Eureka - 2

Общее количество слов 4401
Общее количество уникальных слов составляет 1411
32.0 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
42.8 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
47.3 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов
quand ils suivaient, avec une confiance aveugle, la route _à priori_
des axiomes, celle du Bélier. En des points innombrables, cette route
n'était guère plus droite qu'une corne de bélier. La vérité pure est
que les Aristotéliens élevaient leurs châteaux sur une base aussi peu
solide que l'air; _car ces choses qu'on appelle axiomes n'ont jamais
existé et ne peuvent pas exister._ Il faut qu'ils aient été bien
aveugles pour ne pas voir cela, ou du moins pour ne pas le soupçonner;
car, même de leur temps, plusieurs de leurs axiomes de vieille date
avaient été abandonnés: _Ex nihilo nihil fit,_ par exemple, et: _Un
être ne peut pas agir là où il n'est pas,_ et: _Il ne peut pas exister
d'antipodes,_ et: _Les ténèbres ne peuvent pas venir de la lumière._
Ces propositions et autres semblables, primitivement acceptées comme
axiomes, ou vérités incontestables, étaient, même à l'époque dont je
parle, considérées comme absolument insoutenables; combien ces gens
étaient donc absurdes de vouloir toujours s'appuyer sur une base, dite
immuable, dont l'instabilité s'était si fréquemment manifestée!
«Mais, même par le témoignage qu'ils apportent contre eux-mêmes, il est
aisé de convaincre ces raisonneurs _à priori_ de l'énorme déraison,--il
est aisé de leur montrer la futilité, l'impalpabilité générale de leurs
axiomes. J'ai maintenant sous les yeux», observez que c'est toujours la
lettre qui parle, «j'ai maintenant sous les yeux un livre imprimé il y
a environ mille ans. Pundit m'assure que c'est positivement le meilleur
des ouvrages anciens traitant de la matière, qui est la Logique.
L'auteur, qui fut très-estimé dans son temps, était un certain Miller
ou Mill; et l'histoire nous apprend, comme chose digne de mémoire,
qu'il montait habituellement un cheval de manège auquel il donnait le
nom de Jérémie Bentham;--mais jetons un coup d'œil sur le livre.
«Ah! voilà: _La faculté de comprendre ou l'impossibilité de
comprendre,_ dit fort judicieusement M. Mill, _ne peut, dans aucun cas,
être considérée comme un critérium de Vérité axiomatique._ Or, que
ceci soit une vérité banale, aucun homme, jouissant de son bon sens,
ne sera tenté de le nier. Ne pas admettre la proposition équivaudrait
à porter une accusation d'inconstance contre la Vérité elle-même, dont
le nom seul est synonyme d'immutabilité. Si l'aptitude à comprendre
était prise pour critérium de la Vérité, ce qui est vérité pour
_David_ Hume serait très-rarement vérité pour _Joe;_ et sur la terre
il serait facile de démontrer la fausseté des quatre-vingt-dix-neuf
centièmes de ce qui est certitude dans le ciel. La proposition de M.
Mill est donc appuyée. Je n'accorde pas que ce soit un axiome, et
cela simplement parce que je suis en train de montrer qu'il n'existe
pas d'axiomes; mais, usant d'une distinction subtile qui ne pourrait
pas être contestée par M. Mill lui-même, je suis prêt à reconnaître
que, si jamais axiome exista, la proposition que je cite a tous les
droits d'être considérée comme telle,--qu'il n'y a pas d'axiome _plus
absolu,_--et, conséquemment, que toute proposition ultérieure qui
entrera en conflit avec celle-là, primitivement émise, doit être
une fausseté, c'est-à-dire le contraire d'un axiome, ou, s'il faut
l'admettre comme axiomatique, devra du même coup s'annihiler elle-même
et détruire sa devancière.
«Et maintenant, par la logique même de l'auteur de la proposition,
cherchons à vérifier n'importe quel axiome proposé. Faisons beau jeu à
M. Mill. Nous dédaignons un résultat trop facile et trop vulgaire. Nous
ne choisirons pas pour notre vérification un axiome banal, un axiome de
cette classe qu'il définit, avec une autorité et un sans-gêne absurdes,
classe secondaire d'axiomes, comme si une vérité définie positive
pouvait être diminuée et devenir, à volonté, plus ou moins positive;
nous ne choisirons pas, dis-je, un axiome d'une certitude passablement
contestable, comme on en peut trouver dans Euclide. Nous ne parlerons
pas, par exemple, de propositions comme celle-ci: Deux lignes droites
ne peuvent pas limiter un espace,--ou celle-ci: Le tout est plus grand
qu'une de ses parties quelconques. Nous donnerons à notre logicien tous
les avantages. Nous irons tout droit à une proposition qu'il regarde
comme l'apogée de la certitude, comme la quintessence de l'irrécusable
axiomatique. La voici: «Deux contradictoires ne peuvent être vraies à
la fois, c'est-à-dire ne peuvent coexister dans la nature.»--M. Mill
veut dire ici, pour prendre un exemple,--et je choisis l'exemple le
plus vigoureux et le plus intelligible,--qu'un arbre doit être un arbre
ou ne pas l'être; qu'il ne peut pas, en même temps, être un arbre et
ne pas l'être;--cela est parfaitement raisonnable en soi et remplit
fort bien les conditions d'un axiome, tant que nous ne le confronterons
pas avec l'axiome proclamé antérieurement; en d'autres termes, termes
dont nous nous sommes déjà servis, tant que nous ne le vérifierons
pas par la logique même de l'auteur de la proposition. Il faut qu'un
arbre, affirme M. Mill, soit ou ne soit pas un arbre. Fort bien; et
maintenant qu'il me soit permis de lui demander _pourquoi._ A cette
petite question il n'a qu'une réponse à faire; je défie tout homme
vivant d'en inventer une autre. Cette seule réponse possible, c'est:
Parce que nous sentons qu'il est _impossible de comprendre_ qu'un arbre
puisse être autre chose qu'un arbre ou un non-arbre. Voilà donc, je le
répète, la seule réponse de M. Mill; il ne prétendra pas en inventer
une autre; et cependant, d'après sa propre démonstration, sa réponse
évidemment n'est pas une réponse; car ne nous a-t-il pas déjà sommés
d'admettre, comme un axiome, que _la possibilité ou l'impossibilité
de comprendre ne doit, en aucun cas, être considérée comme critérium
de vérité axiomatique?_ Ainsi son argumentation tout entière fait
naufrage. Qu'on ne prétende pas qu'une exception à la règle générale
puisse avoir lieu dans des cas où _l'impossibilité de comprendre_ est
aussi manifeste qu'en celui-ci, où nous sommes invités à concevoir un
arbre qui soit et ne soit pas un arbre. Qu'on n'essaye pas, dis-je,
d'avancer une pareille stupidité; car, d'abord, il n'y a pas de degrés
dans l'impossibilité, et une conception impossible ne peut pas être
plus particulièrement impossible que toute autre conception impossible;
ensuite, M. Mill lui-même, sans doute après mûre délibération, a,
très-distinctement et très-rationnellement, exclu toute opportunité
d'exception par l'énergie de sa proposition, à savoir que, _dans aucun
cas,_ la possibilité ou l'impossibilité de comprendre ne doit être
prise comme critérium de vérité axiomatique; troisièmement, même en
supposant quelques exceptions admissibles, il resterait à montrer
comment ce peut être _ici_ le cas d'en admettre une. Qu'un arbre puisse
être et n'être pas un arbre, c'est là une idée que les anges ou les
démons pourraient peut-être concevoir; mais sur la terre il n'y a que
les habitants de Bedlam ou les transcendantalistes qui réussissent à la
comprendre.
«Or, si je cherche querelle à ces anciens,--continue l'auteur de
la lettre,--ce n'est pas tant à cause de l'inconsistance et de la
frivolité de leur logique, qui, pour parler net, était sans fondement,
sans valeur et absolument fantastique, qu'à cause de cette tyrannique
et orgueilleuse interdiction de toutes les routes qui peuvent conduire
à la Vérité, toutes, excepté les deux étroites et tortues, celle où
il faut se traîner et celle où il faut ramper, dans lesquelles leur
ignorante perversité avait osé confiner l'Ame,--l'Ame qui n'aime rien
tant que planer dans ces régions de l'illimitable intuition où ce qu'on
appelle une _route_ est chose absolument, inconnue.
«Par parenthèse, mon cher ami, ne voyez-vous pas une preuve de la
servitude spirituelle imposée à ces pauvres fanatiques par leurs Hogs
et leurs Rams[3], dans ce fait qu'aucun d'eux n'a jamais,--en dépit de
l'éternel radotage de leurs savants sur les routes qui conduisent à la
Vérité,--découvert, même par accident, ce qui nous apparaît maintenant
comme la plus large, la plus droite et la plus commode de toutes
les _routes,_ la grande avenue, la majestueuse route royale de la
_Consistance?_ N'est-il pas surprenant qu'ils n'aient pas su tirer des
ouvrages de Dieu cette considération d'une importance vitale, qu'une
_parfaite consistance ne peut être qu'une vérité absolue?_ Combien,
depuis l'avènement de cette proposition, notre progrès fut facile,
combien il fut rapide! Grâce à elle, la fonction de la recherche a été
arrachée à ces taupes, et confiée, comme un devoir plutôt que comme une
tâche, aux vrais, aux seuls vrais penseurs, aux hommes d'une éducation
générale et d'une imagination ardente. Ces derniers, nos Kepler et
nos Laplace, s'adonnent à la spéculation et à fa théorie; c'est le
mot; vous imaginez-vous avec quelle risée ce mot serait accueilli
par nos ancêtres s'ils pouvaient, par-dessus mon épaule, regarder ce
que j'écris? Les Kepler, je le répète, pensent spéculativement et
théoriquement; et leurs théories sont simplement corrigées, tamisées,
clarifiées, débarrassées peu à peu de toutes les pailles et matières
étrangères qui nuisent à leur cohésion, jusqu'à ce qu'enfin apparaisse,
dans sa solidité et sa pureté, la parfaite _consistance,_ consistance
que les plus stupides sont forcés d'admettre, parce qu'elle est la
consistance, c'est-à-dire une absolue et incontestable _vérité._
«J'ai souvent pensé, mon ami, que c'eût été chose bien embarrassante
pour ces dogmatiseurs des siècles passés de déterminer par laquelle
de leurs deux fameuses routes le cryptographe arrive à la solution
des chiffres les plus compliqués, ou par laquelle Champollion a
conduit l'humanité vers ces importantes et innombrables vérités qui
sont restées enfouies pendant tant de siècles dans les hiéroglyphes
phonétiques de l'Égypte. Ces fanatiques n'auraient-ils pas eu surtout
quelque peine à déterminer par laquelle de leurs deux routes avait
été atteinte la plus importante et la plus sublime de toutes leurs
vérités, c'est-à-dire le fait de la gravitation? Cette vérité, Newton
l'avait tirée des lois de Kepler. Ces lois dont l'étude découvrit au
plus grand des astronomes anglais ce principe qui est la base de tout
principe physique actuellement existant, et au delà duquel nous entrons
tout de suite dans le royaume ténébreux de la métaphysique, Kepler
reconnaissait qu'il les avait _devinées._ Oui! ces lois vitales, Kepler
les a _devinées;_ disons même qu'il les a _imaginées._ S'il avait été
prié d'indiquer par quelle voie, d'induction ou de déduction, il était
parvenu à cette découverte, il aurait pu répondre: «Je ne sais rien de
vos routes, mais je connais la machine de l'Univers. Telle elle est. Je
m'en suis emparé avec _mon âme;_ je l'ai obtenue par la simple force
de _l'intuition._ Hélas! pauvre vieil ignorant! Quelque métaphysicien
lui aurait peut-être répondu que ce qu'il appelait intuition n'était
que la certitude résultant de déductions ou d'inductions dont le
développement avait été assez obscur pour échapper à sa conscience,
pour se soustraire aux yeux de sa raison ou pour défier sa puissance
d'expression. Quel malheur que quelque professeur de philosophie ne
l'ait pas éclairé sur toutes ces choses! Comme cela l'eût réconforté
sur son lit de mort, d'apprendre que, loin d'avoir marché intuitivement
et scandaleusement, il avait, en réalité, cheminé suivant la méthode
honnête et légitime, c'est-à-dire à la manière du Hog, ou au moins
à la manière du Ram, vers le mystérieux palais où gisent, confinés,
étincelants dans l'ombre, non gardés, purs encore de tout regard
mortel, vierges de tout attouchement humain, les impérissables et
inappréciables secrets de l'Univers!
«Oui, Kepler était essentiellement théoricien; mais ce titre,
qui comporte aujourd'hui quelque chose de sacré, était dans ces
temps anciens une épithète d'un suprême mépris. C'est aujourd'hui
seulement que les hommes commencent à apprécier le vieux homme divin,
à sympathiser avec l'inspiration poétique et prophétique de ses
indestructibles paroles. Pour ma part,--continue le correspondant
inconnu,--il me suffit d'y penser pour que je brûle d'un feu sacré,
et je sens que je ne serai jamais fatigué de les entendre répéter;
en terminant cette lettre, permettez-moi de jouir du plaisir de les
transcrire une fois encore:
«_Il m'importe peu que mon ouvrage soit lu maintenant ou par la
postérité. Je puis bien attendre un siècle pour trouver quelques
lecteurs, puisque Dieu lui-même a attendu un observateur six mille
ans. Je triomphe! J'ai volé le secret d'or des Égyptiens! Je veux
m'abandonner à mon ivresse sacrée!_»
Je termine ici mes citations de cette épître si étrange et même
passablement impertinente; peut-être y aurait-il folie à commenter
d'une façon quelconque les imaginations chimériques, pour ne pas dire
révolutionnaires, de son auteur, quel qu'il puisse être,--imaginations
qui contredisent si radicalement les opinions les plus considérées
et les mieux établies de ce siècle. Retournons donc à notre thèse
légitime: l'_Univers._

[Footnote 1: Cant.]
[Footnote 2: Pourceau.]
[Footnote 3: Aries, Ram, bélier.]

III

Cette thèse admet deux modes de discussion entre lesquels nous avons
à choisir. Nous pouvons monter ou descendre. Prenant pour point de
départ notre point de vue, c'est-à-dire la Terre où nous sommes,
nous pouvons de là nous diriger vers les autres planètes de notre
système, de là vers le Soleil, de là vers notre système considéré
collectivement; de là enfin nous pouvons nous élancer vers d'autres
systèmes, indéfiniment et de plus en plus au large. Ou bien, commençant
par un point distant, aussi défini que nous le pouvons concevoir,
nous descendrons graduellement vers l'habitation de l'Homme. Dans les
essais ordinaires sur l'Astronomie, la première de ces méthodes est,
sauf quelques réserves, généralement adoptée, et cela pour cette raison
évidente que les faits et les causes astronomiques étant l'unique but
de ces recherches, ce but est infiniment plus facile à atteindre en
s'avançant graduellement du connu, qui est auprès de nous, vers le
point où toute certitude se perd dans l'éloignement. Toutefois, pour
mon dessein actuel, qui est de donnera l'esprit le moyen de saisir,
comme de loin et d'un seul coup d'œil, une conception de l'Univers
considéré comme _individu,_ il est clair que descendre du grand vers
le petit, du centre, si nous pouvons établir un centre, vers les
extrémités, du commencement, si nous pouvons concevoir un commencement,
vers la fin, serait la marche préférable, si ce n'était la difficulté,
pour ne pas dire l'impossibilité, de présenter ainsi aux personnes qui
ne sont pas astronomes un tableau intelligible relativement à tout ce
qui est impliqué dans l'idée _quantité,_ c'est-à-dire relativement au
nombre, à la grandeur et à la distance.
Or, la clarté, l'intelligibilité est, à tous égards, un des caractères
essentiels de mon plan général. Il est des points importants sur
lesquels il vaut mieux se montrer trop prolixe que même légèrement
obscur. Mais la qualité abstruse n'est pas une qualité qui, par
elle-même, appartienne à aucun sujet. Toutes choses sont également
faciles à comprendre pour celui qui s'en approche à pas convenablement
gradués. Si le calcul différentiel n'est pas une chose absolument aussi
simple qu'un sonnet de M. Solomon Seesaw, c'est uniquement parce que
dans cette route ardue quelque marchepied ou quelque échelon a été, çà
et là, étourdiment oublié.
Donc, pour détruire toute chance de malentendu, je juge convenable
de procéder comme si les faits les plus évidents de l'Astronomie
étaient inconnus au lecteur. En combinant les deux modes de discussion
que j'ai indiqué; je pourrai profiter des avantages particuliers de
chacun d'eux, spécialement de la _réitération en détail_ qui sera
la conséquence inévitable du plan. Je commence par descendre, et je
réserve pour mon retour ascensionnel ces considérations indispensables
de _quantité_ dont j'ai déjà fait mention.
Commençons donc tout de suite par le mot le plus simple, l'_Infini._
Le mot _infini,_ comme les mots _Dieu, esprit_ et quelques autres
expressions, dont les équivalents existent dans toutes les langues,
est, non pas l'expression d'une idée, mais l'expression d'un effort
vers une idée. Il représente une tentative possible vers une conception
impossible. L'homme avait besoin d'un terme pour marquer la _direction_
de cet effort, le nuage derrière lequel est situé, à jamais invisible,
_l'objet de cet effort._ Un mot enfin était nécessaire, au moyen duquel
un être humain pût se mettre tout d'abord en rapport avec un autre être
humain et avec une certaine _tendance_ de l'intelligence humaine. De
cette nécessité est résulté le mot _Infini,_ qui ne représente ainsi
que _la pensée d'une pensée._
Relativement à cet infini dont nous nous occupons actuellement,
l'infini de l'espace, nous avons entendu dire souvent que «si
l'esprit admettait cette idée, acquiesçait à cette idée, la voulait
concevoir, c'était surtout à cause de la difficulté encore plus grande
qui s'oppose à la conception d'une limite quelconque.» Mais ceci est
simplement une de ces _phrases_ par lesquelles les penseurs, même
profonds, prennent plaisir, depuis un temps immémorial, à se tromper
eux-mêmes. C'est dans le mot _difficulté_ que se cache l'argutie.
L'esprit, nous dit-on, accepte l'idée d'un espace _illimité_ à cause de
la difficulté plus grande qu'il trouve à concevoir celle d'un espace
limité. Or, si la proposition était posée loyalement, l'absurdité en
deviendrait immédiatement évidente. Pour parler net, dans le cas en
question, il n'y a pas simplement _difficulté._ L'assertion proposée,
si elle était présentée sous des termes conformes à l'intention, et
sans sophistiquerie, serait exprimée ainsi: «L'esprit admet l'idée d'un
espace illimité à cause de _l'impossibilité plus grande_ de concevoir
celle d'un espace limité.»
On voit au premier coup d'œil qu'il n'est pas ici question d'établir
un parallèle entre deux crédibilités, entre deux arguments, sur la
validité respective desquels la raison est appelée à décider; il
s'agit de deux conceptions, directement contradictoires, toutes deux
d'une impossibilité avouée, dont l'une, nous dit-on, peut cependant
être acceptée par l'intelligence, en raison de la plus grande
_impossibilité_ qui empêche d'accepter la seconde. L'alternative n'est
pas entre deux difficultés; on suppose simplement que nous choisissons
entre deux impossibilités. Or, la première admet des degrés; mais la
seconde n'en admet aucun; c'est justement le cas suggéré par l'auteur
de l'impertinente épître que nous avons citée. Une tâche est plus ou
moins difficile; mais elle ne peut être que possible ou impossible; il
n'y a pas de milieu. Il serait peut-être plus _difficile_ de renverser
la chaîne des Andes qu'une fourmilière; mais il est tout aussi
_impossible_ d'anéantir la matière de l'une que la matière de l'autre.
Un homme peut sauter dix pieds moins difficilement que vingt; mais il
tombe sous le sens que pour lui l'impossibilité de sauter jusqu'à la
Lune n'est pas moindre que de sauter jusqu'à l'étoile du Chien.
Puisque tout ceci est irréfutable, puisque le choix permis à l'esprit
ne peut avoir lieu qu'entre deux conceptions impossibles, puisqu'une
impossibilité ne peut pas être plus grande qu'une autre, et ne peut
conséquemment lui être préférée, les philosophes qui non-seulement
affirment, en se basant sur le raisonnement précité, l'idée humaine
de l'infini, mais aussi, en se basant sur cette idée hypothétique,
l'Infini lui-même, s'engagent évidemment à prouver qu'une chose
impossible devient possible quand on peut montrer qu'une autre chose,
elle aussi, est impossible. Ceci, dira-t-on, est un non-sens; peut-être
bien; je crois vraiment que c'est un parfait non-sens, mais je n'ai
nullement la prétention de le réclamer comme étant de mon fait.
Toutefois, la méthode la plus prompte pour montrer la fausseté de
l'argument philosophique en question est simplement de considérer
un fait qui jusqu'à présent a été négligé, à savoir que l'argument
énoncé contient à la fois sa preuve et sa négation. «L'esprit, disent
les théologiens et autres, est induit à admettre une _cause première_
par la difficulté plus grande qu'il éprouve à concevoir une série
infinie de causes.» L'argutie gît, comme précédemment, dans le mot
_difficulté;_ mais ici à quelle fin est employé ce mot? A soutenir
l'idée de Cause Première. Et qu'est-ce qu'une Cause Première? C'est
une limite extrême de toutes les causes. Et qu'est-ce qu'une limite
extrême de toutes les causes? C'est le Fini. Ainsi, la même argutie,
dans les deux cas, est employée,--par combien de philosophes, Dieu
le sait!--pour soutenir tantôt le Fini et tantôt l'Infini; ne
pourrait-elle pas être utilisée pour soutenir encore quelque autre
chose? Quant aux arguties, elles sont généralement, de leur nature,
insoutenables; mais, en les jetant de côté, constatons que ce qu'elles
prouvent dans un cas est identique à ce qu'elles démontrent dans un
autre, c'est-à-dire à rien.
Personne, évidemment, ne supposera que je lutte ici pour établir
l'absolue impossibilité de ce que nous essayons de faire entendre par
le mot _Infini._ Mon but est seulement de montrer quelle folie c'est de
vouloir prouver l'Infini, ou même notre conception de l'Infini, par un
raisonnement aussi maladroit que celui qui est généralement employé.
Néanmoins il m'est permis, en tant qu'individu, de dire que je ne puis
pas concevoir l'Infini, et que je suis convaincu qu'aucun être humain
ne le peut davantage. Un esprit, qui n'a pas une entière conscience
de lui-même, qui n'est pas habitué à faire une analyse intérieure de
ses propres opérations, pourra, il est vrai, devenir souvent sa propre
dupe et croire qu'il a conçu l'idée dont je parle. Dans nos efforts
pour la concevoir, nous procédons pas à pas; nous imaginons toujours
un degré derrière un degré; et aussi longtemps que nous continuons
l'effort, on peut dire avec raison que nous tendons vers la conception
de l'idée en vue; mais la force de l'impression que nous parvenons, ou
que nous sommes parvenus à créer, est en raison de la période de temps
durant lequel nous maintenons cet effort intellectuel. Or, c'est par
le fait de l'interruption de l'effort,--c'est en parachevant (nous le
croyons du moins) l'idée postulée,--c'est en donnant, comme nous nous
le figurons, la touche finale à la conception,--que nous anéantissons
d'un seul coup toute cette fabrique de notre imagination;--bref, il
faut que nous nous reposions sur quelque point suprême et conséquemment
défini. Toutefois, si nous n'apercevons pas ce fait, c'est en raison
de l'absolue coïncidence entre cette pause définitive et la cessation
de notre pensée. En essayant, d'autre part, de former en nous l'idée
d'un espace limité, nous inversons simplement le procédé, impliquant
toujours la même impossibilité.
Nous _croyons_ à un Dieu. Nous pouvons ou nous ne pouvons pas _croire_
à un espace fini ou infini; mais notre croyance, en de pareils cas,
est plus proprement appelée _foi,_ et elle est une chose tout à
fait distincte de cette croyance particulière, de cette croyance
_intellectuelle,_ qui présuppose une conception mentale.
Le fait est que, sur la simple énonciation d'un de ces termes à la
classe desquels appartient le mot _Infini,_ classe qui représente des
_pensées de pensées,_ celui qui a le droit de se dire un peu penseur se
sent appelé, non pas à former une conception, mais simplement à diriger
sa vision mentale vers un point donné du firmament intellectuel,
vers une nébuleuse qui ne sera jamais résolue. Il ne fait, pour la
résoudre, aucun effort; car avec un instinct rapide il comprend, non
pas seulement l'impossibilité, mais, en ce qui concerne l'intérêt
humain, le caractère essentiellement étranger de cette solution. Il
comprend que la Divinité n'a pas marqué ce mystère pour être résolu.
Il voit tout de suite que cette solution est située _hors_ du cerveau
de l'homme, et même _comment,_ si ce n'est exactement _pourquoi,_
elle gît hors de lui. Il y a des gens, je le sais, qui, s'employant
en vains efforts pour atteindre l'impossible, acquièrent aisément,
grâce à leur seul jargon, une sorte de réputation de profondeur parmi
leurs complices les pseudo-penseurs, pour qui obscurité et profondeur
sont synonymes. Mais la plus belle qualité de la pensée est d'avoir
conscience d'elle-même, et l'on peut dire, sans faire une métaphore
paradoxale, qu'il n'y a pas de brouillard d'esprit plus épais que celui
qui, s'étendant jusqu'aux limites du domaine intellectuel, dérobe ces
frontières elles-mêmes à la vue de l'intelligence.
Maintenant on comprendra que, quand je me sers de ce terme, l'_Infini
de l'Espace,_ je ne veux pas contraindre le lecteur à former la
conception impossible d'un infini _absolu._ Je prétends simplement
faire entendre _la plus grande étendue concevable_ d'espace,--domaine
ténébreux et élastique, tantôt se rétrécissant, tantôt s'agrandissant,
selon la force irrégulière de l'imagination.
Jusqu'à présent, l'Univers sidéral a été considéré comme coïncidant
avec l'Univers proprement dit, tel que je l'ai défini au commencement
de ce discours. On a toujours, directement ou indirectement, admis,--au
moins depuis la première aube de l'Astronomie intelligible,--que,
s'il nous était possible d'atteindre un point donné quelconque de
l'espace, nous trouverions toujours, de tous côtés, autour de nous,
une interminable succession d'étoiles. C'était l'idée insoutenable
de Pascal, quand il faisait l'effort, le plus heureux peut-être qui
ait jamais été fait, pour périphraser la conception que nous essayons
d'exprimer par le mot _Univers._ «C'est une sphère, dit-il, dont le
centre est partout, et la circonférence nulle part.» Mais, bien que
cette intention de définition ne définisse pas du tout, en fait,
l'Univers sidéral, nous pouvons l'accepter, avec quelque réserve
mentale, comme une définition (suffisamment rigoureuse pour l'utilité
pratique) de l'Univers proprement dit, c'est-à-dire de l'Univers
considéré comme espace. Ce dernier, prenons-le donc pour _une sphère
dont le centre est partout, et la circonférence nulle part._ Dans le
fait, s'il nous est impossible de nous figurer une fin de l'espace,
nous n'éprouvons aucune difficulté à imaginer un commencement
quelconque parmi une série infinie de commencements.

IV

Comme point de départ, adoptons donc la _Divinité._ Relativement à
cette Divinité, considérée en _elle-même,_ celui-là seul n'est pas un
imbécile, celui-là seul n'est pas un impie, qui n'affirme absolument
rien. «Nous ne connaissons rien, dit le baron de Bielfeld, nous ne
connaissons rien de la nature ou de l'essence de Dieu;--pour savoir ce
qu'il est, il faut être Dieu même.»
_Il faut être Dieu même!_ Malgré cette phrase effrayante, vibrant
encore dans mon oreille, j'ose toutefois demander si notre ignorance
actuelle de la Divinité est une ignorance à laquelle l'âme est
_éternellement_ condamnée.
Enfin, contentons-nous aujourd'hui de supposer que c'est Lui,--Lui,
l'Incompréhensible (pour le présent du moins),--Lui, que nous
considérerons comme _Esprit,_ c'est-à-dire comme _non-Matière_
(distinction qui, pour tout ce que nous voulons atteindre, suppléera
parfaitement à une définition),--Lui, existant comme Esprit, qui
nous a _créés,_ ou faits de Rien, par la force de sa Volonté,--dans
un certain point de l'Espace que nous prendrons comme centre, à une
certaine époque dont nous n'avons pas la prétention de nous enquérir,
mais en tout cas immensément éloignée;--supposons, dis-je,'que c'est
lui qui nous a faits,--mais faits ... _quoi?_ Ceci est, dans nos
considérations, un point d'une importance vitale. _Qu_'étions-nous,
_que_ pouvons-nous supposer légitimement avoir été, quand nous fûmes
_créés,_ nous, univers, primitivement et individuellement?
Nous sommes arrivés à un point où l'Intuition seule peut venir à
notre aide. Mais qu'il me soit permis de rappeler l'idée que j'ai
déjà suggérée comme la seule qui puisse convenablement définir
l'intuition. Elle n'est que _la conviction naissant de certaines
Вы прочитали 1 текст из Французский литературы.
Следующий - Eureka - 3
  • Части
  • Eureka - 1
    Общее количество слов 4412
    Общее количество уникальных слов составляет 1548
    30.7 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
    41.7 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
    47.6 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
    Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов
  • Eureka - 2
    Общее количество слов 4401
    Общее количество уникальных слов составляет 1411
    32.0 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
    42.8 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
    47.3 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
    Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов
  • Eureka - 3
    Общее количество слов 4273
    Общее количество уникальных слов составляет 1270
    28.8 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
    38.5 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
    43.9 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
    Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов
  • Eureka - 4
    Общее количество слов 4359
    Общее количество уникальных слов составляет 1221
    32.8 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
    43.4 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
    48.0 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
    Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов
  • Eureka - 5
    Общее количество слов 4355
    Общее количество уникальных слов составляет 1246
    31.3 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
    40.3 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
    45.2 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
    Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов
  • Eureka - 6
    Общее количество слов 4343
    Общее количество уникальных слов составляет 1372
    30.2 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
    40.0 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
    45.0 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
    Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов
  • Eureka - 7
    Общее количество слов 4420
    Общее количество уникальных слов составляет 1338
    30.1 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
    42.1 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
    46.9 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
    Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов
  • Eureka - 8
    Общее количество слов 4438
    Общее количество уникальных слов составляет 1319
    33.9 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
    45.6 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
    51.4 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
    Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов
  • Eureka - 9
    Общее количество слов 4271
    Общее количество уникальных слов составляет 1320
    31.1 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
    40.2 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
    44.9 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
    Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов
  • Eureka - 10
    Общее количество слов 1900
    Общее количество уникальных слов составляет 749
    37.3 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
    47.8 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
    51.8 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
    Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных слов