Eureka - 3

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inductions ou déductions dont la marche a été assez secrète pour
échapper à notre conscience, éluder notre raison, ou défier notre
puissance d'expression._ Ceci étant entendu, j'affirme qu'une intuition
absolument irrésistible, quoique indéfinissable, me pousse à conclure
que [ce que] Dieu a originairement créé,--que cette Matière qu'il a,
par la force de sa Volonté, tirée de son Esprit, ou de Rien, ne peut
avoir été autre chose que la Matière dans son état le plus pur, le plus
parfait, de ... de quoi?--de _Simplicité._
Ce sera là la seule _supposition_ absolue dans mon discours. Je me sers
du mot supposition dans son sens ordinaire; cependant je maintiens que
ma proposition primordiale, ainsi formulée, est loin, bien loin d'être
une pure supposition. Rien n'a été, en effet, plus régulièrement, plus
rigoureusement _déduit_;--aucune conclusion humaine n'a été, en effet,
plus régulièrement, plus rigoureusement _déduite_;--mais, hélas! le
procédé de cette déduction échappe à l'analyse humaine;--en tout cas,
il se dérobe à la puissance expressive de toute langue humaine.
Efforçons-nous maintenant de concevoir ce qu'a pu et ce qu'a dû être
la Matière dans sa condition absolue de _simplicité._ Ici, la Raison
vole d'un seul coup vers l'Imparticularité,--vers une particule,--une
particule _unique,_--une particule _une_ dans son espèce,--_une_
dans son caractère,--_une_ dans sa nature,--_une_ par son volume,--
_une_ par sa forme,--une particule qui soit particule à tous égards,
donc, une particule amorphe et idéale,--particule absolument
unique, individuelle, non divisée, mais _non pas indivisible,_
simplement parce que Celui qui la créa par la force de sa Volonté
peut très-naturellement la diviser par un exercice infiniment moins
énergique de la même Volonté.
Donc, l'_Unité_ est tout ce que j'affirme de la Matière originairement
créée; mais je me propose de démontrer que _cette Unité est un principe
largement suffisant pour expliquer la constitution, les phénomènes
actuels et l'anéantissement absolument inévitable au moins de l'Univers
matériel._
Le Vouloir spontané, ayant pris corps dans la particule primordiale, a
complété l'acte, ou, plus proprement, la _conception_ de la Création.
Nous nous dirigerons maintenant vers le but final pour lequel nous
supposons que cette particule a été créée;--quand je dis but final,
je veux dire tout ce que nos considérations jusqu'ici nous permettent
d'en saisir,--à savoir, la constitution de l'Univers tirée de cette
Particule unique.
Cette constitution s'est effectuée par la transformation _forcée de_
l'Unité, originelle et normale, en Pluralité, condition anormale. Une
action de cette nature implique réaction. Une diffusion de l'Unité n'a
lieu que conditionnellement, c'est-à-dire qu'elle implique une tendance
au retour vers l'Unité,--tendance indestructible jusqu'à parfaite
satisfaction. Mais je m'étendrai par la suite plus amplement sur ce
sujet.
La supposition de l'Unité absolue dans la Particule primordiale
renferme celle de la divisibilité infinie. Concevons donc simplement
la Particule comme non absolument épuisée par sa diffusion à travers
l'Espace. De cette Particule considérée comme centre, supposons,
irradié sphériquement, dans toutes les directions, à des distances non
mesurables, mais cependant définies, dans l'espace vide jusqu'alors, un
certain nombre innombrable, quoique limité, d'atomes inconcevablement
mais non infiniment petits.
Or, de ces atomes, ainsi éparpillés ou à l'état de diffusion, que nous
est-il permis, non pas de supposer, mais de conclure, en considérant la
source d'où ils émanent et le but apparent de leur diffusion? L'Unité
étant leur source, et _la différence d'avec l'Unité_ le caractère du
but manifesté par leur diffusion, nous avons tout droit de supposer
que ce caractère persiste _généralement_ dans toute l'étendue du
plan et forme une partie du plan lui-même;--c'est-à-dire que nous
avons tout droit de concevoir des différences continues, sur tous
les points, d'avec l'unité et la simplicité du point originel. Mais,
pour ces raisons, sommes-nous autorisés à imaginer les atomes comme
hétérogènes, dissemblables, inégaux et inégalement distants? Pour
parler plus explicitement, devons-nous croire qu'il n'y a pas eu, au
moment de leur diffusion, deux atomes de même nature, de même forme
ou de même grosseur? et que, leur diffusion étant opérée à travers
l'Espace, ils doivent être tous, sans exception, inégalement distants
l'un de l'autre? Un pareil arrangement, dans de telles conditions,
nous permet de concevoir aisément, immédiatement, le procédé
d'opération le plus exécutable pour un dessein tel que celui dont j'ai
parlé,--le dessein de tirer la variété de l'unité,--la diversité de
la similarité,--l'hétérogénéité de l'homogénéité,--la complexité de
la simplicité,--en un mot, la plus grande multiplicité possible de
_rapports_ de _l'Unité_ expressément absolue. Incontestablement nous
aurions le droit de supposer tout ce que j'ai dit, si nous n'étions pas
arrêtés par deux réflexions:--la première, c'est que la superfluité
et la surérogation ne sont jamais admissibles dans l'Action Divine;
et la seconde, c'est que le but poursuivi apparaît comme tout aussi
facile à atteindre quand quelques-unes des conditions requises sont
obtenues dans le principe, que quand toutes existent visiblement et
immédiatement. Je veux dire que celles-ci sont contenues dans les
autres, ou qu'elles en sont une conséquence si instantanée, que la
distinction devient inappréciable. La différence de grosseur, par
exemple, sera tout de suite créée par la tendance d'un atome vers un
second atome, de préférence à un troisième, en raison d'une inégalité
particulière de distance; _inégalité particulière de distance entre des
centres de quantité, dans des atomes voisins de différente forme,--_
phénomène qui ne contredit en rien la distribution généralement
égale des atomes. La différence _d'espèce,_ nous la concevons aussi
très-aisément comme résultant de différences dans la grosseur et dans
la forme, supposées plus ou moins conjointes;--en effet, puisque
l'_Unité_ de la Particule proprement dite implique homogénéité
absolue, nous ne pouvons pas supposer que les atomes, au moment de
leur diffusion, diffèrent en espèce, sans imaginer en même temps une
opération spéciale de la Volonté Divine, agissant à l'émission de
chaque atome, dans le but d'effectuer en chacun une transformation de
sa nature essentielle;--et nous devons d'autant plus repousser une
idée aussi fantastique, que l'objet en vue peut parfaitement bien
être atteint sans une aussi minutieuse et laborieuse intervention.
Nous comprenons donc, avant tout, qu'il eût été surérogatoire, et
conséquemment anti-philosophique, d'attribuer aux atomes, en vue de
leurs destinations respectives, autre chose qu'une _différence de
forme_ au moment de leur dispersion, et postérieurement une inégalité
particulière de distance,--toutes les autres différences naissant
ensemble des premières, dès les premiers pas que la masse a faits vers
sa constitution. Nous établissons donc l'Univers sur une base purement
_géométrique._ Il va sans dire qu'il n'est pas du tout nécessaire de
supposer une absolue différence, même de forme, entre _tous_ les atomes
irradiés;--nous nous contentons de supposer une inégalité générale de
distance de l'un à l'autre. Nous sommes tenus simplement d'admettre
qu'il n'y a pas d'atomes _voisins_ de forme similaire,--qu'il n'y a
pas d'atomes qui puissent jamais se rapprocher, excepté lors de leur
inévitable réunion finale.
Quoique la _tendance,_ immédiate et perpétuelle, des atomes dispersés
à retourner vers leur Unité normale soit impliquée, comme je l'ai dit,
dans leur diffusion anormale, toutefois il est clair que cette tendance
doit être sans résultat,--qu'elle doit rester une tendance et rien de
plus,--jusqu'à ce que la force d'expansion, cessant d'opérer, donne
à cette tendance toute liberté de se satisfaire. L'Action Divine,
toutefois, étant considérée comme déterminée, et interrompue après
l'opération primitive de la diffusion, nous concevons tout de suite
une _réaction,_--en d'autres termes une tendance, _qui pourra être
satisfaite,_ de tous les atomes désunis à retourner vers l'_Unité._
Mais la force de diffusion étant retirée, et la réaction ayant commencé
pour favoriser le dessein final,--_celui de créer la plus grande somme
de rapports possible,_--ce dessein est maintenant en danger d'être
frustré dans le détail, par suite de cette tendance rétroactive qui
a pour but son accomplissement total. La _multiplicité_ est l'objet;
mais rien n'empêche les atomes voisins de se précipiter _tout de suite_
l'un vers l'autre,--grâce à leur tendance maintenant libre, avant
l'accomplissement de tous les buts multiples,--et de se fondre tous en
une unité compacte; rien ne fait obstacle à l'aggrégation de diverses
masses, isolées jusque-là, sur différents points de l'espace;--en
d'autres termes, rien ne s'oppose à l'accumulation de diverses masses,
chacune faisant une Unité absolue.

V

Pour l'accomplissement efficace et complet du plan général, nous
devinons maintenant la nécessité d'une force répulsive limitée,--de
_quelque chose_ qui serve à séparer, et qui, lors de la cessation de
la Volition diffusive, puisse en même temps permettre le rapprochement
et empêcher la jonction des atomes; qui leur permette de se rapprocher
infiniment, et leur défende de se mettre en contact positif; quelque
chose, en un mot, qui ait puissance, _jusqu'à une certaine époque,_ de
prévenir leur fusion, mais non de contredire à aucun égard ni à aucun
degré leur tendance à se réunir. La force répulsive, déjà considérée
comme si particulièrement limitée à d'autres égards, peut, je le
répète, être prise comme une puissance destinée à empêcher l'absolue
cohésion, _seulement jusqu'à une certaine époque._ A moins que nous
ne concevions l'appétition des atomes pour l'Unité comme condamnée
à n'être _jamais_ satisfaite,--à moins que nous n'admettions que ce
qui a eu un commencement ne doive pas avoir de fin,--idée qui est
réellement inadmissible, quelque nombreux que soient ceux d'entre
nous qui rêvent et bavardent sur ce thème,--nous sommes forcés de
conclure que l'influence répulsive supposée devra finalement,--sous la
pression de l'_Unitendance_ agissant _collectivement,_ mais agissant
seulement alors que, pour l'accomplissement des plans de la Divinité,
cette action collective devra se faire naturellement,--céder à une
force qui, à cette époque finale, sera la force supérieure, poussée
juste au degré nécessaire, et permettre ainsi le tassement universel
des choses en _Unité,_ unité inévitable parce qu'elle est originelle
et conséquemment normale. Il est en vérité fort difficile de concilier
toutes ces conditions;--nous ne pouvons même pas comprendre la
possibilité de cette conciliation;--néanmoins cette impossibilité
apparente est féconde en suggestions brillantes.
Que cette répulsion existe positivement, _nous le voyons._ L'homme
n'emploie et ne connaît aucune force suffisante pour fondre deux atomes
en un. Je n'avance ici que la thèse bien reconnue de l'impénétrabilité
de la matière. Toute l'Expérience la prouve,--toute la Philosophie
l'admet. J'ai essayé de démontrer le _but_ de la répulsion et la
nécessité de son existence; mais je me suis religieusement abstenu de
toute tentative pour en pénétrer la nature; et cela, à cause d'une
conviction intuitive qui me dit que le principe en question est
strictement spirituel,--gît dans une profondeur impénétrable à notre
intelligence présente,--est impliqué dans une considération relative à
ce qui maintenant, dans notre condition humaine, ne peut être l'objet
d'aucun examen,--dans une considération de l'_Esprit en lui-même._ Je
sens, en un mot, qu'ici, et ici seulement, Dieu s'est interposé, parce
qu'ici, et seulement ici, le nœud demandait l'interposition de Dieu.
Dans le fait, pendant que dans cette tendance des atomes vers l'Unité
on reconnaîtra tout d'abord le principe de la Gravitation Newtonienne,
ce que j'ai dit d'une force répulsive, servant à mettre des limites à
la satisfaction immédiate, peut être entendu de _ce que_ nous avons
jusqu'à présent désigné tantôt comme chaleur, tantôt comme magnétisme,
tantôt comme _électricité;_ montrant ainsi, dans les vacillations de
la phraséologie par laquelle nous essayons de _le_ définir, l'ignorance
où nous sommes de son caractère mystérieux et terrible.
Le nommant donc, pour le présent seulement, électricité, nous savons
que toute analyse expérimentale de l'électricité a donné, pour résultat
final, le principe, réel ou apparent, de _l'hétérogénéité. Seulement
là_ où les choses diffèrent, l'électricité se manifeste; et il est
présumable qu'elles ne diffèrent jamais là où l'électricité n'est pas
développée, sinon apparente. Or, ce résultat est dans le plus parfait
accord avec celui où je suis parvenu par une autre voie que par
l'expérience. J'ai affirmé que l'utilité de la force répulsive était
d'empêcher les atomes disséminés de retourner à l'Unité immédiate;
et ces atomes sont représentés comme différant les uns des autres.
La _différence_ est leur caractère,--leur essentialité,--juste comme
la _non-différence_ était le caractère essentiel de leur mouvement.
Donc, quand nous disons qu'une tentative pour mettre en contact deux
de ces atomes doit amener un effort de l'influence répulsive pour
empêcher cette union, nous pouvons aussi bien nous servir d'une
phrase absolument équivalente, à savoir, qu'une tentative pour mettre
en contact deux différences amènera comme résultat un développement
d'électricité. Tous les corps existants sont composés de ces atomes
en contact immédiat, et peuvent conséquemment être considérés comme
de simples assemblages de différences plus ou moins nombreuses; et la
résistance faite par l'esprit de répulsion, si nous mettions en contact
deux de ces assemblages quelconques, serait en raison des deux sommes
de différences contenues dans chacun;--expression qui peut être réduite
à celle-ci, équivalente:
_La somme d'électricité développée par le contact de deux corps est
proportionnée à la différence entre les sommes respectives d'atomes
dont les corps sont composés._
Qu'il n'existe pas deux corps absolument semblables, c'est un
simple corollaire qui résulte de tout ce que nous avons dit. Donc
l'électricité, toujours existante, se _développe_ par le contact de
corps quelconques, mais ne se _manifeste_ que par le contact de corps
d'une différence appréciable.
A l'électricité,--pour nous servir encore de cette désignation,--nous
pouvons à bon droit rapporter les divers phénomènes physiques de
lumière, de chaleur et de magnétisme; mais nous sommes bien mieux
autorisés encore à attribuer à ce principe strictement spirituel les
phénomènes plus importants de vitalité, de conscience et de _Pensée._
A ce sujet, toutefois, qu'il me soit permis de faire une pause et de
noter que ces phénomènes, observés dans leur généralité ou dans leurs
détails, semblent procéder _au moins en raison de l'hétérogénéité._
Écartons maintenant les deux termes équivoques, _gravitation_ et
_électricité,_ et adoptons les expressions plus définies _d'attraction_
et de _répulsion._ La première, c'est le corps; la seconde, c'est
l'âme; l'une est le principe matériel, l'autre le principe spirituel
de l'Univers. _Il n'existe pas d'autres principes. Tous_ les
phénomènes doivent être attribués à l'un ou à l'autre, ou à tous les
deux combinés. Il est si rigoureusement vrai, il est si parfaitement
rationnel que l'attraction et la répulsion sont les _seules_ propriétés
par lesquelles nous percevons l'Univers,--en d'autres termes, par
lesquelles la Matière se manifeste à l'Esprit,--que nous avons
pleinement le droit de supposer que la matière _n'existe_ que comme
attraction et répulsion,--que l'attraction et la répulsion _sont_
matière,--nous servant de cette hypothèse comme d'un moyen de faciliter
l'argumentation;--car il est impossible de concevoir un cas où
nous ne puissions employer à notre gré le mot matière et les termes
attraction et répulsion, pris ensemble, comme expressions de logique
équivalentes et convertibles.

VI

Je disais tout à l'heure que ce que j'ai nommé la tendance des atomes
disséminés à retourner à leur unité originelle devait être pris pour
le principe de la foi newtonienne de la gravitation; et en effet on
n'aura pas grande peine à entendre la chose ainsi, si l'on considère
la _gravitation newtonienne_ sous un aspect purement général, comme
une force qui pousse la matière à chercher la matière; c'est-à-dire
si nous voulons ne pas attacher notre attention au _modus operandi_
connu de la force newtonienne. La coïncidence générale nous satisfait;
mais, en regardant de plus près, nous voyons dans le détail beaucoup
de choses qui paraissent non-coïncidentes, et beaucoup d'autres où la
coïncidence ne paraît pas du moins suffisamment établie. Un exemple:
la gravitation newtonienne, si nous la considérons dans certains
modes, ne nous apparaît pas du tout comme une tendance vers _Y
Unité;_ elle nous semble plutôt une tendance de tous les corps dans
toutes les directions, phrase qui semble exprimer la tendance à la
diffusion. Ici donc il y a non-coïncidence. Un autre exemple: quand
nous réfléchissons sur la loi mathématique qui gouverne la tendance
newtonienne, nous voyons clairement que nous ne pouvons pas obtenir la
coïncidence,--relativement, du moins, au _modus operandi,_--entre la
gravitation, telle que nous la connaissons, et cette tendance, simple
et directe en apparence, que j'ai supposée.
En effet, je suis arrivé à un point où il serait bon de renforcer ma
position en inversant mon procédé. Jusqu'à présent, nous avons procédé
_à priori,_ d'une considération abstraite de la _Simplicité,_ prise
comme la qualité qui a dû le plus vraisemblablement caractériser
l'action originelle de Dieu. Voyons maintenant si les faits établis
de la Gravitation newtonienne peuvent nous fournir, à _posteriori,_
quelques inductions légitimes.
Que déclare la loi newtonienne? que tous les corps s'attirent l'un
l'autre avec des forces proportionnées [à leurs quantités de matière
et inversement proportionnées] aux carrés de leurs distances.
C'est à dessein que je donne d'abord la version vulgaire de la
loi; et je confesse que dans celle-ci, comme dans la plupart des
traductions vulgaires de grandes vérités, je ne trouve pas une qualité
très-suggestive. Adoptons donc une phraséologie plus philosophique
--_Chaque atome de chaque corps attire chaque autre atome, soit
appartenant au même corps, soit appartenant à chaque autre corps, avec
une force variant en raison inverse des carrés des distarices entre
l'atome attirant et l'atome attiré._ Ici, pour le coup, un flot de
suggestions jaillit aux yeux de l'esprit.
Mais voyons distinctement la chose que Newton a _prouvée,--_selon la
définition grossièrement irrationnelle de _h preuve_ prescrite par les
écoles de métaphysique. Il fut obligé de se contenter de montrer que
les mouvements d'un Univers imaginaire, composé d'atomes attirants et
attirés obéissant à la loi qu'il annonçait, coïncidaient parfaitement
avec les mouvements de l'Univers existant réellement, autant du
moins qu'il tombe sous notre observation. Telle fut la somme de sa
_démonstration,_ selon le jargon conventionnel des philosophies. Les
succès qui la confirmèrent ajoutèrent preuve sur preuve,--des preuves
telles que les admet toute intelligence saine,--mais la _démonstration_
de la loi-elle-même, selon les métaphysiciens, n'avait été confirmée
en aucune façon. Cependant la preuve _oculaire, physique,_ de
l'attraction, ici même, sur cette Terre, fut enfin trouvée, en parfait
accord avec la théorie newtonienne, et à la grande satisfaction de
quelques-uns de ces reptiles intellectuels. Cette preuve jaillit,
indirectement et incidemment (comme jaillirent presque toutes les
vérités importantes), d'une tentative faite pour mesurer la densité
moyenne de la Terre. Dans les fameuses expériences que Maskelyne,
Cavendish et Bailly firent dans ce but, il fut découvert, vérifié et
mathématiquement démontré que l'attraction de la masse d'une montagne
était en accord exact avec l'immortelle théorie de l'astronome anglais.
Mais, en dépit de cette confirmation d'une vérité qui n'en avait aucun
besoin,--en dépit de la prétendue corroboration de la _théorie_ par la
prétendue _preuve oculaire et physique,--_en dépit du caractère de
cette corroboration,--les idées que les vrais philosophes eux-mêmes
ne peuvent s'empêcher d'accepter relativement à la gravitation, et
particulièrement les idées acceptées et complaisamment maintenues
par les hommes vulgaires, ont été évidemment tirées, pour la plus
grande partie, d'une considération du principe, tel qu'ils le trouvent
simplement développé _sur la planète à laquelle ils sont attachés._
Or, où tend une considération aussi amoindrie? A quelle espèce d'erreur
donne-t-elle naissance? Sur la Terre nous voyons, nous sentons
simplement que la gravitation chasse tous les corps vers le centre de
la Terre. Aucun homme, dans le domaine ordinaire de la vie, ne peut
voir ni sentir autrement,--ne peut s'empêcher de percevoir que toute
chose, partout, a une tendance gravitante, perpétuelle vers le centre
de la Terre, et pas ailleurs; cependant (sauf une exception qui sera
spécifiée postérieurement) il est certain que chaque chose terrestre
(pour ne pas parler maintenant de toutes les choses célestes) a une
tendance non-seulement vers le centre de la Terre, mais en outre vers
toute espèce de direction possible.
Or, quoique les hommes de philosophie ne puissent pas être accusés
de se tromper avec le vulgaire dans cette matière, ils se laissent
toutefois influencer, à leur insu, par l'idée vulgaire agissant
comme sentiment.--_Quoique personne n'ait foi dans les fables du
Paganisme,--_dit Bryant dans sa très-savante _Mythologie,--cependant
nous nous oublions sans cesse au point d'en tirer des inductions comme
de réalités existantes.--_Je veux dire que la perception purement
_sensitive_ de la gravitation, telle que nous la connaissons sur
la Terre, induit l'humanité en fantaisie et la fait croire à une
_concentralisation,_ à une sorte de spécialité terrestre;--qu'elle a
toujours incliné vers cette fantaisie les intelligences même les plus
puissantes,--les détournant perpétuellement, quoique imperceptiblement,
de la caractéristique réelle du principe; les ayant empêchées jusqu'à
l'époque présente de saisir même un aperçu de cette vérité vitale
qui se trouve dans une direction diamétralement opposée,--derrière
les caractéristiques _essentielles_ du principe, qui sont, non pas
la concentralisation ou la spécialité, mais l'_universalité_ et la
_diffusion._ Cette vérité vitale est l'Unité, prise comme source du
phénomène.
Permettez-moi de répéter la définition de la gravitation: _Chaque
atome, dans chaque corps, attire chaque autre atome, appartenant au
même corps ou appartenant à tout autre corps,_ avec une force qui varie
en raison inverse des carrés des distances de l'atome attirant et de
l'atome attiré.
Que le lecteur s'arrête ici un moment avec moi pour contempler la
miraculeuse, ineffable et absolument inimaginable complexité de
rapports impliquée dans ce fait, que _chaque atome attire chaque autre
atome,--_impliquée seulement dans ce fait de l'attraction, étant
écartée la question de la loi ou du mode suivant lesquels l'attraction
se manifeste,--impliquée dans ce fait unique que chaque atome attire
plus ou moins chaque autre atome, dans une immensité d'atomes telle,
que toutes les étoiles qui entrent dans la constitution de l'Univers
peuvent être à peu près comparées pour le nombre aux atomes qui entrent
dans la composition d'un boulet de canon.
Eussions-nous simplement découvert que chaque atome tendait vers un
point favori, vers quelque atome particulièrement attractif, nous
serions encore tombés sur une découverte qui, en elle-même, aurait
suffi pour accabler notre esprit;--mais quelle est cette vérité que
nous sommes actuellement appelés à comprendre? C'est que chaque
atome attire chaque autre atome, sympathise avec ses plus délicats
mouvements, avec chaque atome et avec tous, toujours, incessamment,
suivant une loi déterminée dont la complexité, même considérée
seulement en elle-même, dépasse absolument les forces de l'imagination
humaine. Si je me propose de mesurer l'influence d'un seul atome sur
l'atome son voisin dans un rayon solaire, je ne puis pas accomplir mon
dessein sans d'abord compter et peser tous les atomes de l'Univers et
définir la position précise de chacun à un moment particulier de la
durée. Si je m'avise de déplacer, ne fût-ce que de la trillionième
partie d'un pouce, le grain microscopique de poussière posé maintenant
sur le bout de mon doigt, quel est le caractère de l'action que j'ai eu
la hardiesse de commettre? J'ai accompli un acte qui ébranle la Lune
dans sa marche, qui contraint le Soleil à n'être plus le soleil, et qui
altère pour toujours la destinée des innombrables myriades d'étoiles
qui roulent et flamboient devant la majesté de leur Créateur.
De telles idées, de telles conceptions,--pensées monstrueuses qui ne
sont plus des pensées, rêveries de l'âme plutôt que raisonnements ou
même considérations de l'intellect,--de telles idées, je le répète,
sont les seules que nous puissions réussir à créer en nous dans tous
nos efforts pour saisir le grand principe de _l'Attraction._
Mais maintenant, avec de telles idées, avec une telle vision,
franchement acceptée, de la merveilleuse complexité de l'Attraction,
que toute personne, capable de réfléchir sur de pareilles matières,
s'applique à imaginer un principe adaptable aux phénomènes
observés,--ou la condition qui leur a donné naissance.
Une si évidente fraternité des atomes n'indique-t-elle pas une
extraction commune? Une sympathie si victorieuse, si indestructible,
si absolument indépendante, ne suggère-t-elle pas l'idée d'une source,
d'une paternité commune? Un extrême ne pousse-t-il pas la raison vers
l'extrême son contraire? L'infini dans la division ne se rapporte-t-il
pas à l'absolu dans l'individualité? Le superlatif de la complexité ne
fait-il pas deviner la perfection dans la simplicité? Je veux dire,
non pas seulement que les atomes, comme nous les voyons, sont divisés
ou qu'ils sont complexes dans leurs rapports, mais surtout qu'ils
sont inconcevablement divisés et inexprimablement complexes; c'est de
l'extrême des conditions que je veux parler maintenant, plutôt que des
conditions elles-mêmes. En un mot, n'est-ce pas parce que les atomes
étaient, à une certaine époque très-ancienne, _quelque chose de plus
même qu'un assemblage,--_n'est-ce pas parce que, originellement, donc
normalement, ils étaient _Un,_ que maintenant en toutes circonstances,
sur tous les points, dans toutes les directions, par tous les modes
de rapprochement, dans tous les rapports et à travers toutes les
conditions, ils s'efforcent de _retourner_ vers cette _unité_ absolue,
indépendante et inconditionnelle?
Ici, quelqu'un demandera peut-être: «Pourquoi, puisque c'est vers
l'Unité que ces atomes s'efforcent de retourner, ne jugeons-nous pas
et ne définissons-nous pas l'Attraction _une simple tendance générale
vers un centre?_--Pourquoi, particulièrement, _vos_ atomes, les
atomes que vous nous donnez comme ayant été irradiés d'un centre, ne
retournent-ils pas tous à la fois, en ligne droite, vers le point
central de leur origine?»
Je réponds qu'ils le font, ainsi que je le montrerai clairement;
mais que la cause qui les y pousse est tout à fait indépendante du
centre considéré _comme tel._ Ils tendent tous en ligne droite vers
un centre, à cause de la sphéricité selon laquelle ils ont été lancés
dans l'espace. Chaque atome, formant une partie d'un globe généralement
uniforme d'atomes, trouve naturellement plus d'atomes dans la direction
du centre que dans toute autre direction; c'est donc dans ce sens
qu'il est poussé, mais il n'y est pas poussé parce que le centre est
_le point de son origine._ Il n'est pas de _point_ auquel les atomes
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