L'Étourdi ou les contre-temps - 1

Total number of words is 4099
Total number of unique words is 1197
43.6 of words are in the 2000 most common words
55.9 of words are in the 5000 most common words
62.2 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
L'ETOURDI
ou
LES CONTRE-TEMPS


Comédie (1653-1658)

PERSONNAGES ACTEURS
Lélie, fils de Pandolfe. La Grange.
Célie, esclave de Trufaldin. Mlle de Brie.
Mascarille, valet de Lélie. Molière.
Hippolyte, fille d'Anselme. Mme Duparc.
Anselme, père d'Hippolyte. Louis Béjart.
Trufaldin, vieillard.
Pandolfe, père de Lélie. Béjart aîné.
Léandre, fils de famille.
Andrès, cru égyptien.
Ergaste, ami de Mascarille.
Un courrier.
Deux troupes de masques.

La scène est à Messine.

ACTE PREMIER.
-------------
Scène première. - Lélie.

- Lélie -
Eh bien ! Léandre, eh bien ! il faudra contester ;
Nous verrons de nous deux qui pourra l'emporter ;
Qui, dans nos soins communs pour ce jeune miracle,
Aux voeux de son rival portera plus d'obstacle :
Préparez vos efforts, et vous défendez bien,
Sûr que de mon côté je n'épargnerai rien.

-----------

Scène II. - Lélie, Mascarille.

- Lélie -
Ah ! Mascarille !
- Mascarille -
Quoi ?
- Lélie -
Voici bien des affaires ;
J'ai dans ma passion toutes choses contraires :
Léandre aime Célie, et, par un trait fatal,
Malgré mon changement, est encor mon rival.
- Mascarille -
Léandre aime Célie !
- Lélie -
Il l'adore, te dis-je.
- Mascarille -
Tant pis.
- Lélie -
Eh, oui, tant pis ; c'est ce qui m'afflige.
Toutefois j'aurais tort de me désespérer :
Puisque j'ai ton secours, je puis me rassurer ;
Je sais que ton esprit, en intrigues fertile,
N'a jamais rien trouvé qui lui fût difficile ;
Qu'on te peut appeler le roi des serviteurs ;
Et qu'en toute la terre...
- Mascarille -
Eh ! trêve de douceurs,
Quand nous faisons besoin, nous autres misérables,
Nous sommes les chéris et les incomparables ;
Et dans un autre temps, dès le moindre courroux,
Nous sommes les coquins qu'il faut rouer de coups.
- Lélie -
Ma foi, tu me fais tort avec cette invective.
Mais enfin discourons un peu de ma captive :
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments
Ont rien d'impénétrable à des traits si charmants.
Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage
Je vois pour sa naissance un noble témoignage ;
Et je crois que le ciel dedans un rang si bas
Cache son origine, et ne l'en tire pas.
- Mascarille -
Vous êtes romanesque avecque vos chimères ;
Mais que fera Pandolfe en toutes ces affaires ?
C'est, Monsieur, votre père, au moins à ce qu'il dit :
Vous savez que sa bile assez souvent s'aigrit ;
Qu'il peste contre vous d'une belle manière,
Quand vos déportements lui blessent la visière.
Il est avec Anselme en parole pour vous
Que de son Hippolyte on vous fera l'époux,
S'imaginant que c'est dans le seul mariage
Qu'il pourra rencontrer de quoi vous faire sage
Et s'il vient à savoir que, rebutant son choix,
D'un objet inconnu vous recevez les lois,
Que de ce fol amour la fatale puissance
Vous soustrait au devoir de votre obéissance,
Dieu sait quelle tempête alors éclatera,
Et de quels beaux sermons on vous régalera.
- Lélie -
Ah ! trêve, je vous prie, à votre rhétorique !
- Mascarille -
Mais vous, trêve plutôt à votre politique !
Elle n'est pas fort bonne, et vous devriez tâcher...
- Lélie -
Sais-tu qu'on n'acquiert rien de bon à me fâcher,
Que chez moi les avis ont de tristes salaires,
Qu'un valet conseiller y fait mal ses affaires ?
- Mascarille -
(à part.)
Il se met en courroux.
(haut.)
Tout ce que j'en ai dit
N'était rien que pour rire et vous sonder l'esprit.
D'un censeur de plaisirs ai-je fort l'encolure ?
Et Mascarille est-il ennemi de nature ?
Vous savez le contraire, et qu'il est très certain
Qu'on ne peut me taxer que d'être trop humain.
Moquez-vous des sermons d'un vieux barbon de père :
poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire.
Ma foi, j'en suis d'avis, que ces pénards chagrins
Nous viennent étourdir de leurs contes badins,
Et, vertueux par force, espèrent par envie
Oter aux jeunes gens les plaisirs de la vie.
Vous savez mon talent, je m'offre à vous servir.
- Lélie -
Ah ! c'est par ces discours que tu peux me ravir.
Au reste, mon amour, quand je l'ai fait paraître,
N'a point été mal vu des yeux qui l'ont fait naître.
Mais Léandre, à l'instant, vient de me déclarer
Qu'à me ravir Célie il va se préparer :
C'est pourquoi dépêchons, et cherche dans ta tête
Les moyens les plus prompts d'en faire ma conquête.
Trouve ruses, détours, fourbes, inventions,
Pour frustrer un rival de ses prétentions.
- Mascarille -
Laissez-moi quelque temps rêver à cette affaire.
(à part.)
Que pourrais-je inventer pour ce coup nécessaire ?
- Lélie -
Eh bien ! le stratagème ?
- Mascarille -
Ah ! comme vous courez !
Ma cervelle toujours marche à pas mesurés.
J'ai trouvé votre fait : il faut... Non, je m'abuse.
Mais si vous alliez...
- Lélie -
Où ?
- Mascarille -
C'est une faible ruse.
J'en songeais une...
- Lélie -
Et quelle ?
- Mascarille -
Elle n'irait pas bien.
Mais ne pourriez-vous pas...?
- Lélie -
Quoi ?
- Mascarille -
Vous ne pourriez rien.
Parler avec Anselme.
- Lélie -
Et que lui puis-je dire ?
- Mascarille -
Il est vrai, c'est tomber d'un mal dedans un pire.
Il faut pourtant l'avoir. Allez chez Trufaldin.
- Lélie -
Que faire ?
- Mascarille -
Je ne sais.
- Lélie -
C'en est trop, à la fin,
Et tu me mets à bout par ces contes frivoles.
- Mascarille -
Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,
Nous n'aurions pas besoin maintenant de rêver
A chercher les biais que nous devons trouver,
Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,
Empêcher qu'un rival vous prévienne et vous brave.
De ces Egyptiens qui la mirent ici,
Trufaldin, qui la garde, est en quelque souci ;
Et trouvant son argent, qu'ils lui font trop attendre,
Je sais bien qu'il serait très ravi de la vendre :
Car enfin en vrai ladre il a toujours vécu ;
Il se ferait fesser pour moins d'un quart d'écu ;
Et l'argent est le dieu que surtout il révère :
Mais le mal, c'est...
- Lélie -
Quoi ? c'est...
- Mascarille -
Que monsieur votre père
Est un autre vilain qui ne vous laisse pas,
comme vous voudriez bien, manier ses ducats ;
Qu'il n'est point de ressort qui, pour votre ressource,
Pût faire maintenant ouvrir la moindre bourse.
Mais tâchons de parler à Célie un moment,
Pour savoir là-dessus quel est son sentiment.
La fenêtre est ici.
- Lélie -
Mais Trufaldin, pour elle,
Fait de nuit et de jour exacte sentinelle.
Prend garde.
- Mascarille -
Dans ce coin demeurons en repos.
O bonheur ! la voilà qui sort tout à propos.

-----------

Scène III. - Célie, Lélie, Mascarille.

- Lélie -
Ah ! que le ciel m'oblige en offrant à ma vue
Les célestes attraits dont vous êtes pourvue !
Et, quelque mal cuisant que m'aient causé vos yeux,
Que je prends de plaisir à les voir en ces lieux !
- Célie -
Mon coeur, qu'avec raison votre discours étonne,
N'entend pas que mes yeux fassent mal à personne ;
Et si dans quelque chose ils vous ont outragé,
Je puis vous assurer que c'est sans mon congé.
- Lélie -
Ah ! leurs coups sont trop beaux pour me faire une injure !
Je mets toute ma gloire à chérir leur blessure,
Et...
- Mascarille -
Vous le prenez là d'un ton un peu trop haut ;
Ce style maintenant n'est pas ce qu'il nous faut.
Profitons mieux du temps, et sachons vite d'elle
Ce que...
- Trufaldin -
(dans sa maison.)
Célie !
- Mascarille -
(à Lélie.)
Eh bien !
- Lélie -
O rencontre cruelle !
Ce malheureux vieillard devait-il nous troubler ?
- Mascarille -
Allez, retirez-vous ; je saurai lui parler.

-----------

Scène IV. - Trufaldin, Célie,
Lélie (retiré, dans un coin), Mascarille.

- Trufaldin -
(à Célie.)
Que faites-vous dehors ? et quel soin vous talonne,
Vous à qui je défends de parler à personne ?
- Célie -
Autrefois j'ai connu cet honnête garçon ;
Et vous n'avez pas lieu d'en prendre aucun soupçon.
- Mascarille -
Est-ce là le seigneur Trufaldin ?
- Célie -
Oui, lui-même.
- Mascarille -
Monsieur, je suis tout vôtre, et ma joie est extrême
De pouvoir saluer en toute humilité
Un homme dont le nom est partout si vanté.
- Trufaldin -
Très humble serviteur.
- Mascarille -
J'incommode peut-être ;
Mais je l'ai vue ailleurs, où, m'ayant fait connaître
Les grands talents qu'elle à pour savoir l'avenir,
Je voulais sur un point un peu l'entretenir.
- Trufaldin -
Quoi ! te mêlerais-tu d'un peu de diablerie ?
- Célie -
Non, tout ce que je sais n'est que blanche magie.
- Mascarille -
Voici donc ce que c'est. Le maître que je sers
Languit pour un objet qui le tient dans ses fers ;
Il aurait bien voulu du feu qui le dévore
Pouvoir entretenir la beauté qu'il adore :
Mais un dragon, veillant sur ce rare trésor,
N'a pu, quoi qu'il ait fait, le lui permettre encor ;
Et ce qui plus le gêne et le rend misérable,
Il vient de découvrir un rival redoutable :
Si bien que, pour savoir si ses soins amoureux
Ont sujet d'espérer quelque succès heureux,
Je viens vous consulter, sûr que de votre bouche
Je puis apprendre au vrai le secret qui nous touche.
- Célie -
Sous quel astre ton maître a-t-il reçu le jour ?
- Mascarille -
Sous un astre à jamais ne changer son amour.
- Célie -
Sans me nommer l'objet pour qui son coeur soupire,
La science que j'ai m'en peut assez instruire.
Cette fille a du coeur, et, dans l'adversité,
Elle sait conserver une noble fierté ;
Elle n'est pas d'humeur à trop faire connaître
Les secrets sentiments qu'en son coeur on fait naître.
Mais je les sais comme elle, et, d'un esprit plus doux,
Je vais en peu de mots te les découvrir tous.
- Mascarille -
O merveilleux pouvoir de la vertu magique !
- Célie -
Si ton maître en ce point de constance se pique,
Et que la vertu seule anime son dessein,
Qu'il n'appréhende plus de soupirer en vain ;
Il a lieu d'espérer, et le fort qu'il veut prendre
N'est pas sourd aux traités, et voudra bien se rendre.
- Mascarille -
C'est beaucoup ; mais ce fort dépend d'un gouverneur
Difficile à gagner.
- Célie -
C'est là tout le le malheur.
- Mascarille -
(à part, regardant Lélie.)
Au diable le fâcheux qui toujours nous éclaire !
- Célie -
Je vais vous enseigner ce que vous devez faire.
- Lélie -
(les joignant.)
Cessez, ô Trufaldin, de vous inquiéter !
C'est par mon ordre seul qu'il vous vient visiter,
Et je vous l'envoyais, ce serviteur fidèle,
Vous offrir mon service, et vous parler pour elle,
Dont je vous veux dans peu payer la liberté,
Pourvu qu'entre nous deux le prix soit arrêté.
- Mascarille -
La peste soit la bête !
- Trufaldin -
Ho ! ho ! qui des deux croire ?
Ce discours au premier est fort contradictoire.
- Mascarille -
Monsieur, ce galant homme a le cerveau blessé ;
Ne le savez-vous pas ?
- Trufaldin -
Je sais ce que je sai.
J'ai crainte ici dessous de quelque manigance.
(à Célie.)
Rentrez, et ne prenez jamais cette licence.
Et vous, filous fieffés, ou je me trompe fort,
Mettez, pour me jouer, vos flûtes mieux d'accord.

-----------

Scène V. - Lélie, Mascarille.

- Mascarille -
C'est bien fait. Je voudrais qu'encor, sans flatterie,
Il nous eût d'un bâton chargés de compagnie.
A quoi bon se montrer, et, comme un étourdi,
Me venir démentir de tout ce que je di ?
- Lélie -
Je pensais faire bien.
- Mascarille -
Oui, c'était fort l'entendre.
Mais quoi ! cette action ne me doit point surprendre :
Vous êtes si fertile en pareils contre-temps,
Que vos écarts d'esprit n'étonnent plus les gens.
- Lélie -
Ah ! mon Dieu ! pour un rien me voilà bien coupable !
Le mal est-il si grand qu'il soit irréparable ?
Enfin, si tu ne mets Célie entre mes mains,
Songe au moins de Léandre à rompre les desseins ;
Qu'il ne puisse acheter avant moi cette belle.
De peur que ma présence encor soit criminelle,
Je te laisse.
- Mascarille -
Fort bien. A dire vrai, l'argent
Serait dans notre affaire un sûr et fort agent ;
Mais ce ressort manquant, il faut user d'un autre.

-----------

Scène VI. - Anselme, Mascarille.

- Anselme -
Par mon chef ! C'est un siècle étrange que le nôtre !
J'en suis confus. Jamais tant d'amour pour le bien,
Et jamais tant de peine à retirer le sien !
Les dettes aujourd'hui, quelque soin qu'on emploie,
Sont comme les enfants, que l'on conçoit en joie,
Et dont avecque peine on fait l'accouchement.
L'argent dans une bourse entre agréablement ;
Mais, le terme venu que nous devons le rendre,
C'est lors que les douleurs commencent à nous prendre.
Baste ! ce n'est pas peu que deux mille francs, dus
Depuis deux ans entiers, me soient enfin rendus ;
Encore est-ce un bonheur.
- Mascarille -
(à part les quatre premiers vers.)
O Dieu ! la belle proie
A tirer en volant ! Chut, il faut que je voie
Si je pourrais un peu de près le caresser.
Je sais bien les discours dont il faut le bercer...
Je viens de voir, Anselme...
- Anselme -
Et qui ?
- Mascarille -
Votre Nérine.
- Anselme -
Que dit-elle de moi, cette gente assasine (1) ?
- Mascarille -
Pour vous elle est de flamme.
- Anselme -
Elle ?
- Mascarille -
Et vous aime tant,
Que c'est grande pitié.
- Anselme -
Que tu me rends content !
- Mascarille -
Peu s'en faut que d'amour la pauvrette ne meure.
Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure,
Quand est-ce que l'hymen unira nos deux coeurs,
Et que tu daigneras éteindre mes ardeurs ?
- Anselme -
Mais pourquoi jusqu'ici me les avoir celées ?
Les filles, par ma foi, sont bien dissimulées !
Mascarille, en effet, qu'en dis-tu ? quoique vieux,
J'ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux.
- Mascarille -
Oui, vraiment, ce visage est encor fort mettable ;
S'il n'est pas des plus beaux, il est des agréable.
- Anselme -
Si bien donc...?
- Mascarille -
(veut prendre la bourse.)
Si bien donc qu'elle est sotte de vous,
Ne vous regarde plus...
- Anselme -
Quoi ?
- Mascarille -
Que comme un époux,
Et vous veut...?
- Anselme -
Et me veut...?
- Mascarille -
Et vous veut, quoi qu'il tienne,
Prendre la bourse...
- Anselme -
La ?
- Mascarille -
(prend la bourse, et la laisse tomber.)
La bouche avec la sienne.
- Anselme -
Ah ! je t'entends. Viens cà : lorsque tu la verras,
Vante-lui mon mérite autant que tu pourras.
- Mascarille -
Laissez-moi faire.
- Anselme -
Adieu.
- Mascarille -
(à part.)
Que le ciel vous conduise !
- Anselme -
(revenant.)
Ah ! vraiment, je faisais une étrange sottise,
Et tu pouvais pour toi m'accuser de froideur.
Je t'engage à servir mon amoureuse ardeur,
Je reçois par ta bouche une bonne nouvelle,
Sans du moindre présent récompenser ton zèle !
Tiens, tu te souviendras...
- Mascarille -
Ah ! non pas, s'il vous plaît.
- Anselme -
Laisse-moi...
- Mascarille -
Point du tout. J'agis sans intérêt.
- Anselme -
Je le sais ; mais pourtant...
- Mascarille -
Non, Anselme, vous dis-je ;
Je suis homme d'honneur, cela me désoblige.
- Anselme -
Adieu donc, Mascarille.
- Mascarille -
(à part.)
O longs discours !
- Anselme -
(revenant.)
Je veux
Régaler par tes mains cet objet de mes voeux ;
Et je vais te donner de quoi faire pour elle
L'achat de quelque bague, ou telle bagatelle
Que tu trouveras bon.
- Mascarille -
Non, laissez votre argent :
Sans vous mettre en souci, je ferai le présent ;
Et l'on m'a mis en main une bague à la mode,
Qu'après vous payerez, si cela l'accommode.
- Anselme -
Soit ; donne-la pour moi : mais surtout fais si bien
Qu'elle garde toujours l'ardeur de me voir sien.

-----------

Scène VII. - Lélie, Anselme, Mascarille.

- Lélie -
(ramassant la bourse.)
A qui la bourse ?
- Anselme -
Ah ! dieux ! elle m'était tombée !
Et j'aurais après cru qu'on me l'eût dérobée !
Je vous suis bien tenu de ce soin obligeant,
Qui m'épargne un grand trouble et me rend mon argent.
Je vais m'en décharger au logis tout à l'heure.

-----------

Scène VIII. - Lélie, Mascarille.

- Mascarille -
C'est être officieux, et très fort, ou je meure.
- Lélie -
Ma foi ! sans moi, l'argent était perdu pour lui.
- Mascarille -
Certes, vous faites rage, et payez aujourd'hui
D'un jugement très rare et d'un bonheur extrême ;
Nous avancerons fort, continuez de même.
- Lélie -
Qu'est-ce donc ? Qu'ai-je fait ?
- Mascarille -
Le sot, en bon françois,
Puisque je puis le dire, et qu'enfin je le dois.
Il sait bien l'impuissance où son père le laisse,
Qu'un rival qu'il doit craindre, étrangement nous presse :
Cependant, quand je tente un coup pour l'obliger
Dont je cours moi tout seul la honte et le danger...
- Lélie -
Quoi ? c'était...?
- Mascarille -
Oui, bourreau, c'était pour la captive
Que j'attrapais l'argent dont votre soin nous prive.
- Lélie -
S'il est ainsi, j'ai tort ; mais qui l'eût deviné ?
- Mascarille -
Il fallait, en effet, être bien raffiné !
- Lélie -
Tu me devais par signe avertir de l'affaire.
- Mascarille -
Oui, je devais au dos avoir mon luminaire.
Au nom de Jupiter, laissez nous en repos,
Et ne nous chantez plus d'impertinents propos !
Un autre, après cela, quitterait tout peut-être ;
Mais j'avais médité tantôt un coup de maître,
Dont tout présentement je veux voir les effets ;
A la charge que si...
- Lélie -
Non, je te le promets,
De ne me mêler plus de rien dire ou rien faire.
- Mascarille -
Allez donc ; votre vue excite ma colère.
- Lélie -
Mais surtout hâte-toi, de peur qu'en ce dessein...
- Mascarille -
Allez, encore un coup ; j'y vais mettre la main.
(Lélie sort.)
Menons bien ce projet ; la fourbe sera fine,
S'il faut qu'elle succède ainsi que j'imagine.
Allons voir... Bon, voici mon homme justement.

-----------

Scène IX. - Pandolfe, Mascarille.

- Pandolfe -
Mascarille !
- Mascarille -
Monsieur.
- Pandolfe -
A parler franchement,
Je suis mal satisfait de mon fils.
- Mascarille -
De mon maître ?
Vous n'êtes pas le seul qui se plaigne de l'être :
Sa mauvaise conduite, insupportable en tout,
Met à chaque moment ma patience à bout.
- Pandolfe -
Je vous croyais pourtant assez d'intelligence
Ensemble.
- Mascarille -
Moi ? Monsieur, perdez cette croyance ;
Toujours de son devoir je tâche à l'avertir,
Et l'on nous voit sans cesse avoir maille à partir (2).
A l'heure même encor nous avons eu querelle
Sur l'hymen d'Hippolyte, où je le vois rebelle,
Où, par l'indignité d'un refus criminel,
Je le vois offenser le respect paternel.
- Pandolfe -
Querelle ?
- Mascarille -
Oui, querelle, et bien avant poussée.
- Pandolfe -
Je me trompais donc bien ; car j'avais la pensée
Qu'à tout ce qu'il faisait tu donnais de l'appui.
- Mascarille -
Moi ! Voyez ce que c'est que du monde aujourd'hui,
Et comme l'innocence est toujours opprimée ?
Si mon intégrité vous était confirmée,
Je suis auprès de lui gagé pour serviteur,
Vous me voudriez encor payer pour précepteur :
Oui, vous ne pourriez pas lui dire davantage
Que ce que je lui dis pour le faire être sage.
Monsieur, au nom de Dieu, lui fais-je assez souvent,
Cessez de vous laisser conduire au premier vent ;
Réglez-vous ; regardez l'honnête homme de père
Que vous avez du ciel, comme on le considère ;
Cessez de lui vouloir donner la mort au coeur,
Et, comme lui, vivez en personne d'honneur.
- Pandolfe -
C'est parler comme il faut. Et que peut-il répondre ?
- Mascarille -
Répondre ? Des chansons dont il me vient confondre.
Ce n'est pas qu'en effet, dans le fond de son coeur,
Il ne tienne de vous des semences d'honneur ;
Mais sa raison n'est pas maintenant la maîtresse.
Si je pouvais parler avecque hardiesse,
Vous le verriez dans peu soumis sans nul effort.
- Pandolfe -
Parle.
- Mascarille -
C'est un secret qui m'importerait fort
S'il était découvert ; mais à votre prudence
Je le puis confier avec toute assurance.
- Pandolfe -
Tu dis bien.
- Mascarille -
Sachez donc que vos voeux sont trahis
Par l'amour qu'une esclave imprime à votre fils.
- Pandolfe -
On m'en avait parlé ; mais l'action me touche
De voir que je l'apprenne encore par ta bouche.
- Mascarille -
Vous voyez si je suis le secret confident...
- Pandolfe -
Vraiment je suis ravi de cela.
- Mascarille -
Cependant
A son devoir, sans bruit, désirez vous le rendre ?
Il faut... J'ai toujours peur qu'on nous vienne surprendre :
Ce serait fait de moi, s'il savait ce discours.
Il faut, dis-je, pour rompre à toute chose cours,
Acheter sourdement l'esclave idolâtrée,
Et la faire passer en une autre contrée.
Anselme a grand succès auprès de Trufaldin ;
Qu'il aille l'acheter pour vous dès ce matin :
Après, si vous voulez en mes mains la remettre,
Je connais des marchands, et puis bien vous promettre
D'en retirer l'argent qu'elle pourra coûter,
Et malgré votre fils, de la faire écarter ;
Car enfin, si l'on veut qu'à l'hymen il se range,
A cet amour naissant il faut donner le change ;
Et de plus, quand bien même il serait résolu,
Qu'il aurait pris le joug que vous avez voulu,
Cet autre objet, pouvant réveiller son caprice,
Au mariage encor peut porter préjudice.
- Pandolfe -
C'est très bien raisonner ; ce conseil me plaît fort...
Je vois Anselme ; va, je m'en vais faire effort
Pour avoir promptement cette esclave funeste,
Et la mettre en tes mains pour achever le reste.
- Mascarille -
(seul.)
Bon ; allons avertir mon maître de ceci.
Vive la fourberie, et les fourbes aussi.

-----------

Scène X. - Hippolyte, Mascarille.

- Hippolyte -
Oui, traître, c'est ainsi que tu me rends service !
Je viens de tout entendre, et voir ton artifice :
A moins que de cela, l'eussé-je soupçonné ?
Tu couches d'imposture (3), et tu m'en as donné.
Tu m'avais promis, lâche, et j'avais lieu d'attendre
Qu'on te verrait servir mes ardeurs pour Léandre ;
Que du choix de Lélie, où l'on veut m'obliger,
Ton adresse et tes soins sauraient me dégager ;
Que tu m'affranchirais du projet de mon père :
Et cependant ici tu fais tout le contraire !
Mais tu t'abuseras ; je sais un sûr moyen
Pour rompre cet achat où tu pousses si bien ;
Et je vais de ce pas...
- Mascarille -
Ah ! que vous êtes prompte !
La mouche tout d'un coup à la tête vous monte (4),
Et, sans considérer s'il a raison ou non,
Votre esprit contre moi fait le petit démon.
J'ai tort, et je devrais, sans finir mon ouvrage,
Vous faire dire vrai, puisque ainsi l'on m'outrage.
- Hippolyte -
Par quelle illusion penses-tu m'éblouir ?
Traître, peux-tu nier ce que je viens d'ouïr ?
- Mascarille -
Non. Mais il faut savoir que tout cet artifice
Ne va directement qu'à vous rendre service ;
Que ce conseil adroit, qui semble être sans fard,
Jette dans le panneau l'un et l'autre vieillard (5) ;
Que mon soin par leurs mains ne veut avoir Célie,
Qu'à dessein de la mettre au pouvoir de Lélie ;
Et faire que, l'effet de cette invention
Dans le dernier excès portant sa passion,
Anselme, rebuté de son prétendu gendre,
Puisse tourner son choix du côté de Léandre.
- Hippolyte -
Quoi ! tout ce grand projet, qui m'a mise en courroux,
Tu l'as formé pour moi, Mascarille ?
- Mascarille -
Oui, pour vous.
Mais puisqu'on reconnaît si mal mes bons offices,
Qu'il me faut de la sorte essuyer vos caprices,
Et que, pour récompense, on s'en vient, de hauteur,
Me traiter de faquin, de lâche, d'imposteur,
Je m'en vais réparer l'erreur que j'ai commise,
Et dès ce même pas rompre mon entreprise.
- Hippolyte -
(l'arrêtant.)
Eh ! ne me traite pas si rigoureusement,
Et pardonne aux transports d'un premier mouvement.
- Mascarille -
Non, non, laissez-moi faire ; il est en ma puissance
De détourner le coup qui si fort vous offense.
Vous ne vous plaindrez point de mes soins désormais ;
Oui, vous aurez mon maître, et je vous le promets.
- Hippolyte -
Eh ! mon pauvre garçon, que ta colère cesse !
J'ai mal jugé de toi, j'ai tort, je le confesse.
(Tirant sa bourse.)
Mais je veux réparer ma faute avec ceci.
Pourrais-tu te résoudre à me quitter ainsi ?
- Mascarille -
Non, je ne le saurais, quelque effort que je fasse ;
Mais votre promptitude est de mauvaise grâce.
Apprenez qu'il n'est rien qui blesse un noble coeur
Comme quand il peut voir qu'on le touche en l'honneur.
- Hippolyte -
Il est vrai, je t'ai dit de trop grosses injures :
You have read 1 text from French literature.
Next - L'Étourdi ou les contre-temps - 2
  • Parts
  • L'Étourdi ou les contre-temps - 1
    Total number of words is 4099
    Total number of unique words is 1197
    43.6 of words are in the 2000 most common words
    55.9 of words are in the 5000 most common words
    62.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • L'Étourdi ou les contre-temps - 2
    Total number of words is 4221
    Total number of unique words is 1256
    43.0 of words are in the 2000 most common words
    55.6 of words are in the 5000 most common words
    61.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • L'Étourdi ou les contre-temps - 3
    Total number of words is 4269
    Total number of unique words is 1314
    43.4 of words are in the 2000 most common words
    55.8 of words are in the 5000 most common words
    61.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • L'Étourdi ou les contre-temps - 4
    Total number of words is 4286
    Total number of unique words is 1351
    42.0 of words are in the 2000 most common words
    54.8 of words are in the 5000 most common words
    61.0 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • L'Étourdi ou les contre-temps - 5
    Total number of words is 4129
    Total number of unique words is 1394
    41.4 of words are in the 2000 most common words
    53.6 of words are in the 5000 most common words
    59.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.