Le médecin malgré lui - 2

Total number of words is 4046
Total number of unique words is 1099
41.6 of words are in the 2000 most common words
51.8 of words are in the 5000 most common words
55.8 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
SGANARELLE.
Comment?
LUCAS.
Tout ce tripotage ne sart de rian, je sçavons çen que je sçavons.
SGANARELLE.
Quoi donc? que me voulez-vous dire? Pour qui me prenez-vous?
VALÈRE.
Pour ce que vous êtes, pour un grand médecin.
SGANARELLE.
Médecin vous-même: je ne le suis point, et ne l'ai jamais été.
VALÈRE, _bas_.
Voilà sa folie qui le tient. (_Haut_.) Monsieur, ne veuillez point nier
les choses davantage, et n'en venons point, s'il vous plait, à de
fâcheuses extrémités.
SGANARELLE.
À quoi donc?
VALÈRE.
À de certaines choses dont nous serions marris.
SGANARELLE.
Parbleu! venez-en à tout ce qu'il vous plaira; je ne suis point médecin,
et ne sais ce que vous me voulez dire.
VALÈRE, _bas_.
Je vois bien qu'il faut se servir du remède. (_Haut_.) Monsieur, encore
un coup, je vous prie d'avouer ce que vous êtes.
LUCAS.
Et testigué! ne lantiponez point davantage, et confessez à la franquette
que v'estes médecin.[14]
SGANARELLE.
J'enrage!
VALÈRE.
À quoi bon nier ce qu'on sait?
LUCAS.
Pourquoi toutes ces fraimes-là? à quoi est-ce que ça vous sart?
SGANARELLE.
Messieurs, en un mot autant qu'en deux mille, je vous dis que je ne suis
point médecin.
VALÈRE.
Vous n'êtes point médecin?
SGANARELLE.
Non.
LUCAS.
V'n'estes pas médecin!
SGANARELLE.
Non, vous dis-je.
VALÈRE.
Puisque vous le voulez, il faut s'y résoudre. (_Ils prennent un bâton et
le frappent._)
SGANARELLE.
Ah! ah! ah! Messieurs, je suis tout ce qu'il vous plaira.
VALÈRE.
Pourquoi, Monsieur, nous obligez-vous à cette violence?
LUCAS.
À quoi bon nous bailler la peine de vous battre?
VALÈRE.
Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde.
LUCAS.
Par ma figué! j'en sis fâché, franchement.
SGANARELLE.
Que diable est-ce ci, Messieurs? De grâce, est-ce pour rire, ou si tous
deux vous extravaguez, de vouloir que je sois médecin?
VALÈRE.
Quoi! vous ne vous rendez pas encore, et vous vous défendez d'être
médecin?
SGANARELLE.
Diable emporte si je le suis!
LUCAS.
Il n'est pas vrai qu'ous sayez médecin?
SGANARELLE.
Non, la peste m'étouffe! (_Là, ils recommencent de le battre._) Ah! ah!
Eh bien, Messieurs, oui, puisque vous le voulez, je suis médecin, je
suis médecin; apothicaire encore, si vous le trouvez bon. (_À part._)
J'aime mieux consentir à tout que de me faire assommer.
VALÈRE.
Ah! voilà qui va bien, Monsieur; je suis ravi de vous voir raisonnable.
LUCAS.
Vous me boutez la joie au coeur quand je vous voi parler comme ça.
VALÈRE.
Je vous demande pardon de toute mon âme.
LUCAS.
Je vous demandons excuse de la libarté que j'avons prise.
SGANARELLE, _à part_.
Ouais! seroit-ce bien moi qui me tromperois, et serois-je devenu médecin
sans m'en être aperçu?
VALÈRE.
Monsieur, vous ne vous repentirez pas de nous montrer ce que vous êtes,
et vous verrez assurément que vous en serez satisfait.
SGANARELLE.
Mais, Messieurs, dites-moi, ne vous trompez-vous point vous-mêmes?
Est-il bien assuré que je sois médecin?
LUCAS.
Oui, par ma figue!
SGANARELLE.
Tout de bon?
VALÈRE.
Sans doute.
SGANARELLE.
Diable emporte si je le savois!
VALÈRE.
Comment! vous êtes le plus habile médecin du monde.
SGANARELLE.
Ah! ah!
LUCAS.
Un médecin qui a guari je ne sais combien de maladies.
SGANARELLE.
Tudieu!
VALÈRE.
Une femme étoit tenue pour morte il y avoit six heures; elle étoit prête
à ensevelir, lorsqu'avec une goutte de quelque chose vous la fîtes
revenir et marcher d'abord par la chambre.
SGANARELLE.
Peste!
LUCAS.
Un petit enfant de douze ans se laissit choir du haut d'un clocher, de
quoi il eut la tête, les jambes et les bras cassés; et vous, avec je ne
sai quel onguent, vous fîtes qu'aussitôt il se relevit sur ses pieds et
s'en fut jouer à la fossette.[10]
SGANARELLE.
Diantre!
VALÈRE.
Enfin, Monsieur, vous aurez contentement avec nous, et vous gagnerez ce
que vous voudrez en vous laissant conduire où nous prétendons vous
mener.
SGANARELLE.
Je gagnerai ce que je voudrai?
VALÈRE.
Oui.
SGANARELLE.
Ah! Je suis médecin, sans contredit. Je l'avois oublié, mais je m'en
ressouviens. De quoi est-il question? où faut-il se transporter?
VALÈRE.
Nous vous conduirons. Il est question d'aller voir une fille qui a perdu
la parole.
SGANARELLE.
Ma foi, je ne l'ai pas trouvée.
VALÈRE.
Il aime à rire. Allons, Monsieur.
SGANARELLE.
Sans une robe de médecin?
VALÈRE.
Nous en prendrons une.
SGANARELLE, _présentant sa bouteille à Valère_. Tenez cela, vous: voilà
où je mets mes juleps.
(_Puis, se tournant vers Lucas en crachant._) Vous, marchez là-dessus,
par ordonnance du médecin.
LUCAS.
Palsanguenne! velà un médecin qui me plaît. Je pense qu'il réussira, car
il est bouffon.


ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE

GÉRONTE, VALÈRE, LUCAS, JACQUELINE.

VALÈRE.
OUI, Monsieur, je crois que vous serez satisfait, et nous vous avons
amené le plus grand médecin du monde.
LUCAS.
Oh! morguenne! il faut tirer l'échelle après ceti-là, et tous les autres
ne sont pas daignes de li déchausser ses souillez.
VALÈRE.
C'est un homme qui a fait des cures merveilleuses.
LUCAS.
Qui a gari des gens qui estiant morts.
VALÈRE.
Il est un peu capricieux, comme je vous ai dit, et parfois il a des
moments où son esprit s'échappe et ne paroît pas ce qu'il est.
LUCAS.
Oui, il aime à bouffonner, et l'an diroit par fois, ne v's en déplaise,
qu'il a quelque petit coup de hache à la tête.
VALÈRE.
Mais, dans le fond, il est toute science, et bien souvent il dit des
choses tout à fait relevées.
LUCAS.
Quand il s'y boute, il parle tout fin drait comme s'il lisoit dans un
livre.
VALÈRE.
Sa réputation s'est déjà répandue ici, et tout le monde vient à lui.
GÉRONTE.
Je meurs d'envie de le voir, faites-le moi vite venir.
VALÈRE.
Je le vais quérir.
JACQUELINE.
Par ma fi! Monsieu, ceti-ci fera justement ce qu'ant fait les autres. Je
pense que ce sera queussi queumi; et la meilleure médeçaine que l'an
pourroit bailler à votre fille, ce seroit, selon moi, un biau et bon
mari pour qui allé eût de l'amiquié.
GÉRONTE.
Ouais! nourrice, ma mie, vous vous mêlez de bien des choses!
LUCAS.
Taisez-vous, notre ménagère Jacquelaine: ce n'est pas à vous à bouter là
votre nez.
JACQUELINE.
Je vous dis et vous douze que tous ces médecins n'y feront rian que de
l'iau claire, que votre fille a besoin d'autre chose que de ribarbe et
desené, et qu'un mari est une emplâtre qui garit tous les maux des
filles.
GÉRONTE.
Est-elle en état maintenant qu'on s'en voulût charger, avec l'infirmité
qu'elle a? Et lorsque j'ai été dans le dessein de la marier, ne
s'est-elle pas opposée à mes volontés?
JACQUELINE.
Je le crois bian! vous li vouilliez bailler eun homme qu'allé n'aime
point. Que ne preniais-vous ce monsieu Liandre, qui li touchoit au coeur?
Allé auroit été fort obéissante; et je m'en vas gager qu'il la
prendroit, li, comme allé est, si vous la li vouillais donner.
GÉRONTE.
Ce Léandre n'est pas ce qu'il lui faut: il n'a pas du bien comme
l'autre.
JACQUELINE.
Il a un oncle qui est si riche, dont il est hériquié.
GÉRONTE.
Tous ces biens à venir me semblent autant de chansons. Il n'est rien tel
que ce qu'on tient, et l'on court grand risque de s'abuser lorsque l'on
compte sur le bien qu'un autre vous garde. La mort n'a pas toujours les
oreilles ouvertes aux voeux et aux prières de messieurs les héritiers, et
l'on a le temps d'avoir les dents longues lorsqu'on attend, pour vivre,
le trépas de quelqu'un.
JACQUELINE.
Enfin, j'ai toujours ouï dire qu'en mariage, comme ailleurs,
contentement passe richesse. Les pères et les mères ant cette maudite
couteume de demander toujours: «Qu'a-t-il?» et: «Qu'a-t-elle?» Et le
compère Piarre a marié sa fille Simonnette au gros Thomas pour un
quarquié de vaigne qu'il avoit davantage que le jeune Robin, où allé
avoit bouté son amiquié; et velà que la pauvre creiature en est devenue
jaune comme eun coing, et n'a point profité tout depuis ce temps-là.
C'est un bel exemple pour vous, Monsieu. On n'a que son plaisir en ce
monde; et j'aimerois mieux bailler à ma fille un bon mari qui li fût
agriable que toutes les rentes de la Biausse.
GÉRONTE.
Peste, Madame la nourrice! comme vous dégoisez! Taisez-vous, je vous
prie; vous prenez trop de soin, et vous échauffez votre lait.
LUCAS. (_En disant ceci, il frappe sur la poitrine à Géronte._)
Morgue! tais-toi, t'es eune impartinante. Monsieu n'a que faire de tes
discours, et il sait ce qu'il a à faire. Mêle-toi de donner à téter à
ton enfant, sans tant faire la raisonneuse. Monsieu est le père de sa
fille, et il est bon et sage pour voir ce qu'il li faut.
GÉRONTE.
Tout doux! oh! tout doux!
LUCAS.
Monsieu, je veux un peu la mortifier et li apprendre le respect qu'allé
vous doit.
GÉRONTE.
Oui; mais ces gestes ne sont pas nécessaires.

SCÈNE II
VALÈRE, SGANARELLE, GÉRONTE, LUCAS, JACQUELINE.

VALÈRE.
Monsieur, préparez-vous, voici notre médecin qui entre.
GÉRONTE.
Monsieur, je suis ravi de vous voir chez moi, et nous avons grand besoin
de vous.
SGANARELLE, _en robe de médecin, avec un chapeau des plus pointus_.[15]
Hippocrate dit... que nous nous couvrions tous deux.
GÉRONTE.
Hippocrate dit cela?
SGANARELLE.
Oui.
GÉRONTE.
Dans quel chapitre, s'il vous plaît?
SGANARELLE.
Dans son chapitre des chapeaux.[16]
GÉRONTE.
Puisqu'Hippocrate le dit, il le faut faire.
SGANARELLE.
Monsieur le médecin, ayant appris les merveilleuses choses...
GÉRONTE.
À qui parlez-vous, de grâce?
SGANARELLE.
À vous.
GÉRONTE.
Je ne suis pas médecin.
SGANARELLE.
Vous n'êtes pas médecin?
GÉRONTE.
Non vraiment.
SGANARELLE. (_Il prend ici un bâton, et le bat comme on l'a battu._)
Tout de bon?
GÉRONTE.
Tout de bon. Ah! ah! ah!
SGANARELLE.
Vous êtes médecin maintenant: je n'ai jamais eu d'autres licences.
GÉRONTE.
Quel diable d'homme m'avez-vous là amené?
VALÈRE.
Je vous ai bien dit que c'étoit un médecin goguenard.
GÉRONTE.
Oui. Mais je l'envoirois promener avec ses goguenarderies.
LUCAS.
Ne prenez pas garde à ça, Monsieu, ce n'est que pour rire.
GÉRONTE.
Cette raillerie ne me plaît pas.
SGANARELLE.
Monsieur, je vous demande pardon de la liberté que j'ai prise.
GÉRONTE.
Monsieur, je suis votre serviteur.
SGANARELLE.
Je suis fâché...
GÉRONTE.
Cela n'est rien.
SGANARELLE.
Des coups de bâton...
GÉRONTE.
Il n'y a pas de mal.
SGANARELLE.
Que j'ai eu l'honneur de vous donner.
GÉRONTE.
Ne parlons plus de cela. Monsieur, j'ai une fille qui est tombée dans
une étrange maladie.
SGANARELLE.
Je suis ravi, Monsieur, que votre fille ait besoin de moi; et je
souhaiterois de tout mon coeur que vous en eussiez besoin aussi, vous et
toute votre famille, pour vous témoigner l'envie que j'ai de vous
servir.
GÉRONTE.
Je vous suis obligé de ces sentiments.
SGANARELLE.
Je vous assure que c'est du meilleur de mon âme que je vous parle.
GÉRONTE.
C'est trop d'honneur que vous me faites.
SGANARELLE.
Comment s'appelle votre fille?
GÉRONTE.
Lucinde.
SGANARELLE.
Lucinde! Ah! beau nom à médicamenter! Lucinde!
GÉRONTE.
Je m'en vais voir un peu ce qu'elle fait.
SGANARELLE.
Qui est cette grande femme-là?
GÉRONTE.
C'est la nourrice d'un petit enfant que j'ai.
SGANARELLE.
Peste! le joli meuble que voilà! Ah! nourrice, charmante nourrice, ma
médecine est la très humble esclave de votre nourricerie, et je voudrois
bien être le petit poupon fortuné qui tétât le lait (_il lui porte la
main sur le sein_) de vos bonnes grâces. Tous mes remèdes, toute ma
science, toute ma capacité est à votre service, et...
LUCAS.
Avec votre parmission, Monsieu le médecin, laissez là ma femme, je vous
prie.
SGANARELLE.
Quoi! est-elle votre femme?
LUCAS.
Oui.
SGANARELLE. (_Il fait semblant d'embrasser Lucas, et, se tournant du
côté de la nourrice, il l'embrasse._)
Ah! vraiment, je ne savois pas cela, et je m'en réjouis pour l'amour de
l'on et de l'antre.
LUCAS. _en le tirant_.
Tout doucement, s'il vous plaît.
SGANARELLE.
Je vous assure que je suis ravi que vous soyez unis ensemble. Je la
félicite d'avoir (_il fait encore semblant d'embrasser Lucas, et,
passant dessous ses bras, se jette au col de sa femme_) un mari comme
vous; et je vous félicite, vous, d'avoir une femme si belle, si sage, et
si bien faite comme elle est.
LUCAS. _en le tirant encore_.
Eh! testigué! point tant de compliment, je vous supplie.
SGANARELLE.
Ne voulez-vous pas que je me réjouisse avec vous d'un si bel assemblage?
LUCAS.
Avec moi, tant qu'il vous plaira; mais avec ma femme, trêve de
sarimonie.
SGANARELLE.
Je prends part également au bonheur de tous deux, et (_il continue le
mime jeu_), si je vous embrasse pour vous en témoigner ma joie, je
l'embrasse de même pour lui en témoigner aussi.
LUCAS. _en le tirant derechef_.
Ah! vartigué, Monsieu le médecin, que de lantiponages!

SCÈNE III
SGANARELLE, GÉRONTE, LUCAS, JACQUELINE.

GÉRONTE.
Monsieur, voici tout à l'heure ma fille qu'on va vous amener.
SGANARELLE.
Je l'attends, Monsieur, avec toute la médecine.
GÉRONTE.
Où est-elle?
SGANARELLE, _se touchant le front_.
Là dedans.
GÉRONTE.
Fort bien.
SGANARELLE, _en voulant toucher les tétons de la nourrice_.
Mais, comme je m'intéresse à toute votre famille, il faut que j'essaye
un peu le lait de votre nourrice et que je visite son sein.
LUCAS. _le tirant et lui faisant faire la pirouette_.
Nanin, nanin, je n'avons que faire de ça.
SGANARELLE.
C'est l'office du médecin de voir les tétons des nourrices.
LUCAS.
Il gnia office qui quienne, je sis votte sarviteur.
SGANARELLE.
As-tu bien la hardiesse de t'opposer au médecin? Hors de là!
LUCAS.
Je me moque de ça.
SGANARELLE, _en le regardant de travers_.
Je te donnerai la fièvre.
JACQUELINE, _prenant Lucas par le bras et lui faisant aussi faire la
pirouette_. Ote-toi de là aussi. Est-ce que je ne sis pas assez grande
pour me défendre moi-même, s'il me fait queuque chose qui ne soit pas à
faire?
LUCAS.
Je ne veux pas qu'il te tâte, moi.
SGANARELLE.
Fi, le vilain, qui est jaloux de sa femme!
GÉRONTE.
Voici ma fille.

SCÈNE IV
LUCINDE, VALÈRE, GÉRONTE, LUCAS, SGANARELLE, JACQUELINE.

SGANARELLE.
Est-ce là la malade?
GÉRONTE.
Oui, je n'ai qu'elle de fille, et j'aurois tous les regrets du monde si
elle venoit à mourir.
SGANARELLE.
Qu'elle s'en garde bien! il ne faut pas qu'elle meure sans l'ordonnance
du médecin.
GÉRONTE.
Allons, un siège.
SGANARELLE.
Voilà une malade qui n'est pas tant dégoûtante, et je tiens qu'un homme
bien sain s'en accommoderoit assez.
GÉRONTE.
Vous l'avez fait rire, Monsieur.
SGANARELLE.
Tant mieux: lorsque le médecin fait rire le malade, c'est le meilleur
signe du monde. Eh bien, de quoi est-il question? qu'avez-vous? quel est
le mal que vous sentez?
LUCINDE _répond par signes, en portant sa main à sa bouche, à sa tête et
sous son menton_.
Han, hi, hom, han.
SGANARELLE.
Eh! que dites-vous?
LUCINDE _continue les mêmes gestes_.
Han, hi, hom, han, han, hi, hom.
SGANARELLE.
Quoi?
LUCINDE.
Han, hi, hom!
SGANARELLE, _la contrefaisant_.
Han, hi, hom, han, ha. Je ne vous entends point. Quel diable de langage
est-ce là?
GÉRONTE.
Monsieur, c'est là sa maladie. Elle est devenue muette, sans que jusques
ici on en ait pu savoir la cause; et c'est un accident qui a fait
reculer son mariage.
SGANARELLE.
Et pourquoi?
GÉRONTE.
Celui qu'elle doit épouser veut attendre sa guérison pour conclure les
choses.
SGANARELLE.
Et qui est ce sot-là qui ne veut pas que sa femme soit muette? Plût à
Dieu que la mienne eût cette maladie! je me garderais bien de la vouloir
guérir.
GÉRONTE.
Enfin, Monsieur, nous vous prions d'employer tous vos soins pour la
soulager de son mal.
SGANARELLE.
Ah! ne vous mettez pas en peine. Dites-moi un peu, ce mal
l'oppresse-t-il beaucoup?
GÉRONTE.
Oui, Monsieur.
SGANARELLE.
Tant mieux. Sent-elle de grandes douleurs?
GÉRONTE.
Fort grandes.
SGANARELLE.
C'est fort bien fait. Va-t-elle où vous savez?
GÉRONTE.
Oui.
SGANARELLE.
Copieusement?
GÉRONTE.
Je n'entends rien à cela.
SGANARELLE.
La matière est-elle louable?
GÉRONTE.
Je ne me connois pas à ces choses.
SGANARELLE, _se tournant vers la malade_.
Donnez-moi votre bras. Voilà un pouls qui marque que votre fille est
muette.
GÉRONTE.
Eh! oui, Monsieur, c'est là son mal; vous l'avez trouvé tout du premier
coup.
SGANARELLE.
Ah! ah!
JACQUELINE.
Voyez comme il a deviné sa maladie!
SGANARELLE.
Nous autres grands médecins, nous connoissons d'abord les choses. Un
ignorant auroit été embarrassé, et vous eût été dire: c'est ceci, c'est
cela; mais, moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends
que votre fille est muette.
GÉRONTE.
Oui; mais je voudrois bien que vous me pussiez dire d'où cela vient?
SGANARELLE.
Il n'est rien de plus aisé. Cela vient de ce qu'elle a perdu la parole.
GÉRONTE.
Fort bien; mais la cause, s'il vous plait, qui fait qu'elle a perdu la
parole?
SGANARELLE.
Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c'est l'empêchement de
l'action de sa langue.
GÉRONTE.
Mais encore, vos sentiments sur cet empêchement de l'action de sa
langue?
SGANARELLE.
Aristote là-dessus dit... de fort belles choses.
GÉRONTE.
Je le crois.
SGANARELLE.
Ah! c'étoit un grand homme!
GÉRONTE.
Sans doute.
SGANARELLE, _levant son bras depuis le coude_.
Grand homme tout à fait, un homme qui étoit plus grand que moi de tout
cela. Pour revenir donc à notre raisonnement, je tiens que cet
empêchement de l'action de sa langue est causé par de certaines humeurs,
qu'entre nous autres savants nous appelons humeurs peccantes; peccantes,
c'est-à-dire... humeurs peccantes: d'autant que les vapeurs formées par
les exhalaisons des influences qui s'élèvent dans la région des
maladies, venant... pour ainsi dire... à... Entendez-vous le latin?
GÉRONTE.
En aucune façon..
SGANARELLE, _se levant avec étonnement_.
Vous n'entendez point le latin!
GÉRONTE.
Non.
SGANARELLE, _en faisant diverses plaisantes postures_.
_Cabricias, arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo, hæc Musa,_
«la Muse»; _bonus, bona, bonum; Deus sanctus, estne oratio latinas_?
_Etiam_, «oui.» _Quare_? «pourquoi?» _Quia substantivo et adjectivum
concordat in generi, numerum et casus._[17]
GÉRONTE.
Ah! que n'ai-je étudié!
JACQUELINE.
L'habile homme que velà!
LUCAS.
Oui, ça est si biau que je n'y entends goutte.
SGANARELLE.
Or, ces vapeurs dont je vous parle venant à passer du côté gauche, où
est le foie, au côté droit, où est le coeur, il se trouve que le poumon,
que nous appelons en latin armyan, ayant communication avec le cerveau,
que nous nommons en grec nasmus, par le moyen de la veine cave, que nous
appelons en hébreu _cubile_, rencontre en son chemin lesdites vapeurs
qui remplissent les ventricules de l'omoplate; et parce que lesdites
vapeurs... comprenez bien ce raisonnement, je vous prie; et parce que
lesdites vapeurs ont une certaine malignité... écoutez bien ceci, je
vous conjure.
GÉRONTE.
Oui.
SGANARELLE.
Ont une certaine malignité qui est causée... soyez attentif, s'il vous
plaît.
GÉRONTE.
Je le suis.
SGANARELLE.
Qui est causée par l'âcreté des humeurs engendrées dans la concavité du
diaphragme, il arrive que ces vapeurs... _Ossabandus, nequeys, nequer,
potarinum, quipsa milus._ Voilà justement ce qui fait que votre fille
est muette.
JACQUELINE.
Ah! que ça est bian dit, notte homme!
LUCAS.
Que n'ai-je la langue aussi bian pendue!
GÉRONTE.
On ne peut pas mieux raisonner, sans doute. Il n'y a qu'une seule chose
qui m'a choqué, c'est l'endroit du foie et du coeur. Il me semble que
vous les placez autrement qu'ils ne sont; que le coeur est du côté
gauche, et le foie du côté droit.
SGANARELLE.
Oui, cela étoit autrefois ainsi; mais nous avons changé tout cela, et
nous faisons maintenant la médecine d'une méthode toute nouvelle.[18]
GÉRONTE.
C'est ce que je ne savois pas, et je vous demande pardon de mon
ignorance.
SGANARELLE.
Il n'y a point de mal, et vous n'êtes pas obligé d'être aussi habile que
nous.
GÉRONTE.
Assurément. Mais, Monsieur, que croyez-vous qu'il faille faire à cette
maladie?
SGANARELLE.
Ce que je crois qu'il faille faire?
GÉRONTE.
Oui.
SGANARELLE.
Mon avis est qu'on la remette sur son lit, et qu'on lui fasse prendre
pour remède quantité de pain trempé dans du vin.
GÉRONTE.
Pourquoi cela, Monsieur?
SGANARELLE.
Parce qu'il y a dans le vin et le pain mêlés ensemble une vertu
sympathique qui fait parler. Ne voyez-vous pas bien qu'on ne donne autre
chose aux perroquets, et qu'ils apprennent à parler en mangeant de cela?
GÉRONTE.
Cela est vrai. Ah! le grand homme! Vite, quantité de pain et de vin!
SGANARELLE.
Je reviendrai voir, sur le soir, en quel état elle, sera. (_À la
nourrice_.) Doucement, vous. Monsieur, voilà une nourrice à laquelle il
faut que je fasse quelques petits remèdes.
JACQUELINE.
Qui? moi? Je me porte le mieux du monde.
SGANARELLE.
Tant pis, nourrice, tant pis. Cette grande santé est à craindre, et il
ne sera pas mauvais de vous faire quelque petite saignée amiable, de
vous donner quelque petit clistère dulcifiant.
GÉRONTE.
Mais, Monsieur, voilà une mode que je ne comprends point. Pourquoi
s'aller faire saigner quand on n'a point de maladie?
SGANARELLE.
Il n'importe, la mode en est salutaire; et, comme on boit pour la soif à
venir, il faut se faire aussi saigner pour la maladie à venir.
JACQUELINE, _en se retirant_.
Ma fi! je me moque de ça, et je ne veux point faire de mon corps une
boutique d'apothicaire.
SGANARELLE.
Vous êtes rétive aux remèdes, mais nous saurons vous soumettre à la
raison. (_Parlant à Géronte._) Je vous donne le bonjour.
GÉRONTE.
Attendez un peu, s'il vous plaît.
SGANARELLE.
Que voulez-vous faire?
GÉRONTE.
Vous donner de l'argent, Monsieur.
SGANARELLE, _tendant sa main derrière, par-dessous sa robe, tandis que
Géronte ouvre sa bourse_.
Je n'en prendrai pas, Monsieur.
GÉRONTE.
Monsieur...
SGANARELLE.
Point du tout.
GÉRONTE.
Un petit moment.
SGANARELLE.
En aucune façon.
GÉRONTE.
De grâce!
SGANARELLE.
Vous vous moquez.
GÉRONTE.
Voilà qui est fait.
SGANARELLE.
Je n'en ferai rien.
GÉRONTE.
Hé!
SGANARELLE.
Ce n'est pas l'argent qui me fait agir.
GÉRONTE.
Je le crois.
SGANARELLE, _après avoir pris l'argent_.
Cela est-il de poids?
GÉRONTE.
Oui, Monsieur.
SGANARELLE.
Je ne suis pas un médecin mercenaire.
GÉRONTE.
Je le sais bien.
SGANARELLE.
L'intérêt ne me gouverne point.
GÉRONTE.
Je n'ai pas cette pensée.

SCÈNE V
SGANARELLE, LÉANDRE.

SGANARELLE, _regardant son argent_.
Ma foi, cela ne va pas mal, et pourvu que...
LÉANDRE.
Monsieur, il y a longtemps que je vous attends, et je viens implorer
votre assistance.
SGANARELLE, _lui prenant le poignet_.
Voilà un pouls qui est fort mauvais.
LÉANDRE.
Je ne suis point malade, Monsieur, et ce n'est pas pour cela que je
viens à vous.
SGANARELLE.
Si vous n'êtes pas malade, que diable ne le dites-vous donc?
LÉANDRE.
Non. Pour vous dire la chose en deux mots, je m'appelle Léandre, qui
suis amoureux de Lucinde, que vous venez de visiter; et, comme, par la
mauvaise humeur de son père, toute sorte d'accès m'est fermé auprès
d'elle, je me hasarde à vous prier de vouloir servir mon amour, et de me
donner lieu d'exécuter un stratagème que j'ai trouvé pour lui pouvoir
dire deux mots d'où dépendent absolument mon bonheur et ma vie.
SGANARELLE, _paroissant en colère_.
Pour qui me prenez-vous? Comment! oser vous adresser à moi pour vous
servir dans votre amour, et vouloir ravaler la dignité de médecin à des
emplois de cette nature!
LÉANDRE.
Monsieur, ne faites point de bruit.
SGANARELLE, _en le faisant reculer_.
J'en veux faire, moi. Vous êtes un impertinent.
LÉANDRE.
Hé! Monsieur, doucement.
SGANARELLE.
Un malavisé.
LÉANDRE.
De grâce!
SGANARELLE.
Je vous apprendrai que je ne suis point homme à cela, et que c'est une
insolence extrême...
LÉANDRE, _tirant une bourse qu'il lui donne_.
Monsieur!
SGANARELLE, _tenant la bourse_.
De vouloir m'employer... Je ne parle pas pour vous, car vous êtes
honnête homme, et je serois ravi de vous rendre service. Mais il y a de
certains impertinents au monde qui viennent prendre les gens pour ce
qu'ils ne sont pas, et je vous avoue que cela me met en colère.
LÉANDRE.
Je vous demande pardon, Monsieur, de la liberté que...
SGANARELLE.
Vous vous moquez! De quoi est-il question?
LÉANDRE.
Vous saurez donc, Monsieur, que cette maladie que vous voulez guérir est
une feinte maladie. Les médecins ont raisonné là-dessus comme il faut,
et ils n'ont pas manqué de dire que cela procédoit, qui du cerveau, qui
des entrailles, qui de la rate, qui du foie. Mais il est certain que
l'amour en est la véritable cause, et que Lucinde n'a trouvé cette
maladie que pour se délivrer d'un mariage dont elle étoit importunée.
Mais de crainte qu'on ne nous voie ensemble, retirons-nous d'ici, et je
vous dirai en marchant ce que je souhaite de vous.
SGANARELLE.
You have read 1 text from French literature.
Next - Le médecin malgré lui - 3
  • Parts
  • Le médecin malgré lui - 1
    Total number of words is 4202
    Total number of unique words is 1322
    41.9 of words are in the 2000 most common words
    53.3 of words are in the 5000 most common words
    58.7 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Le médecin malgré lui - 2
    Total number of words is 4046
    Total number of unique words is 1099
    41.6 of words are in the 2000 most common words
    51.8 of words are in the 5000 most common words
    55.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Le médecin malgré lui - 3
    Total number of words is 4145
    Total number of unique words is 1374
    39.9 of words are in the 2000 most common words
    49.4 of words are in the 5000 most common words
    53.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.