Michel Strogoff: Pièce à grand spectacle en 5 actes et 16 tableaux - 5

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fatal!... Pourquoi ne suis-je pas morte, mon Dieu?
STROGOFF.
Mourir!... toi, non... non!... Ne pleure pas, ma mère, et
souviens-toi des paroles que je dis ici: Dieu réserve à ceux
qui souffrent d'ineffables consolations!
MARFA.
De quelles consolations me parles-tu, à moi, dont les yeux ne
doivent plus, sans pleurer, se fixer sur les tiens?
STROGOFF.
Le bonheur peut renaître en ton âme.
MARFA.
Le bonheur?
STROGOFF.
Dieu fait des miracles, ma mère...
MARFA.
Des miracles! Que signifie?... Réponds, réponds, au nom du
ciel!
STROGOFF.
Eh bien! apprends donc!... je, je... Ah! la joie! l'émotion de
te retrouver... ma mère... ma...
MARFA.
Mon Dieu! la parole expire sur ses lèvres... Il pâlit... il
perd connaissance!...
NADIA.
C'est l'émotion après tant de fatigues!
MARFA.
Il faudrait pour le ranimer!... Ah! cette gourde! (Elle prend
la gourde que Strogoff porte à son côté.) Rien! elle est
vide... Là-bas, de l'eau!... Va... va... Nadia! (Nadia prend
la gourde et s'élance au fond sur le chemin qui monte vers la
droite.) Michel, mon enfant, entends-moi, parle-moi,
Michel!... Dis encore que tu me pardonnes tout ce que, par
moi, tu as souffert!...
STROGOFF, d'une voix éteinte.
Mère! mère!...
MARFA.
Ah!... il revient à lui!... (A ce moment Nadia qui a rempli la
gourde se relève, mais aussitôt le sergent tartare reparaît et
se précipite vers elle.)
LE SERGENT.
A moi, la belle fille!...
NADIA.
Laissez-moi.
LE SERGENT.
Non!... tu viendras de gré ou de force!... (Il veut
l'entraîner.)
NADIA.
Laissez-moi!... Laissez-moi!
MARFA, apercevant Nadia.
Le misérable... Nadia!... (Elle court à Nadia.)
LE SERGENT.
Arrière!... (Il repousse Marfa, saisit Nadia dans ses bras et
va l'enlever.)
NADIA, poussant un cri.
A moi, pitié!... à moi!
STROGOFF.
Nadia!... (Il se redresse, se lève; puis, par un mouvement
irrésistible, il se jette sur un des fusils déposés près de
l'arbre, il l'arme, il ajuste le sergent et fait feu. Le
sergent tombe mort.)
MARFA ET NADIA.
Oh!... (Toutes deux, après être restées stupéfaites un instant,
redescendent en courant auprès de Strogoff.)
STROGOFF.
Que Dieu et le czar me pardonnent!... Cette contrainte
nouvelle était au-dessus de mes forces!
MARFA.
Ah! Michel, mon fils, tes yeux voient la lumière du ciel!
NADIA.
Frère! Frère!... C'est donc vrai?
STROGOFF.
Oui, oui, je te vois, ma mère!... Oui, je te vois, Nadia!...
MARFA.
Mon enfant, mon enfant!... Quelle joie, quel bonheur, quelle
ivresse!... Ah!... Je comprends tes paroles maintenant: Dieu
garde aux affligés d'ineffables consolations...
NADIA.
Mais comment se fait-il?
MARFA.
Et d'où vient ce miracle?...
STROGOFF.
Quand je croyais te regarder pour la dernière fois, ma mère,
mes yeux se sont inondés de tant de pleurs, que le fer rougi
n'a pu que les sécher sans brûler mon regard!... Et comme il
me fallait, pour sauver notre Sibérie, traverser les lignes
tartares: "Je suis aveugle, disais-je. Le Koran me protège...
Je suis aveugle..." et je passais!
NADIA.
Mais pourquoi ne m'avoir pas dit... à moi?...
STROGOFF.
Parce qu'un instant d'imprudence ou d'oubli aurait pu te
perdre avec moi, Nadia!...
MARFA.
Silence!... Ils reviennent.

SCENE VI.
LES MEMES, LE CAPITAINE, SOLDATS.

Le capitaine, suivi des soldats, arrive par le fond. On relève
le cadavre du sergent.
LE CAPITAINE.
Qui a tué cet homme?
UN SOLDAT, montrant Strogoff.
Il n'y a ici que ce mendiant.
L'OFFICIER.
Qu'on s'empare de lui. Nous l'emmènerons au camp.
STROGOFF, à part.
M'emmener!... Et ma mission! tout est perdu!...
NADIA.
Ne savez-vous pas que mon frère est aveugle?...
MARFA.
Et qu'il n'a pu se servir de cette arme!
L'OFFICIER.
Aveugle?... Nous allons bien savoir s'il l'est réellement!
MARFA, bas.
Que va-t-il faire?
L'OFFICIER.
Tes yeux sont éteints, as-tu dit.
STROGOFF.
Oui.
L'OFFICIER.
Eh bien! je veux te voir marcher sans guide, sans appui!...
Eloignez ces deux femmes, et toi, marche! (Il tire son épée.)
STROGOFF.
De quel côté?
L'OFFICIER, tendant son épée en face de la poitrine de
Strogoff.
Droit devant toi.
NADIA.
Mon Dieu!
MARFA, pousse un cri en fermant la bouche.
Ah!...
STROGOFF, marchant sur l'épée, et s'arrêtant au moment où la
pointe lui entre dans la poitrine.
Ah!... vous m'avez blessé!
MARFA, s'élançant vers lui.
Michel! mon pauvre enfant!...
NADIA.
Frère!
MARFA, à l'officier.
Vous êtes un assassin!
L'OFFICIER
Alors, c'est une de ces femmes qui a tué ce soldat!
MARFA.
C'est moi.
STROGOFF, à Marfa.
Non, ma mère! je ne veux pas... je ne veux pas...
MARFA, à part, à Strogoff.
Pour sauver notre Sibérie, il faut que tu sois libre!... Je te
défends de parler!
L'OFFICIER.
Saisissez cette femme!... Attachez-la au pied de cet arbre, et
qu'on la fusille!
STROGOFF.
Fusillée!... toi!...
NADIA.
Grâce!... pour elle!...
MARFA.
Dieu a compté mes jours!... Ils lui appartiennent!
(Des soldats attachent Marfa à l'arbre; d'autres entraînent
Strogoff et Nadia.)
STROGOFF.
Ma mère! ma mère!...

ONZIEME TABLEAU.
Le Radeau.

SCENE VII.
LES MEMES, JOLLIVET, BLOUNT, UN BATELIER, PLUSIEURS FUGITIFS.

(Au moment où les Tartares vont fusiller Marfa, un radeau
venant de la gauche apparaît sur l'Angara.)
JOLLIVET.
Une femme que des Tartares veulent assassiner!... Arrière,
misérables!
STROGOFF.
A moi!... mes amis!
L'OFFICIER, aux tartares.
Feu! vous autres!
BLOUNT.
Jollivet, tirez sur les soldats!... Je me charge, moi, du
capitaine! (Il tire.)
L'OFFICIER, blessé.
Ah!
BLOUNT.
Je avais bien visé, n'est-ce pas?
JOLLIVET.
Très bien visé, ami Blount!
(Les Tartares entourent leur chef, pendant que Strogoff et
Nadia détachent Marfa.)
L'OFFICIER.
Emmenez-moi aux réservoirs!... C'est l'ordre d'Ogareff!
(Les Tartares l'emmènent.)
BLOUNT, JOLLIVET.
Vive la France! vive l'Angleterre! hurrah! hip! hip!
JOLLIVET.
Tiens! Michel Strogoff!
STROGOFF.
Merci, monsieur Jollivet! Merci, monsieur Blount!
BLOUNT.
C'était nous, infortuné aveugle!
STROGOFF.
Ne perdons pas une minute!... Ce radeau vous conduisait...
JOLLIVET.
A Irkoutsk.
STROGOFF.
A Irkoutsk!... C'est le ciel qui vous envoie.
BLOUNT.
Oui, toujours très maligne, le ciel!
MARFA.
Vous nous emmenez avec vous!
JOLLIVET.
Certes!... En descendant le cours de l'Angara, nous
pénétrerons dans Irkoutsk à la faveur de la nuit!
STROGOFF.
Embarquons!
JOLLIVET.
Il n'est donc pas aveugle!
MARFA.
Sa tendresse filiale a sauvé mon enfant! Ses yeux, en
m'adressant un dernier adieu, étaient inondés de tant de
larmes!...
BLOUNT.
Ah bonne! très bien! je comprends, et je voulais instruire de
cette chose notre Académie de médecine!
JOLLIVET.
Oui, oui, écrivez, Blount: Fer rouge excellent pour sécher les
larmes...
BLOUNT.
Mais insiouffisant pour brûler la vue!
TOUS.
Embarquons!
(Ils s'embarquent.)

DOUZIEME TABLEAU.
Les Rives de l'Angara.

Le panorama du fond se déplace peu à peu, pendant que le
radeau est immobile, et montre divers sites des rives du
fleuve.

TREIZIEME TABLEAU.
Le Fleuve de naphte.
La nuit est venue. Le courant de naphte s'enflamme à la
surface du fleuve, et le radeau, vigoureusement repoussé passe
à travers.

QUATORZIEME TABLEAU.
La Ville en feu.
Irkoutsk est en feu. La population se précipite de tous côtés.
Strogoff apparaît et s'élance à travers une porte embrasée.

ACTE CINQUIEME

QUINZIEME TABLEAU.
Le Palais du Grand-Duc.
Une chambre basse de la casemate de la porte Tchernaïa, à
Irkoutsk. Porte au fond, portes latérales. Large fenêtre à
droite, éclairée par le reflet de l'incendie. Tocsin sonnant à
toute volée.

SCENE I.
LE GRAND-DUC, LE GENERAL VORONZOFF, OFFICIERS.

LE GRAND-DUC.
Il a fallu la main d'un barbare pour répandre sur la surface
du fleuve tout un courant de naphte.
VORONZOFF.
Les soldats de l'émir ont, sans doute, renversé la muraille de
l'immense réservoir du Baïkal.
LE GRAND-DUC.
Et une étincelle a suffi pour embraser ce naphte et incendier
les maisons dont les pilotis baignent dans le fleuve! Les
misérables! employer de pareils moyens de destruction!
VORONZOFF.
C'est une guerre de sauvages qu'ils veulent nous faire!
Altesse, ils ont juré l'extermination de la ville!
LE GRAND-DUC.
Ils ne sont pas encore les maîtres d'Irkoutsk. Général, le feu
a-t-il fait de nombreuses victimes?
VORONZOFF.
Presque tous les habitants sont parvenus à se sauver.
LE GRAND-DUC.
Que l'on secoure ces pauvres gens,... qu'ils soient logés dans
mon palais, dans les établissements publics, chez tous ceux
que l'incendie a épargnés!...
VORONZOFF.
Tous leur viennent en aide, Altesse, et rien ne leur manquera!
Le dévouement de notre population égale son patriotisme!
LE GRAND-DUC.
Bien! Bien! Cet incendie doit être un moyen de diversion! Dès
que le feu sera localisé que tous les défenseurs retournent
aux remparts!
VORONZOFF.
A ce sujet, Altesse, j'ai à vous faire connaître une supplique
pour laquelle a été invoqué mon intermédiaire.
LE GRAND-DUC.
Par qui m'est-elle adressée?
VORONZOFF.
Par tous les exilés politiques qui au début de l'invasion ont
reçu l'ordre de rentrer dans la ville. Votre Altesse sait
qu'il se sont bravement battus déjà et qu'elle peut compter
sur leur patriotisme.
LE GRAND-DUC.
Je le sais!... Que demandent-ils?
VORONZOFF.
Ils demandent que Votre Altesse daigne leur faire l'honneur de
recevoir une députation d'entre eux.
LE GRAND-DUC.
Quel est le chef de cette députation?
VORONZOFF.
Un exilé qui s'est particulièrement distingué depuis
l'investissement de la ville.
LE GRAND-DUC.
Son nom!
VORONZOFF.
Wasili Fédor! Homme de valeur et de courage, son influence sur
ses compagnons a toujours été très grande!
LE GRAND-DUC.
Faites entrer cette députation. (On introduit Wasili Fédor et
ses compagnons.)

SCENE II.
LES MEMES, FEDOR, EXILES.

LE GRAND-DUC.
Wasili Fédor, tes compagnons et toi, vous vous êtes bravement
battus depuis le commencement du siège! Votre patriotisme n'a
jamais failli! La Russie ne l'oubliera pas!
FEDOR.
Nous venons demander à Votre Altesse qu'elle nous permette de
faire plus encore pour le salut de la patrie.
LE GRAND-DUC.
Que voulez-vous?
FEDOR.
L'autorisation de former un corps spécial et le droit de
marcher au premier rang.
LE GRAND-DUC.
Soit! Mais à un corps d'élite il faut un chef digne de le
commander. Quel sera ce chef?
TOUS.
Wasili Fédor!
FEDOR.
Moi?
TOUS.
Oui! oui!
LE GRAND-DUC.
Tu les entends! C'est toi qu'ils ont choisi! Acceptes-tu?
FEDOR.
Oui... si le bien du pays l'exige! L'amour de la patrie est
toujours vivace au coeur d'un exilé, et nous vous demandons à
marcher en avant à la première sortie!
TOUS.
Oui! oui! en avant!
LE GRAND-DUC.
Wasili Fédor, tes compagnons sont courageux et forts! Je
doublerai leur courage et leur force! Je leur donnerai à tous
l'arme la plus puissante: la liberté!
TOUS.
La liberté!
LE GRAND-DUC.
A dater de ce moment il n'y a plus de proscrits en Sibérie!
TOUS.
Hurrah pour le Grand-Duc! Hurrah! pour la Russie.
FEDOR.
Altesse, je ne serai pas seul de ma famille à bénir votre
nom. J'ai ma fille Nadia, qui en ce moment traverse mille
périls pour arriver jusqu'à moi!...
LE GRAND-DUC.
Et au lieu d'un proscrit, ta fille trouvera un homme libre!
UN AIDE DE CAMP, entrant précipitamment.
Altesse, un courrier du czar!
TOUS.
Un courrier!
LE GRAND-DUC.
Un courrier qui a pu arriver jusqu'à nous! Enfin!... Qu'il
entre! qu'il entre!...

SCENE III.
LES MEMES, IVAN.

LE GRAND-DUC.
Qui es-tu? Parle! parle vite.
IVAN.
Michel Strogoff, courrier du czar.
LE GRAND-DUC.
D'où viens-tu?
IVAN.
De Moscou.
LE GRAND-DUC.
Tu as quitté Moscou?
IVAN.
Le 22 août.
LE GRAND-DUC.
Et qui me prouve que tu es bien un courrier du czar, et que tu
m'es envoyé de Russie?
IVAN, tirant un papier.
Ce permis signé du gouverneur de Moscou, et qui assurait mon
passage à travers la Sibérie.
LE GRAND-DUC.
Mais ce permis porte le nom de Nicolas Korpanoff?
IVAN.
Je voyageais sous ce nom en qualité de marchand sibérien.
LE GRAND-DUC.
Tu as une lettre pour moi?
IVAN.
J'en avais une écrite de la main du gouverneur de Moscou, mais
j'ai dû la détruire pour la soustraire aux Tartares qui
m'avaient fait prisonnier.
LE GRAND-DUC.
Approche!... Que contenait cette lettre?
IVAN.
Ceci: Une armée de secours venue des provinces du Nord
arrivera le 28 septembre.
LE GRAND-DUC.
Le 28 septembre!
IVAN.
Que Son Altesse fasse ce jour-là, -- mais ce jour-là seulement,
-- une vigoureuse sortie, et les Tartares seront écrasés!
LE GRAND-DUC.
Ainsi celle que nous devions tenter aujourd'hui, demain... et
chaque jour, ne pourrait que nous être funeste?... C'est dans
quatre jours seulement!... Eh bien, quoi qu'il arrive, nous
tiendrons jusque-là!
IVAN, à part.
Et demain les Tartares seront maîtres d'Irkoutsk!
LE GRAND-DUC.
Est-ce tout ce que contenait cette lettre du gouverneur de
Moscou?
IVAN.
Non!... Il était aussi question d'un homme dont Votre Altesse
doit se défier..., un officier russe.
LE GRAND-DUC.
Un Russe! un officier! Quel est le nom de ce traître?
IVAN.
Ivan Ogareff, maintenant le lieutenant de Féodar et
organisateur de cette invasion.
LE GRAND-DUC.
Ivan Ogareff, jadis condamné par moi à la dégradation!
IVAN.
Il a juré de se venger de Votre Altesse et de livrer la ville
aux Tartares!
LE GRAND-DUC.
Qu'il vienne donc, je l'attends! Ah! qu'il méritait bien, ce
misérable, le châtiment qui l'a frappé, lui qui devait
provoquer plus tard l'envahissement de son pays!
IVAN, froidement.
Il le méritait!
LE GRAND-DUC.
Mais, dis-moi, comment as-tu fait pour pénétrer dans Irkoutsk?
IVAN.
Pendant le dernier engagement qui vient d'avoir lieu, je me
suis mêlé aux défenseurs de la ville, je me suis nommé, et
l'on m'a conduit aussitôt devant Votre Altesse.
LE GRAND-DUC.
Tu as montré un grand courage, Michel Strogoff. Que demandes-tu
pour prix de tes services?
IVAN.
Le droit de combattre pour la défense d'Irkoutsk.
LE GRAND-DUC.
Tu commanderas une des portes de la ville.
IVAN.
La porte Tchernaïa, Altesse, celle que les Tartares menacent
le plus?
LE GRAND-DUC.
Soit! La porte Tchernaïa!
VORONZOFF, qui s'est approché de la fenêtre.
Altesse!
LE GRAND-DUC.
Qu'y a-t-il?
VORONZOFF.
Il semble que l'ennemi cherche à se rapprocher de nos
murailles
LE GRAND-DUC.
Il nous trouvera prêts à le recevoir! Venez, messieurs!
(Tous sortent excepté Ivan.)

SCENE IV.

IVAN, seul.
Oui, oui, nobles défenseurs de la patrie! Allez, invincibles
héros! L'heure de la défaite et de la mort sonnera bientôt
pour vous! Et toi brûle, cité maudite, que tes palais soient
anéantis par le feu! Que de tes maisons il ne reste plus que
des cendres! Ce n'est pas une ville qu'il faut aux Tartares,
c'est un monceau de ruines! Brûle donc, Irkoutsk, et périsse
avec toi tout ce qui porte le nom détesté de Russe et de
Sibérien!

SCENE V.
IVAN, STROGOFF, UN OFFICIER.

L'OFFICIER, à Strogoff.
Attendez ici!... Je vais aller prévenir Son Altesse le Grand-Duc
de votre arrivée.
STROGOFF.
J'attends... Mais hâtez-vous.
IVAN, à part au fond.
Michel Strogoff. (L'officier sort.) Comment aveugle a-t-il pu
arriver jusqu'ici?
STROGOFF.
Il n'y a pas un instant à perdre!...
IVAN.
Oh! non, pas un instant. (Appuyant sa main sur l'épaule de
Strogoff.) Michel Strogoff, reconnais-tu ma voix?
STROGOFF.
Oui, c'est la voix d'un traître!... C'est la voix d'Ivan Ogareff.
IVAN.
Ogareff, auquel tu n'échapperas pas, cette fois!... Ogareff,
que n'arrêtera pas ce vain commandement du Koran qui protège
les aveugles!... Ah! tu te réjouis, n'est-ce pas? d'avoir pu
arriver à temps pour accomplir ta mission et sauver à la fois
Irkoutsk et le Grand-Duc?
STROGOFF.
Peut-être!
IVAN.
Tu espère encore!... mais sache donc que nous sommes seuls
ici! Avant que nul ne vienne, mon poignard, fouillant dans ta
poitrine, t'en arrachera le coeur.
STROGOFF, froidement.
Essaye.
IVAN.
Tu oses me braver... quand je te tiens seul et sans défense!...,
quand je n'ai qu'à choisir la place pour te frapper! Ah!
comme je vais bien te tuer!
STROGOFF.
J'attends! (Ivan s'approche de Strogoff, mais le coup est
détourné, et Strogoff lui arrache son poignard.)
STROGOFF.
Eh bien, j'attends toujours.
IVAN.
Est-ce un rêve!... Un miracle n'a pu se faire pour ce
misérable!...
STROGOFF, avançant vers lui et lui prenant le bras.
Alors, pourquoi trembles-tu?
IVAN, voulant se dégager.
Non!... C'est impossible!...
STROGOFF.
Ivan Ogareff, ton heure suprême est arrivée!... Regarde de
tous tes yeux, regarde!...
IVAN.
Miséricorde! Il voit! il voit! il voit!
STROGOFF.
Oui, je vois sur ton visage de traître la pâleur et
l'épouvante! Je vois la trace du knout, le stigmate de honte
dont j'ai marqué ton front! Je vois la place où je vais te
frapper, misérable! Ah! comme je vais bien te tuer!
IVAN, se redressant.
Soit! mais tu me frapperas debout! Je mourrai du moins en
soldat!
STROGOFF.
En soldat, toi?... Non. Tu vas mourir comme doit mourir un
traître, à genoux! Allons, à genoux! pour expier l'outrage
que tu m'as infligé, à genoux! pour avoir fait honteusement
knouter ma mère, à genoux! pour avoir trahi ta patrie... A
genoux! misérable, à genoux!
(Ivan cherche à s'emparer du poignard pour en frapper
Strogoff, et parvient à le lui prendre. Mais Strogoff lui
saisit la main et la dirige de telle sorte qu'Ivan se frappe
lui-même et tombe.)

SCENE VI.
LES MEMES, LE GRAND-DUC, OFFICIERS, VORONZOFF, JOLLIVET,
BLOUNT, MARFA, NADIA, FEDOR.

LE GRAND-DUC.
Emparez-vous de cet homme. (A Strogoff.) Qui es-tu, toi qui as
assassiné un courrier du czar?
STROGOFF.
Michel Strogoff, Altesse, et voici Ivan Ogareff.
MARFA, entrant.
Oui! Michel Strogoff, mon enfant! Altesse, vous avez devant
vous le dévouement et la trahison!
JOLLIVET, montrant Strogoff.
Et le dévouement, le voici!
BLOUNT, montrant Ivan.
Et le trahison, le voilà!
LE GRAND-DUC.
Quels sont ces hommes?
STROGOFF.
Mes braves compagnons de périls!
JOLLIVET, désignant Blount.
J'ai l'honneur de présenter à Votre Altesse monsieur Blount,
un courageux Anglais!
BLOUNT, même jeu.
Mister Jollivet, une Française aussi coura... bien plus
courageuse!
LE GRAND-DUC.
Et vous affirmez?...
BLOUNT.
Que celui-là était Ivan Ogareff!
JOLLIVET.
Et celui-ci est Michel Strogoff!
FEDOR.
Le sauveur de ma fille, Altesse! (Coups de canons rapprochés.)
STROGOFF.
Ecoutez! C'est le canon qui tonne!
LE GRAND-DUC.
Oui!... Les colonnes ennemies attaquent la ville! Il faut
défendre les remparts!
STROGOFF.
Non!... Ecoutez encore!... Au canon qui gronde sous nos murs
répond le canon plus lointain!... C'est aujourd'hui le 24
septembre!... Voilà l'armée de secours qui arrive!...
TOUS.
L'armée de secours!
STROGOFF.
Que Votre Altesse ordonne une sortie générale, et l'armée
tartare sera anéantie!
LE GRAND-DUC.
Allons, mes amis, au combat!
TOUS.
Au combat! (Tous sortent.)

SEIZIEME TABLEAU.
L'Assaut d'Irkoutsk.
La scène représente une plaine sous les murs d'Irkoutsk. Les
Tartares ont été écrasés, et toute l'armée russe est en scène.

SCENE I.
LE GRAND-DUC, STROGOFF, NADIA, MARFA, JOLLIVET, BLOUNT,
VORONZOFF, FEDOR, TROUPES, ETC., ETC.

LE GRAND-DUC.
Soldats, grâce au courage et au dévouement de Michel Strogoff,
nos troupes ont pu opérer leur jonction avec l'armée de
secours! Les Tartares sont en déroute, l'émir Féofar est
prisonnier, et Irkoutsk est délivrée!
TOUS.
Hurrah! hurrah!
LE GRAND-DUC.
Michel Strogoff, quelle récompense demandes-tu?
STROGOFF;
Je ne veux rien!... Altesse, je n'ai fait que mon devoir de
soldat... pour Dieu, pour le Czar, pour la Patrie.
(Les fanfares éclatent et les drapeaux russes se balancent
dans les airs au milieu des hurrahs.)

FIN.

Typographie Firmin-Didot. -- Mesnil (Eure).
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