Aventures du Capitaine Hatteras - 09

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qu'ils me feront abandonner mes projets! Aussi, ces gens ne murmurent
pas, et tant que _le Forward_ aura le cap au sud, il en sera de même.
Les fous! ils s'imaginent qu'ils se rapprochent de l'Angleterre! Mais
si je parviens à remonter au nord, vous verrez les choses changer! Je
jure Dieu pourtant, que pas un être vivant ne me fera dévier de ma
ligne de conduite! Un passage, une ouverture, de quoi glisser mon
brick, quand je devrais y laisser le cuivre de son doublage, et
j'aurai raison de tout.»
Les désirs du capitaine devaient être satisfaits dans une certaine
proportion. Suivant les prévisions du docteur, il y eut un changement
soudain pendant la soirée; sous une influence quelconque de vent, de
courant ou de température, les ice-fields vinrent à se séparer; _le
Forward_ se lança hardiment, brisant de sa proue d'acier les glaçons
flottants; il navigua toute la nuit, et le mardi, vers les six heures,
il débouqua du détroit de Bellot.
Mais quelle fut la sourde irritation d'Hatteras en trouvant le chemin
du nord obstinément barré! Il eut assez de force d'âme pour contenir
son désespoir, et, comme si la seule route ouverte eût été la route
préférée, il laissa _le Forward_ redescendre le détroit de Franklin;
ne pouvant remonter par le détroit de Peel, il résolut de contourner
la terre du Prince de Galles, pour gagner le canal de MacClintock.
Mais il sentait bien que Shandon et Wall ne pouvaient s'y tromper, et
savaient à quoi s'en tenir sur son espérance déçue.
La journée du 6 juin ne présenta aucun incident; le ciel était
neigeux, et les pronostics du halo s'accomplissaient.
Pendant trente-six heures, _le Forward_ suivit les sinuosités de la
côte de Boothia, sans parvenir à se rapprocher de la terre du Prince
de Galles; Hatteras forçait de vapeur, brûlant son charbon avec
prodigalité; il comptait toujours refaire son approvisionnement à
l'île Beechey; il arriva le jeudi à l'extrémité du détroit de
Franklin, et trouva encore le chemin du nord infranchissable.
C'était à le désespérer; il ne pouvait plus même revenir sur ses pas;
les glaces le poussaient en avant, et il voyait sa route se refermer
incessamment derrière lui, comme s'il n'eût jamais existé de mer libre
là où il venait de passer une heure auparavant.
Ainsi, non-seulement _le Forward_ ne pouvait gagner au nord, mais il
ne devait pas s'arrêter un instant, sous peine d'être pris, et il
fuyait devant les glaces, comme un navire fuit devant l'orage.
Le vendredi, 8 juin, il arriva près de la côte de Boothia, à l'entrée
du détroit de James Ross, qu'il fallait éviter à tout prix, car il n'a
d'issue qu'à l'ouest, et aboutit directement aux terres d'Amérique.
Les observations, faites à midi sur ce point, donnèrent 70°5'17" pour
la latitude, et 96°46'45" pour 1s longitude; lorsque le docteur connut
ces chiffres, il les rapporta à sa carte, et vit qu'il se trouvait
enfin au pôle magnétique, à l'endroit même où James Ross, le neveu de
sir John, vint déterminer cette curieuse situation.
La terre était basse près de la côte, et se relevait d'une soixantaine
de pieds seulement en s'écartant de la mer de la distance d'un mille.
La chaudière _du Forward_ ayant besoin d'être nettoyée, le capitaine
fit ancrer son navire à un champ de glace, et permit au docteur
d'aller à terre en compagnie du maître d'équipage. Pour lui,
insensible à tout ce qui ne se rattachait pas à ses projets, il se
renferma dans sa cabine, dévorant du regard la carte du pôle.
Le docteur et son compagnon parvinrent facilement à terre; le premier
portait un compas destiné à ses expériences; il voulait contrôler les
travaux de James Ross; il découvrit aisément le monticule de pierres à
chaux élevé par ce dernier; il y courut; une ouverture permettait
d'apercevoir à l'intérieur la caisse d'étain dans laquelle James Ross
déposa le procès-verbal de sa découverte. Pas un être vivant ne
paraissait avoir visité depuis trente ans cette côte désolée.
En cet endroit, une aiguille aimantée, suspendue le plus délicatement
possible, se plaçait aussitôt dans une position à peu près verticale
sous l'influence magnétique; le centre d'attraction se trouvait donc à
une très-faible distance, sinon immédiatement au-dessous de
l'aiguille.
Le docteur fit son expérience avec soin. Mais si James Ross, à cause
de l'imperfection de ses instruments, ne put trouver pour son aiguille
verticale qu'une inclinaison de 89°59', c'est que le véritable point
magnétique se trouvait réellement à une minute de cet endroit. Le
docteur Clawbonny fut plus heureux, et à quelque distance de là il eut
l'extrême satisfaction de voir son inclinaison de 90 degrés.
«Voilà donc exactement le pôle magnétique du monde! s'écria-t-il en
frappant la terre du pied.
--C'est bien ici? demanda maître Johnson.
--Ici même, mon ami.
--Eh bien, alors, reprit le maître d'équipage, il faut abandonner
toute supposition de montagne d'aimant ou de masse aimantée,
--Oui, mon brave Johnson, répondit le docteur en riant, ce sont les
hypothèses de la crédulité! Comme vous le voyez, il n'y a pas la
moindre montagne capable d'attirer les vaisseaux, de leur arracher
leur fer, ancre par ancre, clou par clou! et vos souliers eux-mêmes
sont aussi libres qu'en tout autre point du globe.
--Alors comment expliquer?...
--On ne l'explique pas, Johnson; nous ne sommes pas encore assez
savants pour cela. Mais ce qui est certain, exact, mathématique, c'est
que le pôle magnétique est ici même, à cette place!
--Ah! monsieur Clawbonny, que le capitaine serait heureux de pouvoir
en dire autant du pôle boréal!
--Il le dira, Johnson, il le dira.
--Dieu le veuille!» répondit ce dernier.
Le docteur et son compagnon élevèrent un cairn sur l'endroit précis où
l'expérience avait eu lieu, et le signal de revenir leur ayant été
fait, ils retournèrent à bord à cinq heures du soir.


CHAPITRE XVII.
LA CATASTROPHE DE SIR JOHN FRANKLIN.

_Le Forward_ parvint à couper directement le détroit de James Ross,
mais ce ne fut pas sans peine; il fallut employer la scie et les
pétards; l'équipage éprouva une fatigue extrême. La température était
heureusement fort supportable, et supérieure de trente degrés à celle
que trouva James Ross à pareille époque. Le thermomètre marquait
trente-quatre degrés (-2° centigr.).
Le samedi, on doubla le cap Félix, à l'extrémité nord de la terre du
roi Guillaume, l'une des îles moyennes de ces mers boréales.
L'équipage éprouvait alors une impression forte et douloureuse; il
jetait des regards curieux, mais tristes, sur cette île dont il
prolongeait la côte.
En effet, il se trouvait en présence de cette terre du roi Guillaume,
théâtre du plus terrible drame des temps modernes! à quelques milles
dans l'ouest s'étaient à jamais perdus _l'Erebus_ et _le Terror_.
Les matelots du _Forward_ connaissaient bien les tentatives faites
pour retrouver l'amiral Franklin et le résultat obtenu, mais ils
ignoraient les affligeants détails de cette catastrophe. Or, tandis
que le docteur suivait sur sa carte la marche du navire, plusieurs
d'entre eux, Bell, Bolton, Simpson, s'approchèrent de lui et se
mêlèrent à sa conversation. Bientôt leurs camarades les suivirent, mus
par une curiosité particulière; pendant ce temps, le brick filait avec
une vitesse extrême, et les baies, les caps, les pointes de la côte
passaient devant le regard comme un panorama gigantesque.
Hatteras arpentait la dunette d'un pas rapide; le docteur, établi sur
le pont, se vit entouré de la plupart des hommes de l'équipage; il
comprit l'intérêt de cette situation, et la puissance d'un récit fait
dans de pareilles circonstances; il reprit donc en ces termes la
conversation commencée avec Johnson:
«Vous savez, mes amis, quels furent les débuts de Franklin; il fut
mousse comme Cook et Nelson; après avoir employé sa jeunesse à de
grandes expéditions maritimes, il résolut en 1845 de s'élancer à la
recherche du passage du nord-ouest; il commandait _l'Erebus_ et _le
Terror_, deux navires éprouvés qui venaient de faire avec James Ross,
en 1840, une campagne au pôle antarctique. _L'Erebus_, monté par
Franklin, portait soixante-dix hommes d'équipage, tant officiers que
matelots, avec Fitz-James pour capitaine, Gore, Le Vesconte, pour
lieutenants, Des Voeux, Sargent, Couch, pour maîtres d'équipage, et
Stanley pour chirurgien. _Le Terror_ comptait soixante-huit hommes,
capitaine Crozier, lieutenants, Little Hogdson et Irving, maîtres
d'équipage, Horesby et Thomas, chirurgien, Peddie. Vous pouvez lire
aux baies, aux caps, aux détroits, aux pointes, aux canaux, aux îles
de ces parages, le nom de la plupart de ces infortunés dont pas un n'a
revu son pays! En tout cent trente-huit hommes! Nous savons que les
dernières lettres de Franklin sont adressées de l'île Disko et datées
du 12 juillet 1845. «J'espère, disait-il, appareiller cette nuit pour
le détroit de Lancastre.» Que s'est-il passé depuis son départ de la
baie de Disko? Les capitaines des baleiniers le _Prince de Galles_ et
_l'Entreprise_ aperçurent une dernière fois les deux navires dans la
baie Melville, et, depuis ce jour, on n'entendit plus parler d'eux.
Cependant nous pouvons suivre Franklin dans sa marche vers l'ouest; il
s'engage par les détroits de Lancastre et de Barrow, arrive à l'île
Beechey où il passe l'hiver de 1845 à 1846.
--Mais comment a-t-on connu ces détails? demanda Bell, le charpentier.
--Par trois tombes qu'en 1850 l'expédition Austin découvrit sur l'île.
Dans ces tombes étaient inhumés trois des matelots de Franklin; puis
ensuite, à l'aide du document trouvé par le lieutenant Hobson du
_Fox_, et qui porte la date du 25 avril 1848. Nous savons donc
qu'après leur hivernage, _l'Erebus_ et _le Terror_ remontèrent le
détroit de Wellington jusqu'au soixante-dix-septième parallèle; mais
au lieu de continuer leur route au nord, route qui n'était sans doute
pas praticable, ils revinrent vers le sud...
--Et ce fut leur perte! dit une voix grave. Le salut était au nord.»
Chacun se retourna. Hatteras, accoudé sur la balustrade de la dunette,
venait de lancer à son équipage cette terrible observation.
«Sans doute, reprit le docteur, l'intention de Franklin était de
rejoindre la côte américaine; mais les tempêtes l'assaillirent sur
cette route funeste, et le 12 septembre 1846, les deux navires furent
saisis par les glaces, à quelques milles d'ici, au nord-ouest du cap
Félix; ils furent entraînés encore jusqu'au nord-nord-ouest de la
pointe Victory; là-même, fit le docteur en désignant un point de la
mer. Or, ajouta-t-il, les navires ne furent abandonnés que le 22 avril
1848. Que s'est-il donc passé pendant ces dix-neuf mois? qu'ont-ils
fait, ces malheureux? Sans doute, ils ont exploré les terres
environnantes, tenté tout pour leur salut, car l'amiral était un homme
énergique! et, s'il n'a pas réussi...
--C'est que ses équipages l'ont trahi,» dit Hatteras d'une voix
sourde.
Les matelots n'osèrent pas lever les yeux; ces paroles pesaient sur
eux.
«Bref, le fatal document nous l'apprend encore, sir John Franklin
succombe à ses fatigues, le 11 juin 1847. Honneur à sa mémoire!» dit
le docteur en se découvrant.
Ses auditeurs l'imitèrent en silence.
«Que devinrent ces malheureux privés de leur chef, pendant dix mois?
ils demeurèrent à bord de leurs navires, et ne se décidèrent à les
abandonner qu'en avril 1848; cent cinq hommes restaient encore sur
cent trente-huit. Trente-trois étaient morts! Alors les capitaines
Crozier et Fitz-James élèvent un cairn à la pointe Victory, et ils y
déposent leur dernier document. Voyez, mes amis, nous passons devant
cette pointe! Vous pouvez encore apercevoir les restes de ce cairn,
placé pour ainsi dire au point extrême que John Ross atteignit en
1831! Voici le cap Jane Franklin! voici la pointe Franklin! voici la
pointe Le Vesconte! voici la baie de _l'Erebus_, où l'on trouva la
chaloupe faite avec les débris de l'un des navires, et posée sur un
traîneau! Là furent découverts des cuillers d'argent, des munitions en
abondance, du chocolat, du thé, des livres de religion! Car les cent
cinq survivants, sous la conduite du capitaine Crozier, se mirent en
route pour Great-Fish-River! Jusqu'où ont-ils pu parvenir? ont-ils
réussi à gagner la baie d'Hudson? quelques-uns survivent-ils? que
sont-ils devenus depuis ce dernier départ?...
--Ce qu'ils sont devenus, je vais vous l'apprendre dit John Hatteras
d'une voix forte. Oui, ils ont tâché d'arriver à la baie d'Hudson, et
se sont fractionnés en plusieurs troupes! Oui, ils ont pris la route
du sud! Oui, en 1854, une lettre du docteur Rae apprit qu'en 1850 les
Esquimaux avaient rencontré sur cette terre du roi Guillaume un
détachement de quarante hommes, chassant le veau marin, voyageant sur
la glace, traînant un bateau, maigris, hâves, exténués de fatigues et
de douleurs. Et plus tard, ils découvraient trente cadavres sur le
continent, et cinq sur une île voisine, les uns à demi enterrés, les
autres abandonnés sans sépulture, ceux-ci sous un bateau renversé,
ceux-là sous les débris d'une tente, ici un officier, son télescope à
l'épaule et son fusil chargé près de lui, plus loin des chaudières
avec les restes d'un repas horrible! A ces nouvelles, l'Amirauté pria
la Compagnie de la baie d'Hudson d'envoyer ses agents les plus habiles
sur le théâtre de l'événement. Ils descendirent la rivière de Back
jusqu'à son embouchure. Ils visitèrent les îles de Montréal,
Maconochie, pointe Ogle. Mais rien! Tous ces infortunés étaient morts
de misère, morts de souffrance, morts de faim, en essayant de
prolonger leur existence par les ressources épouvantables du
cannibalisme! Voilà ce qu'ils sont devenus le long de cette route du
sud jonchée de leurs cadavres mutilés! Eh bien! voulez-vous encore
marcher sur leurs traces?»
La voix vibrante, les gestes passionnés, la physionomie ardente
d'Hatteras, produisirent un effet indescriptible. L'équipage,
surexcité par l'émotion en présence de ces terres funestes, s'écria
tout d'une voix:
«Au nord! au nord!
--Eh bien! au nord! le salut et la gloire sont là! an nord! Le ciel se
déclare pour nous! le vent change! la passe est libre! pare à virer!»
Les matelots se précipitèrent à leur poste de manoeuvre; les
ice-streams se dégageaient peu à peu; _le Forward_ évolua rapidement
et se dirigea en forçant de vapeur vers le canal de Mac-Clintock.
Hatteras avait eu raison de compter sur une mer plus libre; il suivait
en la remontant la route présumée de Franklin; il longeait la côte
orientale de la terre du Prince de Galles, suffisamment déterminée
alors, tandis que la rive opposée est encore inconnue. Évidemment la
débâcle des glaces vers le sud s'était faite par les pertuis de l'est,
car ce détroit paraissait être entièrement dégagé; aussi _le Forward_
fut-il en mesure de regagner le temps perdu; il força de vapeur, si
bien que le 14 juin il dépassait la baie Osborne et les points
extrêmes atteints dans les expéditions de 1851. Les glaces étaient
encore nombreuses dans le détroit, mais la mer ne menaçait plus de
manquer à la quille du _Forward_.


CHAPITRE XVIII
LA ROUTE AU NORD.

L'équipage paraissait avoir repris ses habitudes de discipline et
d'obéissance. Les manoeuvres, rares et peu fatigantes, lui laissaient
de nombreux loisirs. La température se maintenait au-dessus du point
de congélation, et le dégel devait avoir raison des plus grands
obstacles de cette navigation.
Duk, familier et sociable, avait noué des relations d'une amitié
sincère avec le docteur Clawbonny. Ils étaient au mieux. Mais comme en
amitié il y a toujours un ami sacrifié à l'autre, il faut avouer que
le docteur n'était pas l'autre. Duk faisait de lui tout ce qu'il
voulait. Le docteur obéissait comme un chien à son maître. Duk,
d'ailleurs, se montrait aimable envers la plupart des matelots et des
officiers du bord; seulement, par instinct sans doute, il fuyait la
société de Shandon; il avait aussi conservé une dent, et quelle dent!
contre Pen et Foker; sa haine pour eux se traduisait en grognements
mal contenus à leur approche. Ceux-ci, d'ailleurs, n'osaient plus
s'attaquer au chien du capitaine, «à son génie familier,» comme le
disait Clifton.
En fin de compte, l'équipage avait repris confiance et se tenait bien.
«Il semble, dit un jour James Wall à Bichard Shandon, que nos hommes
aient pris au sérieux les discours du capitaine; ils ont l'air de ne
plus douter du succès.
--Ils ont tort, répondit Shandon; s'ils réfléchissaient, s'ils
examinaient la situation, ils comprendraient que nous marchons
d'imprudence en imprudence.
--Cependant, reprit Wall, nous voici dans une mer plus libre; nous
revenons vers des routes déjà reconnues; n'exagérez-vous pas, Shandon?
--Je n'exagère rien, Wall; la haine, la jalousie, si vous le voulez,
que m'inspire Hatteras, ne m'aveuglent pas. Répondez-moi, avez-vous
visité les soutes au charbon?
--Non, répondit Wall.
--Eh bien! descendez-y, et vous verrez avec quelle rapidité nos
approvisionnements diminuent. Dans le principe, on aurait dû naviguer
surtout à la voile, l'hélice étant réservée pour remonter les courants
ou les vents contraires; notre combustible ne devait être employé
qu'avec la plus sévère économie; car, qui peut dire en quel endroit de
ces mers et pour combien d'années nous pouvons être retenus? Mais
Hatteras, poussé par cette frénésie d'aller en avant, de remonter
jusqu'à ce pôle inaccessible, ne se préoccupe plus d'un pareil détail.
Que le vent soit contraire ou non, il marche à toute vapeur, et, pour
peu que cela continue, nous risquons d'être fort embarrassés, sinon
perdus.
--Dites-vous vrai, Shandon? cela est grave alors!
--Oui, Wall, grave; non-seulement pour la machine qui, faute de
combustible, ne nous serait d'aucune utilité dans une circonstance
critique, mais grave aussi, au point de vue d'un hivernage auquel il
faudra tôt ou tard arriver. Or, il faut un peu songer au froid dans un
pays où le mercure se gèle fréquemment dans le thermomètre[1].
[1] Le mercure se gèle à 42° centigrades au-dessous de 0.
--Mais, si je ne me trompe, Shandon, le capitaine compte renouveler
son approvisionnement à l'île Beechey; il doit y trouver du charbon en
grande quantité.
--Va-t-on où l'on veut dans ces mers, Wall? peut-on compter trouver
tel détroit libre de glace? Et s'il manque l'île Beechey, et s'il ne
peut y parvenir, que deviendrons-nous?
--Vous avez raison, Shandon; Hatteras me paraît imprudent; mais
pourquoi ne lui faites-vous pas quelques observations à ce sujet?
--Non, Wall, répondit Shandon avec une amertume mal déguisée; j'ai
résolu de me taire; je n'ai plus la responsabilité du navire;
j'attendrai les événements; on me commande, j'obéis, et je ne donne
pas d'opinion.
--Permettez-moi de vous dire que vous avez tort, Shandon, puisqu'il
s'agit d'un intérêt commun, et que ces imprudences du capitaine
peuvent nous coûter fort cher à tous.
--Et si je lui parlais, Wall, m'écouterait-il?»
Wall n'osa répondre affirmativement.
«Mais, ajouta-t-il, il écouterait peut-être les représentations de
l'équipage.
--L'équipage, fit Shandon en haussant les épaules; mais, mon pauvre
Wall, vous ne l'avez donc pas observé? il est animé de tout autre
sentiment que celui de son salut! il sait qu'il s'avance vers le
soixante-douzième parallèle, et qu'une somme de mille livres lui est
acquise par chaque degré gagné au delà de cette latitude.
--Vous avez raison, Shandon, répondit Wall, et le capitaine a pris là
le meilleur moyen de tenir ses hommes.
--Sans doute, répondit Shandon, pour le présent du moins.
--Que voulez-vous dire?
--Je veux dire qu'en l'absence de dangers ou de fatigues, par une mer
libre, cela ira tout seul; Hatteras les a pris par l'argent; mais ce
que l'on fait pour l'argent, on le fait mal. Viennent donc les
circonstances difficiles, les dangers, la misère, la maladie, le
découragement, le froid, au-devant duquel nous nous précipitons en
insensés, et vous verrez si ces gens-là se souviennent encore d'une
prime à gagner!
--Alors, selon vous, Shandon, Hatteras ne réussira pas?
--Non, Wall, il ne réussira pas; dans une pareille entreprise, il faut
entre les chefs une parfaite communauté d'idées, une sympathie qui
n'existe pas. J'ajoute qu'Hatteras est un fou; son passé tout entier
le prouve! Enfin, nous verrons! il peut arriver des circonstances
telles, que l'on soit forcé de donner le commandement du navire à un
capitaine moins aventureux....
--Cependant, dit Wall, en secouant la tête d'un air de doute, Hatteras
aura toujours pour lui....
--Il aura, répliqua Shandon en interrompant l'officier, il aura le
docteur Clawbonny, un savant qui ne pense qu'à savoir, Johnson, un
marin esclave de la discipline, et qui ne prend pas la peine de
raisonner, peut-être un ou deux hommes encore, comme Bell, le
charpentier, quatre au plus, et nous sommes dix-huit à bord! Non,
Wall, Hatteras n'a pas la confiance de l'équipage, il le sait bien, il
l'amorce par l'argent; il a profité habilement de la catastrophe de
Franklin pour opérer un revirement dans ces esprits mobiles; mais cela
ne durera pas, vous dis-je; et s'il ne parvient pas à atterrir à l'île
Beechey, il est perdu!
--Si l'équipage pouvait se douter...
--Je vous engage, répondit vivement Shandon, à ne pas lui communiquer
ces observations; il les fera de lui-même. En ce moment, d'ailleurs,
il est bon de continuer à suivre la route du nord. Mais qui sait si ce
qu'Hatteras croit être une marche vers le pôle n'est pas un retour sur
ses pas? Au bout du canal MacClintock est la baie Melville, et là
débouche cette suite de détroits qui ramènent à la baie de Baffin.
Qu'Hatteras y prenne garde! le chemin de l'ouest est plus facile que
le chemin du nord.»
On voit par ces paroles quelles étaient les dispositions de Shandon,
et combien le capitaine avait droit de pressentir un traître en lui.
Shandon raisonnait juste d'ailleurs, quand il attribuait la
satisfaction actuelle de l'équipage à cette perspective de dépasser
bientôt le soixante-douzième pararallèle. Cet appétit d'argent
s'empara des moins audacieux du bord. Clifton avait fait le compte de
chacun avec une grande exactitude. En retranchant le capitaine et le
docteur, qui ne pouvaient être admis à partager la prime, il restait
seize hommes sur _le Forward_. La prime étant de mille livres, cela
donnait une somme de soixante-deux livres et demie[1] par tête et par
degré. Si jamais on parvenait au pôle, les dix-huit degrés à franchir
réservaient à chacun une somme de onze cent vingt-cinq livres[2],
c'est-à-dire une fortune. Cette fantaisie-là coûterait dix-huit mille
livres[3] au capitaine; mais il était assez riche pour se payer
pareille promenade au pôle.
[1] 1,362 fr. 50 c.
[2] 23,123 fr.
[3] 450,000 fr.
Ces calculs enflammèrent singulièrement l'avidité de l'équipage, comme
on peut le croire, et plus d'un aspirait à dépasser cette latitude
dorée, qui, quinze jours auparavant, se réjouissait de descendre vers
le sud.
Le _Forward_, dans la journée du 16 juin, rangea le cap Aworth. Le
mont Rawlinson dressait ses pics blancs vers le ciel; la neige et la
brume le faisaient paraître colossal en exagérant sa distance; la
température se maintenait à quelques degrés au-dessus de glace; des
cascades et des cataractes improvisées se développaient sur les flancs
de la montagne; les avalanches se précipitaient avec une détonation
semblable aux décharges continues de la grosse artillerie. Les
glaciers, étalés en longues nappes blanches, projetaient une immense
réverbération dans l'espace. La nature boréale aux prises avec le
dégel offrait aux yeux un splendide spectacle. Le brick rasait la côte
de fort près; on apercevait sur quelques rocs abrités de rares
bruyères dont les fleurs roses sortaient timidement entre les neiges,
des lichens maigres d'une couleur rougeâtre, et les pousses d'une
espèce de saule nain, qui rampaient sur le sol.
Enfin, le 19 juin, parce fameux soixante-douzième degré de latitude,
on doubla la pointe Minto, qui forme l'une des extrémités de la baie
Ommaney; le brick entra dans la baie Melville, surnommée la _mer
d'Argent_ par Bolton; ce joyeux marin se livra sur ce sujet à mille
facéties dont le bon Clawbonny rit de grand coeur.
La navigation du _Forward_, malgré une forte brise du nord-est, fut
assez facile pour que, le 23 juin, il dépassât le soixante-quatorzième
degré de latitude. Il se trouvait au milieu du bassin de Melville,
l'une des mers les plus considérables de ces régions. Cette mer fut
traversée pour la première fois par le capitaine Parry dans sa grande
expédition de 1819, et ce fut là que son équipage gagna la prime de
cinq mille livres promise par acte du gouvernement.
Clifton se contenta de remarquer qu'il y avait deux degrés du
soixante-douzième au soixante-quatorzième: cela faisait déjà cent
vingt-cinq livres à son crédit. Mais on lui fit observer que la
fortune dans ces parages était peu de chose, qu'on ne pouvait se dire
riche qu'à la condition de boire sa richesse; il semblait donc
convenable d'attendre le moment où l'on roulerait sous la table d'une
taverne de Liverpool, pour se réjouir et se frotter les mains.


CHAPITRE XIX.
UNE BALEINE EN VUE.

Le bassin de Melville, quoique aisément navigable, n'était pas
dépourvu de glaces; on apercevait d'immenses ice-fields prolongés
jusqu'aux limites de l'horizon; ça et là apparaissaient quelques
ice-bergs, mais immobiles et comme ancrés au milieu des champs glacés.
_Le Forward_ suivait à toute vapeur de larges passes où ses évolutions
devenaient faciles. Le vent changeait fréquemment, sautant avec
brusquerie d'un point du compas à l'autre.
La variabilité du vent dans les mers arctiques est un fait
remarquable, et souvent quelques minutes à peine séparent un calme
plat d'une tempête désordonnée. C'est ce qu'Hatteras éprouva le 23
juin, au milieu même de l'immense baie.
Les vents les plus constants soufflent généralement de la banquise à
la mer libre, et sont très-froids. Ce jour-là, le thermomètre
descendit de quelques degrés; le vent sauta dans le sud, et d'immenses
rafales passant au-dessus des champs de glace, vinrent se débarrasser
de leur humidité sous la forme d'une neige épaisse, Hatteras fit
immédiatement carguer les voiles dont il aidait l'hélice, mais pas si
vite cependant que son petit perroquet ne fût emporté en un clin
d'oeil.
Hatteras commanda ses manoeuvres avec le plus grand sang-froid, et ne
quitta pas le pont pendant la tempête; il fut obligé de fuir devant le
temps et de remonter dans l'ouest. Le vent soulevait des vagues
énormes au milieu desquelles se balançaient des glaçons de toutes
formes arrachés aux ice-fields environnants; le brick était secoué
comme un jouet d'enfant, et les débris des packs se précipitaient sur
sa coque; par moment, il s'élevait perpendiculairement au sommet d'une
montagne liquide; sa proue d'acier, ramassant la lumière diffuse,
étincelait comme une barre de métal en fusion; puis il descendait dans
un abîme, donnant de la tête au milieu des tourbillons de sa fumée,
tandis que son hélice, hors de l'eau, tournait à vide avec un bruit
sinistre et frappait l'air de ses branches émergées. La pluie, mêlée à
la neige, tombait à torrent.
Le docteur ne pouvait manquer une occasion pareille de se faire
tremper jusqu'aux os; il demeura sur le pont, en proie à toute cette
émouvante admiration qu'un savant sait extraire d'un tel spectacle.
Son plus proche voisin n'aurait pu entendre sa voix; il se taisait
donc et regardait; mais en regardant, il fut témoin d'un phénomène
bizarre et particulier aux régions hyperboréennes.
La tempête était circonscrite dans un espace restreint et ne
s'étendait pas à plus de trois ou quatre milles; en effet, le vent qui
passe sur les champs de glace perd beaucoup de sa force, et ne peut
porter loin ses violences désastreuses; le docteur apercevait de temps
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