Notes de Voltaire et de Condorcet sur les pensées de Pascal - 2

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Le vaisseau que montoit le chevalier de Lordat, étoit prêt à
couler à fond à la vue des côtes de France. Il ne savoit pas
nager; un soldat, excellent nageur, lui dit de se jeter avec lui
dans la mer, de le tenir par la jambe, et qu'il espère le sauver
par ce moyen. Après avoir long-temps nagé, les forces du soldat
s'épuisent; M. de Lordat s'en aperçoit, l'encourage; mais enfin
le soldat lui déclare qu'ils vont périr tous deux.--Et si tu
étois seul?--Peut-être pourrois-je encore me sauver. Le chevalier
de Lordat lui lâche la jambe, et tombe au fond de la mer. C.
Et comment l'histoire en a-t-elle pu parler, si on ne les a pas
sues? V.
(50) Pourquoi faire plutôt quatre espèces de vertus que dix?
On a remarqué, dans un Abrégé de l'Inde et de la guerre misérable
que l'avarice de la Compagnie française soutint contre l'avarice
anglaise; on a remarqué, dis-je, que les brames peignent la vertu
belle et forte avec dix bras, pour résister à dix péchés
capitaux. Les missionnaires ont pris la vertu pour le diable. V.
(51) _Tout le paragraphe XXXI._
Il est faux que les petits soient moins agités que les grands. Au
contraire, leurs désespoirs sont plus vifs, parce qu'ils ont
moins de ressources. De cent personnes qui se tuent à Londres et
ailleurs, il y en a quatre-vingt-dix-neuf du bas peuple, et à
peine une de condition relevée. La comparaison de la roue est
ingénieuse et fausse. V.
(52) _Tout le paragraphe XXXIII._
Il auroit fallu dire d'_être aussi vicieux que lui_[6]; cet
article est trop trivial, et indigne de Pascal. Il est clair que,
si un homme est plus grand que les autres, ce n'est pas parce que
ses pieds sont aussi bas, mais parce que sa tête est plus élevée.
V.
(53) _Paragraphe XLVII._
L'on s'imagine d'ordinaire qu'Alexandre et César sont sortis de
chez eux dans le dessein de conquérir la terre: ce n'est point
cela. Alexandre succéda à Philippe dans le généralat de la Grèce,
et fut chargé de la juste entreprise de venger les Grecs des
injures du roi de Perse; il battit l'ennemi commun, et continua
ses conquêtes jusqu'à l'Inde, parce que le royaume de Darius
s'étendoit jusqu'à l'Inde: de même que le duc de Marlborough
seroit venu jusqu'à Lyon sans le maréchal de Villars. A l'égard
de César, il étoit un des premiers de la république: il se
brouilla avec Pompée, comme les jansénistes avec les molinistes,
et alors ce fut à qui s'extermineroit: une seule bataille, où il
n'y eut pas dix mille hommes de tués, décida de tout. Au reste,
la pensée de Pascal est peut-être fausse en un sens. Il falloit
la maturité de César pour se démêler de tant d'intrigues; et il
est peut-être étonnant qu'Alexandre, à son âge, ait renoncé au
plaisir pour faire une guerre si pénible. V.
(54) En écrivant ma pensée, elle m'échappe quelquefois, etc.
Les idées de Platon sur la nature de l'homme sont bien plus
philosophiques que celles de Pascal. Platon regardoit l'homme
comme un être qui naît avec la faculté de recevoir des
sensations, d'avoir des idées, de sentir du plaisir et de la
douleur; les objets que le hasard lui présente, l'éducation, les
lois, le gouvernement, la religion, agissent sur lui, et forment
son intelligence, ses opinions, ses passions, ses vertus et ses
vices. Il ne seroit rien de ce que nous disons que la nature l'a
fait, si tout cela avoit été autrement. Soumettons-le à d'autres
agents, et il deviendra ce que nous voudrons qu'il soit, ce qu'il
faudroit qu'il fût pour son bonheur, et pour celui de ses
semblables; qui osera fixer des termes à ce que l'homme pourroit
faire de grand et de beau? Mais ne négligeons rien. C'est l'homme
tout entier qu'il faut former, et il ne faut abandonner au
hasard, ni aucun instant de sa vie, ni l'effet d'aucun des objets
qui peuvent agir sur lui[7]. V.
(55) Platon et Aristote.... étoient d'honnêtes gens qui rioient comme
les autres avec leurs amis.
Cette expression, _honnêtes gens_, a signifié, dans l'origine,
les hommes qui avoient de la probité. Du temps de Pascal, elle
signifioit les gens de bonne compagnie; et maintenant ceux qui
ont de la naissance ou de l'argent. C.
Non, monsieur, les honnêtes gens sont ceux à la tête desquels
vous êtes. V.
(56) Je mets en fait que, si tous les hommes savoient ce qu'ils
disent les uns des autres, il n'y auroit pas quatre amis dans le
monde.
Dans l'excellente comédie du _Plain dealer_, l'homme au franc
procédé (excellente à la manière angloise), le Plain dealer dit à
un personnage: Tu te prétends mon ami; voyons, comment le
prouverois-tu?--Ma bourse est à toi,--Et à la première fille
venue. Bagatelle.--Je me battrois pour toi.--Et pour un démenti;
ce n'est pas là un grand sacrifice.--Je dirai du bien de toi à la
face de ceux qui te donneront des ridicules.--Oh! si cela est, tu
m'aimes. V.
(57) A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus
d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence
entre les hommes.
Il y a très-peu d'hommes vraiment originaux; presque tous se
gouvernent, pensent et sentent par l'influence de la coutume et
de l'éducation. Rien n'est si rare qu'un esprit qui marche dans
une route nouvelle; mais parmi cette foule d'hommes qui vont de
compagnie, chacun a de petites différences dans la démarche, que
les vues fines aperçoivent. V.
(58) .... Ils ne savent pas que j'en juge par ma montre.
En ouvrage de goût, en musique, en poésie, en peinture, c'est le
goût qui tient lieu de montre; et celui qui n'en juge que par
règles, en juge mal. V.
(59) Il y en a qui masquent toute la nature. Il n'y a point de roi
parmi eux, mais un auguste monarque; point de Paris, mais une
capitale du royaume.
Ceux qui écrivent en beau françois les gazettes pour le profit
des propriétaires de ces fermes dans les pays étrangers, ne
manquent jamais de dire: «Cette auguste famille entendit vêpres
dimanche, et le sermon du révérend père N. Sa majesté joua aux
dés en haute personne. On fit l'opération de la fistule à son
éminence.» V.
(60) La dernière chose qu'on trouve en faisant un ouvrage, est de
savoir celle qu'il faut mettre la première.
Quelquefois. Mais jamais on n'a commencé ni une histoire, ni une
tragédie par la fin, ni aucun travail. Si on ne sait souvent par
où commencer, c'est dans un éloge, dans une oraison funèbre, dans
un sermon, dans tous ces ouvrages de pur appareil, où il faut
parler sans rien dire. V.
(61) Il est difficile de rien obtenir de l'homme que par le plaisir,
qui est la monnoie pour laquelle nous donnons tout ce qu'on veut.
Le plaisir n'est pas la monnoie, mais la denrée pour laquelle on
donne tant de monnoie qu'on veut. V.
(62) Il (Épictète) veut que l'homme soit humble.
Si Épictète a voulu que l'homme fût humble, vous ne deviez donc
pas dire que l'humilité n'a été recommandée que chez nous. V.
(63) Montaigne, né dans un état chrétien, fait profession de la
religion catholique.
On vient de faire un livre pour prouver que Montaigne étoit bon
chrétien. Selon nos zélés, tout grand homme des siècles passés
étoit croyant, tout grand homme vivant est incrédule. Leur
première loi est de chercher à nuire; l'intérêt de leur cause ne
marche qu'après. C.
(64) Les principales raisons des pyrrhoniens sont que nous n'avons
aucune certitude de la vérité des principes....
Les pyrrhoniens absolus ne méritoient pas que Pascal parlât
d'eux. V.
(65) N'y ayant point de certitude hors la foi, si l'homme est créé
par un Dieu bon, ou par un démon méchant....
La foi est une grâce surnaturelle. C'est combattre et vaincre la
raison que Dieu nous a donnée, c'est croire fermement et
aveuglément un homme qui ose parler au nom de Dieu, au lieu de
recourir soi-même à Dieu. C'est croire ce qu'on ne croit pas. Un
philosophe étranger, qui entendit parler de la foi, dit que
c'était se mentir à soi-même. Ce n'est pas là de la certitude;
c'est de l'anéantissement. C'est le triomphe de la théologie sur
la faiblesse humaine. V.
(66) La raison démontre qu'il n'y a point deux nombres carrés dont
l'un soit double de l'autre.
Ce n'est point le raisonnement, c'est l'expérience et le
tâtonnement qui démontrent cette singularité et tant d'autres. V.
(67) Tous se plaignent, princes, sujets, etc.
Je sais qu'il est doux de se plaindre; que, de tout temps, on a
vanté le passé pour injurier le présent; que chaque peuple a
imaginé un âge d'or, d'innocence, de bonne santé, de repos et de
plaisir, qui ne subsiste plus. Cependant j'arrive de ma province
à Paris; on m'introduit dans une très-belle salle où douze cents
personnes écoutent une musique délicieuse: après quoi toute cette
assemblée se divise en petites sociétés qui vont faire un
très-bon souper, et après ce souper elles ne sont pas absolument
mécontentes de la nuit. Je vois tous les beaux-arts en honneur
dans cette ville, et les métiers les plus abjects bien
récompensés, les infirmités très-soulagées, les accidents
prévenus; tout le monde y jouit ou espère jouir, ou travaille
pour jouir un jour, et ce dernier partage n'est pas le plus
mauvais. Je dis alors à Pascal: Mon grand homme, êtes-vous fou?
Je ne nie pas que la terre n'ait été souvent inondée de malheurs
et de crimes, et nous en avons eu notre bonne part. Mais
certainement, lorsque Pascal écrivoit, nous n'étions pas si à
plaindre. Nous ne sommes pas non plus si misérables aujourd'hui.
Prenons toujours ceci, puisque Dieu nous l'envoie;
Nous n'aurons pas toujours tels passe-temps. V.
(68) Qu'y a-t-il de plus ridicule et de plus vain que ce que
proposent les stoïciens?
La morale des stoïciens étoit fondée sur la nature même,
quoiqu'elle semble toujours la combattre. Ces philosophes avoient
observé que les passions violentes, l'enthousiasme, la folie
même, non-seulement donnent à l'homme la force de supporter la
douleur, mais l'y rendoient souvent insensible; et comme il est
une foule de douleurs que notre prudence et nos lumières ne
peuvent ni prévenir, ni soulager; comme la crainte de la douleur
est l'instrument avec lequel les tyrans dégradent l'homme et le
rendent misérable, les stoïciens jugèrent, avec raison, que l'on
ne pourroit opposer aux maux où nous a soumis la nature un remède
à la fois plus utile et plus sûr que d'exciter dans notre âme un
enthousiasme durable, qui, s'augmentant en même temps que la
douleur, par nos efforts, pour nous roidir contre elle, nous y
rendît presque insensibles; cet enthousiasme avoit contre la
douleur la même force que le délire, et cependant laissoit à
l'âme le libre usage dt toutes ses facultés. Ainsi le stoïcien
dit: La douleur n'est point un mal, et il cessa presque de la
sentir. Le même remède s'applique encore, avec plus de succès,
aux maux de l'âme, plus cruels que ceux du corps. Celle du sage
s'élève si haut, que les opprobres, les injustices, ne peuvent y
atteindre. L'amour de l'ordre, porté jusqu'à l'enthousiasme, fut
sa seule passion, et la rendit inaccessible à toute autre. Le
bonheur du stoïcien consistoit dans le sentiment de la force et
de la grandeur de son âme; la foiblesse et le crime étoient donc
les seuls maux qui pussent le troubler, et, occupé de se
rapprocher des dieux, en faisant du bien aux hommes, il savoit
mourir quand il ne lui en restoit plus à faire.
Si donc on peut regarder comme des enthousiastes les sectateurs
de cette morale, on ne peut se dispenser de reconnoître dans son
inventeur un génie profond et une âme sublime. C.
Il est vrai que c'est le sublime des Petites-Maisons; mais il est
bien respectable. V.
(69) Ce désir (de la vérité et du bonheur) nous est laissé, tant pour
nous punir que pour nous faire sentir d'où nous sommes tombés.
Comment peut-on dire que le désir du bonheur, ce grand présent de
Dieu, ce premier ressort du monde moral, n'est qu'un juste
supplice? O éloquence fanatique! V.
(70) Quelle chimère est-ce donc que l'homme?
Vrai discours de malade. V.
(71) Que ceux qui combattent la religion[8] apprennent au moins
quelle elle est avant que de la combattre. Si cette religion se
vantoit d'avoir une vue claire de Dieu, et de le posséder à découvert
et sans voile[9], ce seroit la combattre que de dire qu'on ne voit
rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais
puisqu'elle dit, au contraire, que les hommes sont dans les
ténèbres[10] et dans l'éloignement de Dieu....
(72) Toutes nos actions et toutes nos pensées doivent prendre des
routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à
espérer, ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens
et jugement, qu'en la réglant par la vue de ce point, qui doit être
notre premier objet.
Il ne s'agit pas encore ici de la sublimité et de la sainteté de
la religion chrétienne, mais de l'immortalité de l'âme, qui est
le fondement de toutes les religions connues, excepté de la
juive; je dis excepté de la juive, parce que ce dogme n'est
exprimé dans aucun endroit du Pentateuque, qui est le livre de la
loi juive; parce que nul auteur juif n'a pu y trouver aucun
passage qui désignât ce dogme; parce que, pour établir
l'existence reconnue de cette opinion si importante, si
fondamentale, il ne suffit pas de la supposer, de l'inférer de
quelques mots dont on force le sens naturel: mais il faut qu'elle
soit énoncée de la façon la plus positive et la plus claire;
parce que, si la petite nation juive avoit eu quelque
connoissance de ce grand dogme avant Antiochus Épiphane, il n'est
pas à croire que la secte des Sadducéens, rigides observateurs de
la loi, eût osé s'élever contre la croyance fondamentale de la
loi juive.
Mais qu'importe en quel temps la doctrine de l'immortalité et de
la spiritualité de l'âme a été introduite dans le malheureux pays
de la Palestine? Qu'importe que Zoroastre aux Perses, Numa aux
Romains, Platon aux Grecs, aient enseigné l'existence et la
permanence de l'âme? Pascal veut que tout homme, par sa propre
raison, résolve ce grand problème. Mais lui-même le peut-il?
Locke, le sage Locke, n'a-t-il pas confessé que l'homme ne peut
savoir si Dieu ne peut accorder le don de la pensée à tel être
qu'il daignera choisir? N'a-t-il pas avoué par là qu'il ne nous
est pas plus donné de connoître la nature de notre entendement
que de connoître la manière dont notre sang se forme dans nos
veines? Jescher a parlé; il suffit.
Quand il est question de l'âme, il faut combattre Épicure,
Lucrèce, Pomponace, et ne pas se laisser subjuguer par une
faction de théologiens du faubourg Saint-Jacques, jusqu'à couvrir
d'un capuce une tête d'Archimède. V.
(73) La mort nous doit mettre dans un état éternel de bonheur ou de
malheur, ou d'anéantissement.
Il n'y eut ni malheur éternel, ni anéantissement dans les
systèmes des Bracmanes, des Egyptiens, et chez plusieurs sectes
grecques. Enfin ce qui parut aux Romains de plus vraisemblable,
ce fut cet axiome tant répété dans le sénat et sur le théâtre:
«Que devient l'homme après la mort? Ce qu'il étoit avant de
naître.» Pascal raisonne ici contre un mauvais Chrétien, contre
un Chrétien indifférent qui ne pense point à sa religion, qui
s'étourdit sur elle. Mais il faut parler à tous les hommes, il
faut convaincre un Chinois et un Mexicain, un déiste et un athée.
J'entends des déistes et des athées qui raisonnent, et qui par
conséquent méritent qu'on raisonne avec eux; je n'entends pas des
petits-maîtres. V.
(74) Comme je ne sais d'où je viens, aussi ne sais-je ou je vais; je
sais seulement qu'en sortant de ce monde, je tombe pour jamais, ou
dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, sans savoir à
laquelle des deux conditions je dois être éternellement en partage.
Si vous ne savez où vous allez, comment savez-vous que vous
tombez infailliblement ou dans le néant, ou dans les mains d'un
Dieu irrité? Qui vous a dit que l'Etre suprême peut être irrité?
N'est-il pas infiniment plus probable que vous serez entre les
mains d'un Dieu bon et miséricordieux? Et ne peut-on pas dire de
la nature divine ce que le poète philosophe des Romains en a dit.
V.
_Ipsa suis pollens opibus, nihil indiga nostrî,
Nec benè promeritis capitur, neque tangitur ira._
LUCR. lib. 2, v. 649.
(75) Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné,
n'ayant plus qu'une heure pour l'apprendre.... il est contre la
nature qu'il emploie cette heure-là, non à s'informer si cet arrêt
est donné, mais à jouer et à se divertir.
Il semble qu'il manque quelque chose à ce raisonnement de Pascal.
Sans doute il est absurde de ne pas employer son temps à la
recherche d'une chose qu'on peut connoître, et dont la
connoissance nous est d'une importance infinie. Mais un homme qui
seroit persuadé que cette connoissance est impossible à acquérir,
que l'esprit humain n'a aucun moyen d'y parvenir, peut, sans
folie, demeurer dans le doute; il peut y demeurer tranquille,
s'il croit qu'un Dieu juste n'a pu faire dépendre l'état futur
des hommes de connoissances auxquelles leur esprit ne sauroit
atteindre.
Un homme, enfermé dans un cachot, ne sachant pas si son arrêt est
donné, mais sûr de son innocence, et comptant sur l'équité de ses
juges, n'ayant aucun moyen d'apprendre encore ce que porte son
arrêt, pourroit l'attendre tranquillement, et ne seroit alors que
raisonnable et ferme. Il faut donc commencer par prouver qu'il
n'est pas impossible que l'homme parvienne à quelque connoissance
certaine sur la vie future. C.
(76) Ce sont des personnes qui ont ouï dire que les belles manières
du monde consistent à faire ainsi l'emporté.
Cette capucinade n'auroit jamais été répétée par un Pascal, si le
fanatisme janséniste n'avoit pas ensorcelé son imagination.
Comment n'a-t-il pas vu que les fanatiques de Rome en pouvoient
dire autant à ceux qui se moquoient de Numa et d'Égérie? les
énergumènes d'Égypte aux esprits sensés qui rioient d'Isis,
d'Osiris et d'Horus? le sacristain de tous les pays aux honnêtes
gens de tous les pays? V.
(77) Si on leur fait rendre compte des raisons qu'ils ont de douter
de la religion, ils diront des choses si foibles et si basses, qu'ils
persuaderont plutôt du contraire.
Ce n'est donc pas contre ces insensés méprisables que vous devez
disputer; mais contre des philosophes trompés par des arguments
séduisants. V.
(78) Qu'ils soient au moins honnêtes gens, s'ils ne peuvent encore
être chrétiens.
Il s'agit ici de savoir si l'opinion de l'immortalité de l'âme
est vraie, et non pas si elle annonce plus d'_esprit_, _une âme
plus élevée_ que l'opinion contraire; si elle est plus _gaie_, ou
_de meilleur air_. Il faut croire cette grande vérité, parce
qu'elle est prouvée, et non parce que cette croyance excitera les
autres hommes à avoir en nous plus de confiance. Cette manière de
raisonner ne seroit propre qu'à faire des hypocrites. D'ailleurs
il me semble que c'est moins d'après les opinions d'un homme sur
la métaphysique, ou la morale, qu'il faut se confier en lui, ou
s'en défier, que d'après son caractère; et, s'il est permis de
s'exprimer ainsi, d'après sa constitution morale. L'expérience
paroît confirmer ce que j'avance ici. Ni Constantin, ni Théodose,
ni Mahomet, ni Innocent III, ni Marie d'Angleterre, ni Philippe
II, ni Aureng-zeb, ni Jacques Clément, ni Ravaillac, ni Balthazar
Gérard, ni les brigands qui dévastèrent l'Amérique, ni les
capucins qui conduisoient les troupes piémontoises au dernier
massacre des Vaudois, n'ont jamais élevé le moindre doute sur
l'immortalité de l'âme. En général même, ce sont les hommes
foibles, ignorants et passionnés, qui commettent des crimes: et
ces mêmes hommes sont naturellement portés à la superstition. C.
(79) Par les lumières naturelles..... nous sommes incapables de
connoître, ni ce qu'il est, ni s'il est.
Il est étrange que Pascal ait cru qu'on pouvoit deviner le péché
originel par la raison, et qu'il dise qu'on ne peut connoître par
la raison si Dieu est. C'est apparemment la lecture de cette
pensée qui engagea le père Hardouin à mettre Pascal dans sa liste
ridicule des athées. Pascal eût manifestement rejeté cette idée,
puisqu'il la combat en d'autres endroits. En effet, nous sommes
obligés d'admettre des choses que nous ne concevons pas.
«J'existe, donc quelque chose existe de toute éternité,» est une
proposition évidente: cependant, comprenons-nous l'éternité? C.
(80) Je n'entreprendrai pas ici de prouver par des raisons
naturelles, ou l'existence de Dieu, ou la Trinité..... parce que je
ne me sentirois pas assez fort....
Encore une fois, est-il possible que ce soit Pascal qui ne se
sente pas assez fort pour prouver l'existence de Dieu! V.[11]
(81) C'est une chose admirable que jamais auteur canonique n'a dit:
Il n'y a point de vide, donc il y a un Dieu.
Voilà un plaisant argument: Jamais la Bible n'a dit comme
Descartes: Tout est plein, donc il y a un Dieu. V.
(82) Ne parier point que Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas.
Il est évidemment faut de dire: Ne point parier que Dieu est,
c'est parier qu'il n'est pas; car celui qui doute et demande à
s'éclaircir, ne parie assurément ni pour, ni contre. D'ailleurs
cet article paroît un peu indécent et puéril: cette idée de jeu,
de perte et de gain, ne convient point à la gravité du sujet. De
plus, l'intérêt que j'ai à croire une chose n'est pas une preuve
de l'existence de cette chose. Vous me promettez l'empire du
monde, si je crois que vous avez raison. Je souhaite alors de
tout mon cœur que vous ayez raison; mais, jusqu'à ce que vous me
l'ayez prouvé, je ne puis vous croire. Commencez, pourroit-on
dire à Pascal, par convaincre ma raison: j'ai intérêt, sans
doute, qu'il y ait un Dieu; mais si dans votre système, Dieu
n'est venu que pour si peu de personnes, si le petit nombre des
élus est si effrayant, si je ne puis rien du tout par moi-même,
dites-moi, je vous prie, quel intérêt j'ai à vous croire. N'ai-je
pas un intérêt visible à être persuadé du contraire? De quel
front osez-vous me montrer un bonheur infini, auquel, d'un
million d'hommes, un seul à peine a droit d'aspirer! Si vous
voulez me convaincre, prenez-vous-y d'une autre façon, et n'allez
pas tantôt me parler de jeux de hasard, de pari, de croix et de
pile, et tantôt m'effrayer par les épines que vous semez sur le
chemin que je veux et que je dois suivre. Votre raisonnement ne
serviroit qu'à faire des athées, si la voix de toute la nature ne
nous crioit qu'il y a un Dieu avec autant de force que ces
subtilités ont de foiblesse. V.
(83) Combien y a-t-il peu de choses démontrées! Les preuves ne
convainquent que l'esprit. La coutume fait nos preuves les plus
fortes.
Coutume n'est pas ici le mot propre. Ce n'est pas par coutume
qu'on croit qu'il fera jour demain. C'est par une extrême
probabilité. Ce n'est point par les sens, par le corps, que nous
nous attendons à mourir; mais notre raison, sachant que tous les
hommes sont morts, nous convainc que nous mourrons aussi.
L'éducation, la coutume fait sans doute des musulmans et des
chrétiens, comme le dit Pascal. Mais la coutume ne fait pas
croire que nous mourrons, comme elle nous fait croire à Mahomet
ou à Paul, selon que nous avons été élevés à Constantinople ou à
Rome. Ce sont choses fort différentes. V.
(84) Nulle autre religion n'a jamais demandé à Dieu de l'aimer et de
le suivre.
Épictète esclave, et Marc-Aurèle empereur, parlent
continuellement d'aimer Dieu et de le suivre. V.
(85) Dieu étant caché, toute religion qui ne dit pas que Dieu est
caché, n'est pas la véritable.
Pourquoi vouloir toujours que Dieu soit caché? On aimeroit mieux
qu'il fût manifeste. V.
(86) Il est impossible d'envisager toutes les preuves de la religion
chrétienne, etc. _Tout cet alinéa et le suivant._
Heureusement il fut dans les décrets de la divine Providence que
Dioclétien protégeât notre sainte religion pendant dix-huit
années avant la persécution commencée par Galerius, et qu'ensuite
Constancius-le-Pâle, et enfin Constantin, la missent sur le
trône. V.
(87) Ils (les philosophes païens) n'ont jamais reconnu pour vertu ce
que les chrétiens appellent humilité.
Platon la recommande, Épictète encore davantage. V.
(88) Que l'on considère cette suite merveilleuse de prophètes qui se
sont succédés les uns aux autres pendant deux mille ans, etc.
Mais que l'on considère aussi cette suite ridicule de prétendus
prophètes, qui tous annoncent le contraire de Jésus-Christ, selon
ces Juifs, qui seuls entendent la langue de ces prophètes. V.
(89) Enfin, que l'on considère la sainteté de cette religion, sa
doctrine, qui rend raison de tout, jusqu'aux contrariétés qui se
rencontrent dans l'homme....., et qu'on juge, après tout cela, s'il
est possible de douter que la religion chrétienne soit la seule
véritable, et si jamais aucune autre a rien eu qui en approchât.
Lecteurs sages, remarquez que ce coryphée des jansénistes n'a
dit, dans tout ce livre sur la religion chrétienne, que ce qu'ont
dit les jésuites. Il l'a dit seulement avec une éloquence plus
serrée et plus mâle. Port-royalistes et Ignatiens, tous ont
prêché les mêmes dogmes: tous ont crié, croyez aux livres juifs
dictés par Dieu même, et détestez le judaïsme. Chantez les
prières juives que vous n'entendez point, et croyez que le peuple
de Dieu a condamné votre Dieu à mourir à une potence. Croyez que
votre Dieu juif, la seconde personne de Dieu, co-éternel avec
Dieu le père, est né d'une vierge juive, a été engendré par une
troisième personne de Dieu, et qu'il a eu cependant des frères
juifs qui n'étoient que des hommes. Croyez, qu'étant mort par le
supplice le plus infâme, il a par ce supplice même ôté de dessus
la terre tout péché et tout mal, quoique depuis lui et en son nom
la terre ait été inondée de plus de crimes et de malheurs que
jamais.
Les fanatiques de Port-Royal et les fanatiques jésuites se sont
réunis pour prêcher ces dogmes étranges avec le même
enthousiasme; et en même temps ils se sont fait une guerre
mortelle; ils se sont mutuellement anathématisés avec fureur,
jusqu'à ce qu'une de ces deux factions de possédés ait enfin
détruit l'autre.
Souvenez-vous, sages lecteurs, des temps mille fois plus
horribles de ces énergumènes, nommés _papistes_ et _calvinistes_,
qui prêchoient le fond des mêmes dogmes, et qui se poursuivirent
par le fer, par la flamme et par le poison pendant deux cents
années, pour quelques mots différemment interprétés. Songez que
ce fut en allant à la messe que l'on commit les massacres
d'Irlande et de la Saint-Barthélemi; que ce fut après la messe,
et pour la messe, qu'on égorgea tant d'innocents, tant de mères,
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