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Robur-le-conquérant - 14
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baleine qu’il perce de son dard, c’était le torpilleur courant sur le
cuirassé qu’il va faire sauter d’un seul coup.
On le vit bien, et avec quelle angoisse! En quelques instants
l’aérostat eut atteint cinq mille mètres de hauteur.
L’_Albatros_ l’avait suivi dans son mouvement ascensionnel. Il
évoluait sur ses flancs. Il l’enserrait dans un cercle dont le rayon
diminuait à chaque tour. Il pouvait l’anéantir d’un bond, en crevant
sa fragile enveloppe. Alors Uncle Prudent et ses compagnons eussent
été broyés dans une effroyable chute!
Le public, muet d’horreur, haletant, était saisi de cette sorte
d’épouvante qui oppresse la poitrine, qui prend aux jambes, quand on
voit tomber quelqu’un d’une grande hauteur. Un combat aérien se
préparait, combat où ne s’offraient même pas les chances de salut
d’un combat naval, - le premier de ce genre, mais qui ne sera pas le
dernier, sans doute, puisque le progrès est une des lois de ce monde.
Et si le _Go a head_ portait à son cercle équatorial les couleurs
américaines, l’_Albatros_ avait arboré son pavillon, l’étamine
étoilée avec le soleil d’or de Robur-le-Conquérant.
Le _Go a head_ voulut alors essayer de distancer son ennemi en
s’élevant plus haut encore. Il se débarrassa du lest qu’il avait en
réserve. Il fit un nouveau bond de mille mètres. Ce n’était plus
alors qu’un point dans l’espace. L’_Albatros,_ qui le suivait
toujours en imprimant à ses hélices leur maximum de rotation, était
devenu invisible.
Soudain, un cri de terreur s’éleva du sol.
Le _Go a head_ grossissait à vue d’œil, tandis que l’aéronef
reparaissait en s’abaissant avec lui. Cette fois, c’était une chute.
Le gaz, trop dilaté dans les hautes zones, avait crevé l’enveloppe,
et, à demi dégonflé, le ballon tombait assez rapidement.
Mais l’aéronef, modérant ses hélices suspensives, s’abaissait d’une
vitesse égale. Il rejoignit le _Go a head,_ lorsqu’il n’était plus
qu’à douze cents mètres du sol, et s’en approcha bord à bord.
Robur voulait-il donc l’achever ?... Non!... Il voulait secourir, il
voulait sauver son équipage!
Et telle fut l’habileté de sa manœuvre que l’aéronaute et son
aide purent s’élancer sur la plate-forme de l’aéronef.
Uncle Prudent et Phil Evans allaient-ils donc refuser les secours de
Robur, refuser d’être sauvés par lui? Ils en étaient bien capables!
Mais les gens de l’ingénieur se jetèrent sur eux, et, par force, les
firent passer du _Go a head_ sur l’_Albatros._
Puis, l’aéronef se dégagea et demeura stationnaire, pendant que le
ballon, entièrement vide de gaz, tombait sur les arbres de la
clairière, où il resta suspendu comme une gigantesque loque.
Un effroyable silence régnait à terre. Il semblait que la vie eût été
suspendue dans toutes les poitrines. Bien des yeux s’étaient fermés
pour ne rien voir de la suprême catastrophe.
Uncle Prudent et Phil Evans étaient donc redevenus les prisonniers de
l’ingénieur Robur. Puisqu’il les avait repris, allait-il les
entraîner de nouveau dans l’espace, là ou il était impossible de le
suivre?
On pouvait le croire.
Cependant, au lieu de remonter dans les airs, l’_Albatros_ continuait
de s’abaisser vers le sol. Voulait-il atterrir? On le pensa, et la
foule s’écarta pour lui faire place au milieu de la clairière.
L’émotion était portée à son maximum d’intensité.
L’_Albatros_ s’arrêta à deux mètres de terre. Alors, au milieu du
profond silence, la voix de l’ingénieur se fit entendre.
« Citoyens des Etats-Unis, dit-il, le président et le secrétaire du
Weldon-Institute sont de nouveau en mon pouvoir. En les gardant, je
ne ferais qu’user de mon droit de représailles. Mais, à la passion
allumée dans leur âme par le succès de l’_Albatros,_ j’ai compris que
l’état des esprits n’était pas prêt pour l’importante révolution que
la conquête de l’air doit amener un jour. Uncle Prudent et Phil
Evans, vous êtes libres ! »
Le président, le secrétaire du Weldon-Institute, l’aéronaute et son
aide, n’eurent qu’à sauter pour prendre terre.
L’_Albatros_ remonta aussitôt à une dizaine de mètres au-dessus de la
foule.
Puis, Robur, continuant :
« Citoyens des Etats-Unis, dit-il, mon expérience est faite; mais mon
avis est dès à présent qu’il ne faut rien prématurer, pas même le
progrès. La science ne doit pas devancer les mœurs. Ce sont des
évolutions, non des révolutions qu’il convient de faire. En un mot,
il faut n’arriver qu’à son heure. J’arriverais trop tôt aujourd’hui
pour avoir raison des intérêts contradictoires et divisés. Les
nations ne sont pas encore mûres pour l’union.
« Je pars donc, et j’emporte mon secret avec moi. Mais il ne sera pas
perdu pour l’humanité. Il lui appartiendra le jour où elle sera assez
instruite pour en tirer profit et assez sage pour n’en jamais abuser.
Salut, citoyens des Etats-Unis, salut! »
Et l’_Albatros,_ battant l’air de ses soixante-quatorze hélices,
emporté par ses deux propulseurs poussés à outrance, disparut vers
l’est au milieu d’une tempête de hurrahs, qui, cette fois, étaient
admiratifs.
Les deux collègues, profondément humiliés, ainsi que tout le
Weldon-Institute en leur personne, firent la seule chose qu’il y eût
à faire : ils s’en retournèrent chez eux, tandis que la foule, par un
revirement subit, était prête à les saluer de ses plus vifs
sarcasmes, justes à cette heure!
----------------------------------------------------------------------
Et maintenant, toujours cette question Qu’est-ce que ce Robur? Le
saura-t-on jamais?
On le sait aujourd’hui. Robur, c’est la science future, celle de
demain peut-être. C’est la réserve certaine de l’avenir.
Quant à l’_Albatros,_ voyage-t-il encore à travers cette atmosphère
terrestre, au milieu de ce domaine que nul ne peut lui ravir? Il
n’est pas permis d’en douter. Robur-le-Conquérant reparaîtra-t-il un
jour, ainsi qu’il l’a annoncé? Oui! il viendra livrer le secret d’une
invention qui peut modifier les conditions sociales et politiques du
monde.
Quant à l’avenir de la locomotion aérienne, il appartient à
l’aéronef, non à l’aérostat.
C’est aux _Albatros_ qu’est définitivement réservée la conquête de
l’air!
Fin de Robur-le-Conquérant
cuirassé qu’il va faire sauter d’un seul coup.
On le vit bien, et avec quelle angoisse! En quelques instants
l’aérostat eut atteint cinq mille mètres de hauteur.
L’_Albatros_ l’avait suivi dans son mouvement ascensionnel. Il
évoluait sur ses flancs. Il l’enserrait dans un cercle dont le rayon
diminuait à chaque tour. Il pouvait l’anéantir d’un bond, en crevant
sa fragile enveloppe. Alors Uncle Prudent et ses compagnons eussent
été broyés dans une effroyable chute!
Le public, muet d’horreur, haletant, était saisi de cette sorte
d’épouvante qui oppresse la poitrine, qui prend aux jambes, quand on
voit tomber quelqu’un d’une grande hauteur. Un combat aérien se
préparait, combat où ne s’offraient même pas les chances de salut
d’un combat naval, - le premier de ce genre, mais qui ne sera pas le
dernier, sans doute, puisque le progrès est une des lois de ce monde.
Et si le _Go a head_ portait à son cercle équatorial les couleurs
américaines, l’_Albatros_ avait arboré son pavillon, l’étamine
étoilée avec le soleil d’or de Robur-le-Conquérant.
Le _Go a head_ voulut alors essayer de distancer son ennemi en
s’élevant plus haut encore. Il se débarrassa du lest qu’il avait en
réserve. Il fit un nouveau bond de mille mètres. Ce n’était plus
alors qu’un point dans l’espace. L’_Albatros,_ qui le suivait
toujours en imprimant à ses hélices leur maximum de rotation, était
devenu invisible.
Soudain, un cri de terreur s’éleva du sol.
Le _Go a head_ grossissait à vue d’œil, tandis que l’aéronef
reparaissait en s’abaissant avec lui. Cette fois, c’était une chute.
Le gaz, trop dilaté dans les hautes zones, avait crevé l’enveloppe,
et, à demi dégonflé, le ballon tombait assez rapidement.
Mais l’aéronef, modérant ses hélices suspensives, s’abaissait d’une
vitesse égale. Il rejoignit le _Go a head,_ lorsqu’il n’était plus
qu’à douze cents mètres du sol, et s’en approcha bord à bord.
Robur voulait-il donc l’achever ?... Non!... Il voulait secourir, il
voulait sauver son équipage!
Et telle fut l’habileté de sa manœuvre que l’aéronaute et son
aide purent s’élancer sur la plate-forme de l’aéronef.
Uncle Prudent et Phil Evans allaient-ils donc refuser les secours de
Robur, refuser d’être sauvés par lui? Ils en étaient bien capables!
Mais les gens de l’ingénieur se jetèrent sur eux, et, par force, les
firent passer du _Go a head_ sur l’_Albatros._
Puis, l’aéronef se dégagea et demeura stationnaire, pendant que le
ballon, entièrement vide de gaz, tombait sur les arbres de la
clairière, où il resta suspendu comme une gigantesque loque.
Un effroyable silence régnait à terre. Il semblait que la vie eût été
suspendue dans toutes les poitrines. Bien des yeux s’étaient fermés
pour ne rien voir de la suprême catastrophe.
Uncle Prudent et Phil Evans étaient donc redevenus les prisonniers de
l’ingénieur Robur. Puisqu’il les avait repris, allait-il les
entraîner de nouveau dans l’espace, là ou il était impossible de le
suivre?
On pouvait le croire.
Cependant, au lieu de remonter dans les airs, l’_Albatros_ continuait
de s’abaisser vers le sol. Voulait-il atterrir? On le pensa, et la
foule s’écarta pour lui faire place au milieu de la clairière.
L’émotion était portée à son maximum d’intensité.
L’_Albatros_ s’arrêta à deux mètres de terre. Alors, au milieu du
profond silence, la voix de l’ingénieur se fit entendre.
« Citoyens des Etats-Unis, dit-il, le président et le secrétaire du
Weldon-Institute sont de nouveau en mon pouvoir. En les gardant, je
ne ferais qu’user de mon droit de représailles. Mais, à la passion
allumée dans leur âme par le succès de l’_Albatros,_ j’ai compris que
l’état des esprits n’était pas prêt pour l’importante révolution que
la conquête de l’air doit amener un jour. Uncle Prudent et Phil
Evans, vous êtes libres ! »
Le président, le secrétaire du Weldon-Institute, l’aéronaute et son
aide, n’eurent qu’à sauter pour prendre terre.
L’_Albatros_ remonta aussitôt à une dizaine de mètres au-dessus de la
foule.
Puis, Robur, continuant :
« Citoyens des Etats-Unis, dit-il, mon expérience est faite; mais mon
avis est dès à présent qu’il ne faut rien prématurer, pas même le
progrès. La science ne doit pas devancer les mœurs. Ce sont des
évolutions, non des révolutions qu’il convient de faire. En un mot,
il faut n’arriver qu’à son heure. J’arriverais trop tôt aujourd’hui
pour avoir raison des intérêts contradictoires et divisés. Les
nations ne sont pas encore mûres pour l’union.
« Je pars donc, et j’emporte mon secret avec moi. Mais il ne sera pas
perdu pour l’humanité. Il lui appartiendra le jour où elle sera assez
instruite pour en tirer profit et assez sage pour n’en jamais abuser.
Salut, citoyens des Etats-Unis, salut! »
Et l’_Albatros,_ battant l’air de ses soixante-quatorze hélices,
emporté par ses deux propulseurs poussés à outrance, disparut vers
l’est au milieu d’une tempête de hurrahs, qui, cette fois, étaient
admiratifs.
Les deux collègues, profondément humiliés, ainsi que tout le
Weldon-Institute en leur personne, firent la seule chose qu’il y eût
à faire : ils s’en retournèrent chez eux, tandis que la foule, par un
revirement subit, était prête à les saluer de ses plus vifs
sarcasmes, justes à cette heure!
----------------------------------------------------------------------
Et maintenant, toujours cette question Qu’est-ce que ce Robur? Le
saura-t-on jamais?
On le sait aujourd’hui. Robur, c’est la science future, celle de
demain peut-être. C’est la réserve certaine de l’avenir.
Quant à l’_Albatros,_ voyage-t-il encore à travers cette atmosphère
terrestre, au milieu de ce domaine que nul ne peut lui ravir? Il
n’est pas permis d’en douter. Robur-le-Conquérant reparaîtra-t-il un
jour, ainsi qu’il l’a annoncé? Oui! il viendra livrer le secret d’une
invention qui peut modifier les conditions sociales et politiques du
monde.
Quant à l’avenir de la locomotion aérienne, il appartient à
l’aéronef, non à l’aérostat.
C’est aux _Albatros_ qu’est définitivement réservée la conquête de
l’air!
Fin de Robur-le-Conquérant
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