Molière - Œuvres complètes, Tome 4 - 04

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C'est l'époux qu'il vous faut regarder en coupable
L'amant n'a point de part à ce transport brutal,
Et de vous offenser son cœur n'est point capable.
Il a pour vous, ce cœur, pour jamais y penser,
Trop de respect et de tendresse;
Et, si de faire rien à vous pouvoir blesser
Il avait eu la coupable foiblesse,
De cent coups à vos yeux il voudroit le percer.
Mais l'époux est sorti de ce respect soumis
Où pour vous on doit toujours être;
A son dur procédé l'époux s'est fait connoître,
Et par le droit d'hymen il s'est cru tout permis.
Oui, c'est lui qui sans doute est criminel vers vous.
Lui seul a maltraité votre aimable personne;
Haïssez, détestez l'époux,
J'y consens, et vous l'abandonne;
Mais, Alcmène, sauvez l'amant de ce courroux
Qu'une telle offense vous donne;
N'en jetez pas sur lui l'effet,
Démêlez-le un peu du coupable;
Et pour être enfin équitable.
Ne le punissez point de ce qu'il n'a pas fait.
ALCMÈNE.
Ah! toutes ces subtilités
N'ont que des excuses frivoles,
Et pour les esprits irrités
Ce sont des contre-temps que de telles paroles.
Ce détour ridicule est en vain pris par vous.
Je ne distingue rien en celui qui m'offense,
Tout y devient l'objet de mon courroux;
Et, dans sa juste violence,
Sont confondus et l'amant et l'époux.
Tous deux de même sorte occupent ma pensée;
Et des mêmes couleurs, par mon âme blessée,
Tous deux ils sont peints à mes yeux;
Tous deux sont criminels, tous deux m'ont offensée,
Et tous deux me sont odieux.
JUPITER.
Eh bien, puisque vous le voulez,
Il faut donc me charger du crime.
Oui, vous avez raison lorsque vous m'immolez
A vos ressentimens, en coupable victime:
Un trop juste dépit contre moi vous anime;
Et tout ce grand courroux qu'ici vous étalez
Ne me fait endurer qu'un tourment légitime.
C'est avec droit que mon abord vous chasse,
Et que de me fuir en tous lieux
Votre colère me menace.
Je dois vous être un objet odieux;
Vous devez me vouloir un mal prodigieux.
Il n'est aucune horreur que mon forfait ne passe,
D'avoir offensé vos beaux yeux:
C'est un crime à blesser les hommes et les dieux;
Et je mérite enfin, pour punir cette audace
Que contre moi votre haine ramasse
Tous ses traits les plus furieux.
Mais mon cœur vous demande grâce;
Pour vous la demander je me jette à genoux,
Et la demande au nom de la plus vive flamme
Du plus tendre amour dont une âme
Puisse jamais brûler pour vous.
Si votre cœur, charmante Alcmène,
Me refuse la grâce où j'ose recourir,
Il faut qu'une atteinte soudaine
M'arrache, en me faisant mourir,
Aux dures rigueurs d'une peine
Que je ne saurois plus souffrir.
Oui, cet état me désespère.
Alcmène, ne présumez pas
Qu'aimant, comme je fais, vos célestes appas,
Je puisse vivre un jour avec votre colère.
Déjà de ces momens la barbare longueur
Fait, sous des atteintes mortelles,
Succomber tout mon triste cœur;
Et de mille vautours les blessures cruelles
N'ont rien de comparable à ma vive douleur.
Alcmène, vous n'avez qu'à me le déclarer:
S'il n'est point de pardon que je doive espérer,
Cette épée aussitôt, par un coup favorable,
Va percer à vos yeux le cœur d'un misérable,
Ce cœur, ce traître cœur, trop digne d'expirer,
Puisqu'il a pu fâcher un objet adorable:
Heureux, en descendant au ténébreux séjour,
Si de votre courroux mon trépas vous ramène,
Et ne laisse en votre âme, après ce triste jour,
Aucune impression de haine,
Au souvenir de mon amour!
C'est tout ce que j'attends pour faveur souveraine.
ALCMÈNE.
Ah! trop cruel époux!
JUPITER.
Dites, parlez Alcmène.
ALCMÈNE.
Faut-il encor pour vous conserver des bontés,
Et vous voir m'outrager par tant d'indignités?
JUPITER.
Quelque ressentiment qu'un outrage nous cause,
Tient-il contre un remords d'un cœur bien enflammé?
ALCMÈNE.
Un cœur bien plein de flamme à mille morts s'expose,
Plutôt que de vouloir fâcher l'objet aimé.
JUPITER.
Plus on aime quelqu'un, moins on trouve de peine...
ALCMÈNE.
Non, ne m'en parlez point; vous méritez ma haine.
JUPITER.
Vous me haïssez donc?
ALCMÈNE.
J'y fais tout mon effort;
Et j'ai dépit de voir que toute votre offense
Ne puisse de mon cœur jusqu'à cette vengeance
Faire encore aller le transport.
JUPITER.
Mais pourquoi cette violence,
Puisque, pour vous venger, je vous offre ma mort?
Prononcez-en l'arrêt, et j'obéis sur l'heure.
ALCMÈNE.
Qui ne saurait haïr peut-il vouloir qu'on meure?
JUPITER.
Et moi, je ne puis vivre, à moins que vous quittiez
Cette colère qui m'accable,
Et que vous m'accordiez le pardon favorable
Que je vous demande à vos pieds.
Sosie et Cléanthis se mettent aussi à genoux.
Résolvez ici l'un des deux,
Ou de punir, ou bien d'absoudre.
ALCMÈNE.
Hélas! ce que je puis résoudre
Paroît bien plus que je ne veux.
Pour vouloir soutenir le courroux qu'on me donne,
Mon cœur a trop su me trahir:
Dire qu'on ne saurait haïr,
N'est-ce pas dire qu'on pardonne?
JUPITER.
Ah! belle Alcmène, il faut que, comblé d'allégresse...
ALCMÈNE.
Laissez; je me veux mal de mon trop de foiblesse.
JUPITER.
Va Sosie, et dépêche-toi,
Voir, dans les doux transports dont mon âme est charmée,
Ce que tu trouveras d'officiers de l'armée,
Et les invite à dîner avec moi.
Bas, à part.
Tandis que d'ici je le chasse,
Mercure y remplira sa place.

SCÈNE VII.--CLÉANTHIS, SOSIE.
SOSIE.
Eh bien, tu vois, Cléanthis, ce ménage.
Veux-tu qu'à leur exemple ici
Nous fassions entre nous un peu de paix aussi,
Quelque petit rapatriage?
CLÉANTHIS.
C'est pour ton nez, vraiment! cela se fait ainsi!
SOSIE.
Quoi! tu ne veux pas?
CLÉANTHIS.
Non.
SOSIE.
Il ne m'importe guère.
Tant pis pour toi.
CLÉANTHIS.
Là, là, revien.
SOSIE.
Non, morbleu! je n'en ferai rien,
Et je veux être, à mon tour, en colère.
CLÉANTHIS.
Va, va, traître! laisse-moi faire:
On se lasse parfois d'être femme de bien.


ACTE III

SCÈNE I.--AMPHITRYON.
Oui, sans doute, le sort tout exprès me le cache;
Et des tours que je fais, à la fin je suis las.
Il n'est point de destin plus cruel, que je sache;
Je ne saurois trouver, portant partout mes pas,
Celui qu'à chercher je m'attache,
Et je trouve tous ceux que je ne cherche pas.
Mille fâcheux cruels, qui ne pensent pas l'être,
De nos faits avec moi, sans beaucoup me connoître,
Viennent se réjouir pour me faire enrager.
Dans l'embarras cruel du souci qui me blesse,
De leurs embrassemens et de leur allégresse
Sur mon inquiétude ils viennent tous charger.
En vain à passer je m'apprête,
Pour fuir leurs persécutions,
Leur tuante amitié de tous côtés m'arrête;
Et, tandis qu'à l'ardeur de leurs expressions
Je répons d'un geste de tête,
Je leur donne tout bas cent malédictions.
Ah! qu'on est peu flatté de louange, d'honneur,
Et de tout ce que donne une grande victoire,
Lorsque dans l'âme on souffre une vive douleur,
Et que l'on donnerait volontiers cette gloire
Pour avoir le repos du cœur!
Ma jalousie, à tout propos,
Me promène sur ma disgrâce;
Et plus mon esprit y repasse,
Moins j'en puis débrouiller le funeste chaos.
Le vol des diamans n'est pas ce qui m'étonne;
On lève les cachets, qu'on ne l'aperçoit pas;
Mais le don qu'on veut qu'hier j'en vins faire en personne
Est ce qui fait ici mon cruel embarras.
La nature parfois produit des ressemblances
Dont quelques imposteurs ont pris droit d'abuser;
Mais il est hors de sens que, sous ces apparences,
Un homme pour époux se puisse supposer;
Et dans tous ces rapports sont mille différences
Dont se peut une femme aisément aviser.
Des charmes de la Thessalie
On vante de tous temps les merveilleux effets;
Mais les contes fameux qui partout en sont faits
Dans mon esprit toujours ont passé pour folie,
Et ce seroit du sort une étrange rigueur,
Qu'au sortir d'une ample victoire
Je fusse contraint de les croire
Aux dépens de mon propre honneur.
Je veux la retâter sur ce fâcheux mystère,
Et voir si ce n'est point une vaine chimère
Qui sur ses sens troublés ait su prendre crédit.
Ah! fasse le ciel équitable
Que ce penser soit véritable,
Et que, pour mon bonheur, elle ait perdu l'esprit!

SCÈNE II.--MERCURE, AMPHITRYON.
MERCURE, sur le balcon de la maison d'Amphitryon, sans être vu
ni entendu d'Amphitryon.
Comme l'amour ici ne m'offre aucun plaisir,
Je m'en veux faire au moins qui soient d'autre nature,
Et je vais égayer mon sérieux loisir
A mettre Amphitryon hors de toute mesure.
Cela n'est pas d'un dieu bien plein de charité;
Mais aussi n'est-ce pas ce dont je m'inquiète;
Et je me sens, par ma planète,
A la malice un peu porté.
AMPHITRYON.
D'où vient donc qu'à cette heure on ferme cette porte?
MERCURE.
Holà! tout doucement. Qui frappe?
AMPHITRYON, sans voir Mercure.
Moi.
MERCURE.
Qui, moi?
AMPHITRYON, apercevant Mercure, qu'il prend pour Sosie.
Ah! ouvre.
MERCURE.
Comment, ouvre! Et qui donc es-tu, toi
Qui fais tant de vacarme et parles de la sorte?
AMPHITRYON.
Quoi! tu ne me connais pas?
MERCURE.
Non,
Et n'en ai pas la moindre envie.
AMPHITRYON, à part.
Tout le monde perd-il aujourd'hui la raison?
Est-ce un mal répandu? Sosie! holà, Sosie!
MERCURE.
Eh bien, Sosie! oui, c'est mon nom,
As-tu peur que je ne l'oublie?
AMPHITRYON.
Me vois-tu bien?
MERCURE.
Fort bien. Qui peut pousser ton bras
A faire une rumeur si grande?
Et que demandes-tu là-bas?
AMPHITRYON.
Moi, pendard! ce que je demande?
MERCURE.
Que ne demandes-tu donc pas?
Parle, si tu veux qu'on t'entende.
AMPHITRYON.
Attends, traître! avec un bâton
Je vais là-haut me faire entendre,
Et de bonne façon t'apprendre
A m'oser parler sur ce ton.
MERCURE.
Tout beau! si pour heurter tu fais la moindre instance,
Je t'enverrai d'ici des messagers fâcheux.
AMPHITRYON.
O ciel! vit-on jamais une telle insolence?
La peut-on concevoir d'un serviteur, d'un gueux?
MERCURE.
Eh bien, qu'est-ce? M'as-tu tout parcouru par ordre?
M'as-tu de tes gros yeux assez considéré?
Comme il les écarquille, et paroît effaré!
Si des regards on pouvoit mordre,
Il m'aurait déjà déchiré.
AMPHITRYON.
Moi-même je frémis de ce que tu t'apprêtes
Avec ces impudens propos,
Que tu grossis pour toi d'effroyables tempêtes!
Quels orages de coups vont fondre sur ton dos!
MERCURE.
L'ami, si de ces lieux tu ne veux disparoître,
Tu pourras y gagner quelque contusion.
AMPHITRYON.
Ah! tu sauras, maraud, à ta confusion,
Ce que c'est qu'un valet qui s'attaque à son maître!
MERCURE.
Toi, mon maître?
AMPHITRYON.
Oui, coquin! M'oses-tu méconnoître?
MERCURE.
Je n'en reconnois point d'autre qu'Amphitryon.
AMPHITRYON.
Et cet Amphitryon, qui, hors moi, le peut être?
MERCURE.
Amphitryon?
AMPHITRYON.
Sans doute.
MERCURE.
Ah! quelle vision!
Dis-nous un peu, quel est le cabaret honnête
Où tu t'es coiffé le cerveau?
AMPHITRYON.
Comment! encore?
MERCURE.
Étoit-ce un vin à faire fête?
AMPHITRYON.
Ciel!
MERCURE.
Étoit-il vieux, ou nouveau?
AMPHITRYON.
Que de coups!
MERCURE.
Le nouveau donne fort dans la tête,
Quand on le veut boire sans eau.
AMPHITRYON.
Ah! je t'arracherai cette langue, sans doute!
MERCURE.
Passe, mon cher ami, crois-moi;
Que quelqu'un ici ne t'écoute.
Je respecte le vin. Va-t'en, retire-toi,
Et laisse Amphitryon dans les plaisirs qu'il goûte.
AMPHITRYON.
Comment! Amphitryon est là dedans?
MERCURE.
Fort bien!
Qui, couvert des lauriers d'une victoire pleine,
Est auprès de la belle Alcmène,
A jouir des douceurs d'un aimable entretien.
Après le démêlé d'un amoureux caprice,
Ils goûtent le plaisir de s'être rajustés.
Garde-toi de troubler leurs douces privautés,
Si tu ne veux qu'il ne punisse
L'excès de tes témérités.

SCÈNE III.--AMPHITRYON.
Ah! quel étrange coup m'a-t-il porté dans l'âme!
En quel trouble cruel jette-t-il mon esprit!
Et, si les choses sont comme le traître dit,
Où vois-je ici réduits mon honneur et ma flamme!
A quel parti me doit résoudre ma raison?
Ai-je l'éclat ou le secret à prendre?
Et dois-je, en mon courroux, renfermer ou répandre
Le déshonneur de ma maison?
Ah! faut-il consulter dans un affront si rude?
Je n'ai rien à prétendre et rien à ménager;
Et toute mon inquiétude
Ne doit aller qu'à me venger.

SCÈNE IV.--AMPHITRYON, SOSIE, NAUCRATÈS ET POLIDAS, dans le fond du
théâtre.
SOSIE, à Amphitryon.
Monsieur, avec mes soins, tout ce que j'ai pu faire,
C'est de vous amener ces messieurs que voici.
AMPHITRYON.
Ah! vous voilà!
SOSIE.
Monsieur...
AMPHITRYON.
Insolent! téméraire!
SOSIE.
Quoi?
AMPHITRYON.
Je vous apprendrai de me traiter ainsi.
SOSIE.
Qu'est-ce donc? qu'avez-vous?
AMPHITRYON, mettant l'épée à la main.
Ce que j'ai, misérable!
SOSIE, à Naucratès et à Polidas.
Holà, messieurs! venez donc tôt.
NAUCRATÈS, à Amphitryon.
Ah! de grâce, arrêtez!
SOSIE.
De quoi suis-je coupable?
AMPHITRYON.
Tu me le demandes, maraud!
A Naucratès.
Laissez-moi satisfaire un courroux légitime.
SOSIE.
Lorsque l'on pend quelqu'un, on lui dit pourquoi c'est.
NAUCRATÈS, à Amphitryon.
Daignez nous dire au moins quel peut être son crime.
SOSIE.
Messieurs, tenez bon, s'il vous plaît.
AMPHITRYON.
Comment! il vient d'avoir l'audace
De me fermer la porte au nez,
Et de joindre encor la menace
A mille propos effrénés!
Voulant le frapper.
Ah! coquin!
SOSIE, tombant à genoux.
Je suis mort!
NAUCRATÈS, à Amphitryon.
Calmez cette colère.
SOSIE.
Messieurs!
POLIDAS, à Sosie.
Qu'est-ce?
SOSIE.
M'a-t-il frappé?
AMPHITRYON.
Non, il faut qu'il ait le salaire
Des mots où tout à l'heure il s'est émancipé.
SOSIE.
Comment cela se peut-il faire
Si j'étois par votre ordre autre part occupé?
Ces messieurs sont ici pour rendre témoignage
Qu'à dîner avec vous je les viens d'inviter.
NAUCRATÈS.
Il est vrai qu'il nous vient de faire ce message,
Et n'a point voulu nous quitter.
AMPHITRYON.
Qui t'a donné cet ordre?
SOSIE.
Vous.
AMPHITRYON.
Et quand?
SOSIE.
Après votre paix faite,
Au milieu des transports d'une âme satisfaite
D'avoir d'Alcmène apaisé le courroux.
Sosie se relève.
AMPHITRYON.
O ciel! chaque instant, chaque pas,
Ajoute quelque chose à mon cruel martyre,
Et, dans ce fatal embarras,
Je ne sais plus que croire ni que dire.
NAUCRATÈS.
Tout ce que de chez vous il vient de nous conter
Surpasse si fort la nature,
Qu'avant que de rien faire et de vous emporter,
Vous devez éclaircir toute cette aventure.
AMPHITRYON.
Allons; vous y pourrez seconder mon effort;
Et le ciel à propos ici vous a fait rendre.
Voyons quelle fortune en ce jour peut m'attendre;
Débrouillons ce mystère, et sachons notre sort.
Hélas! je brûle de l'apprendre,
Et je le crains plus que la mort.
Amphitryon frappe à la porte de sa maison.

SCÈNE V.--JUPITER, AMPHITRYON, NAUCRATÈS, POLIDAS, SOSIE.
JUPITER.
Quel bruit à descendre m'oblige?
Et qui frappe en maître où je suis?
AMPHITRYON.
Que vois-je? justes dieux!
NAUCRATÈS.
Ciel! quel est ce prodige?
Quoi! deux Amphitryons ici nous sont produits!
AMPHITRYON, à part.
Mon âme demeure transie!
Hélas! je n'en puis plus, l'aventure est à bout;
Ma destinée est éclaircie,
Et ce que je vois me dit tout.
NAUCRATÈS.
Plus mes regards sur eux s'attachent fortement,
Plus je trouve qu'en tout l'un à l'autre est semblable.
SOSIE, passant du côté de Jupiter.
Messieurs, voici le véritable;
L'autre est un imposteur digne de châtiment.
POLIDAS.
Certes, ce rapport admirable
Suspend ici mon jugement.
AMPHITRYON.
C'est trop être éludés[14] par un fourbe exécrable;
Il faut avec ce fer rompre l'enchantement.
NAUCRATÈS, à Amphitryon, qui a mis l'épée à la main.
Arrêtez!
AMPHITRYON.
Laissez-moi!
NAUCRATÈS.
Dieux! que voulez-vous faire?
AMPHITRYON.
Punir d'un imposteur les lâches trahisons.
JUPITER.
Tout beau! l'emportement est fort peu nécessaire;
Et, lorsque de la sorte on se met en colère,
On fait croire qu'on a de mauvaises raisons.
SOSIE.
Oui, c'est un enchanteur qui porte un caractère
Pour ressembler aux maîtres des maisons.
AMPHITRYON, à Sosie.
Je te ferai, pour ton partage,
Sentir par mille coups ces propos outrageans.
SOSIE.
Mon maître est homme de courage,
Et ne souffrira point que l'on batte ses gens.
AMPHITRYON.
Laissez-moi m'assouvir dans mon courroux extrême,
Et laver mon affront au sang d'un scélérat.
NAUCRATÈS, arrêtant Amphitryon.
Nous ne souffrirons point cet étrange combat
D'Amphitryon contre lui-même.
AMPHITRYON.
Quoi! mon honneur de vous reçoit ce traitement!
Et mes amis d'un fourbe embrassent la défense!
Loin d'être les premiers à prendre ma vengeance,
Eux-mêmes font obstacle à mon ressentiment!
NAUCRATÈS.
Que voulez-vous qu'à cette vue
Fassent nos résolutions,
Lorsque par deux Amphitryons
Toute notre chaleur demeure suspendue?
A vous faire éclater notre zèle aujourd'hui,
Nous craignons de faillir et de vous méconnaître.
Nous voyons bien en vous Amphitryon paroître,
Du salut des Thébains le glorieux appui;
Mais nous le voyons tous aussi paroître en lui,
Et ne saurions juger dans lequel il peut être.
Notre parti n'est point douteux,
Et l'imposteur par nous doit mordre la poussière;
Mais ce parfait rapport le cache entre vous deux;
Et c'est un coup trop hasardeux
Pour l'entreprendre sans lumière.
Avec douceur laissez-nous voir
De quel côté peut être l'imposture;
Et, dès que nous aurons démêlé l'aventure,
Il ne nous faudra point dire notre devoir.
JUPITER.
Oui, vous avez raison, et cette ressemblance
A douter de tous deux vous peut autoriser.
Je ne m'offense point de vous voir en balance
Je suis plus raisonnable et sais vous excuser.
L'œil ne peut entre nous faire de différence,
Et je vois qu'aisément on s'y peut abuser.
Vous ne me voyez point témoigner de colère,
Point mettre l'épée à la main:
C'est un mauvais moyen d'éclaircir ce mystère,
Et j'en puis trouver un plus doux et plus certain.
L'un de nous est Amphitryon;
Et tous deux à vos yeux nous le pouvons paroître.
C'est à moi de finir cette confusion;
Et je prétends me faire à tous si bien connoître,
Qu'aux pressantes clartés de ce que je puis être
Lui-même soit d'accord du sang qui m'a fait naître,
Et n'ait plus de rien dire aucune occasion.
C'est aux yeux des Thébains que je veux avec vous
De la vérité pure ouvrir la connoissance;
Et la chose sans doute est assez d'importance
Pour affecter[15] la circonstance
De l'éclaircir aux yeux de tous.
Alcmène attend de moi ce public témoignage:
Sa vertu, que l'éclat de ce désordre outrage,
Veut qu'on la justifie, et j'en vais prendre soin.
C'est à quoi mon amour envers elle m'engage;
Et des plus nobles chefs je fais un assemblage
Pour l'éclaircissement dont sa gloire a besoin.
Attendant avec vous ces témoins souhaités,
Ayez je vous prie, agréable
De venir honorer la table
Où vous a Sosie invités.
SOSIE.
Je ne me trompois pas, messieurs; ce mot termine
Toute l'irrésolution;
Le véritable Amphitryon
Est l'Amphitryon où l'on dîne.
AMPHITRYON.
O ciel! puis-je plus bas me voir humilié?
Quoi! faut-il que j'entende ici, pour mon martyre,
Tout ce que l'imposteur à mes yeux vient de dire,
Et que dans la fureur que ce discours m'inspire,
On me tienne le bras lié!
NAUCRATÈS, à Amphitryon.
Vous vous plaignez à tort. Permettez-nous d'attendre
L'éclaircissement qui doit rendre
Les ressentimens de saison.
Je ne sais pas s'il impose;
Mais il parle sur la chose
Comme s'il avoit raison.
AMPHITRYON.
Allez, foibles amis, et flattez l'imposture:
Thèbes en a pour moi de tout autres que vous;
Et je vais en trouver qui, partageant l'injure,
Sauront prêter la main à mon juste courroux.
JUPITER.
Eh bien, je les attends, et saurai décider
Le différend en leur présence.
AMPHITRYON.
Fourbe! tu crois par là peut-être t'évader;
Mais rien ne te sauroit sauver de ma vengeance.
JUPITER.
A ces injurieux propos
Je ne daigne[16] à présent répondre;
Et tantôt je saurai confondre
Cette fureur avec deux mots.
AMPHITRYON.
Le ciel même, le ciel ne t'y sauroit soustraire;
Et jusques aux enfers j'irai suivre tes pas.
JUPITER.
Il ne sera pas nécessaire,
Et l'on verra tantôt que je ne fuirai pas.
AMPHITRYON, à part.
Allons, courons, avant que d'avec eux il sorte,
Assembler des amis qui suivent mon courroux;
Et chez moi venons à main-forte
Pour le percer de mille coups.
[14] Pour: trompés. Du mot latin _eludere_. Latinisme qui n'est pas
entré dans la langue.
[15] Au lieu de: pour chercher avec soin le moment de. Du mot latin
_affectare_, rechercher.
[16] Pour: je ne daigne pas. Ellipse expressive.

SCÈNE VI.--JUPITER, NAUCRATÈS, POLIDAS, SOSIE.
JUPITER.
Point de façon je vous conjure;
Entrons vite dans la maison.
NAUCRATÈS.
Certes, toute cette aventure
Confond le sens et la raison.
SOSIE.
Faites trêve, messieurs, à toutes vos surprises;
Et pleins de joie, allez tabler jusqu'à demain.
Seul.
Que je vais m'en donner, et me mettre en beau train
De raconter nos vaillantises!
Je brûle d'en venir aux prises,
Et jamais je n'eus tant de faim.

SCÈNE VII.--MERCURE, SOSIE.
MERCURE.
Arrête! Quoi! tu viens ici mettre ton nez,
Impudent fleureur de cuisine!
SOSIE.
Ah! de grâce, tout doux!
MERCURE.
Ah! vous y retournez?
Je vous ajusterai l'échine.
SOSIE.
Hélas! brave et généreux moi,
Modère-toi je t'en supplie,
Sosie, épargne un peu Sosie,
Et ne te plais point tant à frapper dessus toi.
MERCURE.
Qui de t'appeler de ce nom
A pu te donner la licence?
Ne t'en ai-je pas fait une expresse défense,
Sous peine d'essuyer mille coups de bâton?
SOSIE.
C'est un nom que tous deux nous pouvons à la fois
Posséder sous un même maître.
Sosie en tous lieux on sait me reconnoître;
Je souffre bien que tu le sois,
Souffre aussi que je le puisse être.
Laissons aux deux Amphitryons
Faire éclater des jalousies;
Et, parmi leurs contentions,
Faisons en bonne paix vivre les deux Sosies.
MERCURE.
Non, c'est assez d'un seul; et je suis obstiné
A ne point souffrir de partage.
SOSIE.
Du pas devant sur moi tu prendras l'avantage;
Je serai le cadet, et tu seras l'aîné.
MERCURE.
Non! un frère incommode, et n'est pas de mon goût,
Et je veux être fils unique.
SOSIE.
O cœur barbare et tyrannique!
Souffre qu'au moins je sois ton ombre.
MERCURE.
Point du tout.
SOSIE.
Que d'un peu de pitié ton âme s'humanise!
En cette qualité souffre-moi près de toi:
Je te serai partout une ombre si soumise,
Que tu seras content de moi.
MERCURE.
Point de quartier; immuable est la loi.
Si d'entrer là dedans tu prends encor l'audace,
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