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Les grands navigateurs du XVIIIe siècle - 36

Süzlärneñ gomumi sanı 4451
Unikal süzlärneñ gomumi sanı 1670
29.5 süzlär 2000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
41.7 süzlär 5000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
47.7 süzlär 8000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
Härber sızık iñ yış oçrıy torgan 1000 süzlärneñ protsentnı kürsätä.
  que jusqu’à trois. Ils se servaient avec beaucoup d’adresse de la
  sarbacane, avec laquelle ils lançaient de petites flèches trempées dans
  un poison si actif qu’il tuait en une minute.
  [Illustration: Portrait de Humboldt. (_Fac-simile. Gravure ancienne._)]
  Le lendemain fut atteinte l’embouchure de l’Ucayale, l’une des plus
  fortes rivières qui grossissent le Marañon et qui peut en être
  la source. A partir de ce confluent, la largeur du fleuve croît
  sensiblement.
  Le 27, fut accostée la mission des Omaguas, nation autrefois puissante,
  qui peuplait les bords de l’Amazone sur une longueur de deux cents
  lieues au-dessous du Napo. Étrangers au pays, ils passent pour avoir
  descendu le cours de quelque rivière qui prend sa source dans le
  royaume de Grenade, afin d’échapper au joug des Espagnols. Le mot
  «omagua» signifie «tête plate» dans la langue du Pérou, et ces peuples
  ont en effet la coutume bizarre de presser entre deux planches le front
  des nouveau-nés, dans le but, disent-ils, de les faire ressembler à
  la pleine lune. Ils font aussi usage de deux plantes singulières,
  le «floripondio» et le «curupa», qui leur procurent une ivresse de
  vingt-quatre heures et des rêves fort étranges. L’opium et le hatchich
  avaient donc leur similaire au Pérou!
  Le quinquina, l’ipécacuanha, le simaruba, la salsepareille, le
  gaïac et le cacao, la vanille, se trouvent partout sur les bords du
  Marañon. Il en est de même du caoutchouc, dont les Indiens faisaient
  des bouteilles, des bottes et des «seringues qui n’ont pas besoin de
  piston, dit la Condamine. Elles ont la forme de poires creuses, percées
  d’un petit trou à leur extrémité, où ils adaptent une canule. Ce meuble
  est fort en usage chez les Omaguas. Quand ils s’assemblent entre eux
  pour quelque fête, le maître de la maison ne manque pas d’en présenter
  une par politesse à chacun des conviés, et son usage précède toujours
  parmi eux les repas de cérémonie.»
  Changeant d’équipage à San-Joaquin, La Condamine arriva à temps à
  l’embouchure du Napo pour observer, dans la nuit du 31 juillet au
  1er août, une émersion du premier satellite de Jupiter; ce qui lui
  permit de fixer avec exactitude la longitude et la latitude de cet
  endroit; observation précieuse, sur laquelle devaient reposer tous les
  relèvements du reste du voyage.
  Pevas, qui fut atteinte le lendemain, est la dernière des missions
  espagnoles sur les bords du Marañon. Les Indiens, qui y étaient
  réunis, appartenaient à des nations différentes et n’étaient pas tous
  chrétiens. Ils portaient encore des ornements d’os d’animaux et de
  poissons passés dans les narines et dans les lèvres, et leurs joues
  criblées de trous servaient d’étui à des plumes d’oiseaux de toute
  couleur.
  Saint-Paul est la première mission des Portugais. Là, le fleuve n’a
  pas moins de neuf cents toises, et il s’y élève souvent des tempêtes
  furieuses. Le voyageur fut agréablement surpris de voir les femmes
  indiennes porter des chemises de toile et posséder des coffres à
  serrure, des clefs de fer, des aiguilles, des miroirs, des ciseaux et
  d’autres ustensiles d’Europe que ces sauvages se procurent au Para,
  lorsqu’ils y vont porter leur récolte de cacao. Leurs canots sont bien
  plus commodes que ceux dont se servent les Indiens des possessions
  espagnoles. Ce sont de vrais petits brigantins de soixante pieds de
  long sur sept de large, que manœuvrent quarante rameurs.
  De Saint-Paul à Coari se jettent dans l’Amazone de grandes et belles
  rivières appelées Yutay, Yuruca, Tefé, Coari, sur la rive méridionale,
  Putumayo, Yupura, qui viennent du nord. Sur les bords de cette dernière
  rivière habitaient encore des peuplades anthropophages. C’est là
  qu’avait été plantée, le 26 août 1639, par Texeira, une borne qui
  devait servir de frontière. Jusqu’en cet endroit, on s’était servi
  de la langue du Pérou pour communiquer avec les Indiens; il fallut
  dès lors employer celle du Brésil, qui est en usage dans toutes les
  missions portugaises.
  La rivière de Purus, le Rio-Negro, peuplé de missions portugaises sous
  la direction de religieux du Mont-Carmel, et qui met en communication
  l’Orénoque avec l’Amazone, furent successivement reconnus. Les premiers
  éclaircissements sérieux sur cette grave question de géographie sont
  dus aux travaux de La Condamine et à sa critique sagace des voyages
  des missionnaires qui l’avaient précédé. C’est dans ces parages
  qu’avaient été placés le lac Doré de Parimé et la ville imaginaire
  de Manoa-del-Dorado. C’est la patrie des Indiens Manaos, qui ont si
  longtemps résisté aux armes portugaises.
  L’embouchure du rio de la Madera,--ainsi nommé de la grande quantité
  de bois qu’il charrie,--le fort de Pauxis, au delà duquel le Marañon
  prend le nom d’Amazone et où la marée commence à se faire sentir, bien
  qu’on soit encore éloigné de la mer de plus de deux cents lieues, la
  forteresse de Topayos, à l’embouchure d’une rivière qui descend des
  mines du Brésil et sur les bords de laquelle habitent les Tupinambas,
  furent successivement dépassés.
  Ce ne fut qu’au mois de septembre qu’on aperçut des montagnes dans le
  nord,--spectacle nouveau, car, depuis deux mois, La Condamine naviguait
  sans avoir vu le moindre coteau. C’étaient les premiers contreforts de
  la chaîne de la Guyane.
  Le 6 septembre, en face du fort de Paru, on quitta l’Amazone pour
  entrer, par un canal naturel, dans la rivière de Xingu, que le père
  d’Acunha appelle Paramaribo. On gagna ensuite le fort de Curupa et,
  enfin, Para, grande ville aux rues droites, aux maisons bâties en
  pierres et en moellons. La Condamine, qui, pour terminer sa carte,
  tenait à visiter l’embouchure de l’Amazone, s’embarqua pour Cayenne, où
  il arriva le 26 février 1744.
  Cet immense voyage avait eu des résultats considérables. Pour la
  première fois le cours des Amazones était établi d’une manière vraiment
  scientifique; on pouvait pressentir la communication de l’Orénoque avec
  ce fleuve; enfin, La Condamine rapportait une foule d’observations
  intéressantes touchant l’histoire naturelle, la physique, l’astronomie
  et cette science nouvelle qui tendait à se constituer, l’anthropologie.
  Nous devons raconter maintenant les voyages d’un des savants qui
  comprirent le mieux les rapports de la géographie avec les autres
  sciences physiques, Alexandre de Humboldt. A lui revient la gloire
  d’avoir entraîné les voyageurs dans cette voie féconde.
  Né en 1769, à Berlin, Humboldt eut pour premier instituteur Campe,
  l’éditeur bien connu de plusieurs relations de voyage. Doué d’un
  goût très vif pour la botanique, Humboldt se lia, à l’université de
  Göttingue, avec Forster le fils, qui venait d’accomplir le tour du
  monde à la suite du capitaine Cook. Cette liaison, et particulièrement
  les récits enthousiastes de Forster, contribuèrent vraisemblablement
  à faire naître chez Humboldt la passion des voyages. Il mène de front
  l’étude de la géologie, de la botanique, de la chimie, de l’électricité
  animale, et, pour se perfectionner dans ces différentes sciences, il
  voyage en Angleterre, en Hollande, en Italie et en Suisse. En 1797,
  après la mort de sa mère, qui s’était opposée à ses voyages hors
  d’Europe, il vient à Paris, où il fait la connaissance d’Aimé Bonpland,
  jeune botaniste avec lequel il forma aussitôt plusieurs projets
  d’explorations.
  Il était convenu que Humboldt accompagnerait le capitaine Baudin; mais
  les retards auxquels fut soumis le départ de cette expédition lassèrent
  sa patience, et il se rendit à Marseille dans l’intention d’aller
  retrouver l’armée française en Égypte. Pendant deux mois entiers, il
  attendit le départ d’une frégate qui devait conduire le consul suédois
  à Alger; puis, fatigué de tous ces délais, il partit pour l’Espagne,
  avec son ami Bonpland, dans l’espoir d’obtenir la permission de visiter
  les possessions espagnoles d’Amérique.
  Ce n’était pas chose facile; mais Humboldt était doué d’une
  rare persévérance, il avait de belles connaissances, de chaudes
  recommandations, et il possédait déjà une certaine notoriété. Aussi
  fut-il, malgré la très vive répugnance du gouvernement, autorisé
  à explorer ces colonies et à y faire toutes les observations
  astronomiques et géodésiques qu’il voudrait.
  Les deux amis partirent de la Corogne le 5 juin 1799, et, treize jours
  après, ils atteignirent les Canaries. Pour des naturalistes, débarquer
  à Ténériffe sans faire l’ascension du pic, c’eût été manquer à tous
  leurs devoirs.
   «Presque tous les naturalistes, dit Humboldt dans une lettre à La
   Metterie, qui (comme moi) sont passés aux Indes, n’ont eu le loisir
   que d’aller au pied de ce colosse volcanique et d’admirer les jardins
   délicieux du port de l’Orotava. J’ai eu le bonheur que notre frégate,
   _le Pizarro_, s’arrêta pendant six jours. J’ai examiné en détail les
   couches dont le pic de Teyde est construit.... Nous dormîmes, au
   clair de la lune, à 1200 toises de hauteur. La nuit à deux heures,
   nous nous mîmes en marche vers la cime, où, malgré le vent violent,
   la chaleur du sol qui brûlait nos bottes, et malgré le froid perçant,
   nous arrivâmes à huit heures. Je ne vous dirai rien de ce spectacle
   majestueux, des îles volcaniques de Lancerote, Canarie, Gomère, que
   l’on voit à ses pieds; de ce désert de vingt lieues carrées couvert
   de pierres ponces et de laves, sans insectes, sans oiseaux; désert
   qui nous sépare de ces bois touffus de lauriers et de bruyères, de
   ces vignobles ornés de palmiers, de bananiers et d’arbres de dragon
   dont les racines sont baignées par les flots.... Nous sommes entrés
   jusque dans le cratère même, qui n’a que 40 à 60 pieds de profondeur.
   La cime est à 1904 toises au-dessus du niveau de la mer, tel que
   Borda l’a trouvé par une opération géométrique très exacte..... Le
   cratère du pic, c’est-à-dire celui de la cime, ne jette, depuis des
   siècles, plus de laves (celles-ci ne sortent que des flancs). Mais le
   cratère produit une énorme quantité de soufre et de sulfate de fer.»
  Au mois de juillet, Humboldt et Bonpland arrivèrent à Cumana, dans
  cette partie de l’Amérique du Sud connue sous le nom de Terre-Ferme.
  Ils y passèrent d’abord quelques semaines à examiner les traces du
  grand tremblement de terre de 1797. Ils fixèrent ensuite la position de
  Cumana, placée, sur toutes les cartes, d’un demi-degré trop au sud,--ce
  qu’il fallait attribuer à ce que le courant qui porte au nord près de
  la Trinité a trompé tous les navigateurs. Au mois de décembre 1799,
  Humboldt écrivait de Caracas à l’astronome Lalande:
   «Je viens de finir un voyage infiniment intéressant dans l’intérieur
   du Para, dans la Cordillère de Cocolar, Tumeri, Guiri; j’ai eu deux
   ou trois mules chargées d’instruments, de plantes sèches, etc.
   Nous avons pénétré dans les missions des capucins, qui n’avaient
   été visitées par aucun naturaliste; nous avons découvert un grand
   nombre de végétaux, principalement de nouveaux genres de palmiers,
   et nous sommes sur le point de partir pour l’Orinoco, pour nous
   enfoncer, de là, peut-être jusqu’à San-Carlos du Rio-Negro, au delà
   de l’équateur.... Nous avons séché plus de 1600 plantes et décrit
   plus de 500 oiseaux, ramassé des coquilles et des insectes; j’ai fait
   une cinquantaine de dessins. Je crois qu’en considérant les chaleurs
   brûlantes de cette zone, vous penserez que nous avons beaucoup
   travaillé en quatre mois.»
  Pendant cette première course, Humboldt avait visité les missions
  des Indiens Chaymas et Guaraunos. Il avait grimpé sur la cime du
  Tumiriquiri et était descendu dans la grotte du Guacharo, «caverne
  immense et habitation de milliers d’oiseaux de nuit, dont la graisse
  donne l’huile de Guacharo. Son entrée est véritablement majestueuse,
  ornée et couronnée de la végétation la plus luxuriante. Il en sort une
  rivière considérable, et son intérieur retentit du chant lugubre des
  oiseaux. C’est l’Achéron des Indiens Chaymas, car selon la mythologie
  de ces peuples et des Indiens de l’Orénoque, l’âme des défunts entre
  dans cette caverne. Descendre le Guacharo signifie mourir, dans leur
  langue.
   «Les Indiens entrent dans la _cueva_ du Guacharo une fois chaque
   année, vers le milieu de l’été, armés de perches, à l’aide desquelles
   ils détruisent la plus grande partie des nids. A cette saison,
   plusieurs milliers d’oiseaux périssent ainsi de mort violente, et
   les vieux guacharos, comme s’ils voulaient défendre leurs couvées,
   planent au-dessus des têtes des Indiens en poussant des cris
   horribles. Les petits qui tombent à terre sont ouverts sur le lieu
   même. Leur péritoine est revêtu d’une épaisse couche de graisse qui
   s’étend depuis l’abdomen jusqu’à l’anus, formant ainsi une sorte de
   coussin entre les jambes des oiseaux. A l’époque appelée à Caripe la
   moisson de l’huile, les Indiens bâtissent à l’entrée et même sous les
   vestibules de la caverne, des huttes de feuilles de palmier, puis,
   allumant alors des feux de broussailles, ils font fondre dans des
   pots d’argile la graisse des jeunes oiseaux qu’ils viennent de tuer.
   Cette graisse, connue sous le nom de beurre ou d’huile de Guacharo,
   est à demi liquide, transparente, inodore, et si pure qu’on peut la
   conserver une année sans qu’elle rancisse.»
  Puis Humboldt continue en disant: «Nous avons passé une quinzaine de
  jours dans la vallée de Caripe, située sur une hauteur de neuf cent
  cinquante-deux vares castillanes au-dessus du niveau de la mer et
  habitée par des Indiens nus. Nous y vîmes des singes noirs avec des
  barbes rousses; nous eûmes la satisfaction d’être traités avec la
  plus extrême bienveillance par les pères capucins du couvent et les
  missionnaires qui vivent avec les Indiens quelque peu civilisés.»
  De la vallée de Caripe, les deux voyageurs regagnèrent Cumana par
  les montagnes de Santa-Maria et les missions de Catuaro, et, le 21
  novembre, ils arrivaient par mer à Caracas, ville qui, située au milieu
  d’une vallée fertile en cacao, coton et café, offre le climat de
  l’Europe.
  Humboldt profita de son séjour à Caracas pour étudier la lumière des
  étoiles du sud, car il s’était aperçu que plusieurs, notamment dans la
  Grue, l’Autel, le Toucan, les Pieds du Centaure, paraissaient avoir
  changé depuis La Caille.
  En même temps, il mettait en ordre ses collections, en expédiait une
  partie en Europe et se livrait à un examen approfondi des roches, afin
  d’étudier la construction du globe dans cette partie du monde.
  Après avoir exploré les environs de Caracas et fait l’ascension de
  la _Silla_, ou Selle, qu’aucun habitant de la ville n’avait encore
  escaladée jusqu’au faîte, bien qu’elle fût toute voisine de la ville,
  Humboldt et Bonpland gagnèrent Valencia, en suivant les bords d’un lac
  appelé Tacarigua par les Indiens, et qui dépasse en étendue le lac de
  Neufchâtel en Suisse. Rien ne peut donner une idée de la richesse et
  de la diversité de la végétation. Mais ce ne sont pas seulement ses
  beautés pittoresques et romantiques qui prêtent de l’intérêt à ce lac.
  Le problème de la diminution graduelle de ses eaux était fait pour
  appeler l’attention de Humboldt, qui attribue cette décroissance à une
  exploitation inconsidérée des forêts et par conséquent à l’épuisement
  des sources.
  C’est près de là que Humboldt put se convaincre de la réalité des
  récits qui lui avaient été faits au sujet d’un arbre singulier, _palo
  de la vaca_, l’arbre de la vache, qui fournit, au moyen d’incisions
  qu’on pratique dans son tronc, un lait balsamique très nourrissant.
  La partie difficile du voyage commençait à Porto-Cabello, à l’ouverture
  des «llanos», plaines d’une uniformité absolue qui s’étendent entre les
  collines de la côte et la vallée de l’Orénoque.
   «Je ne sais pas, dit Humboldt, si le premier aspect des «llanos»
   excite moins d’étonnement que celui des Andes.»
  Rien, en effet, n’est plus frappant que cette mer d’herbes sur laquelle
  s’élèvent continuellement des tourbillons de poussière sans qu’on
  sente le moindre souffle d’air. Au milieu de cette plaine immense,
  à Calabozo, Humboldt essaya pour la première fois la puissance des
  gymnotes, anguilles électriques qu’on rencontre à chaque pas dans tous
  les affluents de l’Orénoque. Les Indiens, qui craignaient de s’exposer
  à la décharge électrique, proposèrent de faire entrer quelques chevaux
  dans le marais où se tenaient les gymnotes.
   «Le bruit extraordinaire causé par les sabots des chevaux, dit
   Humboldt, fait sortir les gymnotes de la vase et les provoque au
   combat. Ces anguilles jaunâtres et livides, ressemblant à des
   serpents, nagent à la surface de l’eau et se pressent sous le ventre
   des quadrupèdes qui viennent troubler leur tranquillité. La lutte
   qui s’engage entre des animaux d’une organisation si différente,
   offre un spectacle frappant. Les Indiens, armés de harpons et de
   longues cannes, entourent l’étang de tous côtés et montent même
   dans les arbres dont les branches s’étendent horizontalement sur
   la surface de l’eau. Leurs cris sauvages et leurs longs bâtons
   empêchent les chevaux de prendre la fuite et de regagner les rives
   de l’étang. Les anguilles, étourdies par le bruit, se défendent au
   moyen des décharges répétées de leurs batteries électriques. Pendant
   longtemps, elles semblent victorieuses; quelques chevaux succombent
   à la violence de ces secousses qu’ils reçoivent de tous côtés dans
   les organes les plus essentiels de la vie, et, étourdis à leur tour
   par la force et le nombre de ces secousses, ils s’évanouissent et
   disparaissent sous les eaux.
   «D’autres, haletants, la crinière hérissée, les yeux hagards et
   exprimant la plus vive douleur, cherchent à s’enfuir loin du champ de
   bataille; mais les Indiens les repoussent impitoyablement au milieu
   de l’eau. Ceux, en très petit nombre, qui parviennent à tromper la
   vigilance active des pêcheurs, regagnent le rivage, s’abattent à
   chaque pas et vont s’étendre sur le sable, épuisés de fatigue, tous
   leurs membres étant engourdis par les secousses électriques des
   gymnotes....
  [Illustration: Indiens Omaguas. (Page 441.)]
   «Je ne me rappelle pas avoir jamais reçu de la décharge d’une
   bouteille de Leyde une commotion plus épouvantable que celle que
   j’éprouvai en posant imprudemment mon pied sur une gymnote qui venait
   de sortir de l’eau.»
  La position astronomique de Calabozo une fois déterminée, Humboldt
  et Bonpland reprirent leur route pour l’Orénoque. L’Uritucu,
  aux crocodiles féroces et nombreux, l’Apure, un des affluents
  de l’Orénoque, dont les bords sont couverts de cette végétation
  plantureuse et luxuriante qu’on ne trouve que sous les tropiques,
  furent successivement traversés ou descendus. Les rives de ce dernier
  cours d’eau étaient bordées d’un épais taillis, dans lequel étaient
  percées de place en place des arcades qui permettaient aux pécaris, aux
  tigres et aux autres animaux sauvages ou féroces de venir s’abreuver.
  Lorsque la nuit étend son voile sur la forêt, celle-ci, qui a semblé
  jusqu’alors inhabitée, retentit aussitôt des rugissements, des cris ou
  des chants des bêtes fauves et des oiseaux qui semblent lutter à qui
  fera le plus de bruit.
  [Illustration: Au milieu de ces arbres gigantesques. (Page 450.)]
  Si l’Uritucu a ses audacieux crocodiles, l’Apure possède de plus un
  petit poisson, le «carabito», qui s’attaque avec une telle frénésie aux
  baigneurs, qu’il leur enlève souvent des morceaux de chair relativement
  considérables. Ce poisson, qui n’a pourtant que quatre à cinq pouces
  de long, est plus redoutable que le plus gros des crocodiles. Aussi nul
  Indien ne se risque-t-il à se plonger dans les eaux qu’il fréquente,
  malgré le plaisir qu’ils éprouvent à se baigner et la nécessité qu’il
  y a pour eux de rafraîchir leur peau constamment piquée par les
  moustiques et les fourmis.
  L’Orénoque fut ensuite descendu par les voyageurs jusqu’au Temi, réuni
  par un portage de peu d’étendue au Cano-Pimichin, affluent du Rio-Negro.
  Le Temi inonde souvent au loin les forêts de ses rives. Aussi les
  Indiens pratiquent-ils à travers les arbres des sentiers aquatiques
  d’un ou deux mètres de large. Rien n’est curieux, rien n’est imposant
  comme de naviguer au milieu de ces arbres gigantesques, sous ces dômes
  de feuillage. Là, à trois ou quatre cents lieues dans l’intérieur des
  terres, on rencontre des bandes de dauphins d’eau douce qui lancent ces
  jets d’eau et d’air comprimé auxquels ils doivent le nom de souffleurs.
  Quatre jours furent nécessaires pour porter les canots du Temi au
  Cano-Pimichin, et il fallut s’ouvrir un chemin à coups de machète.
  Le Pimichin tombe dans le Rio-Negro, qui est lui-même un affluent des
  Amazones.
  Humboldt et Bonpland descendirent la rivière Noire jusqu’à San-Carlos,
  et remontèrent le Casiquiare, bras puissant de l’Orénoque, qui fait
  communiquer ce dernier avec le Rio-Negro. Les rives du Casiquiare sont
  habitées par les Ydapaminores, qui ne mangent que des fourmis séchées à
  la fumée.
  Enfin, les voyageurs remontèrent l’Orénoque jusqu’auprès de ses
  sources, au pied du volcan de Duida, où les arrêta la férocité des
  Guaharibos et des Indiens Guaicas, habiles tireurs d’arc. C’est en cet
  endroit qu’on trouve la fameuse lagune de l’El Dorado, sur laquelle se
  mirent quelques petits îlots de talc.
  Ainsi donc était définitivement résolu le problème de la jonction de
  l’Orénoque et du Marañon, jonction qui se fait à la frontière des
  possessions espagnoles et portugaises à deux degrés au-dessus de
  l’équateur.
  Les deux voyageurs se laissèrent alors emporter à la force du courant
  de l’Orénoque, qui leur fit franchir plus de cinq cents lieues en moins
  de vingt-six jours, s’arrêtèrent pendant trois semaines à Angostura
  pour laisser passer les grandes chaleurs et l’époque des fièvres, puis
  regagnèrent Cumana, au mois d’octobre 1800.
   «Ma santé, dit Humboldt, a résisté aux fatigues d’un voyage de plus
   de treize cents lieues, mais mon pauvre compagnon Bonpland a été
   pris, aussitôt son retour, d’une fièvre accompagnée de vomissements,
   dont il eut grand’peine à guérir. Il fallait un tempérament d’une
   vigueur exceptionnelle pour résister aux fatigues, aux privations,
   aux préoccupations de tout genre qui assaillent les voyageurs dans
   ces contrées meurtrières. Être entouré continuellement de tigres
   et de crocodiles féroces, avoir le corps meurtri par les piqûres
   de formidables mosquitos ou de fourmis, n’avoir pendant trois mois
   d’autres aliments que de l’eau, des bananes, du poisson et du manioc,
   traverser le pays des Otomaques, qui mangent de la terre, descendre
   sous l’équateur les bords du Casiquiare, où pendant cent trente
   lieues de chemin on ne voit pas une âme humaine, le nombre n’est pas
   grand de ceux qui peuvent surmonter ces fatigues et ces périls, mais
   encore moins nombreux sont ceux qui, sortis victorieux de la lutte,
   ont assez de courage et de force pour l’affronter de nouveau.»
  Nous avons vu quelle importante découverte géographique avait
  récompensé la ténacité des explorateurs, qui venaient de parcourir tout
  le pays situé au nord de l’Amazone, entre le Popayan et les montagnes
  de la Guyane française. Les résultats obtenus dans toutes les autres
  sciences n’étaient pas moins nombreux et moins nouveaux.
  Humboldt avait constaté que, chez les Indiens du haut Orénoque et du
  Rio-Negro, il existe des peuplades extraordinairement blanches, qui
  constituent une race très différente de celles de la côte. En même
  temps, il avait observé la tribu si curieuse des Otomaques.
   «Cette nation, dit Humboldt, hideuse par les peintures qui défigurent
   son corps, mange, lorsque l’Orénoque est très haut et que l’on n’y
   trouve plus de tortues, pendant trois mois, rien ou presque rien que
   de la terre glaise. Il y a des individus qui mangent jusqu’à une
   livre et demie de terre par jour. Il y a des moines qui ont prétendu
   qu’ils mêlaient la terre avec le gras de la queue du crocodile;
   mais cela est très faux. Nous avons trouvé chez les Otomaques des
   provisions de terre pure qu’ils mangent; ils ne lui donnent d’autre
   préparation que de la brûler légèrement et de l’humecter.»
  Parmi les plus curieuses découvertes que Humboldt avait encore faites,
  il faut citer celles du «curare», ce poison si violent qu’il avait
  vu fabriquer chez les Indiens Catarapeni et Maquiritares, et dont il
  envoyait un échantillon à l’Institut, et le «dapiche», qui est un état
  de la gomme élastique jusqu’alors inconnu. C’est la gomme qui s’est
  échappée naturellement des racines des deux arbres, le «jacio» et le
  «cucurma», et qui s’est séchée dans la terre.
  Ce premier voyage de Humboldt finit par l’exploration des provinces
  méridionales de Saint-Domingue et de la Jamaïque, et par un séjour à
  Cuba, où les deux voyageurs tentèrent différentes expériences pour
  améliorer la fabrication du sucre, levèrent le plan des côtes de l’île
  et firent des observations astronomiques.
  Ces travaux furent interrompus par l’annonce du départ du capitaine
  Baudin, qui devait, disait-on, doubler le cap Horn et reconnaître les
  côtes du Chili et du Pérou. Humboldt, qui avait promis de rejoindre
  l’expédition, partit aussitôt de Cuba pour traverser l’Amérique
  méridionale et se trouver sur les côtes du Pérou lors de l’arrivée du
  navigateur français. Ce fut seulement à Quito que Humboldt apprit que
  Baudin devait, au contraire, entrer dans le Pacifique, en doublant
  le cap de Bonne-Espérance. Il n’en est pas moins vrai que toutes les
  actions du voyageur avaient été subordonnées au désir de se trouver à
  époque fixe dans les parages où il croyait pouvait rencontrer Baudin.
  Au mois de mars 1801, Humboldt, accompagné du fidèle Bonpland, débarqua
  à Carthagène, d’où il se proposait de gagner Santa-Fé-de-Bogota, puis
  les plaines élevées de Quito. Les deux voyageurs résidèrent tout
  d’abord, afin d’éviter les chaleurs, au beau village de Turbaco, sur
  les hauteurs qui dominent la côte, et s’occupèrent de préparer leur
  voyage. Pendant une de leurs courses dans les environs, ils visitèrent
  une région extrêmement curieuse, dont leur avaient souvent parlé leurs
  guides indiens, et qu’on appelle les _Volcanitos_.
  C’est un canton marécageux, situé au milieu d’une forêt de palmiers et
  d’arbres «tolu», à deux milles environ à l’est de Turbaco. Une légende,
  qui court le pays, veut que tout ce pays eût été embrasé autrefois;
  mais un saint aurait éteint ce feu en jetant simplement dessus quelques
  gouttes d’eau bénite.
  Humboldt trouva au milieu d’une vaste plaine une vingtaine de cônes
  d’une argile grisâtre, hauts de vingt-cinq pieds environ, dont
  l’orifice, au sommet, était rempli d’eau. Lorsqu’on s’en approche,
  on entend à intervalles réguliers un son creux, et, quelques minutes
  après, on voit s’échapper une forte quantité de gaz. Ces cônes sont, au
  dire des Indiens, dans le même état depuis nombre d’années.
  Humboldt reconnut que le gaz qui se dégage de ces petits volcans est un
  azote beaucoup plus pur que celui qu’on pouvait se procurer jusqu’alors
  dans les laboratoires de chimie.
  Santa-Fé est située dans une vallée élevée de huit mille six cents
  pieds au-dessus de la mer, qui est de tous côtés enfermée par de hautes
  montagnes, et semble avoir été autrefois un lac considérable. Le
  Rio-Bogota, qui rassemble toutes les eaux de cette vallée, s’est frayé
  un passage au sud-ouest de Santa-Fé et près de la ferme de Tequendama;
  puis, quittant la plaine par un étroit canal, il passe dans le bassin
  de la Magdalena. Il en résulte que, si l’on bouchait ce passage, toute
  la plaine de Bogota serait inondée, et le grand lac, qui existait
  autrefois, serait reconstitué. De même qu’il existe dans les Pyrénées
  une légende sur la brèche de Roland, de même les Indiens racontent
  qu’un de leurs héros, Bochica, fendit les rochers qui bouchaient le
  passage et dessécha la vallée de Bogota. Après quoi, content de son
  œuvre, il se retira dans la sainte ville d’Eraca, où il vécut deux
  mille ans en faisant pénitence et en s’imposant les privations les plus
  rigoureuses.
  La cataracte de Tequendama, sans être la plus grande du globe, n’en
  offre pas moins un spectacle grandiose. La rivière, grossie de toutes
  
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Çirattagı - Les grands navigateurs du XVIIIe siècle - 37