation.
Cette idée a dû naître de ce fait, que la divination de ces lois par
Kepler et sa démonstration postérieure de leur existence positive ont
poussé Newton à les expliquer par l'hypothèse de la Gravitation et,
finalement, à les démontrer à _priori,_ comme conséquences nécessaires
du principe hypothétique. Ainsi, bien loin d'être la base de la
Gravitation, les lois de Kepler ont la Gravitation pour base, et il en
est de même, d'ailleurs, de toutes les lois de l'Univers matériel qui
ne se rapportent pas uniquement à la Répulsion.
La distance moyenne de la Terre à la Lune, c'est-à-dire la distance qui
nous sépare du corps céleste le plus voisin de nous, est de 237,000
milles. Mercure, la planète la plus proche du Soleil, est éloignée de
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