Le médecin malgré lui - 3

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Allons, Monsieur: vous m'avez donné pour votre amour une tendresse qui
n'est pas concevable, et j'y perdrai toute ma médecine: ou la malade
crèvera, ou bien elle sera à vous.


ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE
SGANARELLE, LÉANDRE.

LÉANDRE.
IL me semble que je ne suis pas mal ainsi pour un apothicaire; et, comme
le père ne m'a guère vu, ce changement d'habit et de perruque est assez
capable, je crois, de me déguiser à ses yeux.
SGANARELLE.
Sans doute.
LÉANDRE.
Tout ce que je souhaiterois seroit de savoir cinq ou six grands mots de
médecine, pour parer mon discours et me donner l'air d'habile homme.
SGANARELLE.
Allez, allez, tout cela n'est pas nécessaire; il suffit de l'habit, et
je n'en sais pas plus que vous.
LÉANDRE.
Comment?
SGANARELLE.
Diable emporte si j'entends rien en médecine! Vous êtes honnête homme,
et je veux bien me confier à vous, comme vous vous confiez à moi.
LÉANDRE.
Quoi! vous n'êtes pas effectivement...
SGANARELLE.
Non, vous dis-je; ils m'ont fait médecin malgré mes dents. Je ne m'étois
jamais mêlé d'être si savant que cela, et toutes mes études n'ont été
que jusqu'en sixième. Je ne sais point sur quoi cette imagination leur
est venue; mais, quand j'ai TU qu'à toute force ils vouloient que je
fusse médecin, je me suis résolu de l'être aux dépens de qui il
appartiendra. Cependant vous ne sauriez croire comment l'erreur s'est
répandue, et de quelle façon chacun est endiablé à me croire habile
homme. On me vient chercher de tous les côtés; et, si les choses vont
toujours de même, je suis d'avis de m'en tenir toute ma vie à la
médecine. Je trouve que c'est le métier le meilleur de tous: car, soit
qu'on fasse bien, ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même
sorte. La méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos, et nous
taillons comme il nous plaît sur l'étoffe où nous travaillons. Un
cordonnier, en faisant des souliers, ne sauroit gâter un morceau de cuir
qu'il n'en paye les pots cassés; mais ici l'on peut gâter un homme sans
qu'il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous, et c'est
toujours la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession
est qu'il y a parmi les morts une honnêteté, une discrétion la plus
grande du monde, et jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui l'a
tué.[19]
LÉANDRE.
Il est vrai que les morts sont fort honnêtes gens sur cette matière.
SGANARELLE, _voyant des hommes qui viennent vers lui_.
Voilà des gens qui ont la mine de me venir consulter. Allez toujours
m'attendre auprès du logis de votre maîtresse.

SCÈNE II
THIBAUT, PERRIN, SGANARELLE.

THIBAUT.
Monsieu, je venons vous charcher, mon fils Perrin et moi.
SGANARELLE.
Qu'y a-t-il?
THIBAUT.
Sa pauvre mère, qui a nom Parette, est dans un Ut, malade, il y a six
mois.
SGANARELLE, _tendant la main comme pour recevoir de l'argent_.
Que voulez-vous que j'y fasse?
THIBAUT.
Je voudrions, Monsieu, que vous nous baillissiez quelque petite drôlerie
pour la garir.
SGANARELLE.
Il faut voir de quoi est-ce qu'elle est malade.
THIBAUT.
Allé est malade d'hypocrisie, Monsieu.
SGANARELLE.
D'hypocrisie?
THIBAUT.
Oui, c'est-à-dire qu'allé est enflée par tout, et l'an dit que c'est
quantité de sériosités qu'allé a dans le corps, et que son foie, son
ventre ou sa rate, comme vous voudrais l'appeler, au glieu de faire du
sang, ne fait plus que de l'iau. Allé a, de deux jours l'un, la fièvre
quotiguenne, avec des lasstules et des douleurs dans les mufles des
jambes. On entend dans sa gorge des fleumes qui sont tout prêts à
l'étouffer, et par fois il lui prend des sincoles et des conversions,
que je crayons qu'alle est passée. J'avons dans notte village un
apothicaire, révérence parler, qui li a donné je ne sais combien
d'histoires; et il m'en coûte plus d'eune douzaine de bons écus en
lavements, ne v's en déplaise, en apostumes qu'on li a fait prendre, en
infections de jacinthe, et en portions cordales. Mais tout ça, comme dit
l'autre, n'a été que de l'onguent miton-mitaine.[20] Il veloit li
bailler d'eune certaine drogue que l'on appelle du vin amétile;[21] mais
j'ai-s-eu peur franchement que ça l'envoyît à _patres_; et l'an dit que
ces gros médecins tuont je ne sai combien de monde avec cette
invention-là.
SGANARELLE, _tendant toujours la main et la branlant, comme pour signe
qu'il demande de forgent_.
Venons au fait, mon ami, venons au fait.
THIBAUT.
Le fait est, Monsieu, que je venons vous prier de nous dire ce qu'il
faut que je fassions.
SGANARELLE.
Je ne vous entends point du tout.
PERRIN.
Monsieu, ma mère est malade; et velà deux écus que je vous apportons
pour nous bailler queuque remède.
SGANARELLE.
Ah! je vous entends, vous. Voilà un garçon qui parle clairement, et qui
s'explique comme il faut. Vous dites que votre mère est malade
d'hydropisie, qu'elle est enflée par tout le corps, qu'elle a la fièvre,
avec des douleurs dans les jambes, et qu'il lui prend parfois des
syncopes et des convulsions, c'est-à-dire des évanouissements?
PERRIN. Hé! oui, Monsieu, c'est justement ça.
SGANARELLE.
J'ai compris d'abord vos paroles. Vous avez un père qui ne sait ce qu'il
dit. Maintenant vous me demandez un remède?
PERRIN.
Oui, Monsieu.
SGANARELLE.
Un remède pour la guérir.
PERRIN.
C'est comme je l'entendons.
SGANARELLE.
Tenez, voilà un morceau de fromage qu'il faut que vous lui fassiez
prendre.
PERRIN.
Du fromage, Monsieu?
SGANARELLE.
Oui, c'est un fromage préparé, où il entre de l'or, du coral et des
perles, et quantité d'autres choses précieuses.
PERRIN.
Monsieu, je vous sommes bien obligez, et j'allons li faire prendre ça
tout à l'heure.
SGANARELLE.
Allez. Si elle meurt, ne manquez pas de la faire enterrer du mieux que
vous pourrez.

SCÈNE III
JACQUELINE, SGANARELLE, LUCAS.

SGANARELLE.
Voici la belle nourrice. Ah! nourrice de mon coeur, je suis ravi de cette
rencontre, et votre vue est la rhubarbe, la casse et le séné qui purgent
toute la mélancolie de mon âme.
JACQUELINE.
Par ma figue! Monsieur le médecin, ça est trop bian dit pour moi, et je
n'entends rien à tout votte latin.
SGANARELLE.
Devenez malade, nourrice, je vous prie, devenez malade pour l'amour de
moi. J'aurois toutes les joies du monde de vous guérir.
JACQUELINE.
Je sis votte sarvante, j'aime bian mieux qu'an ne me guérisse pas.
SGANARELLE.
Que je vous plains, belle nourrice, d'avoir un mari jaloux et fâcheux
comme celui que vous avez!
JACQUELINE.
Que velez-vous, Monsieu? C'est pour la pénitence de mes fautes; et là où
la chèvre est liée, il faut bian qu'allé y broute.[22]
SGANARELLE.
Comment! un rustre comme cela! un homme qui vous observe toujours, et ne
veut pas que personne vous parle!
JACQUELINE.
Hélas! vous n'avez rien vu encore, et ce n'est qu'un petit échantillon
de sa mauvaise humeur.
SGANARELLE.
Est-il possible? et qu'un homme ait l'âme assez basse pour maltraiter
une personne comme vous? Ah! que j'en sais, belle nourrice, et qui ne
sont pas loin d'ici, qui se tiendroient heureux de baiser seulement les
petits bouts de vos petons! Pourquoi faut-il qu'une personne si bien
faite soit tombée en de telles mains, et qu'un franc animal, un brutal,
un stupide, un sot!... Pardonnez-moi, nourrice, si je parle ainsi de
votre mari.
JACQUELINE.
Eh! Monsieu, je sais bien qu'il mérite tous ces noms-là.
SGANARELLE.
Oui, sans doute, nourrice, il les mérite; et il mériteroit encore que
vous lui missiez quelque chose sur la tête, pour le punir des soupçons
qu'il a.
JACQUELINE.
Il est bien vrai que, si je n'avois devant les jeux que son intérêt, il
pourroit m'obliger à queuque étrange chose.
SGANARELLE.
Ma foi, vous ne feriez pas mal de vous venger de lui avec quelqu'un.
C'est un homme, je vous le dis, qui mérite bien cela; et, si j'étois
assez heureux, belle nourrice, pour être choisi pour...
(_En cet endroit, tous deux apercevant Lucas, qui étoit derrière eux et
entendait leur dialogue, chacun te retire de son côté, mais le médecin
d'une manière fort plaisante._)

SCÈNE IV
GÉRONTE, LUCAS.

GÉRONTE.
Holà! Lucas, n'as-tu point vu ici notre médecin?
LUCAS.
Et oui, de par tous les diantres! je l'ai vu, et ma femme aussi.
GÉRONTE.
Où est-ce donc qu'il peut être?
LUCAS.
Je ne sais; mais je voudrois qu'il fût à tous les guebles.
GÉRONTE.
Va-t'en voir un peu ce que fait ma fille.

SCÈNE V
SGANARELLE, LÉANDRE, GÉRONTE.

GÉRONTE.
Ah! Monsieur, je demandois où vous étiez.
SGANARELLE.
Je m'étois amusé, dans votre cour, à expulser le superflu de la boisson.
Comment se porte la malade?
GÉRONTE.
Un peu plus mal depuis votre remède.
SGANARELLE.
Tant mieux: c'est signe qu'il opère.
GÉRONTE.
Oui; mais, en opérant, je crains qu'il ne l'étouffé.
SGANARELLE.
Ne vous mettez pas en peine: j'ai des remèdes qui se moquent de tout, et
je l'attends à l'agonie.
GÉRONTE.
Qui est cet homme-là que vous amenez?
SGANARELLE, _faisant des signes avec la main que c'est un apothicaire_.
C'est...
GÉRONTE.
Quoi?
SGANARELLE.
Celui...
GÉRONTE.
Eh?
SGANARELLE.
Qui...
GÉRONTE.
Je vous entends.
SGANARELLE.
Votre fille en aura besoin.

SCÈNE VI
JACQUELINE, LUCINDE, GÉRONTE, LÉANDRE, SGANARELLE.

JACQUELINE.
Monsieu, velà votre fille qui veut un peu marcher.
SGANARELLE.
Cela lui fera du bien. Allez-vous-en, Monsieur l'apothicaire, tâter un
peu son pouls, afin que je raisonne tantôt avec vous de sa maladie.
(_En cet endroit, il tire Géronte à un bout du théâtre, et, lui passant
un bras sur les épaules, lui rabat la main sous le menton, avec laquelle
il le fait retourner vers lui lorsqu'il veut regarder ce que sa fille et
l'apothicaire font ensemble, lui tenant cependant le discours suivant
pour l'amuser._)
Monsieur, c'est une grande et subtile question entre les doctes, de
savoir si les femmes sont plus faciles à guérir que les hommes. Je vous
prie d'écouter ceci, s'il vous plaît. Les uns disent que non, les autres
disent que oui; et moi, je dis que oui et non. D'autant que,
l'incongruité des humeurs opaques qui se rencontrent au tempérament
naturel des femmes étant cause que la partie brutale[23] veut toujours
prendre empire sur la sensitive, on voit que l'inégalité de leurs
opinions dépend du mouvement oblique du cercle de la lune; et, comme le
soleil, qui darde ses rayons sur la concavité de la terre, trouve...
LUCINDE.
Non, je ne suis point du tout capable de changer de sentiments.
GÉRONTE.
Voilà ma fille qui parle! O grande vertu du remède! ô admirable médecin!
Que je vous suis obligé, Monsieur, de cette guérison merveilleuse! Et
que puis-je faire pour vous après un tel service?
SGANARELLE, _se promenant sur le théâtre et s'essuyant le front_.
Voilà une maladie qui m'a bien donné de la peine!
LUCINDE.
Oui, mon père, j'ai recouvré la parole; mais je l'ai recouvrée pour vous
dire que je n'aurai jamais d'autre époux que Léandre, et que c'est
inutilement que vous voulez me donner Horace.
GÉRONTE.
Mais...
LUCINDE.
Rien n'est capable d'ébranler la résolution que j'ai prise.
GÉRONTE.
Quoi...?
LUCINDE.
Vous m'opposerez en vain de belles raisons.
GÉRONTE.
Si...
LUCINDE.
Tous vos discours ne serviront de rien.
GÉRONTE.
Je...
LUCINDE.
C'est une chose où je suis déterminée.
GÉRONTE.
Mais...
LUCINDE.
Il n'est puissance paternelle qui me puisse obliger à me marier malgré
moi.
GÉRONTE.
J'ai...
LUCINDE.
Vous avez beau faire tous vos efforts.
GÉRONTE.
Il...
LUCINDE.
Mon coeur ne sauroit se soumettre à cette tyrannie.
GÉRONTE.
Là...
LUCINDE.
Et je me jetterai plutôt dans un convent que d'épouser un homme que je
n'aime point.
GÉRONTE.
Mais...
LUCINDE, _parlant d'un ton de voix à étourdir_.
Non. En aucune façon. Point d'affaire. Vous perdez le temps. Je n'en
ferai rien. Cela est résolu.
GÉRONTE.
Ah! quelle impétuosité de paroles! Il n'y a pas moyen d'y résister.
Monsieur, je vous prie de la faire redevenir muette.
SGANARELLE.
C'est une chose qui m'est impossible. Tout ce que je puis faire pour
votre service est de vous rendre sourd, si vous voulez.
GÉRONTE.
Je vous remercie. Penses-tu donc...
LUCINDE.
Non, toutes vos raisons ne gagneront rien sur mon âme.
GÉRONTE.
Tu épouseras Horace dès ce soir.
LUCINDE.
J'épouserai plutôt la mort.
SGANARELLE.
Mon Dieu, arrêtez-vous, laissez-moi médicamenter cette affaire. C'est
une maladie qui la tient, et je sais le remède qu'il y faut apporter.
GÉRONTE.
Seroit-il possible, Monsieur, que vous pussiez aussi guérir cette
maladie d'esprit?
SGANARELLE.
Oui, laissez-moi faire, j'ai des remèdes pour tout, et notre apothicaire
nous servira pour cette cure. (_Il appelle l'apothicaire et lui parle._)
Un mot. Vous voyez que l'ardeur qu'elle a pour ce Léandre est tout à
fait contraire aux volontés du père, qu'il n'y a point de temps à
perdre, que les humeurs sont fort aigries, et qu'il est nécessaire de
trouver promptement un remède à ce mal, qui pourroit empirer par le
retardement. Pour moi, je n'y en vois qu'un seul, qui est une prise de
fuite purgative, que vous mêlerez comme il faut avec deux drachmes de
_matrimonium_ en pilules.[24] Peut-être fera-t-elle quelque difficulté à
prendre ce remède; mais, comme vous êtes habile homme dans votre métier,
c'est à vous de l'y résoudre et de lui faire avaler la chose du mieux
que vous pourrez. Allez-vous-en lui faire faire un petit tour de jardin,
afin de préparer les humeurs, tandis que j'entretiendrai ici son père;
mais surtout ne perdez point de temps. Au remède, vite, au remède
spécifique.[25]

SCÈNE VII
GÉRONTE, SGANARELLE.

GÉRONTE.
Quelles drogues, Monsieur, sont celles que vous venez de dire? Il me
semble que je ne les ai jamais ouï nommer.
SGANARELLE.
Ce sont drogues dont on se sert dans les nécessités urgentes.
GÉRONTE.
Avez-vous jamais vu une insolence pareille à la sienne?
SGANARELLE.
Les filles sont quelquefois un peu têtues.
GÉRONTE.
Vous ne sauriez croire comme elle est affolée de ce Léandre.
SGANARELLE.
La chaleur du sang fait cela dans les jeunes esprits.
GÉRONTE.
Pour moi, dès que j'ai eu découvert la violence de cet amour, j'ai su
tenir toujours ma fille renfermée.
SGANARELLE.
Vous avez fait sagement.
GÉRONTE.
Et j'ai bien empêché qu'ils n'aient eu communication ensemble.
SGANARELLE.
Fort bien.
GÉRONTE.
Il seroit arrivé quelque folie si j'avois souffert qu'ils se fussent
vus.
SGANARELLE.
Sans doute.
GÉRONTE.
Et je crois qu'elle auroit été fille à s'en aller avec lui.
SGANARELLE.
C'est prudemment raisonné.
GÉRONTE.
On m'avertit qu'il fait tous ses efforts pour lui parler.
SGANARELLE.
Quel drôle!
GÉRONTE.
Mais il perdra son temps.
SGANARELLE.
Ah! ah!
GÉRONTE.
Et j'empêcherai bien qu'il ne la voie.
SGANARELLE.
Il n'a pas affaire à un sot, et vous savez des rubriques qu'il ne sait
pas.[26] Plus fin que vous n'est pas bête.

SCÈNE VIII
LUCAS. GÉRONTE, SGANARELLE.

LUCAS.
Ah! palsanguenne, Monsieu, vaici bian du tintamarre. Votte fille s'en
est enfuie avec son Liandre. C'étoit lui qui étoit l'apothicaire, et
velà monsieu le médecin qui a fait cette belle opération-là.
GÉRONTE.
Comment! m'assassiner de la façon? Allons, un commissaire, et qu'on
empêche qu'il ne sorte. Ah! traître, je vous ferai punir par la justice.
LUCAS.
Ah! par ma fi, Monsieu le médecin, vous serez pendu. Ne bougez de là
seulement.

SCÈNE IX
MARTINE, SGANARELLE, LUCAS.

MARTINE.
Ah! mon Dieu, que j'ai eu de peine à trouver ce logis! Dites-moi un peu
des nouvelles du médecin que je vous ai donné.
LUCAS.
Le velà qui va être pendu.
MARTINE.
Quoi! mon mari pendu! Hélas! et qu'a-t-il fait pour cela?
LUCAS.
Il a fait enlever la fille de notte maître.
MARTINE.
Hélas! mon cher mari, est-il bien vrai qu'on te va pendre?
SGANARELLE.
Tu vois. Ah!
MARTINE.
Faut-il que tu te laisses mourir en présence de tant de gens?
SGANARELLE.
Que veux-tu que j'y fasse?
MARTINE.
Encore, si tu avois achevé de couper notre bois, je prendrois quelque
consolation.
SGANARELLE.
Retire-toi de là, tu me fends le coeur.
MARTINE.
Non, je veux demeurer pour t'encourager à la mort, et je ne te quitterai
point que je ne t'aie vu pendu.
SGANARELLE.
Ah!

SCÈNE X
GÉRONTE, SGANARELLE, MARTINE, LUCAS.

GÉRONTE.
Le commissaire viendra bientôt, et l'on s'en va vous mettre en lieu où
l'on me répondra de vous.
SGANARELLE, _le chapeau à la main_.
Hélas! cela ne se peut-il point changer en quelques coups de bâton?
GÉRONTE.
Non, non, la justice en ordonnera... Mais que vois-je?

SCÈNE XI ET DERNIÈRE
LÉANDRE, LUCINDE, JACQUELINE, LUCAS, GÉRONTE, SGANARELLE, MARTINE.

LÉANDRE.
Monsieur, je viens faire paraître Léandre à vos yeux et remettre Lucinde
en votre pouvoir. Nous avons eu dessein de prendre la fuite nous deux,
et de nous aller marier ensemble; mais cette entreprise a fait place à
un procédé plus honnête: je ne prétends point vous voler votre fille, et
ce n'est que de votre main que je veux la recevoir. Ce que je vous
dirai, Monsieur, c'est que je viens tout à l'heure de recevoir des
lettres par où j'apprends que mon oncle est mort, et que je suis
héritier de tous ses biens.
GÉRONTE.
Monsieur, votre vertu m'est tout à fait considérable, et je vous donne
ma fille avec la plus grande joie du monde.
SGANARELLE.
La médecine l'a échappé belle!
MARTINE.
Puisque tu ne seras point pendu, rends-moi grâce d'être médecin, car
c'est moi qui t'ai procuré cet honneur.
SGANARELLE.
Oui, c'est toi qui m'as procuré je ne sais combien de coups de bâton.
LÉANDRE.
L'effet en est trop beau pour en garder du ressentiment.
SGANARELLE.
Soit. Je te pardonne ces coups de bâton en faveur de la dignité où tu
m'as élevé; mais prépare-toi désormais à vivre dans un grand respect
avec un homme de ma conséquence, et songe que la colère d'un médecin est
plus à craindre qu'on ne peut croire.

NOTES:
[Note 1: On trouve d'ailleurs le sujet du «Médecin par force» dans
les fragments de Jacques de Vitry, évéque de Tusculum, dans une
_Relation_ de Grotius, et aussi dans le _Voyage en Moscova et en Perse_
d'Adam Olearius (OElschlager) que venait de traduire M. de Wicquefort en
1656.]

ACTE PREMIER.
[Note 2: P. 4, 1. 12. _Bec cornu_. C'est la traduction de l'italien
_becco cornuto_ (bouc cornu), qui veut dire cornard, ou cocu, parce que
le bouc, qui a de fort grandes cornes, est le seul animal qui voie avec
plaisir que ses compagnons couvrent sa femelle. (_Sorberiana_, p. 74.)
Cf. _École des Femmes_, acte IV, sc. VI.]
[Note 3: 5, 19. _J'en bois une partie_. V. la _Comédie des
Proverbes_ (1633): «Ils ont la mine de ne manger pas tout leur bien,
_ils en boivent une_ bonne _partie_.» (Acte II, sc. III.)]
[Note 4: --24. _C'est vivre de ménage_. On lit dans _la Vengeance
des Femmes_, d'Etienne Denise (1557):
_Nous avons vu tant de bons ménagers_
_Pour chopiner se mettre en grands dangers,_
_Vendre joyaux, mettre bagua en gage;_
_Eh bien! cela, c'est vivre de ménage._
«Tu m'appelles ivrogne? dira plus tard Tabarin. Y a-t-il homme qui vive
plus de ménage que moi?--Vraiment oui, répond Francisquine, _vous vivez
de ménage_: toute notre vaisselle est engagée! Maudite soit l'heure que
je vous vis jamais!»
Citons encore les _Contens et Mécontens sur le sujet du temps_ (1649):
«Je connoit un graveur qui, n'ayant du pain, est réduit à vendre tes
meubles pièce à pièce.--C'est le moyen de _vivre de minage_»,
répliquai-je.
Chevalier s'est souvenu de ce jeu de mots dans son _Intrigue des
Carrosses à cinq sols_, qui n'est que de quatre ans l'aînée du _Médecin
malgré lui_:
_Diable! quel ménager! On voit sur son visage_
_Qu'il vendra tout dans peu pour_ vivre de minage.
Voir enfin dans les _Nouveaux Contes pouf rire_ (Cologne, 1722, I, 72)
le chapitre intitulé: «Ce que c'est que _vivre de ménage_.»]
[Note 5: 12, 4. _Entre l'arbre et le doigt._ Sganarelle estropie
plaisamment le proverbe «entre l'écorce et le bois on ne doit mettre le
doigt», recueilli par Henri Estienne dans sa _Précellence du langage
françois_ (1579).]
[Note 6: 17, 20. _Quelque petit grain de folie mêlé à leur science_
«Nullum magnum ingenium sine mixtura dementiæ.» (Sénèque, _De la
tranquillité de l'âme_, d'après Aristote, _Problèmes_, XXX, I.) Diderot
en fait un proverbe sous la forme suivante: «Il n'y a point de grands
esprits sans un grain de folle (_le Neveu de Rameau_, édition de la
Bibliothèque Elzévirienne, 1891, p. 13.)]
[Note 7: 18, 15. _Fraise, habit jaune et vert_. Le costume complet
du fagotier est ainsi décrit dans l'inventaire dressé après la mort de
Molière: «Pourpoint, haut-de-chausses, col, ceinture, _fraise_ et bas de
laine et escarcelle, le tout de serge _jaune_, garni de padou _vert_.]
[Note 8: 19, 9. _Or potable_. Prétendue panacée universelle dont il
est déjà question du temps de Louis XI, sous le nom _d'aurum potabile_,
et dans laquelle il entrait du chlorure d'or, qui est soluble.]
[Note 9: --12. _Un jeune enfant de douze ans_. Lemazurier, qui,
l'année même où il fut nommé secrétaire-archiviste du Théâtre-Français,
publia sa _Récolte de l'Hermite_ (Paris, Chaumerot, 1813), y rappelle, à
la page 152, une légende que Molière a pu recueillir pendant ses séjours
dans le Midi: Un petit garçon, étant monté sur une des tours du palais
des Papes, à Avignon, pour dénicher des oiseaux, se laissa tomber du
haut en bas et fut mis en pièces. Sa mère ramassa les membres fracturés
de cet enfant, les mit dans un sac et les porta sur le tombeau du
cardinal Pierre de Luxembourg, mort en 1387 et enterré dans l'église des
Célestins. «Pendant qu'elle était en prières, on vit remuer le sac et
sortir l'enfant, qui d'abord demanda où était son nid d'oiseaux.»]
[Note 10: 19, 18. _Jouer à la fossette._ Sorte de jeu, aussi appelé
_bloquette_, auquel les enfants s'amusent arec des noyaux, des chiques
ou des billes.]
[Note 11: 20, 9. _La vache est à nous._ On trouve cette expression
dans _l'Amant indiscret_, de Quinault, imprimé en 1656.]
[Note 12: 24, 17. _Il y a fagots et fagots._ Sur cette expression,
de venue proverbiale, voir dans le Moliériste un ingénieux et spirituel
article de M. Éd. Thierry (1, p. 11 à 14), 1879.]
[Note 13: 25, 5. _Un double_, c'est-à-dire un double denier, ou la
sixième partie d'un sou.]
[Note 14: 26, 17. _Lantiponer_, mot populaire qui signifie
lanterner, tenir des discours frivoles, inutiles et interminables. V. à
la page 43, l. 2, le mot lantiponage.]

ACTE DEUXIEME.
[Note 15: 38, 4. _Un chapeau du plus pointus._ Ce n'était plus la
mode des chapeaux pointus. «Elle avait cessé, dit Le Noble (préface
d'_Ildegerte_), avec celle des grands romans, qui avaient longtemps fait
les délices de la cour.»]
[Note 16: --15. Hippocrate dit, _dans ton chapitre des chapeaux_.
Hippocrate est cité dans un livre publié à Lyon l'année même où Molière
séjournait dans cette ville (1655): _Tractatut de pileo, cæterisque
capitis tegminibus tam sacris quam profanis_, par Anselme Solerius.
On trouve le même genre de facétie dans les _Fanfares et courvées
abbadesques des Roule Bontemps_ (1613):
«Galien et Aristote, au livre des _Grosses et grasses_. Cicéron, au
livre V de sa _Divination_, section I, Du fromage a 24 sous la livre.»
Et encore, dans le _Nouveau Recueil de Farces françaises_ de Picot et
Nyrop, p. 191:
_Ces paroles, on trouvera_
_Au livre des tripes d'un veau._
_Capitula plein d'herbe verde._
Deux ans après le _Médecin_, l'Intimé dira dans _les Plaideurs_:
_De vi, paragrapho._ Messieurs, _Caponibus_.
]
[Note 17: 50, 6. _Deus sanctus_, etc. Ce galimatias est une citation
estropiée des _Rudimenta_ de Despautère.
V. aussi _la Soeur_, comédie de Rotrou, acte III, sc. V.]
[Note 18: 51, 25. _Nous avons changé tout cela_. Voir deux articles
du _Moliériste: l'Abbé de Monligny et Grosley_ (t. III, p. 205-307), et
_Foie à gauche, coeur à droite_ (t. V, p. 119-121), ainsi que les
_Mémoires de Guy-Joly_, Rotterdam, 1718 (t. I, p. 115-116).]

ACTE TROISIEME.
[Note 19: 61, 8. _Se plaindre du médecin qui l'a tué._ Imitation du
_Licencié Vidriera_, nouvelle de Cervantes signalée dès 1648 par Ch.
Sorel dans la deuxième partie de _Polyandre_, et dont Quinault a tiré
son _Docteur de verre_, troisième acte de la _Comédie sans comédie_
(1654, Théâtre du Marais).
Sc. II. Supprimée depuis plus d'un siècle à la Comédie-Française,
quoique fort plaisante. Je l'ai vu jouer à Toulouse il y a vingt-cinq
ans, et elle ne ralentissait nullement l'action principale.]
[Note 20: 63, 6. _Onguent miton mitaine_, qui ne fait ni bien ni
mal.]
[Note 21: 63, 7. _Vin amétile_. Sur le vin émétique, qui faisait
alors «bruire ses fuseaux», voir _Don Juan_ (acte III, sc. I).]
[Note 22: 66, 5. _Là où la chèvre est liée._ _L'Enterrement du
Dictionnaire de l'Académie_ (1697) prétend que ce proverbe «ne se dit
pas ainsi, car cela aurait peu de sens», mais qu'on dit qu'_où la chèvre
trouve à brouter, il faut qu'elle soit attachée_, c'est-à-dire
figurément qu'il faut s'arrêter et planter le piquet où l'on trouve à
vivre. (Deuxième partie, Remarqua critiques, p. 291.)]
[Note 23: 70, 18. _La partie brutale._ Molière ici s'emprunte à
lui-même:
_La partie brutale alors veut prendre empire_
_Dessus la sensitive..._
dit Gros René dans le _Dépit amoureux_ (acte IV, sc. II).]
[Note 24: 74, 9. _Deux drachmes de matrimonium en pilules._ Deux
gros de mariage en pilules, drogue inconnue au Codex.]
[Note 25: --17. _Remède spécifique_, souverain, qui guérit
constamment et par un mécanisme inconnu certaines maladies, comme le
quinquina les fièvres intermittentes. (Littré.)]
[Note 26: 76, 20. Vous savez des _rubriques_. Des finesses, des
tours, des ruses. C'est dans ce sens familier que Thomas Corneille a
dit, dans _l'Amour à la mode_ (1653):
_Vous y savez, Monsieur, d'admirables rubriques._
(Acte I, sc. III.)]
* * *
À PARIS
DES PRESSES DE D. JOUAUST
Rue de Lille, 7
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