🕥 35-minute read

Les contemplations: Autrefois, 1830-1843 - 4

Total number of words is 4490
Total number of unique words is 1509
37.3 of words are in the 2000 most common words
51.1 of words are in the 5000 most common words
57.6 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  
  
  IV
  CHANSON
  
  Si vous n'avez rien à me dire,
  Pourquoi venir auprès de moi?
  Pourquoi me faire ce sourire
  Qui tournerait la tête au roi?
  Si vous n'avez rien à me dire,
  Pourquoi venir auprès de moi?
  Si vous n'avez rien à m'apprendre,
  Pourquoi me pressez-vous la main?
  Sur le rêve angélique et tendre,
  Auquel vous songez en chemin,
  Si vous n'avez rien à m'apprendre,
  Pourquoi me pressez-vous la main?
  Si vous voulez que je m'en aille,
  Pourquoi passez-vous par ici?
  Lorsque je vous vois, je tressaille:
  C'est ma joie et c'est mon souci.
  Si vous voulez que je m'en aille,
  Pourquoi passez-vous par ici?
  Mai 18...
  
  
  V
  HIER AU SOIR
  
  Hier, le vent du soir, dont le souffle caresse,
  Nous apportait l'odeur des fleurs qui s'ouvrent tard;
  La nuit tombait; l'oiseau dormait dans l'ombre épaisse.
  Le printemps embaumait, moins que votre jeunesse;
  Les astres rayonnaient, moins que votre regard.
  Moi, je parlais tout bas. C'est l'heure solennelle
  Où l'âme aime à chanter son hymne le plus doux.
  Voyant la nuit si pure, et vous voyant si belle,
  J'ai dit aux astres d'or: Versez le ciel sur elle!
  Et j'ai dit à vos yeux: Versez l'amour sur nous!
  Mai 18...
  
  
  VI
  LETTRE
  
  Tu vois cela d'ici. Des ocres et des craies;
  Plaines où les sillons croisent leurs mille raies,
  Chaumes à fleur de terre et que masque un buisson;
  Quelques meules de foin debout sur le gazon;
  De vieux toits enfumant le paysage bistre;
  Un fleuve qui n'est pas le Gange ou le Caystre,
  Pauvre cours d'eau normand troublé de sels marins;
  A droite, vers le nord, de bizarres terrains
  Pleins d'angles qu'on dirait façonnés à la pelle;
  Voilà les premiers plans; une ancienne chapelle
  Y mêle son aiguille, et range à ses côtés
  Quelques ormes tortus, aux profils irrités,
  Qui semblent, fatigués du zéphyr qui s'en joue,
  Faire une remontrance au vent qui les secoue.
  Une grosse charrette, au coin de ma maison,
  Se rouille; et, devant moi, j'ai le vaste horizon,
  Dont la mer bleue emplit toutes les échancrures;
  Des poules et des coqs, étalant leurs dorures,
  Causent sous ma fenêtre, et les greniers des toits
  Me jettent, par instants, des chansons en patois.
  Dans mon allée habite un cordier patriarche,
  Vieux qui fait bruyamment tourner sa roue, et marche
  A reculons, son chanvre autour des reins tordu.
  J'aime ces flots où court le grand vent éperdu;
  Les champs à promener tout le jour me convient;
  Les petits villageois, leur livre en main, m'envient,
  Chez le maître d'école où je me suis logé,
  Comme un grand écolier abusant d'un congé.
  Le ciel rit, l'air est pur; tout le jour, chez mon hôte,
  C'est un doux bruit d'enfants épelant à voix haute;
  L'eau coule, un verdier passe; et, moi, je dis: Merci!
  Merci, Dieu tout-puissant!--Ainsi je vis; ainsi,
  Paisible, heure par heure, à petit bruit, j'épanche
  Mes jours, tout en songeant à vous, ma beauté blanche!
  J'écoute les enfants jaser, et, par moment,
  Je vois en pleine mer, passer superbement,
  Au-dessus des pignons du tranquille village,
  Quelque navire ailé qui fait un long voyage,
  Et fuit sur l'Océan, par tous les vents traqué,
  Qui, naguère dormait au port, le long du quai,
  Et que n'ont retenu, loin des vagues jalouses,
  Ni les pleurs des parents, ni l'effroi des épouses,
  Ni le sombre reflet des écueils dans les eaux,
  Ni l'importunité des sinistres oiseaux.
  Près le Tréport, juin 18...
  
  
  VII
  
  Nous allions au verger cueillir des bigarreaux.
  Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros,
  Elle montait dans l'arbre et courbait une branche;
  Les feuilles frissonnaient au vent; sa gorge blanche,
  O Virgile, ondoyait dans l'ombre et le soleil;
  Ses petits doigts allaient chercher le fruit vermeil,
  Semblable au feu qu'on voit dans le buisson qui flambe.
  Je montais derrière elle; elle montrait sa jambe,
  Et disait: «Taisez-vous!» à mes regards ardents;
  Et chantait. Par moments, entre ses belles dents,
  Pareille, aux chansons près, à Diane farouche,
  Penchée, elle m'offrait la cerise à sa bouche;
  Et ma bouche riait, et venait s'y poser.
  Et laissait la cerise et prenait le baiser.
  Triel, juillet 18...
  
  
  VIII
  
  Tu peux, comme il te plaît, me faire jeune ou vieux.
  Comme le soleil fait serein ou pluvieux
  L'azur dont il est l'âme et que sa clarté dore,
  Tu peux m'emplir de brume ou m'inonder d'aurore.
  Du haut de ta splendeur, si pure qu'en ses plis,
  Tu sembles une femme enfermée en un lys,
  Et qu'à d'autres moments, l'oeil qu'éblouit ton âme
  Croit voir, en te voyant, un lys dans une femme.
  Si tu m'as souri, Dieu! tout mon être bondit!
  Si, Madame, au milieu de tous, vous m'avez dit,
  A haute voix: «Bonjour, Monsieur», et bas: «Je t'aime!»
  Si tu m'as caressé de ton regard suprême,
  Je vis! je suis léger, je suis fier, je suis grand;
  Ta prunelle m'éclaire en me transfigurant;
  J'ai le reflet charmant des yeux dont tu m'accueilles;
  Comme on sent dans un bois des ailes sous les feuilles,
  On sent de la gaîté sous chacun de mes mots;
  Je cours, je vais, je ris; plus d'ennuis, plus de maux;
  Et je chante, et voilà sur mon front la jeunesse!
  Mais que ton coeur injuste, un jour, me méconnaisse;
  Qu'il me faille porter en moi, jusqu'à demain,
  L'énigme de ta main retirée à ma main;
  --Qu'ai-je fait? qu'avait-elle? Elle avait quelque chose.
  Pourquoi, dans la rumeur du salon où l'on cause,
  Personne n'entendant, me disait-elle _vous_?--
  Si je ne sais quel froid dans ton regard si doux
  A passé comme passe au ciel une nuée,
  Je sens mon âme en moi toute diminuée;
  Je m'en vais, courbé, las, sombre comme un aïeul;
  Il semble que sur moi, secouant son linceul,
  Se soit soudain penché le noir vieillard Décembre;
  Comme un loup dans son trou, je rentre dans ma chambre;
  Le chagrin--âge et deuil, hélas! ont le même air,--
  Assombrit chaque trait de mon visage amer,
  Et m'y creuse une ride avec sa main pesante.
  Joyeux, j'ai vingt-cinq ans; triste, j'en ai soixante.
  Paris, juin 18...
  
  
  IX
  EN ÉCOUTANT LES OISEAUX
  
  Oh! quand donc aurez-vous fini, petits oiseaux,
  De jaser au milieu des branches et des eaux,
  Que nous nous expliquions et que je vous querelle?
  Rouge-gorge, verdier, fauvette, tourterelle,
  Oiseaux, je vous entends, je vous connais. Sachez
  Que je ne suis pas dupe, ô doux ténors cachés,
  De votre mélodie et de votre langage.
  Celle que j'aime est loin et pense à moi; je gage,
  O rossignol dont l'hymne, exquis et gracieux,
  Donne un frémissement à l'astre dans les cieux,
  Que ce que tu dis là, c'est le chant de son âme.
  Vous guettez les soupirs de l'homme et de la femme,
  Oiseaux; quand nous aimons et quand nous triomphons,
  Quand notre être, tout bas, s'exhale en chants profonds,
  Vous, attentifs, parmi les bois inaccessibles,
  Vous saisissez au vol ces strophes invisibles,
  Et vous les répétez tout haut, comme de vous;
  Et vous mêlez, pour rendre encor l'hymne plus doux,
  A la chanson des coeurs, le battement des ailes;
  Si bien qu'on vous admire, écouteurs infidèles,
  Et que le noir sapin murmure aux vieux tilleuls:
  «Sont-ils charmants d'avoir trouvé cela tout seuls!»
  Et que l'eau, palpitant sous le chant qui l'effleure,
  Baise avec un sanglot le beau saule qui pleure;
  Et que le dur tronc d'arbre a des airs attendris;
  Et que l'épervier rêve, oubliant la perdrix;
  Et que les loups s'en vont songer auprès des louves!
  «Divin!» dit le hibou; le moineau dit: «Tu trouves?»
  Amour, lorsqu'en nos coeurs tu te réfugias,
  L'oiseau vint y puiser; ce sont ces plagiats,
  Ces chants qu'un rossignol, belles, prend sur vos bouches,
  Qui font que les grands bois courbent leurs fronts farouches,
  Et que les lourds rochers, stupides et ravis,
  Se penchent, les laissant piller le chènevis,
  Et ne distinguent plus, dans leurs rêves étranges,
  La langue des oiseaux de la langue des anges.
  Caudebec, septembre 183...
  
  
  X
  
  Mon bras pressait ta taille frêle
  Et souple comme le roseau;
  Ton sein palpitait comme l'aile
   D'un jeune oiseau.
  Longtemps muets, nous contemplâmes
  Le ciel où s'éteignait le jour.
  Que se passait-il dans nos âmes?
   Amour! amour!
  Comme un ange qui se dévoile,
  Tu me regardais, dans ma nuit,
  Avec ton beau regard d'étoile,
   Qui m'éblouit.
  Forêt de Fontainebleau, juillet 18...
  
  
  XI
  
  Les femmes sont sur la terre
  Pour tout idéaliser;
  L'univers est un mystère
  Que commente leur baiser.
  C'est l'amour qui, pour ceinture,
  A l'onde et le firmament,
  Et dont toute la nature,
  N'est, au fond, que l'ornement.
  Tout ce qui brille, offre à l'âme
  Son parfum ou sa couleur;
  Si Dieu n'avait fait la femme,
  Il n'aurait pas fait la fleur.
  A quoi bon vos étincelles,
  Bleus saphirs, sans les yeux doux?
  Les diamants, sans les belles,
  Ne sont plus que des cailloux;
  Et, dans les charmilles vertes,
  Les roses dorment debout,
  Et sont des bouches ouvertes
  Pour ne rien dire du tout.
  Tout objet qui charme ou rêve
  Tient des femmes sa clarté;
  La perle blanche, sans Ève,
  Sans toi, ma fière beauté,
  Ressemblant, tout enlaidie,
  A mon amour qui te fuit,
  N'est plus que la maladie
  D'une bête dans la nuit.
  Paris, avril 18...
  
  
  XII
  ÉGLOGUE
  
  Nous errions, elle et moi, dans les monts de Sicile.
  Elle est fière pour tous et pour moi seul docile.
  Les cieux et nos pensers rayonnaient à la fois.
  Oh! comme aux lieux déserts les coeurs sont peu farouches!
  Que de fleurs aux buissons, que de baisers aux bouches,
   Quand on est dans l'ombre des bois!
  Pareils à deux oiseaux qui vont de cime en cime,
  Nous parvînmes enfin tout au bord d'un abîme.
  Elle osa s'approcher de ce sombre entonnoir;
  Et, quoique mainte épine offensât ses mains blanches,
  Nous tâchâmes, penchés et nous tenant aux branches,
   D'en voir le fond lugubre et noir.
  En ce même moment, un titan centenaire,
  Qui venait d'y rouler sous vingt coups de tonnerre,
  Se tordait dans ce gouffre où le jour n'ose entrer;
  Et d'horribles vautours au bec impitoyable,
  Attirés par le bruit de sa chute effroyable,
   Commençaient à le dévorer.
  Alors, elle me dit: «J'ai peur qu'on ne nous voie!
  Cherchons un antre afin d'y cacher notre joie!
  Vois ce pauvre géant! nous aurions notre tour!
  Car les dieux envieux qui l'ont fait disparaître,
  Et qui furent jaloux de sa grandeur, peut-être
   Seraient jaloux de notre amour!»
  Septembre 18...
  
  
  XIII
  
  Viens!--une flûte invisible
  Soupire dans les vergers.--
  La chanson la plus paisible
  Est la chanson des bergers.
  Le vent ride, sous l'yeuse,
  Le sombre miroir des eaux.--
  La chanson la plus joyeuse
  Est la chanson des oiseaux.
  Que nul soin ne te tourmente.
  Aimons-nous! aimons toujours!--
  La chanson la plus charmante
  Est la chanson des amours.
  Les Metz, août 18...
  
  
  XIV
  BILLET DU MATIN
  
  Si les liens des coeurs ne sont pas des mensonges,
  Oh! dites, vous devez avoir eu de doux songes,
  Je n'ai fait que rêver de vous toute la nuit.
  Et nous nous aimions tant! vous me disiez: «Tout fuit,
  Tout s'éteint, tout s'en va; ta seule image reste.»
  Nous devions être morts dans ce rêve céleste;
  Il semblait que c'était déjà le paradis.
  Oh! oui, nous étions morts, bien sûr; je vous le dis.
  Nous avions tous les deux la forme de nos âmes.
  Tout ce que, l'un de l'autre, ici-bas nous aimâmes
  Composait notre corps de flamme et de rayons,
  Et, naturellement, nous nous reconnaissions.
  Il nous apparaissait des visages d'aurore
  Qui nous disaient: «C'est moi!» la lumière sonore
  Chantait; et nous étions des frissons et des voix.
  Vous me disiez: «Écoute!» et je répondais: «Vois!»
  Je disais: «Viens-nous-en dans les profondeurs sombres;
  Vivons; c'est autrefois que nous étions des ombres.»
  Et, mêlant nos appels et nos cris: «Viens! oh! viens!
  Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens.»
  Éblouis, nous chantions:--C'est nous-mêmes qui sommes
  Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes,
  Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant;
  Nous sommes le regard et le rayonnement;
  Le sourire de l'aube et l'odeur de la rose,
  C'est nous; l'astre est le nid où notre aile se pose;
  Nous avons l'infini pour sphère et pour milieu,
  L'éternité pour l'âge; et, notre amour, c'est Dieu.
  Paris, juin 18...
  
  
  XV
  PAROLES DANS L'OMBRE
  
  Elle disait: C'est vrai, j'ai tort de vouloir mieux;
  Les heures sont ainsi très-doucement passées;
  Vous êtes là; mes yeux ne quittent pas vos yeux,
  Où je regarde aller et venir vos pensées.
  Vous voir est un bonheur; je ne l'ai pas complet.
  Sans doute, c'est encor bien charmant de la sorte!
  Je veille, car je sais tout ce qui vous déplaît,
  A ce que nul fâcheux ne vienne ouvrir la porte;
  Je me fais bien petite, en mon coin, près de vous;
  Vous êtes mon lion, je suis votre colombe;
  J'entends de vos papiers le bruit paisible et doux;
  Je ramasse parfois votre plume qui tombe;
  Sans doute, je vous ai; sans doute, je vous voi.
  La pensée est un vin dont les rêveurs sont ivres,
  Je le sais; mais, pourtant, je veux qu'on songe à moi.
  Quand vous êtes ainsi tout un soir dans vos livres,
  Sans relever la tête et sans me dire un mot,
  Une ombre reste au fond de mon coeur qui vous aime;
  Et, pour que je vous voie entièrement, il faut
  Me regarder un peu, de temps en temps, vous-même.
  Paris, octobre 18...
  
  
  XVI
  
  L'hirondelle au printemps cherche les vieilles tours,
  Débris où n'est plus l'homme, où la vie est toujours;
  La fauvette en avril cherche, ô ma bien-aimée,
  La forêt sombre et fraîche et l'épaisse ramée,
  La mousse, et, dans les noeuds des branches, les doux toits
  Qu'en se superposant font les feuilles des bois.
  Ainsi fait l'oiseau. Nous, nous cherchons, dans la ville,
  Le coin désert, l'abri solitaire et tranquille,
  Le seuil qui n'a pas d'yeux obliques et méchants,
  La rue où les volets sont fermés; dans les champs,
  Nous cherchons le sentier du pâtre et du poëte;
  Dans les bois, la clairière inconnue et muette
  Où le silence éteint les bruits lointains et sourds.
  L'oiseau cache son nid, nous cachons nos amours.
  Fontainebleau, juin 18...
  
  
  XVII
  SOUS LES ARBRES
  
  Ils marchaient à côté l'un de l'autre; des danses
  Troublaient le bois joyeux; ils marchaient, s'arrêtaient,
  Parlaient, s'interrompaient, et, pendant les silences,
  Leurs bouches se taisant, leurs âmes chuchotaient.
  Ils songeaient; ces deux coeurs, que le mystère écoute,
  Sur la création au sourire innocent
  Penchés, et s'y versant dans l'ombre goutte à goutte,
  Disaient à chaque fleur quelque chose en passant.
  Elle sait tous les noms des fleurs qu'en sa corbeille
  Mai nous rapporte avec la joie et les beaux jours;
  Elle les lui nommait comme eût fait une abeille,
  Puis elle reprenait: «Parlons de nos amours.
  «Je suis en haut, je suis en bas,» lui disait-elle,
  «Et je veille sur vous, d'en bas comme d'en haut.»
  Il demandait comment chaque plante s'appelle,
  Se faisant expliquer le printemps mot à mot.
  O champs! il savourait ces fleurs et cette femme.
  O bois! ô prés! nature où tout s'absorbe en un,
  Le parfum de la fleur est votre petite âme,
  Et l'âme de la femme est votre grand parfum!
  La nuit tombait; au tronc d'un chêne, noir pilastre,
  Il s'adossait pensif; elle disait: «Voyez
  Ma prière toujours dans vos cieux comme un astre,
  Et mon amour toujours comme un chien à tes pieds.»
  Juin 18...
  
  
  XVIII
  
  Je sais bien qu'il est d'usage
  D'aller en tous lieux criant
  Que l'homme est d'autant plus sage
  Qu'il rêve plus de néant;
  D'applaudir la grandeur noire,
  Les héros, le fer qui luit,
  Et la guerre, cette gloire
  Qu'on fait avec de la nuit;
  D'admirer les coups d'épée,
  Et la fortune, ce char
  Dont une roue est Pompée,
  Dont l'autre roue est César;
  Et Pharsale et Trasimène,
  Et tout ce que les Nérons
  Font voler de cendre humaine
  Dans le souffle des clairons!
  Je sais que c'est la coutume
  D'adorer ces nains géants
  Qui, parce qu'ils sont écume,
  Se supposent océans;
  Et de croire à la poussière,
  A la fanfare qui fuit,
  Aux pyramides de pierre,
  Aux avalanches de bruit.
  Moi, je préfère, ô fontaines!
  Moi, je préfère, ô ruisseaux!
  Au Dieu des grands capitaines,
  Le Dieu des petits oiseaux!
  O mon doux ange, en ces ombres
  Où, nous aimant, nous brillons,
  Au Dieu des ouragans sombres
  Qui poussent les bataillons,
  Au Dieu des vastes armées,
  Des canons au lourd essieu,
  Des flammes et des fumées,
  Je préfère le bon Dieu!
  Le bon Dieu, qui veut qu'on aime,
  Qui met au coeur de l'amant
  Le premier vers du poëme,
  Le dernier au firmament!
  Qui songe à l'aile qui pousse,
  Aux oeufs blancs, au nid troublé,
  Si la caille a de la mousse,
  Et si la grive a du blé;
  Et qui fait, pour les Orphées,
  Tenir, immense et subtil,
  Tout le doux monde des fées
  Dans le vert bourgeon d'avril!
  Si bien, que cela s'envole
  Et se disperse au printemps,
  Et qu'une vague auréole
  Sort de tous les nids chantants!
  Vois-tu, quoique notre gloire
  Brille en ce que nous créons,
  Et dans notre grande histoire
  Pleine de grands panthéons;
  Quoique nous ayons des glaives,
  Des temples, Chéops, Babel,
  Des tours, des palais, des rêves,
  Et des tombeaux jusqu'au ciel;
  Il resterait peu de choses
  A l'homme, qui vit un jour,
  Si Dieu nous ôtait les roses,
  Si Dieu nous ôtait l'amour!
  Chelles, septembre 18...
  
  
  XIX
  N'ENVIONS RIEN
  
  O femme, pensée aimante
   Et coeur souffrant,
  Vous trouvez la fleur charmante
   Et l'oiseau grand;
  Vous enviez la pelouse
   Aux fleurs de miel;
  Vous voulez que je jalouse
   L'oiseau du ciel.
  Vous dites, beauté superbe
   Au front terni,
  Regardant tour à tour l'herbe
   Et l'infini:
  «Leur existence est la bonne;
   Là, tout est beau;
  Là, sur la fleur qui rayonne.
   Plane l'oiseau!
  «Près de vous, aile bénie,
   Lys enchanté,
  Qu'est-ce, hélas! que le génie
   Et la beauté?
  «Fleur pure, alouette agile,
   A vous le prix!
  Toi, tu dépasses Virgile;
   Toi, Lycoris!
  «Quel vol profond dans l'air sombre!
   Quels doux parfums!--»
  Et des pleurs brillent sous l'ombre
   De vos cils bruns.
  Oui, contemplez l'hirondelle,
   Les liserons;
  Mais ne vous plaignez pas, belle,
   Car nous mourrons!
  Car nous irons dans la sphère
   De l'éther pur;
  La femme y sera lumière,
   Et l'homme azur;
  Et les roses sont moins belles
   Que les houris;
  Et les oiseaux ont moins d'ailes
   Que les esprits!
  Août 18...
  
  
  XX
  IL FAIT FROID
  
  L'hiver blanchit le dur chemin.
  Tes jours aux méchants sont en proie.
  La bise mord ta douce main;
  La haine souffle sur ta joie.
  La neige emplit le noir sillon.
  La lumière est diminuée...--
  Ferme ta porte à l'aquilon!
  Ferme ta vitre à la nuée!
  Et puis laisse ton coeur ouvert!
  Le coeur, c'est la sainte fenêtre.
  Le soleil de brume est couvert;
  Mais Dieu va rayonner peut-être!
  Doute du bonheur, fruit mortel;
  Doute de l'homme plein d'envie;
  Doute du prêtre et de l'autel;
  Mais crois à l'amour, ô ma vie!
  Crois à l'amour, toujours entier,
  Toujours brillant sous tous les voiles!
  A l'amour, tison du foyer!
  A l'amour rayon des étoiles!
  Aime et ne désespère pas,
  Dans ton âme où parfois je passe,
  Où mes vers chuchotent tout bas,
  Laisse chaque chose à sa place.
  La fidélité sans ennui,
  La paix des vertus élevées,
  Et l'indulgence pour autrui,
  Éponge des fautes lavées.
  Dans ta pensée où tout est beau,
  Que rien ne tombe ou ne recule.
  Fais de ton amour ton flambeau.
  On s'éclaire de ce qui brûle.
  A ces démons d'inimitié,
  Oppose ta douceur sereine,
  Et reverse-leur en pitié
  Tout ce qu'ils t'ont vomi de haine.
  La haine, c'est l'hiver du coeur.
  Plains-les! mais garde ton courage.
  Garde ton sourire vainqueur;
  Bel arc-en-ciel, sors de l'orage!
  Garde ton amour éternel.
  L'hiver, l'astre éteint-il sa flamme?
  Dieu ne retire rien du ciel,
  Ne retire rien de ton âme!
  Décembre 18...
  
  
  XXI
  
  Il lui disait: «Vois-tu, si tous deux nous pouvions,
  L'âme pleine de foi, le coeur plein de rayons,
  Ivres de douce extase et de mélancolie,
  Rompre les mille noeuds dont la ville nous lie;
  Si nous pouvions quitter ce Paris triste et fou,
  Nous fuirions; nous irions quelque part, n'importe où,
  Chercher loin des vains bruits, loin des haines jalouses,
  Un coin où nous aurions des arbres, des pelouses;
  «Une maison petite avec des fleurs, un peu
  De solitude, un peu de silence, un ciel bleu,
  La chanson d'un oiseau qui sur le toit se pose,
  De l'ombre;--et quel besoin avons-nous d'autre chose?»
  Juillet 18...
  
  
  XXII
  
  Aimons toujours! aimons encore!
  Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit.
  L'amour, c'est le cri de l'aurore,
  L'amour, c'est l'hymne de la nuit.
  Ce que le flot dit aux rivages,
  Ce que le vent dit aux vieux monts,
  Ce que l'astre dit aux nuages,
  C'est le mot ineffable: Aimons!
  L'amour fait songer, vivre et croire.
  Il a, pour réchauffer le coeur,
  Un rayon de plus que la gloire,
  Et ce rayon, c'est le bonheur!
  Aime! qu'on les loue ou les blâme,
  Toujours les grands coeurs aimeront:
  Joins cette jeunesse de l'âme
  A la jeunesse de ton front!
  Aime, afin de charmer tes heures!
  Afin qu'on voie en tes beaux yeux
  Des voluptés intérieures
  Le sourire mystérieux!
  Aimons-nous toujours davantage!
  Unissons-nous mieux chaque jour.
  Les arbres croissent en feuillage;
  Que notre âme croisse en amour!
  Soyons le miroir et l'image!
  Soyons la fleur et le parfum!
  Les amants, qui, seuls sous l'ombrage,
  Se sentent deux et ne sont qu'un!
  Les poëtes cherchent les belles.
  La femme, ange aux chastes faveurs,
  Aime à rafraîchir sous ses ailes
  Ces grands fronts brûlants et rêveurs.
  Venez à nous, beautés touchantes!
  Viens à moi, toi, mon bien, ma loi!
  Ange! viens à moi quand tu chantes,
  Et, quand tu pleures, viens à moi!
  Nous seuls comprenons vos extases;
  Car notre esprit n'est point moqueur;
  Car les poëtes sont les vases
  Où les femmes versent leur coeur.
  Moi qui ne cherche dans ce monde
  Que la seule réalité,
  Moi qui laisse fuir comme l'onde
  Tout ce qui n'est que vanité,
  Je préfère, aux biens dont s'enivre
  L'orgueil du soldat ou du roi,
  L'ombre que tu fais sur mon livre
  Quand ton front se penche sur moi.
  Toute ambition allumée
  Dans notre esprit, brasier subtil,
  Tombe en cendre ou vole en fumée,
  Et l'on se dit: «Qu'en reste-t-il?»
  Tout plaisir, fleur à peine éclose
  Dans notre avril sombre et terni,
  S'effeuille et meurt, lys, myrte ou rose,
  Et l'on se dit: «C'est donc fini!»
  L'amour seul reste. O noble femme,
  Si tu veux, dans ce vil séjour,
  Garder ta foi, garder ton âme,
  Garder ton Dieu, garde l'amour!
  Conserve en ton coeur, sans rien craindre,
  Dusses-tu pleurer et souffrir,
  La flamme qui ne peut s'éteindre
  Et la fleur qui ne peut mourir!
  Mai 18...
  
  
  XXIII
  APRÈS L'HIVER
  
  Tout revit, ma bien-aimée!
  Le ciel gris perd sa pâleur;
  Quand la terre est embaumée,
  Le coeur de l'homme est meilleur.
  En haut, d'où l'amour ruisselle,
  En bas, où meurt la douleur,
  La même immense étincelle
  Allume l'astre et la fleur.
  L'hiver fuit, saison d'alarmes,
  Noir avril mystérieux
  Où l'âpre sève des larmes
  Coule, et du coeur monte aux yeux.
  O douce désuétude
  De souffrir et de pleurer!
  Veux-tu, dans la solitude,
  Nous mettre à nous adorer?
  La branche au soleil se dore
  Et penche, pour l'abriter,
  Ses boutons qui vont éclore
  Sur l'oiseau qui va chanter.
  L'aurore où nous nous aimâmes
  Semble renaître à nos yeux;
  Et mai sourit dans nos âmes
  Comme il sourit dans les cieux.
  On entend rire, on voit luire
  Tous les êtres tour à tour,
  La nuit, les astres bruire,
  Et les abeilles, le jour.
  Et partout nos regards lisent,
  Et, dans l'herbe et dans les nids,
  De petites voix nous disent:
  «Les aimants sont les bénis!»
  L'air enivre; tu reposes
  A mon cou tes bras vainqueurs.--
  Sur les rosiers que de roses!
  Que de soupirs dans nos coeurs!
  Comme l'aube, tu me charmes;
  Ta bouche et tes yeux chéris
  Ont, quand tu pleures, ses larmes,
  Et ses perles quand tu ris.
  La nature, soeur jumelle
  D'Ève et d'Adam et du jour,
  Nous aime, nous berce et mêle
  Son mystère à notre amour.
  Il suffit que tu paraisses
  Pour que le ciel, t'adorant,
  Te contemple; et, nos caresses,
  Toute l'ombre nous les rend!
  Clartés et parfums nous-mêmes,
  Nous baignons nos coeurs heureux
  Dans les effluves suprêmes
  Des éléments amoureux.
  Et, sans qu'un souci t'oppresse,
  Sans que ce soit mon tourment,
  J'ai l'étoile pour maîtresse;
  Le soleil est ton amant;
  Et nous donnons notre fièvre
  Aux fleurs où nous appuyons
  Nos bouches, et notre lèvre
  Sent le baiser des rayons.
  Juin 18...
  
  
  XXIV
  
  Que le sort, quel qu'il soit, vous trouve toujours grande!
   Que demain soit doux comme hier!
  Qu'en vous, ô ma beauté, jamais ne se répande
   Le découragement amer,
  Ni le fiel, ni l'ennui des coeurs qui se dénouent,
  Ni cette cendre, hélas! que sur un front pâli,
   Dans l'ombre, à petit bruit secouent
   Les froides ailes de l'oubli!
  Laissez, laissez brûler pour vous, ô vous que j'aime!
   Mes chants dans mon âme allumés!
  Vivez pour la nature, et le ciel, et moi-même!
   Après avoir souffert, aimez!
  Laissez entrer en vous, après nos deuils funèbres,
  L'aube, fille des nuits, l'amour, fils des douleurs,
   Tout ce qui luit dans les ténèbres,
   Tout ce qui sourit dans les pleurs!
  Octobre 18...
  
  
  XXV
  
  Je respire où tu palpites,
  Tu sais; à quoi bon, hélas!
  Rester là si tu me quittes,
  Et vivre si tu t'en vas?
  A quoi bon vivre, étant l'ombre
  De cet ange qui s'enfuit!
  A quoi bon, sous le ciel sombre,
  N'être plus que de la nuit?
  Je suis la fleur des murailles,
  Dont avril est le seul bien.
  Il suffit que tu t'en ailles
  Pour qu'il ne reste plus rien.
  Tu m'entoures d'auréoles;
  Te voir est mon seul souci.
  Il suffit que tu t'envoles
  Pour que je m'envole aussi.
  Si tu pars, mon front se penche;
  Mon âme au ciel, son berceau,
  Fuira, car dans ta main blanche
  Tu tiens ce sauvage oiseau.
  Que veux-tu que je devienne,
  Si je n'entends plus ton pas?
  Est-ce ta vie ou la mienne
  Qui s'en va? Je ne sais pas.
  Quand mon courage succombe,
  J'en reprends dans ton coeur pur;
  Je suis comme la colombe
  Qui vient boire au lac d'azur.
  L'amour fait comprendre à l'âme
  L'univers, sombre et béni;
  Et cette petite flamme
  Seule éclaire l'infini.
  Sans toi, toute la nature
  N'est plus qu'un cachot fermé,
  Où je vais à l'aventure,
  Pâle et n'étant plus aimé.
  Sans toi, tout s'effeuille et tombe;
  L'ombre emplit mon noir sourcil;
  Une fête est une tombe,
  La patrie est un exil.
  Je t'implore et te réclame;
  Ne fuis pas loin de mes maux,
  O fauvette de mon âme
  Qui chantes dans mes rameaux!
  De quoi puis-je avoir envie,
  De quoi puis-je avoir effroi,
  Que ferai-je de la vie,
  Si tu n'es plus près de moi?
  Tu portes dans la lumière,
  Tu portes dans les buissons,
  Sur une aile ma prière,
  Et sur l'autre mes chansons.
  Que dirai-je aux champs que voile
  
You have read 1 text from French literature.