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Journal d'un voyageur pendant la guerre - 09
Süzlärneñ gomumi sanı 4621
Unikal süzlärneñ gomumi sanı 1578
36.1 süzlär 2000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
49.1 süzlär 5000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
54.9 süzlär 8000 iñ yış oçrıy torgan süzlärgä kerä.
nous, ne peut atteindre à grande distance et ne peut tenir de près. Il
résulte de tout ce qu'on apprend que la guerre était impossible dès le
début, que depuis tout s'est aggravé effroyablement, et qu'aujourd'hui
le mal est irréparable.--Pauvre France! il faudrait pourtant ouvrir les
yeux et sauver ce qui reste de toi!
Lundi 9.
Neige épaisse, blanche, cristallisée, admirable. Les arbres, les
buissons, les moindres broussailles sont des bouquets de diamants: à un
moment, tout est bleu. Chère nature, tu es belle en vain! Je te regarde
comme te regardent les oiseaux, qui sont tristes parce qu'ils ont froid.
Moi, j'ai encore un bon feu qui m'attend dans ma chambre, mais j'ai
froid dans le coeur pour ceux qui n'ont pas de feu, et, chose bizarre,
mon corps ne se réchauffe pas. Je me brûle les mains en me demandant si
je suis morte, et si l'on peut penser et souffrir étant mort.
Rouen se justifie et donne un démenti formel à ceux qui l'ont accusé de
s'être vendu. J'en étais sûre!
10 janvier.
C'est l'anniversaire d'Aurore. Sa soeur vient à bout de lui faire un
bouquet avec trois fleurettes épargnées par la gelée dans la serre
abandonnée. Triste bouquet dans les petites mains roses de Gabrielle!
Elles s'embrassent follement, elles s'aiment, elles ne savent pas qu'on
peut être malheureux. Nos pauvres enfants! nous tâcherons de vivre pour
elles; mais nous ne pourrions plus le leur promettre. Maurice ne veut à
aucun prix s'éloigner du danger. Nous y resterons, lui et moi, car je ne
veux pas le quitter. Je le lui promets pourtant, mais je ne m'en irai
pas. Du moment que cela est décidé avec moi-même, je suis très-calme.
On annonce des victoires sur tous les points. Faut-il encore espérer?
Nous le voulons bien, mon Dieu!
Mercredi 11.
La neige est toujours plus belle. Aurore en est très-frappée et voudrait
se coucher dedans! Elle dit qu'elle irait bien avec les soldats pour
jouir de ce plaisir-là. Comme l'enfance a des idées cruelles sans le
savoir!
Elle entend dire qu'il faudrait cacher ce que l'on a de précieux; elle
passe la journée à cacher ses poupées. Cela devient un jeu qui la
passionne.
Jeudi 12.
A présent ils bombardent réellement Paris. Les bombes y arrivent en
plein.--Des malades, des femmes, des enfants tués.--Deux mille obus dans
la nuit du 9 au 10,--_sans sommation_!
Vendredi 13.
Mauvaises nouvelles de Chanzy. Il a été héroïque et habile, tout
l'affirme; mais il est forcé de battre en retraite.
14.
Un ballon est tombé près de Châteauroux; les aéronautes ont dit que hier
le bombardement s'était ralenti.--Chanzy continue sa retraite.
15 janvier.
Rien, qu'une angoisse à rendre fou!
16.
La peste bovine nous arrive. Plus de marchés. Beaucoup de gens aisés ne
savent avec quoi payer les impôts. Les banquiers ne prêtent plus, et les
ressources s'épuisent rapidement. La gêne ou la misère est partout. Un
de nos amis qu'blâme les retardataires finit par nous avouer que ses
fermiers ne le payent pas, que ses terres lui coûtent au lieu de lui
rapporter, et que s'il n'eût fait durant la guerre un petit héritage,
dont il mange le capital, il ne pourrait payer le percepteur. Tout le
monde n'a pas un héritage à point nommé. Comme on le mangerait de bon
coeur en ce moment où tant de gens ne mangent pas!
On admire la belle retraite de Chanzy, mais c'est une retraite!
17 janvier.
Notre ami Girord, préfet de Nevers, est destitué pour n'avoir pas
approuvé la dissolution des conseils généraux. Il avait demandé au
conseil de son département un concours qui lui a été donné par les
hommes de toute opinion avec un patriotisme inépuisable. Il n'a pas
compris pourquoi il fallait faire un outrage public à des gens si
dévoués et si confiants. On lui a envoyé sa destitution par télégramme.
Il a répondu par télégramme avec beaucoup de douceur et d'esprit:
--Mille remercîments!
Il n'a pas fait d'autre bruit, mais l'opinion lui tiendra compte de la
dignité de sa conduite; ces mesures révolutionnaires sont bien
intempestives, et dans l'espèce parfaitement injustes. La délégation est
malade, elle entre dans la phase de la méfiance.
Dégel, vent et pluie. Tous les arbustes d'ornement sont gelés. Les blés,
si beaux naguère, ont l'air d'être perdus. Encore cela? Pauvre paysan,
pauvres nous tous!
Nous avons des nouvelles du camp de Nevers, qui a coûté tant de travail
et d'argent. Il n'a qu'un défaut, c'est qu'il n'existe pas. Comme celui
d'Orléans, il était dans une situation impossible. On en fait un
nouveau, on dépense, encore vingt-cinq millions pour acheter un terrain,
le plus cher et le plus productif du pays. Le général, l'état-major, les
médecins sont là, logés dans les châteaux du pays; mais il n'y a pas de
soldats, ou il y en a si peu qu'on se demande à quoi sert ce camp. Les
officiers sont dévorés d'ennui et d'impatience. Il y a tantôt trois mois
que cela dure.
18.
Le bombardement de Paris continue; on a le coeur si serré qu'on n'en
parle pas, même en famille. Il y a de ces douleurs qui ne laissent pas
de place à la réflexion, et qu'aucune parole ne saurait exprimer.
Jules Favre, assistant à l'enterrement de pauvres enfants tués dans
Paris par les obus, a dit:
«Nous touchons à la fin de nos épreuves.»
Cette parole n'a pas été dite à la légère par un homme dont la profonde
sensibilité nous a frappés depuis le commencement de nos malheurs.
Croit-il que Paris peut-être délivré? Qui donc le tromperait avec cette
illusion féroce? ignore-t-il que Chanzy a honorablement perdu la partie,
et que Bourbaki, plus près de l'Allemagne que de Paris, se heurte
bravement contre l'ennemi et ne l'entame pas? Je crois plutôt que Jules
Favre voit la prochaine nécessité de capituler, et qu'il espère encore
une paix honorable.
Ce mot _honorable_, qui est dans toutes les bouches, est, comme dans
toutes les circonstances où un mot prend le dessus sur les idées, celui
qui a le moins de sens. Nous ne pouvons pas faire une paix qui nous
déshonore après une guerre d'extermination acceptée et subie si
courageusement depuis cinq mois. Paris bombardé depuis tant de jours et
ne voulant pas encore se rendre ne peut pas être déshonoré. Quand même
le Prussien cynique y entrerait, la honte serait pour lui seul. La paix,
quelle qu'elle soit, sera toujours un hommage rendu à la France, et plus
elle sera dure, plus elle marquera la crainte que la France vaincue
inspire encore à l'ennemi.
C'est _ruineuse_ qu'il faut dire. Ils nous demanderont surtout de
l'argent, ils l'aiment avec passion. On parle de trois, de cinq, de sept
milliards. Nous aimerions mieux en donner dix que de céder des
provinces qui sont devenues notre chair et notre sang. C'est là où l'on
sent qu'une immense douleur peut nous atteindre. C'est pour cela que
nous n'avons pas reculé devant une lutte que nous savions impossible,
avec un gouvernement captif et une délégation débordée; mais, fallût-il
nous voir arracher ces provinces à la dernière extrémité, nous ne
serions pas plus déshonorés que ne l'est le blessé à qui un boulet a
emporté un membre.
Non, à l'heure qu'il est, notre honneur national est sauvé. Que l'on
essaye encore pour l'honneur de perdre de nouvelles provinces, que les
généraux continuent le duel pour l'honneur, c'est une obstination
héroïque peut-être, mais que nous ne pouvons plus approuver, nous qui
savons que tout est perdu. La partie ardente et généreuse de la France
consent encore à souffrir, mais ceux qui répondent de ses destinées ne
peuvent plus ignorer que la désorganisation est complète, qu'ils ne
peuvent plus compter sur rien. Il le reconnaissent entre eux, à ce
qu'on assure.
Les optimistes sont irritants. Ils disent que la guerre commence, que
dans six mois nous serons à Berlin; peut-être s'imaginent-ils que nous y
sommes déjà. Pourtant, comme ils disent tous la même chose, dans les
mêmes termes, cela ressemble à un mot d'ordre de parti plus qu'à une
illusion. Ériger l'illusion en devoir, c'est entendre singulièrement le
patriotisme et l'amour de l'humanité. Je ne me crois pas forcée de jouer
la comédie de l'espérance, et je plains ceux qui la jouent de bonne foi;
ils auront un dur réveil.
Il serait curieux de savoir par quelle fraction du parti républicain
nous sommes gouvernés en ce moment, en d'autres termes à quel parti
appartient la dictature des provinces. MM. Crémieux et Glais-Bizoin se
sont renfermés jusqu'à présent dans leur rôle de ministres; je ne les
crois pas disposés à d'autres usurpations de pouvoir que celles qui leur
seraient imposées par le gouvernement de Paris. Or le gouvernement de
Paris paraît très-pressé de se débarrasser de son autorité pour en
appeler à celle du pays. Malgré les fautes commises,--l'abandon
téméraire des négociations de paix en temps utile, le timide ajournement
des élections à l'heure favorable,--on voit percer dans tout ce que l'on
sait de sa conduite le sentiment du désintéressement personnel, la
crainte de s'ériger en dictature et d'engager l'avenir. La faiblesse que
semblent lui reprocher les Parisiens, exaltés par le malheur, est
probablement la forme que revêt le profond dégoût d'une trop lourde
responsabilité, peut-être aussi une terreur scrupuleuse en face des
déchirements que pourrait provoquer une autorité plus accusée. A
Bordeaux, il n'en est plus de même. Un homme sans lassitude et sans
scrupule dispose de la France. C'est un honnête homme et un homme
convaincu, nous le croyons; mais il est jeune, sans expérience, sans
aucune science politique ou militaire: l'activité ne supplée pas à la
science de l'organisation. On ne peut mieux le définir qu'en disant que
c'est un tempérament révolutionnaire. Ce n'est pas assez; toutes les
mesures prises par lui sont la preuve d'un manque de jugement qui fait
avorter ses efforts et ses intentions.
Ce manque de jugement explique l'absence d'appréciation de soi-même.
C'est un grand malheur de se croire propre à une tâche démesurée, quand
on eût pu remplir d'une manière utile et brillante un moindre rôle. Il y
a eu là un de ces enivrements subits que produisent les crises
révolutionnaires, un de ces funestes hasards de situation que subissent
les nations mortellement frappées, et qui leur portent le dernier coup;
mais à quel parti se rattache ce jeune aventurier politique? Si je ne me
trompe, il n'appartient à aucun, ce qui est une preuve d'intelligence et
aussi une preuve d'ambition. Il a donné sa confiance, les fonctions
publiques et, ce qui est plus grave, les affaires du pays à tous ceux
qui sont venus s'offrir, les uns par dévouement sincère, les autres pour
satisfaire leurs mauvaises passions ou pour faire de scandaleux
profits. Il a tout pris au hasard, pensant que tous les moyens étaient
bons pour agiter et réveiller la France, et qu'il fallait des hommes et
de l'argent à tout prix. Il n'a eu aucun discernement dans ses choix,
aucun respect de l'opinion publique, et cela involontairement, j'aime à
le croire, mais aveuglé par le principe «qui veut la fin veut les
moyens.» Il faut être bien enfant pour ne pas savoir, après tant
d'expériences récentes, que les mauvais moyens ne conduisent jamais qu'à
une mauvaise fin. Comme il a cherché à se constituer un parti avec tout
ce qui s'est offert, il serait difficile de dire quelle est la règle,
quel est le système de celui qu'il a réussi à se faire; mais ce parti
existe et fait très-bon marché des sympathies et de la confiance du
pays. Il y a un parti Gambetta, et ceci est la plus douloureuse critique
qu'on puisse faire d'une dictature qui n'a réussi qu'à se constituer un
parti très-restreint, quand il fallait obtenir l'adhésion d'un peuple.
On ne fera plus rien en France avec cette étroitesse de moyens. Quand
tous les sentiments sont en effervescence et tous les intérêts en péril,
on veut une large application de principes et non le détail journalier
d'essais irréfléchis et contradictoires qui caractérise la petite
politique. J'espère encore, j'espère pour ma dernière consolation en
cette vie que mon pays, en présence de tant de factions qui le divisent,
prendra la résolution de n'appartenir à aucune et de rester libre,
c'est-à-dire républicain. Il faudra donc que le parti Gambetta se range,
comme les autres, à la légalité, au consentement général, ou bien c'est
la guerre civile sans frein et sans issue, une série d'agitations et de
luttes qui seront très-difficiles à comprendre, car chaque parti a son
but personnel, qu'il n'avoue qu'après le succès. Les gens de bonne foi
qui ont des principes sincères sont ceux qui comprennent le moins des
événements atroces comme ceux des journées de juin. Plus ils sont sages,
plus le spectacle de ces délires les déconcerte.
L'opinion républicaine est celle qui compte le plus de partis, ce qui
prouve qu'elle est l'opinion la plus générale. Comment faire, quel
miracle invoquer pour que ces partis ne se dévorent pas entre eux, et ne
provoquent pas des réactions qui tueraient la liberté? Quel est celui
qui a le plus d'avenir et qui pourrait espérer se rallier tous les
autres? C'est celui qui aura la meilleure philosophie, les principes les
plus sûrs, les plus humains, les plus larges; mais le succès lui est
promis à une condition, c'est qu'il sera le moins ambitieux de pouvoir
personnel, et que nul ne pourra l'accuser de travailler pour lui et ses
amis.
Le parti Gambetta ne présente pas ces chances d'avenir, d'abord parce
qu'il ne se rattache à aucun corps de doctrines, ensuite parce qu'il
s'est recruté indifféremment parmi ce qu'il y a de plus pur et ce qu'il
y a de plus taré, et que dès lors les honnêtes gens auront hâte de se
séparer des bandits et des escrocs. Ceux-ci disparaîtront quand l'ordre
se fera, mais pour reparaître dans les jours d'agitation et se
retrouver coude à coude avec les hommes d'honneur, qu'ils traiteront de
frères et d'amis, au grand déplaisir de ces derniers. Ces éléments
antipathiques que réunissent les situations violentes sont une prompte
cause de dégoût et de lassitude pour les hommes qui se respectent. M.
Gambetta, honnête homme lui-même, éclairé plus tard par l'expérience de
la vie, sera tellement mortifié du noyau qui lui restera, qu'il aura
peut-être autant de soif de l'obscurité qu'il en a maintenant de la
lumière. En attendant, nous qui subissons le poids de ses fautes et qui
le voyons aussi mal renseigné sur les chances d'une _guerre à outrance_
que l'était Napoléon III en déclarant cette guerre insensée, nous ne
sourions pas à sa fortune présente, et, n'était la politesse, nous
ririons au nez de ceux qui s'en font les adorateurs intéressés ou
aveugles.
C'est un grand malheur que ce Gambetta ne soit pas un homme pratique, il
eût pu acquérir une immense popularité et réunir dans un même sentiment
toutes les nuances si tranchées, si hostiles les unes aux autres, des
partisans de la république. Au début, nous l'avons tous accueilli avec
cette ingénuité qui caractérise le tempérament national. C'était un
homme nouveau, personne ne lui en voulait. On avait besoin de croire en
lui. Il est descendu d'un ballon frisant les balles ennemies, incident
très-dramatique, propre à frapper l'imagination des paysans. Dans nos
contrées, ils voulaient à peine y croire, tant ce voyage leur paraissait
fantastique; à présent, le prestige est évanoui. Ils ont ouï dire qu'une
quantité de ballons tombaient de tous côtés, ils ont reçu par cette voie
des nouvelles de leurs absents, ils ont vu passer dans les airs ces
étranges messagers. Ils se sont dit que beaucoup de Parisiens étaient
aussi hardis et aussi savants que M. Gambetta, ils ont demandé avec une
malignité ingénue s'ils venaient pour le remplacer. Au début, ils n'ont
fait aucune objection contre lui. Tout le monde croyait à une éclatante
revanche; tout le monde a tout donné. De son côté le dictateur semblait
donner des preuves de savoir-faire en étouffant avec une prudence
apparente les insurrections du Midi; les modérés se réjouissaient, car
les modérés ont la haine et la peur des rouges dans des proportions
maladives et tant soit peu furieuses. C'est à eux que le vieux Lafayette
disait autrefois:
--Messieurs, je vous trouve enragés de modération.
Les modérés gambettistes sont un peu embarrassés aujourd'hui que la
dictature commence à casser leurs vitres, le moment étant venu où il
faut faire flèche de tout bois. Les rouges d'ailleurs sont dans l'armée
comme les légitimistes, comme les cléricaux, comme les orléanistes.
Évidemment les rouges sont des hommes comme les autres, ils se battent
comme les autres, et il faudra compter avec leur opinion comme avec
celle des autres. Ce serait même le moment d'une belle fusion, si, par
tempérament, les rouges n'étaient pas irréconciliables avec tout ce qui
n'est pas eux-mêmes; c'est le parti de l'orgueil et de l'infaillibilité.
A cet effet, ils ont inventé le mandat impératif que des hommes
d'intelligence, Rochefort entre autres, ont cru devoir subir, sans
s'apercevoir que c'était la fin de la liberté et l'assassinat de
l'intelligence!
Les rouges! c'est encore un mot vide de sens. Il faut le prendre pour ce
qu'il est: un drapeau d'insurrection; mais dans les rangs de ce parti il
y a des hommes de mérite et de talent qui devraient être à sa tête et le
contenir pour lui conserver l'avenir, car ce parti en a, n'en déplaise
aux modérés, c'est même probablement celui qui en a le plus, puisqu'il
se préoccupe de l'avenir avec passion, sans tenir compte du présent.
Qu'on fasse entrer dans ses convictions et dans ses moeurs, un peu trop
sauvages, le respect matériel de la vraie légalité, et, de la confusion
d'idées folles ou généreuses qu'il exhale pêle-mêle, sortiront des
vérités qui sont déjà reconnues par beaucoup d'adhérents silencieux,
ennemis, non de leurs doctrines, mais de leurs façons d'agir. Une
société fondée sur le respect inviolable du principe d'égalité,
représenté par le suffrage universel et par la liberté de la presse,
n'aurait jamais rien à craindre des impatients, puisque leur devise est
_liberté, égalité_: je ne sais s'ils ajoutent _fraternité_: dans ces
derniers temps, ils ont perdu par la violence, la haine et l'injure, le
droit de se dire nos frères.
N'importe! une société parfaitement soumise au régime de l'égalité et
préservée des excès par la liberté de parler, d'écrire et de voter,
aurait dès lors le droit de repousser l'agression de ceux qui ne se
contenteraient pas de pareilles institutions, et qui revendiqueraient le
droit monstrueux de guerre civile. Il faut que les modérés y prennent
garde; si les insurrections éclatent parfois sans autre cause que
l'ambition de quelques-uns ou le malaise de plusieurs, il n'en est pas
de même des révolutions, et les révolutions ont toujours pour cause la
restriction apportée à une liberté légitime. Si, par crainte des
émeutes, la société républicaine laisse porter atteinte à la liberté de
la parole et de l'association, elle fermera la soupape de sûreté, elle
ouvrira la carrière à de continuelles révolutions. M. Gambetta paraît
l'avoir compris en prononçant quelques bonnes paroles à propos de la
liberté des journaux dans ce trop long et trop vague discours du 1er
janvier, dont je me plaignais peut-être trop vivement l'autre jour. S'il
a cette ferme conviction que la liberté de la presse doit être respectée
jusque dans ses excès, s'il désavoue les actes arbitraires de
quelques-uns de ses préfets, il respectera sans doute également le
suffrage universel. Ceci ne fera pas le compte de tous ses partisans,
mais j'imagine qu'il n'est pas homme à sacrifier les principes aux
circonstances.
Je lui souhaite de ne pas perdre la tête à l'heure décisive, et je
regrette de le voir passer à l'état de fétiche, ce qui est le danger
mortel pour tous les souverains de ce monde.
19 janvier.
On a des nouvelles de Paris du 16. Le bombardement nocturne
continue.--_Nocturne_ est un raffinement. On veut être sûr que les gens
seront écrasés sous leurs maisons. On assure pourtant que le mal _n'est
pas grand_. Lisez qu'il n'est peut-être pas proportionné à la quantité
de projectiles lancés et à la soif de destruction qui dévore le saint
empereur d'Allemagne; mais il est impossible que Paris résiste longtemps
ainsi, et il est monstrueux que nous le laissions résister, quand nous
savons que nos armées reculent au lieu d'avancer.
Du côté de Bourbaki, l'espoir s'en va complètement malgré de brillants
faits d'armes qui tournent contre nous chaque fois.
20.
Nos généraux ne combattent plus que pour joûter. Ils n'ont pas la
franchise de d'Aurelle de Paladines, qui a osé dire la vérité pour
sauver son armée. Ils craignent qu'on ne les accuse de lâcheté ou de
trahison. La situation est horrible, et elle n'est pas sincère!
Le temps est doux, on souffre moins à Paris; mais les pauvres ont-ils du
charbon pour cuire leurs aliments?--On est surpris qu'ils aient encore
des aliments. Pourquoi donc a-t-on ajourné l'appel au pays il y a trois
mois, sous prétexte que Paris ne pouvait supporter vingt et un jours
d'armistice sans ravitaillement? Le gouvernement ne savait donc pas ce
que Paris possédait de vivres à cette époque? Que de questions on se
fait, qui restent forcément sans réponse!
21.
Tours est pris par les Prussiens.
22 et 23.
Toujours plus triste, toujours plus noir, Paris toujours bombardé! on a
le coeur dans un étau. Quelle morne désespérance! on aurait envie de
prendre une forte dose d'opium pour se rendre indifférent par
idiotisme.--Non! on n'a pas le droit de ne pas souffrir. Il faut savoir,
il faudra se souvenir. Il faut tâcher de comprendre à travers les
ténèbres dont on nous enveloppe systématiquement. A en croire les
dépêches officielles, nous serions victorieux tous les jours et sur tous
les points. Si nous avions tué tous les morts qu'on nous signale, il y a
longtemps que l'armée prussienne serait détruite; mais, à la fin de
toutes les dépêches, on nous glisse comme un détail sans importance que
nous avons perdu encore du terrain. Quel régime moral que le compte
rendu journalier de cette tuerie réciproque! Il y a des mots atroces qui
sont passés dans le style officiel:
--_Nos pertes sont insignifiantes,--nos pertes sont peu considérables._
Les jours de désastre, on nous dit avec une touchante émotion:
--Nos pertes sont _sensibles_.
Mais pour nous consoler on ajoute que celles de l'ennemi sont
_sérieuses_, et le pauvre monde à l'affût des nouvelles, va se coucher
content, l'imagination calmée par le rêve de ces cadavres qui jonchent
la terre de France!
24 janvier.
Nos trois corps d'armée sont en retraite. Les Prussiens ont Tours, Le
Mans; ils auront bientôt toute la Loire. Ils payent cher leurs
avantages, ils perdent beaucoup d'hommes. Qu'importe au roi Guillaume?
l'Allemagne lui en donnera d'autres. Il la consolera de tout avec le
butin, l'Allemand est positif; on y perd un frère, un fils, mais on
reçoit une pendule, c'est une consolation.
Paris se bat, sorties héroïques, désespérées.--Mon Dieu, mon Dieu! nous
assistons à cela. Nous avons donné, nous aussi, nos enfants et nos
frères. Varus, qu'as-tu fait de nos légions?
Encore une nomination honteuse dans les journaux; l'impudeur est en
progrès.
25 janvier.
Succès de Garibaldi à Dijon. Il y a là, je ne sais où, mais sous les
ordres du héros de l'Italie, un autre Italien moins enfant, moins
crédule, moins dupe de certains associés, le doux et intrépide Frapolli,
grand-maître de la maçonnerie italienne, qui, dès le commencement de la
guerre, est venu nous apporter sa science, son dévouement, sa bravoure.
Personne ne parle de lui, c'est à peine si un journal l'a nommé. Il n'a
pas écrit une ligne, il ne s'est même pas rappelé à ses amis. Modeste,
pur et humain comme Barbès, il agit et s'efface,--et il y a eu dans
certains journaux des éloges pour de certains éhontés qu'on a nommés à
de hauts grades en dépit des avertissements de la presse mieux
renseignée. Malheur! tout est souillé, tout tombe en dissolution. Le
mépris de l'opinion semble érigé en système.
26 janvier.
Encore une levée, celle des conscrits par anticipation. On a des hommes
à n'en savoir que faire, des hommes qu'il faut payer et nourrir, et qui
seront à peine bons pour se battre dans six mois; ils ne le seront
jamais, si on continue à ne pas les exercer et à ne les armer qu'au
moment de les conduire au feu. Mon troisième petit-neveu vient de
s'engager.
27.
Visites de jeunes officiers de mobilisés, enfants de nos amis du Gard.
Ils sont en garnison dans le pays on ne peut plus mal, et ne faisant
absolument rien, comme les autres. Châteauroux regorge de troupes de
toutes armes qui vont et viennent, on ne saura certainement jamais
pourquoi. A La Châtre, on a de temps en temps un passage annoncé; on
commande le pain, il reste au compte des boulangers. L'intendance a
toujours un règlement qui lui défend de payer. D'autres fois la troupe
arrive à l'improviste, on n'a reçu aucun avis, le pain manque.
Heureusement les habitants de La Châtre pratiquent l'hospitalité d'une
manière admirable; ils donnent le pain, la soupe, le vin, la viande à
discrétion: ils coucheraient sur la paille plutôt que de ne pas donner
de lit à leur hôte. Ils n'ont pas été épuisés; mais dans les villes à
bout de ressources les jeunes troupes souffrent parfois cruellement, et
on s'étonne de leur résignation. Le découragement s'en mêle. Subir tous
les maux d'une armée en campagne et ne recevoir depuis trois et quatre
mois aucune instruction militaire, c'est une étrange manière de servir
son pays en l'épuisant et s'épuisant soi-même.
Un peu de _fantaisie_ vient égayer un instant notre soirée, c'est une
histoire qui court le pays. Trois Prussiens (toujours trois!) ont envahi
le département, c'est-à-dire qu'ils en ont franchi la limite pour
demander de la bière et du tabac dans un cabaret. De plus, ils ont
demandé le nom de la localité. En apprenant qu'ils étaient dans l'Indre,
ils se sont retirés en toute hâte, disant qu'il leur était défendu d'y
entrer, et que ce département ne serait pas envahi à cause du château de
Valençay, le duc ayant obtenu de la Prusse, où ses enfants sont au
service du roi, qu'on respecterait ses propriétés.
Il y a déjà quelque temps que cette histoire court dans nos villages.
Les habitants de Valençay ont dit que si les Prussiens respectaient
seulement les biens de leur seigneur et ravageaient ceux du paysan, ils
brûleraient le château.
Il y a quelque chose qu'on dit être vrai au fond de ce roman, c'est que
le duc de Valençay aurait écrit de Berlin à son intendant d'emballer et
de faire partir les objets précieux, et que, peu après, il aurait donné
l'ordre de tout laisser en place. Qu'on lui ait promis en Prusse de
respecter son domaine seigneurial, cela est fort possible; mais que
cette promesse se soit étendue au département, c'est ce que nous ne
croirons jamais, malgré la confiance qu'elle inspire aux amateurs de
merveilleux.
28 janvier.
Lettres de Paris du 15. Morère est bien vivant, Dieu merci! Par une
chance inespérée, à cette date nous n'avions ni morts ni malades parmi
nos amis; mais depuis treize jours de bombardement, de froid et
peut-être de famine de plus!--Mon bon Plauchut m'écrit qu'il _mange sa
paillasse_, c'est-à-dire que le pain de Paris est fait de paille hachée.
Il me donne des nouvelles de tous ceux qui m'intéressent. Il m'en donne
aussi de mon pied-à-terre de Paris, qui a reçu un obus dans les reins.
Le 15, on jouait _François le Champi_ au profit d'une ambulance. Cette
pièce, jouée pour la première fois en 49, sous la République, a la
singulière destinée d'être jouée encore sous le bombardement. Une
bergerie!
Mes pauvres amis sont héroïques, ils ne veulent pas se plaindre, ils ne
résulte de tout ce qu'on apprend que la guerre était impossible dès le
début, que depuis tout s'est aggravé effroyablement, et qu'aujourd'hui
le mal est irréparable.--Pauvre France! il faudrait pourtant ouvrir les
yeux et sauver ce qui reste de toi!
Lundi 9.
Neige épaisse, blanche, cristallisée, admirable. Les arbres, les
buissons, les moindres broussailles sont des bouquets de diamants: à un
moment, tout est bleu. Chère nature, tu es belle en vain! Je te regarde
comme te regardent les oiseaux, qui sont tristes parce qu'ils ont froid.
Moi, j'ai encore un bon feu qui m'attend dans ma chambre, mais j'ai
froid dans le coeur pour ceux qui n'ont pas de feu, et, chose bizarre,
mon corps ne se réchauffe pas. Je me brûle les mains en me demandant si
je suis morte, et si l'on peut penser et souffrir étant mort.
Rouen se justifie et donne un démenti formel à ceux qui l'ont accusé de
s'être vendu. J'en étais sûre!
10 janvier.
C'est l'anniversaire d'Aurore. Sa soeur vient à bout de lui faire un
bouquet avec trois fleurettes épargnées par la gelée dans la serre
abandonnée. Triste bouquet dans les petites mains roses de Gabrielle!
Elles s'embrassent follement, elles s'aiment, elles ne savent pas qu'on
peut être malheureux. Nos pauvres enfants! nous tâcherons de vivre pour
elles; mais nous ne pourrions plus le leur promettre. Maurice ne veut à
aucun prix s'éloigner du danger. Nous y resterons, lui et moi, car je ne
veux pas le quitter. Je le lui promets pourtant, mais je ne m'en irai
pas. Du moment que cela est décidé avec moi-même, je suis très-calme.
On annonce des victoires sur tous les points. Faut-il encore espérer?
Nous le voulons bien, mon Dieu!
Mercredi 11.
La neige est toujours plus belle. Aurore en est très-frappée et voudrait
se coucher dedans! Elle dit qu'elle irait bien avec les soldats pour
jouir de ce plaisir-là. Comme l'enfance a des idées cruelles sans le
savoir!
Elle entend dire qu'il faudrait cacher ce que l'on a de précieux; elle
passe la journée à cacher ses poupées. Cela devient un jeu qui la
passionne.
Jeudi 12.
A présent ils bombardent réellement Paris. Les bombes y arrivent en
plein.--Des malades, des femmes, des enfants tués.--Deux mille obus dans
la nuit du 9 au 10,--_sans sommation_!
Vendredi 13.
Mauvaises nouvelles de Chanzy. Il a été héroïque et habile, tout
l'affirme; mais il est forcé de battre en retraite.
14.
Un ballon est tombé près de Châteauroux; les aéronautes ont dit que hier
le bombardement s'était ralenti.--Chanzy continue sa retraite.
15 janvier.
Rien, qu'une angoisse à rendre fou!
16.
La peste bovine nous arrive. Plus de marchés. Beaucoup de gens aisés ne
savent avec quoi payer les impôts. Les banquiers ne prêtent plus, et les
ressources s'épuisent rapidement. La gêne ou la misère est partout. Un
de nos amis qu'blâme les retardataires finit par nous avouer que ses
fermiers ne le payent pas, que ses terres lui coûtent au lieu de lui
rapporter, et que s'il n'eût fait durant la guerre un petit héritage,
dont il mange le capital, il ne pourrait payer le percepteur. Tout le
monde n'a pas un héritage à point nommé. Comme on le mangerait de bon
coeur en ce moment où tant de gens ne mangent pas!
On admire la belle retraite de Chanzy, mais c'est une retraite!
17 janvier.
Notre ami Girord, préfet de Nevers, est destitué pour n'avoir pas
approuvé la dissolution des conseils généraux. Il avait demandé au
conseil de son département un concours qui lui a été donné par les
hommes de toute opinion avec un patriotisme inépuisable. Il n'a pas
compris pourquoi il fallait faire un outrage public à des gens si
dévoués et si confiants. On lui a envoyé sa destitution par télégramme.
Il a répondu par télégramme avec beaucoup de douceur et d'esprit:
--Mille remercîments!
Il n'a pas fait d'autre bruit, mais l'opinion lui tiendra compte de la
dignité de sa conduite; ces mesures révolutionnaires sont bien
intempestives, et dans l'espèce parfaitement injustes. La délégation est
malade, elle entre dans la phase de la méfiance.
Dégel, vent et pluie. Tous les arbustes d'ornement sont gelés. Les blés,
si beaux naguère, ont l'air d'être perdus. Encore cela? Pauvre paysan,
pauvres nous tous!
Nous avons des nouvelles du camp de Nevers, qui a coûté tant de travail
et d'argent. Il n'a qu'un défaut, c'est qu'il n'existe pas. Comme celui
d'Orléans, il était dans une situation impossible. On en fait un
nouveau, on dépense, encore vingt-cinq millions pour acheter un terrain,
le plus cher et le plus productif du pays. Le général, l'état-major, les
médecins sont là, logés dans les châteaux du pays; mais il n'y a pas de
soldats, ou il y en a si peu qu'on se demande à quoi sert ce camp. Les
officiers sont dévorés d'ennui et d'impatience. Il y a tantôt trois mois
que cela dure.
18.
Le bombardement de Paris continue; on a le coeur si serré qu'on n'en
parle pas, même en famille. Il y a de ces douleurs qui ne laissent pas
de place à la réflexion, et qu'aucune parole ne saurait exprimer.
Jules Favre, assistant à l'enterrement de pauvres enfants tués dans
Paris par les obus, a dit:
«Nous touchons à la fin de nos épreuves.»
Cette parole n'a pas été dite à la légère par un homme dont la profonde
sensibilité nous a frappés depuis le commencement de nos malheurs.
Croit-il que Paris peut-être délivré? Qui donc le tromperait avec cette
illusion féroce? ignore-t-il que Chanzy a honorablement perdu la partie,
et que Bourbaki, plus près de l'Allemagne que de Paris, se heurte
bravement contre l'ennemi et ne l'entame pas? Je crois plutôt que Jules
Favre voit la prochaine nécessité de capituler, et qu'il espère encore
une paix honorable.
Ce mot _honorable_, qui est dans toutes les bouches, est, comme dans
toutes les circonstances où un mot prend le dessus sur les idées, celui
qui a le moins de sens. Nous ne pouvons pas faire une paix qui nous
déshonore après une guerre d'extermination acceptée et subie si
courageusement depuis cinq mois. Paris bombardé depuis tant de jours et
ne voulant pas encore se rendre ne peut pas être déshonoré. Quand même
le Prussien cynique y entrerait, la honte serait pour lui seul. La paix,
quelle qu'elle soit, sera toujours un hommage rendu à la France, et plus
elle sera dure, plus elle marquera la crainte que la France vaincue
inspire encore à l'ennemi.
C'est _ruineuse_ qu'il faut dire. Ils nous demanderont surtout de
l'argent, ils l'aiment avec passion. On parle de trois, de cinq, de sept
milliards. Nous aimerions mieux en donner dix que de céder des
provinces qui sont devenues notre chair et notre sang. C'est là où l'on
sent qu'une immense douleur peut nous atteindre. C'est pour cela que
nous n'avons pas reculé devant une lutte que nous savions impossible,
avec un gouvernement captif et une délégation débordée; mais, fallût-il
nous voir arracher ces provinces à la dernière extrémité, nous ne
serions pas plus déshonorés que ne l'est le blessé à qui un boulet a
emporté un membre.
Non, à l'heure qu'il est, notre honneur national est sauvé. Que l'on
essaye encore pour l'honneur de perdre de nouvelles provinces, que les
généraux continuent le duel pour l'honneur, c'est une obstination
héroïque peut-être, mais que nous ne pouvons plus approuver, nous qui
savons que tout est perdu. La partie ardente et généreuse de la France
consent encore à souffrir, mais ceux qui répondent de ses destinées ne
peuvent plus ignorer que la désorganisation est complète, qu'ils ne
peuvent plus compter sur rien. Il le reconnaissent entre eux, à ce
qu'on assure.
Les optimistes sont irritants. Ils disent que la guerre commence, que
dans six mois nous serons à Berlin; peut-être s'imaginent-ils que nous y
sommes déjà. Pourtant, comme ils disent tous la même chose, dans les
mêmes termes, cela ressemble à un mot d'ordre de parti plus qu'à une
illusion. Ériger l'illusion en devoir, c'est entendre singulièrement le
patriotisme et l'amour de l'humanité. Je ne me crois pas forcée de jouer
la comédie de l'espérance, et je plains ceux qui la jouent de bonne foi;
ils auront un dur réveil.
Il serait curieux de savoir par quelle fraction du parti républicain
nous sommes gouvernés en ce moment, en d'autres termes à quel parti
appartient la dictature des provinces. MM. Crémieux et Glais-Bizoin se
sont renfermés jusqu'à présent dans leur rôle de ministres; je ne les
crois pas disposés à d'autres usurpations de pouvoir que celles qui leur
seraient imposées par le gouvernement de Paris. Or le gouvernement de
Paris paraît très-pressé de se débarrasser de son autorité pour en
appeler à celle du pays. Malgré les fautes commises,--l'abandon
téméraire des négociations de paix en temps utile, le timide ajournement
des élections à l'heure favorable,--on voit percer dans tout ce que l'on
sait de sa conduite le sentiment du désintéressement personnel, la
crainte de s'ériger en dictature et d'engager l'avenir. La faiblesse que
semblent lui reprocher les Parisiens, exaltés par le malheur, est
probablement la forme que revêt le profond dégoût d'une trop lourde
responsabilité, peut-être aussi une terreur scrupuleuse en face des
déchirements que pourrait provoquer une autorité plus accusée. A
Bordeaux, il n'en est plus de même. Un homme sans lassitude et sans
scrupule dispose de la France. C'est un honnête homme et un homme
convaincu, nous le croyons; mais il est jeune, sans expérience, sans
aucune science politique ou militaire: l'activité ne supplée pas à la
science de l'organisation. On ne peut mieux le définir qu'en disant que
c'est un tempérament révolutionnaire. Ce n'est pas assez; toutes les
mesures prises par lui sont la preuve d'un manque de jugement qui fait
avorter ses efforts et ses intentions.
Ce manque de jugement explique l'absence d'appréciation de soi-même.
C'est un grand malheur de se croire propre à une tâche démesurée, quand
on eût pu remplir d'une manière utile et brillante un moindre rôle. Il y
a eu là un de ces enivrements subits que produisent les crises
révolutionnaires, un de ces funestes hasards de situation que subissent
les nations mortellement frappées, et qui leur portent le dernier coup;
mais à quel parti se rattache ce jeune aventurier politique? Si je ne me
trompe, il n'appartient à aucun, ce qui est une preuve d'intelligence et
aussi une preuve d'ambition. Il a donné sa confiance, les fonctions
publiques et, ce qui est plus grave, les affaires du pays à tous ceux
qui sont venus s'offrir, les uns par dévouement sincère, les autres pour
satisfaire leurs mauvaises passions ou pour faire de scandaleux
profits. Il a tout pris au hasard, pensant que tous les moyens étaient
bons pour agiter et réveiller la France, et qu'il fallait des hommes et
de l'argent à tout prix. Il n'a eu aucun discernement dans ses choix,
aucun respect de l'opinion publique, et cela involontairement, j'aime à
le croire, mais aveuglé par le principe «qui veut la fin veut les
moyens.» Il faut être bien enfant pour ne pas savoir, après tant
d'expériences récentes, que les mauvais moyens ne conduisent jamais qu'à
une mauvaise fin. Comme il a cherché à se constituer un parti avec tout
ce qui s'est offert, il serait difficile de dire quelle est la règle,
quel est le système de celui qu'il a réussi à se faire; mais ce parti
existe et fait très-bon marché des sympathies et de la confiance du
pays. Il y a un parti Gambetta, et ceci est la plus douloureuse critique
qu'on puisse faire d'une dictature qui n'a réussi qu'à se constituer un
parti très-restreint, quand il fallait obtenir l'adhésion d'un peuple.
On ne fera plus rien en France avec cette étroitesse de moyens. Quand
tous les sentiments sont en effervescence et tous les intérêts en péril,
on veut une large application de principes et non le détail journalier
d'essais irréfléchis et contradictoires qui caractérise la petite
politique. J'espère encore, j'espère pour ma dernière consolation en
cette vie que mon pays, en présence de tant de factions qui le divisent,
prendra la résolution de n'appartenir à aucune et de rester libre,
c'est-à-dire républicain. Il faudra donc que le parti Gambetta se range,
comme les autres, à la légalité, au consentement général, ou bien c'est
la guerre civile sans frein et sans issue, une série d'agitations et de
luttes qui seront très-difficiles à comprendre, car chaque parti a son
but personnel, qu'il n'avoue qu'après le succès. Les gens de bonne foi
qui ont des principes sincères sont ceux qui comprennent le moins des
événements atroces comme ceux des journées de juin. Plus ils sont sages,
plus le spectacle de ces délires les déconcerte.
L'opinion républicaine est celle qui compte le plus de partis, ce qui
prouve qu'elle est l'opinion la plus générale. Comment faire, quel
miracle invoquer pour que ces partis ne se dévorent pas entre eux, et ne
provoquent pas des réactions qui tueraient la liberté? Quel est celui
qui a le plus d'avenir et qui pourrait espérer se rallier tous les
autres? C'est celui qui aura la meilleure philosophie, les principes les
plus sûrs, les plus humains, les plus larges; mais le succès lui est
promis à une condition, c'est qu'il sera le moins ambitieux de pouvoir
personnel, et que nul ne pourra l'accuser de travailler pour lui et ses
amis.
Le parti Gambetta ne présente pas ces chances d'avenir, d'abord parce
qu'il ne se rattache à aucun corps de doctrines, ensuite parce qu'il
s'est recruté indifféremment parmi ce qu'il y a de plus pur et ce qu'il
y a de plus taré, et que dès lors les honnêtes gens auront hâte de se
séparer des bandits et des escrocs. Ceux-ci disparaîtront quand l'ordre
se fera, mais pour reparaître dans les jours d'agitation et se
retrouver coude à coude avec les hommes d'honneur, qu'ils traiteront de
frères et d'amis, au grand déplaisir de ces derniers. Ces éléments
antipathiques que réunissent les situations violentes sont une prompte
cause de dégoût et de lassitude pour les hommes qui se respectent. M.
Gambetta, honnête homme lui-même, éclairé plus tard par l'expérience de
la vie, sera tellement mortifié du noyau qui lui restera, qu'il aura
peut-être autant de soif de l'obscurité qu'il en a maintenant de la
lumière. En attendant, nous qui subissons le poids de ses fautes et qui
le voyons aussi mal renseigné sur les chances d'une _guerre à outrance_
que l'était Napoléon III en déclarant cette guerre insensée, nous ne
sourions pas à sa fortune présente, et, n'était la politesse, nous
ririons au nez de ceux qui s'en font les adorateurs intéressés ou
aveugles.
C'est un grand malheur que ce Gambetta ne soit pas un homme pratique, il
eût pu acquérir une immense popularité et réunir dans un même sentiment
toutes les nuances si tranchées, si hostiles les unes aux autres, des
partisans de la république. Au début, nous l'avons tous accueilli avec
cette ingénuité qui caractérise le tempérament national. C'était un
homme nouveau, personne ne lui en voulait. On avait besoin de croire en
lui. Il est descendu d'un ballon frisant les balles ennemies, incident
très-dramatique, propre à frapper l'imagination des paysans. Dans nos
contrées, ils voulaient à peine y croire, tant ce voyage leur paraissait
fantastique; à présent, le prestige est évanoui. Ils ont ouï dire qu'une
quantité de ballons tombaient de tous côtés, ils ont reçu par cette voie
des nouvelles de leurs absents, ils ont vu passer dans les airs ces
étranges messagers. Ils se sont dit que beaucoup de Parisiens étaient
aussi hardis et aussi savants que M. Gambetta, ils ont demandé avec une
malignité ingénue s'ils venaient pour le remplacer. Au début, ils n'ont
fait aucune objection contre lui. Tout le monde croyait à une éclatante
revanche; tout le monde a tout donné. De son côté le dictateur semblait
donner des preuves de savoir-faire en étouffant avec une prudence
apparente les insurrections du Midi; les modérés se réjouissaient, car
les modérés ont la haine et la peur des rouges dans des proportions
maladives et tant soit peu furieuses. C'est à eux que le vieux Lafayette
disait autrefois:
--Messieurs, je vous trouve enragés de modération.
Les modérés gambettistes sont un peu embarrassés aujourd'hui que la
dictature commence à casser leurs vitres, le moment étant venu où il
faut faire flèche de tout bois. Les rouges d'ailleurs sont dans l'armée
comme les légitimistes, comme les cléricaux, comme les orléanistes.
Évidemment les rouges sont des hommes comme les autres, ils se battent
comme les autres, et il faudra compter avec leur opinion comme avec
celle des autres. Ce serait même le moment d'une belle fusion, si, par
tempérament, les rouges n'étaient pas irréconciliables avec tout ce qui
n'est pas eux-mêmes; c'est le parti de l'orgueil et de l'infaillibilité.
A cet effet, ils ont inventé le mandat impératif que des hommes
d'intelligence, Rochefort entre autres, ont cru devoir subir, sans
s'apercevoir que c'était la fin de la liberté et l'assassinat de
l'intelligence!
Les rouges! c'est encore un mot vide de sens. Il faut le prendre pour ce
qu'il est: un drapeau d'insurrection; mais dans les rangs de ce parti il
y a des hommes de mérite et de talent qui devraient être à sa tête et le
contenir pour lui conserver l'avenir, car ce parti en a, n'en déplaise
aux modérés, c'est même probablement celui qui en a le plus, puisqu'il
se préoccupe de l'avenir avec passion, sans tenir compte du présent.
Qu'on fasse entrer dans ses convictions et dans ses moeurs, un peu trop
sauvages, le respect matériel de la vraie légalité, et, de la confusion
d'idées folles ou généreuses qu'il exhale pêle-mêle, sortiront des
vérités qui sont déjà reconnues par beaucoup d'adhérents silencieux,
ennemis, non de leurs doctrines, mais de leurs façons d'agir. Une
société fondée sur le respect inviolable du principe d'égalité,
représenté par le suffrage universel et par la liberté de la presse,
n'aurait jamais rien à craindre des impatients, puisque leur devise est
_liberté, égalité_: je ne sais s'ils ajoutent _fraternité_: dans ces
derniers temps, ils ont perdu par la violence, la haine et l'injure, le
droit de se dire nos frères.
N'importe! une société parfaitement soumise au régime de l'égalité et
préservée des excès par la liberté de parler, d'écrire et de voter,
aurait dès lors le droit de repousser l'agression de ceux qui ne se
contenteraient pas de pareilles institutions, et qui revendiqueraient le
droit monstrueux de guerre civile. Il faut que les modérés y prennent
garde; si les insurrections éclatent parfois sans autre cause que
l'ambition de quelques-uns ou le malaise de plusieurs, il n'en est pas
de même des révolutions, et les révolutions ont toujours pour cause la
restriction apportée à une liberté légitime. Si, par crainte des
émeutes, la société républicaine laisse porter atteinte à la liberté de
la parole et de l'association, elle fermera la soupape de sûreté, elle
ouvrira la carrière à de continuelles révolutions. M. Gambetta paraît
l'avoir compris en prononçant quelques bonnes paroles à propos de la
liberté des journaux dans ce trop long et trop vague discours du 1er
janvier, dont je me plaignais peut-être trop vivement l'autre jour. S'il
a cette ferme conviction que la liberté de la presse doit être respectée
jusque dans ses excès, s'il désavoue les actes arbitraires de
quelques-uns de ses préfets, il respectera sans doute également le
suffrage universel. Ceci ne fera pas le compte de tous ses partisans,
mais j'imagine qu'il n'est pas homme à sacrifier les principes aux
circonstances.
Je lui souhaite de ne pas perdre la tête à l'heure décisive, et je
regrette de le voir passer à l'état de fétiche, ce qui est le danger
mortel pour tous les souverains de ce monde.
19 janvier.
On a des nouvelles de Paris du 16. Le bombardement nocturne
continue.--_Nocturne_ est un raffinement. On veut être sûr que les gens
seront écrasés sous leurs maisons. On assure pourtant que le mal _n'est
pas grand_. Lisez qu'il n'est peut-être pas proportionné à la quantité
de projectiles lancés et à la soif de destruction qui dévore le saint
empereur d'Allemagne; mais il est impossible que Paris résiste longtemps
ainsi, et il est monstrueux que nous le laissions résister, quand nous
savons que nos armées reculent au lieu d'avancer.
Du côté de Bourbaki, l'espoir s'en va complètement malgré de brillants
faits d'armes qui tournent contre nous chaque fois.
20.
Nos généraux ne combattent plus que pour joûter. Ils n'ont pas la
franchise de d'Aurelle de Paladines, qui a osé dire la vérité pour
sauver son armée. Ils craignent qu'on ne les accuse de lâcheté ou de
trahison. La situation est horrible, et elle n'est pas sincère!
Le temps est doux, on souffre moins à Paris; mais les pauvres ont-ils du
charbon pour cuire leurs aliments?--On est surpris qu'ils aient encore
des aliments. Pourquoi donc a-t-on ajourné l'appel au pays il y a trois
mois, sous prétexte que Paris ne pouvait supporter vingt et un jours
d'armistice sans ravitaillement? Le gouvernement ne savait donc pas ce
que Paris possédait de vivres à cette époque? Que de questions on se
fait, qui restent forcément sans réponse!
21.
Tours est pris par les Prussiens.
22 et 23.
Toujours plus triste, toujours plus noir, Paris toujours bombardé! on a
le coeur dans un étau. Quelle morne désespérance! on aurait envie de
prendre une forte dose d'opium pour se rendre indifférent par
idiotisme.--Non! on n'a pas le droit de ne pas souffrir. Il faut savoir,
il faudra se souvenir. Il faut tâcher de comprendre à travers les
ténèbres dont on nous enveloppe systématiquement. A en croire les
dépêches officielles, nous serions victorieux tous les jours et sur tous
les points. Si nous avions tué tous les morts qu'on nous signale, il y a
longtemps que l'armée prussienne serait détruite; mais, à la fin de
toutes les dépêches, on nous glisse comme un détail sans importance que
nous avons perdu encore du terrain. Quel régime moral que le compte
rendu journalier de cette tuerie réciproque! Il y a des mots atroces qui
sont passés dans le style officiel:
--_Nos pertes sont insignifiantes,--nos pertes sont peu considérables._
Les jours de désastre, on nous dit avec une touchante émotion:
--Nos pertes sont _sensibles_.
Mais pour nous consoler on ajoute que celles de l'ennemi sont
_sérieuses_, et le pauvre monde à l'affût des nouvelles, va se coucher
content, l'imagination calmée par le rêve de ces cadavres qui jonchent
la terre de France!
24 janvier.
Nos trois corps d'armée sont en retraite. Les Prussiens ont Tours, Le
Mans; ils auront bientôt toute la Loire. Ils payent cher leurs
avantages, ils perdent beaucoup d'hommes. Qu'importe au roi Guillaume?
l'Allemagne lui en donnera d'autres. Il la consolera de tout avec le
butin, l'Allemand est positif; on y perd un frère, un fils, mais on
reçoit une pendule, c'est une consolation.
Paris se bat, sorties héroïques, désespérées.--Mon Dieu, mon Dieu! nous
assistons à cela. Nous avons donné, nous aussi, nos enfants et nos
frères. Varus, qu'as-tu fait de nos légions?
Encore une nomination honteuse dans les journaux; l'impudeur est en
progrès.
25 janvier.
Succès de Garibaldi à Dijon. Il y a là, je ne sais où, mais sous les
ordres du héros de l'Italie, un autre Italien moins enfant, moins
crédule, moins dupe de certains associés, le doux et intrépide Frapolli,
grand-maître de la maçonnerie italienne, qui, dès le commencement de la
guerre, est venu nous apporter sa science, son dévouement, sa bravoure.
Personne ne parle de lui, c'est à peine si un journal l'a nommé. Il n'a
pas écrit une ligne, il ne s'est même pas rappelé à ses amis. Modeste,
pur et humain comme Barbès, il agit et s'efface,--et il y a eu dans
certains journaux des éloges pour de certains éhontés qu'on a nommés à
de hauts grades en dépit des avertissements de la presse mieux
renseignée. Malheur! tout est souillé, tout tombe en dissolution. Le
mépris de l'opinion semble érigé en système.
26 janvier.
Encore une levée, celle des conscrits par anticipation. On a des hommes
à n'en savoir que faire, des hommes qu'il faut payer et nourrir, et qui
seront à peine bons pour se battre dans six mois; ils ne le seront
jamais, si on continue à ne pas les exercer et à ne les armer qu'au
moment de les conduire au feu. Mon troisième petit-neveu vient de
s'engager.
27.
Visites de jeunes officiers de mobilisés, enfants de nos amis du Gard.
Ils sont en garnison dans le pays on ne peut plus mal, et ne faisant
absolument rien, comme les autres. Châteauroux regorge de troupes de
toutes armes qui vont et viennent, on ne saura certainement jamais
pourquoi. A La Châtre, on a de temps en temps un passage annoncé; on
commande le pain, il reste au compte des boulangers. L'intendance a
toujours un règlement qui lui défend de payer. D'autres fois la troupe
arrive à l'improviste, on n'a reçu aucun avis, le pain manque.
Heureusement les habitants de La Châtre pratiquent l'hospitalité d'une
manière admirable; ils donnent le pain, la soupe, le vin, la viande à
discrétion: ils coucheraient sur la paille plutôt que de ne pas donner
de lit à leur hôte. Ils n'ont pas été épuisés; mais dans les villes à
bout de ressources les jeunes troupes souffrent parfois cruellement, et
on s'étonne de leur résignation. Le découragement s'en mêle. Subir tous
les maux d'une armée en campagne et ne recevoir depuis trois et quatre
mois aucune instruction militaire, c'est une étrange manière de servir
son pays en l'épuisant et s'épuisant soi-même.
Un peu de _fantaisie_ vient égayer un instant notre soirée, c'est une
histoire qui court le pays. Trois Prussiens (toujours trois!) ont envahi
le département, c'est-à-dire qu'ils en ont franchi la limite pour
demander de la bière et du tabac dans un cabaret. De plus, ils ont
demandé le nom de la localité. En apprenant qu'ils étaient dans l'Indre,
ils se sont retirés en toute hâte, disant qu'il leur était défendu d'y
entrer, et que ce département ne serait pas envahi à cause du château de
Valençay, le duc ayant obtenu de la Prusse, où ses enfants sont au
service du roi, qu'on respecterait ses propriétés.
Il y a déjà quelque temps que cette histoire court dans nos villages.
Les habitants de Valençay ont dit que si les Prussiens respectaient
seulement les biens de leur seigneur et ravageaient ceux du paysan, ils
brûleraient le château.
Il y a quelque chose qu'on dit être vrai au fond de ce roman, c'est que
le duc de Valençay aurait écrit de Berlin à son intendant d'emballer et
de faire partir les objets précieux, et que, peu après, il aurait donné
l'ordre de tout laisser en place. Qu'on lui ait promis en Prusse de
respecter son domaine seigneurial, cela est fort possible; mais que
cette promesse se soit étendue au département, c'est ce que nous ne
croirons jamais, malgré la confiance qu'elle inspire aux amateurs de
merveilleux.
28 janvier.
Lettres de Paris du 15. Morère est bien vivant, Dieu merci! Par une
chance inespérée, à cette date nous n'avions ni morts ni malades parmi
nos amis; mais depuis treize jours de bombardement, de froid et
peut-être de famine de plus!--Mon bon Plauchut m'écrit qu'il _mange sa
paillasse_, c'est-à-dire que le pain de Paris est fait de paille hachée.
Il me donne des nouvelles de tous ceux qui m'intéressent. Il m'en donne
aussi de mon pied-à-terre de Paris, qui a reçu un obus dans les reins.
Le 15, on jouait _François le Champi_ au profit d'une ambulance. Cette
pièce, jouée pour la première fois en 49, sous la République, a la
singulière destinée d'être jouée encore sous le bombardement. Une
bergerie!
Mes pauvres amis sont héroïques, ils ne veulent pas se plaindre, ils ne
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