Eureka - 5

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de satisfaction générale pour son appétit individuel. Pour parler
brièvement, la condition de l'Unité est en réalité ce que cherchent les
atomes, et s'ils _semblent_ chercher le centre de la sphère, ce n'est
qu'implicitement, parce que le centre implique, contient, enveloppe le
seul centre essentiel, l'Unité. Mais, en raison de ce caractère double
et implicite, il est impossible de séparer pratiquement la tendance
vers l'Unité abstraite de la tendance vers le centre concret. Ainsi la
tendance des atomes vers le centre général est, à tous égards, pratique
et logique, la tendance de chacun vers chacun, et cette tendance
réciproque universelle est la tendance vers le centre; l'une peut être
prise pour l'autre; tout ce qui s'applique à l'une doit s'appliquer à
l'autre, et enfin tout principe qui expliquera suffisamment l'une est
une explication indubitable de l'autre.
Je regarde soigneusement autour de moi pour trouver une objection
rationnelle contre ce que j'ai avancé, et je n'en puis découvrir
aucune; mais parmi cette classe d'objections généralement présentées
par les douteurs de profession, les amoureux du Doute, j'en aperçois
très-aisément trois, et je vais les examiner successivement.
On dira peut-être d'abord: «La preuve que la force d'irradiation (dans
le cas en question) est en proportion directe des carrés des distances
repose sur cette supposition gratuite que le nombre des atomes dans
chaque couche est la mesure de la force par laquelle ils ont été émis.»
Je réponds que non-seulement j'ai parfaitement le droit de faire
une telle supposition, mais que je n'aurais aucun droit d'en faire
une autre. Ce que je suppose est simplement qu'un effet sert de
mesure à la cause qui le produit,--que tout exercice de la Volonté
Divine sera proportionnel au but qui réclame cet exercice,--et que
les moyens de l'Omnipotence, ou de l'Omniscience, seront exactement
appropriés à ses desseins. Le déficit ou l'excès dans la cause ne
peuvent engendrer aucun effet. Si la force qui a irradié chaque couche
dans la position qu'elle occupe avait été moins ou plus grande qu'il
n'était nécessaire, c'est-à-dire, si elle n'avait pas été en proportion
directe avec le but, alors cette couche n'aurait pas pu être irradiée
à sa juste position. Si la force qui, en vue d'une égalité générale
de distribution, a émis le nombre juste d'atomes pour chaque couche,
n'avait pas été en proportion directe avec le nombre, alors ce nombre
n'aurait pas été le nombre demandé pour une égale distribution.
La seconde objection supposable a de meilleurs droits à une réponse.
C'est un principe admis en dynamique que tout corps, recevant une
impulsion, une disposition à se mouvoir, se meut en ligne droite
dans la direction donnée par la force impulsive, jusqu'à ce qu'il
soit détourné ou arrêté par quelque autre force. Comment donc,
demandera-t-on peut-être, ma première couche, la couche extérieure
d'atomes peut-elle arrêter son mouvement à la surface de la sphère
de verre imaginaire, quand une seconde force, d'un caractère non
imaginaire, ne se manifeste pas, pour expliquer cette interruption dans
le mouvement?
Je réponds que l'objection prend naissance ici dans une supposition
tout à fait gratuite de la part du critique,--la supposition d'un
principe dynamique à une époque où il n'existait pas de principes, en
quoi que ce soit;--je me sers naturellement du mot _principe_ dans le
sens même que le critique attribue à ce mot.
_Au commencement des choses,_ nous ne pouvons admettre, nous ne pouvons
comprendre qu'une Première Cause, le Principe vraiment suprême, la
Volonté de Dieu. _L'action_ primitive, c'est-à-dire l'Irradiation de
l'Unité, doit avoir été indépendante de tout ce que le monde appelle
_principe,_ parce que ce que nous désignons sous ce terme n'est qu'une
conséquence de la réaction de cette action primitive;--je dis action
_primitive;_ car la création de la molécule matérielle absolue doit
être considérée comme une _conception_ plutôt que comme une _action_
dans le sens ordinaire du mot. Ainsi nous regarderons l'action
primitive comme une action tendant à l'établissement de ce que nous
appelons maintenant _principes._ Mais cette action primitive elle-même
doit être entendue comme une _Volition continue._ La Pensée de Dieu
doit être comprise comme donnant naissance à la Diffusion, comme
l'accompagnant, comme la régularisant, et finalement comme se retirant
d'elle après son accomplissement. Alors commence la Réaction, et par
la Réaction, le _principe,_ dans le sens où nous employons le mot. Il
serait prudent, toutefois, de limiter l'application de ce mot aux deux
résultats immédiats de la cessation de la Volition Divine, c'est-à-dire
aux deux agents, _Attraction_ et _Répulsion._ Chaque autre agent
naturel dérive, plus ou moins immédiatement, de ces deux-là et serait
en conséquence plus convenablement désigné sous le nom de sous-principe.
On peut objecter en troisième lieu que le mode particulier de
distribution des atomes que j'ai exposé est _une hypothèse et rien de
plus._
Or, je sais que le mot hypothèse est une lourde massue, empoignée
immédiatement, sinon soulevée, par tous les petits penseurs, à la
première apparence d'une proposition portant, plus ou moins, le costume
d'une _théorie._ Mais il n'y a ici aucune bonne raison pour jouer de ce
terrible marteau de l'hypothèse, même pour ceux qui sont capables de le
soulever, géants ou mirmidons.
Je maintiens d'abord que le mode tel que je l'ai décrit est _le seul_
par lequel nous puissions concevoir que la Matière ait été répandue de
manière à satisfaire à la fois aux deux conditions d'irradiation et de
distribution généralement égale. J'affirme ensuite que ces conditions
elles-mêmes se sont imposées à ma pensée comme résultats inévitables
d'un raisonnement _aussi logique que celui sur lequel repose n'importe
quelle démonstration d'Euclide;_ et j'affirme, en troisième lieu, que,
quand même l'accusation d'hypothèse serait aussi bien appuyée qu'elle
est, en fait, vaine et insoutenable, la validité et l'infaillibilité
de mon résultat n'en serait cependant pas infirmée, même dans le plus
petit détail.
Je m'explique:--la Gravitation newtonienne, loi de la Nature, loi dont
l'existence ne peut être mise en question qu'à Bedlam, loi qui, une
fois admise, nous donne le moyen d'expliquer les neuf dixièmes des
phénomènes de l'Univers,--loi que nous sommes, à cause de cela même,
et sans en référer à aucune autre considération, disposés à admettre
et que nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître comme loi,--mais
loi dont ni le principe ni le _modus operandi_ du principe n'ont été
jusqu'à présent décalqués par l'analyse humaine,--loi enfin qui n'a
été trouvée susceptible d'aucune explication, ni dans son détail, ni
dans sa généralité,--se montre décidément explicable et expliquée sur
tous les points, pourvu seulement que nous donnions notre assentiment
à ... à quoi? A une hypothèse? Mais si une hypothèse,--si la plus pure
hypothèse, une hypothèse à l'appui de laquelle, comme dans le cas de la
Loi newtonienne, pure hypothèse elle-même, ne se présente pas l'ombre
d'une raison _à priori,--_si une hypothèse, même aussi absolue que
tout ce que celle-ci comporte, nous permet d'assigner un principe à
la Loi newtonienne,--nous permet de considérer comme remplies des
conditions si miraculeusement, si ineffablement complexes et en
apparence inconciliables, comme celles impliquées dans les rapports
que nous révèle la Gravitation,--quel être rationnel poussera la
sottise jusqu'à appeler plus longtemps «hypothèse», même cette absolue
hypothèse,--à moins qu'il ne persiste ainsi en sous-entendant que c'est
simplement par pur amour pour l'irrévocabilité _des mots_?
Mais quel est actuellement le véritable état de la question? Quel est
_le fait?_ Non-seulement ce n'est pas une hypothèse que nous sommes
priés d'adopter, pour expliquer le principe en question, mais c'est une
conclusion logique que nous sommes invités, non pas à adopter si nous
pouvons nous en dispenser, mais simplement à _nier si cela nous est
possible;--_une conclusion d'une logique si exacte que la discuter,
douter de sa validité, serait un effort au-dessus de nos forces;--une
conclusion à laquelle nous ne voyons pas le moyen d'échapper, de
quelque côté que nous nous tournions; un résultat que nous trouvons
toujours en face de nous, soit que l'_induction_ nous ait promenés
à travers les phénomènes de ladite Loi, soit que nous redescendions,
avec la _déduction,_ de la plus rigoureusement simple de toutes les
suppositions,--en un mot de _la supposition de la Simplicité elle-même._
Et si maintenant, par pur amour de la chicane, on objecte que, bien
que mon point de départ soit, comme je l'affirme, la supposition de
l'absolue Simplicité, cependant la Simplicité, considérée en elle-même,
n'est point un axiome, et que les déductions tirées des axiomes sont
les seules incontestables, alors je répondrai:
Toute autre science que la Logique est une science de certains rapports
concrets. L'Arithmétique, par exemple, est la science des rapports
de nombre,--la Géométrie, des rapports de forme,--les Mathématiques
en général, des rapports de quantité en général, de tout ce qui peut
être augmenté ou diminué. Mais la Logique est la science du Rapport
dans l'abstrait, du Rapport absolu, du Rapport considéré en lui-même.
Ainsi, dans toute science autre que la Logique, un axiome est une
proposition proclamant certains rapports concrets qui semblent trop
évidents pour être discutés, comme quand nous disons, par exemple,
que le tout est plus grand que sa partie;--et le principe de l'axiome
Logique à son tour, ou dans d'autres termes, le principe d'un axiome
dans l'abstrait, est simplement _l'évidence de rapport._ Or, il est
clair, d'abord, que ce qui est évident pour un esprit peut n'être pas
évident pour un autre; ensuite, que ce qui est évident pour un esprit à
une époque peut n'être pas du tout évident à une autre époque pour le
même esprit. Il est clair, de plus, que ce qui est évident aujourd'hui
pour la majorité de l'humanité ou pour la majorité des meilleurs
esprits humains, peut demain, pour ces mêmes majorités, être plus ou
moins évident, ou même n'être plus évident du tout. On voit donc que
le _principe axiomatique_ lui-même est susceptible de variation, et que
naturellement les axiomes sont susceptibles d'un semblable changement.
Puisqu'ils sont variables, les _vérités,_ auxquelles ils donnent
naissance, sont aussi nécessairement variables, ou, en d'autres termes,
sont telles, qu'il ne faut jamais s'y fier absolument,--puisque la
Vérité et l'Immutabilité ne font qu'un.
Or, il est facile de comprendre qu'aucune idée axiomatique, aucune
idée fondée sur le principe flottant de l'évidence de rapport, ne
peut fournir, pour une construction quelconque de la Raison, une base
aussi sûre, aussi solide, que _cette_ idée (quelle qu'elle soit,
n'importe où nous la puissions trouver, et si toutefois il est possible
de la trouver quelque part), qui sera absolument indépendante, qui
non-seulement ne présentera à l'esprit aucune _évidence de rapport,_
grande ou petite, mais encore lui imposera la nécessité de n'en voir
aucune. Si une telle idée n'est pas ce que nous appelons étourdiment
un axiome, elle est au moins préférable, comme base logique, à tout
axiome qui ait jamais été avancé, ou à tous les axiomes imaginables
réunis;--et telle est précisément l'idée par laquelle commence mon
procédé de déduction, que l'induction corrobore si parfaitement. Ma
_particule propre_ n'est que l'_absolue Indépendance._ Pour résumer
ce que j'ai avancé, je suis parti de ce point que j'ai considéré
comme-évident, à savoir que le Commencement n'avait rien derrière lui
ni devant lui,--qu'il y avait eu en fait un Commencement,--que c'était
un commencement et rien autre chose qu'un commencement,--bref que ce
Commencement était ... _ce qu'il était._ Si l'on veut que ce soit là
une _pure supposition,_ j'y consens.
Pour finir cette partie de mon sujet, je suis pleinement autorisé à
déclarer que _la Loi, que nous nommons habituellement Gravitation,
existe en raison de ce que la Matière a été, à son origine, irradiée
atomiquement, dans une sphère limitée_[2] _d'Espace, d'une Particule
Propre, unique, individuelle, inconditionnelle, indépendante et
absolue, selon le seul mode qui pouvait satisfaire à la fois aux deux
conditions d'irradiation et de distribution généralement égale à
travers la sphère,--c'est-à-dire par une force variant en proportion
directe des carrés des distances comprises entre chacun des atomes
irradiés et le centre spécial d'Irradiation._
J'ai déjà dit pour quelles raisons je présumais que la Matière avait
été éparpillée par une force déterminée, plutôt que par une force
continue ou infiniment continuée. D'abord, en supposant une force
continue, nous ne pourrions comprendre aucune espèce de réaction; et
ensuite nous serions obligés d'accepter l'idée inadmissible d'une
extension infinie de Matière. Sans nous appesantir sur l'impossibilité
de cette conception, remarquons que l'extension infinie de la Matière
est une idée qui, si elle n'est pas positivement contredite, du moins
n'est pas du tout confirmée par les observations télescopiques;--c'est
un point à éclaircir plus tard; et cette raison empirique qui nous fait
croire que la Matière est originellement finie se trouve confirmée
d'une manière non empirique. Ainsi, par exemple, en admettant, pour le
moment, la possibilité de comprendre l'Espace _rempli_ par les atomes
irradiés, c'est-à-dire en admettant, autant que nous le pouvons, que la
succession des atomes irradiés n'ait absolument pas _de fin,_ il est
suffisamment clair que, même après que la Volonté Divine s'est retirée
d'eux et que la tendance à retourner vers l'Unité a eu, d'une manière
abstraite, permission de se satisfaire, cette permission aurait été
futile et inefficace, sans valeur pratique et sans effet quelconque.
Aucune Réaction n'aurait pu avoir lieu; aucun mouvement vers l'Unité
n'aurait pu se faire; aucune loi de gravitation n'aurait pu s'établir.
Expliquons mieux la chose. Accordez que la tendance abstraite d'un
atome quelconque vers un autre atome quelconque est le résultat
inévitable de la diffusion de l'Unité normale, ou ce qui est la même
chose, admettez qu'un atome donné quelconque _se propose_ de se mouvoir
dans une direction donnée quelconque, il est clair que, s'il y a une
_infinité_ d'atomes de tous les côtés de l'atome qui se propose de se
mouvoir, il ne pourra jamais se mouvoir, dans la direction donnée, vers
la satisfaction de sa tendance, en raison d'une tendance précisément
égale et contre-balançante dans la direction diamétralement opposée.
En d'autres termes, il y a exactement autant de tendances derrière que
devant l'atome hésitant; car c'est une pure sottise de dire qu'une
ligne infinie est plus longue ou plus courte qu'une autre ligne
infinie, ou qu'un nombre infini est plus gros ou plus petit qu'un autre
nombre infini. Ainsi l'atome en question doit rester stationnaire à
jamais. Dans les conditions impossibles que nous nous sommes efforcés
de concevoir, simplement pour l'amour de la discussion, il n'y aurait
eu aucune aggrégation de Matière,--ni étoiles, ni mondes,--rien qu'un
Univers éternellement atomique et illogique. En effet, de quelque façon
que vous considériez la chose, l'idée d'une Matière illimitée est
non-seulement insoutenable, mais impossible et perturbatrice de tout
ordre.
En nous figurant les atomes compris dans une _sphère,_ nous concevons
tout de suite une satisfaction possible pour la tendance à la réunion.
Le résultat général de la tendance de chacun vers chacun étant une
tendance de tous vers le centre, la marche générale de la condensation,
ou le rapprochement, commence immédiatement, par un mouvement
commun et simultané, avec la retraite de la Volition Divine; les
rapprochements individuels ou coalescences--non pas fusions--d'atome
à atome étant sujets à des variations presque infinies dans le temps,
le degré et la condition, en raison de l'excessive multiplicité de
rapports produite par les différences de forme qui caractérisaient les
atomes au moment où ils se séparaient de la Particule Propre; produite
également par l'inégalité particulière et subséquente de distance de
chacun à chacun.
Ce que je désire faire entrer dans l'esprit du lecteur, c'est la
certitude que, tout d'abord (la force diffusive ou Volition Divine
s'étant retirée), de la condition des atomes telle que je l'ai
décrite, ont dû, sur d'innombrables points à travers la sphère
Universelle, naître d'innombrables agglomérations, caractérisées par
d'innombrables différences spécifiques de forme, de grosseur, de
nature essentielle, et de distance réciproque. Le développement de la
Répulsion (Electricité) doit naturellement avoir commencé avec les
premiers efforts particuliers vers l'Unité, et avoir marché constamment
en raison de la Coalescence,--c'est-à-dire de la Condensation, ou,
conséquemment, de l'Hétérogénéité.
Ainsi les deux Principes proprement dits, l'Attraction et la Répulsion,
le Matériel et le Spirituel, s'accompagnent l'un l'autre dans la plus
étroite confraternité. Ainsi _le Corps et l'Ame marchent de concert._

[Footnote 1: _Double Assassinat dans la rue Morgue._--HISTOIRES
EXTRAORDINAIRES.]
[Footnote 2: Une sphère est _nécessairement_ limitée; mais je préfère
la tautologie au danger de n'être pas compris E. P.]


VIII

Si maintenant, en imagination, nous choisissons, à travers la sphère
Universelle, _une quelconque_ de ces agglomérations considérées dans
leurs phases primaires, et si nous supposons que cette agglomération
commençante a eu lieu sur ce point où existe le centre de notre
Soleil, ou plutôt où il existait originellement (car le Soleil change
perpétuellement de position), nous nous rencontrerons infailliblement
avec la plus magnifique des théories, et, pendant un certain temps au
moins, nous avancerons avec elle,--je veux dire avec la Cosmogonie
de Laplace;--quoique _Cosmogonie_ soit un terme trop compréhensif
pour l'objet dont l'auteur traite en réalité, qui est seulement la
constitution de notre système solaire, c'est-à-dire d'un système parmi
la myriade de systèmes analogues qui composent l'Univers proprement
dit,--cette sphère Universelle, cet omni-compréhensif et absolu
_Kosmos_ qui forme le sujet de mon présent discours.
Laplace, se confinant dans une région _évidemment limitée,_ celle de
notre système solaire, avec son entourage comparativement immédiat,
et supposant _purement,_ c'est-à-dire sans établir aucune base
quelconque, par induction ou par déduction, une grande partie de ce que
j'essayais tout à l'heure de fixer sur une base plus solide qu'une pure
hypothèse;--supposant, par exemple, la matière répandue (sans prétendre
expliquer cette diffusion) à travers l'espace occupé par notre système,
et même un peu au delà; répandue à l'état de nébulosité hétérogène
et obéissant à la loi toute-puissante de la Gravitation, dont il ne
s'avise pas de conjecturer le principe;--supposant toutes ces choses
(qui sont parfaitement vraies, bien qu'il n'eût pas logiquement le
droit de les supposer), Laplace, dis-je, a montré, dynamiquement et
mathématiquement, que les résultats naissant forcément de telles
circonstances sont ceux, et ceux-là seuls, que nous voyons manifestés
dans la condition actuelle du système solaire.
Je m'explique.--Supposons que cette agglomération particulière dont
nous avons parlé, celle qui a eu lieu au point marqué par le centre
de notre Soleil, ait continué jusqu'à ce qu'une vaste quantité de
matière nébuleuse y ait pris une forme à peu près sphérique; son
centre coïncidant évidemment avec le centre actuel ou plutôt le centre
originel de notre Soleil, et sa périphérie s'étendant au delà de
l'orbite de Neptune, la plus éloignée de nos planètes;--en d'autres
termes, supposons que le diamètre de cette sphère grossière ait été
d'environ six mille millions de milles. Pendant des siècles, cette
masse de matière a été se condensant, tant qu'à la longue elle a été
réduite au volume que nous imaginons, ayant procédé graduellement
depuis son état atomique et imperceptible jusqu'à ce que nous entendons
par une _nébulosité_ visible, palpable, ou appréciable d'une manière
quelconque.
Or, la condition de cette masse implique une rotation autour d'un axe
imaginaire,--rotation, qui, commençant avec les premiers symptômes
d'aggrégation, a depuis lors toujours acquis de la vélocité. Les
deux premiers atomes qui se sont rencontrés, partant de points non
diamétralement opposés, ont dû, se précipitant un peu au delà l'un
de l'autre, former un noyau pour le mouvement rotatoire en question.
Comment ce mouvement a augmenté en vélocité, on le voit aisément. Les
deux atomes sont rejoints par d'autres;--une aggrégation est formée.
La masse continue à tourner tout en se condensant. Mais tout atome
situé à la circonférence subit naturellement un mouvement plus rapide
qu'un atome placé plus près du centre. Néanmoins l'atome éloigné,
avec sa vélocité supérieure, se rapproche du centre, portant avec lui
cette vélocité supérieure à mesure qu'il avance. Ainsi chaque atome
marchant vers le centre, et s'attachant finalement au centre de la
condensation, ajoute quelque chose à la vélocité originelle de ce
centre, c'est-à-dire accroît le mouvement rotatoire de la masse.
Supposons maintenant cette masse condensée à ce point qu'elle occupe
précisément l'espace circonscrit par l'orbite de Neptune, et que la
vélocité avec laquelle se meut, dans la rotation générale, la surface
de la masse, soit précisément celle avec laquelle Neptune accomplit
maintenant sa révolution autour du Soleil. A cette époque déterminée,
nous comprenons que la force centrifuge constamment croissante,
l'emportant sur la force centripète non croissante, a dû faire se
dégager et se séparer les couches extérieures les moins condensées, à
l'équateur de la sphère, là où prédominait la vélocité tangentielle;
de sorte que ces couches ont formé autour du corps principal un anneau
indépendant circonvenant les régions équatoriales;--juste comme la
partie extérieure d'une meule, chassée par une excessive vélocité de
rotation, formerait un anneau autour de la meule, si la solidité de
la superficie n'y faisait obstacle; mais si cette matière était du
caoutchouc, ou toute autre d'une consistance à peu près semblable, le
phénomène en question se manifesterait infailliblement.
L'anneau, chassé ainsi par la masse nébuleuse, a dû naturellement
accomplir sa révolution, comme anneau _individuel,_ juste avec la même
vélocité qui le faisait tourner comme _surface de la masse._ En même
temps, la condensation continuant toujours, l'intervalle entre l'anneau
projeté et le corps principal a dû s'accroître sans cesse, tant qu'à la
fin le premier s'est trouvé à une vaste distance du dernier.
Or, en admettant que l'anneau ait possédé, par quelque arrangement en
apparence accidentel de ses éléments hétérogènes, une constitution
presque uniforme, cet anneau, dans ces conditions, n'aurait jamais
cessé de tourner autour du corps principal; mais, comme on pouvait s'y
attendre, if paraît qu'il y a eu dans la disposition de ses éléments
assez d'irrégularité pour les faire se grouper autour de centres d'une
solidité supérieure; et ainsi la forme annulaire a été détruite[1].
Sans aucun doute, la bande a été bientôt rompue en plusieurs morceaux,
et l'un de ces morceaux, d'un volume plus considérable, a absorbé les
autres en lui; le tout s'est tassé, sphériquement, en une planète.
Que ce dernier corps ait continue, comme planète, le mouvement de
révolution qui le caractérisait quand il était anneau, cela est
suffisamment évident; et l'on voit aussi facilement qu'il a dû, de sa
nouvelle condition de sphère, tirer un mouvement additionnel. Si nous
considérons l'anneau comme n'étant pas encore rompu, nous voyons que
sa partie extérieure, pendant que la totalité tourne autour du corps
générateur, se meut avec plus de rapidité que sa partie intérieure.
Donc, quand la rupture s'est faite, une partie dans chaque fragment
a dû se mouvoir avec plus de vélocité que les autres. Le mouvement
supérieur prédominant a dû faire tourner chaque fragment sur lui-même,
c'est-à-dire lui imprimer une rotation; et le sens de cette rotation
a été naturellement le sens de la révolution d'où elle avait pris
naissance. Tous les fragments ayant subi ladite rotation l'ont, en
se réunissant, forcément communiquée à la planète formée par leur
cohésion. Cette planète fut Neptune. Ses éléments continuant à se
condenser, et la force centrifuge produite dans sa rotation l'emportant
à la longue sur la force centripète, comme nous l'avons vu dans le
cas du globe générateur, un anneau a été également projeté de la
surface équatoriale de cette planète; cet anneau, [non] uniforme dans
sa constitution, a été rompu, et ses divers fragments, absorbés par le
plus massif de tous, ont été collectivement sphérifiés en une lune. Le
phénomène répété une seconde fois a donné pour résultat une seconde
lune. Ainsi nous trouvons expliquée la planète Neptune avec les deux
satellites qui l'accompagnent.
En projetant de son équateur un anneau, le Soleil avait rétabli
entre ses deux forces, centripète et centrifuge, l'équilibre
rompu par le progrès de la condensation; mais cette condensation
continuant toujours, l'équilibre fut de nouveau troublé par suite de
l'accroissement de la rotation. Pendant que la masse s'était rétrécie
au point de n'occuper que juste l'espace sphérique circonscrit par
l'orbite d'Uranus, la force centrifuge, cela se comprend, avait pris
une influence assez grande pour nécessiter un nouveau soulagement.
Conséquemment, une seconde bande équatoriale fut lancée, qui, n'étant
pas d'une constitution uniforme, a été brisée, comme dans le cas
précédent de Neptune; les fragments tassés sont devenus la planète
Uranus; et la vélocité de sa révolution actuelle autour du Soleil
nous donne évidemment la mesure de la vitesse rotatoire de la surface
équatoriale du Soleil au moment de la séparation. Uranus, tirant sa
rotation des rotations combinées des fragments auxquels il devait sa
naissance, comme nous l'avons expliqué pour le cas précédent, projeta
alors successivement des anneaux, dont chacun, se brisant, se modela en
lune. Trois lunes, à différentes époques, furent formées de cette façon
par la rupture et la sphérification d'autant d'anneaux distincts non
uniformes dans leur constitution.
Pendant que le Soleil se réduisait à n'occuper que juste l'espace
circonscrit par l'orbite de Saturne, nous devons supposer que la
balance entre ses deux forces, centripète et centrifuge, avait été
dérangée par l'accroissement de la vitesse rotatoire, résultat de
la condensation, au point de nécessiter un troisième effort vers
l'équilibre, et qu'une bande annulaire, comme dans les deux cas
précédents, fut conséquemment lancée, qui, bientôt rompue par la
non-uniformité de ses parties, se consolida pour devenir la planète
Saturne. Cette dernière projeta d'abord sept bandes, qui, après s'être
rompues, se sphérifièrent en autant de lunes; mais elle paraît s'être
subséquemment déchargée, à trois époques distinctes et peu éloignées
l'une de l'autre, de trois anneaux dont la constitution se trouva, par
un accident apparent, assez uniforme et assez solide pour ne fournir
aucune occasion de rupture; aussi ils continuent à tourner sous la
forme d'anneaux. Je dis _accident apparent;_ car pour un accident
dans le sens ordinaire, il n'y en eut évidemment aucun; le terme ici
s'applique simplement au résultat d'une _loi_ indiscernable ou que nous
ne pouvons pas immédiatement étudier.
Se réduisant toujours de plus en plus, jusqu'à n'occuper que l'espace
circonscrit par l'orbite de Jupiter, le Soleil éprouva bientôt le
besoin d'un nouvel effort pour restaurer l'équilibre de ses deux
forces, perpétuellement dérangé par l'accroissement continu de la
vitesse de rotation. En conséquence Jupiter fut lancé hors du Soleil,
passant de la condition annulaire à l'état planétaire, et, arrivé à ce
second état, projeta à son tour, à quatre époques différentes, quatre
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