L'Étourdi ou les contre-temps - 3

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J'ai conçu, digéré, produit un stratagème
Devant qui tous les tiens, dont tu fais tant de cas,
Doivent, sans contredit, mettre pavillon bas.
- Mascarille -
Mais qu'est-ce ?
- Lélie -
Ah ! s'il te plaît, donne-toi patience.
J'ai donc feint une lettre avecque diligence,
Comme d'un grand seigneur écrite à Trufaldin,
Qui mande qu'ayant su, par un heureux destin,
Qu'une esclave qu'il tient sous le nom de Célie
Est sa fille, autrefois par des voleurs ravie,
Il veut la venir prendre, et le conjure au moins
De la garder toujours, de lui rendre ses soins ;
Qu'à ce sujet il part d'Espagne, et doit pour elle
Par de si grands présents reconnaître son zèle,
Qu'il n'aura point regret de causer son bonheur.
- Mascarille -
Fort bien.
- Lélie -
Ecoute donc, voici le meilleur.
La lettre que je dis a donc été remise ;
Mais sais-tu bien comment ? En saison si bien prise,
Que le porteur m'a dit que, sans ce trait falot,
Un homme l'emmenait, qui s'est trouvé fort sot.
- Mascarille -
Vous avez fait ce coup sans vous donner au diable ?
- Lélie -
Oui. D'un tour si subtil m'aurais-tu cru capable ?
Loue au moins mon adresse, et la dextérité
Dont je romps d'un rival le dessein concerté.
- Mascarille -
A vous pouvoir louer selon votre mérite,
Je manque d'éloquence, et ma force est petite.
Oui, pour bien étaler set effort relevé,
Ce bel exploit de guerre à nos yeux achevé,
Ce grand et rare effet d'une imaginative
Qui ne cède en vigueur à personne qui vive,
ma langue est impuissante, et je voudrais avoir
Celles de tous les gens du plus exquis savoir,
Pour vous dire en beaux vers, ou bien en docte prose,
Que vous serez toujours, quoi que l'on se propose,
Tout ce que vous avez été durant vos jours ;
C'est-à-dire, un esprit chaussé tout à rebours,
Une raison malade et toujours en débauche,
Un envers du bon sens, un jugement à gauche,
Un brouillon, une bête, un brusque, un étourdi,
Que sais-je ? un... cent fois plus encor que je ne di.
C'est faire en abrégé votre panégyrique.
- Lélie -
Apprends-moi le sujet qui contre moi te pique ;
Ai-je fait quelque chose ? Eclaircis-moi ce point.
- Mascarille -
Non, vous n'avez rien fait ; mais ne me suivez point.
- Lélie -
Je te suivrai partout pour savoir ce mystère.
- Mascarille -
Oui ? Sus donc, préparez vos jambes à bien faire,
Car je vais vous fournir de quoi les exercer.
- Lélie -
(seul.)
Il m'échappe. O malheur qui ne se peut forcer !
Aux discours qu'il m'a faits que saurais-je comprendre ?
Et quel mauvais office aurais-je pu me rendre ?

ACTE III.
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Scène première. - Mascarille.

- Mascarille -
Taisez-vous, ma bonté, cessez votre entretien ;
Vous êtes une sotte, et je n'en ferai rien.
Oui, vous avez raison, mon courroux, je l'avoue ;
Relier tant de fois ce qu'un brouillon dénoue,
C'est trop de patience ; et je dois en sortir,
Après de si beaux coups qu'il a su divertir.
Mais aussi raisonnons un peu sans violence.
Si je suis maintenant ma juste impatience,
On dira que je cède à la difficulté ;
Que je me trouve à bout de ma subtilité :
Et que deviendra lors cette publique estime
Qui te vante partout pour un fourbe sublime,
Et que tu t'es acquise en tant d'occasions,
A ne t'être jamais vu court d'inventions ?
L'honneur, ô Mascarille, est une belle chose !
A tes nobles travaux ne fait aucune pause ;
Et quoi qu'un maître ait fait pour te faire enrager,
Achève pour ta gloire, et non pour l'obliger.
Mais quoi ! Que ferais-tu, que de l'eau toute claire ?
Traversé sans repos par ce démon contraire,
Tu vois qu'à chaque instant il te fait déchanter,
Et que c'est battre l'eau de prétendre arrêter
Ce torrent effréné, qui de tes artifices
Renverse en un moment les plus beaux édifices.
Eh bien ! pour toute grâce, encore un coup du moins,
Au hasard du succès sacrifions des soins ;
Et s'il poursuit encore à rompre notre chance,
J'y consens, ôtons-lui toute notre assistance.
Cependant notre affaire encor n'irait pas mal,
Si par là nous pouvions perdre notre rival,
Et que Léandre enfin, lassé de sa poursuite,
Nous laissât jour entier pour ce que je médite.
Oui, je roule en ma tête un trait ingénieux,
Dont je promettrais bien un succès glorieux,
Si je puis n'avoir plus cet obstacle à combattre.
Bon, voyons si son feu se rend opiniâtre.

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Scène II. - Léandre, Mascarille.

- Mascarille -
Monsieur, j'ai perdu temps, votre homme se dédit.
- Léandre -
De la chose lui-même il m'a fait un récit ;
Mais c'est bien plus : j'ai su que tout ce beau mystère
D'un rapt d'Egyptiens, d'un grand seigneur pour père,
Qui doit partir d'Espagne et venir en ces lieux,
N'est qu'un pur stratagème, un trait facétieux,
Une histoire à plaisir, un conte dont Lélie
A voulu détourner notre achat de Célie.
- Mascarille -
Voyez un peu la fourbe !
- Léandre -
Et pourtant Trufaldin
Est si bien imprimé de ce conte badin,
Mord si bien à l'appât de cette faible ruse,
Qu'il ne veut point souffrir que l'on le désabuse.
- Mascarille -
C'est pourquoi désormais il la gardera bien,
Et je ne vois pas lieu d'y prétendre plus rien.
- Léandre -
Si d'abord à mes yeux elle parut aimable,
Je viens de la trouver tout à fait adorable ;
Et je suis en suspens si, pour me l'acquérir,
Aux extrêmes moyens je ne dois point courir,
Par le don de ma foi rompre sa destinée,
Et changer ses liens en ceux de l'hyménée.
- Mascarille -
Vous pourriez l'épouser ?
- Léandre -
Je ne sais ; mais enfin,
Si quelque obscurité se trouve en son destin,
Sa grâce et sa vertu sont de douces amorces
Qui, pour tirer les coeurs, ont d'incroyables forces.
- Mascarille -
Sa vertu, dites-vous ?
- Léandre -
Quoi ? que murmures-tu ?
Achève, explique-toi sur ce mot de vertu.
- Mascarille -
Monsieur, votre visage en un moment s'altère,
Et je ferai bien mieux peut-être de me taire.
- Léandre -
Non, non, parle.
- Mascarille -
Eh bien donc, très charitablement,
Je veux vous retirer de votre aveuglement.
Cette fille...
- Léandre -
Poursuis.
- Mascarille -
N'est rien moins qu'inhumaine :
Dans le particulier elle oblige sans peine,
Et son coeur, croyez-moi, n'est point roche, après tout,
A quiconque la sait prendre par le bon bout ;
Elle fait la sucrée, et veut passer pour prude ;
Mais je puis en parler avecque certitude.
Vous savez que je suis quelque peu d'un métier
A me devoir connaître en un pareil gibier.
- Léandre -
Célie...
- Mascarille -
Oui, sa pudeur n'est que franche grimace,
Qu'une ombre de vertu qui garde mal sa place,
Et qui s'évanouit, comme l'on peut savoir,
Aux rayons du soleil qu'une bourse fait voir (15).
- Léandre -
Las ! que dis-tu ? Croirai-je un discours de la sorte ?
- Mascarille -
Monsieur, les volontés sont libres : que m'importe ?
Non, ne me croyez pas, suivez votre dessein,
Prenez cette matoise, et lui donnez la main ;
Toute la ville en corps reconnaîtra ce zèle,
Et vous épouserez le bien public en elle.
- Léandre -
Quelle surprise étrange !
- Mascarille -
(à part.)
Il a pris l'hameçon,
Courage ! s'il s'y peut enferrer tout de bon,
Nous nous ôtons du pied une fâcheuse épine.
- Léandre -
Oui, d'un coup étonnant ce discours m'assassine.
- Mascarille -
Quoi ! vous pourriez...
- Léandre -
Va-t-en jusqu'à la poste, et voi ;
Je ne sais quel paquet qui doit venir pour moi.
(seul, après avoir rêvé.)
Qui ne s'y fût trompé ! Jamais l'air d'un visage,
Si ce qu'il dit est vrai, n'imposa davantage.

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Scène III. - Lélie, Léandre.

- Lélie -
Du chagrin qui vous tient quel peut être l'objet ?
- Léandre -
Moi ?
- Lélie -
Vous-même.
- Léandre -
Pourtant je n'en ai point sujet.
- Lélie -
Je vois bien ce que c'est, Célie en est la cause.
- Léandre -
Mon esprit ne court pas après si peu de chose.
- Lélie -
Pour elle vous aviez pourtant de grands desseins :
Mais il faut dire ainsi, lorsqu'ils se trouvent vains.
- Léandre -
Si j'étais assez sot pour chérir ses caresses,
Je me moquerais bien de toutes vos finesses.
- Lélie -
Quelles finesses donc ?
- Léandre -
Mon Dieu ! nous savons tout.
- Lélie -
Quoi ?
- Léandre -
Votre procédé de l'un à l'autre bout.
- Lélie -
C'est de l'hébreu pour moi, je n'y puis rien comprendre.
- Léandre -
Feignez, si vous voulez, de ne me pas entendre ;
Mais, croyez-moi, cessez de craindre pour un bien
Où je serais fâché de vous disputer rien.
J'aime fort la beauté qui n'est point profanée,
Et je ne veux point brûler pour une abandonnée.
- Lélie -
Tout beau, tout beau, Léandre !
- Léandre -
Ah ! que vous êtes bon !
Allez, vous dis-je encor, servez-la sans soupçon ;
Vous pourrez vous nommer homme à bonnes fortunes.
Il est vrai, sa beauté n'est pas des plus communes ;
Mais, en revanche aussi, le reste est fort commun.
- Lélie -
Léandre, arrêtons là ce discours importun.
Contre moi tant d'efforts qu'il vous plaira pour elle ;
Mais, surtout, retenez cette atteinte mortelle.
Sachez que je m'impute à trop de lâcheté
D'entendre mal parler de ma divinité ;
Et que j'aurai toujours bien moins de répugnance
A souffrir votre amour, qu'un discours qui l'offense.
- Léandre -
Ce que j'avance ici me vient de bonne part.
- Lélie -
Quiconque vous l'a dit est un lâche, un pendard.
On ne peut imposer de tache à cette fille,
Je connais bien son coeur.
- Léandre -
Mais, enfin, Mascarille
D'un semblable procès est juge compétent :
C'est lui qui la condamne.
- Lélie -
Oui !
- Léandre -
Lui-même.
- Lélie -
Il prétend
D'une fille d'honneur insolemment médire,
Et que peut-être encor je n'en ferai que rire !
Gage qu'il se dédit.
- Léandre -
Et moi gage que non.
- Lélie -
Parbleu ! je le ferais mourir sous le bâton,
S'il m'avait soutenu des faussetés pareilles.
- Léandre -
Moi je lui couperais sur-le-champ les oreilles,
S'il n'était pas garant de tout ce qu'il m'a dit.

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Scène IV. - Lélie, Léandre, Mascarille.

- Lélie -
Ah ! bon, bon, le voilà. Venez çà, chien maudit.
- Mascarille -
Quoi ?
- Lélie -
Langue de serpent, fertile en impostures,
Vous osez sur Célie attacher vos morsures,
Et lui calomnier la plus rare vertu
Qui puisse faire éclat sous son sort abattu ?
- Mascarille -
(bas, à Lélie.)
Doucement, ce discours est de mon industrie.
- Lélie -
Non, non, point de clin d'oeil et point de raillerie ;
Je suis aveugle à tout, sourd à quoi que ce soit ;
Fût-ce mon propre frère, il me la payeroit.
Et sur ce que j'adore oser porter le blâme,
C'est me faire une plaie au plus tendre de l'âme.
Tous ces signes sont vains. Quels discours as-tu faits ?
- Mascarille -
Mon Dieu ! ne cherchons point querelle, ou je m'en vais.
- Lélie -
Tu n'échapperas pas.
- Mascarille -
Ahi !
- Lélie -
Parle donc, confesse.
- Mascarille -
(bas, à Lélie.)
Laissez-moi, je vous dis que c'est un tour d'adresse.
- Lélie -
Dépêche, qu'as-tu dit ? Vide entre nous ce point.
- Mascarille -
(bas, à Lélie.)
J'ai dit ce que j'ai dit : ne vous emportez point.
- Lélie -
(mettant l'épée à la main.)
Ah ! je vous ferai bien parler d'une autre sorte !
- Léandre -
(l'arrêtant.)
Halte un peu ! retenez l'ardeur qui vous emporte.
- Mascarille -
(à part.)
Fut-il jamais au monde un esprit moins sensé ?
- Léandre -
C'est trop que de vouloir le battre en ma présence.
- Lélie -
Quoi ! châtier mes gens n'est pas en ma puissance ?
- Léandre -
Comment, vos gens ?
- Mascarille -
(à part.)
Encore ! Il va tout découvrir.
- Lélie -
Quand j'aurais volonté de le battre à mourir,
Eh bien ! c'est mon valet.
- Léandre -
C'est maintenant le nôtre.
- Lélie -
Le trait est admirable ! Et comment donc le vôtre ?
- Léandre -
Sans doute...
- Mascarille -
(bas, à Lélie.)
Doucement.
- Lélie -
Hem ! Que veux-tu conter ?
- Mascarille -
(à part.)
Ah ! le double bourreau, qui me va tout gâter,
Et qui ne comprend rien, quelque signe qu'on donne !
- Lélie -
Vous rêvez bien, Léandre, et me la baillez bonne.
Il n'est pas mon valet ?
- Léandre -
Pour quelque mal commis,
Hors de votre service il n'a pas été mis ?
- Lélie -
Je ne sais ce que c'est.
- Léandre -
Et, plein de violence,
Vous n'avez pas chargé son dos avec outrance ?
- Lélie -
Point du tout. Moi, l'avoir chassé, roué de coups ?
Vous vous moquez de moi, Léandre, ou lui de vous.
- Mascarille -
(à part.)
Pousse, pousse, bourreau ; tu fais bien tes affaires.
- Léandre -
(à Mascarille.)
Donc les coups de bâton ne sont qu'imaginaires ?
- Mascarille -
Il ne sait ce qu'il dit ; sa mémoire...
- Léandre -
Non, non,
Tous ces signes pour toi ne disent rien de bon.
Oui, d'un tour délicat mon esprit te soupçonne.
Mais pour l'invention, va, je te le pardonne.
C'est bien assez pour moi qu'il m'ait désabusé,
De voir par quels motifs tu m'avais imposé,
Et que m'étant commis à ton zèle hypocrite,
A si bon compte encor je m'en sois trouvé quitte.
Ceci doit s'appeler "un avis au lecteur".
Adieu, Lélie, adieu, très humble serviteur.

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Scène V. - Lélie, Mascarille.

- Mascarille -
Courage, mon garçon, tout heur nous accompagne ;
Mettons flamberge au vent et bravoure en campagne ;
Faisons l'"Olibrius", l'"occiseur d'innocents" (16).
- Lélie -
Il t'avait accusé de discours médisants
Contre...
- Mascarille -
Et vous ne pouviez souffrir mon artifice,
Lui laisser son erreur, qui vous rendait service,
Et par qui son amour s'en était presque allé ?
Non, il a l'esprit franc, et point dissimulé.
Enfin chez son rival je m'ancre avec adresse,
Cette fourbe en mes mains va mettre sa maîtresse,
Il me la fait manquer avec de faux rapports.
Je veux de son rival alentir les transports,
Mon brave incontinent vient qui le désabuse ;
J'ai beau lui faire signe, et montrer que c'est ruse ;
Point d'affaire : il poursuit sa pointe jusqu'au bout,
Et n'est point satisfait qu'il n'ait découvert tout.
Grand et sublime effort d'une imaginative
Qui ne le cède point à personne qui vive !
C'est une rare pièce, et digne, sur ma foi,
Qu'on en fasse présent au cabinet du roi.
- Lélie -
Je ne m'étonne pas si je romps tes attentes ;
A moins d'être informé des choses que tu tentes,
J'en ferai encor cent de la sorte.
- Mascarille -
Tant pis.
- Lélie -
Au moins, pour t'emporter à de justes dépits,
Fais-moi dans tes desseins entrer de quelque chose ;
Mais que de leurs ressorts la porte me soit close,
C'est ce qui fait toujours que je suis pris sans vert (17).
- Mascarille -
Je crois que vous seriez un maître d'arme expert
Vous savez à merveille, en toutes aventures,
Prendre les contre-temps et rompre les mesures.
- Lélie -
Puisque la chose est faite, il n'y faut plus penser.
Mon rival, en tout cas, ne peut me traverser ;
Et pourvu que tes soins en qui je me repose...
- Mascarille -
Laissons là ce discours, et parlons d'autre chose.
Je ne m'apaise pas, non, si facilement ;
Je suis trop en colère. Il faut premièrement
Me rendre un bon office, et nous verrons ensuite
Si je dois de vos feux reprendre la conduite.
- Lélie -
S'il ne tient qu'à cela, je n'y résiste pas.
As-tu besoin, dis-moi, de mon sang, de mon bras ?
- Mascarille -
De quelle vision sa cervelle est frappée !
Vous êtes de l'humeur de ces amis d'épée (18)
Que l'on trouve toujours plus prompts à dégaîner
Qu'à tirer un teston, s'il fallait le donner (19).
- Lélie -
Que puis-je donc pour toi !
- Mascarille -
C'est que de votre père
Il faut absolument apaiser la colère.
- Lélie -
Nous avons fait la paix.
- Mascarille -
Oui, mais non pas pour nous.
Je l'ai fait, ce matin, mort pour l'amour de vous ;
La vision le choque, et de pareilles feintes
Aux vieillards comme lui sont de dures atteintes,
Qui, sur l'état prochain de leur condition,
Leur font faire à regret triste réflexion.
Le bonhomme, tout vieux, chérit fort la lumière,
Et ne veut point de jeu dessus cette matière ;
Il craint le pronostic, et contre moi fâché,
On m'a dit qu'en justice il m'avait recherché.
J'ai peur, si le logis du roi fait ma demeure,
De m'y trouver si bien dès le premier quart d'heure,
Que j'aye peine aussi d'en sortir par après
Contre moi dès longtemps l'on a force décrets ;
Car enfin la vertu n'est jamais sans envie,
Et dans ce maudit siècle est toujours poursuivie.
Allez donc le fléchir.
- Lélie -
Oui, nous le fléchirons :
Mais aussi tu promets...
- Mascarille -
Ah ! Mon Dieu ! nous verrons.
(Lélie sort.)
Ma foi, prenons haleine après tant de fatigues.
Cessons pour quelques temps le cours de nos intrigues,
Et de nous tourmenter de même qu'un lutin.
Léandre, pour nous nuire, est hors de garde enfin,
Et Célie arrêtée avecque l'artifice...

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Scène VI. - Ergaste, Mascarille.

- Ergaste -
Je te cherchais partout pour te rendre un service,
Pour te donner avis d'un secret important.
- Mascarille -
Quoi donc ?
- Ergaste -
N'avons-nous point ici quelque écoutant ?
- Mascarille -
Non.
- Ergaste -
Nous sommes amis autant qu'on le peut être.
Je sais bien tes desseins et l'amour de ton maître ;
Songez à vous tantôt. Léandre fait parti
Pour enlever Célie ; et j'en suis averti
Qu'il a mis ordre à tout, et qu'il se persuade
D'entrer chez Trufaldin par une mascarade,
Ayant su qu'en ce temps, assez souvent, le soir,
Des femmes du quartier en masque l'allaient voir.
- Mascarille -
Oui ? Suffit ; il n'est pas au comble de sa joie ;
Je pourrai bien tantôt lui souffler cette proie ;
Et contre cet assaut je sais un coup fourré
Par qui je veux qu'il soit de lui-même enferré.
Il ne sait pas les dons dont mon âme est pourvue.
Adieu, nous boirons pinte à la première vue.

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Scène VII. - Mascarille.

- Mascarille -
Il faut, il faut tirer à nous ce que d'heureux
Pourrait avoir en soit ce projet amoureux,
Et, par une surprise adroite et non commune,
Sans courir le danger, en tenter la fortune.
Si je vais me masquer pour devancer ses pas,
Léandre assurément ne nous bravera pas.
Et là, premier que lui, si nous faisons la prise,
Il aura fait pour nous les frais de l'entreprise ;
Puisque, par son dessein déjà presque éventé,
Le soupçon tombera toujours de son côté,
Et que nous, à couvert de toutes ses poursuites,
De ce coup hasardeux ne craindrons point de suites.
C'est ne se point commettre à faire de l'éclat,
Et tirer les marrons de la patte du chat.
Allons donc nous masquer avec quelques bons frères ;
Pour prévenir nos gens, il ne faut tarder guères.
Je sais où gît le lièvre, et me puis, sans travail,
Fournir en un moment d'hommes et d'attirail.
Croyez que je mets bien mon adresse en usage :
Si j'ai reçu du ciel les fourbes en partage,
Je ne suis point au rang de ces esprits mal nés
Qui cachent les talents que Dieu leur a donnés.

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Scène VIII. - Lélie, Ergaste.

- Lélie -
Il prétend l'enlever avec sa mascarade ?
- Ergaste -
Il n'est rien de plus certain. Quelqu'un de sa brigade
M'ayant de ce dessein instruit, sans m'arrêter,
A Mascarille lors j'ai couru tout conter,
Qui s'en va, m'a-t-il dit, rompre cette partie
Par une invention dessus le champ bâtie ;
Et, comme je vous ai rencontré par hasard,
J'ai cru que je devais de tout vous faire part.
- Lélie -
Tu m'obliges par trop avec cette nouvelle :
Va, je reconnaîtrai ce service fidèle.

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Scène IX. - Lélie.

- Lélie -
Mon drôle assurément leur jouera quelque trait ;
Mais je veux de ma part seconder son projet.
Il ne sera pas dit qu'en un fait qui me touche
Je ne me sois non plus remué qu'une souche.
Voici l'heure, ils seront surpris à mon aspect.
Foin ! Que n'ai-je avec moi pris mon porte-respect ?
Mais vienne qui voudra contre notre personne,
J'ai deux bons pistolets, et mon épée est bonne.
Holà ! quelqu'un, un mot.

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Scène X. - Trufaldin, à sa fenêtre ; Lélie.

- Trufaldin -
Qu'est-ce ? qui me vient ?
- Lélie -
Fermez soigneusement votre porte ce soir.
- Trufaldin -
Pourquoi ?
- Lélie -
Certaines gens font une mascarade
Pour vous venir donner une fâcheuse aubade ;
Ils veulent enlever votre Célie.
- Trufaldin -
O dieux !
- Lélie -
Et sans doute bientôt ils viennent en ces lieux.
Demeurez ; vous pourrez voir tout de la fenêtre.
Eh bien ! qu'avais-je dit ? Les voyez-vous paraître ?
Chut, je veux à vos yeux leur en faire l'affront.
Nous allons voir beau jeu, si la corde ne rompt.

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Scène XI. - Lélie, Trufaldin, Mascarille et sa suite, masqués.

- Trufaldin -
Oh ! les plaisants robins (20), qui pensent me surprendre !
- Lélie -
Masques, où courez-vous ? le pourrait-on apprendre ?
Trufaldin, ouvrez-leur pour jouer un momon (21).
(à Mascarille, déguisé en femme.)
Bon Dieu, qu'elle est jolie, et qu'elle a l'air mignon !
Eh quoi ! vous murmurez ? Mais, sans vous faire outrage
Peut-on lever le masque, et voir votre visage ?
- Trufaldin -
Allez, fourbes méchants, retirez-vous d'ici,
Canaille ; et vous, seigneur, bonsoir et grand merci.

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Scène XII. - Lélie, Mascarille.

- Lélie -
(après avoir démasqué Mascarille.)
Mascarille, est-ce toi ?
- Mascarille -
Nenni-da, c'est quelqu'un d'autre.
- Lélie -
Hélas, quelle surprise ! et quel sort est le nôtre !
L'aurais-je deviné, n'étant point averti
Des secrètes raisons qui t'avaient travesti ?
Malheureux que je suis, d'avoir dessous ce masque
Eté, sans y penser, te faire cette frasque !
Il me prendrait envie, en mon juste courroux,
De me battre moi-même, et de me donner cent coups.
- Mascarille -
Adieu, sublime esprit, rare imaginative.
- Lélie -
Las ! si de ton secours ta colère me prive,
A quel saint me vouerai-je ?
- Mascarille -
Au grand diable d'enfer !
- Lélie -
Ah ! si ton coeur pour moi n'est de bronze ou de fer,
Qu'encore un coup du moins mon imprudence ait grâce !
S'il faut pour l'obtenir que tes genoux j'embrasse,
Vois-moi...
- Mascarille -
Tarare (22) ! allons, camarades, allons :
J'entends venir des gens qui sont sur nos talons.

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Scène XIII. - Léandre et sa suite, masqués ; Trufaldin, à sa fenêtre.
[ Note: there was a mispelling in the original copy: "Scène VIII"
instead of "Scène XIII". ]

- Léandre -
Sans bruit ; ne faisons rien que de la bonne sorte.
- Trufaldin -
Quoi ! masques toute nuit assiègeront ma porte ?
Messieurs, ne gagnez point de rhumes à plaisir ;
Tout cerveau qui le fait est certes de loisir.
Il est un peu trop tard pour enlever Célie ;
Dispensez-l'en ce soir, elle vous en supplie ;
La belle est dans le lit, et ne peut vous parler ;
J'en suis fâché pour vous. Mais pour vous régaler
Du souci qui pour elle ici vous inquiète,
Elle vous fait présent de cette cassolette.
- Léandre -
Fi ! cela sent mauvais, et je suis tout gâté.
Nous sommes découverts, tirons de ce côté.

ACTE IV.
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Scène première. - Lélie, déguisé en Arménien ; Mascarille.

- Mascarille -
Vous voilà fagoté d'une plaisante sorte.
- Lélie -
Tu ranimes par là mon espérance morte.
- Mascarille -
Toujours de ma colère on me voit revenir ;
J'ai beau jurer, pester, je ne m'en puis tenir.
- Lélie -
Aussi crois, si jamais je suis dans la puissance,
Que tu seras content de ma reconnaissance,
Et que quand je n'aurais qu'un seul morceau de pain...
- Mascarille -
Baste ! songez à vous dans ce nouveau dessein.
Au moins, si l'on vous voit commettre une sottise,
Vous n'imputerez plus l'erreur à la surprise ;
Votre rôle en ce jeu par coeur doit être su.
- Lélie -
Mais comment Trufaldin chez lui t'a-t-il reçu ?
- Mascarille -
D'un zèle simulé j'ai bridé le bon sire (23) ;
Avec empressement je suis venu lui dire,
S'il ne songeait à lui, que l'on le surprendroit ;
Que l'on couchait en joue, et de plus d'un endroit,
Celle dont il a vu qu'une lettre en avance
Avait si faussement divulgué la naissance ;
Qu'on avait bien voulu m'y mêler quelque peu ;
Mais que j'avais tiré mon épingle du jeu,
Et que, touché d'ardeur pour ce qui le regarde,
Je venais l'avertir de se donner de garde.
De là, moralisant, j'ai fait de grands discours
Sur les fourbes qu'on voit ici-bas tous les jours ;
Que pour moi, las du monde et de sa vie infâme,
Je voulais travailler au salut de mon âme,
A m'éloigner du trouble, et pouvoir longuement
Près de quelque honnête homme être paisiblement ;
Que, s'il le trouvait bon, je n'aurais d'autre envie
Que de passer chez lui le reste de ma vie ;
Et que même à tel point il m'avait su ravir,
Que, sans lui demander gages pour le servir,
Je mettrais en ses mains, que je tenais certaines,
Quelque bien de mon père, et le fruit de mes peines,
Dont, avenant que Dieu de ce monde m'ôtat,
J'entendais tout de bon que lui seul héritât.
C'était le vrai moyen d'acquérir sa tendresse.
Et comme, pour résoudre avec votre maîtresse
Des biais qu'on doit prendre à terminer vos voeux,
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