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La Comédie humaine - Volume 12. Scènes de la vie parisienne et scènes de la vie - 61
Süzlärneñ gomumi sanı 4674
Unikal süzlärneñ gomumi sanı 1604
36.7 süzlär 2000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
47.4 süzlär 5000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
53.2 süzlär 8000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
en parlant ainsi, je suis sûr d’exprimer les intentions de monsieur
votre père, si vous pensiez qu’un homme qui déjà, dans l’intérêt
de votre élection, a mis un demi-million dehors, n’est pas un père
tout à fait convenable, nous vous laisserions tout à fait libre, et
n’insisterions d’aucune façon.
--Parfaitement, parfaitement, dit M. de Sallenauve en mettant à cette
affirmation un accent bref et un son de voix clair et particulier aux
débris de la vieille aristocratie.
La politesse, pour le moins, me forçait à dire que j’acceptais avec
empressement la paternité qui s’offrait à moi. A quelques mots que je
prononçai dans ce sens:
--Du reste, répondit gaiement Jacques Bricheteau, notre pensée n’est
pas de vous faire acheter _père en poche_. Moins pour provoquer une
confiance que dès à présent il se croit acquise, que pour vous mettre
à même de connaître la famille dont vous allez porter le nom, M. le
marquis fera passer sous vos yeux tous les titres et tous les papiers
dont il est détenteur; de plus, quoique depuis bien longtemps il ait
quitté ce pays, il sera en mesure de faire affirmer son identité par
plusieurs de ses contemporains encore existants, ce qui, du reste, ne
pourra que profiter à la validité de l’acte à intervenir. Par exemple,
au nombre des personnes honorables par lesquelles il a déjà été
reconnu, je puis vous citer la respectueuse supérieure de la communauté
des dames Ursulines, la mère Marie-des-Anges, pour laquelle, soit dit
en passant, vous avez fait un chef-d’œuvre.
--Oui, ma foi, oui, c’est un joli morceau, dit le marquis, et si vous
êtes un politique de cette force!...
--Eh bien! marquis, dit Jacques Bricheteau, qui me parut le mener un
peu, voulez-vous procéder, avec notre jeune ami, à la vérification des
papiers de famille?
--Mais c’est inutile, répliquai-je. Et vraiment, par ce refus d’examen,
il ne me paraissait pas que j’engageasse beaucoup ma foi; car, après
tout, que signifient des papiers entre les mains d’un homme qui peut
les avoir fabriqués ou se les être appropriés? Mais mon père ne me
tint pas pour quitte, et pendant plus de deux heures, il fit passer
sous mes yeux des parchemins, des arbres généalogiques, des contrats,
des brevets, toutes pièces desquelles il résulte que la famille de
Sallenauve est, après les Cinq-Cygne, une des plus anciennes familles
de la Champagne en général, et du département de l’Aube en particulier.
Je dois ajouter que l’exhibition de toutes ces archives fut accompagnée
d’un nombre infini de détails parlés, qui donnaient à l’identité du
dernier marquis de Sallenauve la plus incontestable vraisemblance. Sur
tout autre sujet, mon père est assez laconique; son ouverture d’esprit
ne me paraît pas extraordinaire, et volontiers il passe la parole
à son _chancelier_; mais là, sur le fait de ses parchemins, il fut
étourdissant d’anecdotes, de souvenirs, de savoir héraldique; bref, ce
fut bien le vieux gentilhomme ignorant et superficiel sur toute chose,
mais devenu d’une érudition bénédictine quand il s’agit de la science
de sa maison.
La séance, je crois, durerait encore, sans l’intervention de Jacques
Bricheteau: comme il vit le marquis prêt à couronner ses immenses
commentaires oraux par la lecture d’un volumineux mémoire où il s’est
proposé de réfuter un chapitre des _Historiettes_ de Tallemant des
Réaux, qui n’a pas été écrit pour la plus grande gloire des Sallenauve,
le judicieux organiste fit remarquer qu’il était l’heure de se mettre à
table, si l’on voulait être exactement rendu, à sept heures, en l’étude
de maître Achille Pigoult, où rendez-vous était pris. Nous dînâmes
donc, non pas à table d’hôte, mais dans notre appartement, et le dîner
n’eut rien de remarquable, si ce n’est sa longueur excessive, due au
recueillement silencieux et à la lenteur que le marquis, par suite de
la perte de toutes ses dents, met à avaler ses morceaux.
A sept heures, nous étions rendus chez maître Achille Pigoult... Mais
il est bientôt deux heures du matin, et le sommeil me gagne: à demain
donc, si j’en ai le loisir, la continuation de cette lettre et la
relation circonstanciée de ce qui s’est passé dans l’étude du notaire
royal. Tu sais, d’ailleurs, en gros, le résultat, comme un homme qui
a couru au dernier chapitre d’un roman pour voir si _Évelina épouse
Arthur_, et tu peux bien me faire crédit des détails. Tout à l’heure,
en me couchant, je me dirai: Bonsoir, monsieur de Sallenauve. Au
fait, en m’affublant de ce nom de Dorlange, ce diable de Bricheteau
n’avait pas eu la main heureuse; j’avais l’air de quelque héros de
roman du temps de l’Empire, ou bien d’un de ces ténors de province qui
attendent un engagement sous les maigres ombrages du Palais-Royal.
Tu ne m’en veux point, n’est-ce pas, de te quitter pour mon lit où
je vais m’assoupir au doux murmure de l’Aube? D’ici, au milieu de
l’indescriptible silence de la nuit, dans une petite ville de province,
j’entends mélancoliquement clapoter ses flots.
4 mai, cinq heures du matin.
J’avais compté sur un sommeil embelli par les plus beaux songes; je
n’ai pas dormi plus d’une heure, et je me réveille mordu au cœur par
une idée détestable; mais avant de te la transmettre, car elle n’a pas
le sens commun, que d’abord je te dise un peu ce qui s’est passé hier
soir chez le notaire: certains détails de cette scène ne sont peut-être
pas étrangers au mouvement fantasmagorique qui vient de se faire dans
mon esprit.
Après que la domestique de maître Pigoult, Champenoise pur sang, nous
eut fait traverser une étude de l’aspect le plus antique et le plus
vénérable, où l’on ne voit pas de clercs travaillant le soir, comme on
fait à Paris, cette fille nous introduisit dans le cabinet du patron,
grande pièce froide et humide qu’éclairaient très imparfaitement deux
bougies stéariques placées sur le bureau.
Malgré une bise assez piquante qui soufflait au dehors, sur la foi
du mois de mai des poëtes et du printemps légalement déclaré à cette
époque de l’année, il n’y avait point de feu allumé à l’âtre; mais tous
les préparatifs d’une joyeuse flambée étaient faits dans la cheminée.
Maître Achille Pigoult, petit homme chétif, horriblement grêlé et
affligé de lunettes vertes, par-dessus lesquelles, d’ailleurs, il darde
un regard plein de vivacité et d’intelligence, nous demanda si nous
trouvions qu’il fît assez chaud dans l’appartement. Sur notre réponse
affirmative, qu’il dut bien entrevoir un peu dictée par la politesse,
il avait déjà développé ses dispositions incendiaires jusqu’à faire
flamber une allumette, quand, partant d’un des coins les plus obscurs
de la pièce, une voix cassée et décrépite, dont nous n’avions pas
encore aperçu le propriétaire, intervint pour s’opposer à cette
prodigalité.
--Mais non! Achille, n’allume pas de feu, lui cria le vieillard; nous
sommes cinq ici, les lumières donnent beaucoup de chaleur, et tout à
l’heure ce sera à n’y plus tenir.
Aux paroles de ce Nestor si réchauffé, exclamation du marquis:
--Mais c’est ce bon M. Pigoult, l’ancien juge de paix!
Ainsi reconnu, le vieillard de se lever et d’aller à mon père qu’il
envisage curieusement:
--Parbleu, dit-il, je vous reconnais bien aussi pour un Champenois
de la vieille roche, et Achille ne m’a pas trompé en m’annonçant que
j’allais voir deux personnes de ma connaissance. Vous, ajouta-t-il en
s’adressant à l’organiste, vous êtes le petit Bricheteau, le neveu
de notre bonne supérieure la mère Marie-des-Anges; mais ce grand
maigre-là, avec sa figure de duc et de pair, je ne puis pas mettre le
nom dessus. Après ça, il ne faut pas trop en vouloir à ma mémoire:
quatre-vingt-six ans de service! elle peut bien s’être un peu rouillée.
--Voyons, grand-père, dit alors Achille Pigoult, recueillez bien tous
vos souvenirs, et vous, messieurs, pas un mot, pas un geste, car il
s’agit d’éclairer ma religion. Je n’ai pas l’honneur de connaître le
client pour lequel je suis sur le point d’instrumenter, et il faut,
pour la régularité des choses, que son individualité me soit constatée.
L’ordonnance de Louis XII, rendue en 1498, et celle de François
1er, renouvelée en 1535, faisaient une loi de cette précaution aux
notaires _gardes-notes_, pour éviter dans les actes les suppositions de
personnes. Cette disposition est trop fondée en raison pour avoir pu
être abrogée par le temps, et je le sais bien, moi, je n’aurais pas la
moindre confiance dans la validité d’un acte où l’on pourrait établir
qu’elle a été méconnue.
Pendant que son fils parlait, le vieux Pigoult avait donné la torture à
sa mémoire. Mon père, par bonheur, a dans la face un tic nerveux qui,
sous la continuité du regard attaché sur lui par son _certificateur_,
ne pouvait manquer de s’exaspérer. A ce signe, fonctionnant dans toute
son énergie, l’ancien juge de paix acheva de retrouver son homme:
--Eh! parbleu! j’y suis, s’écria-t-il, monsieur est le marquis de
Sallenauve, celui que l’on appelait _le Grimacier_, et qui serait
aujourd’hui le propriétaire du château d’Arcis, si, au lieu d’épouser
sa jolie cousine qui le lui apportait en dot, il n’était, comme tous
les autres fous, parti pour l’émigration.
--Toujours un peu sans-culotte, à ce qu’il paraît, repartit en riant le
marquis.
--Messieurs, dit alors le notaire avec une certaine solennité,
l’épreuve que j’avais ménagée est pour moi décisive. Cette épreuve, les
titres dont M. le marquis a bien voulu me donner communication et qu’il
laisse en dépôt dans mon étude, plus, ce certificat de son identité que
m’a fait parvenir la mère Marie-des-Anges, empêchée par la règle de sa
maison de venir témoigner dans mon étude, nous mettent certainement en
mesure de parfaire les actes que j’ai là, déjà préparés. La présence de
deux témoins est exigée par l’un d’eux. Voici M. Bricheteau d’une part,
de l’autre mon père, si vous le voulez bien; c’est, il me semble, un
honneur qui lui revient de droit, car on peut dire qu’il vient de le
gagner à la pointe de sa mémoire.
--Eh bien! messieurs, prenons place, dit Jacques Bricheteau avec
entrain. Le notaire alla s’asseoir à son bureau; nous fîmes cercle à
l’entour, et la lecture de l’un des actes commença.
Son but était de constater authentiquement la reconnaissance que
faisait de moi pour son fils, François-Henri-Pantaléon Dumirail,
marquis de Sallenauve; mais dans le cours de la lecture survint une
difficulté.
Les actes notariés, à peine de nullité, doivent exprimer le domicile
des contractants. Or, quel était le domicile de mon père? La
désignation en avait été laissée en blanc par le notaire, qui voulut
combler cette lacune avant de pousser plus loin.
--D’abord, de domicile, dit Achille Pigoult, M. le marquis ne paraît
pas en avoir en France puisqu’il n’y réside pas, et que, depuis
longtemps, il n’y possède plus aucune propriété.
--C’est pourtant vrai, dit le marquis avec un accent où il me parut
mettre plus de sérieux que n’en comportait la remarque: en France, je
suis un vagabond.
--Ah! reprit Jacques Bricheteau, des vagabonds comme vous qui, de la
main à la main, peuvent faire cadeau à leur fils de la somme nécessaire
pour acheter des châteaux, ne me semblent pas des mendiants très à
plaindre. Cependant la remarque est juste, non-seulement pour la
France, mais aussi pour l’étranger; car avec votre éternelle manie
de pérégrinations, un domicile ne me paraît pas très facile à vous
assigner.
--Voyons, dit Achille Pigoult, nous ne serons pas arrêtés pour si peu.
Dès à présent, continua-t-il en me désignant, monsieur est propriétaire
du château d’Arcis, car promesse de vente vaut vente, du moment
qu’entre les parties on est convenu de la chose et du prix. Eh bien!
quoi de plus naturel que le domicile du père soit assigné dans une des
propriétés de son fils, quand surtout, cette propriété est un bien de
famille, rentré dans la famille par l’acquisition faite au profit du
fils, mais payé des deniers du père; quand, en outre, ce père est né
dans le pays où est situé le bien que j’appellerai _domiciliaire_, et
qu’il y est connu et reconnu par de notables habitants toutes les fois
que dans l’intervalle de ses longues absences il lui convient de s’y
représenter?
--C’est juste, dit le vieux Pigoult en se rangeant sans hésiter à
l’opinion que son fils venait d’exprimer avec cet accent d’animation
particulier aux hommes d’affaires qui croient avoir mis la main sur un
argument décisif.
--Enfin, dit Jacques Bricheteau, si vous croyez que les choses puissent
aller ainsi!
--Vous voyez bien que mon père, vieux praticien, n’a pas hésité un
moment à être de mon avis. Nous disons donc, continua le notaire
en prenant sa plume: «François-Henri-Pantaléon Dumirail, marquis
de Sallenauve, domicilié chez M. Charles de Sallenauve, son fils
naturel, par lui légalement reconnu, au lieu dit le château d’Arcis,
arrondissement d’Arcis-sur-Aube, département de l’Aube.»
Le reste de l’acte fut lu et arriva jusqu’au bout sans encombre. Suivit
une scène passablement ridicule. Les signatures apposées, pendant que
nous étions encore debout:
--Maintenant, monsieur le comte, dit Jacques Bricheteau, embrassez
votre père.
Mon père m’ouvrit ses bras assez négligemment, et je m’y précipitai à
froid, m’en voulant de n’être pas plus profondément remué et de ne pas
entendre plus haut dans mon cœur la voix du sang. Cette sécheresse et
cette aridité d’émotions tenaient-elles au rapide accroissement de ma
fortune? Toujours est-il qu’un moment plus tard, en suite de l’autre
acte dont nous entendîmes la lecture, moyennant la somme de cent
quatre-vingt mille francs payables comptant, j’étais devenu possesseur
du château d’Arcis, grand édifice de bonne apparence, qu’à mon entrée
dans la ville, sans être mieux averti par l’instinct du propriétaire
que par la voix du sang, j’avais aperçu de loin, dominant le pays d’un
air assez féodal.
L’intérêt électoral de cette acquisition, si je ne l’avais pressenti,
m’aurait été révélé par quelques mots qui ensuite s’échangèrent entre
le notaire et Jacques Bricheteau.
Suivant la mode de tous les vendeurs qui font encore valoir leur
marchandise même après qu’elle est sortie de leurs mains:
--Vous pouvez vous flatter, dit Achille Pigoult, que vous avez cette
terre pour un morceau de pain.
--Allons donc! reprit Jacques Bricheteau, combien y avait-il de temps
que vous l’aviez sur les bras? A d’autres qu’à nous, votre client l’eût
laissée à cinquante mille écus; mais, comme bien de famille, vous nous
avez fait payer la convenance. Il y a vingt mille francs à dépenser
pour rendre le château habitable; la terre rend à peine quatre mille
francs de rente: ainsi, notre argent, avec les frais, n’est pas placé à
deux et demi pour cent.
--De quoi vous plaignez-vous? reprit Achille Pigoult; vous allez avoir
à faire travailler, vous jetterez de l’argent dans le pays, ce qui
n’est déjà pas une si mauvaise chance pour un candidat.
--Ah! la question électorale, dit Jacques Bricheteau, nous la
traiterons en venant demain matin verser dans vos mains le prix de la
vente et régler vos honoraires.
Là-dessus on se sépara, et nous rentrâmes à l’hôtel de la Poste, où,
après avoir souhaité le bonsoir à mon père et à son porte-parole, je me
retirai dans ma chambre pour causer avec toi.
A présent cette terrible idée qui, chassant pour moi le sommeil, m’a
remis la plume à la main, il faut bien te la dire; quoique maintenant,
m’en trouvant un peu distrait par les deux pages que je viens de
t’écrire, je n’y trouve plus tout à fait la même évidence qu’il y a un
moment. Ce qu’il y a de sûr, c’est que tout ce qui se passe depuis un
an dans ma vie a quelque chose de prodigieusement romanesque. Tu me
diras que l’aventure paraît être dans la logique courante de ma vie;
que ma naissance, le hasard qui nous a rapprochés avec une conformité
de destinées si singulière, mes rapports avec Marianina et ma belle
gouvernante, mon histoire même avec madame de l’Estorade, semblent
accuser pour moi l’étoile la plus chanceuse, et que c’est encore un de
ses caprices auxquels je suis livré en cet instant. Rien de plus juste;
mais si, dans le même moment, par l’influence de cette étoile, j’étais
impliqué, à mon insu, dans quelque trame infernale et qu’on m’en fît le
passif instrument!
Pour mettre un peu d’ordre dans mes idées, je commence par ce
demi-million dépensé pour un intérêt, tu en conviendras, assez
nébuleux: celui de me rendre un jour le ministre possible de je ne
sais quel pays imaginaire dont on me cache soigneusement le nom. Et
qui dépense pour moi ces sommes fabuleuses? Est-ce un père, tendrement
épris d’un enfant de l’amour? Non, c’est un père qui me témoigne la
plus grande froideur, qui s’endort pendant qu’on est occupé à me
dresser, sous ses yeux, le bilan de notre mutuelle existence; pour
lequel, de mon côté, j’ai le malheur de ne rien éprouver, et que, pour
trancher le mot, je regarderais comme une parfaite ganache d’émigré,
n’était le respect et la piété filiale que je m’efforce d’avoir pour
lui.
Mais, dis donc! si cet homme n’était pas mon père, s’il n’était pas le
marquis de Sallenauve, pour lequel il se donne; si, comme le malheureux
Lucien de Rubempré (voir _Un grand homme de province_, et _Splendeurs
et misères_) dont l’histoire a eu un si effroyable retentissement,
j’étais enlacé par quelque serpent à la façon du faux prêtre Carlos
Herrera et exposé à un si terrible réveil?
Quelle vraisemblance? vas-tu me dire: Carlos Herrera avait un intérêt
à fasciner Lucien de Rubempré; mais sur toi, homme de principes
solides, qui n’as jamais rêvé le luxe, qui t’es fait une vie de
recueillement et de travail, quelle prise pourrait-on avoir, et enfin
que te voudrait-on? Soit. Mais ce que l’on _paraît_ vouloir est-il
beaucoup plus clair? Pourquoi celui qui me reconnaît pour son fils me
cache-t-il le lieu qu’il habite, le nom sous lequel il est connu dans
cet occulte pays du Nord qu’il est censé administrer? A côté de si
grands sacrifices faits à mon profit, pourquoi si peu de confiance?
Et le mystère dont jusqu’à aujourd’hui Jacques Bricheteau a entouré
ma vie, trouves-tu que, malgré la longueur de ses explications, il me
l’ait suffisamment justifié? Pourquoi son nain? pourquoi son impudence
à se nier lui-même la première fois que je le rencontre? pourquoi ce
déménagement furieux? Tout cela, cher ami, roulant dans ma tête, et
rapproché des cinq cent mille francs que j’ai touchés chez les frères
Mongenod, a semblé donner un corps à une idée bizarre, dont tu vas
rire, peut-être, et qui pourtant, dans les annales judiciaires, ne
serait pas sans précédent.
Je te le disais tout à l’heure, c’est une pensée dont j’ai été tout
à coup comme envahi, et qui par cela même a pris pour moi la valeur
d’un instinct. Certes, si j’en eusse eu hier au soir la plus lointaine
atteinte, je me fusse fait plutôt couper le poing que de signer cet
acte, qui désormais enchaîne ma destinée à celle d’un inconnu dont
l’avenir peut être sombre comme un chapitre de l’Enfer du Dante, et
qui peut m’entraîner avec lui dans ses profondeurs les plus sombres.
Enfin, cette idée autour de laquelle je te fais tourner sans me
décider à t’y laisser pénétrer, la voici dans toute sa crudité la plus
naïve: j’ai peur, vois-tu, d’être, à mon insu, l’agent d’une de ces
associations de faux monnayeurs qui, pour mettre en circulation les
valeurs fabriquées par eux, ont été vus souvent, dans les fastes des
cours d’assises, se livrant à des combinaisons et à des pratiques aussi
compliquées et aussi inextricables que celle dans laquelle je me vois
engagé aujourd’hui. Dans ces sortes de procès, on voit toujours de
grandes allées et venues des complices; des traites tirées à distance
lointaine, sur les banquiers des places de commerce importantes et
des capitales telles que peuvent être Paris, Stockholm, Rotterdam.
Souvent aussi on y voit de pauvres dupes compromises. Bref, dans les
mystérieuses allures de ce Bricheteau, ne remarques-tu pas comme une
imitation et un reflet de toutes les manœuvres auxquelles ces grands
industriels sont forcés de recourir, en les disposant avec un talent
et une richesse d’imagination auxquels n’atteignent pas même les
romanciers?
Tous les arguments qui peuvent infirmer ma sombre visée, tu penses
bien que je me les suis faits, et si je ne te les reproduis pas ici,
c’est que je veux les laisser venir de ta bouche, et leur garder ainsi
une autorité qu’ils n’auraient plus pour moi du moment que je les
aurais inspirés. Ce qu’il y a de certain, si je ne me trompe, c’est
qu’au moins, autour de moi, il y a une atmosphère épaisse, malsaine,
sans limpidité, dans laquelle je sens que l’air me manque et que je ne
respire plus. Enfin, si tu en as l’habileté, rassure-moi, persuade-moi;
je ne demande pas mieux, comme tu l’imagines, que d’avoir rêvé creux;
mais, dans tous les cas, pas plus tard que demain, je veux avoir avec
mes deux hommes une explication, et obtenir, quoique déjà il soit bien
tard, un peu plus de lumière que celle qui m’a été mesurée....
* * * * *
Voilà bien une autre histoire! pendant que je t’écris, un bruit de
chevaux se fait dans la rue. Devenu méfiant et prenant tout en griève
sollicitude, j’ouvre ma fenêtre, et, à la clarté du jour naissant, je
vois à la porte de l’hôtel une voiture de poste attelée, le postillon
en selle, et Jacques Bricheteau parlant à une personne assise dans
l’intérieur, mais dont je ne puis distinguer le visage ombragé par
la visière d’une casquette de voyage. Prenant aussitôt mon parti,
je descends rapidement; mais, avant que je sois au bas des degrés,
j’entends le roulement sourd de la voiture et les claquements répétés
du fouet agité dans l’air, espèce de _chant de départ_ des postillons.
Au pied de l’escalier, je me trouve nez à nez avec Jacques Bricheteau.
Sans paraître embarrassé et de l’air le plus naturel:
--Comment! me dit-il, mon cher élève déjà levé!
--Sans doute: c’était bien le moins que je fisse mes adieux à mon
excellent père.
--Il ne l’a pas voulu, me répond le damné musicien avec un sérieux et
un flegme à se faire battre, il aura craint l’émotion des adieux.
--Mais il est donc terriblement pressé, qu’il n’ait pu donner même une
journée à sa paternité flambante neuve.
--Que voulez-vous? c’est un original: ce qu’il était venu faire, il l’a
fait; dès lors, pour lui plus de raisons de rester.
--Ah! je comprends, les hautes fonctions qu’il remplit dans cette
cour du Nord!... Il n’y avait pas moyen de se méprendre à l’accent
profondément ironique avec lequel cette dernière phrase avait été
prononcée.
--Jusqu’ici, me dit Bricheteau, vous aviez montré plus de foi.
--Oui, mais j’avoue que cette foi commence à broncher sous le poids des
mystères dont on la charge sans merci ni relâche.
--En vous voyant, dans un moment décisif pour votre avenir, livré
à des doutes que tout le procédé dont on use avec vous depuis tant
d’années peut assurément justifier, je serais vraiment désespéré,
me répondit Jacques Bricheteau, si je n’avais que des raisonnements
ou affirmations personnelles à y opposer. Mais vous vous rappelez
qu’hier, le vieux Pigoult parla d’une tante que j’ai dans le pays, où
bientôt, je l’espère, vous apercevrez qu’elle occupe une situation
assez considérable. J’ajoute que le caractère sacré dont elle est
revêtue doit donner à sa parole une complète autorité. Dans tous les
cas, j’avais arrangé que nous la verrions dans la journée; mais,
dans un instant, seulement le temps de me raser, nous allons nous
rendre, malgré l’heure matinale, au couvent des Ursulines. Là, vous
interrogerez la mère Marie-des-Anges, qui, dans tout le département
de l’Aube, a la réputation d’une sainte, et je pense qu’à la suite de
notre entrevue avec elle, aucun nuage n’existera plus entre nous.
A mesure que ce diable d’homme parlait, il y avait dans sa physionomie
un air si parfait de probité et de bienveillance; sa parole, toujours
calme, élégante et maîtresse d’elle-même, s’insinuait si bien dans
l’esprit de son auditeur, que je sentais baisser le flot de ma colère
et renaître ma sécurité. Au fait, sa réponse est irrésistible: la
maison des dames Ursulines, que diable! ne peut pas être un atelier de
fausse monnaie, et, si la mère Marie-des-Anges me cautionne mon père
comme il paraît déjà qu’elle l’avait cautionné au notaire, je serais
fou de persister dans mes doutes.
--Eh bien! dis-je à Jacques Bricheteau, je vais remonter prendre mon
chapeau et vous attendre en me promenant sur les bords de l’Aube.
--C’est ça! et surveillez la porte de l’hôtel, que je n’aille pas
déménager brusquement, comme autrefois au quai de Béthune.
On n’est pas plus intelligent que cet homme; il a l’air de deviner
vos pensées. J’eus honte de cette dernière défiance et lui dis que,
réflexion faite, j’aimais mieux en l’attendant aller terminer une
lettre. C’est celle-ci, cher ami, que je suis obligé de fermer et de
jeter à la poste tout à l’heure, si je veux qu’elle parte. A un autre
jour la relation de notre visite au couvent.
XIV.--MARIE-GASTON A MADAME LA COMTESSE DE L’ESTORADE.
Arcis-sur-Aube, 6 mai 1839.
Madame,
Dans tous les cas, j’aurais profité avec bonheur de la recommandation
que vous avez bien voulu me faire de vous écrire pendant mon séjour
ici; mais en m’accordant cette précieuse faveur, vous ne pouvez
vraiment savoir toute l’étendue de votre charité.
Sans vous, madame, et l’honneur que j’aurai de vous entretenir
quelquefois, que deviendrais-je, livré à la domination habituelle de
mes tristes pensées, dans une ville qui n’a ni monde, ni commerce,
ni curiosités, ni environs, et où toute l’activité intellectuelle se
résume à la confection du petit-salé, du savon gras et des bas et
bonnets de coton.
Dorlange, que je n’appellerai pas toujours de ce nom, vous saurez tout
à l’heure pourquoi, est tellement absorbé par les soins de sa brigue
électorale, qu’à peine je l’entrevois. Je vous avais dit, madame,
que je me décidais à aller rejoindre notre ami par la considération
d’un certain trouble d’esprit qu’accusait une de ses lettres où il me
faisait part d’une grande révolution arrivée dans sa vie.
Aujourd’hui, il m’est permis d’être plus explicite: Dorlange connaît
enfin son père. Il est fils naturel du marquis de Sallenauve, dernier
rejeton vivant d’une des meilleures familles de la Champagne. Sans
s’expliquer sur les raisons qui l’avaient décidé à tenir si secrète la
naissance de son fils, le marquis vient légalement de le reconnaître.
En même temps, il a fait pour lui l’acquisition d’une terre qui avait
cessé depuis longtemps d’appartenir à la famille Sallenauve, et qui va
se rattacher de cette manière au nom. Cette terre est située à Arcis
même, et il est donc à penser que sa possession ne sera point inutile
aux projets de députation mis aujourd’hui sur le tapis. Ces projets
datent de plus loin que nous ne l’avions pensé, et ce n’est pas dans la
fantaisie de Dorlange qu’ils ont pris naissance.
Il y a un an, le marquis commençait à les préparer en faisant passer
à son fils une somme considérable pour qu’il pût se constituer par
l’achat d’un immeuble un cens d’éligibilité, et c’est également pour
faciliter au candidat l’accès de la carrière politique, qu’il vient
de le mettre en possession d’un état civil et de le faire une seconde
fois propriétaire. La fin réelle de tous ces sacrifices n’a pas été
très nettement expliquée à Charles de Sallenauve, par le marquis son
père, et c’est au sujet de cette portion brumeuse qui reste encore dans
son ciel que le pauvre garçon avait conçu les appréhensions auxquelles
mon amitié s’est empressée d’aller porter remède. Somme toute, le
marquis paraît être un homme aussi bizarre qu’opulent, car, au lieu
de rester à Arcis, où sa présence et son nom auraient pu contribuer
au succès de l’élection qu’il désire, le lendemain même du jour où
toutes les formalités de la reconnaissance ont été accomplies, il s’est
remis furtivement en route pour des pays lointains où il dit avoir de
pressants intérêts, et n’a pas même laissé le temps à son fils de lui
votre père, si vous pensiez qu’un homme qui déjà, dans l’intérêt
de votre élection, a mis un demi-million dehors, n’est pas un père
tout à fait convenable, nous vous laisserions tout à fait libre, et
n’insisterions d’aucune façon.
--Parfaitement, parfaitement, dit M. de Sallenauve en mettant à cette
affirmation un accent bref et un son de voix clair et particulier aux
débris de la vieille aristocratie.
La politesse, pour le moins, me forçait à dire que j’acceptais avec
empressement la paternité qui s’offrait à moi. A quelques mots que je
prononçai dans ce sens:
--Du reste, répondit gaiement Jacques Bricheteau, notre pensée n’est
pas de vous faire acheter _père en poche_. Moins pour provoquer une
confiance que dès à présent il se croit acquise, que pour vous mettre
à même de connaître la famille dont vous allez porter le nom, M. le
marquis fera passer sous vos yeux tous les titres et tous les papiers
dont il est détenteur; de plus, quoique depuis bien longtemps il ait
quitté ce pays, il sera en mesure de faire affirmer son identité par
plusieurs de ses contemporains encore existants, ce qui, du reste, ne
pourra que profiter à la validité de l’acte à intervenir. Par exemple,
au nombre des personnes honorables par lesquelles il a déjà été
reconnu, je puis vous citer la respectueuse supérieure de la communauté
des dames Ursulines, la mère Marie-des-Anges, pour laquelle, soit dit
en passant, vous avez fait un chef-d’œuvre.
--Oui, ma foi, oui, c’est un joli morceau, dit le marquis, et si vous
êtes un politique de cette force!...
--Eh bien! marquis, dit Jacques Bricheteau, qui me parut le mener un
peu, voulez-vous procéder, avec notre jeune ami, à la vérification des
papiers de famille?
--Mais c’est inutile, répliquai-je. Et vraiment, par ce refus d’examen,
il ne me paraissait pas que j’engageasse beaucoup ma foi; car, après
tout, que signifient des papiers entre les mains d’un homme qui peut
les avoir fabriqués ou se les être appropriés? Mais mon père ne me
tint pas pour quitte, et pendant plus de deux heures, il fit passer
sous mes yeux des parchemins, des arbres généalogiques, des contrats,
des brevets, toutes pièces desquelles il résulte que la famille de
Sallenauve est, après les Cinq-Cygne, une des plus anciennes familles
de la Champagne en général, et du département de l’Aube en particulier.
Je dois ajouter que l’exhibition de toutes ces archives fut accompagnée
d’un nombre infini de détails parlés, qui donnaient à l’identité du
dernier marquis de Sallenauve la plus incontestable vraisemblance. Sur
tout autre sujet, mon père est assez laconique; son ouverture d’esprit
ne me paraît pas extraordinaire, et volontiers il passe la parole
à son _chancelier_; mais là, sur le fait de ses parchemins, il fut
étourdissant d’anecdotes, de souvenirs, de savoir héraldique; bref, ce
fut bien le vieux gentilhomme ignorant et superficiel sur toute chose,
mais devenu d’une érudition bénédictine quand il s’agit de la science
de sa maison.
La séance, je crois, durerait encore, sans l’intervention de Jacques
Bricheteau: comme il vit le marquis prêt à couronner ses immenses
commentaires oraux par la lecture d’un volumineux mémoire où il s’est
proposé de réfuter un chapitre des _Historiettes_ de Tallemant des
Réaux, qui n’a pas été écrit pour la plus grande gloire des Sallenauve,
le judicieux organiste fit remarquer qu’il était l’heure de se mettre à
table, si l’on voulait être exactement rendu, à sept heures, en l’étude
de maître Achille Pigoult, où rendez-vous était pris. Nous dînâmes
donc, non pas à table d’hôte, mais dans notre appartement, et le dîner
n’eut rien de remarquable, si ce n’est sa longueur excessive, due au
recueillement silencieux et à la lenteur que le marquis, par suite de
la perte de toutes ses dents, met à avaler ses morceaux.
A sept heures, nous étions rendus chez maître Achille Pigoult... Mais
il est bientôt deux heures du matin, et le sommeil me gagne: à demain
donc, si j’en ai le loisir, la continuation de cette lettre et la
relation circonstanciée de ce qui s’est passé dans l’étude du notaire
royal. Tu sais, d’ailleurs, en gros, le résultat, comme un homme qui
a couru au dernier chapitre d’un roman pour voir si _Évelina épouse
Arthur_, et tu peux bien me faire crédit des détails. Tout à l’heure,
en me couchant, je me dirai: Bonsoir, monsieur de Sallenauve. Au
fait, en m’affublant de ce nom de Dorlange, ce diable de Bricheteau
n’avait pas eu la main heureuse; j’avais l’air de quelque héros de
roman du temps de l’Empire, ou bien d’un de ces ténors de province qui
attendent un engagement sous les maigres ombrages du Palais-Royal.
Tu ne m’en veux point, n’est-ce pas, de te quitter pour mon lit où
je vais m’assoupir au doux murmure de l’Aube? D’ici, au milieu de
l’indescriptible silence de la nuit, dans une petite ville de province,
j’entends mélancoliquement clapoter ses flots.
4 mai, cinq heures du matin.
J’avais compté sur un sommeil embelli par les plus beaux songes; je
n’ai pas dormi plus d’une heure, et je me réveille mordu au cœur par
une idée détestable; mais avant de te la transmettre, car elle n’a pas
le sens commun, que d’abord je te dise un peu ce qui s’est passé hier
soir chez le notaire: certains détails de cette scène ne sont peut-être
pas étrangers au mouvement fantasmagorique qui vient de se faire dans
mon esprit.
Après que la domestique de maître Pigoult, Champenoise pur sang, nous
eut fait traverser une étude de l’aspect le plus antique et le plus
vénérable, où l’on ne voit pas de clercs travaillant le soir, comme on
fait à Paris, cette fille nous introduisit dans le cabinet du patron,
grande pièce froide et humide qu’éclairaient très imparfaitement deux
bougies stéariques placées sur le bureau.
Malgré une bise assez piquante qui soufflait au dehors, sur la foi
du mois de mai des poëtes et du printemps légalement déclaré à cette
époque de l’année, il n’y avait point de feu allumé à l’âtre; mais tous
les préparatifs d’une joyeuse flambée étaient faits dans la cheminée.
Maître Achille Pigoult, petit homme chétif, horriblement grêlé et
affligé de lunettes vertes, par-dessus lesquelles, d’ailleurs, il darde
un regard plein de vivacité et d’intelligence, nous demanda si nous
trouvions qu’il fît assez chaud dans l’appartement. Sur notre réponse
affirmative, qu’il dut bien entrevoir un peu dictée par la politesse,
il avait déjà développé ses dispositions incendiaires jusqu’à faire
flamber une allumette, quand, partant d’un des coins les plus obscurs
de la pièce, une voix cassée et décrépite, dont nous n’avions pas
encore aperçu le propriétaire, intervint pour s’opposer à cette
prodigalité.
--Mais non! Achille, n’allume pas de feu, lui cria le vieillard; nous
sommes cinq ici, les lumières donnent beaucoup de chaleur, et tout à
l’heure ce sera à n’y plus tenir.
Aux paroles de ce Nestor si réchauffé, exclamation du marquis:
--Mais c’est ce bon M. Pigoult, l’ancien juge de paix!
Ainsi reconnu, le vieillard de se lever et d’aller à mon père qu’il
envisage curieusement:
--Parbleu, dit-il, je vous reconnais bien aussi pour un Champenois
de la vieille roche, et Achille ne m’a pas trompé en m’annonçant que
j’allais voir deux personnes de ma connaissance. Vous, ajouta-t-il en
s’adressant à l’organiste, vous êtes le petit Bricheteau, le neveu
de notre bonne supérieure la mère Marie-des-Anges; mais ce grand
maigre-là, avec sa figure de duc et de pair, je ne puis pas mettre le
nom dessus. Après ça, il ne faut pas trop en vouloir à ma mémoire:
quatre-vingt-six ans de service! elle peut bien s’être un peu rouillée.
--Voyons, grand-père, dit alors Achille Pigoult, recueillez bien tous
vos souvenirs, et vous, messieurs, pas un mot, pas un geste, car il
s’agit d’éclairer ma religion. Je n’ai pas l’honneur de connaître le
client pour lequel je suis sur le point d’instrumenter, et il faut,
pour la régularité des choses, que son individualité me soit constatée.
L’ordonnance de Louis XII, rendue en 1498, et celle de François
1er, renouvelée en 1535, faisaient une loi de cette précaution aux
notaires _gardes-notes_, pour éviter dans les actes les suppositions de
personnes. Cette disposition est trop fondée en raison pour avoir pu
être abrogée par le temps, et je le sais bien, moi, je n’aurais pas la
moindre confiance dans la validité d’un acte où l’on pourrait établir
qu’elle a été méconnue.
Pendant que son fils parlait, le vieux Pigoult avait donné la torture à
sa mémoire. Mon père, par bonheur, a dans la face un tic nerveux qui,
sous la continuité du regard attaché sur lui par son _certificateur_,
ne pouvait manquer de s’exaspérer. A ce signe, fonctionnant dans toute
son énergie, l’ancien juge de paix acheva de retrouver son homme:
--Eh! parbleu! j’y suis, s’écria-t-il, monsieur est le marquis de
Sallenauve, celui que l’on appelait _le Grimacier_, et qui serait
aujourd’hui le propriétaire du château d’Arcis, si, au lieu d’épouser
sa jolie cousine qui le lui apportait en dot, il n’était, comme tous
les autres fous, parti pour l’émigration.
--Toujours un peu sans-culotte, à ce qu’il paraît, repartit en riant le
marquis.
--Messieurs, dit alors le notaire avec une certaine solennité,
l’épreuve que j’avais ménagée est pour moi décisive. Cette épreuve, les
titres dont M. le marquis a bien voulu me donner communication et qu’il
laisse en dépôt dans mon étude, plus, ce certificat de son identité que
m’a fait parvenir la mère Marie-des-Anges, empêchée par la règle de sa
maison de venir témoigner dans mon étude, nous mettent certainement en
mesure de parfaire les actes que j’ai là, déjà préparés. La présence de
deux témoins est exigée par l’un d’eux. Voici M. Bricheteau d’une part,
de l’autre mon père, si vous le voulez bien; c’est, il me semble, un
honneur qui lui revient de droit, car on peut dire qu’il vient de le
gagner à la pointe de sa mémoire.
--Eh bien! messieurs, prenons place, dit Jacques Bricheteau avec
entrain. Le notaire alla s’asseoir à son bureau; nous fîmes cercle à
l’entour, et la lecture de l’un des actes commença.
Son but était de constater authentiquement la reconnaissance que
faisait de moi pour son fils, François-Henri-Pantaléon Dumirail,
marquis de Sallenauve; mais dans le cours de la lecture survint une
difficulté.
Les actes notariés, à peine de nullité, doivent exprimer le domicile
des contractants. Or, quel était le domicile de mon père? La
désignation en avait été laissée en blanc par le notaire, qui voulut
combler cette lacune avant de pousser plus loin.
--D’abord, de domicile, dit Achille Pigoult, M. le marquis ne paraît
pas en avoir en France puisqu’il n’y réside pas, et que, depuis
longtemps, il n’y possède plus aucune propriété.
--C’est pourtant vrai, dit le marquis avec un accent où il me parut
mettre plus de sérieux que n’en comportait la remarque: en France, je
suis un vagabond.
--Ah! reprit Jacques Bricheteau, des vagabonds comme vous qui, de la
main à la main, peuvent faire cadeau à leur fils de la somme nécessaire
pour acheter des châteaux, ne me semblent pas des mendiants très à
plaindre. Cependant la remarque est juste, non-seulement pour la
France, mais aussi pour l’étranger; car avec votre éternelle manie
de pérégrinations, un domicile ne me paraît pas très facile à vous
assigner.
--Voyons, dit Achille Pigoult, nous ne serons pas arrêtés pour si peu.
Dès à présent, continua-t-il en me désignant, monsieur est propriétaire
du château d’Arcis, car promesse de vente vaut vente, du moment
qu’entre les parties on est convenu de la chose et du prix. Eh bien!
quoi de plus naturel que le domicile du père soit assigné dans une des
propriétés de son fils, quand surtout, cette propriété est un bien de
famille, rentré dans la famille par l’acquisition faite au profit du
fils, mais payé des deniers du père; quand, en outre, ce père est né
dans le pays où est situé le bien que j’appellerai _domiciliaire_, et
qu’il y est connu et reconnu par de notables habitants toutes les fois
que dans l’intervalle de ses longues absences il lui convient de s’y
représenter?
--C’est juste, dit le vieux Pigoult en se rangeant sans hésiter à
l’opinion que son fils venait d’exprimer avec cet accent d’animation
particulier aux hommes d’affaires qui croient avoir mis la main sur un
argument décisif.
--Enfin, dit Jacques Bricheteau, si vous croyez que les choses puissent
aller ainsi!
--Vous voyez bien que mon père, vieux praticien, n’a pas hésité un
moment à être de mon avis. Nous disons donc, continua le notaire
en prenant sa plume: «François-Henri-Pantaléon Dumirail, marquis
de Sallenauve, domicilié chez M. Charles de Sallenauve, son fils
naturel, par lui légalement reconnu, au lieu dit le château d’Arcis,
arrondissement d’Arcis-sur-Aube, département de l’Aube.»
Le reste de l’acte fut lu et arriva jusqu’au bout sans encombre. Suivit
une scène passablement ridicule. Les signatures apposées, pendant que
nous étions encore debout:
--Maintenant, monsieur le comte, dit Jacques Bricheteau, embrassez
votre père.
Mon père m’ouvrit ses bras assez négligemment, et je m’y précipitai à
froid, m’en voulant de n’être pas plus profondément remué et de ne pas
entendre plus haut dans mon cœur la voix du sang. Cette sécheresse et
cette aridité d’émotions tenaient-elles au rapide accroissement de ma
fortune? Toujours est-il qu’un moment plus tard, en suite de l’autre
acte dont nous entendîmes la lecture, moyennant la somme de cent
quatre-vingt mille francs payables comptant, j’étais devenu possesseur
du château d’Arcis, grand édifice de bonne apparence, qu’à mon entrée
dans la ville, sans être mieux averti par l’instinct du propriétaire
que par la voix du sang, j’avais aperçu de loin, dominant le pays d’un
air assez féodal.
L’intérêt électoral de cette acquisition, si je ne l’avais pressenti,
m’aurait été révélé par quelques mots qui ensuite s’échangèrent entre
le notaire et Jacques Bricheteau.
Suivant la mode de tous les vendeurs qui font encore valoir leur
marchandise même après qu’elle est sortie de leurs mains:
--Vous pouvez vous flatter, dit Achille Pigoult, que vous avez cette
terre pour un morceau de pain.
--Allons donc! reprit Jacques Bricheteau, combien y avait-il de temps
que vous l’aviez sur les bras? A d’autres qu’à nous, votre client l’eût
laissée à cinquante mille écus; mais, comme bien de famille, vous nous
avez fait payer la convenance. Il y a vingt mille francs à dépenser
pour rendre le château habitable; la terre rend à peine quatre mille
francs de rente: ainsi, notre argent, avec les frais, n’est pas placé à
deux et demi pour cent.
--De quoi vous plaignez-vous? reprit Achille Pigoult; vous allez avoir
à faire travailler, vous jetterez de l’argent dans le pays, ce qui
n’est déjà pas une si mauvaise chance pour un candidat.
--Ah! la question électorale, dit Jacques Bricheteau, nous la
traiterons en venant demain matin verser dans vos mains le prix de la
vente et régler vos honoraires.
Là-dessus on se sépara, et nous rentrâmes à l’hôtel de la Poste, où,
après avoir souhaité le bonsoir à mon père et à son porte-parole, je me
retirai dans ma chambre pour causer avec toi.
A présent cette terrible idée qui, chassant pour moi le sommeil, m’a
remis la plume à la main, il faut bien te la dire; quoique maintenant,
m’en trouvant un peu distrait par les deux pages que je viens de
t’écrire, je n’y trouve plus tout à fait la même évidence qu’il y a un
moment. Ce qu’il y a de sûr, c’est que tout ce qui se passe depuis un
an dans ma vie a quelque chose de prodigieusement romanesque. Tu me
diras que l’aventure paraît être dans la logique courante de ma vie;
que ma naissance, le hasard qui nous a rapprochés avec une conformité
de destinées si singulière, mes rapports avec Marianina et ma belle
gouvernante, mon histoire même avec madame de l’Estorade, semblent
accuser pour moi l’étoile la plus chanceuse, et que c’est encore un de
ses caprices auxquels je suis livré en cet instant. Rien de plus juste;
mais si, dans le même moment, par l’influence de cette étoile, j’étais
impliqué, à mon insu, dans quelque trame infernale et qu’on m’en fît le
passif instrument!
Pour mettre un peu d’ordre dans mes idées, je commence par ce
demi-million dépensé pour un intérêt, tu en conviendras, assez
nébuleux: celui de me rendre un jour le ministre possible de je ne
sais quel pays imaginaire dont on me cache soigneusement le nom. Et
qui dépense pour moi ces sommes fabuleuses? Est-ce un père, tendrement
épris d’un enfant de l’amour? Non, c’est un père qui me témoigne la
plus grande froideur, qui s’endort pendant qu’on est occupé à me
dresser, sous ses yeux, le bilan de notre mutuelle existence; pour
lequel, de mon côté, j’ai le malheur de ne rien éprouver, et que, pour
trancher le mot, je regarderais comme une parfaite ganache d’émigré,
n’était le respect et la piété filiale que je m’efforce d’avoir pour
lui.
Mais, dis donc! si cet homme n’était pas mon père, s’il n’était pas le
marquis de Sallenauve, pour lequel il se donne; si, comme le malheureux
Lucien de Rubempré (voir _Un grand homme de province_, et _Splendeurs
et misères_) dont l’histoire a eu un si effroyable retentissement,
j’étais enlacé par quelque serpent à la façon du faux prêtre Carlos
Herrera et exposé à un si terrible réveil?
Quelle vraisemblance? vas-tu me dire: Carlos Herrera avait un intérêt
à fasciner Lucien de Rubempré; mais sur toi, homme de principes
solides, qui n’as jamais rêvé le luxe, qui t’es fait une vie de
recueillement et de travail, quelle prise pourrait-on avoir, et enfin
que te voudrait-on? Soit. Mais ce que l’on _paraît_ vouloir est-il
beaucoup plus clair? Pourquoi celui qui me reconnaît pour son fils me
cache-t-il le lieu qu’il habite, le nom sous lequel il est connu dans
cet occulte pays du Nord qu’il est censé administrer? A côté de si
grands sacrifices faits à mon profit, pourquoi si peu de confiance?
Et le mystère dont jusqu’à aujourd’hui Jacques Bricheteau a entouré
ma vie, trouves-tu que, malgré la longueur de ses explications, il me
l’ait suffisamment justifié? Pourquoi son nain? pourquoi son impudence
à se nier lui-même la première fois que je le rencontre? pourquoi ce
déménagement furieux? Tout cela, cher ami, roulant dans ma tête, et
rapproché des cinq cent mille francs que j’ai touchés chez les frères
Mongenod, a semblé donner un corps à une idée bizarre, dont tu vas
rire, peut-être, et qui pourtant, dans les annales judiciaires, ne
serait pas sans précédent.
Je te le disais tout à l’heure, c’est une pensée dont j’ai été tout
à coup comme envahi, et qui par cela même a pris pour moi la valeur
d’un instinct. Certes, si j’en eusse eu hier au soir la plus lointaine
atteinte, je me fusse fait plutôt couper le poing que de signer cet
acte, qui désormais enchaîne ma destinée à celle d’un inconnu dont
l’avenir peut être sombre comme un chapitre de l’Enfer du Dante, et
qui peut m’entraîner avec lui dans ses profondeurs les plus sombres.
Enfin, cette idée autour de laquelle je te fais tourner sans me
décider à t’y laisser pénétrer, la voici dans toute sa crudité la plus
naïve: j’ai peur, vois-tu, d’être, à mon insu, l’agent d’une de ces
associations de faux monnayeurs qui, pour mettre en circulation les
valeurs fabriquées par eux, ont été vus souvent, dans les fastes des
cours d’assises, se livrant à des combinaisons et à des pratiques aussi
compliquées et aussi inextricables que celle dans laquelle je me vois
engagé aujourd’hui. Dans ces sortes de procès, on voit toujours de
grandes allées et venues des complices; des traites tirées à distance
lointaine, sur les banquiers des places de commerce importantes et
des capitales telles que peuvent être Paris, Stockholm, Rotterdam.
Souvent aussi on y voit de pauvres dupes compromises. Bref, dans les
mystérieuses allures de ce Bricheteau, ne remarques-tu pas comme une
imitation et un reflet de toutes les manœuvres auxquelles ces grands
industriels sont forcés de recourir, en les disposant avec un talent
et une richesse d’imagination auxquels n’atteignent pas même les
romanciers?
Tous les arguments qui peuvent infirmer ma sombre visée, tu penses
bien que je me les suis faits, et si je ne te les reproduis pas ici,
c’est que je veux les laisser venir de ta bouche, et leur garder ainsi
une autorité qu’ils n’auraient plus pour moi du moment que je les
aurais inspirés. Ce qu’il y a de certain, si je ne me trompe, c’est
qu’au moins, autour de moi, il y a une atmosphère épaisse, malsaine,
sans limpidité, dans laquelle je sens que l’air me manque et que je ne
respire plus. Enfin, si tu en as l’habileté, rassure-moi, persuade-moi;
je ne demande pas mieux, comme tu l’imagines, que d’avoir rêvé creux;
mais, dans tous les cas, pas plus tard que demain, je veux avoir avec
mes deux hommes une explication, et obtenir, quoique déjà il soit bien
tard, un peu plus de lumière que celle qui m’a été mesurée....
* * * * *
Voilà bien une autre histoire! pendant que je t’écris, un bruit de
chevaux se fait dans la rue. Devenu méfiant et prenant tout en griève
sollicitude, j’ouvre ma fenêtre, et, à la clarté du jour naissant, je
vois à la porte de l’hôtel une voiture de poste attelée, le postillon
en selle, et Jacques Bricheteau parlant à une personne assise dans
l’intérieur, mais dont je ne puis distinguer le visage ombragé par
la visière d’une casquette de voyage. Prenant aussitôt mon parti,
je descends rapidement; mais, avant que je sois au bas des degrés,
j’entends le roulement sourd de la voiture et les claquements répétés
du fouet agité dans l’air, espèce de _chant de départ_ des postillons.
Au pied de l’escalier, je me trouve nez à nez avec Jacques Bricheteau.
Sans paraître embarrassé et de l’air le plus naturel:
--Comment! me dit-il, mon cher élève déjà levé!
--Sans doute: c’était bien le moins que je fisse mes adieux à mon
excellent père.
--Il ne l’a pas voulu, me répond le damné musicien avec un sérieux et
un flegme à se faire battre, il aura craint l’émotion des adieux.
--Mais il est donc terriblement pressé, qu’il n’ait pu donner même une
journée à sa paternité flambante neuve.
--Que voulez-vous? c’est un original: ce qu’il était venu faire, il l’a
fait; dès lors, pour lui plus de raisons de rester.
--Ah! je comprends, les hautes fonctions qu’il remplit dans cette
cour du Nord!... Il n’y avait pas moyen de se méprendre à l’accent
profondément ironique avec lequel cette dernière phrase avait été
prononcée.
--Jusqu’ici, me dit Bricheteau, vous aviez montré plus de foi.
--Oui, mais j’avoue que cette foi commence à broncher sous le poids des
mystères dont on la charge sans merci ni relâche.
--En vous voyant, dans un moment décisif pour votre avenir, livré
à des doutes que tout le procédé dont on use avec vous depuis tant
d’années peut assurément justifier, je serais vraiment désespéré,
me répondit Jacques Bricheteau, si je n’avais que des raisonnements
ou affirmations personnelles à y opposer. Mais vous vous rappelez
qu’hier, le vieux Pigoult parla d’une tante que j’ai dans le pays, où
bientôt, je l’espère, vous apercevrez qu’elle occupe une situation
assez considérable. J’ajoute que le caractère sacré dont elle est
revêtue doit donner à sa parole une complète autorité. Dans tous les
cas, j’avais arrangé que nous la verrions dans la journée; mais,
dans un instant, seulement le temps de me raser, nous allons nous
rendre, malgré l’heure matinale, au couvent des Ursulines. Là, vous
interrogerez la mère Marie-des-Anges, qui, dans tout le département
de l’Aube, a la réputation d’une sainte, et je pense qu’à la suite de
notre entrevue avec elle, aucun nuage n’existera plus entre nous.
A mesure que ce diable d’homme parlait, il y avait dans sa physionomie
un air si parfait de probité et de bienveillance; sa parole, toujours
calme, élégante et maîtresse d’elle-même, s’insinuait si bien dans
l’esprit de son auditeur, que je sentais baisser le flot de ma colère
et renaître ma sécurité. Au fait, sa réponse est irrésistible: la
maison des dames Ursulines, que diable! ne peut pas être un atelier de
fausse monnaie, et, si la mère Marie-des-Anges me cautionne mon père
comme il paraît déjà qu’elle l’avait cautionné au notaire, je serais
fou de persister dans mes doutes.
--Eh bien! dis-je à Jacques Bricheteau, je vais remonter prendre mon
chapeau et vous attendre en me promenant sur les bords de l’Aube.
--C’est ça! et surveillez la porte de l’hôtel, que je n’aille pas
déménager brusquement, comme autrefois au quai de Béthune.
On n’est pas plus intelligent que cet homme; il a l’air de deviner
vos pensées. J’eus honte de cette dernière défiance et lui dis que,
réflexion faite, j’aimais mieux en l’attendant aller terminer une
lettre. C’est celle-ci, cher ami, que je suis obligé de fermer et de
jeter à la poste tout à l’heure, si je veux qu’elle parte. A un autre
jour la relation de notre visite au couvent.
XIV.--MARIE-GASTON A MADAME LA COMTESSE DE L’ESTORADE.
Arcis-sur-Aube, 6 mai 1839.
Madame,
Dans tous les cas, j’aurais profité avec bonheur de la recommandation
que vous avez bien voulu me faire de vous écrire pendant mon séjour
ici; mais en m’accordant cette précieuse faveur, vous ne pouvez
vraiment savoir toute l’étendue de votre charité.
Sans vous, madame, et l’honneur que j’aurai de vous entretenir
quelquefois, que deviendrais-je, livré à la domination habituelle de
mes tristes pensées, dans une ville qui n’a ni monde, ni commerce,
ni curiosités, ni environs, et où toute l’activité intellectuelle se
résume à la confection du petit-salé, du savon gras et des bas et
bonnets de coton.
Dorlange, que je n’appellerai pas toujours de ce nom, vous saurez tout
à l’heure pourquoi, est tellement absorbé par les soins de sa brigue
électorale, qu’à peine je l’entrevois. Je vous avais dit, madame,
que je me décidais à aller rejoindre notre ami par la considération
d’un certain trouble d’esprit qu’accusait une de ses lettres où il me
faisait part d’une grande révolution arrivée dans sa vie.
Aujourd’hui, il m’est permis d’être plus explicite: Dorlange connaît
enfin son père. Il est fils naturel du marquis de Sallenauve, dernier
rejeton vivant d’une des meilleures familles de la Champagne. Sans
s’expliquer sur les raisons qui l’avaient décidé à tenir si secrète la
naissance de son fils, le marquis vient légalement de le reconnaître.
En même temps, il a fait pour lui l’acquisition d’une terre qui avait
cessé depuis longtemps d’appartenir à la famille Sallenauve, et qui va
se rattacher de cette manière au nom. Cette terre est située à Arcis
même, et il est donc à penser que sa possession ne sera point inutile
aux projets de députation mis aujourd’hui sur le tapis. Ces projets
datent de plus loin que nous ne l’avions pensé, et ce n’est pas dans la
fantaisie de Dorlange qu’ils ont pris naissance.
Il y a un an, le marquis commençait à les préparer en faisant passer
à son fils une somme considérable pour qu’il pût se constituer par
l’achat d’un immeuble un cens d’éligibilité, et c’est également pour
faciliter au candidat l’accès de la carrière politique, qu’il vient
de le mettre en possession d’un état civil et de le faire une seconde
fois propriétaire. La fin réelle de tous ces sacrifices n’a pas été
très nettement expliquée à Charles de Sallenauve, par le marquis son
père, et c’est au sujet de cette portion brumeuse qui reste encore dans
son ciel que le pauvre garçon avait conçu les appréhensions auxquelles
mon amitié s’est empressée d’aller porter remède. Somme toute, le
marquis paraît être un homme aussi bizarre qu’opulent, car, au lieu
de rester à Arcis, où sa présence et son nom auraient pu contribuer
au succès de l’élection qu’il désire, le lendemain même du jour où
toutes les formalités de la reconnaissance ont été accomplies, il s’est
remis furtivement en route pour des pays lointains où il dit avoir de
pressants intérêts, et n’a pas même laissé le temps à son fils de lui
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Çirattagı - La Comédie humaine - Volume 12. Scènes de la vie parisienne et scènes de la vie - 62
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