Sésame et les lys: des trésors des rois, des jardins des reines - 12

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et harmonieuse (elle sera harmonieuse si elle est vraie) de ce que
l'intelligence et la vertu féminines sont, dans leur essence et dans
leur rôle, par rapport à celles de l'homme; et comment les relations
où elles se trouvent, franchement acceptées, aident et accroissent la
vigueur et l'honneur et l'autorité des deux.
Et ici je dois répéter une chose que j'ai dite dans la précédente
conférence: à savoir que le premier bénéfice de l'instruction était
de nous mettre en état de consulter les hommes les plus sages et les
plus grands sur tous les points difficiles et qui méritent réflexion.
Que faire un usage raisonnable des livres, c'était aller à eux pour
leur demander assistance; leur faire appel quand notre propre
connaissance et puissance de pensée nous trahit; pour être amenés par
eux jusqu'à une plus large vue--une conception plus pure--que la nôtre
propre, et, pour recevoir d'eux la jurisprudence des tribunaux et cours
de tous les temps au lieu de notre solitaire et inconsistante opinion.
Faisons cela maintenant. Voyons si les plus grands, les plus sages, les
plus purs de cœur des hommes de toutes les époques sont tombés
d'accord dans une certaine mesure sur le point qui nous intéresse.
Écoutons le témoignage qu'ils ont laissé sur ce qu'ils ont tenu pour
la vraie dignité de la femme, et pour le genre de secours dont elle
doit être à l'homme.
56. Et d'abord prenons Shakespeare.
Notons d'abord, pour commencer, que, d'une manière générale,
Shakespeare n'a pas de héros; il n'a que des héroïnes. Je ne vois
pas, dans toutes ses pièces, un seul caractère complètement
héroïque, excepté l'esquisse assez sommaire de Henri V, exagérée
pour les besoins de la scène; et celle plus sommaire encore de
Valentine dans les Deux Gentilshommes de Vérone. Dans les pièces
travaillées et parfaites vous n'avez pas de héros. Othello aurait pu
en être un, si sa simplicité n'avait été si grande que de se laisser
devenir la proie des plus basses machinations qui se trament autour de
lui; mais il est le seul caractère qui du moins approche de
l'héroïsme. Coriolan, César, Antoine se tiennent debout dans leur
force fêlée et tombent entraînés par leurs vanités;--Hamlet est
indolent et s'endort dans la spéculation[157]; Roméo est un enfant
sans patience; le Marchand de Venise se soumet languissamment à la
fortune adverse; Kent, dans le roi Lear, est entièrement noble de
cœur, mais trop rude et trop primitif pour être d'une utilité
véritable au moment critique et il tombe au rang d'un simple
domestique. Orlando, non moins noble, est toutefois dans son désespoir
le jouet du hasard, et il est conduit, réconforte, sauvé par
Rosalinde. Tandis qu'il n'y a guère de pièce dans laquelle nous ne
voyions une femme parfaite, inébranlable dans un grave espoir et un
infaillible dessein; Cordelia, Desdemone, Isabelle, Hermione, Imogène,
la reine Catherine, Perdita, Sylvia, Viola, Rosalinde, Hélène et la
dernière et peut-être la plus aimable, Virgilie, sont sans défauts;
conçues sur le plus haut modèle héroïque d'humanité.
57. Puis en second lieu observez ceci. Les catastrophes[158], dans
chaque pièce, ont toujours pour cause la folie d'un homme; elles ne
sont rachetées, si elles le sont, que par la sagesse et la vertu d'une
femme, et si celle-ci fait défaut, elles ne sont pas rachetées. La
catastrophe où sombre le Roi Lear est due à son propre manque de
jugement, à son impatiente vanité, à sa méprise sur les caractères
de ses enfants. La vertu de sa seule vraie fille l'aurait sauvé des
outrages des autres, s'il ne l'avait lui-même chassée loin de lui. Et,
cela étant, elle le sauve presque.
D'Othello[159] je n'ai pas besoin de vous retracer l'histoire;--ni
l'unique faiblesse de si puissant amour; ni l'infériorité de son sens
critique à celui même du personnage féminin de second plan dans la
pièce, cette Émilie qui meurt en lançant contre son erreur cette
déclaration sauvage: «Oh la brute homicide! Qu'est-ce qu'un tel fou
avait à faire d'une si bonne femme?»
Dans Roméo et Juliette, l'habile et courageux stratagème de la femme
aboutit à une issue désastreuse par l'insoucieuse impatience de son
mari. Dans le Conte d'Hiver, et dans Cymbeline, le bonheur et
l'existence de deux maisons princières, le premier perdu depuis de
longues années, la seconde mise en péril de mort par la folie et
l'entêtement des maris, sont rachetés à la fin par la royale patience
et la sagesse des femmes. Dans Mesure pour Mesure, la honteuse injustice
du juge et la honteuse lâcheté du frère sont opposées à la
victorieuse véracité et à l'adamantine pureté d'une femme. Dans
Coriolan le conseil de la mère, mis en pratique à temps, eût sauvé
son fils de tout mal; l'oubli momentané où il le laisse est sa perte;
la prière de sa mère, exaucée à la fin, le sauve, non, à vrai dire,
de la mort, mais de la malédiction de vivre en destructeur de son pays.
Et que dirais-je de Julia, fidèle malgré l'inconstance d'un amant qui
n'est qu'un enfant méchant?--d'Hélène, fidèle aussi malgré
l'impertinence et les injures d'un jeune fou?--de la patience d'Héro,
de l'amour de Béatrice et de la sagesse paisiblement dévouée de
«l'ignorante enfant[160]» qui apparaît au milieu de l'impuissance, de
l'aveuglement et de la soif de vengeance des hommes, comme un doux ange,
apportant le courage et le salut par sa présence et déjouant les pires
ruses du crime par ce qu'on s'imagine le plus manquer aux femmes, la
précision et l'exactitude de pensée.
58. Observez, ensuite, que, parmi toutes les principales figures des
pièces de Shakespeare, il n'y a qu'une femme faible--Ophélie; et c'est
parce qu'elle manque à Hamlet au moment critique et n'est pas, et ne
peut pas être, par sa nature, un guide pour lui quand il en a besoin,
que survient l'amère catastrophe. Enfin, bien qu'il y ait trois types
méchants parmi les principales figures de femmes--Lady Macbeth, Regan
et Goneril--nous sentons tout de suite qu'elles sont de terribles
exceptions aux lois ordinaires de la vie; et, là encore, néfastes dans
leur influence en proportion même de ce qu'elles ont abandonné du
pouvoir d'action bienfaisante de la femme. Tel est, à grands traits, le
témoignage de Shakespeare sur la place et le caractère des femmes dans
la vie humaine. Il les représente comme des conseillères
infailliblement fidèles et sages--comme des exemples incorruptiblement
justes et purs--toujours puissants pour sanctifier, même quand elles ne
peuvent pas sauver.
59. Non pas qu'il lui soit, en aucune manière, comparable dans la
connaissance de la nature de l'homme,--encore moins dans l'intelligence
des causes et du cours de la destinée,--mais seulement parce qu'il est
l'écrivain qui nous a ouvert le plus large aperçu sur les conditions
et la mentalité moyenne de la société moderne, je vous demande de
recevoir maintenant le témoignage de Walter Scott[161].
Je mets de côté ses premiers écrits purement romantiques en prose
comme sans valeur; et quoique ses premières poésies romantiques soient
très belles, leur témoignage n'a pas plus de poids que l'idéal d'un
enfant. Mais ses vraies œuvres, qui sont des études prises sur la vie
écossaise, portent en elles un témoignage véridique; et dans toute la
série de celles-là il y a seulement trois caractères d'hommes qui
atteignent au type héroïque[162].--Dandie Dinmont[163], Bob Boy[164]
et Claverhouse; de ceux-ci, l'un est un fermier des frontières; l'autre
un maraudeur; le troisième, le soldat d'une mauvaise cause. Et ils
n'atteignent au type idéal de l'héroïsme que par leur courage et leur
foi, unis à une puissance intellectuelle vigoureuse mais inculte ou
qu'ils appliquent de travers; tandis que ses caractères de jeunes gens
sont les nobles jouets d'un sort fantasque et c'est seulement grâce à
l'aide (ou aux hasards) de ce sort qu'ils survivent, sans les vaincre,
aux épreuves qu'ils endurent passivement. D'un caractère discipliné,
ou constant, ardemment attaché à un dessein sagement conçu, ou en
lutte contre les manifestations du mal ennemi, nettement défié et
résolument vaincu, il n'y a pas trace dans ses créations de jeunes
hommes. Tandis que dans ses types de femmes, dans les caractères
d'Ellen Douglas, de Flora Mac Ivor, de Rose Bradwardine[165], de
Catherine Seyton[166], de Diane Vernon[167], de Lilia Redgauntlet[168],
d'Alice Bridgenorth[169], d'Alice Lee et de Jeanie Deans[170], avec
d'infinies variétés de grâce, de tendresse et de puissance
intellectuelle, nous trouvons toujours un sens infaillible de dignité
et de justice; un esprit de sacrifice inaccessible à la crainte,
prompt, infatigable, se dévouant à la simple apparence du devoir, à
plus forte raison à l'appel d'un devoir véritable; et, enfin, la
patiente sagesse des affections longtemps contenues qui fait infiniment
plus que protéger leurs objets contre une erreur passagère; peu à peu
elle façonne, anime et exalte les caractères des amants indignes, si
bien qu'à la fin de l'histoire nous sommes tout juste capables, et pas
plus, d'avoir la patience d'écouter leurs succès immérités.
De sorte que toujours, avec Scott comme avec Shakespeare, c'est la femme
qui protège, enseigne et guide le jeune homme; et jamais, en aucun cas,
ce n'est le jeune homme qui protège ou instruit sa maîtresse.
60. Prenez maintenant, quoique plus brièvement, de plus graves
témoignages--ceux des grands Italiens et des Grecs. Vous connaissez
bien le plan du grand poème de Dante--c'est un poème d'amour qu'il
adresse à sa Dame morte;--un chant de bénédiction à celle qui a
veillé sur son âme. S'inclinant seulement jusqu'à la pitié, jamais
à l'amour, elle le sauve pourtant de la destruction,--le sauve de
l'enfer. Il va se perdre, pour l'éternité, dans son désespoir; elle
descend du ciel à son aide, et, pendant toute la durée de l'ascension
au Paradis, est son maître, se faisant pour lui l'interprète des
vérités les plus ardues, divines et humaines; et, en ajoutant les
réprimandes aux réprimandes, le conduit d'étoile en étoile[171].
Je n'insisterai pas sur la conception de Dante; si je commençais, je ne
pourrais finir; d'ailleurs vous pourriez penser qu'elle n'est que le
rêve arbitraire--et isolé--d'un cœur de poète. Aussi je veux plutôt
vous lire quelques vers d'un ouvrage sûrement composé par un chevalier
de Pise en l'honneur de sa dame vivante, pleinement caractéristiques de
la sensibilité des hommes les plus nobles du XIIIe siècle ou du
commencement du XIVe, conservé entre tant d'autres semblables
témoignages de l'honneur et de l'amour chevaleresques que Dante
Rossetti a recueillis pour nous chez les anciens poètes italiens:

«Car voyez! ta loi ordonne
Que mon amour soit manifestement
De te servir et honorer:
Et ainsi fais-je; et ma joie est parfaite,
D'être accepté pour le serviteur de ta règle[172].
À peine reçu, je suis dans le ravissement
Depuis que ma volonté est ainsi dressée
À servir, ô fleur de joie, ton excellence.
Ni jamais, semble-t-il, rien ne pourra plus éveiller
Une peine ou un regret.
Mais en toi prend son appui chacune de mes pensées et
de mes sensations
Parce que de toi toutes les vertus jaillissent
Comme d'une fontaine.
_Ce qu'il y a dans les dons que tu fais, c'est la meilleure_
_et la plus profitable sagesse_
_Avec l'honneur sans défaillance._
En toi chaque souverain bien habite séparément
Remplissant la perfection de ton empire.
Dame, depuis que j'ai reçu ta plaisante image dans mon
cœur,
Ma vie s'est isolée
Dans une brillante lumière, au pays de vérité.
Elle qui jusqu'alors, à vrai dire,
Avait tâtonné au milieu des ombres d'un lieu obscur
Et pendant tant d'heures et de jours
Avait à peine gardé le souvenir du bien.
Mais maintenant mon servage
T'appartient, et je suis plein de joie et de repos.
C'est un homme que de la bête sauvage
Tu as tiré, depuis que par ton amour je vis.»

61. Vous pensez peut-être qu'un chevalier grec n'aurait pas placé la
femme aussi haut que cet amant chrétien. Sa soumission spirituelle à
ses lois n'aurait pas été sans doute aussi absolue; mais pour ce qui
est de leurs caractères, c'est seulement parce que vous n'auriez pu me
suivre aussi aisément, que je n'ai pas pris les femmes de l'antiquité
grecque au lieu de celles de Shakespeare; et par exemple comme suprême
idéal, comme type de la beauté et de la foi humaines, le simple cœur
de mère et d'épouse, d'Andromaque; la sagesse divine et pourtant
rejetée de Cassandre; la bonté enjouée et la simplicité d'une
existence de princesse, chez l'heureuse Nausicaa; la calme vie de
ménagère de Pénélope pendant qu'elle épie au loin la mer; la
piété patiente, intrépide et le dévouement sans espoir de la sœur
et de la fille chez Antigone; la tête inclinée d'Iphigénie
silencieuse comme un agneau; et enfin l'attente de la résurrection[173]
rendue sensible à l'âme grecque quand revint de son propre tombeau
cette Alceste qui, pour sauver son époux, traversa sereinement
l'amertume de la mort.
62. Maintenant je pourrais accumuler devant vous témoignages sur
témoignages, si j'en avais le temps. Je prendrais Chaucer et je vous
montrerais pourquoi il écrivit une légende des Bonnes Femmes[174];
mais non une légende de Bons Hommes. Je prendrais Spencer et vous
montrerais comment ses féeriques[175] chevaliers sont quelquefois
trompés, et quelquefois vaincus; mais l'âme d'Una n'est jamais
obscurcie et l'épée de Brintomart n'est jamais brisée. Bien plus, je
pourrais remonter en arrière jusqu'à l'enseignement mythique des plus
anciens âges et vous montrer comment le grand peuple--dont il avait
été écrit que c'est par une de ses Princesses que serait élevé le
Législateur de toute la terre[176], et non par une femme de sa
race,--comment ce grand peuple Égyptien, le plus sage de tous les
peuples[177], donna à l'Esprit de la Sagesse la forme d'une Femme; et
dans sa main, comme symbole, la navette de la fileuse; et comment le nom
et la forme de cet esprit, adopté, adoré et obéi par les Grecs,
devint cette Athèna au rameau d'olivier et au bouclier de nuages, à la
foi en qui vous devez, en descendant jusqu'à ce jour, tout ce que vous
tenez pour le plus précieux en art, en littérature, ou en modèles de
vertu nationale.
63. Mais je ne veux pas m'égarer dans ces régions lointaines et
mythiques; je veux seulement vous demander d'accorder sa légitime
valeur au témoignage de ces grands poètes et des grands hommes du
monde entier, d'accord, comme vous le voyez, sur ce sujet. Je veux vous
demander si l'on peut supposer que ces hommes, dans les œuvres
capitales de leurs vies, n'ont fait que jouer avec des idées purement
fictives et fausses sur les relations de l'homme et de la femme; que
dis-je? bien pires que fictives ou fausses; car une chose peut être
imaginaire et cependant désirable, si toutefois elle est possible, mais
cela, leur idéal de la femme, n'est, d'après notre habituelle
conception des relations du mariage, rien moins que désirable. La
femme, disons-nous, ne doit ni nous guider, ni seulement penser par
elle-même. L'homme doit être toujours le plus sage; c'est à lui
d'être la pensée, la loi, c'est lui qui l'emporte par la connaissance,
et par la sagesse, comme par la puissance.
64. N'est-il pas de quelque importance de nous faire une opinion sur
cette question? Sont-ce tous ces grands hommes qui se trompent ou nous?
Shakespeare et Eschyle, Dante et Homère ne font-ils qu'habiller des
poupées pour nous; ou, pire que des poupées, des visions hors nature
dont la réalisation, si elle était possible, amènerait l'anarchie
dans tous les foyers et ruinerait l'affection dans tous les cœurs?
Mais, si vous pouvez supposer cela, consultez enfin l'évidence des
faits, telle que nous la fournit le cœur humain lui-même. Dans tous
les âges chrétiens qui ont été remarquables par la pureté ou par le
progrès, il y eut l'absolue dévotion d'une fanatique obéissance
vouée par l'amant à sa maîtresse, Je dis obéissance; non pas
seulement un enthousiasme et un culte purement imaginatifs; mais une
entière soumission, recevant de la femme aimée, si jeune soit-elle,
non seulement l'encouragement, la louange et la récompense du labeur,
mais, dans tout choix difficile à faire ou toute question ardue à
trancher, la direction de tout labeur. Cette chevalerie aux abus et à
la dégradation de laquelle nous pouvons faire remonter la
responsabilité de tout ce qui s'est produit depuis de cruel dans la
guerre, d'injuste dans la paix, de corrompu et de bas dans les relations
domestiques; dont l'originale pureté et la puissance organisèrent la
défense de la foi, de la loi et de l'amour; cette chevalerie, dis-je,
donnait comme base à sa conception d'une vie d'honneur la soumission du
jeune chevalier aux ordres--même si ces ordres étaient dictés par un
caprice--de sa dame. Et cela, parce que ceux qui la fondèrent savaient
que la première et indispensable impulsion d'un cœur vraiment instruit
et chevaleresque se trouve dans une aveugle obéissance à sa dame; que
là où cette vraie foi et cet esclavage ne sont pas, seront toutes les
passions perverses et malfaisantes; et que dans cette obéissance ravie
à l'unique amour de sa jeunesse est pour tout homme la sanctification
de sa force et la continuité de ses desseins. Et cela non qu'une telle
obéissance reste tutélaire ou honorable, si elle est rendue à celle
qui en est indigne; mais parce qu'il devrait être impossible à un
jeune homme vraiment noble--et qu'il lui est, de fait, impossible s'il a
été formé au bien--d'aimer une femme aux doux avis de qui il ne
pourrait se fier, ou dont les ordres suppliants pourraient le laisser
hésitant à leur obéir.
65. Je n'argumenterai pas davantage là-dessus, car j'estime que c'est à
la fois à votre expérience qu'il faut laissera connaître de ce qui
fut et à votre cœur, de ce qui doit être. Vous ne pensez certainement
pas que la coutume pour le chevalier de se faire agrafer son armure par
la main même de sa dame était le simple caprice d'une mode romanesque.
C'est le symbole d'une vérité éternelle--que l'armure de l'âme ne
tient jamais bien au cœur si ce n'est pas une main de femme qui l'a
attachée. Et c'est seulement si elle l'a attaché trop lâche que
l'honneur de l'homme fléchit.
Ne connaissez-vous pas ces vers charmants? Je voudrais les voir sus par
toutes les jeunes femmes d'Angleterre:

«Ah! la femme prodigue--elle qui pouvait
À sa douce personne mettre son prix
Sachant qu'il n'avait pas à choisir, mais à payer,
Comment a-t-elle vendu au rabais le Paradis!
Comment a-t-elle donné pour rien son présent sans prix,
Comment a-t-elle pillé le pain et gaspillé le vin,
Qui, consommés l'un et l'autre avec une sage économie,
De brutes auraient fait des hommes, et d'hommes des
dieux[178].»

66. Tout ceci, concernant les relations des amants, je crois que vous
l'accepterez volontiers. Mais ce dont nous doutons trop souvent, c'est
qu'il soit bon de continuer ces relations pendant toute la durée de la
vie. Nous pensons qu'elles conviennent entre amant et maîtresse, non
entre mari et femme. Cela revient à dire que nous pensons qu'un
respectueux et tendre hommage est dû à celle de l'affection de qui
nous ne sommes pas encore sûrs, et dont nous ne discernons que
partiellement et vaguement le caractère; et que le respect et l'hommage
doit disparaître quand l'affection, tout entière, sans restriction est
devenue nôtre, et quand le caractère a été par nous si bien
pénétré et éprouvé que nous ne craignons pas de lui confier le
bonheur de notre vie. Ne voyez-vous pas ce que ce raisonnement a de vil
autant que d'absurde? Ne sentez-vous pas que le mariage, partout où il
y a vraiment mariage, n'est rien que le sceau et la consécration du
passage d'un éphémère à un indestructible dévouement et d'un
inconstant à un éternel amour?
67. Mais comment, demanderez-vous, l'idée d'un rôle de guide pour la
femme est-elle conciliable avec l'entière soumission féminine?
Simplement en ce que ce rôle est de guider vers le but et non de le
déterminer. Laissez-moi vous montrer comment ces deux pouvoirs me
paraissent devoir être distingués l'un de l'autre. Nous sommes
absurdes et d'une absurdité sans excuse quand nous parlons de «la
supériorité» d'un sexe sur l'autre, comme s'ils pouvaient être
comparés en des choses similaires. Chacun possède ce que l'autre n'a
pas; chacun complète l'autre et est complété par lui; en rien ils ne
sont semblables, et le bonheur et la perfection de chacun a pour
condition que l'un réclame et reçoive de l'autre ce que seul il peut
lui donner.
68. Voici maintenant leurs caractères distinctifs. Le pouvoir de
l'homme consiste à agir, à aller de l'avant, à protéger. Il est
essentiellement l'être d'action, de progrès, le créateur, le
découvreur, le défenseur. Son intelligence est tournée à la
spéculation et à l'invention, son énergie aux aventures, à la guerre
et à la conquête, partout où la guerre est juste et la conquête
nécessaire. Mais la puissance de la femme est de régner, non de
combattre, et son intelligence n'est ni inventive ni créatrice, mais
tout entière d'aimable ordonnance, d'arrangement et de décision. Elle
perçoit les qualités des choses, leurs aspirations, leur juste place.
Sa grande fonction est la louange. Elle reste en dehors de la lutte,
mais avec une justice infaillible décerne la couronne de la lutte. Par
son office et sa place, elle est protégée du danger et de la
tentation. L'homme, dans son rude labeur en plein monde, trouve sur son
chemin les périls et les épreuves de toute sorte; à lui donc les
défaillances, les fautes, l'inévitable erreur, à lui d'être blessé
ou vaincu, souvent égaré, et toujours endurci. Mais il garde la femme
de tout cela. Au dedans de sa maison qu'elle gouverne, à moins qu'elle
n'aille les chercher, il n'y a pas de raison qu'entre ni danger, ni
tentation, ni cause d'erreur ou de faute. En ceci consiste
essentiellement le foyer qu'il est le lieu de la paix, le refuge non
seulement contre toute injustice, mais contre tout effroi, doute et
désunion. Pour autant qu'il n'est pas tout cela, il n'est pas le foyer;
si les anxiétés de la vie du dehors pénètrent jusqu'à lui, si la
société frivole du dehors, composée d'inconnus, d'indifférents ou
d'ennemis, reçoit du mari ou de la femme la permission de franchir son
seuil, il cesse d'être le foyer. Il n'est plus alors qu'une partie de
ce monde du dehors que vous avez couverte d'un toit, et où vous avez
allumé un feu. Mais dans la mesure où il est une place sacrée, un
temple vestalien, un temple du cœur sur qui veillent les Dieux
Domestiques devant la face desquels ne peuvent paraître que ceux qu'ils
peuvent recevoir avec amour, pour autant qu'il est cela, que le toit et
le feu ne sont que les emblèmes d'une ombre et d'une flamme plus
nobles, l'ombre du rocher sur une terre aride[179] et la lumière du
phare sur une mer démontée; pour autant il justifie son nom et mérite
sa gloire de Foyer.
Et partout où va une vraie épouse, le foyer est toujours autour
d'elle. Il peut n'y avoir au-dessus de sa tête que les étoiles; il
peut n'y avoir à ses pieds d'autre feu que le ver luisant dans l'herbe
humide de la nuit; le foyer n'en est pas moins partout où elle est; et
pour une femme noble il s'étend loin autour d'elle, plus précieux que
s'il était lambrissé de cèdre[180] ou peint de vermillon, répandent
au loin sa calme lumière, pour ceux qui sans lui n'auraient pas de
foyer.
69. Telle, donc, je crois être, et ne voulez-vous pas reconnaître
qu'elle l'est en effet, la vraie place et le vrai rôle de la femme.
Mais ne voyez-vous pas que, pour les remplir, elle doit--autant qu'on
peut user d'un pareil terme pour une créature humaine,--être incapable
d'erreur? Aussi loin qu'elle règne, tout doit être juste, ou rien ne
l'est. Elle doit être patiemment, incorruptiblement bonne;
instinctivement, infailliblement sage--sage non en vue du développement
d'elle-même, mais du renoncement à elle-même: sage, non pour se
mettre au-dessus de son mari, mais pour ne jamais faiblir à son coté;
sage non avec l'étroitesse d'un orgueil insolent et sec, mais avec la
douceur passionnée d'un dévouement modeste, infiniment variable parce
qu'il peut s'appliquer à tout--la vraie mobilité de la femme. Dans son
sens profond «La Donna e mobile[181]», mais non pas «Qual piùm'al
vento»; elle n'est pas non plus «variable comme l'ombre faite par le
tremble léger et frissonnant[182]», mais variable comme la lumière,
que multiplie sa pure et sereine réfraction afin qu'elle puisse
s'emparer de la couleur de tout ce qu'elle touche et l'exalter.
70. J'ai essayé jusqu'ici de vous montrer quelle devrait être la place
et quel le rôle de la femme. Nous devons maintenant aborder un second
point: quel est le genre d'éducation qui la rendra capable de les
remplir. Et si vous trouvez vraie la conception de son office et de sa
dignité que je vous ai exposée, il ne sera pas difficile de tracer le
plan de l'éducation qui la préparera à l'un et l'élèvera jusqu'à
l'autre.
Le premier de nos devoirs envers elle,--aucune personne raisonnable ne
peut en douter--est de lui assurer une éducation et des exercices
physiques qui affermissent sa santé et perfectionnent sa beauté; le
type le plus élevé de cette beauté étant impossible à atteindre
sans la splendeur de l'activité physique et d'une force délicate.
Perfectionner sa beauté, dis-je, et en accroître le pouvoir; elle ne
peut être trop puissante ni répandre trop loin sa lumière sacrée;
seulement rappelez-vous que la liberté des mouvements du corps est
impuissante à produire la beauté sans une liberté correspondante du
cœur. Il est deux passages d'un poète[183] qui se distingue, il me
semble, entre tous--non par sa puissance, mais par son exquise
_vérité_, et qui vous montreront la source et vous décriront en peu
de mots tout l'accomplissement de la beauté féminine. Je vais vous
lire les strophes introductrices, mais la dernière est la seule sur
laquelle je tienne à appeler spécialement votre attention:

«Trois ans elle crût sous le soleil et l'ondée.
Alors Nature dit: «Une plus aimable fleur
Sur terre ne fut jamais semée;
Cette enfant pour moi-même je prendrai;
Elle sera mienne, et je formerai
Une dame issue de moi seule.
Moi-même pour ma chérie je serai
À la fois la loi et l'impulsion; et avec moi
La fillette, dans le rocher et dans la plaine,
Dans la terre et le ciel, dans la clairière et le bocage,
Sentira à veiller sur elle un pouvoir
Tantôt excitateur et tantôt réprimant.
Les flottants nuages leur majesté prêteront
À elle, pour elle le saule se courbe;
Ni elle ne manquera de discerner
Même dans le mouvement de la tempête
La grâce qui moulera ses formes de jeune fille
Par une silencieuse sympathie;
Et _des sentiments vitaux de joie_
Élèveront sa forme jusqu'à une royale stature,
Gonfleront son sein virginal;
De telles pensées à Lucie je donnerai
Pendant qu'elle et moi ensemble nous vivrons
Ici dans cet heureux vallon.»

«Des sentiments _vitaux_ de joie», remarquez-le. Il y a de mortels
sentiments de joie; mais ceux qui sont naturels sont vitaux,
nécessaires à la vraie vie.
Et ils seront des sentiments de joie, s'ils sont vitaux. Ne croyez pas
pouvoir rendre une jeune fille gracieuse, si vous ne la rendez pas
heureuse. Il n'y a pas une contrainte imposée aux bons sentiments
naturels d'une jeune fille--il n'y a pas d'obstacle mis à ses instincts
d'amour ou d'effort--qui ne reste indélébilement écrit sur ses
traits, avec une dureté qui est d'autant plus pénible qu'elle ôte
leur éclat aux yeux de l'innocence et son charme au front de la vertu.
71. Voilà pour les moyens; maintenant notez bien la fin. Empruntez au
même poète une parfaite description de la beauté de la femme.

«Une contenance en laquelle se rencontrent
De doux souvenirs, des promesses aussi douces.»

Le charme parfait d'une contenance de femme peut consister seulement en
cette paix majestueuse qui est fondée sur le souvenir des années
heureuses et utiles, pleines de doux souvenirs; et de son union avec
cette jeunesse peut-être plus émouvante qui contient encore le germe
de tant de renouvellements et de tant de promesses, au cœur toujours
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