A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 16
Общее количество слов 2007
Общее количество уникальных слов составляет 891
44.6 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов
54.2 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов
60.3 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
indifférent qu'il nous arrive au moins quelquefois de passer notre
temps dans la familiarité de ce que nous avons cru inaccessible et que
nous avons désiré. Dans le commerce des personnes que nous avons
d'abord trouvées désagréables, persiste toujours, même au milieu du
plaisir factice qu'on peut finir par goûter auprès d'elles, le goût
frelaté des défauts qu'elles ont réussi à dissimuler. Mais dans des
relations comme celles que j'avais avec Albertine et ses amies, le
plaisir vrai qui est à leur origine, laisse ce parfum qu'aucun
artifice ne parvient à donner aux fruits forcés, aux raisins qui
n'ont pas mûri au soleil. Les créatures surnaturelles qu'elles avaient
été un instant pour moi mettaient encore, même à mon insu, quelque
merveilleux dans les rapports les plus banals que j'avais avec elles,
ou plutôt préservaient ces rapports d'avoir jamais rien de banal. Mon
désir avait cherché avec tant d'avidité la signification des yeux qui
maintenant me connaissaient et me souriaient, mais qui, le premier
jour, avaient croisé mes regards comme des rayons d'un autre univers,
il avait distribué si largement et si minutieusement la couleur et le
parfum sur les surfaces carnées de ces jeunes filles qui, étendues sur
la falaise me tendaient simplement des sandwichs ou jouaient aux
devinettes, que souvent dans l'après-midi, pendant que j'étais allongé
comme ces peintres qui cherchant la grandeur de l'antique dans la vie
moderne, donnent à une femme qui se coupe un ongle de pied la noblesse
du «Tireur d'épine» ou qui comme Rubens, font des déesses avec des
femmes de leur connaissance pour composer une scène mythologique, ces
beaux corps bruns et blonds, de types si opposés, répandus autour de
moi dans l'herbe, je les regardais sans les vider peut-être de tout le
médiocre contenu dont l'existence journalière les avait remplis, et
pourtant sans me rappeler expressément leur céleste origine, comme si
pareil à Hercule ou à Télémaque, j'avais été en train de jouer au
milieu des nymphes.
Puis les concerts finirent, le mauvais temps arriva, mes amies
quittèrent Balbec, non pas toutes ensemble, comme les hirondelles,
mais dans la même semaine. Albertine s'en alla la première,
brusquement, sans qu'aucune de ses amies eût pu comprendre, ni alors,
ni plus tard, pourquoi elle était rentrée tout à coup à Paris, où ni
travaux, ni distractions ne la rappelaient. «Elle n'a dit ni quoi ni
qu'est-ce et puis elle est partie», grommelait Françoise qui aurait
d'ailleurs voulu que nous en fissions autant. Elle nous trouvait
indiscrets vis-à-vis des employés, pourtant déjà bien réduits en
nombre, mais retenus par les rares clients qui restaient, vis-à-vis du
directeur qui «mangeait de l'argent». Il est vrai que depuis longtemps
l'hôtel qui n'allait pas tarder à fermer avait vu partir presque tout
le monde; jamais il n'avait été aussi agréable. Ce n'était pas l'avis
du directeur; tout le long des salons où l'on gelait et à la porte
desquels ne veillait plus aucun groom, il arpentait les corridors,
vêtu d'une redingote neuve, si soigné par le coiffeur que sa figure
fade avait l'air de consister en un mélange où pour une partie de
chair il y en aurait eu trois de cosmétique, changeant sans cesse de
cravates (ces élégances coûtent moins cher que d'assurer le chauffage
et de garder le personnel, et tel qui ne peut plus envoyer dix mille
francs à une oeuvre de bienfaisance, fait encore sans peine le généreux
en donnant cent sous de pourboire au télégraphiste qui lui apporte une
dépêche). Il avait l'air d'inspecter le néant, de vouloir donner, grâce
à sa bonne tenue personnelle, un air provisoire à la misère que l'on
sentait dans cet hôtel où la saison n'avait pas été bonne, et
paraissait comme le fantôme d'un souverain qui revient hanter les
ruines de ce qui fut jadis son palais. Il fut surtout mécontent quand
le chemin de fer d'intérêt local, qui n'avait plus assez de voyageurs,
cessa de fonctionner pour jusqu'au printemps suivant. «Ce qui manque
ici, disait le directeur, ce sont le moyens de commotion.» Malgré le
déficit qu'il enregistrait, il faisait pour les années suivantes des
projets grandioses. Et comme il était tout de même capable de retenir
exactement de belles expressions quand elles s'appliquaient à
l'industrie hôtelière et avaient pour effet de la magnifier: «Je
n'étais pas suffisamment secondé quoique à la salle à manger j'avais
une bonne équipe, disait-il; mais les chasseurs laissaient un peu à
désirer; vous verrez l'année prochaine quelle phalange je saurai
réunir.» En attendant, l'interruption des services du B.C.B.
l'obligeait à envoyer chercher les lettres et quelquefois conduire les
voyageurs dans une carriole. Je demandais souvent à monter à côté du
cocher et cela me fit faire des promenades par tous les temps, comme
dans l'hiver que j'avais passé à Combray.
Parfois pourtant la pluie trop cinglante nous retenait, ma grand'mère
et moi, le casino étant fermé, dans des pièces presque complètement
vides comme à fond de cale d'un bateau quand le vent souffle, et où
chaque jour, comme au cours d'une traversée, une nouvelle personne
d'entre celles près de qui nous avions passé trois mois sans les
connaître, le premier président de Rennes, la bâtonnier de Caen, une
dame américaine et ses filles, venaient à nous, entamaient la
conversation, inventaient quelque manière de trouver les heures moins
longues, révélaient un talent, nous enseignaient un jeu, nous
invitaient à prendre le thé, ou à faire de la musique, à nous réunir à
une certaine heure, à combiner ensemble de ces distractions qui
possèdent le vrai secret de nous faire donner du plaisir, lequel est
de n'y pas prétendre, mais seulement de nous aider à passer le temps
de notre ennui, enfin nouaient avec nous sur la fin de notre séjour
des amitiés que le lendemain leurs départs successifs venaient
interrompre. Je fis même la connaissance du jeune homme riche, d'un de
ses deux amis nobles et de l'actrice qui était revenue pour quelques
jours; mais la petite société ne se composait plus que de trois
personnes, l'autre ami était rentré à Paris. Ils me demandèrent de
venir dîner avec eux dans leur restaurant. Je crois qu'ils furent
assez contents que je n'acceptasse pas. Mais ils avaient fait
l'invitation le plus aimablement possible, et bien qu'elle vînt en
réalité du jeune homme riche puisque les autres personnes n'étaient
que ses hôtes, comme l'ami qui l'accompagnait, le marquis Maurice de
Vaudémont, était de très grande maison, instinctivement l'actrice en
me demandant si je ne voudrais pas venir, me dit pour me flatter:
--Cela fera tant de plaisir à Maurice.
Et quand dans le hall je les rencontrai tous trois, ce fut M. de
Vaudémont, le jeune homme riche s'effaçant, qui me dit:
--Vous ne nous ferez pas le plaisir de dîner avec nous?
En somme j'avais bien peu profité de Balbec, ce qui ne me donnait que
davantage le désir d'y revenir. Il me semblait que j'y étais resté
trop peu de temps. Ce n'était pas l'avis de mes amis qui m'écrivaient
pour me demander si je comptais y vivre définitivement. Et de voir que
c'était le nom de Balbec qu'ils étaient obligés de mettre sur
l'enveloppe, comme ma fenêtre donnait, au lieu que ce fût sur une
campagne ou sur une rue, sur les champs de la mer, que j'entendais
pendant la nuit sa rumeur, à laquelle j'avais, avant de m'endormir,
confié, comme une barque, mon sommeil, j'avais l'illusion que cette
promiscuité avec les flots devait matériellement, à mon insu, faire
pénétrer en moi la notion de leur charme à la façon de ces leçons
qu'on apprend en dormant.
Le directeur m'offrait pour l'année prochaine de meilleures chambres,
mais j'étais attaché maintenant à la mienne où j'entrais sans plus
jamais sentir l'odeur du vétiver, et dont ma pensée, qui s'y élevait
jadis si difficilement, avait fini par prendre si exactement les
dimensions que je fus obligé de lui faire subir un traitement inverse
quand je dus coucher à Paris dans mon ancienne chambre, laquelle était
basse de plafond.
Il avait fallu quitter Balbec en effet, le froid et l'humidité étant
devenus trop pénétrants pour rester plus longtemps dans cet hôtel
dépourvu de cheminées et de calorifère. J'oubliai d'ailleurs presque
immédiatement ces dernières semaines. Ce que je revis presque
invariablement quand je pensai à Balbec, ce furent les moments où
chaque matin, pendant la belle saison, comme je devais l'après-midi
sortir avec Albertine et ses amies, ma grand'mère sur l'ordre du
médecin me força à rester couché dans l'obscurité. Le directeur
donnait des ordres pour qu'on ne fît pas de bruit à mon étage et
veillait lui-même à ce qu'ils fussent obéis. A cause de la trop grande
lumière, je gardais fermés le plus longtemps possible les grands
rideaux violets qui m'avaient témoigné tant d'hostilité le premier
soir. Mais comme malgré les épingles avec lesquelles, pour que le jour
ne passât pas, Françoise les attachait chaque soir, et qu'elle seule
savait défaire, malgré les couvertures, le dessus de table en cretonne
rouge, les étoffes prises ici ou là qu'elle y ajustait, elle
n'arrivait pas à les faire joindre exactement, l'obscurité n'était pas
complète et ils laissaient se répandre sur le tapis comme un écarlate
effeuillement d'anémones parmi lesquelles je ne pouvais m'empêcher de
venir un instant poser mes pieds nus. Et sur le mur qui faisait face à
la fenêtre, et qui se trouvait partiellement éclairé, un cylindre d'or
que rien ne soutenait était verticalement posé et se déplaçait
lentement comme la colonne lumineuse qui précédait les Hébreux dans le
désert. Je me recouchais; obligé de goûter, sans bouger, par
l'imagination seulement, et tous à la fois, les plaisirs du jeu, du
bain, de la marche, que la matinée conseillait, la joie faisait battre
bruyamment mon cœur comme une machine en pleine action, mais immobile
et qui ne peut décharger sa vitesse sur place en tournant sur
elle-même.
Je savais que mes amies étaient sur la digue mais je ne les voyais
pas, tandis qu'elles passaient devant les chaînons inégaux de la mer,
tout au fond de laquelle et perchée au milieu de ses cimes bleuâtres
comme une bourgade italienne, se distinguait parfois dans une
éclaircie la petite ville de Rivebelle, minutieusement détaillée par
le soleil. Je ne voyais pas mes amies, mais (tandis qu'arrivaient
jusqu'à mon belvédère l'appel des marchands de journaux, «des
journalistes», comme les nommait Françoise, les appels des baigneurs
et des enfants qui jouaient, ponctuant à la façon des cris des oiseaux
de mer le bruit du flot qui doucement se brisait), je devinais leur
présence, j'entendais leur rire enveloppé comme celui des néréides
dans le doux déferlement qui montait jusqu'à mes oreilles. «Nous avons
regardé, me disait le soir Albertine, pour voir si vous descendriez.
Mais vos volets sont restés fermés, même à l'heure du concert.» A dix
heures, en effet, il éclatait sous mes fenêtres. Entre les intervalles
des instruments, si la mer était pleine, reprenait, coulé et continu,
le glissement de l'eau d'une vague qui semblait envelopper les traits
du violon dans ses volutes de cristal et faire jaillir son écume
au-dessus des échos intermittents d'une musique sous-marine. Je
m'impatientais qu'on ne fût pas encore venu me donner mes affaires
pour que je puisse m'habiller. Midi sonnait, enfin arrivait Françoise.
Et pendant des mois de suite, dans ce Balbec que j'avais tant désiré
parce que je ne l'imaginais que battu par la tempête et perdu dans les
brumes, le beau temps avait été si éclatant et si fixe que, quand elle
venait ouvrir la fenêtre, j'avais pu, toujours sans être trompé,
m'attendre à trouver le même pan de soleil plié à l'angle du mur
extérieur, et d'une couleur immuable qui était moins émouvante comme
un signe de l'été qu'elle n'était morne comme celle d'un émail inerte
et factice. Et tandis que Françoise ôtait les épingles des impostes,
détachait les étoffes, tirait les rideaux, le jour d'été qu'elle
découvrait semblait aussi mort, aussi immémorial qu'une somptueuse et
millénaire momie que votre vieille servante n'eût fait que
précautionneusement désemmailloter de tous ses linges, avant de la
faire apparaître, embaumée dans sa robe d'or.
temps dans la familiarité de ce que nous avons cru inaccessible et que
nous avons désiré. Dans le commerce des personnes que nous avons
d'abord trouvées désagréables, persiste toujours, même au milieu du
plaisir factice qu'on peut finir par goûter auprès d'elles, le goût
frelaté des défauts qu'elles ont réussi à dissimuler. Mais dans des
relations comme celles que j'avais avec Albertine et ses amies, le
plaisir vrai qui est à leur origine, laisse ce parfum qu'aucun
artifice ne parvient à donner aux fruits forcés, aux raisins qui
n'ont pas mûri au soleil. Les créatures surnaturelles qu'elles avaient
été un instant pour moi mettaient encore, même à mon insu, quelque
merveilleux dans les rapports les plus banals que j'avais avec elles,
ou plutôt préservaient ces rapports d'avoir jamais rien de banal. Mon
désir avait cherché avec tant d'avidité la signification des yeux qui
maintenant me connaissaient et me souriaient, mais qui, le premier
jour, avaient croisé mes regards comme des rayons d'un autre univers,
il avait distribué si largement et si minutieusement la couleur et le
parfum sur les surfaces carnées de ces jeunes filles qui, étendues sur
la falaise me tendaient simplement des sandwichs ou jouaient aux
devinettes, que souvent dans l'après-midi, pendant que j'étais allongé
comme ces peintres qui cherchant la grandeur de l'antique dans la vie
moderne, donnent à une femme qui se coupe un ongle de pied la noblesse
du «Tireur d'épine» ou qui comme Rubens, font des déesses avec des
femmes de leur connaissance pour composer une scène mythologique, ces
beaux corps bruns et blonds, de types si opposés, répandus autour de
moi dans l'herbe, je les regardais sans les vider peut-être de tout le
médiocre contenu dont l'existence journalière les avait remplis, et
pourtant sans me rappeler expressément leur céleste origine, comme si
pareil à Hercule ou à Télémaque, j'avais été en train de jouer au
milieu des nymphes.
Puis les concerts finirent, le mauvais temps arriva, mes amies
quittèrent Balbec, non pas toutes ensemble, comme les hirondelles,
mais dans la même semaine. Albertine s'en alla la première,
brusquement, sans qu'aucune de ses amies eût pu comprendre, ni alors,
ni plus tard, pourquoi elle était rentrée tout à coup à Paris, où ni
travaux, ni distractions ne la rappelaient. «Elle n'a dit ni quoi ni
qu'est-ce et puis elle est partie», grommelait Françoise qui aurait
d'ailleurs voulu que nous en fissions autant. Elle nous trouvait
indiscrets vis-à-vis des employés, pourtant déjà bien réduits en
nombre, mais retenus par les rares clients qui restaient, vis-à-vis du
directeur qui «mangeait de l'argent». Il est vrai que depuis longtemps
l'hôtel qui n'allait pas tarder à fermer avait vu partir presque tout
le monde; jamais il n'avait été aussi agréable. Ce n'était pas l'avis
du directeur; tout le long des salons où l'on gelait et à la porte
desquels ne veillait plus aucun groom, il arpentait les corridors,
vêtu d'une redingote neuve, si soigné par le coiffeur que sa figure
fade avait l'air de consister en un mélange où pour une partie de
chair il y en aurait eu trois de cosmétique, changeant sans cesse de
cravates (ces élégances coûtent moins cher que d'assurer le chauffage
et de garder le personnel, et tel qui ne peut plus envoyer dix mille
francs à une oeuvre de bienfaisance, fait encore sans peine le généreux
en donnant cent sous de pourboire au télégraphiste qui lui apporte une
dépêche). Il avait l'air d'inspecter le néant, de vouloir donner, grâce
à sa bonne tenue personnelle, un air provisoire à la misère que l'on
sentait dans cet hôtel où la saison n'avait pas été bonne, et
paraissait comme le fantôme d'un souverain qui revient hanter les
ruines de ce qui fut jadis son palais. Il fut surtout mécontent quand
le chemin de fer d'intérêt local, qui n'avait plus assez de voyageurs,
cessa de fonctionner pour jusqu'au printemps suivant. «Ce qui manque
ici, disait le directeur, ce sont le moyens de commotion.» Malgré le
déficit qu'il enregistrait, il faisait pour les années suivantes des
projets grandioses. Et comme il était tout de même capable de retenir
exactement de belles expressions quand elles s'appliquaient à
l'industrie hôtelière et avaient pour effet de la magnifier: «Je
n'étais pas suffisamment secondé quoique à la salle à manger j'avais
une bonne équipe, disait-il; mais les chasseurs laissaient un peu à
désirer; vous verrez l'année prochaine quelle phalange je saurai
réunir.» En attendant, l'interruption des services du B.C.B.
l'obligeait à envoyer chercher les lettres et quelquefois conduire les
voyageurs dans une carriole. Je demandais souvent à monter à côté du
cocher et cela me fit faire des promenades par tous les temps, comme
dans l'hiver que j'avais passé à Combray.
Parfois pourtant la pluie trop cinglante nous retenait, ma grand'mère
et moi, le casino étant fermé, dans des pièces presque complètement
vides comme à fond de cale d'un bateau quand le vent souffle, et où
chaque jour, comme au cours d'une traversée, une nouvelle personne
d'entre celles près de qui nous avions passé trois mois sans les
connaître, le premier président de Rennes, la bâtonnier de Caen, une
dame américaine et ses filles, venaient à nous, entamaient la
conversation, inventaient quelque manière de trouver les heures moins
longues, révélaient un talent, nous enseignaient un jeu, nous
invitaient à prendre le thé, ou à faire de la musique, à nous réunir à
une certaine heure, à combiner ensemble de ces distractions qui
possèdent le vrai secret de nous faire donner du plaisir, lequel est
de n'y pas prétendre, mais seulement de nous aider à passer le temps
de notre ennui, enfin nouaient avec nous sur la fin de notre séjour
des amitiés que le lendemain leurs départs successifs venaient
interrompre. Je fis même la connaissance du jeune homme riche, d'un de
ses deux amis nobles et de l'actrice qui était revenue pour quelques
jours; mais la petite société ne se composait plus que de trois
personnes, l'autre ami était rentré à Paris. Ils me demandèrent de
venir dîner avec eux dans leur restaurant. Je crois qu'ils furent
assez contents que je n'acceptasse pas. Mais ils avaient fait
l'invitation le plus aimablement possible, et bien qu'elle vînt en
réalité du jeune homme riche puisque les autres personnes n'étaient
que ses hôtes, comme l'ami qui l'accompagnait, le marquis Maurice de
Vaudémont, était de très grande maison, instinctivement l'actrice en
me demandant si je ne voudrais pas venir, me dit pour me flatter:
--Cela fera tant de plaisir à Maurice.
Et quand dans le hall je les rencontrai tous trois, ce fut M. de
Vaudémont, le jeune homme riche s'effaçant, qui me dit:
--Vous ne nous ferez pas le plaisir de dîner avec nous?
En somme j'avais bien peu profité de Balbec, ce qui ne me donnait que
davantage le désir d'y revenir. Il me semblait que j'y étais resté
trop peu de temps. Ce n'était pas l'avis de mes amis qui m'écrivaient
pour me demander si je comptais y vivre définitivement. Et de voir que
c'était le nom de Balbec qu'ils étaient obligés de mettre sur
l'enveloppe, comme ma fenêtre donnait, au lieu que ce fût sur une
campagne ou sur une rue, sur les champs de la mer, que j'entendais
pendant la nuit sa rumeur, à laquelle j'avais, avant de m'endormir,
confié, comme une barque, mon sommeil, j'avais l'illusion que cette
promiscuité avec les flots devait matériellement, à mon insu, faire
pénétrer en moi la notion de leur charme à la façon de ces leçons
qu'on apprend en dormant.
Le directeur m'offrait pour l'année prochaine de meilleures chambres,
mais j'étais attaché maintenant à la mienne où j'entrais sans plus
jamais sentir l'odeur du vétiver, et dont ma pensée, qui s'y élevait
jadis si difficilement, avait fini par prendre si exactement les
dimensions que je fus obligé de lui faire subir un traitement inverse
quand je dus coucher à Paris dans mon ancienne chambre, laquelle était
basse de plafond.
Il avait fallu quitter Balbec en effet, le froid et l'humidité étant
devenus trop pénétrants pour rester plus longtemps dans cet hôtel
dépourvu de cheminées et de calorifère. J'oubliai d'ailleurs presque
immédiatement ces dernières semaines. Ce que je revis presque
invariablement quand je pensai à Balbec, ce furent les moments où
chaque matin, pendant la belle saison, comme je devais l'après-midi
sortir avec Albertine et ses amies, ma grand'mère sur l'ordre du
médecin me força à rester couché dans l'obscurité. Le directeur
donnait des ordres pour qu'on ne fît pas de bruit à mon étage et
veillait lui-même à ce qu'ils fussent obéis. A cause de la trop grande
lumière, je gardais fermés le plus longtemps possible les grands
rideaux violets qui m'avaient témoigné tant d'hostilité le premier
soir. Mais comme malgré les épingles avec lesquelles, pour que le jour
ne passât pas, Françoise les attachait chaque soir, et qu'elle seule
savait défaire, malgré les couvertures, le dessus de table en cretonne
rouge, les étoffes prises ici ou là qu'elle y ajustait, elle
n'arrivait pas à les faire joindre exactement, l'obscurité n'était pas
complète et ils laissaient se répandre sur le tapis comme un écarlate
effeuillement d'anémones parmi lesquelles je ne pouvais m'empêcher de
venir un instant poser mes pieds nus. Et sur le mur qui faisait face à
la fenêtre, et qui se trouvait partiellement éclairé, un cylindre d'or
que rien ne soutenait était verticalement posé et se déplaçait
lentement comme la colonne lumineuse qui précédait les Hébreux dans le
désert. Je me recouchais; obligé de goûter, sans bouger, par
l'imagination seulement, et tous à la fois, les plaisirs du jeu, du
bain, de la marche, que la matinée conseillait, la joie faisait battre
bruyamment mon cœur comme une machine en pleine action, mais immobile
et qui ne peut décharger sa vitesse sur place en tournant sur
elle-même.
Je savais que mes amies étaient sur la digue mais je ne les voyais
pas, tandis qu'elles passaient devant les chaînons inégaux de la mer,
tout au fond de laquelle et perchée au milieu de ses cimes bleuâtres
comme une bourgade italienne, se distinguait parfois dans une
éclaircie la petite ville de Rivebelle, minutieusement détaillée par
le soleil. Je ne voyais pas mes amies, mais (tandis qu'arrivaient
jusqu'à mon belvédère l'appel des marchands de journaux, «des
journalistes», comme les nommait Françoise, les appels des baigneurs
et des enfants qui jouaient, ponctuant à la façon des cris des oiseaux
de mer le bruit du flot qui doucement se brisait), je devinais leur
présence, j'entendais leur rire enveloppé comme celui des néréides
dans le doux déferlement qui montait jusqu'à mes oreilles. «Nous avons
regardé, me disait le soir Albertine, pour voir si vous descendriez.
Mais vos volets sont restés fermés, même à l'heure du concert.» A dix
heures, en effet, il éclatait sous mes fenêtres. Entre les intervalles
des instruments, si la mer était pleine, reprenait, coulé et continu,
le glissement de l'eau d'une vague qui semblait envelopper les traits
du violon dans ses volutes de cristal et faire jaillir son écume
au-dessus des échos intermittents d'une musique sous-marine. Je
m'impatientais qu'on ne fût pas encore venu me donner mes affaires
pour que je puisse m'habiller. Midi sonnait, enfin arrivait Françoise.
Et pendant des mois de suite, dans ce Balbec que j'avais tant désiré
parce que je ne l'imaginais que battu par la tempête et perdu dans les
brumes, le beau temps avait été si éclatant et si fixe que, quand elle
venait ouvrir la fenêtre, j'avais pu, toujours sans être trompé,
m'attendre à trouver le même pan de soleil plié à l'angle du mur
extérieur, et d'une couleur immuable qui était moins émouvante comme
un signe de l'été qu'elle n'était morne comme celle d'un émail inerte
et factice. Et tandis que Françoise ôtait les épingles des impostes,
détachait les étoffes, tirait les rideaux, le jour d'été qu'elle
découvrait semblait aussi mort, aussi immémorial qu'une somptueuse et
millénaire momie que votre vieille servante n'eût fait que
précautionneusement désemmailloter de tous ses linges, avant de la
faire apparaître, embaumée dans sa robe d'or.
Вы прочитали 1 текст из Французский литературы.
- Части
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 01Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4655Общее количество уникальных слов составляет 160936.4 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов48.8 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов54.0 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 02Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4657Общее количество уникальных слов составляет 163137.8 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов50.2 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов55.4 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 03Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4690Общее количество уникальных слов составляет 163933.3 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов44.6 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов49.6 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 04Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4665Общее количество уникальных слов составляет 167136.5 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов48.5 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов53.6 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 05Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4690Общее количество уникальных слов составляет 157038.3 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов49.4 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов55.5 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 06Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4676Общее количество уникальных слов составляет 165135.2 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов46.4 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов52.4 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 07Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4736Общее количество уникальных слов составляет 163837.6 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов49.4 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов54.5 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 08Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4692Общее количество уникальных слов составляет 156538.5 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов49.9 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов54.7 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 09Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4717Общее количество уникальных слов составляет 159138.4 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов49.1 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов54.6 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 10Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4759Общее количество уникальных слов составляет 155539.5 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов49.8 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов55.2 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 11Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4620Общее количество уникальных слов составляет 166036.3 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов47.4 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов53.3 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 12Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4674Общее количество уникальных слов составляет 167336.0 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов47.2 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов52.8 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 13Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4670Общее количество уникальных слов составляет 160237.7 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов49.7 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов54.9 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 14Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4722Общее количество уникальных слов составляет 151839.1 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов50.7 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов56.1 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 15Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 4651Общее количество уникальных слов составляет 156039.0 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов48.9 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов53.8 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов
- A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Troisième partie - 16Каждый столб представляет процент слов на 1000 наиболее распространенных словОбщее количество слов 2007Общее количество уникальных слов составляет 89144.6 слов входит в 2000 наиболее распространенных слов54.2 слов входит в 5000 наиболее распространенных слов60.3 слов входит в 8000 наиболее распространенных слов