Eureka - 8

Total number of words is 4438
Total number of unique words is 1319
33.9 of words are in the 2000 most common words
45.6 of words are in the 5000 most common words
51.4 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
lui de 37 millions de milles. Vénus, qui vient après, tourne à une
distance de 68 millions de milles; la Terre, à son tour, à une distance
de 95 millions; Mars, à la distance de 144 millions. Puis viennent
les huit astéroïdes (Cérès, Junon, Vesta, Pallas, Astrée, Flore,
Iris et Hébé), à une distance moyenne d'environ 250 millions. Puis
nous trouvons Jupiter, distant de 490 millions; puis Saturne, de 900
millions; puis Uranus, de I,900 millions; finalement Neptune, récemment
découvert et tournant à une distance de 2,800 millions. Laissant
Neptune de côté, sur qui nous n'avons pas jusqu'à présent des documents
très-exacts, et qui est peut-être une planète appartenant à un système
d'Astéroïdes, on peut voir que, dans de certaines limites, il existe
entre les planètes un ordre d'intervalles. Pour parler d'une manière
approximative, nous pouvons dire que chaque planète est, relativement
au Soleil, située à une distance double de celle qui la précède.
_L'ordre_ en question, que nous exposons ici,--_la loi de Bode_,--ne
pourrait-il pas être déduit de l'examen de l'analogie existant, ainsi
que je l'ai suggéré, entre la décharge solaire des anneaux et le mode
de l'irradiation atomique?
Quant aux nombres cités à la hâte dans cette table sommaire des
distances, il y aurait folie à essayer de les comprendre, excepté
au-point de vue des faits arithmétiques abstraits. Ces nombres ne
sont pas pratiquement appréciables, lis ne comportent pas d'idées
précises. J'ai dit que Neptune, la planète la plus éloignée, tournait
autour du Soleil ù une distance de 2,800 millions de milles. Jusqu'ici
rien de mieux; j'ai établi un fait mathématique; et, sans comprendre
ce fait le moins du monde, nous pouvons le poser pour nous en servir
mathématiquement. Mais même en indiquant que la Lune tourne autour de
la Terre à la distance comparativement mesquine de 237,000 milles, je
n'ai nullement l'espérance de faire comprendre à qui que ce soit,--de
lui faire apprécier,--de lui faire sentir à quelle distance U Lune se
trouve positivement de la Terre. 237,000 milles! Parmi mes lecteurs, il
y en a peut-être bien peu qui n'aient pas traversé l'Océan Atlantique;
et, cependant, combien d'entre eux ont une idée distincte même des
3,000 milles qui séparent les deux rivages? Je doute, en vérité, qu'il
existe un homme qui puisse faire entrer dans son cerveau la plus vague
conception de l'intervalle compris entre une borne milliaire et sa
plus proche voisine. Cependant, nous trouvons quelque facilité pour
apprécier la distance en combinant l'idée de l'espace avec l'idée de
vélocité qui la suit naturellement. Le son parcourt un espace de I,100
pieds en une seconde. Or, s'il était possible à un habitant de la Terre
de voir l'éclair d'un coup de canon tiré dans la Lune et d'en entendre
la détonation, il lui faudrait attendre treize jours entiers, à partir
du moment où il aurait aperçu le premier, pour recevoir un indice de la
seconde.
Quelque faible que soit l'appréciation obtenue par ce moyen de la
réelle distance de la Lune à la Terre, elle aura néanmoins cette
utilité de nous faire mieux comprendre la folie de vouloir saisir par
la pensée des distances telles que les 2,800 millions de milles qui
séparent Neptune de notre Soleil; ou même les 95 millions de milles
compris entre le Soleil et la Terre que nous habitons. Un boulet de
canon, se mouvant avec la rapidité la plus grande qui ait jamais
été communiquée à un boulet, ne pourrait pas traverser ce dernier
intervalle en moins de 20 ans; pour le premier espace, il faudrait 590
ans.
Le diamètre réel de notre Lune est de 2,160 milles; cependant, elle
est un objet comparativement si petit qu'il faudrait environ cinquante
globes semblables pour en composer un aussi gros que la Terre.
Le diamètre de notre propre globe est de 7,912 milles;--mais de
renonciation de ces nombres quelle idée positive prétendons-nous tirer?
Si nous montons au sommet d'une montagne ordinaire et si nous regardons
autour de nous, nous apercevons un paysage qui s'étend à 40 milles dans
toutes les directions, formant un cercle de 250 milles de circonférence
et enfermant un espace de 5,000 milles carrés. Mais comme les portions
d'une semblable perspective ne se présentent nécessairement à notre
vue que l'une après l'autre, nous n'en pouvons apprécier l'étendue
que faiblement et partiellement; cependant le panorama tout entier
ne représente que la quarante millième partie de la surface de notre
globe. Si à ce panorama succédait, au bout d'une heure, un autre
panorama d'égale étendue; à ce second, au bout d'une heure, un
troisième; à ce troisième, au bout d'une heure, un quatrième, et ainsi
de suite, jusqu'à ce que tous les décors de la Terre fussent épuisés,
et si nous étions invités à examiner ces divers panoramas pendant
douze heures par jour, il ne nous faudrait pas moins de neuf ans et
quarante-huit jours pour achever l'examen de la collection.
Mais si la simple surface de la Terre se refuse à l'étreinte de notre
imagination, que penserons-nous de sa contenance évaluée par cubes?
Elle embrasse une masse de matière équivalente au moins à un poids de
deux undécillions et deux cents nonillions de tonnes. Supposons cette
masse à l'état de repos, et essayons de concevoir une force mécanique
suffisante pour la mettre en mouvement! La force de toutes les myriades
d'êtres dont notre imagination peut peupler les mondes planétaires
de notre système, la force physique combinée de tous ces êtres, même
en les supposant plus puissants que l'homme, ne pourrait réussir à
déplacer d'un seul pouce cette masse prodigieuse.
Que devons-nous donc penser de la force nécessaire, dans de semblables
conditions, pour remuer la plus grosse de nos planètes, Jupiter?
Elle a un diamètre de 86,000 milles, et pourrait contenir dans sa
périphérie plus de mille globes de la grandeur du nôtre. Cependant ce
corps monstrueux vole positivement autour du Soleil avec une vitesse
de 29,000 milles par heure, c'est-à-dire avec une rapidité quarante
fois plus grande que celle d'un boulet de canon! On ne peut même pas
dire que l'idée d'un tel phénomène fait tressaillir l'esprit, elle
l'épouvante, elle le paralyse. Nous avons plus d'une fois occupé notre
imagination à nous peindre les facultés d'un ange. Figurons-nous,
à une distance d'environ 100 milles de Jupiter, un pareil être,
assistant ainsi, témoin oculaire très rapproché, à la révolution
annuelle de cette planète. Or, pouvons-nous, je le demande, nous faire
une idée assez haute, assez immense de la puissance spirituelle de
cet être idéal pour concevoir qu'à la vue de cette incommensurable
masse, pirouettant juste sous ses yeux avec une vélocité tellement
inexprimable, l'ange lui-même, si angélique qu'il soit, puisse ne pas
être écrasé, anéanti?
Ici, toutefois, il me paraît bon de faire observer qu'en réalité nous
n'avons encore parlé que d'objets comparativement insignifiants. Notre
Soleil, l'astre central et dirigeant du système auquel appartient
Jupiter, est non-seulement plus gros que Jupiter, mais aussi beaucoup
plus gros que toutes les planètes du système prises ensemble. Ce fait
est vraiment une condition essentielle de la stabilité du système
lui-même. Le diamètre de Jupiter est, avons-nous dit, de 86,000 milles!
Celui du Soleil est de 882,000 milles. Un habitant de ce dernier,
parcourant 90 milles par jour, mettrait plus de 80 ans à faire le
tour de sa plus grande circonférence. Il occupe un espace cubique de
681 septillions et 472 quintillions de milles. La Lune, ainsi qu'il
a été établi, tourne autour de la Terre, à une distance de 237,000
milles, sur une orbite qui est conséquemment de près d'un million et
demi de milles. Or, si le Soleil était placé sur la Terre, les deux
centres coïncidant, le volume du Soleil s'étendrait, en tout sens,
non-seulement jusqu'à l'orbite de la Lune, mais encore à une distance
de 200,000 milles au delà.
Et ici, une fois encore, observons que nous n'avons, jusqu'à présent,
parlé que de bagatelles. On a évalué la distance qui sépare Neptune
du Soleil; elle est de 2,800 millions de milles; la circonférence
de son orbite est donc de 17 trillions environ. Gardons d'oublier
cela quand nous portons nos regards sur quelqu'une des étoiles les
plus brillantes. Entre cette étoile et l'astre central de notre
système, le Soleil, il y a un gouffre d'espace tel que, pour en donner
l'idée, il faudrait la langue d'un archange. Donc, l'étoile que nous
regardons est un être aussi séparé que possible de _notre_ système,
de _notre_ Soleil, ou, si l'on veut, de _notre_ étoile; cependant,
supposons-la un moment placée sur notre Soleil, le centre de l'une
coïncidant avec celui de l'autre, de même que nous avons supposé le
Soleil lui-même placé sur la Terre. Figurons-nous maintenant l'étoile
particulière que nous avons choisie s'étendant, dans tous les sens,
au delà de l'orbite de Mercure,--de Vénus,--de la Terre,--et puis
au delà de l'orbite de Mars,--de Jupiter,--d'Uranus, jusqu'à ce que,
finalement, notre imagination ait rempli le cercle de 17 trillions
de milles de circonférence, que décrit dans sa révolution la planète
de Leverrier. En admettant que nous soyons parvenus à concevoir tant
d'énormité, nous n'aurions pas créé une idée extravagante. Nous avons
les meilleures raisons pour croire qu'il y a bien des étoiles beaucoup
plus grosses que celle que nous avons supposée. Je veux dire que pour
une telle croyance nous possédons la meilleure base expérimentale; et
qu'en reportant notre regard vers la disposition atomique originelle,
ayant pour but la _diversité,_ que nous avons considérée comme étant
une partie du plan divin dans la constitution de l'Univers, il nous
deviendra facile de comprendre et d'admettre des disproportions, dans
la grosseur des corps célestes, infiniment plus vastes qu'aucune de
celles dont j'ai parlé jusqu'à présent. Naturellement nous devons nous
attendre à trouver les corps les plus gros roulant à travers les vides
les plus grands de l'Espace.
Je disais tout à l'heure que, pour nous donner une idée juste de
l'intervalle qui sépare notre Soleil d'une quelconque des autres
étoiles, il faudrait l'éloquence d'un archange. En parlant ainsi, je ne
puis pas être accusé d'exagération; car c'est la vérité pure qu'en de
certains sujets il n'est pas possible d'exagérer. Mais tâchons de poser
la matière plus distinctement sous les yeux de l'esprit.
D'abord nous pouvons atteindre une conception générale, _relative,_
de l'intervalle en question, en le comparant avec les espaces
interplanétaires connus. Supposons, par exemple, que la Terre qui est,
en réalité, à 95 millions de milles du Soleil, ne soit distante de ce
flambeau que _d'un pied_ seulement; Neptune se trouverait alors à une
distance de _quarante_ pieds; et l'étoile Alpha Lyrse à une distance de
_cent cinquante-neuf_ au moins.
Or, je présume que peu de mes lecteurs ont remarqué, dans la conclusion
de ma dernière phrase, quelque chose de spécialement inadmissible, de
particulièrement faux. J'ai dit que la distance de la Terre au Soleil
étant supposée d'un _pied,_ la distance de Neptune serait de quarante
pieds, et celle d'Alpha Lyrse de cent cinquante-neuf. La proportion
entre un pied et cent cinquante-neuf a peut-être semblé suffisante
pour donner une impression distincte de la proportion entre les deux
distances, celle de la Terre au Soleil et celle d'Alpha Lyrse au même
astre. Mais mon calcul, en réalité, aurait dû se formuler ainsi: En
supposant que la distance de la Terre au Soleil soit d'un pied, la
distance de Neptune serait de quarante pieds, et celle d'Alpha Lyrse
de cent cinquante-neuf... _milles;_ c'est-à-dire que, dans mon premier
calcul, je n'ai assigné à Alpha Lyrse que la cinq mille deux cent
quatre-vingtième partie de la distance qui est la plus petite possible
où cette étoile puisse être réellement située.
Poursuivons.--A quelque distance que soit une simple _planète,_
cependant, quand nous l'examinons à travers un télescope, nous la
voyons sous une certaine forme, nous la trouvons d'une certaine
grosseur appréciable. Or, j'ai déjà dit quelques mots de la grosseur
probable de plusieurs étoiles; néanmoins, quand nous en examinons une
quelconque, même à travers le télescope le plus puissant, elle se
présente à nous sans aucune forme, et, conséquemment, sans aucune
dimension. Nous la voyons comme un point, et rien de plus.
Maintenant, supposons que nous voyagions la nuit, sur une grande route.
Dans un champ, d'un des côtés de la route, se trouve une file de vastes
objets de toute dimension, d'arbres, par exemple, dont la figure se
détache distinctement sur le fond du ciel. Cette ligne s'étend à angle
droit de la route jusqu'à l'horizon. Or, à mesure que nous avançons
le long de la route, nous voyons ces arbres changer leurs positions
respectives relativement à un certain point fixe dans cette partie
du firmament qui forme le fond du tableau. Supposons que ce point
fixe,--suffisamment fixe pour notre démonstration,--soit la lune
qui se lève. Nous voyons tout d'abord que, pendant que l'arbre le
plus proche de nous change de position relativement à la lune, et si
fortement qu'il a l'air de fuir derrière nous, l'arbre qui est à la
distance extrême n'a pour ainsi dire pas bougé de la place qu'il occupe
relativement au satellite. Nous continuons à observer que plus les
objets sont éloignés de nous, moins ils s'éloignent de leur position,
et réciproquement. Nous commençons alors, à notre insu, à apprécier la
distance de chaque arbre par la plus ou moins grande altération de sa
position relative. Finalement nous arrivons à comprendre comment on
pourrait vérifier la distance positive d'un arbre quelconque de cette
rangée en se servant de la quantité d'altération relative comme d'une
base dans un simple problème géométrique. Or, cette altération relative
est ce que nous appelons parallaxe; et c'est par la parallaxe que nous
calculons les distances des corps célestes. Appliquant le principe aux
arbres en question, nous serions naturellement fort embarrassés pour
calculer la distance _d'un_ arbre, qui, si loin que nous nous avancions
sur la route ne nous donnerait aucune parallaxe. Ceci, dans l'exemple
que nous avons supposé, est une chose impossible; impossible simplement
parce que toutes les distances sur notre Terre sont véritablement
insignifiantes; si nous les comparons avec les vastes quantités
cosmiques, nous pouvons dire qu'elles se réduisent absolument à néant.
Or, supposons que l'étoile Alpha Lyræ soit juste au-dessus de nos
têtes et imaginons qu'au lieu d'être sur la Terre, nous soyons placés à
l'un des bouts d'une ligne droite s'étendant à travers l'espace jusqu'à
une distance égale au diamètre de l'orbite de la Terre, c'est-à-dire
une distance de cent quatre-vingt-dix millions de milles. Ayant
observé, au moyen des instruments micrométriques les plus délicats, la
position exacte de l'étoile, marchons le long de cette inconcevable
route, jusqu'à ce que nous ayons atteint l'autre extrémité. Ici,
examinons une seconde fois l'étoile. Elle est précisément où nous
l'avons laissée. Nos instruments, si délicats qu'ils soient, nous
affirment que sa position relative est absolument, identiquement la
même qu'au commencement de notre incommensurable voyage. Nous n'avons
trouvé aucune parallaxe, absolument aucune.
Le fait est que, relativement à la distance des étoiles fixes, d'un
quelconque de ces innombrables soleils qui scintillent de l'autre
côté de ce terrible abîme par lequel notre système est séparé des
systèmes ses frères, dans le groupe auquel il appartient, la science
astronomique jusqu'à ces derniers temps n'a pu parler qu'avec une
certitude négative. Considérant les plus brillantes comme les plus
rapprochées, nous pouvions seulement dire, même de celles-là, que la
limite en dedans de laquelle elles ne peuvent pas être situées, est à
une certaine distance incommensurable;--à quelle distance au delà de
cette limite sont-elles situées, nous n'avions jamais pu le calculer.
Nous comprenions, par exemple, qu'Alpha Lyræ ne peut pas être à une
distance moindre de dix-neuf quintillions et deux cents trillions de
milles; mais, de tout ce que nous savions et de tout ce que nous savons
maintenant, nous pouvons induire qu'il est peut-être à la distance
représentée par le carré, le cube, ou toute autre puissance du nombre
précité. Cependant, au moyen d'observations singulièrement sagaces
et minutieuses, continuées avec des instruments nouveaux pendant
plusieurs laborieuses années, Bessel, qui est mort récemment, avait
dans les derniers temps réussi à déterminer la distance de six ou
sept étoiles; entre autres celle qui est désignée par le chiffre 61
dans la constellation du Cygne. La distance calculée dans ce dernier
cas est six cent soixante-dix mille fois plus grande que celle du
Soleil; laquelle, il est bon de le rappeler, est de quatre-vingt-quinze
millions de milles. L'étoile 61 du Cygne est donc éloignée de nous de
presque soixante-quatre quintillions de milles, ou de plus de trois
fois la distance la plus petite possible attribuée à Alpha Lyræ.
Si nous essayons d'apprécier cette distance à l'aide de considérations
tirées de la vitesse, comme nous avons fait pour apprécier la distance
de la Lune, il nous faut perdre absolument de vue des vitesses aussi
insignifiantes que celles du boulet de canon ou du son. La lumière,
toutefois, suivant les derniers calculs de Struve, marche avec une
vitesse de cent soixante-sept mille milles par seconde. La pensée
elle-même ne pourrait pas franchir cet intervalle plus rapidement, en
supposant que la pensée puisse même le parcourir. Or, malgré cette
inconcevable vélocité, la lumière, pour venir de l'étoile 61 du Cygne
jusqu'à nous, a besoin de plus de _dix ans;_ et conséquemment, si cette
étoile était en ce moment effacée de l'Univers, elle continuerait
encore pendant dix ans à briller pour nous et à verser à nos yeux sa
gloire paradoxale.
Tout en gardant présente à l'esprit la conception, si faible qu'elle
soit, que nous avons pu nous faire de l'intervalle qui sépare
notre Soleil de l'étoile 61 du Cygne, souvenons-nous aussi que cet
intervalle, quoique inexprimablement vaste, peut être considéré
comme la simple distance _moyenne_ entre les innombrables multitudes
d'étoiles composant le groupe, ou nébuleuse, auquel appartient notre
système, ainsi que l'étoile 61 du Cygne. En vérité, j'établis le
calcul avec une grande modération; nous avons d'excellentes raisons
pour croire que l'étoile 61 du Cygne est l'une des étoiles les plus
rapprochées, et pour en conclure que sa distance, relativement à
nous, est moindre que la distance moyenne d'étoile à étoile dans le
magnifique groupe de la Voie Lactée.
Et ici, une fois encore et définitivement, il me semble bon d'observer
que jusqu'à présent nous n'avons parlé que de quantités insignifiantes.
Cessons de nous émerveiller de l'espace qui sépare les étoiles dans
notre propre groupe ou dans tout autre groupe particulier; tournons
plutôt nos pensées vers les espaces qui séparent les groupes eux-mêmes
dans le groupe omnicompréhensif de l'Univers.
J'ai déjà dit que la lumière marche avec une vitesse de cent
soixante-sept mille milles par seconde, c'est-à-dire de dix millions
de milles par minute, ou d'environ six cent millions de milles
par heure;--et cependant il est des nébuleuses qui sont tellement
éloignées de nous que la lumière de ces mystérieuses régions, quoique
marchant avec une telle vélocité, ne peut pas arriver jusqu'ici en
moins de _trois millions d'années._ Ce calcul, d'ailleurs, a été fait
par Herschell l'aîné, et n'a trait qu'à ces groupes comparativement
rapprochés qui se trouvaient à la portée de son propre télescope. Mais
il y a des nébuleuses, qui, par le tube magique de lord Rosse, nous
communiquent en cet instant même l'écho des secrets qui datent _d'un
million de siècles._ En un mot les phénomènes que nous contemplons en
ce moment, dans ces mondes lointains, sont les mêmes phénomènes qui
intéressaient leurs habitants il y a _dix fois cent mille siècles._
Dans des intervalles, dans des distances, tels que cette suggestion
en impose à notre _âme,--_plutôt qu'à notre esprit,--nous trouvons
enfin une échelle convenable où toutes nos mesquines considérations
antérieures de _quantité_ peuvent figurer comme de simples degrés.

XIII

L'imagination ainsi pleine de distances cosmiques, profitons de
l'occasion pour parler de la difficulté que nous avons si souvent
éprouvée, quand nous poursuivions le _chemin battu_ de la pensée
astronomique, à rendre compte de ces vides incommensurables,--à
expliquer pourquoi des gouffres, si totalement inoccupés et si
inutiles en apparence, se sont produits entre les étoiles,--entre
les groupes,--bref, à trouver une raison suffisante de l'échelle
titanique, sur laquelle, quant à l'espace seulement, l'Univers paraît
avoir été construit. J'affirme que l'Astronomie a fait visiblement
défaut dans cette question et n'a pas su attribuer à ce phénomène
une cause rationnelle;--mais les considérations qui, dans cet Essai,
nous ont conduit pas à pas, nous permettent de comprendre clairement
et immédiatement que _l'Espace et la Durée ne sont qu'un._ Pour que
l'Univers pût durer pendant une ère proportionnée à la grandeur
de ses parties matérielles constitutives et à la haute majesté de
ses destinées spirituelles, il était nécessaire que la diffusion
atomique originelle se fît dans une étendue aussi prodigieusement
vaste qu'elle pouvait l'être sans être infinie. Il fallait, en un
mot, que les étoiles passassent de l'état de nébulosité invisible à
l'état de solidité visible, et vieillissent en donnant successivement
la naissance et la mort à des variétés inexprimablement nombreuses et
complexes du développement de la vitalité;--il fallait que les étoiles
accomplissent tout cela, trouvassent le temps suffisant pour accomplir
toutes ces intentions divines, _durant la période_ dans laquelle toutes
choses vont effectuant leur retour vers l'Unité avec une vélocité
qui progresse en raison inverse des carrés des distances, au bout
desquelles est placé l'inévitable But.
Grâce à toutes ces considérations, nous n'avons aucune peine à
comprendre l'absolue exactitude de _l'appropriation_ divine. La densité
respective des étoiles augmente, naturellement, à mesure que leur
condensation diminue: la condensation et l'hétérogénéité marchent
de pair; et par cette dernière, qui est l'indice de la première,
nous pouvons estimer le développement vital et spirituel. Ainsi, par
la densité des globes, nous obtenons la mesure dans laquelle leurs
destinées sont remplies. A mesure qu'augmente la densité et que
s'accomplissent les intentions divines, à mesure que diminue ce qui
reste à accomplir, nous voyons augmenter, dans la même proportion,
la vitesse qui précipite les choses vers la Fin. Et ainsi l'esprit
philosophique comprendra sans peine que les intentions divines,
dans la constitution des étoiles, avancent mathématiquement vers
leur accomplissement;--il comprendra plus encore; il donnera à ce
progrès une expression mathématique; il affirmera que ce progrès est
en proportion inverse des carrés des distances où toutes les choses
créées se trouvent relativement à ce qui est à la fois le point de
départ et le but de leur création.
Non-seulement cette appropriation de Dieu est mathématiquement exacte,
mais il y a en elle une estampille divine, qui la distingue de tous
les ouvrages de construction purement humaine. Je veux parler de la
complète _réciprocité_ d'appropriation. Ainsi dans les constructions
humaines une cause particulière engendre un effet particulier; une
intention particulière amène un résultat particulier; mais c'est
tout; nous ne voyons pas de réciprocité. L'effet ne réagit pas sur la
cause; l'intention ne change pas son rapport avec l'objet. Dans les
combinaisons de Dieu, l'objet est tour à tour dessein ou objet, selon
la façon dont il nous plaît de le regarder, et nous pouvons prendre
en tout temps une cause pour un effet, et réciproquement, de sorte
que nous ne pouvons jamais, d'une manière absolue, distinguer l'un de
l'autre.
Prenons un exemple. Dans les climats polaires, la machine humaine, pour
maintenir sa chaleur animale, et pour la combustion dans le système
capillaire, réclame une abondante provision de nourriture fortement
azotée, telle que l'huile de poisson. D'autre part, nous voyons que
dans les climats polaires l'huile des nombreux phoques et baleines
est presque la seule nourriture que la nature fournisse à l'homme. Et
maintenant dirons-nous que l'huile est mise à la portée de l'homme
parce qu'elle est impérieusement réclamée, ou dirons-nous qu'elle
est la seule chose réclamée parce qu'elle est la seule qu'il puisse
obtenir? Il est impossible de décider la question. Il y a là une
absolue _réciprocité d'appropriation._
Le plaisir que nous tirons de toute manifestation du génie humain
est en raison du plus ou moins de _ressemblance_ avec cette espèce
de réciprocité. Ainsi, dans la construction du plan d'une fiction
littéraire, nous devrions nous efforcer d'arranger les incidents de
telle façon qu'il fût impossible de déterminer si un quelconque d'entre
eux dépend d'un autre quelconque ou lui sert d'appui. Prise dans ce
sens, _la perfection du plan_ est, dans la réalité, dans la pratique,
impossible à atteindre, simplement parce que la construction dont il
s'agit est l'œuvre d'une intelligence finie. Les plans de Dieu sont
parfaits. L'Univers est un plan de Dieu.
Nous sommes maintenant arrivés à un point où l'intelligence est forcée
de lutter contre sa propension à la déduction analogique, contre cette
monomanie qui la pousse à vouloir saisir l'infini. Nous avons vu les
lunes tourner autour des planètes; les planètes autour des étoiles;
et l'instinct poétique de l'humanité,--son instinct de la symétrie,
en tant que la symétrie ne soit qu'une symétrie de surface,--cet
instinct, que l'Ame non-seulement de l'Homme mais de tous les êtres
créés, a tiré au commencement de la base géométrique de l'irradiation
universelle,--nous pousse à imaginer une extension sans fin de ce
système de cycles. Fermant également nos yeux à la déduction et à
l'induction, nous nous obstinons à concevoir une révolution de tous
les corps qui composent lu Galaxie autour de quelque globe gigantesque
que nous intitulons pivot central du tout. On se figure chaque groupe,
dans le grand groupe de groupes, pourvu et construit d'une manière
similaire; et en même temps, pour que l'analogie soit complète et
ne fasse défaut en aucun point, on va jusqu'à concevoir tous ces
groupes eux-mêmes comme tournant autour de quelque sphère encore
plus auguste;--cette dernière à son tour, avec tous les groupes qui
lui forment une ceinture, on croit qu'elle n'est qu'un des membres
d'une série encore plus magnifique d'agglomérations, évoluant autour
d'un autre globe qui lui sert de centre,--quelque globe encore plus
ineffablement sublime, quelque globe, disons mieux, d'une infinie
sublimité, incessamment multipliée par l'infiniment sublime. Telles
sont les conditions, continuées à perpétuité, que la tyrannie d'une
fausse analogie impose à l'Imagination et que la Raison est invitée
à contempler, sans se montrer, s'il est possible, trop mécontente du
tableau. Tel est, en général, le système d'interminables révolutions
s'engendrant les unes les autres, que la Philosophie nous a habitués à
comprendre et à expliquer, en s'y prenant du moins aussi adroitement
qu'elle a pu. De temps à autre cependant, un véritable philosophe, dont
la frénésie prend un tour très-déterminé, dont le génie, pour parler
plus honnêtement, a, comme les blanchisseuses, l'habitude fortement
prononcée de ne couler les choses qu'à la douzaine, nous fait voir
le point précis, qui avait été perdu de vue, où s'arrête et où doit
nécessairement s'arrêter cette série de révolutions.
Les rêveries de Fourier ne valent peut-être pas la peine que nous nous
en moquions;--mais on a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de
l'hypothèse de Madler,--à savoir qu'il existe, au centre de la Galaxie,
un globe prodigieux, autour duquel tournent tous les systèmes du
You have read 1 text from French literature.
Next - Eureka - 9
  • Parts
  • Eureka - 1
    Total number of words is 4412
    Total number of unique words is 1548
    30.7 of words are in the 2000 most common words
    41.7 of words are in the 5000 most common words
    47.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Eureka - 2
    Total number of words is 4401
    Total number of unique words is 1411
    32.0 of words are in the 2000 most common words
    42.8 of words are in the 5000 most common words
    47.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Eureka - 3
    Total number of words is 4273
    Total number of unique words is 1270
    28.8 of words are in the 2000 most common words
    38.5 of words are in the 5000 most common words
    43.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Eureka - 4
    Total number of words is 4359
    Total number of unique words is 1221
    32.8 of words are in the 2000 most common words
    43.4 of words are in the 5000 most common words
    48.0 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Eureka - 5
    Total number of words is 4355
    Total number of unique words is 1246
    31.3 of words are in the 2000 most common words
    40.3 of words are in the 5000 most common words
    45.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Eureka - 6
    Total number of words is 4343
    Total number of unique words is 1372
    30.2 of words are in the 2000 most common words
    40.0 of words are in the 5000 most common words
    45.0 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Eureka - 7
    Total number of words is 4420
    Total number of unique words is 1338
    30.1 of words are in the 2000 most common words
    42.1 of words are in the 5000 most common words
    46.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Eureka - 8
    Total number of words is 4438
    Total number of unique words is 1319
    33.9 of words are in the 2000 most common words
    45.6 of words are in the 5000 most common words
    51.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Eureka - 9
    Total number of words is 4271
    Total number of unique words is 1320
    31.1 of words are in the 2000 most common words
    40.2 of words are in the 5000 most common words
    44.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Eureka - 10
    Total number of words is 1900
    Total number of unique words is 749
    37.3 of words are in the 2000 most common words
    47.8 of words are in the 5000 most common words
    51.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.