Sésame et les lys: des trésors des rois, des jardins des reines - 11

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craignait qu'il ne fût mort. Ses craintes se trouvèrent justifiées.
La mort du malheureux paraissait remonter à plusieurs heures. Il était
mort de froid et d'humidité, et la pluie avait fouetté le cadavre
toute la nuit. Le défunt était chiffonnier. Il était tombé dans la
plus effroyable pauvreté, misérablement vêtu, la ventre vide. La
police l'avait à plusieurs reprises chassé de cette cour depuis le
lever jusqu'au coucher du soleil, lui disant de rentrer chez lui. Il
avait choisi l'endroit la plus désert afin d'y mourir misérablement.
On trouva dans ses poches un sou et quelques os. Il pouvait avoir entre
cinquante et soixante uns. L'inspecteur Roberts, de la division K, a
ordonné de faire une enquête chez les logeurs afin de s'assurer, si
possible de l'identité du malheureux.» (_Morning Post_, 25 novembre
1864.) (La Couronne d'Olivier Sauvage, I, le Travail.) (Note du
traducteur.)
(_c_) Citation de Lycidas de Milton. (Note de l'auteur.)]
[Note 124: Je vous prie de noter ce fait, d'y réfléchir, et de
considérer comment il se fait qu'une pauvre vieille aura honte de
prendre au pays un shilling par semaine, tandis que personne n'a honte
de prendre une rente de mille livres par an. (Note de l'auteur.)]
[Note 125: Je me réjouis sincèrement de voir fonder un journal comme
le Pall Mall Gazette, car le pouvoir de la presse dans les mains
d'hommes d'une haute culture, d'une situation indépendante, et bien
intentionnés, peut en effet mériter tous les éloges qu'on lui a tant
décernés jusqu'ici. Son directeur me pardonnera donc, je n'en doute
pas, si, à raison même de mon respect pour le journal, je ne laisse
pas passer sans observation un article paru dans son troisième numéro,
page 5, dont chaque mot était erroné, de cette erreur profonde où
peut seul atteindre un honnête homme qui dès le début a pris un
mauvais tournant de pensée et le suit, indifférent aux conséquences.
Il contenait à la fin ce passage à noter:
«Le pain de l'affliction et l'eau de l'affliction (_a_), oui et la
couchette et les couvertures de l'affliction, sont l'extrême maximum de
ce que la loi devrait donner aux _indigents simplement comme
indigents._» Je ne fais que mettre à côté de ces lignes
représentatives de l'esprit conservateur anglais en 1865, une partie du
message qui ordonna à Isaïe d'élever sa voix comme une trompette
(_b_) et de déclarer aux conservateurs de son temps (_c_): «Vous
jeûnez pour faire des procès et des querelles et pour frapper du poing
avec méchanceté. Est-ce le jeûne que j'ai choisi, qui est de partager
ton pain avec celui qui a faim et de faire venir dans ta maison las
affligés qui sont errants.» (_d_) L'erreur mentale que l'auteur avait
prise pour point de départ, ainsi qu'il l'a constaté un peu en avant,
était ceci: «Confondre l'office des fonctionnaires chargés des
distributions de secours aux pauvres, avec celui des personnes chargées
de ces distributions dans une institution charitable est une grande et
dangereuse erreur.»
Cette phrase est si exactement et si extraordinairement fausse qu'il
nous faut en renverser le sens dans nos esprits avant de songer à nous
occuper d'aucun problème actuel de misère sociale. «Comprendre que
les fonctionnaires chargés des secours aux pauvres sont les aumôniers
de la Nation et devraient en distribuer les offrandes avec une grâce et
une libéralité plus grandes et plus généreuses que celles permises
à la charité individuelle, autant que la sagesse et le pouvoir
collectif d'une Nation peuvent être supposés plus grands que ceux
d'une seule personne,--ceci est la base de toute loi sur le
paupérisme.»--Depuis que ceci a été écrit, le Pall Mall Gazette est
devenu--comme les autres--un simple journal de parti, mais il est bien
écrit et, somme toute, fait plus de bien que de mal (_e_).
(_a_) Allusion, Rois, XXII, 27, bien que l'expression pain de
l'affliction rappelle plutôt les Psaumes (127, 2.)
(_b_) «Crie à plein gosier, ne te retiens pas, élève ta voix comme
une trompette et annonce à mon peuple, etc. (Isaïe, 58, 1.)
(_c_) Phrase essentiellement ruskinienne. Pour s'en rendre compte: 1°
en ce qui concerne les premiers mots: «Je ne fais que mettre à côté
de ces lignes du Pall Mall Gazette le message d'Isaïe», comparer avec
la _Bible d'Amiens_, III, 48, note: «en regard de ce morceau éditorial
de la presse théologique moderne en Angleterre, je placerai simplement
les 4e, 6e et 13e versets de l'épître de S. Paul aux Romains, etc.--;
avec Unto This Last (Préface) 5, note: «À ces paroles diaboliques
(d'Adam Smith dans la «Richesse des Nations») j'opposerai seulement
les plus belles paroles des Vénitiens découvertes par moi dans leur
plus belle église («Autour de ce temple, etc.»)». Cette référence
à l'autorité de la Bible pour trancher un problème d'économie
politique est, comme je l'ai montré ailleurs, le témoignage d'une des
plus originales dispositions d'esprit de Ruskin qui est d'attribuer à
la littérature et à l'art (la Bible étant ici qu'un beau livre) une
sorte de valeur scientifique et inversement de traiter la science comme
un art, ce qui fait que pour Ruskin il n'y a pas, quand il s'agit de
science, supériorité des temps modernes, sur l'antiquité, pas plus
qu'il ne doit en effet y en avoir quand il s'agit d'art. Il y a là
aussi, à notre avis, un peu d'idolâtrie et l'amusement d'un érudit
qui s'amusa à chercher des recettes de cuisine dans Homère et des
renseignements d'ornithologie dans Carparccio. Notons encore que, dans
le chapitre «Interprétations» de la _Bible d'Amiens_, par exemple,
cette confrontation du présent au passé est invertie (Confrontation du
passé au présent) se relevant plus du premier procédé que sa saveur
d'anachronisme: Dans les bas-reliefs d'Amiens la Grossièreté comparée
à une femme dansant le cancan, la Rébellion aux voyous qui claquent
des doigts devant un prêtre; à propos du Désespoir: «le suicide
n'est pas considéré comme héroïque ni sentimental au XIIIe siècle
et il n'y a pas de morgue gothique au bord de la Somme,» etc. Ce qui
nous amène 2° à comparer les derniers mots de la phrase («message
d'Isaïe aux _conservateurs de son temps_») à tous ces anachronismes,
mais plus particulièrement à la _Bible d'Amiens_, II, 41 («un des
soldats francs de Clovis discuta sa prétention avec une telle confiance
d'être soutenu _par l'opinion publique du Ve siècle_» et à Unto This
Last, III, 42, «un marchand Juif (le roi Salomon) qui avait fait une
des fortunes les plus considérables de son temps.» (Note du
traducteur.)
(_d_) Isaïe, LVIII, 4 et 7. (Note du traducteur.)
(_e_) Et maintenant il a cessé d'exister sous ce nom. Il est devenu le
Westminster Gazette. (Note du traducteur.)]
[Note 126: Opéra de Balfe, compositeur de musique irlandais, né en
1808, mort en 1870. Balfe a composé de nombreuses partitions: Le Siège
de la Rochelle 1835, Manon Lescaut 1836, Jane Grey 1837, Falstaff 1838,
le Puits d'amour 1843, la Gipsy 1844, les 4 fils Aymon 1844, etc., etc.
Satanella est de 1859. (Note du traducteur.)]
[Note 127: Cf. plus haut § 16, l'adjectif anglais placé d'une façon
analogue en symétrie avec l'adjectif «latin». (Note du traducteur.)]
[Note 128: S. Luc, XVI, 20. «Il y avait aussi un pauvre nommé Lazare,
qui était couché à la porte de ce riche et était couvert
d'ulcères.» Comparez, sur Lazare et les pauvres d'aujourd'hui, la
Couronne d'Olivier sauvage, I, § 30. (Note du traducteur.)]
[Note 129: «Vous avez toujours les braves et bons dans la vie. Ceux-là
ont aussi besoin d'être aidés, quoique vous paraissiez croire qu'ils
n'ont qu'à aider les autres. Ceux-là aussi réclament qu'on pense à
eux et qu'on se souvienne d'eux.» (_Lectures on Art_, II, 58.) (Note du
traducteur.)]
[Note 130: Et dès les plus bas degrés de l'échelle du travail. Du
travail le plus humble naît un plaisir, humble sans doute comme la
tige, qui l'a porté, sans couleurs variées et qui pourtant n'est pas
sans charmer la vie qu'il embellit. Ce plaisir-là est satisfaction de
soi, plaisir à se trouver avec les autres, optimisme. De ce plaisir-là
dans la littérature de tous les temps il y a, avant tout, deux
immortels exemples. Le premier c'est l'histoire d'Aristarque et de ses
parents dans les Mémorables de Xénophon: «En ce moment, j'en suis
sûr, tu ne peux aimer tes parentes et elles ne peuvent t'aimer. Toi
parce que tu les regardes comme une gêne pour toi, elles parce qu'elles
voient bien qu'elles te gênent. De cela il est à craindre... que la
reconnaissance du passé ne soit amoindrie. Mais si tu leur imposes une
tâche, tu les aimeras en voyant qu'elles te sont utiles et elles te
chériront à leur tour en s'apercevant qu'elles te contentent; le
souvenir du passé vous sera plus agréable, votre reconnaissance s'en
augmentera. Vous deviendrez ainsi meilleurs amis et meilleurs parents.»
«Aussitôt dit, on acheta de la laine... la gaieté avait succédé à
la tristesse, etc.» (Mémorables, chapitre VII.) L'autre exemple est
donné par la fin de Candide, trop célèbre pour qu'il soit besoin de
la citer. C'est d'ailleurs encore la pensée qu'exprime la dernière
phrase de Candide: «Tout cela est bien, dit Candide, mais il faut
cultiver notre jardin.»--Je me souviens encore de la façon dont le
maître le plus admirable que j'aie connu, l'homme qui a en la plus
grande influence sur ma pensée, M. Darlu, aujourd'hui Inspecteur
général de l'Université, comparait à ce chapitre des Mémorables le
chapitre de la _Bible de l'Humanité_ sur Hercule. (Note du
traducteur.)]
[Note 131: Allusion à cet étrange passage d'Ezéchiel: «Il me dit:
Fils de l'Homme, perce la paroi, et quand j'eus percé la paroi il se
trouva une porte... J'entrai donc et voici toutes sortes de figures de
reptiles et de bêtes et tous les dieux infâmes de la maison d'Israël
étaient peints sur la paroi... et 70 hommes... assistaient et se
tenaient devant elles... et chacun avait un encensoir à la main d'où
montait en haut une épaisse nuée de parfum. Alors il me dit: Fils de
l'Homme n'as-tu pas vu ce que les anciens de la maison d'Israël font
dans les ténèbres, chacun dans son cabinet peint, etc. (Ezéchiel,
VIII, 6-18.) (Note du traducteur.)]
[Note 132: Turner. Voir, sur ce dessin, sur son pathétique et sa
signification, Modern Painters, partie V, ch. I, § 17, et chapitre
XVIII, § 2. (Note du traducteur.)]
[Note 133: C'est dans Isaïe (Prophétie contre le roi de Babylone)
(XIV, 9, 10) que le sépulcre a réveillé les Trépassés: «Il a fait
lever de leurs sièges tous les principaux de la terre, tous les rois
des nations. Ils prendront tous la parole et diront (au roi de
Babylone): «Tu as été aussi affaibli que nous, tu as été rendu
semblable à nous, on t'a fait descendre de ta magnificence dans le
sépulcre avec le bruit de tes instruments, etc.» (Note du
traducteur.)]
[Note 134: Sans doute, et pourtant si nous prenons la vie de tant de
grands écrivains, de tant d'artistes, reconnaissons que bien peu ont
entièrement négligé l'autre «avancement dans la vie, dans ses
atours». Combien peu, pour ne prendre que cet exemple, ont dédaigné
d'entrer à l'Académie Française ou telle autre forme de pouvoir, de
prestige. Tel poète, plongé dans la vie elle-même tant qu'il écrit,
sitôt la chaleur de l'inspiration tombée est déjà revenu à
l'«avancement dans la vie», dans les «atours de la vie» et de sa
main tremblante encore d'avoir voulu suivre au vol la vitesse de sa
pensée, il inscrit à la première page du poème qui plane si haut
au-dessus de toutes les contingences et de sa propre vie, le nom de la
Reine bienveillante à qui il le dédie, afin de faire connaître le
rang social qu'il occupe, combien il est «avancé dans la vie». Il
tient à ce que les humbles mortels le sachent et les autres reines
aussi, afin que les hommes le respectent et que les reines le
recherchent, et que tous parfassent ainsi son «avancement dans la
vie». Peut-être ce poète vous dira-t-il que s'il dine chez cette
Reine et ensuite lui dédie son livre, c'est parce qu'ayant conscience
de l'éminente dignité de «l'homme de lettres», il veut lui faire
dans la société la place qu'il doit y avoir, égale à celle des Rois.
Pour un peu, à l'en croire, il se dévoue, il immole ses goûts, son
talent, à ses devoirs de citoyen de la République des lettres.
Pourtant, si vous lui disiez que tel de ses confrères veut bien se
charger de ce rôle et qu'il pourra désormais dans l'inélégance et
dans l'obscurité travailler sans se soucier des Reines, peut-être se
rendrait-il compte alors que c'était en réalité plutôt à sa propre
grandeur qu'à celle de l'homme de lettres qu'il se dévouait et que les
conquêtes de son confrère ne lui remplaceraient nullement les siennes
propres. D'ailleurs l'homme de lettres chargé d'honneurs est-il plus
grand qu'un autre, même aux yeux frivoles de la postérité? C'est fort
douteux et un homme de lettres dédaigneux de toute influence, de tout
honneur, de toute situation mondaine, comme Flaubert, ne nous
apparaît-il pas comme plus grand que l'académicien son ami, Maxime du
Camp? Certes le désir «d'avancer dans la vie», le snobisme, est le
plus grand stérilisant de l'inspiration, le plus grand amortisseur de
l'originalité, le plus grand destructeur du talent. J'ai montré
autrefois qu'à cause de cela il est le vice le plus grave pour l'homme
de lettres, celui que sa morale instinctive, c'est-à-dire l'instinct de
conservation de son talent, lui représente comme le plus coupable, dont
il a le plus de remords, bien plus (que la débauche, par exemple, qui
lui est bien moins funeste, l'ordre et l'échelle des vices étant dans
une certaine mesure renversés pour l'homme de lettres. Et cependant le
génie se joue même de cette morale artistique. Que de snobs de génie
ont continué comme Balzac à écrire des chefs-d'œuvre. Que d'ascètes
impuissants n'ont pu tirer d'une vie admirable et solitaire dix pages
originales. (Note du traducteur.)]
[Note 135: Le symbole matériel de ceci est l'offre de
l'artério-sclérose faite tous es jours aux arthritiques par le démon
de la bonne chère. Mais ici encore, pour la santé comme pour le
génie, le tempérament est plus fort que le «régime». (Note du
traducteur.)]
[Note 136: Cercle de l'Enfer de Dante, qui tire son nom de Caïn. Voir
l'Enfer, chants V et XXXII. (Note du traducteur.)]
[Note 137: «Τὸ δὲ φρόνημα τοῦ πνεύματος ζωὴ καὶ εἰρήνη.»
(Note de l'auteur.)
«Et l'affection de la chair c'est la mort, tandis que l'affection de
l'esprit c'est la Vie et la Paix.» (Romains, VIII, 6.) (Note du
traducteur.)]
[Note 138: Munera Pulveris V Government, § 122. (Note du traducteur.)]
[Note 139: Sur cette épithète δημοϐόροι voir Lectures on Art,
IV, 116, et comparez avec l'expression des Psaumes, XIV, 4: «ils
mangent mon peuple comme du pain», que Ruskin cite dans The two Paths,
§ 179. (Note du traducteur.)]
[Note 140: Allusion à Dante, Enfer, III, 60. (Note du traducteur.)]
[Note 141: Allusion à la huitième scène de la 1re partie d'Henri IV,
de Shakespeare: Hotspur, le doigt sur la carte: «Il me semble que ma
portion, au nord de Burton ici--n'est pas égale à la vôtre.--Voyez
comme cette rivière vient sur moi tortueusement--et me retranche du
meilleur de mon territoire--une énorme demi-lune, un monstrueux
morceau.--Je ferai barrer le courant à cet endroit,--et la coquette,
l'argentine Trent coulera par ici--dans un nouveau canal uniforme et
direct: elle ne serpentera plus avec une si profonde échancrure--pour
me dérober ce riche domaine.--Glendower: Elle ne serpentera plus! elle
serpentera, il le faut; vous voyez bien.--Mortimer: Oui, mais remarquez
comme elle poursuit sen cours et revient sur moi, en sens inverse pour
votre dédommagement.--Elle supprime d'un côté autant de
terrain--qu'elle vous en prend de l'autre.--Worcester: Oui, mais on peut
ici la barrer à peu de frais, etc., etc., Et enfin Glendower: Allons,
on vous changera le cours de la Trent.» (Note du traducteur.)]
[Note 142: C'est le centenier de Capharnaüm qui dit à Jésus: J'ai des
soldats sous mes ordres et je dis à l'un: «Va» et il va, à l'autre:
«Viens» et il vient, à mon serviteur: «Fais cela,» et il le fait.
(S. Mathieu, VIII, 9.) (Note du traducteur.)]
[Note 143: Comparez: «L'homme est bien plus réellement le soleil du
monde, que n'est le soleil. La flamme de son cœur merveilleux est la
seule lumière digne d'être mesurée. Là où il est sont les
tropiques; là où il n'est pas le monde des glaces.» (Modern Painters,
V, p. 225, cité par M. Bardoux, dans son ouvrage sur Ruskin.) (Note du
traducteur.)]
[Note 144: S'il n'y avait que «font et enseignent», la référence la
plus littérale semblerait être: Actes, I, 1: «les choses que Jésus a
faites et enseignées», mais le contexte indique qu'il s'agit bien
plutôt de Mathieu, V, 19: «Celui donc qui aura violé ces
commandements et qui aura ainsi enseigné les hommes sera estimé le
plus petit dans le royaume des cieux, mais celui qui les aura observées
et enseignées, celui-là sera estimé grand dans le royaume des
cieux», et dans les royaumes de la terre, ajoute Ruskin. (Note du
traducteur.)]
[Note 145: Allusion à St Mathieu, VI, 19-20: «Ne vous amasser pas des
trésors sur la terre, où les vers et la rouille gâtent tout et où
les larrons percent et dérobent. Mans amassez-vous des trésors dans le
ciel où les vers ni la rouille ne gâte rien, et où les larrons ne
percent ni ne dérobent.» (Note du traducteur.)]
[Note 146: La «Library Edition» nous apprend que c'est là le terme
usité en alchimie pour signifier l'or dissous dans l'acide
nitro-hydrochlorique, lequel était supposé contenir l'élixir de vie.
(Note du traducteur.)]
[Note 147: Minerve, Vulcain, Apollon (voir _On
the old Road_, tome II, § 36). (Note du traducteur.)]
[Note 148: Job, XXVIII, 7. (Note du traducteur.)]
[Note 149: Ruskin veut parler de «Unto this last». Dans la préface
d'Unto this last, Ruskin dit de même: «Je crois que ces essais
contiennent ce que j'ai écrit de meilleur, c'est-à-dire de plus vrai
et de plus justement exprimé. Le dernier (Ad Valorem) qui m'a coûté
le plus de peine ne sera probablement jamais surpasse par aucun autre de
mes écrits futurs.» Dans Fors Clavigera, Unto this last est ainsi
rattaché à l'ensemble de son œuvre:
«À vingt ans j'écrivis _Peintres modernes_, à trente ans, _les
Pierres de Venise_, à quarante ans, _Unto this last_, à cinquante ans,
_les Leçons inaugurales d'Oxford_, et, si je finis jamais _Fors
Clavigera_, l'état d'esprit dans lequel je me trouvais à soixante ans
sera fixé.
«Les _Peintres modernes_ enseignèrent l'affinité de toute la nature
infinie avec le cœur de l'homme; montrèrent le rocher, la vague et
l'herbe comme un élément nécessaire de sa vie spirituelle. Ce dont je
vous conjure aujourd'hui, d'orner la terre et de la garder, n'est que le
complément, la suite logique de ce que j'enseignais alors. _Les Pierres
de Venise_ enseignèrent les lois de l'art de bâtir et comment la
beauté de toute œuvre, de tout édifice humain dépend de la vie
heureuse de son ouvrier. _Unto this last_ enseigna les lois de cette vie
même et la montra comme dépendante du Soleil de justice.» Fors
Clavigera, IV, Lettre LXXVIII, citée par M. Brunhes. (Note du
traducteur.)]
[Note 150: Comparez: «Les crosses et balles anglaises et françaises, y
compris celles dont nous ne nous servons pas, coûtent, je suppose,
environ 75 millions par an à chaque nation» (la Couronne d'Olivier
Sauvage, I, le Travail). Comparez encore (la Couronne d'Olivier Sauvage,
II, 259, cité par M. de la Sizeranne): «Supposez qu'un de mes voisins
m'ait appelé pour me consulter sur l'ameublement de son salon. Je
commence à regarder autour de moi et à trouver que les murs sont un
peu nus; je pense que tel ou tel papier serait désirable pour les murs,
peut-être une petite fresque ici et là sur le plafond et un rideau ou
deux de damas aux fenêtres. «Ah! dit mon commettant, des rideaux de
damas, certainement! Tout cela est fort beau, mais vous savez, je ne
peux me payer de telles choses, en ce moment!--Pourtant le monde vous
attribue de splendides revenus!--Ah! oui, dit mon ami, mais vous savez
qu'à présent je suis obligé de dépenser presque tout en pièges
d'acier!--En pièges d'acier! Et pourquoi?--Comment! pour ce quidam, de
l'autre côté du mur, vous savez; nous sommes de très bons amis, des
amis excellents, mais nous sommes obligés de conserver des traquenards
des deux côtés du mur; nous ne pourrions pas vivre en de bons termes
sans eux et sans nos pièges à fusil. Le pire est que nous sommes des
gars assez ingénieux tous les deux et qu'il ne se passe pas de jour
sans que nous inventions une nouvelle trappe ou un nouveau canon de
fusil, etc. Nous dépensons environ 15 millions par an chacun dans nos
pièges--en comptant tout, et je ne vois guère comment nous pourrions
faire à moins.» Voilà une façon de vivre d'un haut comique pour deux
particuliers! mais pour deux nations, cela ne me semble pas entièrement
comique. Bedlam serait comique peut-être, s'il ne contenait qu'un seul
fou, et votre pantomime de Noël est comique lorsqu'il y a un seul
clown, mais lorsque le monde entier devient clown et se tatoue lui-même
en rouge avec son propre sang à la place de vermillon, il y a là
quelque chose d'autre que de comique, je pense.»
Comparez à ce dernier morceau le § 33 ci-dessus: «Supposez qu'un
gentleman dont le revenu est inconnu, mais dont nous pouvons conjecturer
la fortune par ce fait qu'il dépense deux mille livres par an pour ses
valets de pied et les murs de son parc», etc. (Note du traducteur.)]
[Note 151: Unto this last, IV, ad valorem, § 76, note. (Note du
traducteur.)]
[Note 152: Sur cette dernière phrase et pour la décomposition des cinq
«thèmes» qui s'y mêlent (et, sans même trop subtiliser, on arrive
aisément «jusqu'à sept, en comptant les lois sur les grains,» et le
pain meilleur») Voir la note page 61. (Note du traducteur.)]
[Note 153: La «Library Edition» fournit du sens de ces mots «dans un
instant» (presently) une explication qui me semble très juste et très
naturelle, mais dont on ne s'avise pas généralement, parce que tout ce
passage est placé en appendice, à la fin des Trésors des Rois. Or, il
n'est qu'une note du § 30, imprimé à cause de son importance après
la conférence. De sorte que ce «presently», dit la « Library
Edition», se rapporte aux §§ 42 et suivants. (Note du traducteur.)]


IIe CONFÉRENCE

LES LYS
DES JARDINS DES REINES

_À Mademoiselle Suzette Lemaire
cette traduction est offerte, comme
un respectueux hommage, par son
admirateur et son ami._
M. P.


IIe CONFÉRENCE

LES LYS
DES JARDINS DES REINES

«Sois heureux, ô désert altéré;
que la solitude se réjouisse et fleurisse
comme le lys; et des lieux
arides du Jourdain jailliront des
forêts sauvages.» (Isaïe, XXXV, 1,
Version des Septante)[154].

51. Il sera peut-être bon comme cette conférence est la suite d'une
autre donnée précédemment, que je vous expose rapidement quelle a
été, dans les deux, mon intention générale. Les questions qui ont
été spécialement proposées à votre attention dans la première, à
savoir: «_Comment et Ce que_ il faut lire», découlent d'une autre
beaucoup plus profonde, que c'était mon but d'arriver à vous faire
vous poser à vous-mêmes: «Pourquoi il faut lire.» Je voudrais que
vous arriviez à sentir avec moi que, quelques avantages que nous donne
aujourd'hui la diffusion de l'éducation et du livre, nous n'en pourrons
faire un usage utile que quand nous aurons clairement saisi où
l'instruction doit nous conduire et ce que la lecture doit nous
enseigner. Je voudrais que vous vissiez qu'une éducation morale bien
dirigée et tout à la fois des lectures bien choisies mènent à la
possession d'un pouvoir sur les mal-élevés et sur les illettrés,
lequel pouvoir est, dans sa mesure, au véritable sens du mot, _royal_;
conférant en effet la plus pure royauté qui puisse exister chez les
hommes: trop d'autres royautés (qu'elles soient reconnaissables à des
insignes visibles ou à un pouvoir matériel) n'étant que spectrales ou
tyranniques; spectrales, c'est-à-dire de simples aspects et ombres de
royauté, creux comme la mort, et qui «ne portent que l'apparence d'une
couronne royale»[155]; ou encore tyranniques, c'est-à-dire substituant
leur propre vouloir à la loi de justice et d'amour par laquelle
gouvernent tous les vrais rois.
52. Il n'y a donc, je le répète--et comme je désire laisser cette
idée en vous, je commence par elle, et je finirai par elle--qu'une
seule vraie sorte de royauté; une sorte nécessaire et éternelle,
qu'elle soit couronnée ou non: à savoir, la royauté qui consiste dans
un état de moralité plus puissante, dans un état de réflexion plus
vraie que ceux des autres; vous rendant capable, par là, de les
diriger, ou de les élever. Notez ce mot «état», nous avons pris
l'habitude de l'employer d'une manière trop lâche. Il signifie
littéralement la station (action de se tenir debout) et la stabilité
d'une chose et vous avez sa pleine force dans son dérivé:
«statue»--(la chose immuable). La majesté d'un roi[156] et le droit
de son royaume a être appelé un État reposent donc sur leur
immuabilité à tous deux: sans frémissement, sans oscillation
d'équilibre; établis et trônant sur les fondations d'une loi
éternelle que rien ne peut altérer ni renverser.
53. Convaincu que toute littérature et toute éducation est profitable
seulement dans la mesure où elles tendent à affermir ce pouvoir calme,
bienfaisant et, _à cause de cela_, royal, sur nous-mêmes d'abord, et
à travers nous, sur tout ce qui nous entoure--je vais maintenant vous
demander de me suivre un peu plus loin et de considérer quelle part (ou
quelle sorte spéciale) de cette autorité royale découlant d'une noble
éducation peut à juste titre être possédée par les femmes; et dans
quelle mesure elles sont, elles aussi, appelées à un véritable
pouvoir de reines--non pas dans leur foyer seulement, mais sur tout ce
qui est dans leur sphère. Et dans quel sens, si elles comprenaient et
exerçaient comme il le faut cette royale ou gracieuse influence,
l'ordre et la beauté produits par un pouvoir aussi bienfaisant nous
justifieraient de dire en parlant des territoires sur lesquels chacune
d'elles régnerait: «les Jardins des Reines».
54. Et ici, dès le début, nous rencontrons une question beaucoup plus
profonde qui, si étrange que cela puisse paraître, demeure pourtant
incertaine pour beaucoup d'entre nous, en dépit de son importance
infinie.
Nous ne pouvons pas déterminer ce que doit être le pouvoir de reine
des femmes avant de nous être mis d'accord sur ce que doit être leur
pouvoir ordinaire. Nous ne pouvons pas nous demander comment
l'éducation pourra les rendre capables de remplir des devoirs plus
étendus avant de nous être mis d'accord sur ce que peut être leur
vrai devoir de tous les jours. Et il n'y a jamais eu d'époque où l'on
ait tenu de plus absurdes propos et laissé passer plus de songes creux
sur cette question--question vitale pour le bonheur de toute société.
Les rapports de la nature féminine avec la masculine, leur capacité
différente d'intelligence et de vertu, voilà un sujet sur lequel les
opinions semblent loin d'être d'accord. Nous entendons parler de la
«mission» et des «droits» de la femme, comme s'ils pouvaient jamais
être séparés de la mission et des droits de l'homme--comme si elle et
son seigneur étaient des créatures dont la nature fût entièrement
distincte et les revendications inconciliables. Ce qui est au moins
faux. Mais peut-être plus absurdement fausse (car je veux anticiper par
là sur ce que j'espère prouver plus loin) est l'idée que la femme est
seulement l'ombre et le reflet docile de son seigneur, lui devant une
irraisonnée et servile obéissance, et dont la faiblesse s'appuie à la
supériorité de sa force d'âme.
Ceci, dis-je, est la plus absurde de toutes les erreurs concernant celle
qui a été créée pour venir en aide à l'homme. Comme s'il pouvait
être aidé efficacement par une ombre, ou dignement par une esclave!
55. Voyons maintenant si nous ne pouvons pas arriver à une idée claire
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