Sésame et les lys: des trésors des rois, des jardins des reines - 13

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ouvert, modeste à la fois et brillante de l'espoir de choses meilleures
à acquérir et à donner. Il n'y a pas de vieillesse tant que
subsistent ces promesses.
72. Ainsi donc, vous avez premièrement à modeler son enveloppe
physique, et ensuite, quand la force qu'elle acquerra vous le permettra,
à remplir et pétrir son esprit avec toutes les connaissances et toutes
les pensées qui pourront tendre à affermir son instinct naturel de la
justice et affiner son sens inné de l'amour.
Toutes les connaissances devront lui être données qui la rendront plus
capable de comprendre l'œuvre de l'homme et même d'y aider; et
cependant elles devront lui être données non en tant que
connaissances--non comme si cela lui était ou pouvait lui être un but
que de connaître; il n'en est d'autre pour elle que sentir et juger; il
n'est aucunement important en tant que ce pourrait être une raison
d'orgueil ou d'une plus grande perfection en elle, qu'elle sache
plusieurs langues ou une seule; mais il l'est infiniment, qu'elle soit
capable de montrer de la bonté à un étranger, et de comprendre la
douceur des paroles d'un étranger. Il n'est aucunement important pour
sa propre valeur ou dignité qu'elle soit versée dans telle ou telle
science; mais il l'est infiniment qu'elle puisse être élevée dans des
habitudes de pensée exactes; qu'elle puisse comprendre la
signification, la nécessité et la beauté des lois naturelles; et
suivre au moins un des sentiers des recherches scientifiques jusqu'au
seuil de cette amère Vallée d'Humiliation[184], dans laquelle seuls
les plus sages et les plus courageux des hommes peuvent descendre, se
tenant eux-mêmes pour d'éternels enfants, ramassent des galets sur une
grève infinie[185]. Il est de peu de conséquence qu'elle sache la
situation géographique d'un plus ou moins grand nombre de villes, ou la
date de plus ou moins d'événements, ou les noms de plus ou moins de
personnages célèbres;--ce n'est pas le but de l'éducation de
convertir la femme en dictionnaire; mais il est profondément
nécessaire qu'on lui ait appris à pénétrer avec sa personnalité
entière dans l'histoire qu'elle lit; à garder de ses passages une
peinture vraiment vivante, dans sa brillante imagination; à saisir avec
sa finesse instinctive le pathétique des faits eux-mêmes et le
tragique de leur enchaînement que l'historien fait disparaître trop
souvent sous des raisonnements qui les éclipsent et par la manière
dont il prend soin de les disposer;--c'est son rôle à elle de suivre
à la trace l'équité voilée des divines récompenses et de
débrouiller du regard, à travers les ténèbres, l'écheveau du fil de
feu qui unit la faute au châtiment. Mais par-dessus tout, on devra lui
apprendre à étendre les limites de sa sympathie à cette histoire qui
se fait pour toujours tandis que s'écoulent les moments où
paisiblement elle respire; et aux malheurs de notre temps qui, s'ils
n'étaient pas, comme il le faut, pleures par elle, ne pourraient plus
revivre un jour. Elle doit s'exercer elle-même à imaginer quel en
serait l'effet sur son âme et sur sa conduite, si elle était chaque
jour mise en présence de la souffrance qui n'est pas moins réelle
parce qu'elle est cachée à sa vue. On devra lui apprendre à mesurer
un peu le néant du petit monde où elle vit et aime, par rapport au
monde où Dieu vit et aime[186]; et solennellement on devra lui
apprendre à s'efforcer que ses pensées religieuses ne s'affaiblissent
pas en proportion du nombre de ceux qu'elles embrassent et que sa
prière ne soit pas moins ardente que si elle implorait le soulagement
d'un mal immédiat pour son mari ou son enfant, quand elle la dit pour
les multitudes de ceux qui n'ont personne pour les aimer, quand c'est la
prière «pour ceux qui sont désolés et accablés[187]».
73. Jusqu'ici, je le crois, j'ai rencontré votre assentiment;
peut-être ne serez-vous plus avec moi dans ce que je crois d'une
impérieuse nécessité de vous dire. Il est une science dangereuse pour
les femmes--une science qu'on doit les mettre en garde de toucher d'une
main profane--celle de la théologie. Étrange, et lamentablement
étrange! que pendant qu'elles sont assez modestes pour douter de leurs
capacités et s'arrêter sur le seuil de sciences où chaque pas est
assuré et s'appuie sur des démonstrations, elles plongent la tête la
première, et sans un soupçon de leur incompétence, dans cette science
devant laquelle les plus grands hommes ont tremblé, où se sont
égarés les plus sages. Étrange, de les voir complaisamment et
orgueilleusement entasser tout ce qu'il y a de vices et de sottise en
elles, d'arrogance, d'impertinence et d'aveugle incompréhension, pour
en faire un seul amer paquet de myrrhe sacrée. Étrange, pour des
créatures nées pour être l'Amour visible, que, là où elles peuvent
le moins connaître, elles commencent avant tout par condamner et
pensent se recommander elles-mêmes auprès de leur Maître, en se
hissant sur les degrés de Son trône de Juge pour le partager avec Lui.
Plus étrange que tout, qu'elles se croient guidées par l'Esprit du
Consolateur dans des habitudes d'esprit devenues chez elles de purs
éléments de désolation pour leur foyer et qu'elles osent convertir
les Dieux hospitaliers du Christianisme en de vilaines idoles de leur
fabrication; poupées spirituelles qu'elles attiferont selon leur
caprice, et desquelles leurs maris se détourneront avec une méprisante
tristesse de peur d'être couverts d'imprécations s'ils les brisaient.
74. Je crois donc, à part cette exception, qu'une éducation de jeune
fille comporte, comme classes et comme programmes, à peu près les
mêmes études qu'une éducation de jeune homme, mais dirigées dans un
esprit entièrement différent. Une femme, quel que soit son rang dans
la vie, devrait savoir tout ce que son mari aura vraisemblablement à
savoir, mais elle doit le savoir d'une autre manière. Lui doit
posséder les principes, et pouvoir approfondir sans cesse, là ou elle
n'aura que des notions générales et d'un usage quotidien et pratique.
Non qu'il ne puisse être souvent plus sage pour les hommes d'apprendre
les choses selon cette méthode en quelque sorte féminine, pour les
besoins de chaque jour, et d'aller chercher de préférence les
instruments de discipline et de formation de leurs esprits dans les
études spéciales qui, plus tard, pourront leur servir dans leur
profession. Mais d'une manière générale un homme devrait savoir toute
langue ou toute science qu'il apprend, à fond;--tandis qu'une femme
devrait savoir de la même langue ou science seulement ce qu'il lui faut
pour être capable de sympathiser avec les joies de son mari et avec
celles de ses meilleurs amis.
75. Cependant, remarquez-le, elle ne doit toucher à aucune étude
qu'avec une exactitude exquise. Il y a une immense différence entre des
connaissances élémentaires et des connaissances superficielles, entre
un ferme commencement et un infirme essai de tout embrasser. Une femme
aidera toujours son mari par ce qu'elle sait, si peu de chose qu'elle
sache; mais par ce qu'elle sait à moitié ou de travers, elle ne fera
que l'agacer. Et en réalité s'il devait y avoir quelque différence
entre une éducation de fille et une de garçon, je dirais que des deux
la jeune fille devrait être dirigée plus tôt, comme son intelligence
mûrit plus vite, vers les sujets profonds et graves; que le genre de
littérature qui lui convient est non pas plus frivole, mais au
contraire moins déterminé en vue d'ajouter des qualités de patience
et de sérieux à ses dons naturels de piquante pénétration de pensée
et de vivacité d'esprit; et aussi de la maintenir à une altitude et
dans une pureté de pensée très grandes. Je n'entre maintenant dans
aucune question de choix de livres. Assurons-nous seulement qu'ils ne
tombent pas en tas sur ses genoux du paquet du cabinet de lecture,
humides encore de la dernière et légère écume de la fontaine de la
folie.
76. Ni même de la fontaine de l'esprit; car, pour ce qui concerne cette
tentation maladive de lire des romans, ce n'est pas tant ce qu'il y a de
mauvais dans le roman lui-même que nous devons craindre que l'intérêt
qu'il excite. Le roman le plus faible n'est pas aussi malsain pour le
cerveau que les basses formes de la littérature religieuse exaltée, et
le plus mauvais roman est moins corrupteur que la fausse histoire, la
fausse philosophie et les faux écrits politiques. Mais le meilleur
roman devient dangereux, si, par l'excitation qu'il provoque, il rend
inintéressant le cours ordinaire de la vie, et développe la soif
morbide de connaître sans profit pour nous des scènes dans lesquelles
nous ne serons jamais appelés à jouer un rôle.
77. Je parle des bons romans seulement; et notre moderne littérature
est particulièrement riche en de tels romans, dans tous les genres.
Bien lus, en effet, ces livres sont d'une utilité réelle, n'étant
rien moins que des traités d'anatomie et de chimie morales; des études
de la nature humaine considérée dans ses éléments. Mais j'attache
une mince importance à cette fonction; ils ne sont presque jamais lus
assez sérieusement pour qu'il leur soit permis de la remplir. Le plus
qu'ils puissent faire habituellement pour leurs lectrices est
d'accroître quelque peu la douceur chez les charitables et l'amertume
chez les envieuses; car chacune trouvera dans un roman un aliment pour
ses dispositions innées. Celles qui sont naturellement orgueilleuses et
jalouses apprendront de Thackeray à mépriser l'humanité; celles qui
sont naturellement bonnes, à la plaindre; et celles qui sont
naturellement légères, à en rire. De même les romans peuvent nous
rendre un très grand service spirituel, en faisant vivre devant nous
une vérité humaine que nous avions jusque-là obscurément conçue;
mais la tentation du pittoresque dans la composition est si grande que,
souvent, les meilleurs auteurs de fictions ne peuvent y résister; et le
tableau qu'ils nous donnent des choses est si forcé, ne montre
tellement qu'un côté des choses que sa vivacité même est plutôt un
mal qu'un bien.
78. Sans pour cela prétendre le moins du monde à essayer ici de
déterminer à quel point la lecture des romans doit être permise,
laissez-moi du moins vous affirmer très clairement ceci, que,--quels
que soient les ouvrages qu'on lise, que ce soit des romans, de la
poésie ou de l'histoire--ils devront être choisis non parce qu'on n'y
trouve rien de mal, mais pour ce qu'ils contiennent de bien. Le mal que
le hasard a pu éparpiller, çà et là, ou cacher dans un livre
puissant ne fera jamais de mal à une noble fille[188]; mais le vide
d'un auteur l'oppresse et son aimable nullité l'abaisse. Mais si elle
peut avoir accès dans une bonne bibliothèque de livres anciens et
classiques, il n'y a plus besoin de choix du tout. Mettez la revue et le
roman du jour hors du chemin de votre fille; lâchez-la en liberté dans
la vieille bibliothèque les jours de pluie, et laissez-l'y seule. Elle
saura trouver ce qui est bon pour elle; vous ne le pourriez pas: car
c'est précisément la différence entre la formation d'un caractère de
fille et de garçon.--Vous pouvez tailler un garçon et lui donner la
forme que vous voulez[189], comme vous feriez d'une rose, ou le forger
avec le marteau, s'il est d'une meilleure sorte, comme vous feriez pour
une pièce de bronze. Mais vous ne pouvez jamais donner par le marteau
à une jeune fille quelque forme que ce soit. Elle croît comme fait une
fleur--sans soleil, elle se fanera; elle déclinera sur sa tige, comme
un narcisse, si vous ne lui donnez pas assez d'air; elle peut tomber et
souiller sa tête dans la poussière si vous la laissez sans appui à
certains moments de sa vie; mais vous ne l'enchaînerez jamais; il faut
qu'elle prenne sa gracieuse forme à elle, son chemin à elle, si elle
doit en prendre aucun, et d'âme et de corps, il faut qu'elle ait
toujours:

«Son allure légère et libre de femme d'intérieur
Et ses pas d'une liberté virginale[190].»

Lâchez-la, dis-je, dans la bibliothèque comme vous feriez d'un faon
dans la campagne. Il connaît les herbes nuisibles vingt fois mieux que
vous, et les bonnes aussi; et broutera quelques herbes amères et
piquantes, bonnes pour lui (ce dont vous n'auriez pas eu le plus léger
soupçon).
79. Pour ce qui est de l'art, mettez les plus beaux modèles sous ses
yeux, et faites en sorte que, dans tous les arts auxquels elle se
livrera, son savoir soit si exact et si approfondi qu'elle soit encore
plus capable de comprendre que d'exécuter. Les plus beaux modèles,
ai-je dit; j'entends par là les plus vrais, les plus simples et les
plus utiles. Faites attention à ces épithètes: elles conviennent à
tous les arts. Faites-en l'épreuve pour la musique, où vous devez
penser qu'elles s'appliquent le moins. J'ai dit les plus vrais, ceux où
les notes serrent de plus près et expriment le plus fidèlement la
signification des paroles, ou le caractère de l'émotion voulue; les
plus simples aussi, ceux où le sens et l'intention mélodique sont
rendus avec aussi peu de notes et aussi significatives que possibles;
les plus utiles enfin: cette musique qui fait les fortes paroles plus
belles, qui les fait chanter dans nos mémoires chacune dans la gloire
unique de sa sonorité, et qui nous les appuie le plus près du cœur
pour l'heure où nous aurons besoin d'elles.
80. Et ce n'est pas seulement pour les programmes et le plan, mais c'est
surtout pour l'esprit des études, qu'il faut vous appliquer à rendre
l'éducation d'une fille aussi sérieuse que celle d'un garçon. Vous
élevez vos filles comme si elles étaient destinées à être des
objets d'étagères, et ensuite vous vous plaignez de leur frivolité.
Ne les traitez pas moins bien que leurs frères; faites appel chez elles
aux mêmes grands instincts vertueux; à elles aussi apprenez que le
courage et la vérité sont les piliers de leur être; pensez-vous
qu'elles ne répondront pas à cet appel, braves et vraies comme elles
sont, même à cette heure où vous savez qu'il n'est guère d'école de
filles dans ce royaume chrétien où le courage et la sincérité des
enfants ne soit tenue pour une chose moitié moins importante que leur
manière d'entrer dans une chambre, et où toutes les idées de la
société touchant le mode de leur établissement dans la vie n'est
qu'une peste contagieuse de couardise et d'imposture--de couardise parce
que vous n'osez pas les laisser vivre, ou aimer, autrement qu'au gré de
leurs voisins, et d'imposture, parce que vous mettez pour servir les
fins de votre orgueil à vous, tout l'éclat des pires vanités de ce
monde sous les yeux de vos filles, au moment même où tout le bonheur
de leur existence à venir dépend de leur force de résistance à se
laisser éblouir.
81. Et donnez-leur enfin non seulement de nobles préceptes, mais de
nobles précepteurs. Vous prenez quelque peu garde avant d'envoyer votre
fils au collège à l'espèce d'homme que peut être son professeur, et
quelque espèce d'homme qu'il soit, vous lui donnez du moins pleine
autorité sur votre fils et lui témoignez vous-même certain respect;
s'il vient dîner chez vous, vous ne le mettez pas à une petite table;
vous savez aussi que, au collège, le maître immédiat de votre enfant
est sous la direction d'un plus haut maître, pour lequel vous avez le
plus entier respect. Vous ne traitez pas le doyen de Christ Church ou le
Directeur de la Trinité comme vos inférieurs.
Mais quels maîtres donnez-vous à vos filles et quel respect
témoignez-vous à ces maîtres que vous avez choisis? Pensez-vous
qu'une fillette estimera que sa conduite personnelle, et le
développement de son esprit soient choses d'une grande importance quand
vous confiez l'entière formation de son être moral et intellectuel à
une personne que vous laissez traiter par vos domestiques avec moins
d'égards que votre femme de charge (comme si le soin de l'âme de votre
enfant était une charge moins importante que celui des confitures et de
l'épicerie) et à qui vous-même pensez conférer un honneur en lui
permettant quelquefois le soir de venir s'asseoir au salon[191]?
82. Tel est donc le rôle de la littérature, considérée en tant
qu'elle peut être une aide pour elle,--tel le rôle de l'art. Mais il
est encore une autre aide sans laquelle elle ne peut rien, une aide,
qui, à elle seule, a fait quelquefois plus que toutes les autres
influences--l'aide de la sauvage et belle nature. Écoutez ceci, sur
l'éducation de Jeanne d'Arc.
«L'éducation de cette pauvre fille fut humble au regard de l'esprit du
jour; fut ineffablement haute au regard d'une philosophie plus pure et
mauvaise pour notre époque, seulement parce qu'elle est trop élevée
pour elle...
«Après ses avantages spirituels, elle fut redevable surtout aux
avantages de sa situation. La fontaine de Domrémy était à l'orée
d'une immense forêt, et celle-ci était hantée à un tel point par les
fées que le curé était obligé d'aller dire la messe là une fois
l'an, à seules fins de les contenir dans de décentes bornes...
«Mais les forêts de Domrémy--elles étaient les gloires de la
contrée, parce qu'en elles séjournaient de mystérieux pouvoirs et
d'antiques secrets qui planaient sur elle en une puissance tragique; il
y avait là des abbayes avec leurs verrières «semblables aux temples
mauresques des Hindous» qui exerçaient leurs prérogatives princières
jusqu'en Touraine et dans les diètes germaniques. Elles avaient leurs
douces sonneries de cloches qui perçaient les forêts à bien des
lieues le matin et le soir et chacune avait sa rêveuse légende.
«Assez peu nombreuses et assez disséminées étaient ces abbayes, pour
ne troubler à aucun degré la profonde solitude de la région; pourtant
assez nombreuses pour déployer un réseau ou une tente de chrétienne
sainteté sur ce qui eût paru sans cela un désert païen[192].»
Maintenant, vous ne pouvez pas, il est vrai, avoir ici, en Angleterre,
des bois de dix-huit milles de rayon du centre à la lisière; mais vous
pourriez peut-être tout de même garder une fée ou deux pour vos
enfants, si vous aviez envie d'en garder. Mais en avez-vous réellement
envie? Supposez que vous eussiez chacun, derrière votre maison, un
jardin assez grand pour y faire jouer vos enfants, avec juste assez de
pelouse pour avoir la place de courir--pas davantage; supposez que vous
ne puissiez pas changer d'habitation, mais que, si vous le vouliez, vous
puissiez doubler votre revenu, ou le quadrupler, en creusant un puits à
charbon au milieu de la pelouse, et en convertissant les corbeilles de
fleurs en monceaux de coke. Le feriez-vous? J'espère que non. Je peux
vous dire que vous auriez grand tort si vous le faisiez, même si cela
augmentait votre revenu dans la proportion de quatre à soixante.
83. Et pourtant c'est cela que vous êtes en train de faire de toute
l'Angleterre. Le pays entier n'est qu'un petit jardin, pas plus grand
qu'il ne faut pour que vos enfants courent sur ses pelouses, si vous
voulez les laisser _tous_ y courir. Et ce petit jardin vous en ferez un
haut fourneau, et le remplirez de monceaux de cendres, si vous pouvez,
et ce seront vos enfants, non pas vous, qui souffriront de cela. Car
toutes les fées ne seront point bannies; il y a des fées de la
fournaise aussi bien que des fées des bois, et leurs premiers présents
semblent être «les flèches aiguës des puissants», mais leurs
derniers présents sont «des charbons de genièvre[193]».
84. Et cependant je ne puis pas--bien qu'il n'y ait aucune partie de mon
sujet que je sente plus profondément--imprimer ceci en vous; car nous
faisons si peu usage du pouvoir de la nature pendant que nous l'avons
que nous sentirons à peine ce que nous aurons perdu. Tenez, sur l'autre
rive de la Mersey, vous avez votre Snowdon, et votre Menai Straits, et
ce puissant roc de granit derrière les landes d'Anglesey, splendide
avec sa crête couronnée de bruyères, et son pied planté dans la mer
profonde, jadis considéré comme sacré--divin promontoire, regardant
l'Occident; le Holy Head ou Head land, capable encore de nous inspirer
une crainte religieuse quand ses phares dardent les premiers leurs feux
rouges à travers la tempête. Voilà les montagnes, voilà les baies et
les îles bleues qui, chez les Grecs, eussent été toujours chéries,
toujours puissantes dans leur influence sur la destinée de l'esprit
national. Ce Snowdon est votre Parnasse; mais où sont ses Muses? Cette
montagne de Holy head est votre île d'Égine; mais où est son temple
de Minerve?
85. Vous dirai-je ce que la Minerve chrétienne a accompli à l'ombre du
Parnasse jusqu'en l'an 1848? Voici une petite notice sur une école
galloise à la page 261 du rapport sur le pays de Galles, publié par le
Comité du Conseil de l'Instruction publique. Il s'agit d'une école
située auprès d'une ville de 5.000 habitants: «J'examinai alors une
classe plus nombreuse, dont la plupart des élèves étaient entrées
récemment à l'école. Trois fillettes déclarèrent, à plusieurs
reprises, qu'elles n'avaient jamais entendu parler de Dieu (deux sur six
pensaient que le Christ était actuellement sur terre); trois ne
savaient rien de la Crucifixion. Quatre sur sept ne connaissaient pas
les noms des mois, ni le nombre des jours de l'année. Elles n'avaient
encore aucune notion de l'addition passé deux et deux, ou trois et
trois, leurs esprits étaient absolument vides.» Oh! vous, femmes
d'Angleterre! depuis la princesse de ce pays de Galles jusqu'à la plus
simple d'entre vous, ne croyez pas que vos propres enfants pourront
entrer en possession de leur part dans le vrai Bercail de repos tant que
ceux-ci seront dispersés sur les montagnes comme des brebis qui n'ont
point de berger[194]. Et ne croyez pas que vos filles pourront être
élevées à la connaissance véritable de leur propre beauté humaine,
tant que les lieux charmants que Dieu fit à la fois pour être leurs
salles d'études et leurs cours de récréation resteront désolés et
souillés. Vous ne pourrez pas les baptiser efficacement dans vos fonts
baptismaux profonds d'un pouce, si vous ne les baptisez aussi dans les
douces eaux que le grand Législateur[195] a fait jaillir à jamais des
rochers de votre pays natal,--ces eaux qu'un païen eût adorées pour
leur pureté, et que vous n'adorez que quand vous les avez polluées.
Vous ne pouvez pas conduire vos enfants aux pieds de vos étroits autels
taillés à la hache dans vos églises, tandis que les autels de sombre
azur qui s'élèvent jusque dans le ciel, ces montagnes où un païen
aurait vu les pouvoirs du ciel reposer sur chaque nuage qui les
couronne, restent pour vous sans dédicace, autels élevés non à, mais
par un Dieu inconnu[196].
86. Voilà donc ce qui est de la nature, ce qui est de l'enseignement de
la femme, voilà pour ses fonctions domestiques et pour son caractère
de reine. Nous arrivons maintenant à notre dernière et plus importante
question. En quoi consiste son rôle de reine à l'égard de l'État?
Généralement nous vivons sous cette impression que les devoirs de
l'homme sont publics et ceux de la femme privés. Mais il n'en est pas
tout à fait ainsi. Tout homme a à remplir une tâche--ou une
obligation--personnelle, qui concerne son propre home, et une tâche ou
obligation, publique, qui n'est que l'expansion de l'autre, et qui
concerne l'État. De même toute femme a sa tâche, ou obligation,
personnelle, qui concerne son propre home, et une tâche, ou obligation
publique, qui n'est que l'expansion de celle-ci.
Or, la tâche de l'homme, relativement à son propre home, est, comme
nous l'avons dit, d'en assurer le maintien, le progrès, la défense,
celle de la femme d'en assurer l'ordre, le charme confortable et la
beauté.
Élargissons ces deux fonctions. Le devoir de l'homme comme membre de la
communauté est d'aider au maintien de l'État, à sa grandeur, à sa
défense.
Le devoir de la femme comme membre de la communauté est d'aider à une
sorte d'ordre dans l'État, de douceur confortable et à lui donner une
parure de beauté.
Ce que l'homme est à sa propre porte, la défendant, s'il est besoin,
contre l'insulte et le pillage, cela aussi, et s'y dévouant non dans
une moindre mais dans une plus large mesure, il doit l'être aux portes
de son pays, abandonnant son home, s'il est besoin, même au pillard,
pour aller accomplir le devoir plus haut qui lui incombe.
Et de même, ce que la femme est à l'intérieur, derrière ses portes,
c'est-à-dire le centre d'harmonie, le baume de détresse et le miroir
de beauté: cela elle doit l'être aussi en dehors de ses portes, quand
l'harmonie est plus difficile, la détresse plus immédiate, la beauté
plus rare.
Et de même qu'au cœur de l'homme est toujours caché un instinct pour
tous ses vrais devoirs, un instinct qui ne peut être étouffé, mais
seulement faussé et corrompu si vous le détournez de son but
véritable:--de même qu'il y a cet instinct profond de l'amour, qui,
justement discipliné, maintient toutes les saintetés de la vie, et,
faussement dirigé, les mine toutes; et _doit_ faire l'un ou
l'autre;--ainsi est-il dans le cœur humain un inextinguible instinct,
l'amour du pouvoir, qui, justement dirigé, maintient toute la majesté
de la loi et de la vie, et, mal dirigé, les détruit.
87. Profondément enraciné dans la plus intime vie du cœur de l'homme,
et du cœur de la femme, Dieu l'a mis là et l'y garde. Vainement autant
qu'à tort, vous blâmez et rebutez le désir du pouvoir! La volonté
céleste et l'intérêt humain sont que vous le désiriez de toutes vos
forces. Mais quel pouvoir[197]? Ceci est toute la question.
Pouvoir de détruire? la force du lion et l'haleine du dragon? Non
certes. Pouvoir de guérir de racheter, de guider, de protéger. Pouvoir
du sceptre et du bouclier; le pouvoir de la main royale qui guérit en
touchant, qui enchaîne l'ennemi et délivre le captif; le trône qui
est fondé sur le roc de Justice, et qu'on descend seulement par les
marches de la Pitié[198]. Ne convoiterez-vous pas un tel pouvoir,
n'aspirerez-vous pas à un trône comme celui-là et à ne plus être
seulement des ménagères, mais des reines?
88. Il y a déjà longtemps que les femmes d'Angleterre se sont arrogé,
dans toutes les classes, un titre qui jadis n'appartenait qu'à la
noblesse, et ayant une fois pris l'habitude de se faire donner le simple
titre de gentille femme (gentlewoman), qui correspond à celui de
gentilhomme (gentleman), insistèrent pour avoir le privilège de
prendre le titre de Dame (Lady)[199], qui exactement correspond au seul
titre de Seigneur (Lord).
Je ne les blâme pas de cela[200]; mais seulement des motifs étroits
qui les poussent à cela. Je voudrais qu'elles désirent et revendiquent
le titre de Lady, pourvu qu'elles revendiquent non pas simplement le
titre, mais la charge et les devoirs qui sont signifiés par lui. Lady
vent dire: «Qui donne du pain» ou «qui donne des pains»[201] et Lord
signifie «qui assure le maintien des lois» et les deux titres se
réfèrent, non à la loi qui est maintenue dans la maison, non au pain
qui est donné dans la maison mais à la loi qui est maintenue pour les
multitudes; et au pain qui est rompu pour les multitudes. Si bien qu'un
«Seigneur» (Lord) n'a droit légalement à son titre qu'autant qu'il
maintient la justice du Seigneur des Seigneurs; et une dame (Lady) n'a
droit légalement à son titre qu'autant qu'elle prête aux pauvres,
représentants de son Maître, cette aide qu'un jour des femmes, qui
L'assistèrent de leurs biens, reçurent la permission d'étendre à ce
Maître Lui-même--et autant qu'elle se fait connaître comme Lui-même,
en rompant le pain[202].
89. Et cette bienfaisante et légale Domination, le pouvoir du Dominus,
du Seigneur de la Maison, et de la Domina, ou Dame de la maison, est
grand et vénérable, non par le nombre de ceux qui l'ont transmis en
ligne directe, mais par le nombre de ceux sur lesquels il étend son
empire; il est toujours l'objet d'une vénération religieuse partout
où sa dynastie est fondée sur ses services et son ambition
proportionnée à ses bienfaits. Votre imagination se plaît à la
pensée que vous soyez de nobles dames, avec une suite de vassaux. Qu'il
en soit ainsi; vous ne sauriez être trop noble, et votre suite ne
saurait être trop nombreuse; mais voyez à ce que cette suite soit de
vassaux que vous serviez et nourrissiez, pas seulement d'esclaves qui
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