Molière - Œuvres complètes, Tome 3 - 01

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ŒUVRES COMPLÈTES
DE J.-B. POQUELIN
MOLIÈRE

E. Colin.--Imprimerie de Lagny.

ŒUVRES COMPLÈTES
DE J.-B. POQUELIN
MOLIÈRE
NOUVELLE ÉDITION
PAR
M. PHILARÈTE CHASLES
PROFESSEUR AU COLLÉGE DE FRANCE
«Chaque homme de plus qui sait lire est un lecteur de plus pour
Molière».
SAINTE-BEUVE.

TOME TROISIÈME

PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES
3, RUE AUBER, 3
1887
Tous droits réservés


ŒUVRES
COMPLÈTES
DE MOLIÈRE

TROISIÈME ÉPOQUE
1664-1666
DRAME PHILOSOPHIQUE ET SATIRIQUE
XV. 1664. TARTUFFE[1].
XVI. 1665. DON JUAN, OU LE FESTIN DE PIERRE.
XVII. 1665. L'AMOUR MÉDECIN.
XVIII. 1666. LE MISANTHROPE.


DON JUAN
OU
LE FESTIN DE PIERRE
COMÉDIE
REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS, A PARIS, SUR LE THÉATRE DU
PALAIS-ROYAL, LE 15 FÉVRIER 1665.

Plus d'un déboire avait accueilli Molière à la cour, et sa vie
domestique n'était pas de nature à le consoler. Depuis environ deux
années il avait travaillé à peu près exclusivement pour les plaisirs
du monarque et sacrifié à cette mission, qui était pour lui une
sauvegarde, une partie tragique qu'aujourd'hui. Selon le moine Tellez
(et cette idée règne dans toutes ses pièces), qui trompe les femmes est
nécessairement puni dans ce monde et damné dans l'autre. Il ne pardonne
pas à cet abus de la puissance, de l'esprit de la richesse. Quant à ses
victimes, ce sont de vraies Espagnoles, et non les tendres Allemandes
de Mozart; elles ouvrent au séducteur un enfer anticipé, en attendant
l'autre enfer; terribles personnes auxquelles nul don Juan n'estimerait
prudent de se jouer.
[1] Joué en partie devant le roi, à Versailles, le 10 mai 1664, puis
suspendu; joué ensuite à Paris, devant le public, le 5 août 1667, puis
suspendu de nouveau, et repris le 5 février 1669.
Ce beau sujet, qui non-seulement a couru tous les théâtres de l'Europe,
mais qui, sous la main de Molière et de Byron, a créé un nouveau type
moderne, le «don Juan,» et enrichi d'un personnage symbolique la vaste
galerie qui contient déjà Lovelace, Panurge, Tartuffe, Falstaff et
Patelin, a inspiré à Tirso des scènes admirables et plus d'un trait
de génie. Lorsque don Juan, un flambeau à la main, veut reconduire la
statue et l'accompagner dans les ténèbres:
«Ne m'éclaire pas, dit le mort! Je suis en état de grâce.»
Le dénoûment de l'œuvre espagnole, où se joue une libre et puissante
imagination est d'un effet dramatique extraordinaire et peut-être
sans égal dans les annales dramatiques. Poursuivi par les familles
offensées de Séville, Tenorio se réfugie dans la cathédrale. C'est là
qu'il trouve le tombeau et la statue de celui qu'il a tué. Il soupe
dans l'église, en face de l'autel, sous les grandes voûtes gothiques,
parmi les statues des saints et pendant la nuit. Là le _Gracioso_,
type du Sganarelle de Molière et du Leporello de Mozart, met la table
par ordre du «moqueur» son maître. Du haut des degrés de marbre blanc,
sous la clarté de la lune perçant les vitraux, le vieux gentilhomme
mort descend pour répondre à la railleuse invitation du mauvais sujet
entre deux vins; car, nous l'avons dit, le don Juan de Tellez n'est
qu'un débauché ingénu, poursuivi par la justice, forcé de souper
quelque part, invité d'ailleurs par la statue; s'il fait dresser sa
table dans l'église où il s'est réfugié, rien de plus naturel, rien qui
ressorte mieux du point de vue catholique; rien de plus dramatique et
de plus profond que cette frivolité enivrée qui raille Dieu, éveille
les cadavres, appelle son propre châtiment, et à laquelle répondent,
du fond des tombeaux, le sérieux de la mort inévitable et de la vie
éternelle.
Le côté populaire de cette création, qui appartient réellement au
prieur de la Merci, s'empara tellement des imaginations méridionales en
Espagne et en Italie, que de mauvaises imitations, d'abord italiennes,
puis françaises, toutes ornées de l'inévitable statue du commandeur et
de son cheval, la plupart écrites d'un style misérable et surchargées
de grotesques lazzi, eurent la vogue à travers toute l'Europe. _El
Combibado di piedra_, le second titre du drame de Tirso, transformé
par quelque Italien ignorant en «Festin de Pierre,» occupa l'attention
publique de 1650 à 1660. La vraie traduction du titre espagnol est «le
Convive-statue,» qui devint _le Festin de Pierre_, «Pietro,» soit que
le premier arrangeur ne sût pas l'espagnol ou qu'il fît allusion à _don
Pierre_, nom du commandeur assassiné. Dans toutes les hypothèses, il ne
s'agirait pas «du Festin de Pierre,» puisque tout festin appartient à
la fois à celui qui le donne et à celui qui le reçoit.
A Lyon, en 1658, le comédien Dorimont fit représenter son «Festin de
Pierre,» calqué sur la farce italienne et non sur l'original espagnol,
œuvre très-bien accueillie malgré son peu de mérite et qui fut
imprimée dans la même ville, l'année suivante. Un autre comédien, de
Villiers, qui se piquait de littérature, et qui, à ce titre, se range
parmi les ennemis de Molière, trouvant que _l'homme et le cheval_,
il s'exprime ainsi dans sa préface, _faisaient de l'argent, et que
l'argent fait subsister le théâtre_, prit la peine de versifier de
nouveau le canevas italien et jeta dans son œuvre un peu plus de verve
que Dorimont, et infiniment plus de mauvais goût. Voici comment de
Villiers reproduit la scène comique inventée par le moine de la Merci,
scène burlesquement développée par l'imitateur italien, et dont Mozart
a fait un chef-d'œuvre d'élégance et de gaieté musicale. Pour consoler
une nouvelle victime de son maître, le valet de don Juan déroule à ses
yeux la liste de ses victimes antérieures (_mille e tre_):
D'autres ont eu par lui de semblables malheurs,
J'en connois plus de cent, Amarillis, Céphise,
Violante, Marcelle, Amarante, Bélise,
Lucrèce, qu'il surprit par un détour bien fin;
Ce n'est pas celle-là de monseigneur Tarquin.
Polycrite, Aurélie, et la belle Joconde,
Dont l'œil sait embraser le cœur de tout le monde;
Pasithée, Auralinde, Oronte aux noirs sourcils,
Bérénice, Aréthuse, Aminte, Anacorsis,
Nérinde, Doralis, Lucie, au teint d'albâtre,
Qu'après avoir surprise il battit comme plâtre.
Que vous dirai-je encor? Mélinte, Nitocris,
A qui cela coûta bien des pleurs et des cris;
Perrette la boiteuse, et Margot la camuse,
Qui se laissa tromper comme une pauvre buse.
Catin, qui n'a qu'un œil, et la pauvre Alison,
Aussi belle, ou du moins d'aussi bonne maison!
Claude, Fanchon, Paquette, Anne, Laure, Isabelle,
Jacqueline, Suzon, benoîte péronnelle;
Et, si je pouvois bien du tout me souvenir,
De quinze jours d'ici je ne pourrois finir!
Tel était le style des ennemis de Molière. Le grand comique, qui sans
doute n'a pas lu Tirso, s'empare du sujet et du personnage; après
avoir commencé, on sait avec quel succès, son attaque contre le savoir
sans pensée, la politesse sans simplicité, la moralité bourgeoise sans
vérité et la dévotion sans piété, il ouvre une nouvelle campagne contre
la noblesse de race sans vertu.
Comme il n'a pu faire jouer son _Tartuffe_, dont les trois premiers
actes ont effrayé le roi, il crée un Tartuffe courtisan, plus
redoutable encore, car celui-ci n'a rien de repoussant et de hideux; il
est le type suprême de l'élégance et de la grâce. Molière laisse sur le
second plan les femmes, dont la passion ardente occupe chez Tirso le
devant de la scène, et laisse éclater la triste pensée que nous avons
vue poindre dans l'_Étourdi_, l'honnête homme malheureux en ce monde
malgré son honneur; le favori de la fortune et du sort bravant tout,
grâce à la forme extérieure et à l'hypocrisie. Notre gentilhomme, qui
ne croit à rien, triompherait de tout si Dieu ne se manifestait par un
coup de foudre: c'est l'idée même de Machiavel.
Tous les sévères et tous les honnêtes, mais aussi tous les médiocres,
s'insurgèrent à la fois, depuis le prince de Conti devenu janséniste,
jusqu'à Saint-Évremond, le libre-penseur. Pour les uns, c'était
détruire la base chrétienne de la morale; pour les autres, c'était
révéler trop hardiment la plaie secrète et incurable de l'humanité.
Dès la seconde représentation il fallut supprimer cette effrayante
«scène du pauvre,» qui résume, par le contraste du scélérat triomphant
et de l'honnête homme sans pain et sans asile, ce que l'on peut
alléguer de plus fort et de plus douloureux sur les sociétés humaines.
Non-seulement les dévots modérés, mais les gens du monde, furent
tellement épouvantés de la lumière lugubre jetée par cette œuvre
rapide et profonde, qu'il fallut la retirer de la scène après treize
représentations. On n'osa l'imprimer que dix-huit ans plus tard, en
1682 d'abord, puis en 1683; encore dut-on y faire des «cartons,»
c'est-à-dire des altérations qui portèrent spécialement sur la «scène
du pauvre.»
Les grands compliments, les embrassades et les vaines paroles des
courtisans, l'art de séduire et d'éconduire, les puériles controverses
pour et contre le tabac et l'émétique, la bouffonnerie doctorale que
Molière n'a jamais épargnée et qu'il attribue ici au valet Sganarelle
devenu médecin, complètent le champ d'ironie et de satire que ce grand
esprit a parcouru dans son _Don Juan_, la plus personnelle peut-être de
toutes ses œuvres, bien qu'elle prétende être imitée de l'espagnol.
On vit une attaque à la religion là où se trouvait une attaque à
l'homme de cour, et le goût général pour la décence et le noble langage
porta les beaux esprits à blâmer Molière d'avoir écrit son œuvre en
prose, surtout d'avoir fait parler sur la scène de vrais paysans comme
les paysans parlent. Disons-le à l'honneur de Louis XIV: Molière, en
butte à une meute d'ennemis furieux et assiégé de toutes parts, reçut,
après _Don Juan_, le titre de comédien du roi; sa pension fut doublée.


PERSONNAGES. ACTEURS.
DON JUAN, fils de don Louis. LA GRANGE.
SGANARELLE. MOLIÈRE.
ELVIRE, femme de don Juan. Mlle DU PARC.
GUSMAN, écuyer d'Elvire.
DON CARLOS, } frères d'Elvire.
DON ALONSE, }
DON LOUIS, père de don Juan. BÉJART.
FRANCISQUE, pauvre.
CHARLOTTE, } paysannes. Mlle MOLIÈRE.
MATHURINE, } Mlle DE BRIE.
PIERROT, paysan. HUBERT.
LA STATUE DU COMMANDEUR.
LA VIOLETTE, } valets de don Juan.
RAGOTIN, }
M. DIMANCHE, marchand. DU CROISY.
LA RAMÉE, spadassin. DE BRIE.
SUITE DE DON JUAN.
SUITE DE DON CARLOS ET DE DON ALONSE,
frères.
UN SPECTRE.
La scène est en Sicile


ACTE PREMIER
Un palais.

SCÈNE I.--SGANARELLE, GUSMAN.
SGANARELLE, tenant une tabatière.
Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien
d'égal au tabac: c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans
tabac n'est pas digne de vivre. Non-seulement il réjouit et purge les
cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on
apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès
qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le
monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout
où l'on se trouve? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court
au-devant du souhait des gens; tant il est vrai que le tabac inspire
des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent.
Mais c'est assez de cette matière, reprenons un peu notre discours.
Si bien donc, cher Gusman, que done Elvire, ta maîtresse, surprise de
notre départ, s'est mise en campagne après nous, et son cœur, que mon
maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis-tu, sans le venir
chercher ici. Veux-tu qu'entre nous je te dise ma pensée? J'ai peur
qu'elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville
produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de
là.
GUSMAN.
Et la raison encore? Dis-moi, je te prie, Sganarelle, qui peut
t'inspirer une peur d'un si mauvais augure? Ton maître t'a-t-il ouvert
son cœur là-dessus, et t'a-t-il dit qu'il eût pour nous quelque
froideur qui l'ait obligé à partir?
SGANARELLE.
Non pas; mais, à vue de pays, je connois à peu près le train des
choses, et, sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerois presque que
l'affaire va là. Je pourrois peut-être me tromper, mais enfin, sur de
tels sujets, l'expérience m'a pu donner quelques lumières.
GUSMAN.
Quoi! ce départ si peu prévu seroit une infidélité de don Juan? Il
pourroit faire cette injure aux chastes feux de done Elvire?
SGANARELLE.
Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage...
GUSMAN.
Un homme de sa qualité feroit une action si lâche!
SGANARELLE.
Eh! oui, sa qualité! La raison en est belle; et c'est par là qu'il
s'empêcheroit des choses!
GUSMAN.
Mais les saints nœuds du mariage le tiennent engagé.
SGANARELLE.
Eh! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel
homme est don Juan.
GUSMAN.
Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous
ait fait cette perfidie; et je ne comprends point comme, après tant
d'amour et tant d'impatience témoignée, tant d'hommages pressans,
de vœux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionnées, de
protestations ardentes et de sermens réitérés, tant de transports
enfin, et tant d'emportemens qu'il a fait paroître, jusqu'à forcer,
dans sa passion, l'obstacle sacré d'un couvent, pour mettre done Elvire
en sa puissance; je ne comprends pas, dis-je, comme, après tout cela,
il auroit le cœur de pouvoir manquer à sa parole.
SGANARELLE.
Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi; et, si tu connoissois
le pèlerin, tu trouverois la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas
qu'il ait changé de sentimens pour done Elvire, je n'en ai point de
certitude encore. Tu sais que, par son ordre, je partis avant lui; et,
depuis son arrivée, il ne m'a point entretenu; mais, par précaution,
je t'apprends, _inter nos_, que tu vois, en don Juan mon maître, le
plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien,
un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni ciel, ni saint, ni
Dieu, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute;
un pourceau d'Épicure, un vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à
toutes les remontrances chrétiennes qu'on lui peut faire, et traite
de billevesées tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a épousé ta
maîtresse; crois qu'il auroit plus fait pour sa passion, et qu'avec
elle il auroit encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage
ne lui coûte rien à contracter; il ne se sert point d'autres piéges
pour attraper les belles, et c'est un épouseur à toutes mains. Dame,
demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de
trop froid pour lui; et, si je te disois le nom de toutes celles qu'il
a épousées en divers lieux, ce seroit un chapitre à durer jusqu'au
soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours; ce n'est
là qu'une ébauche du personnage, et, pour en achever le portrait, il
faudroit bien d'autres coups de pinceau. Suffit[2] qu'il faut que
le courroux du ciel l'accable quelque jour; qu'il me vaudrait bien
mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant
d'horreurs, que je souhaiterois qu'il fût déjà je ne sais où; mais un
grand seigneur méchant homme est une terrible chose; il faut que je lui
sois fidèle, en dépit que j'en aie; la crainte en moi fait l'office du
zèle, bride mes sentimens, et me réduit d'applaudir bien souvent à ce
que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais,
séparons-nous. Écoute au moins; je t'ai fait cette confidence avec
franchise et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche; mais, s'il
fallait qu'il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirois hautement
que tu aurois menti.
[2] Pour: il suffit. Ellipse archaïque.

SCÈNE II.--DON JUAN, SGANARELLE.
DON JUAN.
Quel homme te parloit là? Il a bien de l'air, ce me semble, du bon
Gusman de done Elvire?
SGANARELLE.
C'est quelque chose aussi à peu près de cela.
DON JUAN.
Quoi! c'est lui?
SGANARELLE.
Lui-même.
DON JUAN.
Et depuis quand est-il en cette ville?
SGANARELLE.
D'hier au soir.
DON JUAN.
Et quel sujet l'amène?
SGANARELLE.
Je crois que vous jugez assez ce qui le peut inquiéter.
DON JUAN.
Notre départ, sans doute?
SGANARELLE.
Le bonhomme en est tout mortifié et m'en demandoit le sujet.
DON JUAN.
Et quelle réponse as-tu faite?
SGANARELLE.
Que vous ne m'en aviez rien dit.
DON JUAN.
Mais encore, quelle est ta pensée là-dessus? Que t'imagines-tu de cette
affaire?
SGANARELLE.
Moi! Je crois, sans vous faire tort, que vous avez quelque nouvel amour
en tête.
DON JUAN.
Tu le crois?
SGANARELLE.
Oui.
DON JUAN.
Ma foi, tu ne te trompes pas, et je dois t'avouer qu'un autre objet a
chassé Elvire de ma pensée.
SGANARELLE.
Eh! mon Dieu! je sais mon don Juan sur le bout du doigt, et connois
votre cœur pour le plus grand coureur du monde; il se plaît à se
promener de liens en liens, et n'aime guère à demeurer en place.
DON JUAN.
Et ne trouves-tu pas, dis-moi, que j'ai raison d'en user de la sorte?
SGANARELLE.
Eh! monsieur...
DON JUAN.
Quoi? Parle.
SGANARELLE.
Assurément que vous avez raison si vous le voulez; on ne peut pas aller
là contre. Mais, si vous ne le vouliez pas, ce seroit peut-être une
autre affaire.
DON JUAN.
Eh bien, je te donne la liberté de parler et de me dire tes sentimens.
SGANARELLE.
En ce cas, monsieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point
votre méthode et que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme
vous faites.
DON JUAN.
Quoi! tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend,
qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour
personne? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être
fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort
dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper
les yeux! Non, non, la constance n'est bonne que pour des ridicules;
toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être
rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes
prétentions qu'elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté
me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce
violence dont[3] elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour
que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux
autres; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends
à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi
qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois
d'aimable; et, dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avois
dix mille, je les donnerois tous. Les inclinations naissantes, après
tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour
est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par
cent hommages, le cœur d'une jeune beauté; à voir de jour en jour
les petits progrès qu'on y fait; à combattre, par des transports, par
des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à
rendre les armes; à forcer pied à pied toutes les petites résistances
qu'elle nous oppose; à vaincre les scrupules dont elle se fait un
honneur, et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir.
Mais, lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire
ni rien à souhaiter; tout le beau de la passion est fini, et nous
nous endormons dans la tranquillité d'un tel amour, si quelque objet
nouveau ne vient réveiller nos désirs et présenter à notre cœur les
charmes attrayans d'une conquête à faire. Enfin, il n'est rien de si
doux que de triompher de la résistance d'une belle personne; et j'ai,
sur ce sujet, l'ambition des conquérans, qui volent perpétuellement
de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs
souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs;
je me sens un cœur à aimer toute la terre, et, comme Alexandre, je
souhaiterois qu'il y eût d'autres mondes pour y pouvoir étendre mes
conquêtes amoureuses.
SGANARELLE.
Vertu de ma vie! comme vous débitez! Il semble que vous ayez appris
cela par cœur, et vous parlez tout comme un livre.
DON JUAN.
Qu'as-tu à dire là-dessus?
SGANARELLE.
Ma foi, j'ai à dire... Je ne sais que dire; car vous tournez les choses
d'une manière qu'il semble que vous ayez raison; et cependant il est
vrai que vous ne l'avez pas. J'avais les plus belles pensées du monde,
et vos discours m'ont brouillé tout cela. Laissez faire; une autre
fois, je mettrai mes raisonnemens par écrit, pour disputer avec vous.
DON JUAN.
Tu feras bien.
SGANARELLE.
Mais, monsieur, cela seroit-il de la permission que vous m'avez donnée,
si je vous disois que je suis tant soit peu scandalisé de la vie que
vous menez?
DON JUAN.
Comment! quelle vie est-ce que je mène?
SGANARELLE.
Fort bonne. Mais, par exemple, de vous voir tous les mois vous marier
comme vous faites!
DON JUAN.
Y a-t-il rien de plus agréable?
SGANARELLE.
Il est vrai. Je conçois que cela est fort agréable et fort
divertissant, et je m'en accommoderois assez, moi, s'il n'y avoit point
de mal; mais, monsieur, se jouer ainsi d'un mystère sacré, et...
DON JUAN.
Va, va, c'est une affaire entre le ciel et moi, et nous la démêlerons
bien ensemble sans que tu t'en mettes en peine.
SGANARELLE.
Ma foi, monsieur, j'ai toujours ouï dire que c'est une méchante
raillerie que de se railler du ciel, et que les libertins ne font
jamais une bonne fin.
DON JUAN.
Holà, maître sot! Vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les
faiseurs de remontrances.
SGANARELLE.
Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m'en garde! Vous savez ce que vous
faites, vous; et, si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons: mais
il y a de certains petits impertinens dans le monde qui sont libertins
sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts parce qu'ils croient
que cela leur sied bien, et, si j'avois un maître comme cela, je lui
dirois fort nettement, le regardant en face: Osez-vous bien ainsi vous
jouer au ciel, et ne tremblez-vous point de vous moquer comme vous
faites des choses les plus saintes? C'est bien à vous, petit ver de
terre, petit myrmidon que vous êtes (je parle au maître que j'ai dit),
c'est bien à vous à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que
tous les hommes révèrent! Pensez-vous que, pour être de qualité, pour
avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre chapeau,
un habit bien doré, et des rubans couleur de feu (ce n'est pas à vous
que je parle, c'est à l'autre), pensez-vous, dis-je, que vous en soyez
plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu'on n'ose vous dire
vos vérités? Apprenez de moi, qui suis votre valet, que le ciel punit
tôt ou tard les impies, qu'une méchante vie amène une méchante mort, et
que...
DON JUAN.
Paix!
SGANARELLE.
De quoi est-il question?
DON JUAN.
Il est question de te dire qu'une beauté me tient au cœur, et
qu'entraîné par ses appas, je l'ai suivie jusqu'en cette ville.
SGANARELLE.
Et n'y craignez-vous rien, monsieur, de la mort de ce commandeur que
vous tuâtes il y a six mois?
DON JUAN.
Et pourquoi craindre? ne l'ai-je pas bien tué?
SGANARELLE.
Fort bien, le mieux du monde; et il auroit tort de se plaindre.
DON JUAN.
J'ai eu ma grâce de cette affaire.
SGANARELLE.
Oui; mais cette grâce n'éteint pas peut-être le ressentiment des parens
et des amis, et...
DON JUAN.
Ah! n'allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons
seulement à ce qui nous peut donner du plaisir. La personne dont je
te parle est une jeune fiancée, la plus agréable du monde, qui a été
conduite ici par celui même qu'elle y vient épouser; et le hasard me
fit voir ce couple d'amans trois ou quatre jours avant leur voyage.
Jamais je n'ai vu deux personnes être si contentes l'une de l'autre et
faire éclater plus d'amour. La tendresse visible de leurs mutuelles
ardeurs me donna de l'émotion; j'en fus frappé au cœur, et mon amour
commença par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abord de les
voir si bien ensemble; le dépit alluma mes désirs, et je me figurai
un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence et rompre
cet attachement dont la délicatesse de mon cœur se tenoit offensée;
mais jusques ici tous mes efforts ont été inutiles, et j'ai recours
au dernier remède. Cet époux prétendu doit aujourd'hui régaler[4] sa
maîtresse d'une promenade sur mer. Sans t'en avoir rien dit, toutes
choses sont préparées pour satisfaire mon amour, et j'ai une petite
barque et des gens, avec quoi, fort facilement, je prétends enlever la
belle.
SGANARELLE.
Ah! monsieur...
DON JUAN.
Hein?
SGANARELLE.
C'est fort bien fait à vous, et vous le prenez comme il faut. Il n'est
rien tel en ce monde que de se contenter.
DON JUAN.
Prépare-toi donc à venir avec moi, et prends soin toi-même d'apporter
toutes mes armes, afin que... (Apercevant done Elvire.) Ah! rencontre
fâcheuse! Traître! tu ne m'avois pas dit qu'elle étoit ici elle-même.
SGANARELLE.
Monsieur, vous ne me l'avez pas demandé.
DON JUAN.
Est-elle folle de n'avoir pas changé d'habit, et de venir en ce lieu-ci
avec son équipage de campagne?
[3] Pour: par laquelle. Archaïsme très-fréquent chez Molière.
[4] Pour: donner le plaisir. Mot mis à la mode par les Espagnols.

SCÈNE III.--DONE ELVIRE, DON JUAN, SGANARELLE.
DONE ELVIRE.
Me ferez-vous la grâce, don Juan, de vouloir bien me reconnoître? Et
puis-je au moins espérer que vous daigniez tourner le visage de ce côté?
DON JUAN.
Madame, je vous avoue que je suis surpris, et que je ne vous attendois
pas ici.
DONE ELVIRE.
Oui, je vois bien que vous ne m'y attendiez pas; et vous êtes surpris,
à la vérité, mais tout autrement que je ne l'espérois; et la manière
dont vous le paroissez me persuade pleinement ce que je refusois de
croire. J'admire ma simplicité, et la foiblesse de mon cœur à douter
d'une trahison que tant d'apparences me confirmoient. J'ai été assez
bonne, je le confesse, ou plutôt assez sotte, pour me vouloir tromper
moi-même, et travailler à démentir mes yeux et mon jugement. J'ai
cherché des raisons, pour excuser[5] à ma tendresse le relâchement
d'amitié qu'elle voyoit en vous; et je me suis forgé exprès cent sujets
légitimes d'un départ si précipité, pour vous justifier du crime dont
ma raison vous accusoit. Mes justes soupçons chaque jour avoient beau
me parler, j'en rejetois la voix qui vous rendoit criminel à mes
yeux, et j'écoutois avec plaisir mille chimères ridicules, qui vous
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