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La Comédie humaine - Volume 01 - 41
Süzlärneñ gomumi sanı 4561
Unikal süzlärneñ gomumi sanı 1550
41.3 süzlär 2000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
53.3 süzlär 5000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
58.7 süzlär 8000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
--Oui, mademoiselle Philomène, reprit l'abbé de Grancey. Vous êtes
ambitieux. Si vous lui plaisiez, vous seriez tout ce qu'un ambitieux
veut être: ministre. On est toujours ministre, quand à une fortune de
cent mille livres de rentes on joint vos étonnantes capacités.
--Monsieur l'abbé, dit vivement Albert, mademoiselle de Watteville
aurait encore trois fois plus de fortune et m'adorerait, qu'il me serait
impossible de l'épouser...
--Vous seriez marié? fit l'abbé de Grancey.
--Non pas à l'église, non pas à la mairie, dit Savarus, mais moralement.
--C'est pire quand on y tient autant que vous paraissez y tenir,
répondit l'abbé. Tout ce qui n'est pas fait, peut se défaire. N'asseyez
pas plus votre fortune et vos plans sur un vouloir de femme, qu'un homme
sage ne compte sur les souliers d'un mort pour se mettre en route.
--Laissons mademoiselle de Watteville, dit gravement Albert, et
convenons de nos faits. A cause de vous, que j'aime et respecte, je
plaiderai, mais après les élections, pour monsieur de Watteville.
Jusque-là, son affaire sera conduite par Girardet d'après mes avis.
Voilà tout ce que je puis faire.
--Mais il y a des questions qui ne peuvent se décider que d'après une
inspection des localités, dit le vicaire général.
--Girardet ira, répondit Savarus. Je ne veux pas me permettre, au milieu
d'une ville que je connais très-bien, une démarche de nature à
compromettre les immenses intérêts que cache mon élection.
L'abbé de Grancey quitta Savarus en lui lançant un regard fin par lequel
il semblait se rire de la politique compacte du jeune athlète, tout en
admirant sa résolution.
--Ah! j'aurai jeté mon père dans un procès! ah! j'aurai tant fait pour
l'introduire ici! se disait Philomène du haut du kiosque en regardant
l'avocat dans son cabinet, le lendemain de la conférence entre Albert et
l'abbé de Grancey, dont le résultat lui fut dit par son père. J'aurai
commis des péchés mortels, et tu ne viendrais pas dans le salon de
l'hôtel de Rupt, et je n'entendrais pas ta voix si riche? Tu mets des
conditions à ton concours quand les Watteville et les Rupt le
demandent!... Eh! bien, Dieu le sait, je me contentais de ces petits
bonheurs: te voir, t'entendre, aller aux Rouxey avec toi pour me les
faire consacrer par ta présence. Je ne voulais pas davantage... Mais
maintenant je serai ta femme!... Oui, oui, regarde _ses_ portraits,
examine _ses_ salons, _sa_ chambre, les quatre faces de _sa_ villa, les
points de vue de _ses_ jardins. Tu attends _sa_ statue! je _la_ rendrai
de marbre elle-même pour toi!... Cette femme n'aime pas d'ailleurs. Les
arts, les sciences, les lettres, le chant, la musique, lui ont pris la
moitié de ses sens et de son intelligence. Elle est vieille d'ailleurs,
elle a plus de trente ans, et mon Albert serait malheureux!
--Qu'avez-vous donc à rester là, Philomène? lui dit sa mère en venant
troubler les réflexions de sa fille. Monsieur de Soulas est au salon, et
il remarquait votre attitude qui, certes, annonçait plus de pensées
qu'on ne doit en avoir à votre âge.
--Monsieur de Soulas est ennemi de la pensée? demanda-t-elle.
--Vous pensiez donc? dit madame de Watteville.
--Mais oui, maman.
--Eh! bien, non, vous ne pensiez pas. Vous regardiez les fenêtres de cet
avocat; occupation qui n'est ni convenable ni décente, et que monsieur
de Soulas moins qu'un autre devait remarquer.
--Eh! pourquoi? dit Philomène.
--Mais dit la baronne, il est temps que vous sachiez nos intentions:
Amédée vous trouve bien, et vous ne serez pas malheureuse d'être
comtesse de Soulas.
Pâle comme un lis, Philomène ne répondit rien à sa mère, tant la
violence de ses sentiments contrariés la rendit stupide. Mais en
présence de cet homme qu'elle haïssait profondément depuis un instant,
elle trouva je ne sais quel sourire que trouvent les danseuses pour le
public. Enfin elle put rire, elle eut la force de cacher sa fureur qui
se calma, car elle résolut d'employer à ses desseins ce gros et niais
jeune homme.
--Monsieur Amédée, lui dit-elle pendant un moment où la baronne était en
avant d'eux dans le jardin en affectant de laisser les jeunes gens
seuls, vous ignoriez donc que monsieur Albert Savaron de Savarus est
légitimiste?
--Légitimiste?
--Avant 1830, il était maître des requêtes au conseil d'état, attaché à
la présidence du conseil des ministres, bien vu du Dauphin et de la
Dauphine. Il eût été bien à vous de ne pas dire du mal de lui; mais il
serait encore mieux d'aller aux Élections cette année, de le porter et
d'empêcher ce pauvre monsieur de Chavoncourt de représenter la ville de
Besançon.
--Quel intérêt subit prenez-vous donc à ce Savaron?
--Monsieur Albert de Savarus, fils naturel du comte de Savarus (oh!
gardez-moi bien le secret sur cette indiscrétion), s'il est nommé
député, sera notre avocat dans l'affaire des Rouxey. Les Rouxey, m'a dit
mon père, seront ma propriété, j'y veux demeurer, c'est ravissant! Je
serais au désespoir de voir cette magnifique création du grand
Watteville détruite...
--Diantre! se dit Amédée en sortant de l'hôtel de Rupt, cette fille
n'est pas sotte.
Monsieur de Chavoncourt est un royaliste qui appartient aux fameux
Deux-Cent-Vingt-et-Un. Aussi, dès le lendemain de la révolution de
juillet, prêcha-t-il la salutaire doctrine de la prestation du serment
et de la lutte avec l'Ordre de choses à l'instar des _torys_ contre les
_whigs_ en Angleterre. Cette doctrine ne fut pas accueillie par les
Légitimistes qui, dans la défaite, eurent l'esprit de se diviser
d'opinions et de s'en tenir à la force d'inertie et à la Providence. En
butte à la défiance de son parti, monsieur de Chavoncourt parut aux gens
du Juste-Milieu le plus excellent choix à faire; ils préférèrent le
triomphe de ses opinions modérées à l'ovation d'un républicain qui
réunissait les voix des exaltés et des patriotes. Monsieur de
Chavoncourt, homme très-estimé dans Besançon, représentait une vieille
famille parlementaire: sa fortune, d'environ quinze mille francs de
rente, ne choquait personne, d'autant plus qu'il avait un fils et trois
filles. Quinze mille francs de rente ne sont rien avec de pareilles
charges. Or, lorsqu'en de semblables circonstances, un père de famille
reste incorruptible, il est difficile que des électeurs ne l'estiment
pas. Les électeurs se passionnent pour le beau idéal de la vertu
parlementaire, tout autant qu'un parterre pour la peinture de sentiments
généreux qu'il pratique très-peu. Madame de Chavoncourt, alors âgée de
quarante ans, était une des belles femmes de Besançon. Pendant les
sessions, elle vivait petitement dans un de ses domaines afin de
retrouver par ses économies les dépenses que faisait à Paris monsieur de
Chavoncourt. En hiver, elle recevait honorablement un jour par semaine,
le mardi; mais en entendant très-bien son métier de maîtresse de maison.
Le jeune Chavoncourt, âgé de vingt-deux ans, et un autre jeune
gentilhomme, nommé monsieur de Vauchelles, pas plus riche qu'Amédée, et
de plus son camarade de collége, étaient excessivement liés. Ils se
promenaient ensemble à Granvelle, ils faisaient quelques parties de
chasse ensemble; ils étaient si connus pour être inséparables qu'on les
invitait à la campagne ensemble. Philomène, également liée avec les
petites Chavoncourt, savait que ces trois jeunes gens n'avaient point
de secrets les uns pour les autres. Elle se dit que si monsieur de
Soulas commettait une indiscrétion, ce serait avec ses deux amis
intimes. Or, monsieur de Vauchelles avait son plan fait pour son mariage
comme Amédée pour le sien: il voulait épouser Victoire, l'aînée des
petites Chavoncourt, à laquelle une vieille tante devait assurer un
domaine de sept mille francs de rente et cent mille francs d'argent au
contrat. Victoire était la filleule et la prédilection de cette tante.
Évidemment alors le jeune Chavoncourt et Vauchelles avertiraient
monsieur de Chavoncourt du péril que les prétentions d'Albert allaient
lui faire courir. Mais ce ne fut pas assez pour Philomène, elle écrivit
de la main gauche au préfet du département une lettre anonyme signée _un
ami de Louis-Philippe_, où elle le prévenait de la candidature tenue
secrète de monsieur Albert de Savarus, en lui faisant apercevoir le
dangereux concours qu'un orateur royaliste prêterait à Berryer, et lui
dévoilant la profondeur de la conduite tenue par l'avocat depuis deux
ans à Besançon. Le préfet était un homme habile, ennemi personnel du
parti royaliste, et dévoué par conviction au gouvernement de juillet,
enfin un de ces hommes qui font dire, rue de Grenelle, au Ministère de
l'Intérieur:--Nous avons un bon préfet à Besançon. Ce préfet lut la
lettre, et, selon la recommandation, il la brûla.
Philomène voulait faire manquer l'élection d'Albert pour le conserver
pendant cinq autres années à Besançon.
Les Élections furent alors une lutte entre les partis, et pour en
triompher, le Ministère choisit son terrain en choisissant le moment de
la lutte. Ainsi les Élections ne devaient avoir lieu qu'à trois mois de
là. Quand un homme attend toute sa vie d'une élection, le temps qui
s'écoule entre l'ordonnance de convocation des colléges électoraux et le
jour fixé pour leurs opérations, est un temps pendant lequel la vie
ordinaire est suspendue. Aussi Philomène comprit-elle combien de
latitude lui laissaient pendant ces trois mois les préoccupations
d'Albert. Elle obtint de Mariette, à qui, comme elle l'avoua plus tard,
elle promit de la prendre ainsi que Jérôme à son service, de lui
remettre les lettres qu'Albert enverrait en Italie et les lettres qui
viendraient pour lui de ce pays. Et tout en machinant ces plans, cette
étonnante fille faisait des pantoufles à son père de l'air le plus naïf
du monde. Elle redoubla même de candeur et d'innocence en comprenant à
quoi pouvait servir son air d'innocence et de candeur.
--Philomène devient charmante, disait la baronne de Watteville.
Deux mois avant les élections, une réunion eut lieu chez monsieur
Boucher le père, composée de l'entrepreneur qui comptait sur les travaux
du pont et des eaux d'Arcier, du beau-père de monsieur Boucher, de
monsieur Granet, cet homme influent à qui Savarus avait rendu service et
qui devait le proposer comme candidat, de l'avoué Girardet, de
l'imprimeur de la Revue de l'Est et du président du tribunal de
commerce. Enfin cette réunion compta vingt-sept de ces personnes
appelées dans les provinces _les gros bonnets_. Chacune d'elles
représentait en moyenne six voix; mais en les recensant, elles furent
portées à dix, car on commence toujours par s'exagérer à soi-même son
influence. Parmi ces vingt-sept personnes, le préfet en avait une à lui,
quelque faux-frère qui secrètement attendait une faveur du Ministère
pour les siens ou pour lui-même. Dans cette première réunion, on convint
de choisir l'avocat Savaron pour candidat, avec un enthousiasme que
personne n'aurait pu espérer à Besançon. En attendant chez lui qu'Alfred
Boucher vînt le chercher, Albert causait avec l'abbé de Grancey qui
s'intéressait à cette immense ambition. Albert avait reconnu l'énorme
capacité politique du prêtre, et le prêtre ému par les prières de ce
jeune homme, avait bien voulu lui servir de guide et de conseil dans
cette lutte suprême. Le Chapitre n'aimait pas monsieur de Chavoncourt:
car le beau-frère de sa femme, président du tribunal, avait fait perdre
le fameux procès en première instance.
--Vous êtes trahi, mon cher enfant, lui disait le fin et respectable
abbé de cette voix douce et calme que se font les vieux prêtres.
--Trahi!... s'écria l'amoureux atteint au coeur.
--Et par qui, je n'en sais rien, répliqua le prêtre. La Préfecture est
au fait de vos plans et lit dans votre jeu. Je ne puis vous donner en ce
moment aucun conseil. De semblables affaires veulent être étudiées.
Quant à ce soir, dans cette réunion, allez au-devant des coups qu'on va
vous porter. Dites toute votre vie antérieure, vous atténuerez ainsi
l'effet que cette découverte produirait sur les Bisontins.
--Oh! je m'y suis attendu, dit Savarus d'une voix altérée.
--Vous n'avez pas voulu profiter de mon conseil, vous avez eu l'occasion
de vous produire à l'hôtel de Rupt, vous ne savez pas ce que vous y
auriez gagné...
--Quoi?
--L'unanimité des royalistes, un accord momentané pour aller aux
Élections... Enfin, plus de cent voix! En y joignant ce que nous
appelons entre nous les _voix ecclésiastiques_ vous n'étiez pas encore
nommé; mais vous étiez maître de l'élection par le ballottage. Dans ce
cas, on parlemente, on arrive...
En entrant, Alfred Boucher, qui plein d'enthousiasme annonça le voeu de
la réunion préparatoire, trouva le vicaire-général et l'avocat froids,
calmes et graves.
--Adieu, monsieur l'abbé, dit Albert, nous causerons plus à fond de
votre affaire après les Élections.
Et l'avocat prit le bras d'Alfred, après avoir serré significativement
la main de monsieur de Grancey. Le prêtre regarda cet ambitieux, dont
alors le visage eut cet air sublime que doivent avoir les généraux en
entendant le premier coup de canon de la bataille. Il leva les yeux au
ciel et sortit en se disant:--Quel beau prêtre il ferait!
L'éloquence n'est pas au barreau. Rarement l'avocat y déploie les forces
réelles de l'âme, autrement il y périrait en quelques années.
L'éloquence est rarement dans la Chaire aujourd'hui; mais elle est dans
certaines séances de la Chambre des Députés où l'ambitieux joue le tout
pour le tout, où piqué de milles flèches il éclate à un moment donné.
Mais elle est encore bien certainement chez certains êtres privilégiés
dans le quart d'heure fatal où leurs prétentions vont échouer ou
réussir, et où ils sont forcés de parler. Aussi dans cette réunion,
Albert Savarus, en sentant la nécessité de se faire des séides,
développa-t-il toutes les facultés de son âme et les ressources de son
esprit. Il entra bien dans le salon, sans gaucherie ni arrogance, sans
faiblesse, sans lâcheté, gravement, et se vit sans surprise au milieu de
trente et quelques personnes. Déjà le bruit de la réunion et sa décision
avaient amené quelques moutons dociles à la clochette. Avant d'écouter
monsieur Boucher qui voulait lui lâcher un _speech_ à propos de la
résolution du Comité-Boucher, Albert réclama le silence en faisant un
signe et serrant la main à monsieur Boucher, comme pour le prévenir d'un
danger subitement advenu.
--Mon jeune ami, Alfred Boucher vient de m'annoncer l'honneur qui m'est
fait. Mais avant que cette décision devienne définitive, dit l'avocat,
je crois devoir vous expliquer quel est votre candidat, afin de vous
laisser libres encore de reprendre vos paroles si mes déclarations
troublaient vos consciences.
Cet exorde eut pour effet de faire régner un profond silence. Quelques
hommes trouvèrent ce mouvement fort noble.
Albert expliqua sa vie antérieure en disant son vrai nom, ses oeuvres
sous la Restauration, en se faisant un homme nouveau depuis son arrivée
à Besançon, en prenant des engagements pour l'avenir. Cette
improvisation tint, dit-on, tous les auditeurs haletants. Ces hommes à
intérêts si divers furent subjugués par l'admirable éloquence sortie
bouillante du coeur et de l'âme de cet ambitieux. L'admiration empêcha
toute réflexion. On ne comprit qu'une seule chose, la chose qu'Albert
voulait jeter dans ces têtes.
Ne valait-il pas mieux pour une ville avoir un de ces hommes destinés à
gouverner la société toute entière, qu'une machine à voter? Un homme
d'état apporte tout un pouvoir, le député médiocre mais incorruptible
n'est qu'une conscience. Quelle gloire pour la Provence d'avoir deviné
Mirabeau, d'avoir envoyé depuis 1830 le seul homme d'État qu'ait produit
la révolution de Juillet!
Soumis à la pression de cette éloquence, tous les auditeurs la crurent
de force à devenir un magnifique instrument politique dans leur
représentant. Ils virent tous Savarus le ministre dans Albert Savaron.
En devinant les secrets calculs de ses auditeurs, l'habile candidat leur
fit entendre qu'ils acquéraient, eux les premiers, le droit de se servir
de son influence.
Cette profession de foi, cette déclaration d'ambitieux, ce récit de sa
vie et de son caractère fut, au dire du seul homme capable de juger
Savarus et qui depuis est devenu l'une des capacités de Besançon, un
chef-d'oeuvre d'adresse, de sentiment, de chaleur, d'intérêt et de
séduction. Ce tourbillon enveloppa les électeurs. Jamais homme n'eut un
pareil triomphe. Mais malheureusement la Parole, espèce d'arme à bout
portant, n'a qu'un effet immédiat. La Réflexion tue la Parole quand la
Parole n'a pas triomphé de la Réflexion. Si l'on eût voté, certes le nom
d'Albert sortait de l'urne! A l'instant même il était vainqueur. Mais il
lui fallait vaincre ainsi tous les jours pendant deux mois. Albert
sortit palpitant. Applaudi par des Bisontins, il avait obtenu le grand
résultat de tuer par avance les méchants propos auxquels donneraient
lieu ses antécédents. Le commerce de Besançon fit de l'avocat Savaron de
Savarus son candidat. L'enthousiasme d'Alfred Boucher, contagieux
d'abord, devait à la longue devenir maladroit.
Le préfet, épouvanté de ce succès, se mit à compter le nombre des voix
ministérielles, et sut se ménager une entrevue secrète avec monsieur de
Chavoncourt, afin de se coaliser dans l'intérêt commun. Chaque jour, et
sans qu'Albert pût savoir comment, les voix du Comité-Boucher
diminuèrent. Un mois avant les Élections, Albert se voyait à peine
soixante voix. Rien ne résistait au lent travail de la Préfecture. Trois
ou quatre hommes habiles disaient aux clients de Savarus: «Le député
plaidera-t-il et gagnera-t-il vos affaires? vous donnera-t-il ses
conseils, fera-t-il vos traités, vos transactions? Vous l'aurez pour
esclave encore pour cinq ans, si au lieu de l'envoyer à la Chambre, vous
lui donnez seulement l'espérance d'y aller dans cinq ans.» Ce calcul fut
d'autant plus nuisible à Savarus, que déjà quelques femmes de négociants
l'avaient fait. Les intéressés à l'affaire du pont et ceux des eaux
d'Arcier ne résistèrent pas à une conférence avec un adroit ministériel,
qui leur prouva que la protection pour eux était à la Préfecture et non
pas chez un ambitieux. Chaque jour fut une défaite pour Albert, quoique
chaque jour fût une bataille dirigée par lui, mais jouée par ses
lieutenants, une bataille de mots, de discours, de démarches. Il n'osait
aller chez le vicaire-général, et le vicaire-général ne se montrait pas.
Albert se levait et se couchait avec la fièvre et le cerveau tout en
feu.
Enfin arriva le jour de la première lutte, ce qu'on appelle une réunion
préparatoire, où les voix se comptent, où les candidats jugent leurs
chances, et où les gens habiles peuvent prévoir la chute ou le succès.
C'est une scène de _hustings_ honnête, sans populace, mais terrible: les
émotions, pour ne pas avoir d'expression physique comme en Angleterre,
n'en sont pas moins profondes. Les Anglais font les choses à coups de
poings, en France elles se font à coups de phrases. Nos voisins ont une
bataille, les Français jouent leur sort par de froides combinaisons
élaborées avec calme. Cet acte politique se passe à l'inverse du
caractère des deux nations. Le parti radical eut son candidat, monsieur
de Chavoncourt se présenta, puis vint Albert qui fut accusé par les
radicaux et par le Comité-Chavoncourt d'être un homme de la Droite sans
transaction, un double de Berryer. Le Ministère avait son candidat, un
homme sacrifié qui servait à masser les votes ministériels purs. Les
voix ainsi divisées n'arrivèrent à aucun résultat. Le candidat
républicain eut vingt voix, le Ministère en réunit cinquante, Albert en
compta soixante-dix, monsieur de Chavoncourt en obtint soixante-sept.
Mais la perfide Préfecture avait fait voter pour Albert trente de ses
voix les plus dévouées, afin d'abuser son antagoniste. Les voix de
monsieur de Chavoncourt, réunies aux quatre-vingts voix réelles de la
préfecture, devenaient maîtresses de l'élection pour peu que le préfet
sût détacher quelques voix du parti radical. Cent soixante voix
manquaient, les voix de monsieur de Grancey, et les voix légitimistes.
Une réunion préparatoire est aux Élections ce qu'est au Théâtre une
répétition générale, ce qu'il y a de plus trompeur au monde. Albert
Savarus revint chez lui, faisant bonne contenance, mais mourant. Il
avait eu l'esprit, le génie, ou le bonheur de conquérir dans ces quinze
derniers jours deux hommes dévoués, le beau-père de Girardet et un vieux
négociant très-fin chez qui l'envoya monsieur de Grancey. Ces deux
braves gens, devenus ses espions, semblaient être les plus ardents
ennemis de Savarus dans les camps opposés. Sur la fin de la séance
préparatoire, ils apprirent à Savarus par l'intermédiaire de monsieur
Boucher que trente voix inconnues faisaient contre lui, dans son parti,
le métier qu'ils faisaient pour son compte chez les autres? Un criminel
qui marche au supplice ne souffre pas ce qu'Albert souffrit en revenant
chez lui de la salle où son sort s'était joué. L'amoureux au désespoir
ne voulut être accompagné de personne. Il marcha seul par les rues,
entre onze heures et minuit.
A une heure du matin, Albert, que depuis trois jours le sommeil ne
visitait plus, était assis dans sa bibliothèque, sur un fauteuil à la
Voltaire, la tête pâle comme s'il allait expirer, les mains pendantes,
dans une pose d'abandon digne de la Magdeleine. Des larmes roulaient
entre ses longs cils, de ces larmes qui mouillent les yeux et qui ne
roulent pas sur les joues: la pensée les boit, le feu de l'âme les
dévore! Seul, il pouvait pleurer. Il aperçut alors sous le kiosque une
forme blanche qui lui rappela Francesca.
--Et voici trois mois que je n'ai reçu de lettre d'_elle_! Que
devient-elle? je suis resté deux mois sans lui rien écrire, mais je l'ai
prévenue. Est-elle malade? O mon amour! ô ma vie! sauras-tu jamais ce
que j'ai souffert? Quelle fatale organisation est la mienne! Ai-je un
anévrisme? se demanda-t-il en sentant son coeur qui battait si
violemment que les pulsations retentissaient dans le silence comme si de
légers grains de sable eussent frappé sur une grosse caisse.
En ce moment trois coups discrets retentirent à la porte d'Albert, il
alla promptement ouvrir, et faillit se trouver mal de joie en voyant au
vicaire-général un air gai, l'air du triomphe. Il saisit l'abbé de
Grancey, sans lui dire un mot, le tint dans ses bras, le serra, laissant
aller sa tête sur l'épaule de ce vieillard. Et il redevint enfant, il
pleura comme il avait pleuré quand il sut que Francesca Soderini était
mariée. Il ne laissa voir sa faiblesse qu'à ce prêtre sur le visage de
qui brillaient les lueurs d'une espérance. Le prêtre avait été sublime,
et aussi fin que sublime.
--Pardon, cher abbé, mais vous êtes venu dans un de ces moments suprêmes
où l'homme disparaît, car ne me croyez pas un ambitieux vulgaire.
--Oui, je le sais, reprit l'abbé, vous avez écrit l'AMBITIEUX PAR AMOUR!
Hé! mon enfant, c'est un désespoir d'amour qui m'a fait prêtre en 1786,
à vingt-deux ans. En 1788, j'étais curé. Je sais la vie. J'ai déjà
refusé trois évêchés, je veux mourir à Besançon.
--Venez _la_ voir? s'écria Savarus en prenant la bougie et menant l'abbé
dans le cabinet magnifique où se trouvait le portrait de la duchesse
d'Argaiolo qu'il éclaira.
--C'est une de ces femmes qui sont faites pour régner! dit le vicaire en
comprenant ce qu'Albert lui témoignait d'affection par cette muette
confidence. Mais il y a bien de la fierté sur ce front, il est
implacable, elle ne pardonnerait pas une injure! C'est un archange
Michel, l'ange des exécutions, l'ange inflexible... Tout ou rien! est la
devise de ces caractères angéliques. Il y a je ne sais quoi de
divinement sauvage dans cette tête!...
--Vous l'avez bien devinée, s'écria Savarus. Mais, mon cher abbé, voici
plus de douze ans qu'elle règne sur ma vie, et je n'ai pas une pensée à
me reprocher.....
--Ah! si vous en aviez autant fait pour Dieu?... dit naïvement l'abbé.
Parlons de vos affaires. Voici dix jours que je travaille pour vous. Si
vous êtes un vrai politique, vous suivrez mes conseils cette fois-ci.
Vous n'en seriez pas où vous en êtes, si vous étiez allé quand je vous
le disais à l'hôtel de Rupt; mais vous irez demain, je vous y présente
le soir. La terre des Rouxey est menacée, il faut plaider dans deux
jours. L'Élection ne se fera pas avant trois jours. On aura soin de ne
pas avoir fini de constituer le bureau le premier jour; nous aurons
plusieurs scrutins, et vous arriverez par un ballottage...
--Et comment?...
--En gagnant le procès des Rouxey, vous aurez quatre-vingts voix
légitimistes, ajoutez-les aux trente voix dont je dispose, nous
arrivons à cent dix. Or, comme il vous en restera vingt du
Comité-Boucher, vous en posséderez en tout cent trente.
--Hé! bien, dit Albert, il en faut soixante-quinze de plus.....
--Oui, dit le prêtre, car tout le reste est au Ministère. Mais, mon
enfant, vous avez à vous deux cents voix, et la Préfecture n'en a que
cent quatre-vingts.
--J'ai deux cents voix?... dit Albert qui demeura stupide d'étonnement
après s'être dressé sur ses pieds comme poussé par un ressort.
--Vous avez les voix de monsieur de Chavoncourt, reprit l'abbé.
--Et comment? dit Albert.
--Vous épousez mademoiselle Sidonie de Chavoncourt.
--Jamais!
--Vous épousez mademoiselle Sidonie de Chavoncourt, répéta froidement le
prêtre.
--Mais voyez? elle est implacable, dit Albert en montrant Francesca.
--Vous épousez mademoiselle Chavoncourt, répéta froidement le prêtre
pour la troisième fois.
Cette fois Albert comprit. Le vicaire-général ne voulait pas tremper
dans le plan qui souriait enfin à ce politique au désespoir. Une parole
de plus eût compromis la dignité, l'honnêteté du prêtre.
--Vous trouverez demain à l'hôtel de Rupt madame de Chavoncourt et sa
seconde fille, vous la remercierez de ce qu'elle doit faire pour vous,
vous lui direz que votre reconnaissance est sans bornes; enfin vous lui
appartenez corps et âme, votre avenir est désormais celui de sa famille,
vous êtes désintéressé, vous avez une si grande confiance en vous que
vous regardez une nomination de député comme une dot suffisante. Vous
aurez un combat avec madame de Chavoncourt, elle voudra votre parole.
Cette soirée, mon fils, est tout votre avenir. Mais, sachez-le, je ne
suis pour rien là-dedans. Moi, je ne suis coupable que des voix
légitimistes, je vous ai conquis madame de Watteville, et c'est toute
l'aristocratie de Besançon. Amédée de Soulas et Vauchelles, qui voteront
pour vous, ont entraîné la jeunesse, madame de Watteville vous aura les
vieillards. Quant à mes voix, elles sont infaillibles.
--Qui donc a tourné madame de Chavoncourt? demanda Savarus.
--Ne me questionnez pas, répondit l'abbé. Monsieur de Chavoncourt, qui a
trois filles à marier, est incapable d'augmenter sa fortune. Si
Vauchelles épouse la première sans dot, à cause de la vieille tante qui
finance au contrat, que faire des deux autres? Sidonie a seize ans, et
vous avez des trésors dans votre ambition. Quelqu'un a dit à madame de
Chavoncourt qu'il valait mieux marier sa fille que d'envoyer son mari
manger de l'argent à Paris. Ce quelqu'un mène madame de Chavoncourt, et
madame de Chavoncourt mène son mari.
--Assez, cher abbé! Je comprends. Une fois nommé député, j'ai la fortune
de quelqu'un à faire, et en la faisant splendide je serai dégagé de ma
parole. Vous avez en moi un fils, un homme qui vous devra son bonheur.
Mon Dieu! qu'ai-je fait pour mériter une si véritable amitié?
--Vous avez fait triompher le Chapitre, dit en souriant le
vicaire-général. Maintenant gardez le secret du tombeau sur tout ceci?
Nous ne sommes rien, nous ne faisons rien. Si l'on nous savait nous
mêlant d'élections, nous serions mangés tout crus par les puritains de
la Gauche qui font pis, et blâmés par quelques-uns des nôtres. Madame de
Chavoncourt ne se doute pas de ma participation dans tout ceci. Je ne me
suis fié qu'à madame de Watteville sur qui nous pouvons compter comme
sur nous-mêmes.
ambitieux. Si vous lui plaisiez, vous seriez tout ce qu'un ambitieux
veut être: ministre. On est toujours ministre, quand à une fortune de
cent mille livres de rentes on joint vos étonnantes capacités.
--Monsieur l'abbé, dit vivement Albert, mademoiselle de Watteville
aurait encore trois fois plus de fortune et m'adorerait, qu'il me serait
impossible de l'épouser...
--Vous seriez marié? fit l'abbé de Grancey.
--Non pas à l'église, non pas à la mairie, dit Savarus, mais moralement.
--C'est pire quand on y tient autant que vous paraissez y tenir,
répondit l'abbé. Tout ce qui n'est pas fait, peut se défaire. N'asseyez
pas plus votre fortune et vos plans sur un vouloir de femme, qu'un homme
sage ne compte sur les souliers d'un mort pour se mettre en route.
--Laissons mademoiselle de Watteville, dit gravement Albert, et
convenons de nos faits. A cause de vous, que j'aime et respecte, je
plaiderai, mais après les élections, pour monsieur de Watteville.
Jusque-là, son affaire sera conduite par Girardet d'après mes avis.
Voilà tout ce que je puis faire.
--Mais il y a des questions qui ne peuvent se décider que d'après une
inspection des localités, dit le vicaire général.
--Girardet ira, répondit Savarus. Je ne veux pas me permettre, au milieu
d'une ville que je connais très-bien, une démarche de nature à
compromettre les immenses intérêts que cache mon élection.
L'abbé de Grancey quitta Savarus en lui lançant un regard fin par lequel
il semblait se rire de la politique compacte du jeune athlète, tout en
admirant sa résolution.
--Ah! j'aurai jeté mon père dans un procès! ah! j'aurai tant fait pour
l'introduire ici! se disait Philomène du haut du kiosque en regardant
l'avocat dans son cabinet, le lendemain de la conférence entre Albert et
l'abbé de Grancey, dont le résultat lui fut dit par son père. J'aurai
commis des péchés mortels, et tu ne viendrais pas dans le salon de
l'hôtel de Rupt, et je n'entendrais pas ta voix si riche? Tu mets des
conditions à ton concours quand les Watteville et les Rupt le
demandent!... Eh! bien, Dieu le sait, je me contentais de ces petits
bonheurs: te voir, t'entendre, aller aux Rouxey avec toi pour me les
faire consacrer par ta présence. Je ne voulais pas davantage... Mais
maintenant je serai ta femme!... Oui, oui, regarde _ses_ portraits,
examine _ses_ salons, _sa_ chambre, les quatre faces de _sa_ villa, les
points de vue de _ses_ jardins. Tu attends _sa_ statue! je _la_ rendrai
de marbre elle-même pour toi!... Cette femme n'aime pas d'ailleurs. Les
arts, les sciences, les lettres, le chant, la musique, lui ont pris la
moitié de ses sens et de son intelligence. Elle est vieille d'ailleurs,
elle a plus de trente ans, et mon Albert serait malheureux!
--Qu'avez-vous donc à rester là, Philomène? lui dit sa mère en venant
troubler les réflexions de sa fille. Monsieur de Soulas est au salon, et
il remarquait votre attitude qui, certes, annonçait plus de pensées
qu'on ne doit en avoir à votre âge.
--Monsieur de Soulas est ennemi de la pensée? demanda-t-elle.
--Vous pensiez donc? dit madame de Watteville.
--Mais oui, maman.
--Eh! bien, non, vous ne pensiez pas. Vous regardiez les fenêtres de cet
avocat; occupation qui n'est ni convenable ni décente, et que monsieur
de Soulas moins qu'un autre devait remarquer.
--Eh! pourquoi? dit Philomène.
--Mais dit la baronne, il est temps que vous sachiez nos intentions:
Amédée vous trouve bien, et vous ne serez pas malheureuse d'être
comtesse de Soulas.
Pâle comme un lis, Philomène ne répondit rien à sa mère, tant la
violence de ses sentiments contrariés la rendit stupide. Mais en
présence de cet homme qu'elle haïssait profondément depuis un instant,
elle trouva je ne sais quel sourire que trouvent les danseuses pour le
public. Enfin elle put rire, elle eut la force de cacher sa fureur qui
se calma, car elle résolut d'employer à ses desseins ce gros et niais
jeune homme.
--Monsieur Amédée, lui dit-elle pendant un moment où la baronne était en
avant d'eux dans le jardin en affectant de laisser les jeunes gens
seuls, vous ignoriez donc que monsieur Albert Savaron de Savarus est
légitimiste?
--Légitimiste?
--Avant 1830, il était maître des requêtes au conseil d'état, attaché à
la présidence du conseil des ministres, bien vu du Dauphin et de la
Dauphine. Il eût été bien à vous de ne pas dire du mal de lui; mais il
serait encore mieux d'aller aux Élections cette année, de le porter et
d'empêcher ce pauvre monsieur de Chavoncourt de représenter la ville de
Besançon.
--Quel intérêt subit prenez-vous donc à ce Savaron?
--Monsieur Albert de Savarus, fils naturel du comte de Savarus (oh!
gardez-moi bien le secret sur cette indiscrétion), s'il est nommé
député, sera notre avocat dans l'affaire des Rouxey. Les Rouxey, m'a dit
mon père, seront ma propriété, j'y veux demeurer, c'est ravissant! Je
serais au désespoir de voir cette magnifique création du grand
Watteville détruite...
--Diantre! se dit Amédée en sortant de l'hôtel de Rupt, cette fille
n'est pas sotte.
Monsieur de Chavoncourt est un royaliste qui appartient aux fameux
Deux-Cent-Vingt-et-Un. Aussi, dès le lendemain de la révolution de
juillet, prêcha-t-il la salutaire doctrine de la prestation du serment
et de la lutte avec l'Ordre de choses à l'instar des _torys_ contre les
_whigs_ en Angleterre. Cette doctrine ne fut pas accueillie par les
Légitimistes qui, dans la défaite, eurent l'esprit de se diviser
d'opinions et de s'en tenir à la force d'inertie et à la Providence. En
butte à la défiance de son parti, monsieur de Chavoncourt parut aux gens
du Juste-Milieu le plus excellent choix à faire; ils préférèrent le
triomphe de ses opinions modérées à l'ovation d'un républicain qui
réunissait les voix des exaltés et des patriotes. Monsieur de
Chavoncourt, homme très-estimé dans Besançon, représentait une vieille
famille parlementaire: sa fortune, d'environ quinze mille francs de
rente, ne choquait personne, d'autant plus qu'il avait un fils et trois
filles. Quinze mille francs de rente ne sont rien avec de pareilles
charges. Or, lorsqu'en de semblables circonstances, un père de famille
reste incorruptible, il est difficile que des électeurs ne l'estiment
pas. Les électeurs se passionnent pour le beau idéal de la vertu
parlementaire, tout autant qu'un parterre pour la peinture de sentiments
généreux qu'il pratique très-peu. Madame de Chavoncourt, alors âgée de
quarante ans, était une des belles femmes de Besançon. Pendant les
sessions, elle vivait petitement dans un de ses domaines afin de
retrouver par ses économies les dépenses que faisait à Paris monsieur de
Chavoncourt. En hiver, elle recevait honorablement un jour par semaine,
le mardi; mais en entendant très-bien son métier de maîtresse de maison.
Le jeune Chavoncourt, âgé de vingt-deux ans, et un autre jeune
gentilhomme, nommé monsieur de Vauchelles, pas plus riche qu'Amédée, et
de plus son camarade de collége, étaient excessivement liés. Ils se
promenaient ensemble à Granvelle, ils faisaient quelques parties de
chasse ensemble; ils étaient si connus pour être inséparables qu'on les
invitait à la campagne ensemble. Philomène, également liée avec les
petites Chavoncourt, savait que ces trois jeunes gens n'avaient point
de secrets les uns pour les autres. Elle se dit que si monsieur de
Soulas commettait une indiscrétion, ce serait avec ses deux amis
intimes. Or, monsieur de Vauchelles avait son plan fait pour son mariage
comme Amédée pour le sien: il voulait épouser Victoire, l'aînée des
petites Chavoncourt, à laquelle une vieille tante devait assurer un
domaine de sept mille francs de rente et cent mille francs d'argent au
contrat. Victoire était la filleule et la prédilection de cette tante.
Évidemment alors le jeune Chavoncourt et Vauchelles avertiraient
monsieur de Chavoncourt du péril que les prétentions d'Albert allaient
lui faire courir. Mais ce ne fut pas assez pour Philomène, elle écrivit
de la main gauche au préfet du département une lettre anonyme signée _un
ami de Louis-Philippe_, où elle le prévenait de la candidature tenue
secrète de monsieur Albert de Savarus, en lui faisant apercevoir le
dangereux concours qu'un orateur royaliste prêterait à Berryer, et lui
dévoilant la profondeur de la conduite tenue par l'avocat depuis deux
ans à Besançon. Le préfet était un homme habile, ennemi personnel du
parti royaliste, et dévoué par conviction au gouvernement de juillet,
enfin un de ces hommes qui font dire, rue de Grenelle, au Ministère de
l'Intérieur:--Nous avons un bon préfet à Besançon. Ce préfet lut la
lettre, et, selon la recommandation, il la brûla.
Philomène voulait faire manquer l'élection d'Albert pour le conserver
pendant cinq autres années à Besançon.
Les Élections furent alors une lutte entre les partis, et pour en
triompher, le Ministère choisit son terrain en choisissant le moment de
la lutte. Ainsi les Élections ne devaient avoir lieu qu'à trois mois de
là. Quand un homme attend toute sa vie d'une élection, le temps qui
s'écoule entre l'ordonnance de convocation des colléges électoraux et le
jour fixé pour leurs opérations, est un temps pendant lequel la vie
ordinaire est suspendue. Aussi Philomène comprit-elle combien de
latitude lui laissaient pendant ces trois mois les préoccupations
d'Albert. Elle obtint de Mariette, à qui, comme elle l'avoua plus tard,
elle promit de la prendre ainsi que Jérôme à son service, de lui
remettre les lettres qu'Albert enverrait en Italie et les lettres qui
viendraient pour lui de ce pays. Et tout en machinant ces plans, cette
étonnante fille faisait des pantoufles à son père de l'air le plus naïf
du monde. Elle redoubla même de candeur et d'innocence en comprenant à
quoi pouvait servir son air d'innocence et de candeur.
--Philomène devient charmante, disait la baronne de Watteville.
Deux mois avant les élections, une réunion eut lieu chez monsieur
Boucher le père, composée de l'entrepreneur qui comptait sur les travaux
du pont et des eaux d'Arcier, du beau-père de monsieur Boucher, de
monsieur Granet, cet homme influent à qui Savarus avait rendu service et
qui devait le proposer comme candidat, de l'avoué Girardet, de
l'imprimeur de la Revue de l'Est et du président du tribunal de
commerce. Enfin cette réunion compta vingt-sept de ces personnes
appelées dans les provinces _les gros bonnets_. Chacune d'elles
représentait en moyenne six voix; mais en les recensant, elles furent
portées à dix, car on commence toujours par s'exagérer à soi-même son
influence. Parmi ces vingt-sept personnes, le préfet en avait une à lui,
quelque faux-frère qui secrètement attendait une faveur du Ministère
pour les siens ou pour lui-même. Dans cette première réunion, on convint
de choisir l'avocat Savaron pour candidat, avec un enthousiasme que
personne n'aurait pu espérer à Besançon. En attendant chez lui qu'Alfred
Boucher vînt le chercher, Albert causait avec l'abbé de Grancey qui
s'intéressait à cette immense ambition. Albert avait reconnu l'énorme
capacité politique du prêtre, et le prêtre ému par les prières de ce
jeune homme, avait bien voulu lui servir de guide et de conseil dans
cette lutte suprême. Le Chapitre n'aimait pas monsieur de Chavoncourt:
car le beau-frère de sa femme, président du tribunal, avait fait perdre
le fameux procès en première instance.
--Vous êtes trahi, mon cher enfant, lui disait le fin et respectable
abbé de cette voix douce et calme que se font les vieux prêtres.
--Trahi!... s'écria l'amoureux atteint au coeur.
--Et par qui, je n'en sais rien, répliqua le prêtre. La Préfecture est
au fait de vos plans et lit dans votre jeu. Je ne puis vous donner en ce
moment aucun conseil. De semblables affaires veulent être étudiées.
Quant à ce soir, dans cette réunion, allez au-devant des coups qu'on va
vous porter. Dites toute votre vie antérieure, vous atténuerez ainsi
l'effet que cette découverte produirait sur les Bisontins.
--Oh! je m'y suis attendu, dit Savarus d'une voix altérée.
--Vous n'avez pas voulu profiter de mon conseil, vous avez eu l'occasion
de vous produire à l'hôtel de Rupt, vous ne savez pas ce que vous y
auriez gagné...
--Quoi?
--L'unanimité des royalistes, un accord momentané pour aller aux
Élections... Enfin, plus de cent voix! En y joignant ce que nous
appelons entre nous les _voix ecclésiastiques_ vous n'étiez pas encore
nommé; mais vous étiez maître de l'élection par le ballottage. Dans ce
cas, on parlemente, on arrive...
En entrant, Alfred Boucher, qui plein d'enthousiasme annonça le voeu de
la réunion préparatoire, trouva le vicaire-général et l'avocat froids,
calmes et graves.
--Adieu, monsieur l'abbé, dit Albert, nous causerons plus à fond de
votre affaire après les Élections.
Et l'avocat prit le bras d'Alfred, après avoir serré significativement
la main de monsieur de Grancey. Le prêtre regarda cet ambitieux, dont
alors le visage eut cet air sublime que doivent avoir les généraux en
entendant le premier coup de canon de la bataille. Il leva les yeux au
ciel et sortit en se disant:--Quel beau prêtre il ferait!
L'éloquence n'est pas au barreau. Rarement l'avocat y déploie les forces
réelles de l'âme, autrement il y périrait en quelques années.
L'éloquence est rarement dans la Chaire aujourd'hui; mais elle est dans
certaines séances de la Chambre des Députés où l'ambitieux joue le tout
pour le tout, où piqué de milles flèches il éclate à un moment donné.
Mais elle est encore bien certainement chez certains êtres privilégiés
dans le quart d'heure fatal où leurs prétentions vont échouer ou
réussir, et où ils sont forcés de parler. Aussi dans cette réunion,
Albert Savarus, en sentant la nécessité de se faire des séides,
développa-t-il toutes les facultés de son âme et les ressources de son
esprit. Il entra bien dans le salon, sans gaucherie ni arrogance, sans
faiblesse, sans lâcheté, gravement, et se vit sans surprise au milieu de
trente et quelques personnes. Déjà le bruit de la réunion et sa décision
avaient amené quelques moutons dociles à la clochette. Avant d'écouter
monsieur Boucher qui voulait lui lâcher un _speech_ à propos de la
résolution du Comité-Boucher, Albert réclama le silence en faisant un
signe et serrant la main à monsieur Boucher, comme pour le prévenir d'un
danger subitement advenu.
--Mon jeune ami, Alfred Boucher vient de m'annoncer l'honneur qui m'est
fait. Mais avant que cette décision devienne définitive, dit l'avocat,
je crois devoir vous expliquer quel est votre candidat, afin de vous
laisser libres encore de reprendre vos paroles si mes déclarations
troublaient vos consciences.
Cet exorde eut pour effet de faire régner un profond silence. Quelques
hommes trouvèrent ce mouvement fort noble.
Albert expliqua sa vie antérieure en disant son vrai nom, ses oeuvres
sous la Restauration, en se faisant un homme nouveau depuis son arrivée
à Besançon, en prenant des engagements pour l'avenir. Cette
improvisation tint, dit-on, tous les auditeurs haletants. Ces hommes à
intérêts si divers furent subjugués par l'admirable éloquence sortie
bouillante du coeur et de l'âme de cet ambitieux. L'admiration empêcha
toute réflexion. On ne comprit qu'une seule chose, la chose qu'Albert
voulait jeter dans ces têtes.
Ne valait-il pas mieux pour une ville avoir un de ces hommes destinés à
gouverner la société toute entière, qu'une machine à voter? Un homme
d'état apporte tout un pouvoir, le député médiocre mais incorruptible
n'est qu'une conscience. Quelle gloire pour la Provence d'avoir deviné
Mirabeau, d'avoir envoyé depuis 1830 le seul homme d'État qu'ait produit
la révolution de Juillet!
Soumis à la pression de cette éloquence, tous les auditeurs la crurent
de force à devenir un magnifique instrument politique dans leur
représentant. Ils virent tous Savarus le ministre dans Albert Savaron.
En devinant les secrets calculs de ses auditeurs, l'habile candidat leur
fit entendre qu'ils acquéraient, eux les premiers, le droit de se servir
de son influence.
Cette profession de foi, cette déclaration d'ambitieux, ce récit de sa
vie et de son caractère fut, au dire du seul homme capable de juger
Savarus et qui depuis est devenu l'une des capacités de Besançon, un
chef-d'oeuvre d'adresse, de sentiment, de chaleur, d'intérêt et de
séduction. Ce tourbillon enveloppa les électeurs. Jamais homme n'eut un
pareil triomphe. Mais malheureusement la Parole, espèce d'arme à bout
portant, n'a qu'un effet immédiat. La Réflexion tue la Parole quand la
Parole n'a pas triomphé de la Réflexion. Si l'on eût voté, certes le nom
d'Albert sortait de l'urne! A l'instant même il était vainqueur. Mais il
lui fallait vaincre ainsi tous les jours pendant deux mois. Albert
sortit palpitant. Applaudi par des Bisontins, il avait obtenu le grand
résultat de tuer par avance les méchants propos auxquels donneraient
lieu ses antécédents. Le commerce de Besançon fit de l'avocat Savaron de
Savarus son candidat. L'enthousiasme d'Alfred Boucher, contagieux
d'abord, devait à la longue devenir maladroit.
Le préfet, épouvanté de ce succès, se mit à compter le nombre des voix
ministérielles, et sut se ménager une entrevue secrète avec monsieur de
Chavoncourt, afin de se coaliser dans l'intérêt commun. Chaque jour, et
sans qu'Albert pût savoir comment, les voix du Comité-Boucher
diminuèrent. Un mois avant les Élections, Albert se voyait à peine
soixante voix. Rien ne résistait au lent travail de la Préfecture. Trois
ou quatre hommes habiles disaient aux clients de Savarus: «Le député
plaidera-t-il et gagnera-t-il vos affaires? vous donnera-t-il ses
conseils, fera-t-il vos traités, vos transactions? Vous l'aurez pour
esclave encore pour cinq ans, si au lieu de l'envoyer à la Chambre, vous
lui donnez seulement l'espérance d'y aller dans cinq ans.» Ce calcul fut
d'autant plus nuisible à Savarus, que déjà quelques femmes de négociants
l'avaient fait. Les intéressés à l'affaire du pont et ceux des eaux
d'Arcier ne résistèrent pas à une conférence avec un adroit ministériel,
qui leur prouva que la protection pour eux était à la Préfecture et non
pas chez un ambitieux. Chaque jour fut une défaite pour Albert, quoique
chaque jour fût une bataille dirigée par lui, mais jouée par ses
lieutenants, une bataille de mots, de discours, de démarches. Il n'osait
aller chez le vicaire-général, et le vicaire-général ne se montrait pas.
Albert se levait et se couchait avec la fièvre et le cerveau tout en
feu.
Enfin arriva le jour de la première lutte, ce qu'on appelle une réunion
préparatoire, où les voix se comptent, où les candidats jugent leurs
chances, et où les gens habiles peuvent prévoir la chute ou le succès.
C'est une scène de _hustings_ honnête, sans populace, mais terrible: les
émotions, pour ne pas avoir d'expression physique comme en Angleterre,
n'en sont pas moins profondes. Les Anglais font les choses à coups de
poings, en France elles se font à coups de phrases. Nos voisins ont une
bataille, les Français jouent leur sort par de froides combinaisons
élaborées avec calme. Cet acte politique se passe à l'inverse du
caractère des deux nations. Le parti radical eut son candidat, monsieur
de Chavoncourt se présenta, puis vint Albert qui fut accusé par les
radicaux et par le Comité-Chavoncourt d'être un homme de la Droite sans
transaction, un double de Berryer. Le Ministère avait son candidat, un
homme sacrifié qui servait à masser les votes ministériels purs. Les
voix ainsi divisées n'arrivèrent à aucun résultat. Le candidat
républicain eut vingt voix, le Ministère en réunit cinquante, Albert en
compta soixante-dix, monsieur de Chavoncourt en obtint soixante-sept.
Mais la perfide Préfecture avait fait voter pour Albert trente de ses
voix les plus dévouées, afin d'abuser son antagoniste. Les voix de
monsieur de Chavoncourt, réunies aux quatre-vingts voix réelles de la
préfecture, devenaient maîtresses de l'élection pour peu que le préfet
sût détacher quelques voix du parti radical. Cent soixante voix
manquaient, les voix de monsieur de Grancey, et les voix légitimistes.
Une réunion préparatoire est aux Élections ce qu'est au Théâtre une
répétition générale, ce qu'il y a de plus trompeur au monde. Albert
Savarus revint chez lui, faisant bonne contenance, mais mourant. Il
avait eu l'esprit, le génie, ou le bonheur de conquérir dans ces quinze
derniers jours deux hommes dévoués, le beau-père de Girardet et un vieux
négociant très-fin chez qui l'envoya monsieur de Grancey. Ces deux
braves gens, devenus ses espions, semblaient être les plus ardents
ennemis de Savarus dans les camps opposés. Sur la fin de la séance
préparatoire, ils apprirent à Savarus par l'intermédiaire de monsieur
Boucher que trente voix inconnues faisaient contre lui, dans son parti,
le métier qu'ils faisaient pour son compte chez les autres? Un criminel
qui marche au supplice ne souffre pas ce qu'Albert souffrit en revenant
chez lui de la salle où son sort s'était joué. L'amoureux au désespoir
ne voulut être accompagné de personne. Il marcha seul par les rues,
entre onze heures et minuit.
A une heure du matin, Albert, que depuis trois jours le sommeil ne
visitait plus, était assis dans sa bibliothèque, sur un fauteuil à la
Voltaire, la tête pâle comme s'il allait expirer, les mains pendantes,
dans une pose d'abandon digne de la Magdeleine. Des larmes roulaient
entre ses longs cils, de ces larmes qui mouillent les yeux et qui ne
roulent pas sur les joues: la pensée les boit, le feu de l'âme les
dévore! Seul, il pouvait pleurer. Il aperçut alors sous le kiosque une
forme blanche qui lui rappela Francesca.
--Et voici trois mois que je n'ai reçu de lettre d'_elle_! Que
devient-elle? je suis resté deux mois sans lui rien écrire, mais je l'ai
prévenue. Est-elle malade? O mon amour! ô ma vie! sauras-tu jamais ce
que j'ai souffert? Quelle fatale organisation est la mienne! Ai-je un
anévrisme? se demanda-t-il en sentant son coeur qui battait si
violemment que les pulsations retentissaient dans le silence comme si de
légers grains de sable eussent frappé sur une grosse caisse.
En ce moment trois coups discrets retentirent à la porte d'Albert, il
alla promptement ouvrir, et faillit se trouver mal de joie en voyant au
vicaire-général un air gai, l'air du triomphe. Il saisit l'abbé de
Grancey, sans lui dire un mot, le tint dans ses bras, le serra, laissant
aller sa tête sur l'épaule de ce vieillard. Et il redevint enfant, il
pleura comme il avait pleuré quand il sut que Francesca Soderini était
mariée. Il ne laissa voir sa faiblesse qu'à ce prêtre sur le visage de
qui brillaient les lueurs d'une espérance. Le prêtre avait été sublime,
et aussi fin que sublime.
--Pardon, cher abbé, mais vous êtes venu dans un de ces moments suprêmes
où l'homme disparaît, car ne me croyez pas un ambitieux vulgaire.
--Oui, je le sais, reprit l'abbé, vous avez écrit l'AMBITIEUX PAR AMOUR!
Hé! mon enfant, c'est un désespoir d'amour qui m'a fait prêtre en 1786,
à vingt-deux ans. En 1788, j'étais curé. Je sais la vie. J'ai déjà
refusé trois évêchés, je veux mourir à Besançon.
--Venez _la_ voir? s'écria Savarus en prenant la bougie et menant l'abbé
dans le cabinet magnifique où se trouvait le portrait de la duchesse
d'Argaiolo qu'il éclaira.
--C'est une de ces femmes qui sont faites pour régner! dit le vicaire en
comprenant ce qu'Albert lui témoignait d'affection par cette muette
confidence. Mais il y a bien de la fierté sur ce front, il est
implacable, elle ne pardonnerait pas une injure! C'est un archange
Michel, l'ange des exécutions, l'ange inflexible... Tout ou rien! est la
devise de ces caractères angéliques. Il y a je ne sais quoi de
divinement sauvage dans cette tête!...
--Vous l'avez bien devinée, s'écria Savarus. Mais, mon cher abbé, voici
plus de douze ans qu'elle règne sur ma vie, et je n'ai pas une pensée à
me reprocher.....
--Ah! si vous en aviez autant fait pour Dieu?... dit naïvement l'abbé.
Parlons de vos affaires. Voici dix jours que je travaille pour vous. Si
vous êtes un vrai politique, vous suivrez mes conseils cette fois-ci.
Vous n'en seriez pas où vous en êtes, si vous étiez allé quand je vous
le disais à l'hôtel de Rupt; mais vous irez demain, je vous y présente
le soir. La terre des Rouxey est menacée, il faut plaider dans deux
jours. L'Élection ne se fera pas avant trois jours. On aura soin de ne
pas avoir fini de constituer le bureau le premier jour; nous aurons
plusieurs scrutins, et vous arriverez par un ballottage...
--Et comment?...
--En gagnant le procès des Rouxey, vous aurez quatre-vingts voix
légitimistes, ajoutez-les aux trente voix dont je dispose, nous
arrivons à cent dix. Or, comme il vous en restera vingt du
Comité-Boucher, vous en posséderez en tout cent trente.
--Hé! bien, dit Albert, il en faut soixante-quinze de plus.....
--Oui, dit le prêtre, car tout le reste est au Ministère. Mais, mon
enfant, vous avez à vous deux cents voix, et la Préfecture n'en a que
cent quatre-vingts.
--J'ai deux cents voix?... dit Albert qui demeura stupide d'étonnement
après s'être dressé sur ses pieds comme poussé par un ressort.
--Vous avez les voix de monsieur de Chavoncourt, reprit l'abbé.
--Et comment? dit Albert.
--Vous épousez mademoiselle Sidonie de Chavoncourt.
--Jamais!
--Vous épousez mademoiselle Sidonie de Chavoncourt, répéta froidement le
prêtre.
--Mais voyez? elle est implacable, dit Albert en montrant Francesca.
--Vous épousez mademoiselle Chavoncourt, répéta froidement le prêtre
pour la troisième fois.
Cette fois Albert comprit. Le vicaire-général ne voulait pas tremper
dans le plan qui souriait enfin à ce politique au désespoir. Une parole
de plus eût compromis la dignité, l'honnêteté du prêtre.
--Vous trouverez demain à l'hôtel de Rupt madame de Chavoncourt et sa
seconde fille, vous la remercierez de ce qu'elle doit faire pour vous,
vous lui direz que votre reconnaissance est sans bornes; enfin vous lui
appartenez corps et âme, votre avenir est désormais celui de sa famille,
vous êtes désintéressé, vous avez une si grande confiance en vous que
vous regardez une nomination de député comme une dot suffisante. Vous
aurez un combat avec madame de Chavoncourt, elle voudra votre parole.
Cette soirée, mon fils, est tout votre avenir. Mais, sachez-le, je ne
suis pour rien là-dedans. Moi, je ne suis coupable que des voix
légitimistes, je vous ai conquis madame de Watteville, et c'est toute
l'aristocratie de Besançon. Amédée de Soulas et Vauchelles, qui voteront
pour vous, ont entraîné la jeunesse, madame de Watteville vous aura les
vieillards. Quant à mes voix, elles sont infaillibles.
--Qui donc a tourné madame de Chavoncourt? demanda Savarus.
--Ne me questionnez pas, répondit l'abbé. Monsieur de Chavoncourt, qui a
trois filles à marier, est incapable d'augmenter sa fortune. Si
Vauchelles épouse la première sans dot, à cause de la vieille tante qui
finance au contrat, que faire des deux autres? Sidonie a seize ans, et
vous avez des trésors dans votre ambition. Quelqu'un a dit à madame de
Chavoncourt qu'il valait mieux marier sa fille que d'envoyer son mari
manger de l'argent à Paris. Ce quelqu'un mène madame de Chavoncourt, et
madame de Chavoncourt mène son mari.
--Assez, cher abbé! Je comprends. Une fois nommé député, j'ai la fortune
de quelqu'un à faire, et en la faisant splendide je serai dégagé de ma
parole. Vous avez en moi un fils, un homme qui vous devra son bonheur.
Mon Dieu! qu'ai-je fait pour mériter une si véritable amitié?
--Vous avez fait triompher le Chapitre, dit en souriant le
vicaire-général. Maintenant gardez le secret du tombeau sur tout ceci?
Nous ne sommes rien, nous ne faisons rien. Si l'on nous savait nous
mêlant d'élections, nous serions mangés tout crus par les puritains de
la Gauche qui font pis, et blâmés par quelques-uns des nôtres. Madame de
Chavoncourt ne se doute pas de ma participation dans tout ceci. Je ne me
suis fié qu'à madame de Watteville sur qui nous pouvons compter comme
sur nous-mêmes.
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