🕥 37 minut uku
La Comédie humaine - Volume 04 - 17
Süzlärneñ gomumi sanı 4785
Unikal süzlärneñ gomumi sanı 1638
40.7 süzlär 2000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
53.4 süzlär 5000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
58.3 süzlär 8000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
pensées que je laisse envoler par troupes vers vous, il s'agit de celle
d'un père et d'une mère adorés, à qui mon choix doit plaire et qui
doivent trouver un vrai fils dans mon ami.
»Jusqu'à quel point vos esprits superbes, à qui Dieu donne les ailes
de ses anges sans leur en donner toujours la perfection, peuvent-ils
se plier à la famille, à ses petites misères?... Quel texte médité
déjà par moi. Oh! si j'ai dit, dans mon cœur, avant de venir à vous:
«Allons!...» je n'en ai pas moins eu le cœur palpitant dans la
course, et je ne me suis dissimulé ni les aridités du chemin, ni les
difficultés de l'alpe que j'avais à gravir. J'ai tout embrassé dans
de longues méditations. Ne sais-je pas que les hommes éminents comme
vous l'êtes ont connu l'amour qu'ils ont inspiré, tout aussi bien que
celui qu'ils ont ressenti, qu'ils ont eu plus d'un roman, et que vous
surtout, en caressant ces chimères de race que les femmes achètent à
des prix fous, vous vous êtes attiré plus de dénoûments que de premiers
chapitres. Et néanmoins je me suis écriée: «Allons!» parce que j'ai
plus étudié que vous ne le croyez la géographie de ces grands sommets
de l'Humanité taxés par vous de froideur. Ne m'avez-vous pas dit de
Byron et de Goethe qu'ils étaient deux colosses d'égoïsme et de poésie?
Hé! mon ami, vous avez partagé là l'erreur dans laquelle tombent les
gens superficiels; mais peut-être était-ce chez vous générosité,
fausse modestie, ou désir de m'échapper? Permis au vulgaire, et non
à vous, de prendre les effets du travail pour un développement de la
personnalité. Ni lord Byron, ni Goethe, ni Walter Scott, ni Cuvier,
ni l'inventeur, ne s'appartiennent, ils sont les esclaves de leur
idée; et cette puissance mystérieuse est plus jalouse qu'une femme,
elle les absorbe, elle les fait vivre et les tue à son profit. Les
développements visibles de cette existence cachée ressemblent en
résultat à l'égoïsme; mais comment oser dire que l'homme qui s'est
vendu au plaisir, à l'instruction ou à la grandeur de son époque, est
égoïste? Une mère est-elle atteinte de personnalité quand elle immole
tout à son enfant?... Eh bien! les détracteurs du génie ne voient pas
sa féconde maternité! voilà tout. La vie du poëte est un si continuel
sacrifice qu'il lui faut une organisation gigantesque pour pouvoir se
livrer aux plaisirs d'une vie ordinaire; aussi, dans quels malheurs
ne tombe-t-il pas, quand, à l'exemple de Molière, il veut vivre de la
vie des sentiments, tout en les exprimant dans leurs plus poignantes
crises; car, pour moi, superposé à sa vie privée, le comique de Molière
est horrible. Pour moi, la générosité du génie est quasi divine, et je
vous ai placé dans cette noble famille de prétendus égoïstes. Ah! si
j'avais trouvé la sécheresse, le calcul, l'ambition, là où j'admire
toutes mes fleurs d'âme les plus aimées, vous ne savez pas de quelle
longue douleur j'eusse été atteinte! J'ai déjà rencontré le mécompte
assis à la porte de mes seize ans! Que serais-je devenue en apprenant
à vingt ans que la gloire est menteuse, en voyant celui qui, dans ses
œuvres, avait exprimé tant de sentiments cachés dans mon cœur, ne
pas comprendre ce cœur quand il se dévoilait pour lui seul? O mon
ami, savez-vous ce qui serait advenu de moi? vous allez pénétrer dans
l'arrière de mon âme. Eh bien! j'aurais dit à mon père: «Amenez-moi le
gendre qui sera de votre goût, j'abdique toute volonté, mariez-moi pour
vous!» Et cet homme eût été notaire, banquier, avare, sot, homme de
province, ennuyeux comme un jour de pluie, vulgaire comme un électeur
du petit collége; il eût été fabricant, ou quelque brave militaire sans
esprit, il aurait eu la servante la plus résignée et la plus attentive
en moi. Mais, horrible suicide de tous les moments! jamais mon âme ne
se serait dépliée au jour vivifiant d'un soleil aimé! Aucun murmure
n'aurait révélé ni à mon père, ni à ma mère, ni à mes enfants, le
suicide de la créature qui, dans ce moment, ébranle les barreaux de sa
prison, qui lance des éclairs par mes yeux, qui vole à pleines ailes
vers vous, qui se pose comme une Polymnie à l'angle de votre cabinet
en y respirant l'air, en y regardant tout d'un œil doucement curieux.
Quelquefois dans les champs, où mon mari m'aurait menée, en m'échappant
à quelques pas de mes marmots, en voyant une splendide matinée,
secrètement, j'eusse jeté quelques pleurs bien amers. Enfin j'aurais
eu, dans mon cœur, et dans un coin de ma commode, un petit trésor pour
toutes les filles abusées par l'amour, pauvres âmes poétiques, attirées
dans les supplices par des sourires!... Mais je crois en vous, mon
ami. Cette croyance rectifie les pensées les plus fantasques de mon
ambition secrète; et par moments, voyez jusqu'où va ma franchise, je
voudrais être au milieu du livre que nous commençons, tant je me sens
de fermeté dans mon sentiment, tant de force au cœur pour aimer, tant
de constance par raison, tant d'héroïsme pour le devoir que je me crée,
si l'amour peut jamais se changer en devoir!
»S'il vous était donné de me suivre dans la magnifique retraite où je
nous vois heureux, si vous connaissiez mes projets, il vous échapperait
une phrase terrible où serait le mot folie, et peut-être serais-je
cruellement punie d'avoir envoyé tant de poésie à un poëte. Oui, je
veux être une source, inépuisable comme un beau pays, pendant les
vingt ans que nous accorde la nature pour briller. Je veux éloigner
la satiété par la coquetterie et la recherche. Je serai courageuse
pour mon ami, comme les femmes le sont pour le monde. Je veux varier
le bonheur, je veux mettre de l'esprit dans la tendresse, du piquant
dans la fidélité. Ambitieuse, je veux tuer les rivales dans le passé,
conjurer les chagrins extérieurs par la douceur de l'épouse, par sa
fière abnégation, et avoir, pendant toute la vie, ces soins du nid
que les oiseaux n'ont que pendant quelques jours. Cette immense dot,
elle appartenait, elle devait être offerte à un grand homme, avant
de tomber dans la fange des transactions vulgaires. Trouvez-vous
maintenant ma première lettre une faute? Le vent d'une volonté
mystérieuse m'a jetée vers vous, comme une tempête apporte un rosier au
cœur d'un saule majestueux. Et dans la lettre que je tiens là, sur mon
cœur, vous vous êtes écrié, comme votre ancêtre:--Dieu le veut! quand
il partit pour la croisade.
»Ne direz-vous pas: Elle est bien bavarde! Autour de moi, tous
disent:--Elle est bien taciturne, mademoiselle!
»O. D'ESTE-M.»
Ces lettres ont paru très originales aux personnes à la bienveillance
de qui la Comédie Humaine les doit; mais leur admiration pour ce
duel entre deux esprits croisant la plume, tandis que le plus sévère
incognito tient un masque sur les visages, pourrait ne pas être
partagée. Sur cent spectateurs quatre-vingts peut-être se lasseraient
de cet assaut. Le respect dû, dans tout pays de gouvernement
constitutionnel, à la majorité, ne fût-elle que pressentie, a conseillé
de supprimer onze lettres échangées entre Ernest et Modeste, pendant le
mois de septembre; si quelque flatteuse majorité les réclame, espérons
qu'elle donnera les moyens de les rétablir quelque jour ici.
Sollicités par un esprit aussi agressif que le cœur semblait adorable,
les sentiments vraiment héroïques du pauvre secrétaire intime se
donnèrent ample carrière dans ces lettres que l'imagination de chacun
fera peut-être plus belles qu'elles ne le sont, en devinant ce concert
de deux âmes libres. Aussi Ernest ne vivait-il plus que par ces doux
chiffons de papier, comme un avare ne vit plus que par ceux de la
Banque; tandis qu'un amour profond succédait chez Modeste au plaisir
d'agiter une vie glorieuse, d'en être, malgré la distance, le principe.
Le cœur d'Ernest complétait la gloire de Canalis. Il faut souvent,
hélas! deux hommes pour en faire un amant parfait, comme en littérature
on ne compose un type qu'en employant les singularités de plusieurs
caractères similaires. Combien de fois une femme n'a-t-elle pas dit
dans un salon après des causeries intimes: Celui-ci serait mon idéal
pour l'âme, et je me sens aimer celui-là qui n'est que le rêve des
sens!
La dernière lettre écrite par Modeste, et que voici, permet
d'apercevoir l'_île des Faisans_ où les méandres de cette
correspondance conduisaient ces deux amants.
XXIII.
A MONSIEUR DE CANALIS.
«Soyez, dimanche, au Havre; entrez à l'église, faites-en le tour,
après la messe d'une heure, une ou deux fois, sortez sans rien dire
à personne, sans faire aucune question à qui que ce soit, mais ayez
une rose blanche à votre boutonnière. Puis, retournez à Paris, vous y
trouverez une réponse. Cette réponse ne sera pas ce que vous croyez;
car je vous l'ai dit, l'avenir n'est pas encore à moi... Mais ne
serais-je pas une vraie folle de vous dire oui, sans vous avoir vu!
Quand je vous aurai vu, je puis dire non, sans vous blesser: je suis
sûre de rester inconnue.»
Cette lettre était partie la veille du jour où la lutte inutile entre
Modeste et Dumay venait d'avoir lieu. L'heureuse Modeste attendait donc
avec une impatience maladive le dimanche où les yeux donneraient tort
ou raison à l'esprit, au cœur, un des moments les plus solennels dans
la vie d'une femme et que trois mois d'un commerce d'âme à âme rendait
romanesque autant que le peut souhaiter la fille la plus exaltée. Tout
le monde, excepté la mère, avait pris la torpeur de cette attente pour
le calme de l'innocence. Quelque puissantes que soient et les lois de
la famille et les cordes religieuses, il est des Julies d'Étanges,
des Clarisses, des âmes remplies comme des coupes trop pleines et qui
débordent sous une pression divine. Modeste n'était-elle pas sublime
en déployant une sauvage énergie à comprimer son exubérante jeunesse,
en demeurant voilée? Disons-le, le souvenir de sa sœur était plus
puissant que toutes les entraves sociales; elle avait armé de fer sa
volonté pour ne manquer ni à son père ni à sa famille. Mais quels
mouvements tumultueux! et comment une mère ne les aurait-elle pas
devinés?
Le lendemain, Modeste et madame Dumay conduisirent, vers midi, madame
Mignon au soleil, sur le banc, au milieu des fleurs. L'aveugle tourna
sa figure blême et flétrie du côté de l'Océan, elle aspira l'odeur
de la mer et prit la main à Modeste qui resta près d'elle. Au moment
de questionner sa fille, la mère luttait entre le pardon et la
remontrance, car elle avait reconnu l'amour, et Modeste lui paraissait,
comme au faux Canalis, une exception.
--Pourvu que ton père revienne à temps! s'il tarde encore, il
ne trouvera plus que toi de tout ce qu'il aime! aussi, Modeste,
promets-moi de nouveau de ne jamais le quitter, dit-elle avec une
câlinerie maternelle.
Modeste porta les mains de sa mère à ses lèvres et les baisa doucement
en répondant:--Ai-je besoin de te le redire?
--Ah! mon enfant, c'est que moi-même j'ai quitté mon père pour suivre
mon mari!... mon père était seul cependant, il n'avait que moi
d'enfant... Est-ce là ce que Dieu punit dans ma vie!... Ce que je te
demande, c'est de te marier au goût de ton père, de lui conserver une
place dans ton cœur, de ne pas le sacrifier à ton bonheur, de le
garder au milieu de la famille. Avant de perdre la vue, je lui ai écrit
mes volontés, il les exécutera; je lui enjoins de retenir sa fortune en
entier, non que j'aie une pensée de défiance contre toi, mais est-on
jamais sûr d'un gendre? Moi, ma fille, ai-je été raisonnable? Un clin
d'œil a décidé de ma vie. La beauté, cette enseigne si trompeuse,
a dit vrai pour moi; mais, dût-il en être de même pour toi, pauvre
enfant, jure-moi que si, de même que ta mère, l'apparence t'entraînait,
tu laisserais à ton père le soin de s'enquérir des mœurs, du cœur et
de la vie antérieure de celui que tu aurais distingué, si par hasard tu
distinguais un homme.
--Je ne me marierai jamais qu'avec le consentement de mon père,
répondit Modeste.
La mère garda le plus profond silence après avoir reçu cette réponse,
et sa physionomie quasi morte annonçait qu'elle la méditait à la
manière des aveugles, en étudiant en elle-même l'accent que sa fille y
avait mis.
--C'est que, vois-tu, mon enfant, dit enfin madame Mignon après un
long silence, si la faute de Caroline me fait mourir à petit feu, ton
père ne survivrait pas à la tienne; je le connais, il se brûlerait
la cervelle, il n'y aurait plus ni vie ni bonheur sur la terre pour
lui...--Modeste fit quelques pas pour s'éloigner de sa mère, et revint
un moment après.--Pourquoi m'as-tu quittée? demanda madame Mignon.
--Tu m'as fait pleurer, maman, répondit Modeste.
--Eh bien! mon petit ange, embrasse-moi. Tu n'aimes personne, ici?...
tu n'as pas d'attentif? demanda-t-elle en la gardant sur ses genoux,
cœur contre cœur.
--Non, ma chère maman, répondit la petite jésuite.
--Peux-tu me le jurer?
--Oh! certes!... s'écria Modeste.
Madame Mignon ne dit plus rien, elle doutait encore.
--Enfin, si tu te choisissais un mari, ton père le saurait, reprit-elle.
--Je l'ai promis, et à ma sœur, et à toi ma mère. Quelle faute
veux-tu que je commette en lisant à toute heure, à mon doigt: _Pense à
Bettina_! Pauvre sœur!
Au moment où sur ce mot: Pauvre sœur! dit par Modeste, une trêve de
silence s'était établie entre la fille et la mère, dont les deux yeux
éteints laissèrent couler des larmes que ne put sécher Modeste en se
mettant aux genoux de madame Mignon et lui disant: «Pardon, pardon,
maman», l'excellent Dumay gravissait la côte d'Ingouville au pas
accéléré, fait anormal dans la vie du caissier.
Trois lettres avaient apporté la ruine, une lettre ramenait la fortune.
Le matin même Dumay recevait, d'un capitaine venu des mers de la Chine,
la première nouvelle de son patron, de son seul ami.
A MONSIEUR ANNE DUMAY, ANCIEN CAISSIER DE LA MAISON MIGNON.
«Mon cher Dumay, je suivrai de bien près, sauf les chances de la
navigation, le navire par l'occasion duquel je t'écris; je n'ai pas
voulu quitter mon bâtiment auquel je suis habitué. Je t'avais dit: Pas
de nouvelles, bonnes nouvelles! Mais, au premier mot de cette lettre,
tu seras joyeux; car ce mot, c'est: J'ai sept millions au moins! J'en
rapporte une grande partie en indigo, un tiers en bonnes valeurs sur
Londres et Paris, un autre tiers en bel or. Ton envoi d'argent m'a fait
atteindre au chiffre que je m'étais fixé, je voulais deux millions pour
chacune de mes filles et l'aisance pour moi. J'ai fait le commerce de
l'opium en gros pour des maisons de Canton, toutes dix fois plus riches
que moi. Vous ne vous doutez pas, en Europe, de ce que sont les riches
marchands chinois. J'allais de l'Asie Mineure, où je me procurais
l'opium à bas prix, à Canton où je livrais mes quantités aux compagnies
qui en font le commerce. Ma dernière expédition a eu lieu dans les
îles de la Malaisie, où j'ai pu échanger le produit de l'opium contre
mon indigo, première qualité. Aussi peut-être aurai-je cinq à six cent
mille francs de plus, car je ne compte mon indigo que ce qu'il me coûte.
»Je me suis toujours bien porté, pas la moindre maladie. Voilà ce que
c'est que de travailler pour ses enfants! Dès la seconde année, j'ai pu
avoir à moi _le Mignon_, joli brick de sept cents tonneaux, construit
en bois de teck, doublé, chevillé en cuivre, et dont les emménagements
ont été faits pour moi. C'est encore une valeur. La vie du marin,
l'activité voulue pour mon commerce, mes travaux pour devenir une
espèce de capitaine au long cours, m'ont entretenu dans un excellent
état de santé. Te parler de tout ceci, n'est-ce pas te parler de mes
deux filles et de ma chère femme! J'espère qu'en me sachant ruiné le
misérable qui m'a privé de ma Bettina l'aura laissée, et que la brebis
égarée sera revenu au cottage. Ne faudra-t-il pas quelque chose de plus
dans la dot de celle-là! Mes trois femmes et mon Dumay, tous quatre
vous avez été présents à ma pensée pendant ces trois années. Tu es
riche, Dumay. Ta part, en dehors de ma fortune, se monte à cinq cent
soixante mille francs, que je t'envoie en un mandat, qui ne sera payé
qu'à toi-même par la maison Mongenod, qu'on a prévenue de New-York.
Encore quelques mois, et je vous reverrai tous, je l'espère, bien
portants.
»Maintenant, mon cher Dumay, si je t'écris à toi seulement, c'est que
je désire garder le secret sur ma fortune, et que je veux te laisser
le soin de préparer mes anges à la joie de mon retour. J'ai assez
du commerce, et je veux quitter le Havre. Le choix de mes gendres
m'importe beaucoup. Mon intention est de racheter la terre et le
château de la Bastie, de constituer un majorat de cent mille francs de
rente au moins, et de demander au roi la faveur de faire succéder l'un
de mes gendres à mon nom et à mon titre. Or, tu sais, mon pauvre Dumay,
le malheur que nous avons dû au fatal éclat que répand l'opulence. J'y
ai perdu l'honneur d'une de mes filles. J'ai ramené à Java le plus
malheureux des pères, un pauvre négociant hollandais, riche de neuf
millions, à qui ses deux filles furent enlevées par des misérables,
et nous avons pleuré comme deux enfants, ensemble. Donc je ne veux
pas que l'on connaisse ma fortune. Aussi n'est-ce pas au Havre que
je débarquerai, mais à Marseille. Mon second est un Provençal, un
ancien serviteur de ma famille, à qui j'ai fait faire une petite
fortune. Castagnould aura mes instructions pour racheter La Bastie,
et je traiterai de l'indigo par l'entremise de la maison Mongenod. Je
mettrai mes fonds à la Banque de France, et je reviendrai vous trouver,
en ne me donnant qu'une fortune ostensible d'environ un million en
marchandises. Mes filles seront censées avoir deux cent mille francs.
Choisir celui de mes gendres qui sera digne de succéder à mon nom, à
mes armes, à mes titres, et de vivre avec nous, sera ma grande affaire;
mais je les veux tous deux, comme toi et moi, éprouvés, fermes, loyaux,
honnêtes gens absolument. Je n'ai pas douté de toi, mon vieux, un seul
instant. J'ai pensé que ma bonne et excellente femme, la tienne et
toi, vous avez tracé une haie infranchissable autour de ma fille, et
que je pourrai mettre un baiser plein d'espérances sur le front pur de
l'ange qui me reste. Bettina-Caroline, si vous avez su sauver sa faute,
aura de la fortune. Après avoir fait la guerre et le commerce, nous
allons faire de l'agriculture, et tu seras notre intendant. Cela te
va-t-il? Ainsi, mon vieil ami, te voilà le maître de ta conduite avec
ma famille, de dire ou de taire mes succès. Je m'en fie à ta prudence;
tu diras ce que tu jugeras convenable. En quatre ans, il peut être
survenu tant de changements dans les caractères. Je te laisse être le
juge, tant je crains la tendresse de ma femme pour ses filles. Adieu,
mon vieux Dumay. Dis à mes filles et à ma femme que je n'ai jamais
manqué de les embrasser de cœur tous les jours, soir et matin. Le
second mandat, également personnel, de quarante mille francs, est pour
mes filles et ma femme, en attendant.
»Ton patron et ami,
»CHARLES MIGNON.»
--Ton père arrive, dit madame Mignon à sa fille.
--A quoi vois-tu cela, maman? demanda Modeste.
--Il n'y a que cette nouvelle à nous apporter qui puisse faire courir
Dumay.
Modeste, plongée dans ses réflexions, n'avait ni vu ni entendu Dumay.
--Victoire! s'écria le lieutenant dès la porte. Madame, le colonel n'a
jamais été malade, et il revient... il revient sur _le Mignon_, un beau
bâtiment à lui, qui doit valoir avec sa cargaison dont il me parle,
huit à neuf cent mille francs; mais il vous recommande la plus profonde
discrétion, il a le cœur creusé bien avant par l'accident de notre
chère petite défunte.
--Il y a fait la place d'une tombe, dit madame Mignon.
--Et il attribue ce malheur, ce qui me semble probable, à la cupidité
que les grandes fortunes excitent chez les jeunes gens... Mon pauvre
colonel croit retrouver la brebis égarée au milieu de nous... Soyons
heureux entre nous, ne disons rien à personne, pas même à Latournelle,
si c'est possible.--Mademoiselle, dit-il à l'oreille de Modeste,
écrivez à monsieur votre père une lettre sur la perte que la famille a
faite et sur les suites affreuses que cet événement a eues, afin de le
préparer au terrible spectacle qu'il aura; je me charge de lui faire
tenir cette lettre avant son arrivée au Havre, car il est forcé de
passer par Paris; écrivez-lui longuement, vous avez du temps à vous,
j'emporterai la lettre lundi, lundi j'irai sans doute à Paris...
Modeste eut peur que Canalis et Dumay ne se rencontrassent, elle voulut
monter pour écrire et remettre le rendez-vous.
--Mademoiselle, dites-moi, reprit Dumay de la manière la plus humble
en barrant le passage à Modeste, que votre père retrouve sa fille sans
autre sentiment au cœur que celui qu'elle avait à son départ pour lui,
pour madame votre mère.
--Je me suis juré à moi-même, à ma sœur et à ma mère, d'être la
consolation, le bonheur et la gloire de mon père, et--ce--sera!
répliqua Modeste en jetant un regard fier et dédaigneux à Dumay. Ne
troublez pas la joie que j'ai de savoir bientôt mon père au milieu
de nous par des soupçons injurieux. On ne peut pas empêcher le cœur
d'une jeune fille de battre, vous ne voulez pas que je sois une momie?
dit-elle. Ma personne est à ma famille, mon cœur est à moi. Si j'aime,
mon père et ma mère le sauront. Êtes-vous content, monsieur?
--Merci, mademoiselle, répondit Dumay, vous m'avez rendu la vie; mais
vous auriez toujours bien pu me dire _Dumay_, même en me donnant un
soufflet!
--Jure-moi, dit la mère, que tu n'as échangé ni parole ni regard avec
aucun jeune homme...
--Je puis le jurer, ma mère, dit Modeste en souriant et regardant Dumay
qui l'examinait et souriait comme une jeune fille qui fait une malice.
--Elle serait donc bien fausse, s'écria Dumay quand Modeste rentra dans
la maison.
--Ma fille Modeste peut avoir des défauts, répondit la mère, mais elle
est incapable de mentir.
--Eh bien! soyons donc tranquilles, reprit le lieutenant, et pensons
que le malheur a soldé son compte avec nous.
--Dieu le veuille! répliqua madame Mignon. Vous _le_ verrez, Dumay;
moi, je ne pourrai que l'entendre... Il y a bien de la mélancolie dans
mon bonheur!
En ce moment, Modeste, quoique heureuse du retour de son père, était
affligée comme Perrette en voyant ses œufs cassés. Elle avait espéré
plus de fortune que n'en annonçait Dumay. Devenue ambitieuse pour
son poëte, elle souhaitait au moins la moitié des six millions dont
elle avait parlé dans sa seconde lettre. En proie à sa double joie et
contrariée par le petit chagrin que lui causait sa pauvreté relative,
elle se mit à son piano, ce confident de tant de jeunes filles, qui lui
disent leurs colères, leurs désirs, en les exprimant par les nuances
de leur jeu. Dumay causait avec sa femme en se promenant sous les
fenêtres, il lui confiait le secret de leur fortune et l'interrogeait
sur ses désirs, sur ses souhaits, sur ses intentions. Madame Dumay
n'avait, comme son mari, d'autre famille que la famille Mignon. Les
deux époux décidèrent de vivre en Provence, si le comte de la Bastie
allait en Provence, et de léguer leur fortune à celui des enfants de
Modeste qui en aurait besoin.
--Écoutez Modeste! leur dit madame Mignon, il n'y a qu'une fille
amoureuse qui puisse composer de pareilles mélodies sans connaître la
musique...
Les maisons peuvent brûler, les fortunes sombrer, les pères revenir de
voyage, les empires crouler, le choléra ravager la cité, l'amour d'une
jeune fille poursuit son vol, comme la nature sa marche, comme cet
effroyable acide que la chimie a découvert, et qui peut trouer le globe
si rien ne l'absorbe au centre.
Voici la romance que sa situation avait inspirée à Modeste sur les
stances qu'il faut citer, quoiqu'elles soient imprimées au deuxième
volume de l'édition dont parlait Dauriat, car pour y adapter sa
musique, la jeune artiste en avait brisé les césures par quelques
modifications qui pourraient étonner les admirateurs de la correction,
souvent trop savante de ce poëte.
CHANT D'UNE JEUNE FILLE.
Mon cœur, lève-toi! Déjà l'alouette
Secoue en chantant son aile au soleil.
Ne dors plus, mon cœur, car la violette
Élève à Dieu l'encens de son réveil.
Chaque fleur vivante et bien reposée,
Ouvrant tour à tour les yeux pour se voir,
A dans son calice un peu de rosée,
Perle d'un jour qui lui sert de miroir.
On sent dans l'air pur que l'ange des roses
A passé la nuit à bénir les fleurs!
On voit que pour lui toutes sont écloses,
Il vient d'en haut raviver leurs couleurs.
Ainsi lève-toi, puisque l'alouette
Secoue en chantant son aile au soleil;
Rien ne dort plus, mon cœur! la violette
Élève à Dieu l'encens de son réveil.
Et voici, puisque les progrès de la Typographie le permettent, la
musique de Modeste, à laquelle une expression délicieuse communiquait
ce charme admiré dans les grands chanteurs, et qu'aucune typographie,
fût-elle hiéroglyphique ou phonétique, ne pourra jamais rendre.
[Illustration: Musique]
--C'est joli, dit madame Dumay, Modeste est musicienne, voilà
tout...
--Elle a le diable au corps, s'écria le caissier à qui le soupçon de la
mère entra dans le cœur et donna le frisson.
--Elle aime, répéta madame Mignon.
En réussissant, par le témoignage irrécusable de cette mélodie, à faire
partager sa certitude sur l'amour caché de Modeste, madame Mignon
troubla la joie que le retour et les succès de son patron causaient au
caissier. Le pauvre Breton descendit au Havre y reprendre sa besogne
chez Gobenheim; puis, avant de revenir dîner, il passa chez les
Latournelle y exprimer ses craintes et leur demander de nouveau aide et
secours.
--Oui, mon cher ami, dit Dumay sur le pas de la porte en quittant le
notaire, je suis du même avis que madame: _elle_ aime, c'est sûr, et le
diable sait le reste! Me voilà déshonoré.
--Ne vous désolez pas, Dumay, répondit le petit notaire, nous serons
bien, à nous tous, aussi forts que cette petite personne, et, dans un
temps donné, toute fille amoureuse commet une imprudence qui la trahit;
mais, nous en causerons ce soir.
Ainsi toutes les personnes dévouées à la famille Mignon furent en proie
aux mêmes inquiétudes qui les poignaient la veille avant l'expérience
que le vieux soldat avait cru être décisive. L'inutilité de tant
d'efforts piqua si bien la conscience de Dumay qu'il ne voulut pas
aller chercher sa fortune à Paris avant d'avoir deviné le mot de cette
énigme. Ces cœurs, pour qui les sentiments étaient plus précieux que
les intérêts, concevaient tous en ce moment que, sans la parfaite
innocence de sa fille, le colonel pouvait mourir de chagrin en trouvant
Bettina morte et sa femme aveugle. Le désespoir du pauvre Dumay fit une
telle impression sur les Latournelle qu'ils en oublièrent le départ
d'Exupère que, dans la matinée, ils avaient embarqué pour Paris.
Pendant les moments du dîner où ils furent tous les trois seuls,
monsieur, madame Latournelle et Butscha retournèrent les termes de ce
problème sous toutes les faces, en parcourant toutes les suppositions
possibles.
--Si Modeste aimait quelqu'un du Havre, elle aurait tremblé hier, dit
madame Latournelle, son amant est donc ailleurs.
--Elle a juré, dit le notaire, ce matin, à sa mère et devant Dumay,
qu'elle n'avait échangé ni regard, ni parole avec âme qui vive...
--Elle aimerait donc à ma manière? dit Butscha.
--Et comment donc aimes-tu, mon pauvre garçon? demanda madame
Latournelle.
--Madame, répondit le petit bossu, j'aime à moi tout seul, à distance,
à peu près comme d'ici aux étoiles...
--Et comment fais-tu, grosse bête? dit madame Latournelle en souriant.
--Ah! madame, répondit Butscha, ce que vous croyez une bosse, est
l'étui de mes ailes.
--Voilà donc l'explication de ton cachet! s'écria le notaire.
Le cachet du clerc était une étoile sous laquelle se lisaient ces mots:
_Fulgens, sequar_ (brillante, je te suivrai), la devise de la maison de
Chastillonest.
--Une belle créature peut avoir autant de défiance que la plus laide,
d'un père et d'une mère adorés, à qui mon choix doit plaire et qui
doivent trouver un vrai fils dans mon ami.
»Jusqu'à quel point vos esprits superbes, à qui Dieu donne les ailes
de ses anges sans leur en donner toujours la perfection, peuvent-ils
se plier à la famille, à ses petites misères?... Quel texte médité
déjà par moi. Oh! si j'ai dit, dans mon cœur, avant de venir à vous:
«Allons!...» je n'en ai pas moins eu le cœur palpitant dans la
course, et je ne me suis dissimulé ni les aridités du chemin, ni les
difficultés de l'alpe que j'avais à gravir. J'ai tout embrassé dans
de longues méditations. Ne sais-je pas que les hommes éminents comme
vous l'êtes ont connu l'amour qu'ils ont inspiré, tout aussi bien que
celui qu'ils ont ressenti, qu'ils ont eu plus d'un roman, et que vous
surtout, en caressant ces chimères de race que les femmes achètent à
des prix fous, vous vous êtes attiré plus de dénoûments que de premiers
chapitres. Et néanmoins je me suis écriée: «Allons!» parce que j'ai
plus étudié que vous ne le croyez la géographie de ces grands sommets
de l'Humanité taxés par vous de froideur. Ne m'avez-vous pas dit de
Byron et de Goethe qu'ils étaient deux colosses d'égoïsme et de poésie?
Hé! mon ami, vous avez partagé là l'erreur dans laquelle tombent les
gens superficiels; mais peut-être était-ce chez vous générosité,
fausse modestie, ou désir de m'échapper? Permis au vulgaire, et non
à vous, de prendre les effets du travail pour un développement de la
personnalité. Ni lord Byron, ni Goethe, ni Walter Scott, ni Cuvier,
ni l'inventeur, ne s'appartiennent, ils sont les esclaves de leur
idée; et cette puissance mystérieuse est plus jalouse qu'une femme,
elle les absorbe, elle les fait vivre et les tue à son profit. Les
développements visibles de cette existence cachée ressemblent en
résultat à l'égoïsme; mais comment oser dire que l'homme qui s'est
vendu au plaisir, à l'instruction ou à la grandeur de son époque, est
égoïste? Une mère est-elle atteinte de personnalité quand elle immole
tout à son enfant?... Eh bien! les détracteurs du génie ne voient pas
sa féconde maternité! voilà tout. La vie du poëte est un si continuel
sacrifice qu'il lui faut une organisation gigantesque pour pouvoir se
livrer aux plaisirs d'une vie ordinaire; aussi, dans quels malheurs
ne tombe-t-il pas, quand, à l'exemple de Molière, il veut vivre de la
vie des sentiments, tout en les exprimant dans leurs plus poignantes
crises; car, pour moi, superposé à sa vie privée, le comique de Molière
est horrible. Pour moi, la générosité du génie est quasi divine, et je
vous ai placé dans cette noble famille de prétendus égoïstes. Ah! si
j'avais trouvé la sécheresse, le calcul, l'ambition, là où j'admire
toutes mes fleurs d'âme les plus aimées, vous ne savez pas de quelle
longue douleur j'eusse été atteinte! J'ai déjà rencontré le mécompte
assis à la porte de mes seize ans! Que serais-je devenue en apprenant
à vingt ans que la gloire est menteuse, en voyant celui qui, dans ses
œuvres, avait exprimé tant de sentiments cachés dans mon cœur, ne
pas comprendre ce cœur quand il se dévoilait pour lui seul? O mon
ami, savez-vous ce qui serait advenu de moi? vous allez pénétrer dans
l'arrière de mon âme. Eh bien! j'aurais dit à mon père: «Amenez-moi le
gendre qui sera de votre goût, j'abdique toute volonté, mariez-moi pour
vous!» Et cet homme eût été notaire, banquier, avare, sot, homme de
province, ennuyeux comme un jour de pluie, vulgaire comme un électeur
du petit collége; il eût été fabricant, ou quelque brave militaire sans
esprit, il aurait eu la servante la plus résignée et la plus attentive
en moi. Mais, horrible suicide de tous les moments! jamais mon âme ne
se serait dépliée au jour vivifiant d'un soleil aimé! Aucun murmure
n'aurait révélé ni à mon père, ni à ma mère, ni à mes enfants, le
suicide de la créature qui, dans ce moment, ébranle les barreaux de sa
prison, qui lance des éclairs par mes yeux, qui vole à pleines ailes
vers vous, qui se pose comme une Polymnie à l'angle de votre cabinet
en y respirant l'air, en y regardant tout d'un œil doucement curieux.
Quelquefois dans les champs, où mon mari m'aurait menée, en m'échappant
à quelques pas de mes marmots, en voyant une splendide matinée,
secrètement, j'eusse jeté quelques pleurs bien amers. Enfin j'aurais
eu, dans mon cœur, et dans un coin de ma commode, un petit trésor pour
toutes les filles abusées par l'amour, pauvres âmes poétiques, attirées
dans les supplices par des sourires!... Mais je crois en vous, mon
ami. Cette croyance rectifie les pensées les plus fantasques de mon
ambition secrète; et par moments, voyez jusqu'où va ma franchise, je
voudrais être au milieu du livre que nous commençons, tant je me sens
de fermeté dans mon sentiment, tant de force au cœur pour aimer, tant
de constance par raison, tant d'héroïsme pour le devoir que je me crée,
si l'amour peut jamais se changer en devoir!
»S'il vous était donné de me suivre dans la magnifique retraite où je
nous vois heureux, si vous connaissiez mes projets, il vous échapperait
une phrase terrible où serait le mot folie, et peut-être serais-je
cruellement punie d'avoir envoyé tant de poésie à un poëte. Oui, je
veux être une source, inépuisable comme un beau pays, pendant les
vingt ans que nous accorde la nature pour briller. Je veux éloigner
la satiété par la coquetterie et la recherche. Je serai courageuse
pour mon ami, comme les femmes le sont pour le monde. Je veux varier
le bonheur, je veux mettre de l'esprit dans la tendresse, du piquant
dans la fidélité. Ambitieuse, je veux tuer les rivales dans le passé,
conjurer les chagrins extérieurs par la douceur de l'épouse, par sa
fière abnégation, et avoir, pendant toute la vie, ces soins du nid
que les oiseaux n'ont que pendant quelques jours. Cette immense dot,
elle appartenait, elle devait être offerte à un grand homme, avant
de tomber dans la fange des transactions vulgaires. Trouvez-vous
maintenant ma première lettre une faute? Le vent d'une volonté
mystérieuse m'a jetée vers vous, comme une tempête apporte un rosier au
cœur d'un saule majestueux. Et dans la lettre que je tiens là, sur mon
cœur, vous vous êtes écrié, comme votre ancêtre:--Dieu le veut! quand
il partit pour la croisade.
»Ne direz-vous pas: Elle est bien bavarde! Autour de moi, tous
disent:--Elle est bien taciturne, mademoiselle!
»O. D'ESTE-M.»
Ces lettres ont paru très originales aux personnes à la bienveillance
de qui la Comédie Humaine les doit; mais leur admiration pour ce
duel entre deux esprits croisant la plume, tandis que le plus sévère
incognito tient un masque sur les visages, pourrait ne pas être
partagée. Sur cent spectateurs quatre-vingts peut-être se lasseraient
de cet assaut. Le respect dû, dans tout pays de gouvernement
constitutionnel, à la majorité, ne fût-elle que pressentie, a conseillé
de supprimer onze lettres échangées entre Ernest et Modeste, pendant le
mois de septembre; si quelque flatteuse majorité les réclame, espérons
qu'elle donnera les moyens de les rétablir quelque jour ici.
Sollicités par un esprit aussi agressif que le cœur semblait adorable,
les sentiments vraiment héroïques du pauvre secrétaire intime se
donnèrent ample carrière dans ces lettres que l'imagination de chacun
fera peut-être plus belles qu'elles ne le sont, en devinant ce concert
de deux âmes libres. Aussi Ernest ne vivait-il plus que par ces doux
chiffons de papier, comme un avare ne vit plus que par ceux de la
Banque; tandis qu'un amour profond succédait chez Modeste au plaisir
d'agiter une vie glorieuse, d'en être, malgré la distance, le principe.
Le cœur d'Ernest complétait la gloire de Canalis. Il faut souvent,
hélas! deux hommes pour en faire un amant parfait, comme en littérature
on ne compose un type qu'en employant les singularités de plusieurs
caractères similaires. Combien de fois une femme n'a-t-elle pas dit
dans un salon après des causeries intimes: Celui-ci serait mon idéal
pour l'âme, et je me sens aimer celui-là qui n'est que le rêve des
sens!
La dernière lettre écrite par Modeste, et que voici, permet
d'apercevoir l'_île des Faisans_ où les méandres de cette
correspondance conduisaient ces deux amants.
XXIII.
A MONSIEUR DE CANALIS.
«Soyez, dimanche, au Havre; entrez à l'église, faites-en le tour,
après la messe d'une heure, une ou deux fois, sortez sans rien dire
à personne, sans faire aucune question à qui que ce soit, mais ayez
une rose blanche à votre boutonnière. Puis, retournez à Paris, vous y
trouverez une réponse. Cette réponse ne sera pas ce que vous croyez;
car je vous l'ai dit, l'avenir n'est pas encore à moi... Mais ne
serais-je pas une vraie folle de vous dire oui, sans vous avoir vu!
Quand je vous aurai vu, je puis dire non, sans vous blesser: je suis
sûre de rester inconnue.»
Cette lettre était partie la veille du jour où la lutte inutile entre
Modeste et Dumay venait d'avoir lieu. L'heureuse Modeste attendait donc
avec une impatience maladive le dimanche où les yeux donneraient tort
ou raison à l'esprit, au cœur, un des moments les plus solennels dans
la vie d'une femme et que trois mois d'un commerce d'âme à âme rendait
romanesque autant que le peut souhaiter la fille la plus exaltée. Tout
le monde, excepté la mère, avait pris la torpeur de cette attente pour
le calme de l'innocence. Quelque puissantes que soient et les lois de
la famille et les cordes religieuses, il est des Julies d'Étanges,
des Clarisses, des âmes remplies comme des coupes trop pleines et qui
débordent sous une pression divine. Modeste n'était-elle pas sublime
en déployant une sauvage énergie à comprimer son exubérante jeunesse,
en demeurant voilée? Disons-le, le souvenir de sa sœur était plus
puissant que toutes les entraves sociales; elle avait armé de fer sa
volonté pour ne manquer ni à son père ni à sa famille. Mais quels
mouvements tumultueux! et comment une mère ne les aurait-elle pas
devinés?
Le lendemain, Modeste et madame Dumay conduisirent, vers midi, madame
Mignon au soleil, sur le banc, au milieu des fleurs. L'aveugle tourna
sa figure blême et flétrie du côté de l'Océan, elle aspira l'odeur
de la mer et prit la main à Modeste qui resta près d'elle. Au moment
de questionner sa fille, la mère luttait entre le pardon et la
remontrance, car elle avait reconnu l'amour, et Modeste lui paraissait,
comme au faux Canalis, une exception.
--Pourvu que ton père revienne à temps! s'il tarde encore, il
ne trouvera plus que toi de tout ce qu'il aime! aussi, Modeste,
promets-moi de nouveau de ne jamais le quitter, dit-elle avec une
câlinerie maternelle.
Modeste porta les mains de sa mère à ses lèvres et les baisa doucement
en répondant:--Ai-je besoin de te le redire?
--Ah! mon enfant, c'est que moi-même j'ai quitté mon père pour suivre
mon mari!... mon père était seul cependant, il n'avait que moi
d'enfant... Est-ce là ce que Dieu punit dans ma vie!... Ce que je te
demande, c'est de te marier au goût de ton père, de lui conserver une
place dans ton cœur, de ne pas le sacrifier à ton bonheur, de le
garder au milieu de la famille. Avant de perdre la vue, je lui ai écrit
mes volontés, il les exécutera; je lui enjoins de retenir sa fortune en
entier, non que j'aie une pensée de défiance contre toi, mais est-on
jamais sûr d'un gendre? Moi, ma fille, ai-je été raisonnable? Un clin
d'œil a décidé de ma vie. La beauté, cette enseigne si trompeuse,
a dit vrai pour moi; mais, dût-il en être de même pour toi, pauvre
enfant, jure-moi que si, de même que ta mère, l'apparence t'entraînait,
tu laisserais à ton père le soin de s'enquérir des mœurs, du cœur et
de la vie antérieure de celui que tu aurais distingué, si par hasard tu
distinguais un homme.
--Je ne me marierai jamais qu'avec le consentement de mon père,
répondit Modeste.
La mère garda le plus profond silence après avoir reçu cette réponse,
et sa physionomie quasi morte annonçait qu'elle la méditait à la
manière des aveugles, en étudiant en elle-même l'accent que sa fille y
avait mis.
--C'est que, vois-tu, mon enfant, dit enfin madame Mignon après un
long silence, si la faute de Caroline me fait mourir à petit feu, ton
père ne survivrait pas à la tienne; je le connais, il se brûlerait
la cervelle, il n'y aurait plus ni vie ni bonheur sur la terre pour
lui...--Modeste fit quelques pas pour s'éloigner de sa mère, et revint
un moment après.--Pourquoi m'as-tu quittée? demanda madame Mignon.
--Tu m'as fait pleurer, maman, répondit Modeste.
--Eh bien! mon petit ange, embrasse-moi. Tu n'aimes personne, ici?...
tu n'as pas d'attentif? demanda-t-elle en la gardant sur ses genoux,
cœur contre cœur.
--Non, ma chère maman, répondit la petite jésuite.
--Peux-tu me le jurer?
--Oh! certes!... s'écria Modeste.
Madame Mignon ne dit plus rien, elle doutait encore.
--Enfin, si tu te choisissais un mari, ton père le saurait, reprit-elle.
--Je l'ai promis, et à ma sœur, et à toi ma mère. Quelle faute
veux-tu que je commette en lisant à toute heure, à mon doigt: _Pense à
Bettina_! Pauvre sœur!
Au moment où sur ce mot: Pauvre sœur! dit par Modeste, une trêve de
silence s'était établie entre la fille et la mère, dont les deux yeux
éteints laissèrent couler des larmes que ne put sécher Modeste en se
mettant aux genoux de madame Mignon et lui disant: «Pardon, pardon,
maman», l'excellent Dumay gravissait la côte d'Ingouville au pas
accéléré, fait anormal dans la vie du caissier.
Trois lettres avaient apporté la ruine, une lettre ramenait la fortune.
Le matin même Dumay recevait, d'un capitaine venu des mers de la Chine,
la première nouvelle de son patron, de son seul ami.
A MONSIEUR ANNE DUMAY, ANCIEN CAISSIER DE LA MAISON MIGNON.
«Mon cher Dumay, je suivrai de bien près, sauf les chances de la
navigation, le navire par l'occasion duquel je t'écris; je n'ai pas
voulu quitter mon bâtiment auquel je suis habitué. Je t'avais dit: Pas
de nouvelles, bonnes nouvelles! Mais, au premier mot de cette lettre,
tu seras joyeux; car ce mot, c'est: J'ai sept millions au moins! J'en
rapporte une grande partie en indigo, un tiers en bonnes valeurs sur
Londres et Paris, un autre tiers en bel or. Ton envoi d'argent m'a fait
atteindre au chiffre que je m'étais fixé, je voulais deux millions pour
chacune de mes filles et l'aisance pour moi. J'ai fait le commerce de
l'opium en gros pour des maisons de Canton, toutes dix fois plus riches
que moi. Vous ne vous doutez pas, en Europe, de ce que sont les riches
marchands chinois. J'allais de l'Asie Mineure, où je me procurais
l'opium à bas prix, à Canton où je livrais mes quantités aux compagnies
qui en font le commerce. Ma dernière expédition a eu lieu dans les
îles de la Malaisie, où j'ai pu échanger le produit de l'opium contre
mon indigo, première qualité. Aussi peut-être aurai-je cinq à six cent
mille francs de plus, car je ne compte mon indigo que ce qu'il me coûte.
»Je me suis toujours bien porté, pas la moindre maladie. Voilà ce que
c'est que de travailler pour ses enfants! Dès la seconde année, j'ai pu
avoir à moi _le Mignon_, joli brick de sept cents tonneaux, construit
en bois de teck, doublé, chevillé en cuivre, et dont les emménagements
ont été faits pour moi. C'est encore une valeur. La vie du marin,
l'activité voulue pour mon commerce, mes travaux pour devenir une
espèce de capitaine au long cours, m'ont entretenu dans un excellent
état de santé. Te parler de tout ceci, n'est-ce pas te parler de mes
deux filles et de ma chère femme! J'espère qu'en me sachant ruiné le
misérable qui m'a privé de ma Bettina l'aura laissée, et que la brebis
égarée sera revenu au cottage. Ne faudra-t-il pas quelque chose de plus
dans la dot de celle-là! Mes trois femmes et mon Dumay, tous quatre
vous avez été présents à ma pensée pendant ces trois années. Tu es
riche, Dumay. Ta part, en dehors de ma fortune, se monte à cinq cent
soixante mille francs, que je t'envoie en un mandat, qui ne sera payé
qu'à toi-même par la maison Mongenod, qu'on a prévenue de New-York.
Encore quelques mois, et je vous reverrai tous, je l'espère, bien
portants.
»Maintenant, mon cher Dumay, si je t'écris à toi seulement, c'est que
je désire garder le secret sur ma fortune, et que je veux te laisser
le soin de préparer mes anges à la joie de mon retour. J'ai assez
du commerce, et je veux quitter le Havre. Le choix de mes gendres
m'importe beaucoup. Mon intention est de racheter la terre et le
château de la Bastie, de constituer un majorat de cent mille francs de
rente au moins, et de demander au roi la faveur de faire succéder l'un
de mes gendres à mon nom et à mon titre. Or, tu sais, mon pauvre Dumay,
le malheur que nous avons dû au fatal éclat que répand l'opulence. J'y
ai perdu l'honneur d'une de mes filles. J'ai ramené à Java le plus
malheureux des pères, un pauvre négociant hollandais, riche de neuf
millions, à qui ses deux filles furent enlevées par des misérables,
et nous avons pleuré comme deux enfants, ensemble. Donc je ne veux
pas que l'on connaisse ma fortune. Aussi n'est-ce pas au Havre que
je débarquerai, mais à Marseille. Mon second est un Provençal, un
ancien serviteur de ma famille, à qui j'ai fait faire une petite
fortune. Castagnould aura mes instructions pour racheter La Bastie,
et je traiterai de l'indigo par l'entremise de la maison Mongenod. Je
mettrai mes fonds à la Banque de France, et je reviendrai vous trouver,
en ne me donnant qu'une fortune ostensible d'environ un million en
marchandises. Mes filles seront censées avoir deux cent mille francs.
Choisir celui de mes gendres qui sera digne de succéder à mon nom, à
mes armes, à mes titres, et de vivre avec nous, sera ma grande affaire;
mais je les veux tous deux, comme toi et moi, éprouvés, fermes, loyaux,
honnêtes gens absolument. Je n'ai pas douté de toi, mon vieux, un seul
instant. J'ai pensé que ma bonne et excellente femme, la tienne et
toi, vous avez tracé une haie infranchissable autour de ma fille, et
que je pourrai mettre un baiser plein d'espérances sur le front pur de
l'ange qui me reste. Bettina-Caroline, si vous avez su sauver sa faute,
aura de la fortune. Après avoir fait la guerre et le commerce, nous
allons faire de l'agriculture, et tu seras notre intendant. Cela te
va-t-il? Ainsi, mon vieil ami, te voilà le maître de ta conduite avec
ma famille, de dire ou de taire mes succès. Je m'en fie à ta prudence;
tu diras ce que tu jugeras convenable. En quatre ans, il peut être
survenu tant de changements dans les caractères. Je te laisse être le
juge, tant je crains la tendresse de ma femme pour ses filles. Adieu,
mon vieux Dumay. Dis à mes filles et à ma femme que je n'ai jamais
manqué de les embrasser de cœur tous les jours, soir et matin. Le
second mandat, également personnel, de quarante mille francs, est pour
mes filles et ma femme, en attendant.
»Ton patron et ami,
»CHARLES MIGNON.»
--Ton père arrive, dit madame Mignon à sa fille.
--A quoi vois-tu cela, maman? demanda Modeste.
--Il n'y a que cette nouvelle à nous apporter qui puisse faire courir
Dumay.
Modeste, plongée dans ses réflexions, n'avait ni vu ni entendu Dumay.
--Victoire! s'écria le lieutenant dès la porte. Madame, le colonel n'a
jamais été malade, et il revient... il revient sur _le Mignon_, un beau
bâtiment à lui, qui doit valoir avec sa cargaison dont il me parle,
huit à neuf cent mille francs; mais il vous recommande la plus profonde
discrétion, il a le cœur creusé bien avant par l'accident de notre
chère petite défunte.
--Il y a fait la place d'une tombe, dit madame Mignon.
--Et il attribue ce malheur, ce qui me semble probable, à la cupidité
que les grandes fortunes excitent chez les jeunes gens... Mon pauvre
colonel croit retrouver la brebis égarée au milieu de nous... Soyons
heureux entre nous, ne disons rien à personne, pas même à Latournelle,
si c'est possible.--Mademoiselle, dit-il à l'oreille de Modeste,
écrivez à monsieur votre père une lettre sur la perte que la famille a
faite et sur les suites affreuses que cet événement a eues, afin de le
préparer au terrible spectacle qu'il aura; je me charge de lui faire
tenir cette lettre avant son arrivée au Havre, car il est forcé de
passer par Paris; écrivez-lui longuement, vous avez du temps à vous,
j'emporterai la lettre lundi, lundi j'irai sans doute à Paris...
Modeste eut peur que Canalis et Dumay ne se rencontrassent, elle voulut
monter pour écrire et remettre le rendez-vous.
--Mademoiselle, dites-moi, reprit Dumay de la manière la plus humble
en barrant le passage à Modeste, que votre père retrouve sa fille sans
autre sentiment au cœur que celui qu'elle avait à son départ pour lui,
pour madame votre mère.
--Je me suis juré à moi-même, à ma sœur et à ma mère, d'être la
consolation, le bonheur et la gloire de mon père, et--ce--sera!
répliqua Modeste en jetant un regard fier et dédaigneux à Dumay. Ne
troublez pas la joie que j'ai de savoir bientôt mon père au milieu
de nous par des soupçons injurieux. On ne peut pas empêcher le cœur
d'une jeune fille de battre, vous ne voulez pas que je sois une momie?
dit-elle. Ma personne est à ma famille, mon cœur est à moi. Si j'aime,
mon père et ma mère le sauront. Êtes-vous content, monsieur?
--Merci, mademoiselle, répondit Dumay, vous m'avez rendu la vie; mais
vous auriez toujours bien pu me dire _Dumay_, même en me donnant un
soufflet!
--Jure-moi, dit la mère, que tu n'as échangé ni parole ni regard avec
aucun jeune homme...
--Je puis le jurer, ma mère, dit Modeste en souriant et regardant Dumay
qui l'examinait et souriait comme une jeune fille qui fait une malice.
--Elle serait donc bien fausse, s'écria Dumay quand Modeste rentra dans
la maison.
--Ma fille Modeste peut avoir des défauts, répondit la mère, mais elle
est incapable de mentir.
--Eh bien! soyons donc tranquilles, reprit le lieutenant, et pensons
que le malheur a soldé son compte avec nous.
--Dieu le veuille! répliqua madame Mignon. Vous _le_ verrez, Dumay;
moi, je ne pourrai que l'entendre... Il y a bien de la mélancolie dans
mon bonheur!
En ce moment, Modeste, quoique heureuse du retour de son père, était
affligée comme Perrette en voyant ses œufs cassés. Elle avait espéré
plus de fortune que n'en annonçait Dumay. Devenue ambitieuse pour
son poëte, elle souhaitait au moins la moitié des six millions dont
elle avait parlé dans sa seconde lettre. En proie à sa double joie et
contrariée par le petit chagrin que lui causait sa pauvreté relative,
elle se mit à son piano, ce confident de tant de jeunes filles, qui lui
disent leurs colères, leurs désirs, en les exprimant par les nuances
de leur jeu. Dumay causait avec sa femme en se promenant sous les
fenêtres, il lui confiait le secret de leur fortune et l'interrogeait
sur ses désirs, sur ses souhaits, sur ses intentions. Madame Dumay
n'avait, comme son mari, d'autre famille que la famille Mignon. Les
deux époux décidèrent de vivre en Provence, si le comte de la Bastie
allait en Provence, et de léguer leur fortune à celui des enfants de
Modeste qui en aurait besoin.
--Écoutez Modeste! leur dit madame Mignon, il n'y a qu'une fille
amoureuse qui puisse composer de pareilles mélodies sans connaître la
musique...
Les maisons peuvent brûler, les fortunes sombrer, les pères revenir de
voyage, les empires crouler, le choléra ravager la cité, l'amour d'une
jeune fille poursuit son vol, comme la nature sa marche, comme cet
effroyable acide que la chimie a découvert, et qui peut trouer le globe
si rien ne l'absorbe au centre.
Voici la romance que sa situation avait inspirée à Modeste sur les
stances qu'il faut citer, quoiqu'elles soient imprimées au deuxième
volume de l'édition dont parlait Dauriat, car pour y adapter sa
musique, la jeune artiste en avait brisé les césures par quelques
modifications qui pourraient étonner les admirateurs de la correction,
souvent trop savante de ce poëte.
CHANT D'UNE JEUNE FILLE.
Mon cœur, lève-toi! Déjà l'alouette
Secoue en chantant son aile au soleil.
Ne dors plus, mon cœur, car la violette
Élève à Dieu l'encens de son réveil.
Chaque fleur vivante et bien reposée,
Ouvrant tour à tour les yeux pour se voir,
A dans son calice un peu de rosée,
Perle d'un jour qui lui sert de miroir.
On sent dans l'air pur que l'ange des roses
A passé la nuit à bénir les fleurs!
On voit que pour lui toutes sont écloses,
Il vient d'en haut raviver leurs couleurs.
Ainsi lève-toi, puisque l'alouette
Secoue en chantant son aile au soleil;
Rien ne dort plus, mon cœur! la violette
Élève à Dieu l'encens de son réveil.
Et voici, puisque les progrès de la Typographie le permettent, la
musique de Modeste, à laquelle une expression délicieuse communiquait
ce charme admiré dans les grands chanteurs, et qu'aucune typographie,
fût-elle hiéroglyphique ou phonétique, ne pourra jamais rendre.
[Illustration: Musique]
--C'est joli, dit madame Dumay, Modeste est musicienne, voilà
tout...
--Elle a le diable au corps, s'écria le caissier à qui le soupçon de la
mère entra dans le cœur et donna le frisson.
--Elle aime, répéta madame Mignon.
En réussissant, par le témoignage irrécusable de cette mélodie, à faire
partager sa certitude sur l'amour caché de Modeste, madame Mignon
troubla la joie que le retour et les succès de son patron causaient au
caissier. Le pauvre Breton descendit au Havre y reprendre sa besogne
chez Gobenheim; puis, avant de revenir dîner, il passa chez les
Latournelle y exprimer ses craintes et leur demander de nouveau aide et
secours.
--Oui, mon cher ami, dit Dumay sur le pas de la porte en quittant le
notaire, je suis du même avis que madame: _elle_ aime, c'est sûr, et le
diable sait le reste! Me voilà déshonoré.
--Ne vous désolez pas, Dumay, répondit le petit notaire, nous serons
bien, à nous tous, aussi forts que cette petite personne, et, dans un
temps donné, toute fille amoureuse commet une imprudence qui la trahit;
mais, nous en causerons ce soir.
Ainsi toutes les personnes dévouées à la famille Mignon furent en proie
aux mêmes inquiétudes qui les poignaient la veille avant l'expérience
que le vieux soldat avait cru être décisive. L'inutilité de tant
d'efforts piqua si bien la conscience de Dumay qu'il ne voulut pas
aller chercher sa fortune à Paris avant d'avoir deviné le mot de cette
énigme. Ces cœurs, pour qui les sentiments étaient plus précieux que
les intérêts, concevaient tous en ce moment que, sans la parfaite
innocence de sa fille, le colonel pouvait mourir de chagrin en trouvant
Bettina morte et sa femme aveugle. Le désespoir du pauvre Dumay fit une
telle impression sur les Latournelle qu'ils en oublièrent le départ
d'Exupère que, dans la matinée, ils avaient embarqué pour Paris.
Pendant les moments du dîner où ils furent tous les trois seuls,
monsieur, madame Latournelle et Butscha retournèrent les termes de ce
problème sous toutes les faces, en parcourant toutes les suppositions
possibles.
--Si Modeste aimait quelqu'un du Havre, elle aurait tremblé hier, dit
madame Latournelle, son amant est donc ailleurs.
--Elle a juré, dit le notaire, ce matin, à sa mère et devant Dumay,
qu'elle n'avait échangé ni regard, ni parole avec âme qui vive...
--Elle aimerait donc à ma manière? dit Butscha.
--Et comment donc aimes-tu, mon pauvre garçon? demanda madame
Latournelle.
--Madame, répondit le petit bossu, j'aime à moi tout seul, à distance,
à peu près comme d'ici aux étoiles...
--Et comment fais-tu, grosse bête? dit madame Latournelle en souriant.
--Ah! madame, répondit Butscha, ce que vous croyez une bosse, est
l'étui de mes ailes.
--Voilà donc l'explication de ton cachet! s'écria le notaire.
Le cachet du clerc était une étoile sous laquelle se lisaient ces mots:
_Fulgens, sequar_ (brillante, je te suivrai), la devise de la maison de
Chastillonest.
--Une belle créature peut avoir autant de défiance que la plus laide,
Sez Fransuz ädäbiyättän 1 tekst ukıdıgız.
Çirattagı - La Comédie humaine - Volume 04 - 18
- Büleklär
- La Comédie humaine - Volume 04 - 01
- La Comédie humaine - Volume 04 - 02
- La Comédie humaine - Volume 04 - 03
- La Comédie humaine - Volume 04 - 04
- La Comédie humaine - Volume 04 - 05
- La Comédie humaine - Volume 04 - 06
- La Comédie humaine - Volume 04 - 07
- La Comédie humaine - Volume 04 - 08
- La Comédie humaine - Volume 04 - 09
- La Comédie humaine - Volume 04 - 10
- La Comédie humaine - Volume 04 - 11
- La Comédie humaine - Volume 04 - 12
- La Comédie humaine - Volume 04 - 13
- La Comédie humaine - Volume 04 - 14
- La Comédie humaine - Volume 04 - 15
- La Comédie humaine - Volume 04 - 16
- La Comédie humaine - Volume 04 - 17
- La Comédie humaine - Volume 04 - 18
- La Comédie humaine - Volume 04 - 19
- La Comédie humaine - Volume 04 - 20
- La Comédie humaine - Volume 04 - 21
- La Comédie humaine - Volume 04 - 22
- La Comédie humaine - Volume 04 - 23
- La Comédie humaine - Volume 04 - 24
- La Comédie humaine - Volume 04 - 25
- La Comédie humaine - Volume 04 - 26
- La Comédie humaine - Volume 04 - 27
- La Comédie humaine - Volume 04 - 28
- La Comédie humaine - Volume 04 - 29
- La Comédie humaine - Volume 04 - 30
- La Comédie humaine - Volume 04 - 31
- La Comédie humaine - Volume 04 - 32
- La Comédie humaine - Volume 04 - 33
- La Comédie humaine - Volume 04 - 34
- La Comédie humaine - Volume 04 - 35
- La Comédie humaine - Volume 04 - 36
- La Comédie humaine - Volume 04 - 37
- La Comédie humaine - Volume 04 - 38
- La Comédie humaine - Volume 04 - 39
- La Comédie humaine - Volume 04 - 40
- La Comédie humaine - Volume 04 - 41
- La Comédie humaine - Volume 04 - 42
- La Comédie humaine - Volume 04 - 43
- La Comédie humaine - Volume 04 - 44
- La Comédie humaine - Volume 04 - 45
- La Comédie humaine - Volume 04 - 46
- La Comédie humaine - Volume 04 - 47