Nouvelles histoires extraordinaires - 10

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m'entouraient, que pouvait-il y avoir de moins important que les
dimensions de ma prison? Mais mon âme mettait un intérêt bizarre dans
des niaiseries, et je m'appliquai fortement à me rendre compte de
l'erreur que j'avais commise dans mes mesures. À la fin, la vérité
m'apparut comme un éclair. Dans ma première tentative d'exploration,
j'avais compté cinquante-deux pas, jusqu'au moment où je tombai; je
devais être alors à un pas ou deux du morceau de serge; dans le fait,
j'avais presque accompli le circuit du caveau. Je m'endormis alors,—et,
en m'éveillant, il faut que je sois retourné sur mes pas,—créant ainsi
un circuit presque double du circuit réel. La confusion de mon cerveau
m'avait empêché de remarquer que j'avais commencé mon tour avec le mur à
ma gauche, et que je finissais avec le mur à ma droite.
Je m'étais aussi trompé relativement à la forme de l'enceinte. En tâtant
ma route, j'avais trouvé beaucoup d'angles, et j'en avais déduit l'idée
d'une grande irrégularité; tant est puissant l'effet d'une totale
obscurité sur quelqu'un qui sort d'une léthargie ou d'un sommeil! Ces
angles étaient simplement produits par quelques légères dépressions ou
retraits à des intervalles inégaux. La forme générale de la prison était
un carré. Ce que j'avais pris pour de la maçonnerie semblait maintenant
du fer, ou tout autre métal, en plaques énormes, dont les sutures et les
joints occasionnaient les dépressions. La surface entière de cette
construction métallique était grossièrement barbouillée de tous les
emblèmes hideux et répulsifs auxquels la superstition sépulcrale des
moines a donné naissance. Des figures de démons, avec des airs de
menace, avec des formes de squelettes, et d'autres images d'une horreur
plus réelle souillaient les murs dans toute leur étendue. J'observai que
les contours de ces monstruosités étaient suffisamment distincts, mais
que les couleurs étaient flétries et altérées, comme par l'effet d'une
atmosphère humide. Je remarquai alors le sol, qui était en pierre. Au
centre bâillait le puits circulaire, à la gueule duquel j'avais échappé;
mais il n'y en avait qu'un seul dans le cachot.
Je vis tout cela indistinctement et non sans effort,—car ma situation
physique avait singulièrement changé pendant mon sommeil. J'étais
maintenant couché sur le dos, tout de mon long, sur une espèce de
charpente de bois très-basse. J'y étais solidement attaché avec une
longue bande qui ressemblait à une sangle. Elle s'enroulait plusieurs
fois autour de mes membres et de mon corps, ne laissant de liberté qu'à
ma tête et à mon bras gauche; mais encore me fallait-il faire un effort
des plus pénibles pour me procurer la nourriture contenue dans un plat
de terre posé à côté de moi sur le sol. Je m'aperçus avec terreur que la
cruche avait été enlevée. Je dis: avec terreur, car j'étais dévoré d'une
intolérable soif. Il me sembla qu'il entrait dans le plan de mes
bourreaux d'exaspérer cette soif,—car la nourriture contenue dans le
plat était une viande cruellement assaisonnée.
Je levai les yeux, et j'examinai le plafond de la prison. Il était à une
hauteur de trente ou quarante pieds, et, par sa construction, il
ressemblait beaucoup aux murs latéraux. Dans un de ses panneaux, une
figure des plus singulières fixa toute mon attention. C'était la figure
peinte du Temps, comme il est représenté d'ordinaire, sauf qu'au lieu
d'une faux il tenait un objet qu'au premier coup d'œil je pris pour
l'image peinte d'un énorme pendule, comme on en voit dans les horloges
antiques. Il y avait néanmoins dans l'aspect de cette machine quelque
chose qui me fit la regarder avec plus d'attention. Comme je l'observais
directement, les yeux en l'air,—car elle était placée juste au-dessus
de moi,—je crus la voir remuer. Un instant après, mon idée fut
confirmée. Son balancement était court, et naturellement très-lent. Je
l'épiai pendant quelques minutes, non sans une certaine défiance, mais
surtout avec étonnement. Fatigué à la longue de surveiller son mouvement
fastidieux, je tournai mes yeux vers les autres objets de la cellule.
Un léger bruit attira mon attention, et, regardant le sol, je vis
quelques rats énormes qui le traversaient. Ils étaient sortis par le
puits, que je pouvais apercevoir à ma droite. Au même instant, comme je
les regardais, ils montèrent par troupes, en toute hâte, avec des yeux
voraces, affriandés par le fumet de la viande. Il me fallait beaucoup
d'efforts et d'attention pour les en écarter.
Il pouvait bien s'être écoulé une demi-heure, peut-être même une
heure,—car je ne pouvais mesurer le temps que
très-imparfaitement,—quand je levai de nouveau les yeux au-dessus de
moi. Ce que je vis alors me confondit et me stupéfia. Le parcours du
pendule s'était accru presque d'un yard; sa vélocité, conséquence
naturelle, était aussi beaucoup plus grande. Mais ce qui me troubla
principalement fut l'idée qu'il était visiblement _descendu_. J'observai
alors,—avec quel effroi, il est inutile de le dire,—que son extrémité
inférieure était formée d'un croissant d'acier étincelant, ayant environ
un pied de long d'une corne à l'autre; les cornes dirigées en haut, et
le tranchant inférieur évidemment affilé comme celui d'un rasoir. Comme
un rasoir aussi, il paraissait lourd et massif, s'épanouissant, à partir
du fil, en une forme large et solide. Il était ajusté à une lourde verge
de cuivre, et le tout _sifflait_ en se balançant à travers l'espace.
Je ne pouvais pas douter plus longtemps au sort qui m'avait été préparé
par l'atroce ingéniosité monacale. Ma découverte du puits était devinée
par les agents de l'Inquisition,—le puits, dont les horreurs avaient
été réservées à un hérétique aussi téméraire que moi,—_le puits_,
figure de l'enfer, et considéré par l'opinion comme l'_Ultima Thule_ de
tous leurs châtiments! J'avais évité le plongeon par le plus fortuit des
accidents, et je savais que l'art de faire du supplice un piège et une
surprise formait une branche importante de tout ce fantastique système
d'exécutions secrètes. Or, ayant manqué ma chute dans l'abîme, il
n'entrait pas dans le plan démoniaque de m'y précipiter; j'étais donc
voué—et cette fois sans alternative possible,—à une destruction
différente et plus douce.—Plus douce! J'ai presque souri dans mon
agonie en pensant à la singulière application que je faisais d'un pareil
mot.
Que sert-il de raconter les longues, longues heures d'horreur plus que
mortelles durant lesquelles je comptai les oscillations vibrantes de
l'acier? Pouce par pouce,—ligne par ligne,—il opérait une descente
graduée et seulement appréciable à des intervalles qui me paraissaient
des siècles,—et toujours il descendait,—toujours plus bas,—toujours
plus bas! Il s'écoula des jours, il se peut que plusieurs jours se
soient écoulés, avant qu'il vînt se balancer assez près de moi pour
m'éventer avec son souffle âcre. L'odeur de l'acier aiguisé
s'introduisait dans mes narines. Je priai le ciel,—je le fatiguai de ma
prière,—de faire descendre l'acier plus rapidement. Je devins fou,
frénétique, et je m'efforçai de me soulever, d'aller à la rencontre de
ce terrible cimeterre mouvant. Et puis, soudainement je tombai dans un
grand calme,—et je restai étendu, souriant à cette mort étincelante,
comme un enfant à quelque précieux joujou.
Il se fit un nouvel intervalle de parfaite insensibilité; intervalle
très-court, car, en revenant à la vie, je ne trouvai pas que le pendule
fût descendu d'une quantité appréciable. Cependant, il se pourrait bien
que ce temps eût été long,—car je savais qu'il y avait des démons qui
avaient pris note de mon évanouissement, et qui pouvaient arrêter la
vibration à leur gré. En revenant à moi, j'éprouvai un malaise et une
faiblesse—oh! inexprimables,—comme par suite d'une longue inanition.
Même au milieu des angoisses présentes, la nature humaine implorait sa
nourriture. Avec un effort pénible, j'étendis mon bras gauche aussi loin
que mes liens me le permettaient, et je m'emparai d'un petit reste que
les rats avaient bien voulu me laisser. Comme j'en portais une partie à
mes lèvres, une pensée informe de joie,—d'espérance,—traversa mon
esprit. Cependant, qu'y avait-il de commun entre moi et l'espérance?
C'était, dis-je, une pensée informe;—l'homme en a souvent de semblables
qui ne sont jamais complétées. Je sentis que c'était une pensée de
joie,—d'espérance; mais je sentis aussi qu'elle était morte en
naissant. Vainement je m'efforçai de la parfaire,—de la rattraper. Ma
longue souffrance avait presque annihilé les facultés ordinaires de mon
esprit. J'étais un imbécile,—un idiot.
La vibration du pendule avait lieu dans un plan faisant angle droit avec
ma longueur. Je vis que le croissant avait été disposé pour traverser la
région du cœur. Il éraillerait la serge de ma robe,—puis il
reviendrait et répéterait son opération,—encore,—et encore. Malgré
l'effroyable dimension de la courbe parcourue (quelque chose comme
trente pieds, peut-être plus), et la sifflante énergie de sa descente,
qui aurait suffi pour couper même ces murailles de fer, en somme tout ce
qu'il pouvait faire, pour quelques minutes, c'était d'érailler ma robe.
Et sur cette pensée je fis une pause. Je n'osais pas aller plus loin que
cette réflexion. Je m'appesantis là-dessus avec une attention opiniâtre,
comme si, par cette insistance, je pouvais arrêter _là_ la descente de
l'acier. Je m'appliquai à méditer sur le son que produirait le croissant
en passant à travers mon vêtement,—sur la sensation particulière et
pénétrante que le frottement de la toile produit sur les nerfs. Je
méditai sur toutes ces futilités, jusqu'à ce que mes dents fussent
agacées.
Plus bas,—plus bas encore,—il glissait toujours plus bas. Je prenais
un plaisir frénétique à comparer sa vitesse de haut en bas avec sa
vitesse latérale. À droite,—à gauche,—et puis il fuyait loin, loin, et
puis il revenait,—avec le glapissement d'un esprit damné!—jusqu'à mon
cœur, avec l'allure furtive du tigre! Je riais et je hurlais
alternativement, selon que l'une ou l'autre idée prenait le dessus.
Plus bas,—invariablement, impitoyablement plus bas! Il vibrait à trois
pouces de ma poitrine! Je m'efforçai violemment—furieusement,—de
délivrer mon bras gauche. Il était libre seulement depuis le coude
jusqu'à la main. Je pouvais faire jouer ma main depuis le plat situé à
côté de moi jusqu'à ma bouche, avec un grand effort,—et rien de plus.
Si j'avais pu briser les ligatures au-dessus du coude, j'aurais saisi le
pendule, et j'aurais essayé de l'arrêter. J'aurais aussi bien essayé
d'arrêter une avalanche!
Toujours plus bas!—incessamment,—inévitablement plus bas! Je respirais
douloureusement, et je m'agitais à chaque vibration. Je me rapetissais
convulsivement à chaque balancement. Mes yeux le suivaient dans sa volée
ascendante et descendante, avec l'ardeur du désespoir le plus insensé;
ils se refermaient spasmodiquement au moment de la descente, quoique la
mort eût été un soulagement,—oh! quel indicible soulagement! Et
cependant je tremblais dans tous mes nerfs, quand je pensais qu'il
suffirait que la machine descendît d'un cran pour précipiter sur ma
poitrine, cette hache aiguisée, étincelante. C'était l'_espérance_ qui
faisait ainsi trembler mes nerfs, et tout mon être se replier. C'était
l'espérance,—l'espérance qui triomphe même sur le chevalet,—qui
chuchote à l'oreille des condamnés à mort, même dans les cachots de
l'Inquisition.
Je vis que dix ou douze vibrations environ mettraient l'acier en contact
immédiat avec mon vêtement,—et avec cette observation entra dans mon
esprit le calme aigu et condensé du désespoir. Pour la première fois
depuis bien des heures,—depuis bien des jours peut-être, je _pensai_.
Il me vint à l'esprit que le bandage, ou sangle, qui m'enveloppait était
d'un seul morceau. J'étais attaché par un lien continu. La première
morsure du rasoir, du croissant, dans une partie quelconque de la
sangle, devait la détacher suffisamment pour permettre à ma main gauche
de la dérouler tout autour de moi. Mais combien devenait terrible dans
ce cas la proximité de l'acier. Et le résultat de la plus légère
secousse, mortel! Était-il vraisemblable, d'ailleurs, que les mignons du
bourreau n'eussent pas prévu et paré cette possibilité? Était-il
probable que le bandage traversât ma poitrine dans le parcours du
pendule? Tremblant de me voir frustré de ma faible espérance,
vraisemblablement ma dernière, je haussai suffisamment ma tête pour voir
distinctement ma poitrine. La sangle enveloppait étroitement mes membres
et mon corps dans tous les sens,—_excepté dans le chemin du croissant
homicide_.
À peine avais-je laissé retomber ma tête dans sa position première, que
je sentis briller dans mon esprit quelque chose que je ne saurais mieux
définir que la moitié non formée de cette idée de délivrance dont j'ai
déjà parlé, et dont une moitié seule avait flotté vaguement dans ma
cervelle, lorsque je portai la nourriture à mes lèvres brûlantes. L'idée
tout entière était maintenant présente;—faible, à peine viable, à peine
définie,—mais enfin complète. Je me mis immédiatement, avec l'énergie
du désespoir, à en tenter l'exécution.
Depuis plusieurs heures, le voisinage immédiat du châssis sur lequel
j'étais couché fourmillait littéralement de rats. Ils étaient
tumultueux, hardis, voraces,—leurs yeux rouges dardés sur moi, comme
s'ils n'attendaient que mon immobilité pour faire de moi leur proie.—À
quelle nourriture,—pensai-je,—ont ils été accoutumés dans ce puits?
Excepté un petit reste, ils avaient dévoré, en dépit de tous mes efforts
pour les en empêcher, le contenu du plat. Ma main avait contracté une
habitude de va-et-vient, de balancement vers le plat; et, à la longue,
l'uniformité machinale du mouvement lui avait enlevé toute son
efficacité. Dans sa voracité cette vermine fixait souvent ses dents
aiguës dans mes doigts. Avec les miettes de la viande huileuse et épicée
qui restait encore, je frottai fortement le bandage partout où je pus
l'atteindre; puis, retirant ma main du sol, je restai immobile et sans
respirer.
D'abord les voraces animaux furent saisis et effrayés du changement,—de
la cessation du mouvement. Ils prirent l'alarme et tournèrent le dos;
plusieurs regagnèrent le puits; mais cela ne dura qu'un moment. Je
n'avais pas compté en vain sur leur gloutonnerie. Observant que je
restais sans mouvement, un ou deux des plus hardis grimpèrent sur le
châssis et flairèrent la sangle. Cela me parut le signal d'une invasion
générale. Des troupes fraîches se précipitèrent hors du puits. Ils
s'accrochèrent au bois,—ils l'escaladèrent et sautèrent par centaines
sur mon corps. Le mouvement régulier du pendule ne les troublait pas le
moins du monde. Ils évitaient son passage et travaillaient activement
sur le bandage huilé. Ils se pressaient,—ils fourmillaient et
s'amoncelaient incessamment sur moi; ils se tortillaient sur ma gorge;
leurs lèvres froides cherchaient les miennes; j'étais à moitié suffoqué
par leur poids multiplié; un dégoût, qui n'a pas de nom dans le monde,
soulevait ma poitrine et glaçait mon cœur comme un pesant vomissement.
Encore une minute, et je sentais que l'horrible opération serait finie.
Je sentais positivement le relâchement du bandage; je savais qu'il
devait être déjà coupé en plus d'un endroit. Avec une résolution
surhumaine, je restai _immobile_. Je ne m'étais pas trompé dans mes
calculs,—je n'avais pas souffert en vain. À la longue, je sentis que
j'étais _libre_. La sangle pendait en lambeaux autour de mon corps; mais
le mouvement du pendule attaquait déjà ma poitrine; il avait fendu la
serge de ma robe; il avait coupé la chemise de dessous; il fit encore
deux oscillations,—et une sensation de douleur aiguë traversa tous mes
nerfs. Mais l'instant du salut était arrivé. À un geste de ma main, mes
libérateurs s'enfuirent tumultueusement. Avec un mouvement tranquille et
résolu,—prudent et oblique,—lentement et en m'aplatissant,—je me
glissai hors de l'étreinte du bandage et des atteintes du cimeterre.
Pour le moment du moins, _j'étais libre_.
Libre!—et dans la griffe de l'Inquisition! J'étais à peine sorti de mon
grabat d'horreur, j'avais à peine fait quelques pas sur le pavé de la
prison, que le mouvement de l'infernale machine cessa, et que je la vis
attirée par une force invisible à travers le plafond. Ce fut une leçon
qui me mit le désespoir dans le cœur. Tous mes mouvements étaient
indubitablement épiés. Libre!—je n'avais échappé à la mort sous une
espèce d'agonie que pour être livré à quelque chose de pire que la mort
sous quelque autre espèce. À cette pensée, je roulai mes yeux
convulsivement sur les parois de fer qui m'enveloppaient. Quelque chose
de singulier—un changement que d'abord je ne pus apprécier
distinctement—se produisit dans la chambre,—c'était évident. Durant
quelques minutes d'une distraction pleine de rêves et de frissons, je me
perdis dans de vaines et incohérentes conjectures. Pendant ce temps, je
m'aperçus pour la première fois de l'origine de la lumière sulfureuse
qui éclairait la cellule. Elle provenait d'une fissure large à peu près
d'un demi-pouce, qui s'étendait tout autour de la prison à la base des
murs, qui paraissaient ainsi et étaient en effet complètement séparés du
sol. Je tâchai, mais bien en vain, comme on le pense, de regarder par
cette ouverture.
Comme je me relevais découragé, le mystère de l'altération de la chambre
se dévoila tout d'un coup à mon intelligence. J'avais observé que, bien
que les contours des figures murales fussent suffisamment distincts, les
couleurs semblaient altérées et indécises. Ces couleurs venaient de
prendre et prenaient à chaque instant un éclat saisissant et
très-intense, qui donnait à ces images fantastiques et diaboliques un
aspect dont auraient frémi des nerfs plus solides que les miens. Des
yeux de démons, d'une vivacité féroce et sinistre, étaient dardés sur
moi de mille endroits, où primitivement je n'en soupçonnais aucun, et
brillaient de l'éclat lugubre d'un feu que je voulais absolument, mais
en vain, regarder comme imaginaire.
_Imaginaire_!—Il me suffisait de respirer pour attirer dans mes
narines la vapeur du fer chauffé! Une odeur suffocante se répandit dans
la prison! Une ardeur plus profonde se fixait à chaque instant dans les
yeux dardés sur mon agonie! Une teinte plus riche de rouge s'étalait sur
ces horribles peintures de sang! J'étais haletant! Je respirais avec
effort! Il n'y avait pas à douter du dessein de mes bourreaux,—oh! les
plus impitoyables, oh! les plus démoniaques des hommes! Je reculai loin
du métal ardent vers le centre du cachot. En face de cette destruction
par le feu, l'idée de la fraîcheur du puits surprit mon âme comme un
baume. Je me précipitai vers ses bords mortels. Je tendis mes regards
vers le fond. L'éclat de la voûte enflammée illuminait ses plus secrètes
cavités. Toutefois, pendant un instant d'égarement, mon esprit se refusa
à comprendre la signification de ce que je voyais. À la fin, cela entra
dans mon âme,—de force, victorieusement; cela s'imprima en feu sur ma
raison frissonnante. Oh une voix, une voix pour parler!—Oh!
horreur—Oh! toutes les horreurs, excepté celle-là!—Avec un cri, je me
rejetai loin de la margelle, et, cachant mon visage dans mes mains, je
pleurai amèrement.
La chaleur augmentait rapidement, et une fois encore je levai les yeux,
frissonnant comme dans un accès de fièvre. Un second changement avait eu
lieu dans la cellule,—et maintenant ce changement était évidemment dans
la _forme_. Comme la première fois, ce fut d'abord en vain que je
cherchai à apprécier ou à comprendre ce qui se passait. Mais on ne me
laissa pas longtemps dans le doute. La vengeance de l'Inquisition
marchait grand train, déroutée deux fois par mon bonheur, et il n'y
avait pas à jouer plus longtemps avec le Roi des Épouvantements. La
chambre avait été carrée. Je m'apercevais que deux de ses angles de fer
étaient maintenant aigus,—deux conséquemment obtus. Le terrible
contraste augmentait rapidement, avec un grondement, un gémissement
sourd. En un instant, la chambre avait changé sa forme en celle d'un
losange. Mais la transformation ne s'arrêta pas là. Je ne désirais pas,
je n'espérais pas qu'elle s'arrêtât. J'aurais appliqué les murs rouges
contre ma poitrine, comme un vêtement d'éternelle paix.—La mort,—me
dis-je,—n'importe quelle mort, excepté celle du puits!—Insensé!
comment n'avais-je pas compris _qu'il fallait le puits_, que _ce puits
seul_ était la raison du fer brûlant qui m'assiégeait? Pouvais-je
résister à son ardeur? Et, même en le supposant, pouvais-je me roidir
contre sa pression? Et maintenant, le losange s'aplatissait,
s'aplatissait avec une rapidité qui ne me laissait pas le temps de la
réflexion. Son centre, placé sur la ligne de sa plus grande largeur,
coïncidait juste avec le gouffre béant. J'essayai de reculer,—mais les
murs, en se resserrant, me pressaient irrésistiblement. Enfin, il vint
un moment où mon corps brûlé et contorsionné trouvait à peine sa place,
où il y avait à peine place pour mon pied sur le sol de la prison. Je ne
luttais plus, mais l'agonie de mon âme s'exhala dans un grand et long
cri suprême de désespoir. Je sentis que je chancelais sur le bord,—je
détournai les yeux...
Mais voilà comme un bruit discordant de voix humaines! Une explosion, un
ouragan de trompettes! Un puissant rugissement comme celui d'un millier
de tonnerres! Les murs de feu reculèrent précipitamment! Un bras étendu
saisit le mien comme je tombais, défaillant, dans l'abîme. C'était le
bras du général Lasalle. L'armée française était entrée à Tolède.
L'Inquisition était dans les mains de ses ennemis...


HOP-FROG

Je n'ai jamais connu personne qui eût plus d'entrain et qui fût plus
porté à la facétie que ce brave roi. Il ne vivait que pour les farces.
Raconter une bonne histoire dans le genre bouffon, et la bien raconter,
c'était le plus sûr chemin pour arriver à sa faveur. C'est pourquoi ses
sept ministres étaient tous gens distingués par leurs talents de
farceurs. Ils étaient tous taillés d'après le patron royal,—vaste
corpulence, adiposité, inimitable aptitude pour la bouffonnerie. Que les
gens engraissent par la farce ou qu'il y ait dans la graisse quelque
chose qui prédispose à la farce, c'est une question que je n'ai jamais
pu décider; mais il est certain qu'un farceur maigre peut s'appeler
_rara avis in terris_.
Quant aux raffinements, ou _ombres_ de l'esprit, comme il les appelait
lui-même, le roi s'en souciait médiocrement. Il avait une admiration
spéciale pour la _largeur_ dans la facétie, et il la digérait même en
_longueur_, pour l'amour d'elle. Les délicatesses l'ennuyaient. Il
aurait préféré le _Gargantua_ de Rabelais au _Zadig_ de Voltaire, et
par-dessus tout les bouffonneries en action accommodaient son goût, bien
mieux encore que les plaisanteries en paroles.
À l'époque où se passe cette histoire, les bouffons de profession
n'étaient pas tout à fait passés de mode à la cour. Quelques-unes des
grandes _puissances_ continentales gardaient encore leurs _fous_;
c'étaient des malheureux, bariolés, ornés de bonnets à sonnettes, et qui
devaient être toujours prêts à livrer, à la minute, des bons mots
subtils, en échange des miettes qui tombaient de la table royale.
_Notre roi_, naturellement, avait son fou. Le fait est qu'il _sentait le
besoin_ de quelque chose dans le sens de la folie,—ne fût-ce que pour
contrebalancer la pesante sagesse des sept hommes sages qui lui
servaient de ministres,—pour ne pas parler de lui.
Néanmoins, son fou, son bouffon de profession, n'était pas seulement un
fou. Sa valeur était triplée aux yeux du roi par le fait qu'il était en
même temps nain et boiteux. Dans ce temps-là, les nains étaient à la
cour aussi communs que les fous; et plusieurs monarques auraient trouvé
difficile de passer leur temps,—le temps est plus long à la cour que
partout ailleurs,—sans un bouffon pour les faire rire, et un nain pour
en rire. Mais, comme je l'ai déjà remarqué, tous ces bouffons, dans
quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent, sont gras, ronds et massifs,—de
sorte que c'était pour notre roi une ample source d'orgueil de posséder
dans Hop-Frog—c'était le nom du fou,—un triple trésor en une seule
personne.
Je crois que le nom de Hop-Frog n'était pas celui dont l'avaient baptisé
ses parrains, mais qu'il lui avait été conféré par l'assentiment unanime
des sept ministres, en raison de son impuissance à marcher comme les
autres hommes[5]. Dans le fait, Hop-Frog ne pouvait se mouvoir qu'avec
une sorte d'allure _interjectionnelle_,—quelque chose entre le saut et
le tortillement,—une espèce de mouvement qui était pour le roi une
récréation perpétuelle et, naturellement, une jouissance; car,
nonobstant la proéminence de sa panse et une bouffissure
constitutionnelle de la tête, le roi passait aux yeux de toute sa cour
pour un fort bel homme.
Mais, bien que Hop-Frog, grâce à la distorsion de ses jambes, ne pût se
mouvoir que très-laborieusement dans un chemin ou sur un parquet, la
prodigieuse puissance musculaire dont la nature avait doué ses bras,
comme pour compenser l'imperfection de ses membres inférieurs, le
rendait apte à accomplir maints traits d'une étonnante dextérité, quand
il s'agissait d'arbres, de cordes, ou de quoi que ce soit où l'on pût
grimper. Dans ces exercices-là, il avait plutôt l'air d'un écureuil ou
d'un petit singe que d'une grenouille.
Je ne saurais dire précisément de quel pays Hop-Frog était originaire.
Il venait sans doute de quelque région barbare, dont personne n'avait
entendu parler,—à une vaste distance de la cour de notre roi. Hop-Frog
et une jeune fille un peu moins naine que lui,—mais admirablement bien
proportionnée et excellente danseuse,—avaient été enlevés à leurs
foyers respectifs, dans des provinces limitrophes, et envoyés en présent
au roi par un de ses généraux chéris de la victoire.
Dans de pareilles circonstances, il n'y avait rien d'étonnant à ce
qu'une étroite intimité se fût établie entre les deux petits captifs. En
réalité, ils devinrent bien vite deux amis jurés. Hop-Frog, qui, bien
qu'il se mît en grands frais de bouffonnerie, n'était nullement
populaire, ne pouvait pas rendre à Tripetta de grands services; mais
elle, en raison de sa grâce et de son exquise beauté—de naine,—elle
était universellement admirée et choyée; elle possédait donc beaucoup
d'influence et ne manquait jamais d'en user, en toute occasion, au
profit de son cher Hop-Frog.
Dans une grande occasion solennelle,—je ne sais plus laquelle,—le roi
résolut de donner un bal masqué; et, chaque fois qu'une mascarade ou
toute autre fête de ce genre avait lieu à la cour, les talents de
Hop-Frog et de Tripetta étaient à coup sûr mis en réquisition. Hop-Frog,
particulièrement, était si inventif en matière de décorations, de types
nouveaux, et de travestissements pour les bals masqués, qu'il semblait
que rien ne pût se faire sans son assistance.
La nuit marquée par la fête était arrivée. Une salle splendide avait été
disposée, sous l'œil de Tripetta, avec toute l'ingéniosité possible
pour donner de l'éclat à une mascarade. Toute la cour était dans la
fièvre de l'attente. Quant aux costumes et aux rôles, chacun, on le
pense bien, avait fait son choix en cette matière. Beaucoup de personnes
avaient déterminé les rôles qu'elles adopteraient, une semaine ou même
un mois d'avance; et, en somme, il n'y avait incertitude ni indécision
nulle part,—excepté chez le roi et ses sept ministres. Pourquoi
hésitaient-ils? je ne saurais le dire,—à moins que ce ne fût encore une
manière de farce. Plus vraisemblablement, il leur était difficile
d'attraper leur idée, à cause qu'ils étaient si gros! Quoi qu'il en
soit, le temps fuyait et, comme dernière ressource, ils envoyèrent
chercher Tripetta et Hop-Frog.
Quand les deux petits amis obéirent à l'ordre du roi, ils le trouvèrent
prenant royalement le vin avec les sept membres de son conseil privé;
mais le monarque semblait de fort mauvaise humeur. Il savait que
Hop-Frog craignait le vin; car cette boisson excitait le pauvre boiteux
jusqu'à la folie; et la folie n'est pas une manière de sentir bien
réjouissante. Mais le roi aimait ses propres charges et prenait plaisir
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