Michel Strogoff: Pièce à grand spectacle en 5 actes et 16 tableaux - 4

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BLOUNT.
Oh! yes, amis jusqu'à la m...
JOLLIVET.
Jusqu'à la mort!... Ce ne sera pas long, hélas!... et je
voudrais... avant... de mourir... vous demander un service,
ami Blount.
BLOUNT, vivement.
Une service! Oh! je promettai, je jurai d'avance!...
JOLLIVET.
Nous sommes ici, mon ami, comme deux sentinelles perdues et
chargées l'une et l'autre d'éclairer notre pays sur les graves
événements qui s'accomplissent. Eh bien, le devoir que je ne
pourrai plus remplir, je vous demande de le remplir à ma
place.
BLOUNT, très ému.
Oh! yes! yes!...
JOLLIVET.
Voulez-vous me promettre, Blount, qu'après avoir adressé
chacune de vos correspondances en Angleterre, vous l'enverrez
ensuite en France?
BLOUNT.
Ensuite! non!... Jollivet, non... pas ensuite. Je voulais
remplacer vous, tout à faite, et comme vous étiez plus adroite
que moi, vous aviez envoyé toujours les nouvelles le première,
eh bien, je promettai que j'envoyai en France... d'abord!
JOLLIVET.
En même temps, Blount, en même temps... je le veux!...
BLOUNT.
Yes!... en même temps!... d'abord!... Etes-vous satisfaite,
Jollivet?
JOLLIVET.
Oui, mais ce n'est pas tout, Blount.
BLOUNT.
Parlez, je écoutai vous.
JOLLIVET.
Mon ami, j'ai laissé là-bas une femme!...
BLOUNT.
Une femme!
JOLLIVET.
Une jeune femme... et un petit enfant. Elle, bonne comme une
sainte! lui, beau comme un ange!...
BLOUNT, avec reproche.
Oh! vous aviez une femme et une toute petite bébé, et vous
avez quitté eux!... Oh! Jollivet, Jollivet.
JOLLIVET, tristement.
Que voulez-vous?... Nous étions pauvres, mon ami!
BLOUNT, pleurant.
Pauvres!... Et alors vous étiez forcé pour abandonner eux, et
moi je reprochai à vous... j'accusai vous... Oh! my friend, my
dear friend!... I am a very bad man,... your pardon... for...
having spoken as... I have done!... Je demandai pardone à
vous. Jollivet, yes!... je demandai pardone, et quand le
guerre était finie ici, je jurai que j'allai en France, je
cherchai votre fémille, je servai pour père à votre pauvre
petite bébé, et je servai pour méri,... non!... je servai pour
frère à votre bonne jolie femme... je promettai... je jurai...
je... (Il lui serre la main, se jette à son cou et
l'embrasse. -- On entend un bruit de fanfare.)
JOLLIVET.
Qu'est-ce que cela?
UN TARTARE, entrant.
C'est l'arrivée de l'émir Féofar. Tous les prisonniers doivent
se prosterner devant lui... Venez.
BLOUNT.
Prosterner!... je prosternerai pas!... je prosternerai
jamais!... (Ils sortent.)
(Le décor change à vue et représente le camp tartare.)

HUITIEME TABLEAU.
Le Camp de l'émir.
La scène représente une place, ornée de pylones, recouverte
d'un splendide velum. A droite, un trône magnifiquement orné;
à gauche une tente.

SCENE I.
FEOFAR, IVAN, LES TARTARES.

(Grand fracas de trompettes et de tambours. Superbe cortège
qui défile devant le trône.
Féofar, accompagné d'Ivan et de toute sa maison militaire,
arrive au camp. Réception solennelle.)
IVAN.
Gloire à toi, puissant émir, qui viens commander en personne
cette armée triomphante!
TOUS.
Gloire à Féofar! Gloire à l'émir!
IVAN.
Les provinces de la Sibérie sont maintenant en ton pouvoir. Tu
peux pousser tes colonnes victorieuses aussi bien vers les
contrées où se lève le soleil que dans celles où il se couche.
FEOFAR.
Et si je marche avec le soleil?
IVAN.
C'est te jeter vers l'Europe, et c'est rapidement conquérir le
pays jusqu'aux montagnes de l'Oural!
FEOFAR.
Et si je vais au-devant du faisceau de lumière?
IVAN.
C'est soumettre à ta domination Irkoutsk et les plus riches
provinces de l'Asie centrale.
FEOFAR.
Quel avis t'inspire ton dévouement à notre cause?
IVAN.
Prendre Irkoutsk, la capitale, et avec elle l'otage précieux
dont la possession vaut une province! Emir, il faut que le
Grand-Duc tombe entre tes mains.
FEOFAR.
Il sera fait ainsi.
IVAN.
Quel jour l'émir quittera-t-il ce camp?
FEOFAR.
Demain, car aujourd'hui c'est fête pour les vainqueurs.
TOUS.
Gloire à l'émir!

SCENE II.
LES MEMES, BLOUNT, puis JOLLIVET.

BLOUNT.
L'émir! je voulais parler à l'émir.
FEOFAR.
Qu'est-ce donc?
IVAN.
Que voulez-vous?
BLOUNT.
Je voulais parler à l'émir.
L'EMIR.
Parle.
BLOUNT.
Emir Féofar, je suppliai... non!... je conseillai à toi de
entendre moi!
FEOFAR.
Approche.
BLOUNT.
Je demandai au puissante Féofar d'empêcher le fousillement
d'un gentleman!
FEOFAR.
Que signifie?
IVAN.
Un étranger qui a osé m'insulter et dont j'ai ordonné le
châtiment!
L'EMIR.
Qu'on amène cet homme.
(Jollivet est amené et se place près de Blount.)
BLOUNT.
Et si je conseillai à toi, grande Féofar, de rendre son
liberté à mister Jollivet, c'était dans le intérêt de toi, de
ton sécourité, car si une seule cheveu tombait de son tête à
lui, il mettait en danger ton tête à toi!
FEOFAR.
Et qui donc aurai-je à redouter?
BLOUNT.
Le France!
FEOFAR.
La France!
BLOUNT.
Oui, le France qui ne laisserait pas impiouni le assassinat
d'une enfant à elle! Et je avertis toi, que si on ne rendait
pas la liberté à lui, je restai prisonnier avec! Je prévenai
toi que si on touyait lui, il fallait me touyer avec, et qu'au
lieu de le France tout seule, tu auras sur les bras le France
et le Angleterre avec!... Voilà ce que j'avais à dire à toi, émir
Féofar. A présent, fais touyer nous si tu voulais!
FEOFAR.
Ivan, que les paroles de cet homme s'effacent de ta mémoire et
qu'on épargne sa vie!
IVAN.
Mais il m'a insulté!
FEOFAR.
Je le veux.
IVAN.
Soit! Qu'on le chasse du camp à l'instant même.
JOLLIVET.
Vous prévenez mes désirs, monsieur Ogareff!... J'ai hâte de
n'être plus en votre honorable compagnie!... Blount, je
n'oublierai pas ce que vous venez de faire pour moi!
BLOUNT.
Nous étions quittes et très bonnes amis, Jollivet!
JOLLIVET.
Et nous continuerons la campagne ensemble!
BLOUNT.
All right!
(Tous deux sortent par le fond.
Féofar et ses officiers entrent avec lui sous une tente à
gauche.)

SCENE III.
IVAN, SANGARRE.

IVAN, voyant entrer Sangarre.
Sangarre! Tu le vois, elle s'achèvera bientôt la tâche que je
me suis imposée!
SANGARRE.
Parles-tu de ta vengeance?
IVAN.
Oui, oui, de cette vengeance qui est maintenant assurée!
SANGARRE.
Elle t'échappera, si le Grand-Duc est prévenu à temps, si un
courrier russe parvient jusqu'à lui!
IVAN.
Comment un courrier passerait-il à travers nos armées?
SANGARRE.
Il en est un qui, sans moi, serait en ce moment sur la route
d'Irkoutsk!
IVAN.
Parle, explique-toi.
SANGARRE.
Ivan, je suis près que toi du but que chacun de nous veut
atteindre! Le Grand-Duc n'est pas encore entre tes mains,
tandis que j'ai en mon pouvoir cette Marfa Strogoff, dont j'ai
juré la mort!
IVAN.
Achève.
SANGARRE.
La vieille Sibérienne a été prise au poste de Kolyvan, avec
beaucoup d'autres. Mais, dans ce poste, Marfa n'était pas la
seule qui portât ce nom de Strogoff!
IVAN.
Que veux-tu dire?
SANGARRE.
Hier, un homme a refusé de reconnaître Marfa, qui l'appelait
son fils!... Il l'a reniée publiquement. Mais une mère ne se
trompe pas à une prétendue ressemblance. Cet homme qui ne
voulait pas être reconnu était bien Michel Strogoff, un des
courriers du czar.
IVAN.
Où est-il? Qu'est-il devenu? A-t-on pu s'emparer de lui?
SANGARRE.
Après la victoire, tous ceux qui fuyaient le champ de bataille
ont été arrêtés. Pas un des fugitifs n'a pu nous échapper, et
Michel Strogoff doit être parmi les prisonniers!
IVAN.
Le reconnaîtrais-tu? Pourrais-tu le désigner?
SANGARRE.
Non.
IVAN.
Il me faut cet homme! Il doit être porteur de quelque
important message. Qui donc pourra me le faire connaître?
SANGARRE.
Sa mère!
IVAN.
Sa mère?
SANGARRE.
Elle refusera de parler, mais...
IVAN.
Mais je saurai bien l'y forcer... Qu'on l'amène. (Sangarre
s'éloigne par le fond.) Un courrier évidemment envoyé vers le
Grand-Duc! Il est porteur d'un message! Ce message, je
l'aurai!...

SCENE IV.
IVAN, SANGARRE, MARFA, NADIA, puis DES PRISONNIERS, SOLDATS,
ETC.

NADIA, bas.
Pourquoi nous conduit-on ici?
MARFA, bas.
Pour m'interroger, sans doute, sur le compte de mon fils, mais
j'ai compris qu'il ne voulait pas être reconnu!... il est déjà
loin... Ils ne m'arracheront pas mon secret.
SANGARRE.
Regarde-moi, Marfa, regarde-moi bien!... Sais-tu qui je suis?
MARFA, regardant Sangarre.
Oui! l'espionne tartare que j'ai fait châtier!
SANGARRE.
Et qui te tient à son tour en son pouvoir!
NADIA, lui prenant la main.
Marfa!
MARFA, bas.
Ne crains rien pour moi, ma fille!
IVAN, à Marfa.
Tu te nommes?...
MARFA.
Marfa Strogoff.
IVAN.
Tu as un fils?
MARFA.
Oui!
IVAN.
Où est-il maintenant?
MARFA.
A Moscou, je suppose.
IVAN.
Tu es sans nouvelles de lui?
MARFA.
Sans nouvelles.
IVAN.
Quel est donc cet homme que tu appelais ton fils, hier, au
poste de Kolyvan?
MARFA.
Un Sibérien que j'ai pris pour lui. C'est le deuxième en qui
je crois retrouver mon fils, depuis que Kolyvan est rempli
d'étrangers.
IVAN.
Ainsi ce jeune homme n'était pas Michel Strogoff?
MARFA.
Ce n'était pas lui.
IVAN.
Et tu ignores ce que ton fils est devenu?
MARFA.
Je l'ignore.
IVAN.
Et depuis hier, tu ne l'as pas vu parmi les prisonniers?
MARFA.
Non!
IVAN.
Ecoute. Ton fils est ici, car aucun des fugitifs n'a pu
échapper à ceux de nos soldats qui cernaient le poste de
Kolyvan. Tous ces prisonniers vont passer devant tes yeux, et
si tu ne me désignes pas ce Michel Strogoff, je te ferai périr
sous le knout!
NADIA.
Grand Dieu!
MARFA.
Quand tu voudras, Ivan Ogareff. J'attends.
NADIA.
Pauvre Marfa!
MARFA.
Je serai courageuse!... je n'ai rien à craindre pour lui!
IVAN.
Qu'on amène les prisonniers. (A Sangarre.) Et toi, observe
bien si l'un deux se trahit!
(Les prisonniers défilent. -- Michel Strogoff est parmi eux,
mais quand il passe devant elle, Marfa ne bouge pas.)
IVAN.
Eh bien! ton fils?
MARFA.
Mon fils n'est pas parmi ces prisonniers!
IVAN.
Tu mens!... désigne-le... parle...je le veux.
MARFA, résolument.
Je n'ai rien à vous dire.
SANGARRE, bas.
Oh! je la connais, cette femme!... Sous le fouet, même
expirante, elle ne parlera pas!...
IVAN.
Elle ne parlera pas, dis-tu!... Eh bien, il parlera lui!...
Saisissez cette femme, qu'elle soit frappée du knout jusqu'à
ce qu'elle en meure!
(Marfa est saisie par deux soldats et jetée à genoux sur le
sol. Un soldat portant le knout se place derrière elle.)
IVAN, au soldat.
Frappe!
(Le knout est levé sur Marfa, Strogoff se précipite, arrache
le knout et en frappe Ivan au visage.)
STROGOFF.
Coup pour coup, Ogareff!
MARFA.
Qu'as-tu fait, malheureux!
IVAN.
L'homme du relai!
SANGARRE.
Michel Strogoff!
STROGOFF.
Moi-même! Oui, moi, que tu as insulté, outragé! moi dont tu
veux assassiner la mère!
TOUS.
A mort! à mort!
IVAN.
Ne tuez pas cet homme! Qu'on prévienne l'émir!
MARFA.
Mon fils!... Ah! pourquoi t'es-tu trahi!
STROGOFF.
J'ai pu me contenir quand ce traître m'a frappé!... Mais le
fouet levé sur toi, ma mère!... oh! c'était impossible!
IVAN.
Eloignez donc cette femme!... et qu'on le fouille!
(Les soldats exécutent cet ordre.)
STROGOFF, résistant.
Me fouiller! Lâche! misérable!
IVAN, lui prend la lettre qu'il portait sur sa poitrine et la
lit.
Oh! il était temps!... Cette lettre perdait tout!...
Maintenant le Grand-Duc est à moi!

SCENE V.
LES MEMES, FEOFAR, ET SA SUITE.

IVAN.
Emir Féofar, tu as un acte de justice à accomplir.
FEOFAR.
Contre cet homme?
IVAN.
Contre lui.
FEOFAR.
Quel est-il?
IVAN.
Un espion russe.
TOUS.
Un espion!...
MARFA.
Non, non... mon fils n'est pas un espion! Cet homme a
menti!...
IVAN.
Cette lettre, trouvée sur lui, indiquait le jour où une armée
de secours doit arriver en vue d'Irkoutsk... le jour où
faisant une sortie, le Grand-Duc nous aurait pris entre deux
feux!
TOUS.
A mort! à mort!
NADIA.
Grâce pour lui!
MARFA.
Vous ne le tuerez pas!
TOUS.
A mort! à mort!
IVAN, à Strogoff.
Tu les entends?
STROGOFF, à Ivan.
Je mourrai, mais ta face de traître, Ivan, n'en portera pas
moins, et à jamais, la marque infamante du knout!
IVAN.
Emir, nous attendons que ta justice prononce.
FEOFAR.
Qu'on apporte le Koran.
TOUS.
Le Koran! le Koran!
FEOFAR.
Ce livre saint a des peines pour les traîtres et les
espions!... C'est lui-même qui prononcera la sentence!
(Des prêtres tartares apportent le livre sacré et le
présentent à Féofar.)
FEOFAR, à l'un des prêtres.
Ouvre ce livre, à l'endroit où il édicte les peines et
châtiments. Mon doigt touchera un des versets,... et ce verset
contiendra sa sentence!
(Le Koran est ouvert. Le doigt de Féofar se pose sur une des
pages, et un prêtre lit à haute voix le verset touché par
l'émir.)
LE PRETRE, lisant.
"Ses yeux s'obscurciront comme les étoiles sous le nuage, et
il ne verra plus les choses de la terre!"
TOUS.
Ah!
FEOFAR, à Strogoff: Tu es venu pour voir ce qui se passe au
camp tartare! Regarde! Maintenant que notre armée triomphante
se réjouisse, que la fête ait lieu qui doit célébrer nos
victoires!
TOUS.
Gloire à l'émir!
FEOFAR, prenant place sur son trône.
Et toi, espion, pour la dernière fois de ta vie, regarde de
tous tes yeux!... regarde!
(Strogoff est conduit au pied de l'estrade. Marfa est à demi
couchée sur le sol. Nadia est agenouillée près d'elle.)

NEUVIEME TABLEAU.
La Fête tartare.
BALLET
(Après la première reprise, la voix d'un prêtre se fait
entendre et répète les paroles de l'émir.)
LE PRETRE.
Regarde de tous tes yeux... regarde!
(Après la deuxième reprise, la voix du prêtre se fait encore
entendre.)
LE PRETRE.
Regarde de tous tes yeux! regarde!
(Le ballet fini, Strogoff est amené au milieu de la scène. Un
trépied, portant des charbons ardents, est apporté près de
lui, et le sabre de l'exécuteur est posé en travers sur les
charbons.
Sur un signe de Féofar, l'exécuteur s'approche de Strogoff. Il
prend le sabre qui est chauffé à blanc.)
FEOFAR.
Dieu a condamné cet homme! Il a dit que l'espion soit privé de
la lumière!... Que son regard soit brûlé par cette lame
ardente!
NADIA.
Michel! Michel!
STROGOFF, se tournant vers Ivan.
Ivan! Ivan le traître! la dernière menace de mes yeux sera
pour toi!
MARFA, se précipitant vers son fils.
Mon fils! mon fils!...
STROGOFF.
Ma mère!... ma mère! oui! oui! à toi mon suprême regard!...
Reste là, devant moi!... Que je voie encore ta figure
bien-aimée!... Que mes yeux se ferment en te regardant!
IVAN, à Strogoff.
Ah! tu pleures! Tu pleures comme une femme!
STROGOFF, se redressant.
Non! comme un fils!
IVAN.
Bourreau, accomplis ton oeuvre!
(Les bras de Strogoff ont été saisis pas des soldats; il est
tenu agenouillé de manière à ne pouvoir faire un mouvement. La
lance incandescente passe devant ses yeux.)
STROGOFF, poussant un cri terrible.
Ah!!!!
(Marfa tombe évanouie. Nadia se précipite sur elle.)
IVAN.
A mort maintenant, à mort l'espion!
TOUS.
A mort! à mort!
(Des soldats se jettent sur Strogoff pour le massacrer.)
FEOFAR.
Arrêtez!... arrêtez!... Prêtre, achève le verset commencé.
LE PRETRE.
.... "Et aveugle, il sera comme l'enfant, et comme l'être
privé de raison, sacré pour tous!..."
FEOFAR.
Que nul ne touche désormais à cet homme, car le Koran l'a dit:
"Vous tiendrez pour sacrés les enfants, les fous et les
aveugles."
IVAN, à Sangarre.
Il n'est plus à craindre maintenant.
(Féofar, Ivan et tout le cortège sortent par le fond. Une
demi-nuit s'est faite, et il ne reste plus en scène que
Strogoff, Marfa et Nadia.)
(Strogoff se relève et se dirige en tâtonnant vers l'endroit
où est tombée sa mère.)
STROGOFF.
Ma mère! Ma mère!... Ma mère!... ma pauvre mère!...
NADIA, venant à lui.
Frère! frère! mes yeux seront désormais tes yeux!... je te
conduirai...
STROGOFF.
A Irkoutsk! (Il embrasse une dernière fois sa mère.) A
Irkoutsk!

ACTE QUATRIEME.

DIXIEME TABLEAU.
La Clairière.
La scène représente une berge sur la rive droite de l'Angara.
Il fait encore jour.

SCENE I.
IVAN, SANGARRE, UN CHEF TARTARE, SOLDATS.

IVAN, au chef.
C'est ici que nous allons nous séparer de toi et de tes
soldats, et tu suivras fidèlement ensuite toutes mes
instructions.
LE CHEF.
Compte sur nous, Ivan Ogareff.
SANGARRE.
Où donc irons-nous maintenant?
IVAN.
Ecoutez! L'énergie de ce Grand-Duc renverse tous mes calculs,
déjoue toutes mes prévisions. Chaque jour il opère de
nouvelles sorties, dont la plus prochaine coïncidera peut-être
avec l'apparition d'une armée de secours, et nous serons ainsi
placés entre deux feux!... Il faut donc que sans tarder
j'exécute le projet hardi que j'ai conçu.
SANGARRE.
Et ce projet, quel est-il?
IVAN.
Sangarre, j'entrerai seul aujourd'hui dans Irkoutsk. Les
Russes accueilleront avec des transports de joie celui qui se
présentera sous le nom de Michel Strogoff, le courrier du
czar. Va! tout est bien combiné et ma vengeance sera prompte à
frapper! A l'heure convenue entre l'émir et moi, les Tartares
attaqueront la porte de Tchernaïa qu'une main amie, la mienne,
saura leur ouvrir.
SANGARRE.
Espères-tu donc que les Russes ne défendront pas cette porte?
IVAN.
Une terrible diversion les en empêchera et attirera tous les
bras valides au quartier de l'Angara!
LE CHEF.
Cette diversion, quelle sera-t-elle?
IVAN.
Un incendie!
TOUS.
Un incendie?
IVAN.
Que vous autres, soldats, vous aurez allumé!
LE CHEF.
Nous! que veux-tu dire?
IVAN, montrant l'Angara.
Voyez ce fleuve qui coule et traverse la ville. C'est l'Angara
et c'est lui... lui-même... qui va dévorer Irkoutsk!
SANGARRE.
Ce fleuve?
IVAN.
Au moment convenu, ce fleuve va rouler un torrent incendiaire.
Des sources de naphte sont exploitées à trois verstes d'ici.
Nous sommes maîtres des immenses réservoirs de Baïkal, qui
contiennent tout un lac de ce liquide inflammable!... Un pan
de mur démoli par vous, et un torrent de naphte se répandra à
la surface de l'Angara. Alors il suffira d'une étincelle pour
l'enflammer et porter l'incendie jusqu'au coeur d'Irkoutsk! Les
maisons bâties sur pilotis, le palais du Grand-Duc lui-même
seront dévorés, anéantis!... Ah! Russes maudits! vous m'avez
jeté dans le camp des Tartares! Eh bien, c'est en Tartare que
je vous fais la guerre!
LE CHEF.
Tes ordres seront exécutés, Ivan, mais quel moment choisirons-nous
pour renverser la muraille des réservoirs de Baïkal?
IVAN.
L'heure où le soleil aura disparu de l'horizon.
SANGARRE.
A cette heure la capitale de la Sibérie sera en flammes!
IVAN.
Et ma vengeance s'accomplira! Partons maintenant. (Au chef.)
Tu te souviendras?
LE CHEF.
Je me souviendrai.
(Ivan et Sangarre sortent.)

SCENE II.
LE CHEF, LES SOLDATS, LE SERGENT.

LE CHEF.
Prenons ici une demi-heure de repos, avant l'instant où nous
devons remplir notre mission.
LE SERGENT.
Les hommes peuvent aller et venir?
L'OFFICIER.
Oui, mais qu'ils ne s'éloignent pas! Nous n'aurons pas trop de
tous nos bras pour renverser le mur des réservoirs de naphte!
LE SERGENT.
C'est bien!... Allez vous autres.
(Tous disparaissent après avoir déposé çà et là leurs fusils.)

SCENE III.
MARFA, PUIS LES TARTARES.

MARFA, entrant par la droite appuyée sur un bâton.
Mon pauvre enfant, toi, dont le regard s'est éteint en se
fixant pour la dernière fois sur ta mère, où es-tu?... Qu'es-tu
devenu? (Elle s'assied.) Une jeune fille, m'a-t-on dit,...
Nadia, sans doute,... guide les pas de l'aveugle!... Tous deux
se sont dirigés vers Irkoutsk, et, depuis un mois, j'ai suivi
la grande route sibérienne... Mon fils bien-aimé, c'est moi
qui t'ai perdu! Je n'ai pu me contenir, en te retrouvant...
là... devant moi... et tu n'as pas été maître de toi-même en
voyant le knout levé sur ta mère! Ah! pourquoi n'as-tu pas
laissé déchirer mes épaules! Aucune torture ne m'aurait
arraché ton secret!... Allons! il faut marcher encore!... Je
ne suis plus ici qu'à quelques verstes d'Irkoutsk! C'est là
peut-être que je le retrouverai... Allons! (Elle se lève et va
sortir.) Les Tartares!
L'OFFICIER, voyant Marfa.
Quelle est cette femme?
LE SERGENT.
Quelque mendiante!
MARFA.
Je ne tends pas la main! Je ne réclame pas la pitié d'un
Tartare!
L'OFFICIER.
Tu es bien fière!... Que fais-tu ici? où vas-tu?
MARFA.
Je vais où vont ceux qui n'ont plus de patrie, qui n'ont plus
de maison et qui fuient les envahisseurs! Je vais devant moi
jusqu'à ce que les forces me manquent!...jusqu'à ce que je
tombe... et que je meure!
LE SERGENT, au capitaine.
C'est une folle, capitaine.
L'OFFICIER.
Qui a de bons yeux et de bonnes oreilles! Je n'aime pas ces
rôdeurs qui suivent notre arrière-garde!... Ce sont autant
d'espions. (A Marfa.) Pars, et que je ne te revoie pas, ou je
te ferai attacher au pied d'un arbre, et là les loups affamés
ne te feront pas grâce!
MARFA.
Loup ou Tartare, c'est tout un!... Mourir d'un coup de dent ou
d'un coup de fusil, peu m'importe!
L'OFFICIER.
Oh! la vie a peu de prix à tes yeux!
MARFA.
Oui, depuis que j'ai perdu celui que je cherche vainement, mon
fils que les tiens ont cruellement martyrisé!
(Marfa a repris son bâton et va s'enfoncer à droite.)
LE SERGENT, à l'officier.
Capitaine, encore des fugitifs, sans doute.
(Il montre Strogoff et Nadia qui apparaissent au fond.)

SCENE IV.
LES MEMES, NADIA, STROGOFF.

MARFA, à part et continuant.
Lui!... mon fils!... mon fils!...
STROGOFF, à Nadia.
Qu'est-ce donc?
NADIA.
Des Tartares?
STROGOFF.
Ils nous ont vus?
NADIA.
Oui!...
MARFA, à part.
Oh! cette fois je ne me trahirai pas devant eux. (Elle se
cache au fond.)
L'OFFICIER.
Faites approcher ces gens.
LE SERGENT.
Allons! approchez... approchez!
L'OFFICIER.
Qui êtes-vous?...
NADIA.
Mon frère est aveugle, et nous avons parcouru, malgré les
terribles souffrances qu'il a subies, une route si pénible et
si longue qu'il peut à peine se soutenir!
L'OFFICIER.
D'où venez-vous?
STROGOFF.
D'Irkoutsk, où nous n'avons pu pénétrer parce que les Tartares
l'investissent.
L'OFFICIER.
Et vous allez?
STROGOFF.
Vers le lac Baïkal, où nous attendrons que la Sibérie soit
redevenue tranquille.
L'OFFICIER.
Et elle le sera sous la domination tartare!
LE SERGENT, observant Nadia.
Elle est jolie, cette fille, capitaine!
L'OFFICIER, à Strogoff.
C'est vrai, tu as là une belle compagne!
(Le sergent veut s'approcher de Nadia.)
NADIA, s'éloignant.
Ah! (Elle reprend la main de Strogoff.)
STROGOFF.
C'est ma soeur!
LE SERGENT.
On pourrait donner un autre guide à l'aveugle, et cette belle
fille resterait au bivouac! (Il s'approche d'elle.)
NADIA.
Laissez-moi, laissez-moi!
STROGOFF, à part.
Misérables!
LE SERGENT.
Elle est farouche, la jeune Sibérienne! Nous nous reverrons
plus tard, la belle.
UN SOLDAT, entrant.
Capitaine, en montant sur une colline, à cent pas d'ici, on
peut voir de grandes fumées qui s'élèvent dans l'air, et, en
prêtant l'oreille, on entend au loin, le bruit du canon.
L'OFFICIER.
C'est que les nôtres donnent l'assaut à Irkoutsk!
STROGOFF, à part.
L'assaut à Irkoutsk!
L'OFFICIER.
Voyons cela. (Aux soldats.) Dans une heure le moment sera venu
d'accomplir notre tâche, et, cela fait, nous rejoindrons les
assaillants.
(Il sort, les soldats l'accompagnent. Le sergent regarde une
dernière fois Nadia et sort.)

SCENE V.
NADIA, STROGOFF, puis MARFA.

NADIA.
Ils sont partis, frère, nous pouvons continuer notre route.
STROGOFF.
Non!... j'ai dit que nous allions du côté du lac Baïkal!... Il
ne faut pas qu'ils nous voient prendre un autre chemin!
NADIA.
Nous attendrons alors qu'ils soient tout à fait éloignés.
STROGOFF.
C'est aujourd'hui le 24 septembre, et aujourd'hui,... je
devrais être à Irkoutsk.
NADIA.
Espérons encore!... Ces Tartares vont partir... Cette nuit,
quand on ne pourra plus nous voir, nous chercherons le moyen
de descendre le fleuve... et tu pourras, avant demain, entrer
dans la ville!... Essaye de prendre un peu de repos en
attendant!
(Elle le conduit au pied d'un arbre.)
STROGOFF.
Me reposer... et toi... pauvre Nadia, n'es-tu pas plus brisée
par la fatigue que je ne le suis moi-même?
NADIA.
Non... non... Je suis forte... tandis que toi, cette blessure
que tu as reçue, cette fièvre qui te dévore!...
(Strogoff s'asseoit au pied de l'arbre.)
STROGOFF.
Ah! qu'importe, Nadia, qu'importe! Que j'arrive à temps auprès
du Grand-Duc et je n'aurais plus rien à vous demander, mon
Dieu, si ma mère existait encore!
NADIA.
Devant son fils que ces barbares allaient martyriser, elle est
tombée... inanimée!... Mais qui te dit que la vie s'était brisée
en elle?... Qui te dit qu'elle était morte?... Frère,... je
crois que tu la reverras... (Se reprenant et le regardant avec
douleur.) Je crois, frère, que tu la presseras encore dans tes
bras... et qu'elle couvrira de baisers et de larmes ces
pauvres yeux où la lumière s'est éteinte!
STROGOFF.
Quand j'ai posé mes lèvres sur son front, je l'ai senti
glacé!... Quand j'ai interrogé son coeur, il n'a pas battu
sous ma main!... (Marfa, qui a reparu, s'est approchée de son
fils.) Hélas! ma mère est morte!
NADIA, apercevant Marfa.
Ah!
STROGOFF.
Qu'est-ce donc? qu'as-tu, Nadia?
NADIA.
Rien. Rien!
(Marfa, qui s'est agenouillée, fait signe à Nadia, prête à se
trahir, de garder le silence; puis, prenant une des mains de
son fils, elle la porte en pleurant à ses lèvres. Strogoff,
qui a étendu l'autre bras, s'est assuré que Nadia est bien à
sa droite.)
STROGOFF.
Oh!... Nadia!... Nadia!... ces baisers, ces larmes!... les
sanglots que j'entends!... Ah! c'est elle!... c'est elle,
c'est ma mère!
MARFA.
Mon fils! mon fils! (Ils tombent dans les bras l'un de
l'autre.)
NADIA.
Marfa...
MARFA.
Oui, oui, c'est moi, mon enfant bien-aimé, c'est moi, mon
noble et courageux martyr!... laisse-moi les baiser mille fois
ces yeux, ces pauvres yeux éteints!... Et c'est pour moi,
c'est parce qu'il a voulu défendre sa mère qu'ils l'ont ainsi
torturé!... Ah! pourquoi ne suis-je pas morte avant ce jour
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