Nouvelles histoires extraordinaires - 03

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nature), et je me rappelais fort bien que dans aucun cas je n'avais su
résister à ces victorieuses attaques. Et maintenant cette suggestion
fortuite, venant de moi-même,—que je pourrais bien être assez sot pour
confesser le meurtre dont je m'étais rendu coupable,—me confrontait
comme l'ombre même de celui que j'ai assassiné,—et m'appelait vers la
mort.
D'abord, je fis un effort pour secouer ce cauchemar de mon âme. Je
marchai vigoureusement,—plus vite,—toujours plus vite;—à la longue je
courus. J'éprouvais un désir enivrant de crier de toute ma force. Chaque
flot successif de ma pensée m'accablait d'une nouvelle terreur; car,
hélas! je comprenais bien, trop bien, que penser, dans ma situation,
c'était me perdre. J'accélérai encore ma course. Je bondissais comme un
fou à travers les rues encombrées de monde. À la longue, la populace
prit l'alarme et courut après moi. Je sentis _alors_ la consommation de
ma destinée. Si j'avais pu m'arracher la langue, je l'eusse fait;—mais
une voix rude résonna dans mes oreilles,—une main plus rude encore
m'empoigna par l'épaule. Je me retournai, j'ouvris la bouche pour
aspirer. Pendant un moment, j'éprouvai toutes les angoisses de la
suffocation; je devins aveugle, sourd, ivre; et alors quelque démon
invisible, pensai-je, me frappa dans le dos avec sa large main. Le
secret si longtemps emprisonné s'élança de mon âme.
On dit que je parlai, que je m'énonçai très-distinctement, mais avec une
énergie marquée et une ardente précipitation, comme si je craignais
d'être interrompu avant d'avoir achevé les phrases brèves, mais grosses
d'importance, qui me livraient au bourreau et à l'enfer.
Ayant relaté tout ce qui était nécessaire pour la pleine conviction de
la justice, je tombai terrassé, évanoui.
Mais pourquoi en dirais-je plus? Aujourd'hui je porte ces chaînes, et
suis _ici_! Demain, je serai libre!—_mais où_?


LE CHAT NOIR

Relativement à la très-étrange et pourtant très-familière histoire que
je vais coucher par écrit, je n'attends ni ne sollicite la créance.
Vraiment, je serais fou de m'y attendre, dans un cas où mes sens
eux-mêmes rejettent leur propre témoignage. Cependant, je ne suis pas
fou,—et très-certainement je ne rêve pas. Mais demain je meurs, et
aujourd'hui je voudrais décharger mon âme. Mon dessein immédiat est de
placer devant le monde, clairement, succinctement et sans commentaires,
une série de simples événements domestiques. Dans leurs conséquences,
ces événements m'ont terrifié,—m'ont torturé,—m'ont
anéanti.—Cependant, je n'essaierai pas de les élucider. Pour moi, ils
ne m'ont guère présenté que de l'horreur;—à beaucoup de personnes ils
paraîtront moins terribles que _baroques_. Plus tard peut-être il se
trouvera une intelligence qui réduira mon fantôme à l'état de lieu
commun,—quelque intelligence plus calme, plus logique, et beaucoup
moins excitable que la mienne, qui ne trouvera dans les circonstances
que je raconte avec terreur qu'une succession ordinaire de causes et
d'effets très-naturels.
Dès mon enfance, j'étais noté pour la docilité et l'humanité de mon
caractère. Ma tendresse de cœur était même si remarquable qu'elle avait
fait de moi le jouet de mes camarades. J'étais particulièrement fou des
animaux, et mes parents m'avaient permis de posséder une grande variété
de favoris. Je passais presque tout mon temps avec eux, et je n'étais
jamais si heureux que quand je les nourrissais et les caressais. Cette
particularité de mon caractère s'accrut avec ma croissance, et, quand je
devins homme, j'en fis une de mes principales sources de plaisirs. Pour
ceux qui ont voué une affection à un chien fidèle et sagace, je n'ai pas
besoin d'expliquer la nature ou l'intensité des jouissances qu'on peut
en tirer. Il y a dans l'amour désintéressé d'une bête, dans ce sacrifice
d'elle-même, quelque chose qui va directement au cœur de celui qui a eu
fréquemment l'occasion de vérifier la chétive amitié et la fidélité de
gaze de _l'homme naturel_.
Je me mariai de bonne heure, et je fus heureux de trouver dans ma femme
une disposition sympathique à la mienne. Observant mon goût pour ces
favoris domestiques, elle ne perdit aucune occasion de me procurer ceux
de l'espèce la plus agréable. Nous eûmes des oiseaux, un poisson doré,
un beau chien, des lapins, un petit singe et _un chat_.
Ce dernier était un animal remarquablement fort et beau, entièrement
noir, et d'une sagacité merveilleuse. En parlant de son intelligence, ma
femme, qui au fond n'était pas peu pénétrée de superstition, faisait de
fréquentes allusions à l'ancienne croyance populaire qui regardait tous
les chats noirs comme des sorcières déguisées. Ce n'est pas qu'elle fût
toujours _sérieuse_ sur ce point,—et, si je mentionne la chose, c'est
simplement parce que cela me revient, en ce moment même, à la mémoire.
Pluton,—c'était le nom du chat,—était mon préféré, mon camarade. Moi
seul, je le nourrissais, et il me suivait dans la maison partout où
j'allais. Ce n'était même pas sans peine que je parvenais à l'empêcher
de me suivre dans les rues.
Notre amitié subsista ainsi plusieurs années, durant lesquelles
l'ensemble de mon caractère et de mon tempérament,—par l'opération du
Démon Intempérance, je rougis de le confesser,—subit une altération
radicalement mauvaise. Je devins de jour en jour plus morne, plus
irritable, plus insoucieux des sentiments des autres. Je me permis
d'employer un langage brutal à l'égard de ma femme. À la longue, je lui
infligeai même des violences personnelles. Mes pauvres favoris,
naturellement, durent ressentir le changement de mon caractère.
Non-seulement je les négligeais, mais je les maltraitais. Quant à
Pluton, toutefois, j'avais encore pour lui une considération suffisante
qui m'empêchait de le malmener, tandis que je n'éprouvais aucun scrupule
à maltraiter les lapins, le singe et même le chien, quand, par hasard ou
par amitié, ils se jetaient dans mon chemin. Mais mon mal m'envahissait
de plus en plus,—car quel mal est comparable à l'Alcool!—et à la
longue Pluton lui-même, qui maintenant se faisait vieux et qui
naturellement devenait quelque peu maussade,—Pluton lui-même commença à
connaître les effets de mon méchant caractère.
Une nuit, comme je rentrais au logis très-ivre, au sortir d'un de mes
repaires habituels des faubourgs, je m'imaginai que le chat évitait ma
présence. Je le saisis;—mais lui, effrayé de ma violence, il me fit à
la main une légère blessure avec les dents. Une fureur de démon s'empara
soudainement de moi. Je ne me connus plus. Mon âme originelle sembla
tout d'un coup s'envoler de mon corps, et une méchanceté
hyperdiabolique, saturée de gin, pénétra chaque fibre de mon être. Je
tirai de la poche de mon gilet un canif, je l'ouvris; je saisis la
pauvre bête par la gorge, et, délibérément, je fis sauter un de ses yeux
de son orbite! Je rougis, je brûle, je frissonne en écrivant cette
damnable atrocité!
Quand la raison me revint avec le matin,—quand j'eus cuvé les vapeurs
de ma débauche nocturne,—j'éprouvai un sentiment moitié d'horreur,
moitié de remords, pour le crime dont je m'étais rendu coupable; mais
c'était tout au plus un faible et équivoque sentiment, et l'âme n'en
subit pas les atteintes. Je me replongeai dans les excès, et bientôt je
noyai dans le vin tout le souvenir de mon action.
Cependant le chat guérit lentement. L'orbite de l'œil perdu présentait,
il est vrai, un aspect effrayant; mais il n'en parut plus souffrir
désormais. Il allait et venait dans la maison selon son habitude; mais,
comme je devais m'y attendre, il fuyait avec une extrême terreur à mon
approche. Il me restait assez de mon ancien cœur pour me sentir d'abord
affligé de cette évidente antipathie de la part d'une créature qui jadis
m'avait tant aimé. Mais ce sentiment fit bientôt place à l'irritation.
Et alors apparut, comme pour ma chute finale et irrévocable, l'esprit de
PERVERSITÉ. De cet esprit la philosophie ne tient aucun compte.
Cependant, aussi sûr que mon âme existe, je crois que la perversité est
une des primitives impulsions du cœur humain,—une des indivisibles
premières facultés ou sentiments qui donnent la direction au caractère
de l'homme. Qui ne s'est pas surpris cent fois commettant une action
sotte ou vile, par la seule raison qu'il savait devoir _ne pas_ la
commettre? N'avons-nous pas une perpétuelle inclination, malgré
l'excellence de notre jugement, à violer ce qui est _la Loi_, simplement
parce que nous comprenons que c'est _la Loi_? Cet esprit de perversité,
dis-je, vint causer ma déroute finale. C'est ce désir ardent, insondable
de l'âme _de se torturer elle-même_,—de violenter sa propre nature,—de
faire le mal pour l'amour du mal seul,—qui me poussait à continuer, et
finalement consommer le supplice que j'avais infligé à la bête
inoffensive. Un matin, de sang-froid, je glissai un nœud coulant autour
de son cou, et je le pendis à la branche d'un arbre;—je le pendis avec
des larmes plein mes yeux,—avec le plus amer remords dans le cœur;—je
le pendis, _parce que_ je savais qu'il m'avait aimé, et _parce que_ je
sentais qu'il ne m'avait donné aucun sujet de colère;—je le pendis,
_parce que_ je savais qu'en faisant ainsi je commettais un péché,—un
péché mortel qui compromettait mon âme immortelle, au point de la
placer,—si une telle chose était possible,—même au delà de la
miséricorde infinie du Dieu Très-Miséricordieux et Très-Terrible.
Dans la nuit qui suivit le jour où fut commise cette action cruelle, je
fus tiré de mon sommeil par le cri: Au feu! Les rideaux de mon lit
étaient en flammes. Toute la maison flambait. Ce ne fut pas sans une
grande difficulté que nous échappâmes à l'incendie,—ma femme, un
domestique, et moi. La destruction fut complète. Toute ma fortune fut
engloutie, et je m'abandonnai dès lors au désespoir.
Je ne cherche pas à établir une liaison de cause à effet entre
l'atrocité et le désastre, je suis au-dessus de cette faiblesse. Mais je
rends compte d'une chaîne de faits,—et je ne veux pas négliger un seul
anneau. Le jour qui suivit l'incendie, je visitai les ruines. Les
murailles étaient tombées, une seule exceptée; et cette seule exception
se trouva être une cloison intérieure, peu épaisse, située à peu près au
milieu de la maison, et contre laquelle s'appuyait le chevet de mon lit.
La maçonnerie avait ici, en grande partie, résisté à l'action du
feu,—fait que j'attribuai à ce qu'elle avait été récemment remise à
neuf. Autour de ce mur, une foule épaisse était rassemblée, et plusieurs
personnes paraissaient en examiner une portion particulière avec une
minutieuse et vive attention. Les mots: Étrange! singulier! et autres
semblables expressions, excitèrent ma curiosité. Je m'approchai, et je
vis, semblable à un bas-relief sculpté sur la surface blanche, la figure
d'un gigantesque _chat_. L'image était rendue avec une exactitude
vraiment merveilleuse. Il y avait une corde autour du cou de l'animal.
Tout d'abord, en voyant cette apparition,—car je ne pouvais guère
considérer cela que comme une apparition,—mon étonnement et ma terreur
furent extrêmes. Mais, enfin, la réflexion vint à mon aide. Le chat, je
m'en souvenais, avait été pendu dans un jardin adjacent à la maison. Aux
cris d'alarme, ce jardin avait été immédiatement envahi par la foule, et
l'animal avait dû être détaché de l'arbre par quelqu'un, et jeté dans ma
chambre à travers une fenêtre ouverte. Cela avait été fait, sans doute,
dans le but de m'arracher au sommeil. La chute des autres murailles
avait comprimé la victime de ma cruauté dans la substance du plâtre
fraîchement étendu; la chaux de ce mur, combinée avec les flammes et
l'ammoniaque du cadavre, avait ainsi opéré l'image telle que je la
voyais.
Quoique je satisfisse ainsi lestement ma raison, sinon tout à fait ma
conscience, relativement au fait surprenant que je viens de raconter, il
n'en fit pas moins sur mon imagination une impression profonde. Pendant
plusieurs mois je ne pus me débarrasser du fantôme du chat; et durant
cette période un demi-sentiment revint dans mon âme, qui paraissait
être, mais qui n'était pas le remords. J'allai jusqu'à déplorer la perte
de l'animal, et à chercher autour de moi, dans les bouges méprisables
que maintenant je fréquentais habituellement, un autre favori de la même
espèce et d'une figure à peu près semblable pour le suppléer.
Une nuit, comme j'étais assis à moitié stupéfié, dans un repaire plus
qu'infâme, mon attention fut soudainement attirée vers un objet noir,
reposant sur le haut d'un des immenses tonneaux de gin ou de rhum qui
composaient le principal ameublement de la salle. Depuis quelques
minutes je regardais fixement le haut de ce tonneau, et ce qui me
surprenait maintenant c'était de n'avoir pas encore aperçu l'objet situé
dessus. Je m'en approchai, et je le touchai avec ma main. C'était un
chat noir,—un très-gros chat,—au moins aussi gros que Pluton, lui
ressemblant absolument, excepté en un point. Pluton n'avait pas un poil
blanc sur tout le corps; celui-ci portait une éclaboussure large et
blanche, mais d'une forme indécise, qui couvrait presque toute la région
de la poitrine.
À peine l'eus-je touché qu'il se leva subitement, ronronna fortement, se
frotta contre ma main, et parut enchanté de mon attention. C'était donc
là la vraie créature dont j'étais en quête. J'offris tout de suite au
propriétaire de le lui acheter; mais cet homme ne le revendiqua pas,—ne
le connaissait pas—, ne l'avait jamais vu auparavant.
Je continuai mes caresses, et, quand je me préparai à retourner chez
moi, l'animal se montra disposé à m'accompagner. Je lui permis de le
faire; me baissant de temps à autre, et le caressant en marchant. Quand
il fut arrivé à la maison, il s'y trouva comme chez lui, et devint tout
de suite le grand ami de ma femme.
Pour ma part, je sentis bientôt s'élever en moi une antipathie contre
lui. C'était justement le contraire de ce que j'avais espéré; mais,—je
ne sais ni comment ni pourquoi cela eut lieu,—son évidente tendresse
pour moi me dégoûtait presque et me fatiguait. Par de lents degrés, ces
sentiments de dégoût et d'ennui s'élevèrent jusqu'à l'amertume de la
haine. J'évitais la créature; une certaine sensation de honte et le
souvenir de mon premier acte de cruauté m'empêchèrent de la maltraiter.
Pendant quelques semaines, je m'abstins de battre le chat ou de le
malmener violemment, mais graduellement,—insensiblement,—j'en vins à
le considérer avec une indicible horreur, et à fuir silencieusement son
odieuse présence, comme le souffle d'une peste.
Ce qui ajouta sans doute à ma haine contre l'animal fut la découverte
que je fis le matin, après l'avoir amené à la maison, que, comme Pluton,
lui aussi avait été privé d'un de ses yeux. Cette circonstance,
toutefois, ne fit que le rendre plus cher à ma femme, qui, comme je l'ai
déjà dit, possédait à un haut degré cette tendresse de sentiment qui
jadis avait été mon trait caractéristique et la source fréquente de mes
plaisirs les plus simples et les plus purs.
Néanmoins, l'affection du chat pour moi paraissait s'accroître en raison
de mon aversion contre lui. Il suivait mes pas avec une opiniâtreté
qu'il serait difficile de faire comprendre au lecteur. Chaque fois que
je m'asseyais, il se blottissait sous ma chaise, ou il sautait sur mes
genoux, me couvrant de ses affreuses caresses. Si je me levais pour
marcher, il se fourrait dans mes jambes, et me jetait presque par terre,
ou bien, enfonçant ses griffes longues et aiguës dans mes habits,
grimpait de cette manière jusqu'à ma poitrine. Dans ces moments-là,
quoique je désirasse le tuer d'un bon coup, j'en étais empêché, en
partie par le souvenir de mon premier crime, mais principalement,—je
dois le confesser tout de suite,—par une véritable _terreur_ de la
bête.
Cette terreur n'était pas positivement la terreur d'un mal physique,—et
cependant je serais fort en peine de la définir autrement. Je suis
presque honteux d'avouer,—oui, même dans cette cellule de malfaiteur,
je suis presque honteux d'avouer que la terreur et l'horreur que
m'inspirait l'animal avaient été accrues par une des plus parfaites
chimères qu'il fût possible de concevoir. Ma femme avait appelé mon
attention plus d'une fois sur le caractère de la tache blanche dont j'ai
parlé, et qui constituait l'unique différence visible entre l'étrange
bête et celle que j'avais tuée. Le lecteur se rappellera sans doute que
cette marque, quoique grande, était primitivement indéfinie dans sa
forme; mais, lentement, par degrés,—par des degrés imperceptibles, et
que ma raison s'efforça longtemps de considérer comme imaginaires,—elle
avait à la longue pris une rigoureuse netteté de contours. Elle était
maintenant l'image d'un objet que je frémis de nommer,—et c'était là
surtout ce qui me faisait prendre le monstre en horreur et en dégoût, et
m'aurait poussé à m'en délivrer, _si je l'avais osé_;—c'était
maintenant, dis-je, l'image d'une hideuse,—d'une sinistre
chose,—l'image du GIBET!—oh! lugubre et terrible machine! machine
d'Horreur et de Crime,—d'Agonie et de Mort!
Et, maintenant, j'étais en vérité misérable au delà de la misère
possible de l'Humanité. Une bête brute,—dont j'avais avec mépris
détruit le frère,—_une bête brute_ engendrer pour _moi_,—pour moi,
homme façonné à l'image du Dieu Très-Haut,—une si grande et si
intolérable infortune! Hélas! je ne connaissais plus la béatitude du
repos, ni le jour ni la nuit! Durant le jour, la créature ne me laissait
pas seul un moment; et, pendant la nuit, à chaque instant, quand je
sortais de mes rêves pleins d'une intraduisible angoisse, c'était pour
sentir la tiède haleine de la _chose_ sur mon visage, et son immense
poids,—incarnation d'un Cauchemar que j'étais impuissant à
secouer,—éternellement posé sur mon _cœur_!
Sous la pression de pareils tourments, le peu de bon qui restait en moi
succomba. De mauvaises pensées devinrent mes seules intimes,—les plus
sombres et les plus mauvaises de toutes les pensées. La tristesse de mon
humeur habituelle s'accrut jusqu'à la haine de toutes choses et de toute
humanité; cependant ma femme, qui ne se plaignait jamais, hélas! était
mon souffre-douleur ordinaire, la plus patiente victime des soudaines,
fréquentes et indomptables éruptions d'une furie à laquelle je
m'abandonnai dès lors aveuglément.
Un jour, elle m'accompagna pour quelque besogne domestique dans la cave
du vieux bâtiment où notre pauvreté nous contraignait d'habiter. Le chat
me suivit sur les marches roides de l'escalier, et, m'ayant presque
culbuté la tête la première, m'exaspéra jusqu'à la folie. Levant une
hache, et oubliant dans ma rage la peur puérile qui jusque-là avait
retenu ma main, j'adressai à l'animal un coup qui eût été mortel, s'il
avait porté comme je le voulais; mais ce coup fut arrêté par la main de
ma femme. Cette intervention m'aiguillonna jusqu'à une rage plus que
démoniaque; je débarrassai mon bras de son étreinte et lui enfonçai ma
hache dans le crâne. Elle tomba morte sur la place, sans pousser un
gémissement.
Cet horrible meurtre accompli, je me mis immédiatement et
très-délibérément en mesure de cacher le corps. Je compris que je ne
pouvais pas le faire disparaître de la maison, soit de jour, soit de
nuit, sans courir le danger d'être observé par les voisins. Plusieurs
projets traversèrent mon esprit. Un moment j'eus l'idée de couper le
cadavre par petits morceaux, et de les détruire par le feu. Puis, je
résolus de creuser une fosse dans le sol de la cave. Puis, je pensai à
le jeter dans le puits de la cour,—puis à l'emballer dans une caisse
comme marchandise, avec les formes usitées, et à charger un
commissionnaire de le porter hors de la maison. Finalement, je m'arrêtai
à un expédient que je considérai comme le meilleur de tous. Je me
déterminai à le murer dans la cave,—comme les moines du moyen âge
muraient, dit-on, leurs victimes.
La cave était fort bien disposée pour un pareil dessein. Les murs
étaient construits négligemment, et avaient été récemment enduits dans
toute leur étendue d'un gros plâtre que l'humidité de l'atmosphère avait
empêché de durcir. De plus, dans l'un des murs, il y avait une saillie
causée par une fausse cheminée, ou espèce d'âtre, qui avait été comblée
et maçonnée dans le même genre que le reste de la cave. Je ne doutais
pas qu'il ne me fût facile de déplacer les briques à cet endroit, d'y
introduire le corps, et de murer le tout de la même manière, de sorte
qu'aucun œil n'y pût rien découvrir de suspect.
Et je ne fus pas déçu dans mon calcul. À l'aide d'une pince, je délogeai
très-aisément les briques, et, ayant soigneusement appliqué le corps
contre le mur intérieur, je le soutins dans cette position jusqu'à ce
que j'eusse rétabli, sans trop de peine, toute la maçonnerie dans son
état primitif. M'étant procuré du mortier, du sable et du poil avec
toutes les précautions imaginables, je préparai un crépi qui ne pouvait
pas être distingué de l'ancien, et j'en recouvris très-soigneusement le
nouveau briquetage. Quand j'eus fini, je vis avec satisfaction que tout
était pour le mieux. Le mur ne présentait pas la plus légère trace de
dérangement. J'enlevai tous les gravats avec le plus grand soin,
j'épluchai pour ainsi dire le sol. Je regardai triomphalement autour de
moi, et me dis à moi-même: Ici, au moins, ma peine n'aura pas été
perdue!
Mon premier mouvement fut de chercher la bête qui avait été la cause
d'un si grand malheur; car, à la fin, j'avais résolu fermement de la
mettre à mort. Si j'avais pu la rencontrer dans ce moment, sa destinée
était claire; mais il paraît que l'artificieux animal avait été alarmé
par la violence de ma récente colère, et qu'il prenait soin de ne pas se
montrer dans l'état actuel de mon humeur. Il est impossible de décrire
ou d'imaginer la profonde, la béate sensation de soulagement que
l'absence de la détestable créature détermina dans mon cœur. Elle ne se
présenta pas de toute la nuit, et ainsi ce fut la première bonne
nuit,—depuis son introduction dans la maison,—que je dormis solidement
et tranquillement; oui, je _dormis_ avec le poids de ce meurtre sur
l'âme!
Le second et le troisième jour s'écoulèrent, et cependant mon bourreau
ne vint pas. Une fois encore je respirai comme un homme libre. Le
monstre, dans sa terreur, avait vidé les lieux pour toujours! Je ne le
verrais donc plus jamais! Mon bonheur était suprême! La criminalité de
ma ténébreuse action ne m'inquiétait que fort peu. On avait bien fait
une espèce d'enquête, mais elle s'était satisfaite à bon marché. Une
perquisition avait même été ordonnée,—mais naturellement on ne pouvait
rien découvrir. Je regardais ma félicité à venir comme assurée.
Le quatrième jour depuis l'assassinat, une troupe d'agents de police
vint très-inopinément à la maison, et procéda de nouveau à une
rigoureuse investigation des lieux. Confiant, néanmoins, dans
l'impénétrabilité de la cachette, je n'éprouvai aucun embarras. Les
officiers me firent les accompagner dans leur recherche. Ils ne
laissèrent pas un coin, pas un angle inexploré. À la fin, pour la
troisième ou quatrième fois, ils descendirent dans la cave. Pas un
muscle en moi ne tressaillit. Mon cœur battait paisiblement, comme
celui d'un homme qui dort dans l'innocence. J'arpentais la cave d'un
bout à l'autre; je croisais mes bras sur ma poitrine, et me promenais çà
et là avec aisance. La police était pleinement satisfaite et se
préparait à décamper. La jubilation de mon cœur était trop forte pour
être réprimée. Je brûlais de dire au moins un mot, rien qu'un mot, en
manière de triomphe, et de rendre deux fois plus convaincue leur
conviction de mon innocence.
—Gentlemen,—dis-je à la fin,—comme leur troupe remontait
l'escalier,—je suis enchanté d'avoir apaisé vos soupçons. Je vous
souhaite à tous une bonne santé et un peu plus de courtoisie. Soit dit
en passant, gentlemen, voilà—voilà une maison singulièrement bien bâtie
(dans mon désir enragé de dire quelque chose d'un air délibéré, je
savais à peine ce que je débitais);—je puis dire que c'est une maison
_admirablement_ bien construite. Ces murs,—est-ce que vous partez,
gentlemen?—ces murs sont solidement maçonnés!
Et ici, par une bravade frénétique, je frappai fortement avec une canne
que j'avais à la main juste sur la partie du briquetage derrière
laquelle se tenait le cadavre de l'épouse de mon cœur.
Ah! qu'au moins Dieu me protège et me délivre des griffes de
l'Archidémon!—À peine l'écho de mes coups était-il tombé dans le
silence, qu'une voix me répondit du fond de la tombe!—une plainte,
d'abord voilée et entrecoupée, comme le sanglotement d'un enfant, puis,
bientôt, s'enflant en un cri prolongé, sonore et continu, tout à fait
anormal et antihumain,—un hurlement,—un glapissement, moitié horreur
et moitié triomphe,—comme il en peut monter seulement de
l'Enfer,—affreuse harmonie jaillissant à la fois de la gorge des damnés
dans leurs tortures, et des démons exultant dans la damnation!
Vous dire mes pensées, ce serait folie. Je me sentis défaillir, et je
chancelai contre le mur opposé. Pendant un moment, les officiers placés
sur les marches restèrent immobiles, stupéfiés par la terreur. Un
instant après, une douzaine de bras robustes s'acharnaient sur le mur.
Il tomba tout d'une pièce. Le corps, déjà grandement délabré et souillé
de sang grumelé, se tenait droit devant les yeux des spectateurs. Sur sa
tête, avec la gueule rouge dilatée et l'œil unique flamboyant, était
perchée la hideuse bête dont l'astuce m'avait induit à l'assassinat, et
dont la voix révélatrice m'avait livré au bourreau. J'avais muré le
monstre dans la tombe!


WILLIAM WILSON
_Qu'en dira-t-elle? Que dira cette CONSCIENCE affreuse,_
_Ce spectre qui marche dans mon chemin?_
Chamberlayne.—_Pharronida._

Qu'il me soit permis, pour le moment, de m'appeler William Wilson. La
page vierge étalée devant moi ne doit pas être souillée par mon
véritable nom. Ce nom n'a été que trop souvent un objet de mépris et
d'horreur,—une abomination pour ma famille. Est-ce que les vents
indignés n'ont pas ébruité jusque dans les plus lointaines régions du
globe son incomparable infamie? Oh! de tous les proscrits, le proscrit
le plus abandonné!—n'es-tu pas mort à ce monde à jamais? à ses
honneurs, à ses fleurs, à ses aspirations dorées?—et un nuage épais,
lugubre, illimité, n'est-il pas éternellement suspendu entre tes
espérances et le ciel?
Je ne voudrais pas, quand même je le pourrais, enfermer aujourd'hui dans
ces pages le souvenir de mes dernières années d'ineffable misère et
d'irrémissible crime. Cette période récente de ma vie a soudainement
comporté une hauteur de turpitude dont je veux simplement déterminer
l'origine. C'est là pour le moment mon seul but. Les hommes, en général,
deviennent vils par degrés. Mais moi, toute vertu s'est détachée de moi,
en une minute, d'un seul coup, comme un manteau. D'une perversité
relativement ordinaire, j'ai passé, par une enjambée de géant, à des
énormités plus qu'héliogabaliques. Permettez-moi de raconter tout au
long quel hasard, quel unique accident a amené cette malédiction. La
Mort approche, et l'ombre qui la devance a jeté une influence
adoucissante sur mon cœur. Je soupire, en passant à travers la sombre
vallée, après la sympathie—j'allais dire la pitié—de mes semblables.
Je voudrais leur persuader que j'ai été en quelque sorte l'esclave de
circonstances qui défiaient tout contrôle humain. Je désirerais qu'ils
découvrissent pour moi, dans les détails que je vais leur donner,
quelque petite oasis de _fatalité_ dans un Saharah d'erreur. Je voudrais
qu'ils accordassent,—ce qu'ils ne peuvent pas se refuser à
accorder,—que, bien que ce monde ait connu de grandes tentations,
jamais l'homme n'a été jusqu'ici tenté de cette façon,—et certainement
n'a jamais succombé de cette façon. Est-ce donc pour cela qu'il n'a
jamais connu les mêmes souffrances? En vérité, n'ai-je pas vécu dans un
rêve? Est-ce que je ne meurs pas victime de l'horreur et du mystère des
plus étranges de toutes les visions sublunaires?
Je suis le descendant d'une race qui s'est distinguée en tout temps par
un tempérament imaginatif et facilement excitable; et ma première
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