Œuvres de Voltaire Tome XIX: Siècle de Louis XIV.—Tome I - 14
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endossé la cuirasse et fait la guerre eux-mêmes. Un évêque de Mende
avait été souvent intendant d’armées. Les papes menacèrent quelquefois
d’excommunication ces prêtres guerriers. Le pape Urbain VIII, fâché
contre la France, fit dire au cardinal de La Valette qu’il le
dépouillerait du cardinalat s’il ne quittait les armes; mais, réuni
avec la France, il le combla de bénédictions.
Les ambassadeurs, non moins ministres de paix que les ecclésiastiques,
ne fesaient nulle difficulté de servir dans les armées des puissances
alliées, auprès desquelles ils étaient employés. Charnacé, envoyé de
France en Hollande, y commandait un régiment en 1637, et depuis même
l’ambassadeur d’Estrades fut colonel à leur service.
La France n’avait en tout qu’environ quatre-vingt mille hommes
effectifs sur pied. La marine, anéantie depuis des siècles, rétablie un
peu par le cardinal de Richelieu, fut ruinée sous Mazarin. Louis XIII
n’avait qu’environ quarante-cinq millions réels de revenu ordinaire;
mais l’argent était à vingt-six livres le marc: ces quarante-cinq
millions revenaient à environ quatre-vingt-cinq millions de notre
temps, où la valeur arbitraire du marc d’argent monnayé est poussée
jusqu’à quarante-neuf livres et demie; celle de l’argent fin à
cinquante-quatre livres dix-sept sous; valeur que l’intérêt public et
la justice demandent qui ne soit jamais changée[388].
Le commerce, généralement répandu aujourd’hui, était en très peu de
mains; la police du royaume était entièrement négligée, preuve certaine
d’une administration peu heureuse. Le cardinal de Richelieu, occupé
de sa propre grandeur attachée à celle de l’état, avait commencé à
rendre la France formidable au-dehors, sans avoir encore pu la rendre
bien florissante au-dedans. Les grands chemins n’étaient ni réparés
ni gardés; les brigands les infestaient; les rues de Paris, étroites,
mal pavées, et couvertes d’immondices dégoûtantes, étaient remplies de
voleurs. On voit, par les registres du parlement, que le guet de cette
ville était réduit alors à quarante-cinq hommes mal payés, et qui même
ne servaient pas.
Depuis la mort de François II, la France avait été toujours ou déchirée
par des guerres civiles, ou troublée par des factions. Jamais le joug
n’avait été porté d’une manière paisible et volontaire. Les seigneurs
avaient été élevés dans les conspirations; c’était l’art de la cour,
comme celui de plaire au souverain l’a été depuis.
Cet esprit de discorde et de faction avait passé de la cour jusqu’aux
moindres villes, et possédait toutes les communautés du royaume: on
se disputait tout, parcequ’il n’y avait rien de réglé: il n’y avait
pas jusqu’aux paroisses de Paris qui n’en vinssent aux mains; les
processions se battaient les unes contre les autres pour l’honneur de
leurs bannières. On avait vu souvent les chanoines de Notre-Dame aux
prises avec ceux de la Sainte-Chapelle: le parlement et la chambre
des comptes s’étaient battus pour le pas dans l’église de Notre-Dame,
le jour que Louis XIII mit son royaume sous la protection de la vierge
Marie[389].
Presque toutes les communautés du royaume étaient armées; presque tous
les particuliers respiraient la fureur du duel. Cette barbarie gothique
autorisée autrefois par les rois mêmes, et devenue le caractère de
la nation, contribuait encore, autant que les guerres civiles et
étrangères, à dépeupler le pays. Ce n’est pas trop dire, que dans le
cours de vingt années, dont dix avaient été troublées par la guerre, il
était mort plus de gentilshommes français de la main des Français mêmes
que de celle des ennemis.
On ne dira rien ici de la manière dont les arts et les sciences étaient
cultivés; on trouvera cette partie de l’histoire de nos mœurs à sa
place. On remarquera seulement que la nation française était plongée
dans l’ignorance; sans excepter ceux qui croient n’être point peuple.
On consultait les astrologues, et on y croyait. Tous les mémoires
de ce temps-là, à commencer par l’_Histoire du président de Thou_,
sont remplis de prédictions. Le grave et sévère duc de Sulli rapporte
sérieusement celles qui furent faites à Henri IV. Cette crédulité, la
marque la plus infaillible de l’ignorance, était si accréditée qu’on
eut soin de tenir un astrologue[390] caché près de la chambre de la
reine Anne d’Autriche au moment de la naissance de Louis XIV.
Ce que l’on croira à peine, et ce qui est pourtant rapporté par l’abbé
Vittorio Siri, auteur contemporain très instruit, c’est que Louis XIII
eut dès son enfance le surnom de _Juste_, parcequ’il était né sous le
signe de la balance.
La même faiblesse, qui mettait en vogue cette chimère absurde de
l’astrologie judiciaire, fesait croire aux possessions et aux
sortiléges: on en fesait un point de religion; l’on ne voyait que
des prêtres qui conjuraient des démons. Les tribunaux, composés de
magistrats qui devaient être plus éclairés que le vulgaire, étaient
occupés à juger des sorciers. On reprochera toujours à la mémoire du
cardinal de Richelieu la mort de ce fameux curé de Loudun, Urbain
Grandier[391], condamné au feu comme magicien par une commission
du conseil. On s’indigne que le ministre et les juges aient eu la
faiblesse de croire aux diables de Loudun, ou la barbarie d’avoir fait
périr un innocent dans les flammes. On se souviendra avec étonnement
jusqu’à la dernière postérité que la maréchale d’Ancre fut brûlée en
place de Grève comme sorcière[392].
On voit encore, dans une copie de quelques registres du châtelet, un
procès commencé en 1610, au sujet d’un cheval qu’un maître industrieux
avait dressé à peu près de la manière dont nous avons vu des exemples à
la Foire; on voulait faire brûler et le maître et le cheval[393].
En voilà assez pour faire connaître en général les mœurs et l’esprit du
siècle qui précéda celui de Louis XIV.
Ce défaut de lumières dans tous les ordres de l’état fomentait chez
les plus honnêtes gens des pratiques superstitieuses qui déshonoraient
la religion. Les calvinistes, confondant avec le culte raisonnable
des catholiques les abus qu’on fesait de ce culte, n’en étaient que
plus affermis dans leur haine contre notre Église. Ils opposaient
à nos superstitions populaires, souvent remplies de débauches, une
dureté farouche et des mœurs féroces, caractère de presque tous les
réformateurs: ainsi l’esprit de parti déchirait et avilissait la
France; et l’esprit de société, qui rend aujourd’hui cette nation si
célèbre et si aimable, était absolument inconnu. Point de maisons où
les gens de mérite s’assemblassent pour se communiquer leurs lumières;
point d’académies, point de théâtres réguliers. Enfin, les mœurs,
les lois, les arts, la société, la religion, la paix, et la guerre,
n’avaient rien de ce qu’on vit depuis dans le siècle appelé le _siècle
de Louis XIV_.
CHAPITRE III.
Minorité de Louis XIV. Victoires des Français sous le grand Condé,
alors duc d’Enghien.
Le cardinal de Richelieu et Louis XIII venaient de mourir, l’un admiré
et haï, l’autre déjà oublié. Ils avaient laissé aux Français, alors
très inquiets, de l’aversion pour le nom seul du ministère, et peu de
respect pour le trône. Louis XIII, par son testament, établissait un
conseil de régence. Ce monarque, mal obéi pendant sa vie, se flatta
de l’être mieux après sa mort; mais la première démarche de sa veuve
Anne d’Autriche fut de faire annuler les volontés de son mari par un
arrêt du parlement de Paris. Ce corps, long-temps opposé à la cour,
et qui avait à peine conservé sous Louis XIII la liberté de faire des
remontrances, cassa le testament de son roi avec la même facilité qu’il
aurait jugé la cause d’un citoyen[394]. Anne d’Autriche s’adressa à
cette compagnie, pour avoir la régence illimitée, parceque Marie de
Médicis s’était servie du même tribunal après la mort de Henri IV; et
Marie de Médicis avait donné cet exemple, parceque toute autre voie eût
été longue et incertaine; que le parlement, entouré de ses gardes, ne
pouvait résister à ses volontés, et qu’un arrêt rendu au parlement et
par les pairs semblait assurer un droit incontestable.
L’usage qui donne la régence aux mères des rois parut donc alors aux
Français une loi presque aussi fondamentale que celle qui prive les
femmes de la couronne. Le parlement de Paris ayant décidé deux fois
cette question, c’est-à-dire ayant seul déclaré par des arrêts ce
droit des mères, parut en effet avoir donné la régence: il se regarda,
non sans quelque vraisemblance, comme le tuteur des rois, et chaque
conseiller crut être une partie de la souveraineté. Par le même arrêt,
Gaston, duc d’Orléans, jeune oncle du roi, eut le vain titre de
lieutenant-général du royaume sous la régente absolue.
Anne d’Autriche fut obligée d’abord de continuer la guerre contre le
roi d’Espagne, Philippe IV, son frère, qu’elle aimait. Il est difficile
de dire précisément pourquoi l’on fesait cette guerre; on ne demandait
rien à l’Espagne, pas même la Navarre, qui aurait dû être le patrimoine
des rois de France. On se battait depuis 1635 parceque le cardinal de
Richelieu l’avait voulu, et il est à croire qu’il l’avait voulu pour
se rendre nécessaire[395]. Il s’était lié contre l’empereur avec la
Suède, et avec le duc Bernard de Saxe-Veimar, l’un de ces généraux que
les Italiens nommaient _Condottieri_, c’est-à-dire qui vendaient leurs
troupes. Il attaquait aussi la branche autrichienne-espagnole dans
ces dix provinces que nous appelons en général du nom de Flandre; et
il avait partagé avec les Hollandais, alors nos alliés, cette Flandre
qu’on ne conquit point.
Le fort de la guerre était du côté de la Flandre; les troupes
espagnoles sortirent des frontières du Hainaut au nombre de vingt-six
mille hommes, sous la conduite d’un vieux général expérimenté, nommé
don Francisco de Mello. Ils vinrent ravager les frontières de la
Champagne; ils attaquèrent Rocroi, et ils crurent pénétrer bientôt
jusqu’aux portes de Paris, comme ils avaient fait huit ans auparavant.
La mort de Louis XIII, la faiblesse d’une minorité, relevaient leurs
espérances; et quand ils virent qu’on ne leur opposait qu’une armée
inférieure en nombre, commandée par un jeune homme de vingt-un ans,
leur espérance se changea en sécurité.
Ce jeune homme sans expérience, qu’ils méprisaient, était Louis de
Bourbon, alors duc d’Enghien, connu depuis sous le nom de grand
Condé. La plupart des grands capitaines sont devenus tels par degrés.
Ce prince était né général; l’art de la guerre semblait en lui un
instinct naturel: il n’y avait en Europe que lui et le Suédois
Torstenson qui eussent eu à vingt ans ce génie qui peut se passer de
l’expérience[396].
Le duc d’Enghien avait reçu, avec la nouvelle de la mort de Louis XIII,
l’ordre de ne point hasarder de bataille. Le maréchal de L’Hospital,
qui lui avait été donné pour le conseiller et pour le conduire,
secondait par sa circonspection ces ordres timides. Le prince ne crut
ni le maréchal ni la cour; il ne confia son dessein qu’à Gassion,
maréchal de camp, digne d’être consulté par lui; ils forcèrent le
maréchal à trouver la bataille nécessaire.
(19 mai 1643) On remarque que le prince, ayant tout réglé le soir,
veille de la bataille, s’endormit si profondément qu’il fallut le
réveiller pour combattre. On conte la même chose d’Alexandre. Il
est naturel qu’un jeune homme, épuisé des fatigues que demande
l’arrangement d’un si grand jour, tombe ensuite dans un sommeil
plein; il l’est aussi qu’un génie fait pour la guerre, agissant sans
inquiétude, laisse au corps assez de calme pour dormir. Le prince gagna
la bataille par lui-même, par un coup d’œil qui voyait à-la-fois
le danger et la ressource, par son activité exempte de trouble, qui
le portait à propos à tous les endroits. Ce fut lui qui, avec de la
cavalerie, attaqua cette infanterie espagnole jusque-là invincible,
aussi forte, aussi serrée que la phalange ancienne si estimée, et
qui s’ouvrait avec une agilité que la phalange n’avait pas, pour
laisser partir la décharge de dix-huit canons qu’elle renfermait au
milieu d’elle. Le prince l’entoura et l’attaqua trois fois. A peine
victorieux, il arrêta le carnage. Les officiers espagnols se jetaient
à ses genoux pour trouver auprès de lui un asile contre la fureur du
soldat vainqueur. Le duc d’Enghien eut autant de soin de les épargner,
qu’il en avait pris pour les vaincre.
Le vieux comte de Fuentes, qui commandait cette infanterie espagnole,
mourut percé de coups. Condé, en l’apprenant, dit «qu’il voudrait être
mort comme lui, s’il n’avait pas vaincu.»
Le respect qu’on avait en Europe pour les armées espagnoles se tourna
du côté des armées françaises, qui n’avaient point depuis cent ans
gagné de bataille si célèbre; car la sanglante journée de Marignan,
disputée plutôt que gagnée par François Iᵉʳ contre les Suisses, avait
été l’ouvrage des bandes noires allemandes autant que des troupes
françaises. Les journées de Pavie et de Saint-Quentin étaient encore
des époques fatales à la réputation de la France. Henri IV avait eu
le malheur de ne remporter des avantages mémorables que sur sa propre
nation. Sous Louis XIII, le maréchal de Guébriant avait eu de petits
succès, mais toujours balancés par des pertes. Les grandes batailles
qui ébranlent les états, et qui restent à jamais dans la mémoire des
hommes, n’avaient été livrées en ce temps que par Gustave-Adolphe.
Cette journée de Rocroi devint l’époque de la gloire française et de
celle de Condé. Il sut vaincre et profiter de la victoire. Ses lettres
à la cour firent résoudre le siége de Thionville, que le cardinal de
Richelieu n’avait pas osé hasarder; et au retour de ses courriers, tout
était déjà préparé pour cette expédition.
Le prince de Condé passa à travers le pays ennemi, trompa la vigilance
du général Beck, et prit enfin Thionville (8 août 1643). De là il
courut mettre le siége devant Syrck, et s’en rendit maître. Il fit
repasser le Rhin aux Allemands; il le passa après eux; il courut
réparer les pertes et les défaites que les Français avaient essuyées
sur ces frontières après la mort du maréchal de Guébriant. Il trouva
Fribourg pris, et le général Merci sous ses murs avec une armée
supérieure encore à la sienne. Condé avait sous lui deux maréchaux de
France, dont l’un était Grammont, et l’autre ce Turenne, fait maréchal
depuis peu de mois, après avoir servi heureusement en Piémont contre
les Espagnols. Il jetait alors les fondements de la grande réputation
qu’il eut depuis. Le prince, avec ces deux généraux, attaqua le camp
de Merci, retranché sur deux éminences. (31 août 1644) Le combat
recommença trois fois, à trois jours différents[397]. On dit que le
duc d’Enghien jeta son bâton de commandement dans les retranchements
des ennemis, et marcha pour le reprendre, l’épée à la main, à la tête
du régiment de Conti. Il fallait peut-être des actions aussi hardies
pour mener les troupes à des attaques si difficiles. Cette bataille
de Fribourg, plus meurtrière que décisive, fut la seconde victoire de
ce prince. Merci décampa quatre jours après. Philipsbourg et Mayence
rendus furent la preuve et le fruit de la victoire.
Le duc d’Enghien retourne à Paris, reçoit les acclamations du peuple,
et demande des récompenses à la cour; il laisse son armée au prince
maréchal de Turenne. Mais ce général, tout habile qu’il est déjà, est
battu à Mariendal. (Avril 1645) Le prince revole à l’armée, reprend le
commandement, et joint à la gloire de commander encore Turenne celle de
réparer sa défaite. Il attaque Merci dans les plaines de Nordlingen.
Il y gagne une bataille complète (3 août 1645), le maréchal de
Grammont y est pris; mais le général Glen, qui commandait sous Merci,
est fait prisonnier, et Merci est au nombre des morts. Ce général
regardé comme un des plus grands capitaines, fut enterré près du champ
de bataille; et on grava sur sa tombe, STA, VIATOR; HEROEM CALCAS:
_Arrête, voyageur; tu foules un héros_. Cette bataille mit le comble à
la gloire de Condé, et fit celle de Turenne, qui eut l’honneur d’aider
puissamment le prince à remporter une victoire dont il pouvait être
humilié. Peut-être ne fut-il jamais si grand qu’en servant ainsi celui
dont il fut depuis l’émule et le vainqueur.
Le nom du duc d’Enghien éclipsait alors tous les autres noms. (7
octobre 1646) Il assiégea ensuite Dunkerque, à la vue de l’armée
espagnole, et il fut le premier qui donna cette place à la France.
Tant de succès et de services, moins récompensés que suspects à la
cour, le fesaient craindre du ministère autant que des ennemis. On le
tira du théâtre de ses conquêtes et de sa gloire, et on l’envoya en
Catalogne avec de mauvaises troupes mal payées; il assiégea Lérida, et
fut obligé de lever le siége (1647). On l’accuse, dans quelques livres,
de fanfaronnade, pour avoir ouvert la tranchée avec des violons. On ne
savait pas que c’était l’usage en Espagne.
Bientôt les affaires chancelantes forcèrent la cour de rappeler
Condé[398] en Flandre. L’archiduc Léopold, frère de l’empereur
Ferdinand III, assiégeait Lens en Artois. Condé, rendu à ses troupes
qui avaient toujours vaincu sous lui, les mena droit à l’archiduc.
C’était pour la troisième fois qu’il donnait bataille avec le
désavantage du nombre. Il dit à ses soldats ces seules paroles: «Amis,
souvenez-vous de Rocroi, de Fribourg, et de Nordlingen.»
(10 août 1648) Il dégagea lui-même le maréchal de Grammont, qui pliait
avec l’aile gauche; il prit le général Beck. L’archiduc se sauva à
peine avec le comte de Fuensaldagne. Les Impériaux et les Espagnols,
qui composaient cette armée, furent dissipés; ils perdirent plus de
cent drapeaux, et trente-huit pièces de canon, ce qui était alors très
considérable. On leur fit cinq mille prisonniers, on leur tua trois
mille hommes, le reste déserta, et l’archiduc demeura sans armée.
Ceux qui veulent véritablement s’instruire peuvent remarquer que,
depuis la fondation de la monarchie, jamais les Français n’avaient
gagné de suite tant de batailles, et de si glorieuses par la conduite
et par le courage.
Tandis que le prince de Condé comptait ainsi les années de sa jeunesse
par des victoires, et que le duc d’Orléans, frère de Louis XIII, avait
aussi soutenu la réputation d’un fils de Henri IV et celle de la France
par la prise de Gravelines (juillet 1644), par celle de Courtrai et de
Mardick (novembre 1644)[399], le vicomte de Turenne avait pris Landau;
il avait chassé les Espagnols de Trèves, et rétabli l’électeur.
(Novembre 1647) Il gagna avec les Suédois la bataille de Lavingen,
celle de Sommerhausen, et contraignit le duc de Bavière à sortir de ses
états à l’âge de près de quatre-vingts ans. (1645) Le comte d’Harcourt
prit Balaguer, et battit les Espagnols. Ils perdirent en Italie
Porto-Longone (1646). Vingt vaisseaux et vingt galères de France, qui
composaient presque toute la marine rétablie par Richelieu, battirent
la flotte espagnole sur la côte d’Italie.
Ce n’était pas tout; les armes françaises avaient encore envahi la
Lorraine sur le duc Charles IV, prince guerrier, mais inconstant,
imprudent, et malheureux, qui se vit à-la-fois dépouillé de son état
par la France, et retenu prisonnier par les Espagnols. Les alliés de
la France pressaient la puissance autrichienne au midi et au nord.
Le duc d’Albuquerque, général des Portugais, gagna (mai 1644) contre
l’Espagne la bataille de Badajoz. Torstenson défit les Impériaux près
de Tabor (mars 1645), et remporta une victoire complète. Le prince
d’Orange, à la tête des Hollandais, pénétra jusque dans le Brabant.
Le roi d’Espagne, battu de tous côtés, voyait le Roussillon et la
Catalogne entre les mains des Français. Naples, révoltée contre lui,
venait de se donner au duc de Guise, dernier prince de cette branche
d’une maison si féconde en hommes illustres et dangereux. Celui-ci, qui
ne passa que pour un aventurier audacieux, parcequ’il ne réussit pas,
avait eu du moins la gloire d’aborder seul dans une barque au milieu de
la flotte d’Espagne, et de défendre Naples, sans autre secours que son
courage.
A voir tant de malheurs qui fondaient sur la maison d’Autriche, tant de
victoires accumulées par les Français, et secondées des succès de leurs
alliés, on croirait que Vienne et Madrid n’attendaient que le moment
d’ouvrir leurs portes, et que l’empereur et le roi d’Espagne étaient
presque sans états. Cependant cinq années de gloire, à peine traversées
par quelques revers, ne produisirent que très peu d’avantages réels,
beaucoup de sang répandu, et nulle révolution. S’il y en eut une à
craindre, ce fut pour la France; elle touchait à sa ruine au milieu de
ces prospérités apparentes.
CHAPITRE IV.
Guerre civile.
La reine Anne d’Autriche, régente absolue, avait fait du cardinal
Mazarin le maître de la France, et le sien. Il avait sur elle cet
empire qu’un homme adroit devait avoir sur une femme née avec assez de
faiblesse pour être dominée, et avec assez de fermeté pour persister
dans son choix.
On lit dans quelques mémoires de ces temps-là que la reine ne donna
sa confiance à Mazarin qu’au défaut de Potier, évêque de Beauvais,
qu’elle avait d’abord choisi pour son ministre. On peint cet évêque
comme un homme incapable: il est à croire qu’il l’était, et que la
reine ne s’en était servie quelque temps que comme d’un fantôme, pour
ne pas effaroucher d’abord la nation par le choix d’un second cardinal
et d’un étranger. Mais ce qu’on ne doit pas croire, c’est que Potier
eût commencé son ministère passager par déclarer aux Hollandais «qu’il
fallait qu’ils se fissent catholiques s’ils voulaient demeurer dans
l’alliance de la France.» Il aurait donc dû faire la même proposition
aux Suédois. Presque tous les historiens rapportent cette absurdité,
parcequ’ils l’ont lue dans les mémoires des courtisans et des
frondeurs. Il n’y a que trop de traits dans ces mémoires, ou falsifiés
par la passion, ou rapportés sur des bruits populaires. Le puéril
ne doit pas être cité, et l’absurde ne peut être cru. Il est très
vraisemblable que le cardinal Mazarin était ministre désigné depuis
long-temps dans l’esprit de la reine, et même du vivant de Louis XIII.
On ne peut en douter quand on a lu les _Mémoires_ de La Porte, premier
valet de chambre d’Anne d’Autriche. Les subalternes, témoins de tout
l’intérieur d’une cour, savent des choses que les parlements et les
chefs de parti même ignorent, ou ne font que soupçonner[400].
Mazarin usa d’abord avec modération de sa puissance. Il faudrait avoir
vécu long-temps avec un ministre pour peindre son caractère, pour dire
quel degré de courage ou de faiblesse il avait dans l’esprit, à quel
point il était ou prudent ou fourbe. Ainsi, sans vouloir deviner ce
qu’était Mazarin, on dira seulement ce qu’il fit. Il affecta, dans
les commencements de sa grandeur, autant de simplicité que Richelieu
avait déployé de hauteur. Loin de prendre des gardes et de marcher
avec un faste royal, il eut d’abord le train le plus modeste; il mit
de l’affabilité et même de la mollesse partout où son prédécesseur
avait fait paraître une fierté inflexible. La reine voulait faire
aimer sa régence et sa personne de la cour et des peuples, et elle y
réussissait. Gaston, duc d’Orléans, frère de Louis XIII, et le prince
de Condé, appuyaient son pouvoir, et n’avaient d’émulation que pour
servir l’état.
Il fallait des impôts pour soutenir la guerre contre l’Espagne et
contre l’empereur. Les finances en France étaient, depuis la mort du
grand Henri IV, aussi mal administrées qu’en Espagne et en Allemagne.
La régie était un chaos; l’ignorance extrême; le brigandage au comble:
mais ce brigandage ne s’étendait pas sur des objets aussi considérables
qu’aujourd’hui. L’état était huit fois moins endetté[401]; on n’avait
point des armées de deux cent mille hommes à soudoyer, point de
subsides immenses à payer, point de guerre maritime à soutenir. Les
revenus de l’état montaient, dans les premières années de la régence,
à près de soixante et quinze millions de livres de ce temps. C’était
assez s’il y avait eu de l’économie dans le ministère: mais en 1646 et
47 on eut besoin de nouveaux secours. Le surintendant était alors un
paysan siennois, nommé Particelli Émeri, dont l’ame était plus basse
que la naissance, et dont le faste et les débauches indignaient la
nation[402]. Cet homme inventait des ressources onéreuses et ridicules.
Il créa des charges de contrôleurs de fagots, de jurés vendeurs de
foin, de conseillers du roi crieurs de vin; il vendait des lettres de
noblesse. Les rentes sur l’hôtel de ville de Paris ne se montaient
alors qu’à près d’onze millions. On retrancha quelques quartiers aux
rentiers; on augmenta les droits d’entrée; on créa quelques charges
de maîtres des requêtes; on retint environ quatre-vingt mille écus de
gages aux magistrats.
Il est aisé de juger combien les esprits furent soulevés contre deux
Italiens, venus tous deux en France sans fortune, enrichis aux dépens
de la nation, et qui donnaient tant de prise sur eux. Le parlement
de Paris, les maîtres des requêtes, les autres cours, les rentiers
s’ameutèrent. En vain Mazarin ôta la surintendance à son confident
Émeri, et le relégua dans une de ses terres: on s’indignait encore que
cet homme eût des terres en France, et on eut le cardinal Mazarin en
horreur, quoique, dans ce temps-là même, il consommât le grand ouvrage
de la paix de Munster: car il faut bien remarquer que ce fameux traité
et les barricades sont de la même année 1648.
Les guerres civiles commencèrent à Paris comme elles avaient commencé à
Londres, pour un peu d’argent.
(1647) Le parlement de Paris, en possession de vérifier les édits de
ces taxes, s’opposa vivement aux nouveaux édits; il acquit la confiance
des peuples par les contradictions dont il fatigua le ministère.
On ne commença pas d’abord par la révolte; les esprits ne s’aigrirent
et ne s’enhardirent que par degrés. La populace peut d’abord courir aux
armes, et se choisir un chef, comme on avait fait à Naples[403]: mais
des magistrats, des hommes d’état procèdent avec plus de maturité, et
commencent par observer les bienséances, autant que l’esprit de parti
peut le permettre.
Le cardinal Mazarin avait cru qu’en divisant adroitement la
magistrature, il préviendrait tous les troubles; mais on opposa
l’inflexibilité à la souplesse. Il retranchait quatre années de
gages à toutes les cours supérieures, en leur remettant la paulette,
c’est-à-dire en les exemptant de payer la taxe inventée par Paulet[404]
sous Henri IV, pour s’assurer la propriété de leurs charges. Ce
retranchement n’était pas une lésion, mais il conservait les quatre
années au parlement, pensant le désarmer par cette faveur. Le parlement
méprisa cette grace qui l’exposait au reproche de préférer son intérêt
à celui des autres compagnies. (1648) Il n’en donna pas moins son arrêt
d’union[405] avec les autres cours de justice. Mazarin, qui n’avait
jamais bien pu prononcer le français, ayant dit que cet arrêt d’_ognon_
était attentatoire, et l’ayant fait casser par le conseil, ce seul mot
d’_ognon_ le rendit ridicule; et, comme on ne cède jamais à ceux qu’on
méprise, le parlement en devint plus entreprenant.
Il demanda hautement qu’on révoquât tous les intendants, regardés par
le peuple comme des exacteurs, et qu’on abolît cette magistrature de
nouvelle espèce, instituée sous Louis XIII sans l’appareil des formes
ordinaires; c’était plaire à la nation autant qu’irriter la cour. Il
voulait que, selon les anciennes lois, aucun citoyen ne fût mis en
prison, sans que ses juges naturels en connussent dans les vingt-quatre
heures; et rien ne paraissait si juste.
Le parlement fit plus; il abolit (14 mai 1648) les intendants par un
arrêt, avec ordre aux procureurs du roi de son ressort d’informer
contre eux.
Ainsi la haine contre le ministre, appuyée de l’amour du bien public,
menaçait la cour d’une révolution. La reine céda; elle offrit de casser
les intendants, et demanda seulement qu’on lui en laissât trois: elle
fut refusée.
(20 août 1648) Pendant que ces troubles commençaient, le prince de
Condé remporta la célèbre victoire de Lens, qui mettait le comble
à sa gloire. Le roi, qui n’avait alors que dix ans, s’écria: _Le
avait été souvent intendant d’armées. Les papes menacèrent quelquefois
d’excommunication ces prêtres guerriers. Le pape Urbain VIII, fâché
contre la France, fit dire au cardinal de La Valette qu’il le
dépouillerait du cardinalat s’il ne quittait les armes; mais, réuni
avec la France, il le combla de bénédictions.
Les ambassadeurs, non moins ministres de paix que les ecclésiastiques,
ne fesaient nulle difficulté de servir dans les armées des puissances
alliées, auprès desquelles ils étaient employés. Charnacé, envoyé de
France en Hollande, y commandait un régiment en 1637, et depuis même
l’ambassadeur d’Estrades fut colonel à leur service.
La France n’avait en tout qu’environ quatre-vingt mille hommes
effectifs sur pied. La marine, anéantie depuis des siècles, rétablie un
peu par le cardinal de Richelieu, fut ruinée sous Mazarin. Louis XIII
n’avait qu’environ quarante-cinq millions réels de revenu ordinaire;
mais l’argent était à vingt-six livres le marc: ces quarante-cinq
millions revenaient à environ quatre-vingt-cinq millions de notre
temps, où la valeur arbitraire du marc d’argent monnayé est poussée
jusqu’à quarante-neuf livres et demie; celle de l’argent fin à
cinquante-quatre livres dix-sept sous; valeur que l’intérêt public et
la justice demandent qui ne soit jamais changée[388].
Le commerce, généralement répandu aujourd’hui, était en très peu de
mains; la police du royaume était entièrement négligée, preuve certaine
d’une administration peu heureuse. Le cardinal de Richelieu, occupé
de sa propre grandeur attachée à celle de l’état, avait commencé à
rendre la France formidable au-dehors, sans avoir encore pu la rendre
bien florissante au-dedans. Les grands chemins n’étaient ni réparés
ni gardés; les brigands les infestaient; les rues de Paris, étroites,
mal pavées, et couvertes d’immondices dégoûtantes, étaient remplies de
voleurs. On voit, par les registres du parlement, que le guet de cette
ville était réduit alors à quarante-cinq hommes mal payés, et qui même
ne servaient pas.
Depuis la mort de François II, la France avait été toujours ou déchirée
par des guerres civiles, ou troublée par des factions. Jamais le joug
n’avait été porté d’une manière paisible et volontaire. Les seigneurs
avaient été élevés dans les conspirations; c’était l’art de la cour,
comme celui de plaire au souverain l’a été depuis.
Cet esprit de discorde et de faction avait passé de la cour jusqu’aux
moindres villes, et possédait toutes les communautés du royaume: on
se disputait tout, parcequ’il n’y avait rien de réglé: il n’y avait
pas jusqu’aux paroisses de Paris qui n’en vinssent aux mains; les
processions se battaient les unes contre les autres pour l’honneur de
leurs bannières. On avait vu souvent les chanoines de Notre-Dame aux
prises avec ceux de la Sainte-Chapelle: le parlement et la chambre
des comptes s’étaient battus pour le pas dans l’église de Notre-Dame,
le jour que Louis XIII mit son royaume sous la protection de la vierge
Marie[389].
Presque toutes les communautés du royaume étaient armées; presque tous
les particuliers respiraient la fureur du duel. Cette barbarie gothique
autorisée autrefois par les rois mêmes, et devenue le caractère de
la nation, contribuait encore, autant que les guerres civiles et
étrangères, à dépeupler le pays. Ce n’est pas trop dire, que dans le
cours de vingt années, dont dix avaient été troublées par la guerre, il
était mort plus de gentilshommes français de la main des Français mêmes
que de celle des ennemis.
On ne dira rien ici de la manière dont les arts et les sciences étaient
cultivés; on trouvera cette partie de l’histoire de nos mœurs à sa
place. On remarquera seulement que la nation française était plongée
dans l’ignorance; sans excepter ceux qui croient n’être point peuple.
On consultait les astrologues, et on y croyait. Tous les mémoires
de ce temps-là, à commencer par l’_Histoire du président de Thou_,
sont remplis de prédictions. Le grave et sévère duc de Sulli rapporte
sérieusement celles qui furent faites à Henri IV. Cette crédulité, la
marque la plus infaillible de l’ignorance, était si accréditée qu’on
eut soin de tenir un astrologue[390] caché près de la chambre de la
reine Anne d’Autriche au moment de la naissance de Louis XIV.
Ce que l’on croira à peine, et ce qui est pourtant rapporté par l’abbé
Vittorio Siri, auteur contemporain très instruit, c’est que Louis XIII
eut dès son enfance le surnom de _Juste_, parcequ’il était né sous le
signe de la balance.
La même faiblesse, qui mettait en vogue cette chimère absurde de
l’astrologie judiciaire, fesait croire aux possessions et aux
sortiléges: on en fesait un point de religion; l’on ne voyait que
des prêtres qui conjuraient des démons. Les tribunaux, composés de
magistrats qui devaient être plus éclairés que le vulgaire, étaient
occupés à juger des sorciers. On reprochera toujours à la mémoire du
cardinal de Richelieu la mort de ce fameux curé de Loudun, Urbain
Grandier[391], condamné au feu comme magicien par une commission
du conseil. On s’indigne que le ministre et les juges aient eu la
faiblesse de croire aux diables de Loudun, ou la barbarie d’avoir fait
périr un innocent dans les flammes. On se souviendra avec étonnement
jusqu’à la dernière postérité que la maréchale d’Ancre fut brûlée en
place de Grève comme sorcière[392].
On voit encore, dans une copie de quelques registres du châtelet, un
procès commencé en 1610, au sujet d’un cheval qu’un maître industrieux
avait dressé à peu près de la manière dont nous avons vu des exemples à
la Foire; on voulait faire brûler et le maître et le cheval[393].
En voilà assez pour faire connaître en général les mœurs et l’esprit du
siècle qui précéda celui de Louis XIV.
Ce défaut de lumières dans tous les ordres de l’état fomentait chez
les plus honnêtes gens des pratiques superstitieuses qui déshonoraient
la religion. Les calvinistes, confondant avec le culte raisonnable
des catholiques les abus qu’on fesait de ce culte, n’en étaient que
plus affermis dans leur haine contre notre Église. Ils opposaient
à nos superstitions populaires, souvent remplies de débauches, une
dureté farouche et des mœurs féroces, caractère de presque tous les
réformateurs: ainsi l’esprit de parti déchirait et avilissait la
France; et l’esprit de société, qui rend aujourd’hui cette nation si
célèbre et si aimable, était absolument inconnu. Point de maisons où
les gens de mérite s’assemblassent pour se communiquer leurs lumières;
point d’académies, point de théâtres réguliers. Enfin, les mœurs,
les lois, les arts, la société, la religion, la paix, et la guerre,
n’avaient rien de ce qu’on vit depuis dans le siècle appelé le _siècle
de Louis XIV_.
CHAPITRE III.
Minorité de Louis XIV. Victoires des Français sous le grand Condé,
alors duc d’Enghien.
Le cardinal de Richelieu et Louis XIII venaient de mourir, l’un admiré
et haï, l’autre déjà oublié. Ils avaient laissé aux Français, alors
très inquiets, de l’aversion pour le nom seul du ministère, et peu de
respect pour le trône. Louis XIII, par son testament, établissait un
conseil de régence. Ce monarque, mal obéi pendant sa vie, se flatta
de l’être mieux après sa mort; mais la première démarche de sa veuve
Anne d’Autriche fut de faire annuler les volontés de son mari par un
arrêt du parlement de Paris. Ce corps, long-temps opposé à la cour,
et qui avait à peine conservé sous Louis XIII la liberté de faire des
remontrances, cassa le testament de son roi avec la même facilité qu’il
aurait jugé la cause d’un citoyen[394]. Anne d’Autriche s’adressa à
cette compagnie, pour avoir la régence illimitée, parceque Marie de
Médicis s’était servie du même tribunal après la mort de Henri IV; et
Marie de Médicis avait donné cet exemple, parceque toute autre voie eût
été longue et incertaine; que le parlement, entouré de ses gardes, ne
pouvait résister à ses volontés, et qu’un arrêt rendu au parlement et
par les pairs semblait assurer un droit incontestable.
L’usage qui donne la régence aux mères des rois parut donc alors aux
Français une loi presque aussi fondamentale que celle qui prive les
femmes de la couronne. Le parlement de Paris ayant décidé deux fois
cette question, c’est-à-dire ayant seul déclaré par des arrêts ce
droit des mères, parut en effet avoir donné la régence: il se regarda,
non sans quelque vraisemblance, comme le tuteur des rois, et chaque
conseiller crut être une partie de la souveraineté. Par le même arrêt,
Gaston, duc d’Orléans, jeune oncle du roi, eut le vain titre de
lieutenant-général du royaume sous la régente absolue.
Anne d’Autriche fut obligée d’abord de continuer la guerre contre le
roi d’Espagne, Philippe IV, son frère, qu’elle aimait. Il est difficile
de dire précisément pourquoi l’on fesait cette guerre; on ne demandait
rien à l’Espagne, pas même la Navarre, qui aurait dû être le patrimoine
des rois de France. On se battait depuis 1635 parceque le cardinal de
Richelieu l’avait voulu, et il est à croire qu’il l’avait voulu pour
se rendre nécessaire[395]. Il s’était lié contre l’empereur avec la
Suède, et avec le duc Bernard de Saxe-Veimar, l’un de ces généraux que
les Italiens nommaient _Condottieri_, c’est-à-dire qui vendaient leurs
troupes. Il attaquait aussi la branche autrichienne-espagnole dans
ces dix provinces que nous appelons en général du nom de Flandre; et
il avait partagé avec les Hollandais, alors nos alliés, cette Flandre
qu’on ne conquit point.
Le fort de la guerre était du côté de la Flandre; les troupes
espagnoles sortirent des frontières du Hainaut au nombre de vingt-six
mille hommes, sous la conduite d’un vieux général expérimenté, nommé
don Francisco de Mello. Ils vinrent ravager les frontières de la
Champagne; ils attaquèrent Rocroi, et ils crurent pénétrer bientôt
jusqu’aux portes de Paris, comme ils avaient fait huit ans auparavant.
La mort de Louis XIII, la faiblesse d’une minorité, relevaient leurs
espérances; et quand ils virent qu’on ne leur opposait qu’une armée
inférieure en nombre, commandée par un jeune homme de vingt-un ans,
leur espérance se changea en sécurité.
Ce jeune homme sans expérience, qu’ils méprisaient, était Louis de
Bourbon, alors duc d’Enghien, connu depuis sous le nom de grand
Condé. La plupart des grands capitaines sont devenus tels par degrés.
Ce prince était né général; l’art de la guerre semblait en lui un
instinct naturel: il n’y avait en Europe que lui et le Suédois
Torstenson qui eussent eu à vingt ans ce génie qui peut se passer de
l’expérience[396].
Le duc d’Enghien avait reçu, avec la nouvelle de la mort de Louis XIII,
l’ordre de ne point hasarder de bataille. Le maréchal de L’Hospital,
qui lui avait été donné pour le conseiller et pour le conduire,
secondait par sa circonspection ces ordres timides. Le prince ne crut
ni le maréchal ni la cour; il ne confia son dessein qu’à Gassion,
maréchal de camp, digne d’être consulté par lui; ils forcèrent le
maréchal à trouver la bataille nécessaire.
(19 mai 1643) On remarque que le prince, ayant tout réglé le soir,
veille de la bataille, s’endormit si profondément qu’il fallut le
réveiller pour combattre. On conte la même chose d’Alexandre. Il
est naturel qu’un jeune homme, épuisé des fatigues que demande
l’arrangement d’un si grand jour, tombe ensuite dans un sommeil
plein; il l’est aussi qu’un génie fait pour la guerre, agissant sans
inquiétude, laisse au corps assez de calme pour dormir. Le prince gagna
la bataille par lui-même, par un coup d’œil qui voyait à-la-fois
le danger et la ressource, par son activité exempte de trouble, qui
le portait à propos à tous les endroits. Ce fut lui qui, avec de la
cavalerie, attaqua cette infanterie espagnole jusque-là invincible,
aussi forte, aussi serrée que la phalange ancienne si estimée, et
qui s’ouvrait avec une agilité que la phalange n’avait pas, pour
laisser partir la décharge de dix-huit canons qu’elle renfermait au
milieu d’elle. Le prince l’entoura et l’attaqua trois fois. A peine
victorieux, il arrêta le carnage. Les officiers espagnols se jetaient
à ses genoux pour trouver auprès de lui un asile contre la fureur du
soldat vainqueur. Le duc d’Enghien eut autant de soin de les épargner,
qu’il en avait pris pour les vaincre.
Le vieux comte de Fuentes, qui commandait cette infanterie espagnole,
mourut percé de coups. Condé, en l’apprenant, dit «qu’il voudrait être
mort comme lui, s’il n’avait pas vaincu.»
Le respect qu’on avait en Europe pour les armées espagnoles se tourna
du côté des armées françaises, qui n’avaient point depuis cent ans
gagné de bataille si célèbre; car la sanglante journée de Marignan,
disputée plutôt que gagnée par François Iᵉʳ contre les Suisses, avait
été l’ouvrage des bandes noires allemandes autant que des troupes
françaises. Les journées de Pavie et de Saint-Quentin étaient encore
des époques fatales à la réputation de la France. Henri IV avait eu
le malheur de ne remporter des avantages mémorables que sur sa propre
nation. Sous Louis XIII, le maréchal de Guébriant avait eu de petits
succès, mais toujours balancés par des pertes. Les grandes batailles
qui ébranlent les états, et qui restent à jamais dans la mémoire des
hommes, n’avaient été livrées en ce temps que par Gustave-Adolphe.
Cette journée de Rocroi devint l’époque de la gloire française et de
celle de Condé. Il sut vaincre et profiter de la victoire. Ses lettres
à la cour firent résoudre le siége de Thionville, que le cardinal de
Richelieu n’avait pas osé hasarder; et au retour de ses courriers, tout
était déjà préparé pour cette expédition.
Le prince de Condé passa à travers le pays ennemi, trompa la vigilance
du général Beck, et prit enfin Thionville (8 août 1643). De là il
courut mettre le siége devant Syrck, et s’en rendit maître. Il fit
repasser le Rhin aux Allemands; il le passa après eux; il courut
réparer les pertes et les défaites que les Français avaient essuyées
sur ces frontières après la mort du maréchal de Guébriant. Il trouva
Fribourg pris, et le général Merci sous ses murs avec une armée
supérieure encore à la sienne. Condé avait sous lui deux maréchaux de
France, dont l’un était Grammont, et l’autre ce Turenne, fait maréchal
depuis peu de mois, après avoir servi heureusement en Piémont contre
les Espagnols. Il jetait alors les fondements de la grande réputation
qu’il eut depuis. Le prince, avec ces deux généraux, attaqua le camp
de Merci, retranché sur deux éminences. (31 août 1644) Le combat
recommença trois fois, à trois jours différents[397]. On dit que le
duc d’Enghien jeta son bâton de commandement dans les retranchements
des ennemis, et marcha pour le reprendre, l’épée à la main, à la tête
du régiment de Conti. Il fallait peut-être des actions aussi hardies
pour mener les troupes à des attaques si difficiles. Cette bataille
de Fribourg, plus meurtrière que décisive, fut la seconde victoire de
ce prince. Merci décampa quatre jours après. Philipsbourg et Mayence
rendus furent la preuve et le fruit de la victoire.
Le duc d’Enghien retourne à Paris, reçoit les acclamations du peuple,
et demande des récompenses à la cour; il laisse son armée au prince
maréchal de Turenne. Mais ce général, tout habile qu’il est déjà, est
battu à Mariendal. (Avril 1645) Le prince revole à l’armée, reprend le
commandement, et joint à la gloire de commander encore Turenne celle de
réparer sa défaite. Il attaque Merci dans les plaines de Nordlingen.
Il y gagne une bataille complète (3 août 1645), le maréchal de
Grammont y est pris; mais le général Glen, qui commandait sous Merci,
est fait prisonnier, et Merci est au nombre des morts. Ce général
regardé comme un des plus grands capitaines, fut enterré près du champ
de bataille; et on grava sur sa tombe, STA, VIATOR; HEROEM CALCAS:
_Arrête, voyageur; tu foules un héros_. Cette bataille mit le comble à
la gloire de Condé, et fit celle de Turenne, qui eut l’honneur d’aider
puissamment le prince à remporter une victoire dont il pouvait être
humilié. Peut-être ne fut-il jamais si grand qu’en servant ainsi celui
dont il fut depuis l’émule et le vainqueur.
Le nom du duc d’Enghien éclipsait alors tous les autres noms. (7
octobre 1646) Il assiégea ensuite Dunkerque, à la vue de l’armée
espagnole, et il fut le premier qui donna cette place à la France.
Tant de succès et de services, moins récompensés que suspects à la
cour, le fesaient craindre du ministère autant que des ennemis. On le
tira du théâtre de ses conquêtes et de sa gloire, et on l’envoya en
Catalogne avec de mauvaises troupes mal payées; il assiégea Lérida, et
fut obligé de lever le siége (1647). On l’accuse, dans quelques livres,
de fanfaronnade, pour avoir ouvert la tranchée avec des violons. On ne
savait pas que c’était l’usage en Espagne.
Bientôt les affaires chancelantes forcèrent la cour de rappeler
Condé[398] en Flandre. L’archiduc Léopold, frère de l’empereur
Ferdinand III, assiégeait Lens en Artois. Condé, rendu à ses troupes
qui avaient toujours vaincu sous lui, les mena droit à l’archiduc.
C’était pour la troisième fois qu’il donnait bataille avec le
désavantage du nombre. Il dit à ses soldats ces seules paroles: «Amis,
souvenez-vous de Rocroi, de Fribourg, et de Nordlingen.»
(10 août 1648) Il dégagea lui-même le maréchal de Grammont, qui pliait
avec l’aile gauche; il prit le général Beck. L’archiduc se sauva à
peine avec le comte de Fuensaldagne. Les Impériaux et les Espagnols,
qui composaient cette armée, furent dissipés; ils perdirent plus de
cent drapeaux, et trente-huit pièces de canon, ce qui était alors très
considérable. On leur fit cinq mille prisonniers, on leur tua trois
mille hommes, le reste déserta, et l’archiduc demeura sans armée.
Ceux qui veulent véritablement s’instruire peuvent remarquer que,
depuis la fondation de la monarchie, jamais les Français n’avaient
gagné de suite tant de batailles, et de si glorieuses par la conduite
et par le courage.
Tandis que le prince de Condé comptait ainsi les années de sa jeunesse
par des victoires, et que le duc d’Orléans, frère de Louis XIII, avait
aussi soutenu la réputation d’un fils de Henri IV et celle de la France
par la prise de Gravelines (juillet 1644), par celle de Courtrai et de
Mardick (novembre 1644)[399], le vicomte de Turenne avait pris Landau;
il avait chassé les Espagnols de Trèves, et rétabli l’électeur.
(Novembre 1647) Il gagna avec les Suédois la bataille de Lavingen,
celle de Sommerhausen, et contraignit le duc de Bavière à sortir de ses
états à l’âge de près de quatre-vingts ans. (1645) Le comte d’Harcourt
prit Balaguer, et battit les Espagnols. Ils perdirent en Italie
Porto-Longone (1646). Vingt vaisseaux et vingt galères de France, qui
composaient presque toute la marine rétablie par Richelieu, battirent
la flotte espagnole sur la côte d’Italie.
Ce n’était pas tout; les armes françaises avaient encore envahi la
Lorraine sur le duc Charles IV, prince guerrier, mais inconstant,
imprudent, et malheureux, qui se vit à-la-fois dépouillé de son état
par la France, et retenu prisonnier par les Espagnols. Les alliés de
la France pressaient la puissance autrichienne au midi et au nord.
Le duc d’Albuquerque, général des Portugais, gagna (mai 1644) contre
l’Espagne la bataille de Badajoz. Torstenson défit les Impériaux près
de Tabor (mars 1645), et remporta une victoire complète. Le prince
d’Orange, à la tête des Hollandais, pénétra jusque dans le Brabant.
Le roi d’Espagne, battu de tous côtés, voyait le Roussillon et la
Catalogne entre les mains des Français. Naples, révoltée contre lui,
venait de se donner au duc de Guise, dernier prince de cette branche
d’une maison si féconde en hommes illustres et dangereux. Celui-ci, qui
ne passa que pour un aventurier audacieux, parcequ’il ne réussit pas,
avait eu du moins la gloire d’aborder seul dans une barque au milieu de
la flotte d’Espagne, et de défendre Naples, sans autre secours que son
courage.
A voir tant de malheurs qui fondaient sur la maison d’Autriche, tant de
victoires accumulées par les Français, et secondées des succès de leurs
alliés, on croirait que Vienne et Madrid n’attendaient que le moment
d’ouvrir leurs portes, et que l’empereur et le roi d’Espagne étaient
presque sans états. Cependant cinq années de gloire, à peine traversées
par quelques revers, ne produisirent que très peu d’avantages réels,
beaucoup de sang répandu, et nulle révolution. S’il y en eut une à
craindre, ce fut pour la France; elle touchait à sa ruine au milieu de
ces prospérités apparentes.
CHAPITRE IV.
Guerre civile.
La reine Anne d’Autriche, régente absolue, avait fait du cardinal
Mazarin le maître de la France, et le sien. Il avait sur elle cet
empire qu’un homme adroit devait avoir sur une femme née avec assez de
faiblesse pour être dominée, et avec assez de fermeté pour persister
dans son choix.
On lit dans quelques mémoires de ces temps-là que la reine ne donna
sa confiance à Mazarin qu’au défaut de Potier, évêque de Beauvais,
qu’elle avait d’abord choisi pour son ministre. On peint cet évêque
comme un homme incapable: il est à croire qu’il l’était, et que la
reine ne s’en était servie quelque temps que comme d’un fantôme, pour
ne pas effaroucher d’abord la nation par le choix d’un second cardinal
et d’un étranger. Mais ce qu’on ne doit pas croire, c’est que Potier
eût commencé son ministère passager par déclarer aux Hollandais «qu’il
fallait qu’ils se fissent catholiques s’ils voulaient demeurer dans
l’alliance de la France.» Il aurait donc dû faire la même proposition
aux Suédois. Presque tous les historiens rapportent cette absurdité,
parcequ’ils l’ont lue dans les mémoires des courtisans et des
frondeurs. Il n’y a que trop de traits dans ces mémoires, ou falsifiés
par la passion, ou rapportés sur des bruits populaires. Le puéril
ne doit pas être cité, et l’absurde ne peut être cru. Il est très
vraisemblable que le cardinal Mazarin était ministre désigné depuis
long-temps dans l’esprit de la reine, et même du vivant de Louis XIII.
On ne peut en douter quand on a lu les _Mémoires_ de La Porte, premier
valet de chambre d’Anne d’Autriche. Les subalternes, témoins de tout
l’intérieur d’une cour, savent des choses que les parlements et les
chefs de parti même ignorent, ou ne font que soupçonner[400].
Mazarin usa d’abord avec modération de sa puissance. Il faudrait avoir
vécu long-temps avec un ministre pour peindre son caractère, pour dire
quel degré de courage ou de faiblesse il avait dans l’esprit, à quel
point il était ou prudent ou fourbe. Ainsi, sans vouloir deviner ce
qu’était Mazarin, on dira seulement ce qu’il fit. Il affecta, dans
les commencements de sa grandeur, autant de simplicité que Richelieu
avait déployé de hauteur. Loin de prendre des gardes et de marcher
avec un faste royal, il eut d’abord le train le plus modeste; il mit
de l’affabilité et même de la mollesse partout où son prédécesseur
avait fait paraître une fierté inflexible. La reine voulait faire
aimer sa régence et sa personne de la cour et des peuples, et elle y
réussissait. Gaston, duc d’Orléans, frère de Louis XIII, et le prince
de Condé, appuyaient son pouvoir, et n’avaient d’émulation que pour
servir l’état.
Il fallait des impôts pour soutenir la guerre contre l’Espagne et
contre l’empereur. Les finances en France étaient, depuis la mort du
grand Henri IV, aussi mal administrées qu’en Espagne et en Allemagne.
La régie était un chaos; l’ignorance extrême; le brigandage au comble:
mais ce brigandage ne s’étendait pas sur des objets aussi considérables
qu’aujourd’hui. L’état était huit fois moins endetté[401]; on n’avait
point des armées de deux cent mille hommes à soudoyer, point de
subsides immenses à payer, point de guerre maritime à soutenir. Les
revenus de l’état montaient, dans les premières années de la régence,
à près de soixante et quinze millions de livres de ce temps. C’était
assez s’il y avait eu de l’économie dans le ministère: mais en 1646 et
47 on eut besoin de nouveaux secours. Le surintendant était alors un
paysan siennois, nommé Particelli Émeri, dont l’ame était plus basse
que la naissance, et dont le faste et les débauches indignaient la
nation[402]. Cet homme inventait des ressources onéreuses et ridicules.
Il créa des charges de contrôleurs de fagots, de jurés vendeurs de
foin, de conseillers du roi crieurs de vin; il vendait des lettres de
noblesse. Les rentes sur l’hôtel de ville de Paris ne se montaient
alors qu’à près d’onze millions. On retrancha quelques quartiers aux
rentiers; on augmenta les droits d’entrée; on créa quelques charges
de maîtres des requêtes; on retint environ quatre-vingt mille écus de
gages aux magistrats.
Il est aisé de juger combien les esprits furent soulevés contre deux
Italiens, venus tous deux en France sans fortune, enrichis aux dépens
de la nation, et qui donnaient tant de prise sur eux. Le parlement
de Paris, les maîtres des requêtes, les autres cours, les rentiers
s’ameutèrent. En vain Mazarin ôta la surintendance à son confident
Émeri, et le relégua dans une de ses terres: on s’indignait encore que
cet homme eût des terres en France, et on eut le cardinal Mazarin en
horreur, quoique, dans ce temps-là même, il consommât le grand ouvrage
de la paix de Munster: car il faut bien remarquer que ce fameux traité
et les barricades sont de la même année 1648.
Les guerres civiles commencèrent à Paris comme elles avaient commencé à
Londres, pour un peu d’argent.
(1647) Le parlement de Paris, en possession de vérifier les édits de
ces taxes, s’opposa vivement aux nouveaux édits; il acquit la confiance
des peuples par les contradictions dont il fatigua le ministère.
On ne commença pas d’abord par la révolte; les esprits ne s’aigrirent
et ne s’enhardirent que par degrés. La populace peut d’abord courir aux
armes, et se choisir un chef, comme on avait fait à Naples[403]: mais
des magistrats, des hommes d’état procèdent avec plus de maturité, et
commencent par observer les bienséances, autant que l’esprit de parti
peut le permettre.
Le cardinal Mazarin avait cru qu’en divisant adroitement la
magistrature, il préviendrait tous les troubles; mais on opposa
l’inflexibilité à la souplesse. Il retranchait quatre années de
gages à toutes les cours supérieures, en leur remettant la paulette,
c’est-à-dire en les exemptant de payer la taxe inventée par Paulet[404]
sous Henri IV, pour s’assurer la propriété de leurs charges. Ce
retranchement n’était pas une lésion, mais il conservait les quatre
années au parlement, pensant le désarmer par cette faveur. Le parlement
méprisa cette grace qui l’exposait au reproche de préférer son intérêt
à celui des autres compagnies. (1648) Il n’en donna pas moins son arrêt
d’union[405] avec les autres cours de justice. Mazarin, qui n’avait
jamais bien pu prononcer le français, ayant dit que cet arrêt d’_ognon_
était attentatoire, et l’ayant fait casser par le conseil, ce seul mot
d’_ognon_ le rendit ridicule; et, comme on ne cède jamais à ceux qu’on
méprise, le parlement en devint plus entreprenant.
Il demanda hautement qu’on révoquât tous les intendants, regardés par
le peuple comme des exacteurs, et qu’on abolît cette magistrature de
nouvelle espèce, instituée sous Louis XIII sans l’appareil des formes
ordinaires; c’était plaire à la nation autant qu’irriter la cour. Il
voulait que, selon les anciennes lois, aucun citoyen ne fût mis en
prison, sans que ses juges naturels en connussent dans les vingt-quatre
heures; et rien ne paraissait si juste.
Le parlement fit plus; il abolit (14 mai 1648) les intendants par un
arrêt, avec ordre aux procureurs du roi de son ressort d’informer
contre eux.
Ainsi la haine contre le ministre, appuyée de l’amour du bien public,
menaçait la cour d’une révolution. La reine céda; elle offrit de casser
les intendants, et demanda seulement qu’on lui en laissât trois: elle
fut refusée.
(20 août 1648) Pendant que ces troubles commençaient, le prince de
Condé remporta la célèbre victoire de Lens, qui mettait le comble
à sa gloire. Le roi, qui n’avait alors que dix ans, s’écria: _Le
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