Journaux intimes - 1
Charles Baudelaire
JOURNAUX INTIMES
FUSÉES - MON COEUR MIS À NU
FUSÉES
(Première partie des journaux intimes)
Table des matières
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
XV
I
Quand même Dieu nexisterait pas, la Religion serait encore Sainte
et _Divine_.
Dieu est le seul être qui, pour régner, nait même pas besoin
dexister.
Ce qui est créé par lesprit est plus vivant que la matière.
Lamour, cest le goût de la prostitution. Il nest même pas de
plaisir noble qui ne puisse être ramené à la Prostitution.
Dans un spectacle, dans un bal, chacun jouit de tous.
Quest-ce que lart? Prostitution.
Le plaisir dêtre dans les foules est une expression mystérieuse
de la jouissance de la multiplication du nombre.
_Tout_ est nombre. Le nombre est dans _tout_. Le nombre est dans
lindividu. Livresse est un nombre.
Le goût de la concentration productive doit remplacer, chez un
homme mûr, le goût de la déperdition. -
Lamour peut dériver dun sentiment généreux: le goût de la
prostitution; mais il est bientôt corrompu par le goût de la
propriété.
Lamour veut sortir de soi, se confondre avec sa victime, comme le
vainqueur avec le vaincu, et cependant conserver des privilèges de
conquérant.
Les voluptés de lentrepreneur tiennent à la fois de lange et du
propriétaire. Charité et férocité. Elles sont même indépendantes
du sexe, de la beauté et du genre animal.
Les ténèbres vertes dans les soirs humides de la belle saison.
Profondeur immense de la pensée dans les locutions vulgaires,
trous creusés par des générations de fourmis.
Anecdote du chasseur, relative à la liaison intime de la férocité
et de lamour.
II
De la féminéité de lEglise, comme raison de son omnipuissance.
De la couleur violette (amour contenu, mystérieux, voilé, couleur
de chanoinesse).
Le prêtre est immense parce quil fait croire à une foule de
choses étonnantes.
Que lÉglise veuille tout faire et tout être, cest une loi de
lesprit humain.
Les peuples adorent lautorité.
Les prêtres sont les serviteurs et les sectaires de limagination.
Le trône et lautel, maxime révolutionnaire.
E. G. ou la SÉDUISANTE AVENTURIÈRE
Ivresse religieuse des grandes villes. Panthéisme. Moi, cest
tous; Tous, cest moi.
Tourbillon.
III
Je crois que jai déjà écrit dans mes notes que lamour
ressemblait fort à une torture ou à une opération chirurgicale.
Mais cette idée peut être développée de la manière la plus amère.
Quand même les deux amants seraient très épris et très pleins de
désirs réciproques, lun des deux sera toujours plus calme ou
moins possédé que lautre. Celui-là, ou celle-là, cest
lopérateur, ou le bourreau; lautre, cest le sujet, la victime.
Entendez-vous ces soupirs, préludes dune tragédie de déshonneur,
ces gémissements, ces cris, ces râles? Qui ne les a proférés, qui
ne les a irrésistiblement extorqués? Et que trouvez-vous de pire
dans la question appliquée par de soigneux tortionnaires? Ces yeux
de somnambule révulsés, ces membres dont les muscles jaillissent
et se roidissent comme sous laction dune pile galvanique,
livresse, le délire, lopium, dans leurs plus furieux résultats,
ne vous en donneront certes pas daussi affreux, daussi curieux
exemples. Et le visage humain, quOvide croyait façonné pour
refléter les astres, le voilà qui ne parle plus quune expression
dune férocité folle, ou qui se détend dans une espèce de mort.
Car, certes, je croirais faire un sacrilège en appliquant le mot:
extase à cette sorte de décomposition.
-- Épouvantable jeu où il faut que lun des joueurs perde le
gouvernement de soi-même!
Une fois il fut demandé devant moi en quoi consistait le plus
grand plaisir de lamour. Quelquun répondit naturellement: à
recevoir, -- et un autre: à se donner.
-- Celui-ci dit: plaisir dorgueil! -- et celui-là: volupté
dhumilité! Tous ces orduriers parlaient comme l_Imitation de
Jésus-Christ_. -- Enfin il se trouva un impudent utopiste qui
affirma que le plus grand plaisir de lamour était de former des
citoyens pour la patrie.
Moi je dis: la volupté unique et suprême de lamour gît dans la
certitude de faire le _mal_. -- Et lhomme et la femme savent de
naissance que dans le mal se trouve toute volupté.
IV
PLANS. PROJETS
-- La Comédie à la Silvestre.
Barbara et le Mouton.
-- Chenavard a créé un type surhumain.
-- Mon voeu à Levaillant.
-- Préface, mélange de mysticité et dengouement.
Rêve et théorie du Rêve à la Swedenborg.
La pensée de Campbell (_the Conduct of Life_).
Concentration.
Puissance de lidée fixe.
-- La franchise absolue, moyen doriginalité.
-- Raconter pompeusement des choses comiques.
FUSÉES. SUGGESTIONS
Quand un homme se met au lit, presque tous ses amis ont le désir
secret de le voir mourir; les uns pour constater quil avait une
santé inférieure à la leur; les autres dans lespoir désintéressé
détudier une agonie.
Le dessin arabesque est le plus spiritualiste des dessins.
V
SUGGESTIONS
Lhomme de lettres remue des capitaux et donne le goût de la
gymnastique intellectuelle.
Le dessin arabesque est le plus idéal de tous.
Nous aimons les femmes à proportion quelles nous sont plus
étrangères. Aimer les femmes intelligentes est un plaisir de
pédéraste. Ainsi la bestialité exclut la pédérastie.
Lesprit de bouffonnerie peut ne pas exclure la charité, mais
cest rare.
Lenthousiasme qui sapplique à autre chose que les abstractions
est un signe de faiblesse et de maladie.
La maigreur est plus nue, plus indécente que la graisse.
VI
--_ Ciel tragique_. Épithète don ordre abstrait appliqué à un
être matériel.
-- Lhomme boit la lumière avec latmosphère. Ainsi le peuple a
raison de dire que lair de la nuit est malsain pour le travail.
-- Le peuple est adorateur-né du feu.
Feux dartifice, incendies, incendiaires.
Si lon suppose un adorateur-né du feu, un _Parsis-né_, on peut
créer une nouvelle.
Les méprises relatives aux visages sont le résultat de léclipse
de limage réelle par lhallucination qui en tire sa naissance.
Connais donc les jouissances dune vie âpre; et prie, prie sans
cesse. La prière est réservoir de force. (_Autel de la volonté.
Dynamique morale. La sorcellerie des sacrements. Hygiène de
lâme_).
La Musique creuse le ciel.
Jean-Jacques disait quil nentrait dans un café quavec une
certaine émotion. Pour une nature timide, un contrôle de théâtre
ressemble quelque peu au tribunal des Enfers.
La vie na quun charme vrai; cest le charme du _Jeu_. Mais sil
nous est indifférent de gagner ou de perdre?
VII
SUGGESTIONS
Les nations nont de grands hommes que malgré elles, -- comme les
familles. Elles font tous leurs efforts pour nen avoir pas. Et
ainsi, le grand homme a besoin, pour exister, de posséder une
force dattaque plus grande que la force de résistance développée
par des millions dindividus.
A propos du sommeil, aventure sinistre de tous les soirs, on peut
dire que les hommes sendorment journellement avec une audace qui
serait inintelligible, si nous ne savions pas quelle est le
résultat de lignorance du danger.
Il y a des peaux carapaces avec lesquelles le mépris nest plus
une vengeance.
Beaucoup damis, beaucoup de gants. Ceux qui mont aimé étaient
des gens méprisés, je dirais même méprisables, si je tenais à
flatter les honnêtes gens.
Girardin parler latin! _Pecudesque locutae_.
Il appartenait à une Société incrédule denvoyer Robert Houdin
chez les Arabes pour les détourner des miracles.
VIII
Ces beaux et grands navires, imperceptiblement balancés (dandinés)
sur les eaux tranquilles, ces robustes navires, à lair désoeuvré
et nostalgique, ne nous disent-ils pas dans une langue muette:
Quand partons-nous pour le bonheur?
Ne pas oublier dans le drame le côté merveilleux, la sorcellerie
et le romanesque.
Les milieux, les atmosphères, dont tout un récit doit être trempé.
(Voir _Usher _et en référer aux sensations profondes du hachisch
et de lopium).
Y a-t-il des folies mathématiques et des fous qui pensent que deux
et deux fassent trois? En dautres termes, -- lhallucination
peut-elle, si ces mots ne hurlent pas, envahir les choses de pur
raisonnement? Si, quand un homme prend lhabitude de la paresse,
de la rêverie, de la fainéantise, au point de renvoyer sans cesse
au lendemain la chose importante, un autre homme le réveillait un
matin à grands coups de fouet et le fouettait sans pitié jusquà
ce que, ne pouvant travailler par plaisir, celui-ci travaillât par
peur, cet homme, -- le fouetteur, -- ne serait-il pas vraiment son
ami, son bienfaiteur? Dailleurs on peut affirmer que le plaisir
viendrait après, à bien plus juste titre quon ne dit: lamour
vient après le mariage.
De même en politique, le vrai saint est celui qui fouette et tue
le peuple pour le bien du peuple.
Mardi 13 mai 1856.
Prendre des exemplaires à Michel.
Écrire à Mann,
à [Willis]
à _Maria Clemm_.
Envoyer chez Mad. Dumay savoir si Mirès.....
Ce qui nest pas légèrement difforme a lair insensible: -- doù
il suit que lirrégularité, cest-à-dire linattendu, la surprise,
létonnement sont une partie essentielle et la caractéristique de
la beauté.
IX
NOTES
Théodore de Banville nest pas précisément matérialiste; il est
lumineux.
Sa poésie représente les heures heureuses.
A chaque lettre de créancier, écrivez cinquante lignes sur un
sujet extra-terrestre et vous serez sauvé.
Grand sourire dans un beau visage de géant.
_Du suicide et de la folie-suicide considérés dans leurs rapports
avec la statistique, la médecine et la philosophie._
BRIÈRE DE BOISMONT
Chercher le passage: Vivre avec un être qui na pour vous que de
laversion...
Le portrait de _Sérène_ par _Sénèque_, celui de _Stagyre_ par
_saint Jean Chrysostome_.
L_acedia_, maladie des moines.
Le _Taedium vitae_.
Traduction et paraphrase de: La Passion rapporte tout à elle.
Jouissances spirituelles et physiques causées par lorage,
lélectricité et la foudre, tocsin des souvenirs amoureux,
ténébreux, des anciennes années.
X
Jai trouvé la définition du Beau, -- de mon Beau. Cest quelque
chose dardent et de triste, quelque chose dun peu vague,
laissant carrière à la conjecture. Je vais, si lon veut,
appliquer mes idées à un objet sensible, à lobjet, par exemple,
le plus intéressant dans la société, à un visage de femme. Une
tête séduisante et belle, une tête de femme, veux-je dire, cest
une tête qui fait rêver à la fois, -- mais dune manière confuse,
-- de volupté et de tristesse; qui comporte une idée de
mélancolie, de lassitude, même de satiété, -- soit une idée
contraire, cest-à-dire une ardeur, un désir de vivre, associé
avec une amertume refluante, comme venant de privation ou de
désespérance. Le mystère, le regret, sont aussi des caractères du
Beau.
Une belle tête dhomme na pas besoin de comporter, excepté peut-
être aux yeux dune femme, -- cette idée de volupté, qui dans un
visage de femme est une provocation dautant plus attirante que le
visage est généralement plus mélancolique. Mais cette tête
contiendra aussi quelque chose dardent et de triste, -- des
besoins spirituels, des ambitions ténébreusement refoulées, --
lidée dune puissance grondante, et sans emploi, -- quelquefois
lidée dune insensibilité vengeresse, (car le type idéal du Dandy
nest pas à négliger dans ce sujet), -- quelquefois aussi, -- et
c est lun des caractères de beauté les plus intéressants, -- le
mystère, et enfin (pour que jaie le courage davouer à quel point
je me sens moderne en esthétique), _le Malheur_. -- Je ne prétends
pas que la Joie ne puisse pas sassocier avec la Beauté, mais je
dis que la Joie [en] est un des ornements les plus vulgaires; --
tandis que la Mélancolie en est pour ainsi dire lillustre
compagne, à ce point que je ne conçois guère (mon cerveau serait-
il un miroir ensorcelé?) un type de Beauté où il ny ait pas du
_Malheur_. -- Appuyé sur, -- dautres diraient: obsédé par -- ces
idées, on conçoit quil me serait difficile de ne pas conclure que
le plus parfait type de Beauté virile est _Satan_, -- à la manière
de Milton.
XI
AUTO-IDOLÂTRIE.
Harmonie politique du caractère.
Eurythmie du caractère et des facultés.
Augmenter toutes les facultés.
Conserver toutes les facultés.
Un culte (magisme, sorcellerie évocatoire).
Le sacrifice et le voeu sont les formules suprêmes et les symboles
de léchange.
Deux qualités littéraires fondamentales: surnaturalisme et ironie.
Coup doeil individuel, aspect dans lequel se tiennent les choses
devant lécrivain, puis tournure desprit satanique. Le surnaturel
comprend la couleur générale et laccent, cest-à-dire intensité,
sonorité, limpidité, vibrativité, profondeur et retentissement
dans lespace et dans le temps.
Il y a des moments de lexistence où le temps et létendue sont
plus profonds, et le sentiment de lexistence immensément
augmenté.
De la magie appliquée à lévocation des grands morts, au
rétablissement et au perfectionnement de la santé.
Linspiration vient toujours quand lhomme le _veut_, mais elle ne
sen va pas toujours quand il le veut.
De la langue et de lécriture, prises comme opérations magiques,
sorcellerie évocatoire.
_De lair dans la femme._
Les airs charmants et qui font la beauté sont:
Lair blasé,
Lair ennuyé
Lair évaporé,
Lair impudent,
Lair de regarder en dedans,
Lair de domination,
Lair de volonté,
Lair méchant,
Lair chat, enfantillage, nonchalance et malice mêlés.
Dans certains états de lâme presque surnaturels, la profondeur de
la vie se révèle toute entière dans le spectacle, si ordinaire
quil soit, quon a sous les yeux. Il en devient le symbole.
Comme je traversais le boulevard, et comme je mettais un peu de
précipitation à éviter les voitures, mon auréole sest détachée et
est tombée dans la boue du macadam. Jeus heureusement le temps de
la ramasser; mais cette idée malheureuse se glissa un instant
après dans mon esprit, que cétait un mauvais présage; et dès lors
lidée na plus voulu me lâcher; elle ne ma laissé aucun repos de
toute la journée.
Du culte de soi-même dans lamour, au point de vue de la santé, de
lhygiène, de la toilette, de la noblesse spirituelle et de
léloquence.
_Self-purification and anti-humanity._
Il y a dans lacte de lamour une grande ressemblance avec la
torture, ou avec une opération chirurgicale.
Il y a dans la prière une opération magique. La prière est une des
grandes forces de la dynamique intellectuelle. Il y a là comme une
récurrence électrique.
Le chapelet est un médium, un véhicule; cest la prière mise à la
portée de tous.
Le travail, force progressive et accumulative, portant intérêts
comme le capital, dans les facultés comme dans les résultats.
Le jeu, même dirigé par la science, force intermittente, sera
vaincu, si fructueux quil soit, par le travail, si petit quil
soit, mais continu.
Si un poète demandait à lÉtat le droit davoir quelques bourgeois
dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois
demandait du poète rôti, on le trouverait tout naturel.
Ce livre ne pourra pas scandaliser mes femmes, mes filles, ni mes
soeurs.
Tantôt il lui demandait la permission de lui baiser la jambe, et
il profitait de la circonstance pour baiser cette belle jambe dans
telle position quelle dessinât son contour sur le soleil
couchant.
Minette, minoutte, minouille, mon chat, mon loup, mon petit singe,
grand singe, grand serpent, mon petit âne mélancolique.
De pareils caprices de langue, trop répétés, de trop fréquentes
appellations bestiales témoignent dun côté satanique dans
lamour; les satans nont-ils pas des formes de bêtes? Le chameau
de Cazotte, -- chameau, Diable et femme.
Un homme va au tir au pistolet, accompagné de sa femme. -- Il
ajuste une poupée, et dit à sa femme: Je me figure que cest toi.
-- Il ferme les yeux et abat la poupée. -- Puis il dit en baisant
la main de sa compagne: Cher ange, que je te remercie de mon
adresse!
Quand jaurai inspiré le dégoût et lhorreur universels, jaurai
conquis la solitude.
Ce livre nest pas fait pour mes femmes, mes filles et mes soeurs.
-- Jai peu de ces choses.
Il y a des peaux carapaces avec lesquelles le mépris nest plus un
plaisir.
Beaucoup damis, beaucoup de gants, -- de peur de la gale.
Ceux qui mont aimé étaient des gens méprisés, je dirais même
méprisables, si je tenais à flatter les _honnêtes gens_.
Dieu est un scandale, -- un scandale qui rapporte.
XII
Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun,
cest son génie.
Il ny a que deux endroits où lon paye pour avoir le droit de
dépenser, les latrines publiques et les femmes.
Par un concubinage ardent, on peut deviner les jouissances dun
jeune ménage.
Le goût précoce des femmes. Je confondais lodeur de la fourrure
avec lodeur de la femme. Je me souviens... Enfin, jaimais ma
mère pour son élégance. Jétais donc un dandy précoce.
Mes ancêtres, idiots ou maniaques, dans des appartements
solennels, tous victimes de terribles passions.
Les pays protestants manquent de deux éléments indispensables au
bonheur dun homme bien élevé, la galanterie et la dévotion.
Le mélange du grotesque et du tragique est agréable à lesprit
comme la discordance aux oreilles blasées.
Ce quil y a denivrant dans le mauvais goût, cest le plaisir
aristocratique de déplaire.
LAllemagne exprime la rêverie par la ligne, comme lAngleterre
par la perspective.
Il y a dans lengendrement de toute pensée sublime une secousse
nerveuse qui se fait sentir dans le cervelet.
LEspagne met dans la religion la férocité naturelle de lamour.
STYLE.
La note éternelle, le style éternel et cosmopolite. Chateaubriand,
Alph. Rabbe, Edgar Poe.
XIII
SUGGESTIONS
Pourquoi les démocrates naiment pas les chats, il est facile de
le deviner. Le chat est beau; il révèle des idées de luxe, de
propreté, de volupté, etc...
Un peu de travail, répété trois cent soixante-cinq fois, donne
trois cent soixante-cinq fois un peu dargent, cest-à-dire une
somme énorme. En même temps, _la gloire est faite_.
De même, une foule de petites jouissances composent le bonheur.
Créer un poncif, cest le génie.
Je dois créer un poncif.
Le concetto est un chef-doeuvre.
Le ton Alphonse Rabbe.
Le ton fille entretenue (_Ma toute-belle! Sexe volage!_).
Le ton _éternel_.
Coloriage, cru, dessin profondément entaillé.
_La prima Donna et le garçon boucher_.
Ma mère est fantastique; il faut la craindre et lui plaire.
Lorgueilleux Hildebrand.
Césarisme de Napoléon III. (Lettre à Edgar Ney). Pape et Empereur.
XIV
SUGGESTIONS.
Se livrer à Satan, quest-ce que cest?
Quoi de plus absurde que le Progrès, puisque lhomme, comme cela
est prouvé par le fait journalier, est toujours semblable et égal
à lhomme, cest-à-dire toujours à létat sauvage. Quest-ce que
les périls de la forêt et de la prairie auprès des chocs et des
conflits quotidiens de la civilisation? Que lhomme enlace sa dupe
sur le Boulevard, ou perce sa proie dans des forêts inconnues,
nest-il pas lhomme éternel, cest-à-dire lanimal de proie le
plus parfait?
-- On dit que jai trente ans; mais si jai vécu trois minutes en
une... nai-je pas quatre-vingt-dix ans?
... Le travail, nest-ce pas le sel qui conserve les âmes momies?
Début dun roman, commencer un sujet nimporte où et, pour avoir
envie de le finir, débuter par de très belles phrases.
XV
Je crois que le charme infini et mystérieux qui gît dans la
contemplation dun navire en mouvement, tient, dans le premier
cas, à la régularité et à la symétrie qui sont un des besoins
primordiaux de lesprit humain, au même degré que la complication
et lharmonie, -- et, dans le second cas, à la multiplication et à
la génération de toutes les courbes et figures imaginaires opérées
dans lespace par les éléments réels de lobjet.
Lidée poétique qui se dégage de cette opération du mouvement dans
les lignes est lhypothèse dun être vaste, immense, compliqué,
mais eurythmique, dun animal plein de génie, souffrant et
soupirant tous les soupirs et toutes les ambitions humaines.
Peuples civilisés, qui parlez toujours sottement de _sauvages_ et
de _barbares_, bientôt, comme le dit dAurevilly, vous ne vaudrez
même plus assez pour être idolâtres.
Le stoïcisme, religion qui na quun sacrement, -- le suicide!
Concevoir un canevas pour une bouffonnerie lyrique ou féerique,
pour une pantomime, et traduire cela en un roman sérieux. Noyer le
tout dans une atmosphère anormale et songeuse, -- dans
latmosphère des _grands jours_. -- Que ce soit quelque chose de
berçant, -- et même de serein dans la passion. -- Régions de la
Poésie pure.
Ému au contact de ces voluptés qui ressemblaient à des souvenirs,
attendri par la pensée dun passé mal rempli, de tant de fautes,
de tant de querelles, de tant de choses à se cacher
réciproquement, il se mit à pleurer; et ses larmes chaudes
coulèrent dans les ténèbres sur lépaule nue de sa chère et
toujours attirante maîtresse. Elle tressaillit; elle se sentit,
elle aussi, attendrie et remuée. Les ténèbres rassuraient sa
vanité et son dandysme de femme froide. Ces deux êtres déchus,
mais souffrant encore de leur reste de noblesse, senlacèrent
spontanément, confondant dans la pluie de leurs larmes et de leurs
baisers les tristesses de leur passé avec leurs espérances bien
incertaines davenir. Il est présumable que jamais pour eux la
volupté ne fut si douce que dans cette nuit de mélancolie et de
charité; -- volupté saturée de douleur et de remords.
A travers la noirceur de la nuit, il avait regardé derrière lui
dans les années profondes, puis il sétait jeté dans les bras de
sa coupable amie pour y retrouver le pardon quil lui accordait.
-- Hugo pense souvent à Prométhée. Il sapplique un vautour
imaginaire sur une poitrine qui nest lancinée que par les moxas
de la vanité. Puis lhallucination se compliquant, se variant,
mais suivant la marche progressive décrite par les médecins, il
croit que par un _fiat_ de la Providence, Sainte-Hélène a pris la
place de Jersey.
Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré, quil ferait
horreur même à un notaire.
Hugo-Sacerdoce a toujours le front penché; -- trop penché pour
rien voir, excepté son nombril.
Quest-ce qui nest pas un sacerdoce aujourdhui? La jeunesse
elle-même est un sacerdoce, -- à ce que dit la jeunesse.
Et quest-ce qui nest pas une prière? -- Chier est une prière, à
ce que disent les démocrates quand ils chient.
M. de Pontmartin, -- un homme qui a toujours lair darriver de sa
province...
Lhomme, cest-à-dire chacun, est si naturellement dépravé quil
souffre moins de labaissement universel que de létablissement
dune hiérarchie raisonnable.
Le monde va finir. La seule raison pour laquelle il pourrait
durer, cest quil existe. Que cette raison est faible, comparée à
toutes celles qui annoncent le contraire, particulièrement à
celle-ci: quest-ce que le monde a désormais à faire sous le ciel?
-- Car, en supposant quil continuât à exister matériellement,
serait-ce une existence digne de ce nom et du dictionnaire
historique? Je ne dis pas que le monde sera réduit aux expédients
et au désordre, bouffon des républiques du Sud-Amérique, -- que
peut-être même nous retournerons à létat sauvage, et que nous
irons, à travers les ruines herbues de notre civilisation,
chercher notre pâture, un fusil à la main. Non; -- car ce sort et
ces aventures supposeraient encore une certaine énergie vitale,
écho des premiers âges. Nouvel exemple et nouvelles victimes des
inexorables lois morales, nous périrons par où nous avons cru
vivre. La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès
aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que
rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilèges, ou anti-
naturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats
positifs. Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui
subsiste de la vie. De la religion, je crois inutile den parler
et den chercher les restes, puisque se donner encore la peine de
nier Dieu est le seul scandale en pareilles matières. La propriété
avait disparu virtuellement avec la suppression du droit
daînesse; mais le temps viendra où lhumanité, comme un ogre
vengeur, arrachera leur dernier morceau à ceux qui croiront avoir
hérité légitimement des révolutions. Encore, là ne serait pas le
mal suprême.
Limagination humaine peut concevoir sans trop de peine, des
républiques ou autres états communautaires, dignes de quelque
gloire, sils sont dirigés par des hommes sacrés, par de certains
aristocrates. Mais ce nest pas particulièrement par des
institutions politiques que se manifestera la ruine universelle,
ou le progrès universel; car peu mimporte le nom. Ce sera par
lavilissement des coeurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui
restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de
lanimalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour
se maintenir et pour créer un fantôme dordre, de recourir à des
moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant
si endurcie? -- Alors, le fils fuira la famille, non pas à dix-
huit ans, mais à douze, émancipé par sa précocité gloutonne; il la
fuira, non pas pour chercher des aventures héroïques, non pas pour
délivrer une beauté prisonnière dans une tour, non pas pour
immortaliser un galetas par de sublimes pensées, mais pour fonder
un commerce, pour senrichir, et pour faire concurrence à son
infâme papa, -- fondateur et actionnaire dun journal qui répandra
les lumières et qui ferait considérer le _Siècle_ dalors comme un
suppôt de la superstition. Alors, les errantes, les déclassées,
celles qui ont eu quelques amants, et quon appelle parfois des
Anges, en raison et en remerciement de létourderie qui brille,
lumière de hasard, dans leur existence logique comme le mal, --
alors celles-là, dis-je, ne seront plus quimpitoyable sagesse,
sagesse qui condamnera tout, fors largent, tout, même _les
erreurs des sens_! .... Alors, ce qui ressemblera à la vertu, --
que dis-je, -- tout ce qui ne sera pas lardeur vers Plutus sera
réputé un immense ridicule. La justice, si, à cette époque
fortunée, il peut encore exister une justice, fera interdire les
citoyens qui ne sauront pas faire fortune. -- Ton épouse, ô
Bourgeois! ta chaste moitié dont la légitimité fait pour toi la
poésie, introduisant désormais dans la légalité une infamie
irréprochable, gardienne vigilante et amoureuse de ton coffre-
fort, ne sera plus que lidéal parfait de la femme entretenue. Ta
fille, avec une nubilité enfantine, rêvera dans son berceau,
quelle se vend un million. Et toi-même, ô Bourgeois, -- moins
poète encore que tu nes aujourdhui, -- tu ny trouveras rien à
redire; tu ne regretteras rien. Car il y a des choses dans
lhomme, qui se fortifient et prospèrent à mesure que dautres se
délicatisent et samoindrissent, et, grâce au progrès de ces
temps, il ne te restera de tes entrailles que des viscères!
Quant à moi qui sens quelquefois en moi le ridicule dun prophète,
je sais que je ny trouverai jamais la charité dun médecin. Perdu
dans ce vilain monde, coudoyé par les foules, je suis comme un
homme lassé dont loeil ne voit en arrière, dans les années
profondes, que désabusement et amertume, et devant lui quun orage
où rien de neuf nest contenu, ni enseignement, ni douleur. Le
JOURNAUX INTIMES
FUSÉES - MON COEUR MIS À NU
FUSÉES
(Première partie des journaux intimes)
Table des matières
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
XV
I
Quand même Dieu nexisterait pas, la Religion serait encore Sainte
et _Divine_.
Dieu est le seul être qui, pour régner, nait même pas besoin
dexister.
Ce qui est créé par lesprit est plus vivant que la matière.
Lamour, cest le goût de la prostitution. Il nest même pas de
plaisir noble qui ne puisse être ramené à la Prostitution.
Dans un spectacle, dans un bal, chacun jouit de tous.
Quest-ce que lart? Prostitution.
Le plaisir dêtre dans les foules est une expression mystérieuse
de la jouissance de la multiplication du nombre.
_Tout_ est nombre. Le nombre est dans _tout_. Le nombre est dans
lindividu. Livresse est un nombre.
Le goût de la concentration productive doit remplacer, chez un
homme mûr, le goût de la déperdition. -
Lamour peut dériver dun sentiment généreux: le goût de la
prostitution; mais il est bientôt corrompu par le goût de la
propriété.
Lamour veut sortir de soi, se confondre avec sa victime, comme le
vainqueur avec le vaincu, et cependant conserver des privilèges de
conquérant.
Les voluptés de lentrepreneur tiennent à la fois de lange et du
propriétaire. Charité et férocité. Elles sont même indépendantes
du sexe, de la beauté et du genre animal.
Les ténèbres vertes dans les soirs humides de la belle saison.
Profondeur immense de la pensée dans les locutions vulgaires,
trous creusés par des générations de fourmis.
Anecdote du chasseur, relative à la liaison intime de la férocité
et de lamour.
II
De la féminéité de lEglise, comme raison de son omnipuissance.
De la couleur violette (amour contenu, mystérieux, voilé, couleur
de chanoinesse).
Le prêtre est immense parce quil fait croire à une foule de
choses étonnantes.
Que lÉglise veuille tout faire et tout être, cest une loi de
lesprit humain.
Les peuples adorent lautorité.
Les prêtres sont les serviteurs et les sectaires de limagination.
Le trône et lautel, maxime révolutionnaire.
E. G. ou la SÉDUISANTE AVENTURIÈRE
Ivresse religieuse des grandes villes. Panthéisme. Moi, cest
tous; Tous, cest moi.
Tourbillon.
III
Je crois que jai déjà écrit dans mes notes que lamour
ressemblait fort à une torture ou à une opération chirurgicale.
Mais cette idée peut être développée de la manière la plus amère.
Quand même les deux amants seraient très épris et très pleins de
désirs réciproques, lun des deux sera toujours plus calme ou
moins possédé que lautre. Celui-là, ou celle-là, cest
lopérateur, ou le bourreau; lautre, cest le sujet, la victime.
Entendez-vous ces soupirs, préludes dune tragédie de déshonneur,
ces gémissements, ces cris, ces râles? Qui ne les a proférés, qui
ne les a irrésistiblement extorqués? Et que trouvez-vous de pire
dans la question appliquée par de soigneux tortionnaires? Ces yeux
de somnambule révulsés, ces membres dont les muscles jaillissent
et se roidissent comme sous laction dune pile galvanique,
livresse, le délire, lopium, dans leurs plus furieux résultats,
ne vous en donneront certes pas daussi affreux, daussi curieux
exemples. Et le visage humain, quOvide croyait façonné pour
refléter les astres, le voilà qui ne parle plus quune expression
dune férocité folle, ou qui se détend dans une espèce de mort.
Car, certes, je croirais faire un sacrilège en appliquant le mot:
extase à cette sorte de décomposition.
-- Épouvantable jeu où il faut que lun des joueurs perde le
gouvernement de soi-même!
Une fois il fut demandé devant moi en quoi consistait le plus
grand plaisir de lamour. Quelquun répondit naturellement: à
recevoir, -- et un autre: à se donner.
-- Celui-ci dit: plaisir dorgueil! -- et celui-là: volupté
dhumilité! Tous ces orduriers parlaient comme l_Imitation de
Jésus-Christ_. -- Enfin il se trouva un impudent utopiste qui
affirma que le plus grand plaisir de lamour était de former des
citoyens pour la patrie.
Moi je dis: la volupté unique et suprême de lamour gît dans la
certitude de faire le _mal_. -- Et lhomme et la femme savent de
naissance que dans le mal se trouve toute volupté.
IV
PLANS. PROJETS
-- La Comédie à la Silvestre.
Barbara et le Mouton.
-- Chenavard a créé un type surhumain.
-- Mon voeu à Levaillant.
-- Préface, mélange de mysticité et dengouement.
Rêve et théorie du Rêve à la Swedenborg.
La pensée de Campbell (_the Conduct of Life_).
Concentration.
Puissance de lidée fixe.
-- La franchise absolue, moyen doriginalité.
-- Raconter pompeusement des choses comiques.
FUSÉES. SUGGESTIONS
Quand un homme se met au lit, presque tous ses amis ont le désir
secret de le voir mourir; les uns pour constater quil avait une
santé inférieure à la leur; les autres dans lespoir désintéressé
détudier une agonie.
Le dessin arabesque est le plus spiritualiste des dessins.
V
SUGGESTIONS
Lhomme de lettres remue des capitaux et donne le goût de la
gymnastique intellectuelle.
Le dessin arabesque est le plus idéal de tous.
Nous aimons les femmes à proportion quelles nous sont plus
étrangères. Aimer les femmes intelligentes est un plaisir de
pédéraste. Ainsi la bestialité exclut la pédérastie.
Lesprit de bouffonnerie peut ne pas exclure la charité, mais
cest rare.
Lenthousiasme qui sapplique à autre chose que les abstractions
est un signe de faiblesse et de maladie.
La maigreur est plus nue, plus indécente que la graisse.
VI
--_ Ciel tragique_. Épithète don ordre abstrait appliqué à un
être matériel.
-- Lhomme boit la lumière avec latmosphère. Ainsi le peuple a
raison de dire que lair de la nuit est malsain pour le travail.
-- Le peuple est adorateur-né du feu.
Feux dartifice, incendies, incendiaires.
Si lon suppose un adorateur-né du feu, un _Parsis-né_, on peut
créer une nouvelle.
Les méprises relatives aux visages sont le résultat de léclipse
de limage réelle par lhallucination qui en tire sa naissance.
Connais donc les jouissances dune vie âpre; et prie, prie sans
cesse. La prière est réservoir de force. (_Autel de la volonté.
Dynamique morale. La sorcellerie des sacrements. Hygiène de
lâme_).
La Musique creuse le ciel.
Jean-Jacques disait quil nentrait dans un café quavec une
certaine émotion. Pour une nature timide, un contrôle de théâtre
ressemble quelque peu au tribunal des Enfers.
La vie na quun charme vrai; cest le charme du _Jeu_. Mais sil
nous est indifférent de gagner ou de perdre?
VII
SUGGESTIONS
Les nations nont de grands hommes que malgré elles, -- comme les
familles. Elles font tous leurs efforts pour nen avoir pas. Et
ainsi, le grand homme a besoin, pour exister, de posséder une
force dattaque plus grande que la force de résistance développée
par des millions dindividus.
A propos du sommeil, aventure sinistre de tous les soirs, on peut
dire que les hommes sendorment journellement avec une audace qui
serait inintelligible, si nous ne savions pas quelle est le
résultat de lignorance du danger.
Il y a des peaux carapaces avec lesquelles le mépris nest plus
une vengeance.
Beaucoup damis, beaucoup de gants. Ceux qui mont aimé étaient
des gens méprisés, je dirais même méprisables, si je tenais à
flatter les honnêtes gens.
Girardin parler latin! _Pecudesque locutae_.
Il appartenait à une Société incrédule denvoyer Robert Houdin
chez les Arabes pour les détourner des miracles.
VIII
Ces beaux et grands navires, imperceptiblement balancés (dandinés)
sur les eaux tranquilles, ces robustes navires, à lair désoeuvré
et nostalgique, ne nous disent-ils pas dans une langue muette:
Quand partons-nous pour le bonheur?
Ne pas oublier dans le drame le côté merveilleux, la sorcellerie
et le romanesque.
Les milieux, les atmosphères, dont tout un récit doit être trempé.
(Voir _Usher _et en référer aux sensations profondes du hachisch
et de lopium).
Y a-t-il des folies mathématiques et des fous qui pensent que deux
et deux fassent trois? En dautres termes, -- lhallucination
peut-elle, si ces mots ne hurlent pas, envahir les choses de pur
raisonnement? Si, quand un homme prend lhabitude de la paresse,
de la rêverie, de la fainéantise, au point de renvoyer sans cesse
au lendemain la chose importante, un autre homme le réveillait un
matin à grands coups de fouet et le fouettait sans pitié jusquà
ce que, ne pouvant travailler par plaisir, celui-ci travaillât par
peur, cet homme, -- le fouetteur, -- ne serait-il pas vraiment son
ami, son bienfaiteur? Dailleurs on peut affirmer que le plaisir
viendrait après, à bien plus juste titre quon ne dit: lamour
vient après le mariage.
De même en politique, le vrai saint est celui qui fouette et tue
le peuple pour le bien du peuple.
Mardi 13 mai 1856.
Prendre des exemplaires à Michel.
Écrire à Mann,
à [Willis]
à _Maria Clemm_.
Envoyer chez Mad. Dumay savoir si Mirès.....
Ce qui nest pas légèrement difforme a lair insensible: -- doù
il suit que lirrégularité, cest-à-dire linattendu, la surprise,
létonnement sont une partie essentielle et la caractéristique de
la beauté.
IX
NOTES
Théodore de Banville nest pas précisément matérialiste; il est
lumineux.
Sa poésie représente les heures heureuses.
A chaque lettre de créancier, écrivez cinquante lignes sur un
sujet extra-terrestre et vous serez sauvé.
Grand sourire dans un beau visage de géant.
_Du suicide et de la folie-suicide considérés dans leurs rapports
avec la statistique, la médecine et la philosophie._
BRIÈRE DE BOISMONT
Chercher le passage: Vivre avec un être qui na pour vous que de
laversion...
Le portrait de _Sérène_ par _Sénèque_, celui de _Stagyre_ par
_saint Jean Chrysostome_.
L_acedia_, maladie des moines.
Le _Taedium vitae_.
Traduction et paraphrase de: La Passion rapporte tout à elle.
Jouissances spirituelles et physiques causées par lorage,
lélectricité et la foudre, tocsin des souvenirs amoureux,
ténébreux, des anciennes années.
X
Jai trouvé la définition du Beau, -- de mon Beau. Cest quelque
chose dardent et de triste, quelque chose dun peu vague,
laissant carrière à la conjecture. Je vais, si lon veut,
appliquer mes idées à un objet sensible, à lobjet, par exemple,
le plus intéressant dans la société, à un visage de femme. Une
tête séduisante et belle, une tête de femme, veux-je dire, cest
une tête qui fait rêver à la fois, -- mais dune manière confuse,
-- de volupté et de tristesse; qui comporte une idée de
mélancolie, de lassitude, même de satiété, -- soit une idée
contraire, cest-à-dire une ardeur, un désir de vivre, associé
avec une amertume refluante, comme venant de privation ou de
désespérance. Le mystère, le regret, sont aussi des caractères du
Beau.
Une belle tête dhomme na pas besoin de comporter, excepté peut-
être aux yeux dune femme, -- cette idée de volupté, qui dans un
visage de femme est une provocation dautant plus attirante que le
visage est généralement plus mélancolique. Mais cette tête
contiendra aussi quelque chose dardent et de triste, -- des
besoins spirituels, des ambitions ténébreusement refoulées, --
lidée dune puissance grondante, et sans emploi, -- quelquefois
lidée dune insensibilité vengeresse, (car le type idéal du Dandy
nest pas à négliger dans ce sujet), -- quelquefois aussi, -- et
c est lun des caractères de beauté les plus intéressants, -- le
mystère, et enfin (pour que jaie le courage davouer à quel point
je me sens moderne en esthétique), _le Malheur_. -- Je ne prétends
pas que la Joie ne puisse pas sassocier avec la Beauté, mais je
dis que la Joie [en] est un des ornements les plus vulgaires; --
tandis que la Mélancolie en est pour ainsi dire lillustre
compagne, à ce point que je ne conçois guère (mon cerveau serait-
il un miroir ensorcelé?) un type de Beauté où il ny ait pas du
_Malheur_. -- Appuyé sur, -- dautres diraient: obsédé par -- ces
idées, on conçoit quil me serait difficile de ne pas conclure que
le plus parfait type de Beauté virile est _Satan_, -- à la manière
de Milton.
XI
AUTO-IDOLÂTRIE.
Harmonie politique du caractère.
Eurythmie du caractère et des facultés.
Augmenter toutes les facultés.
Conserver toutes les facultés.
Un culte (magisme, sorcellerie évocatoire).
Le sacrifice et le voeu sont les formules suprêmes et les symboles
de léchange.
Deux qualités littéraires fondamentales: surnaturalisme et ironie.
Coup doeil individuel, aspect dans lequel se tiennent les choses
devant lécrivain, puis tournure desprit satanique. Le surnaturel
comprend la couleur générale et laccent, cest-à-dire intensité,
sonorité, limpidité, vibrativité, profondeur et retentissement
dans lespace et dans le temps.
Il y a des moments de lexistence où le temps et létendue sont
plus profonds, et le sentiment de lexistence immensément
augmenté.
De la magie appliquée à lévocation des grands morts, au
rétablissement et au perfectionnement de la santé.
Linspiration vient toujours quand lhomme le _veut_, mais elle ne
sen va pas toujours quand il le veut.
De la langue et de lécriture, prises comme opérations magiques,
sorcellerie évocatoire.
_De lair dans la femme._
Les airs charmants et qui font la beauté sont:
Lair blasé,
Lair ennuyé
Lair évaporé,
Lair impudent,
Lair de regarder en dedans,
Lair de domination,
Lair de volonté,
Lair méchant,
Lair chat, enfantillage, nonchalance et malice mêlés.
Dans certains états de lâme presque surnaturels, la profondeur de
la vie se révèle toute entière dans le spectacle, si ordinaire
quil soit, quon a sous les yeux. Il en devient le symbole.
Comme je traversais le boulevard, et comme je mettais un peu de
précipitation à éviter les voitures, mon auréole sest détachée et
est tombée dans la boue du macadam. Jeus heureusement le temps de
la ramasser; mais cette idée malheureuse se glissa un instant
après dans mon esprit, que cétait un mauvais présage; et dès lors
lidée na plus voulu me lâcher; elle ne ma laissé aucun repos de
toute la journée.
Du culte de soi-même dans lamour, au point de vue de la santé, de
lhygiène, de la toilette, de la noblesse spirituelle et de
léloquence.
_Self-purification and anti-humanity._
Il y a dans lacte de lamour une grande ressemblance avec la
torture, ou avec une opération chirurgicale.
Il y a dans la prière une opération magique. La prière est une des
grandes forces de la dynamique intellectuelle. Il y a là comme une
récurrence électrique.
Le chapelet est un médium, un véhicule; cest la prière mise à la
portée de tous.
Le travail, force progressive et accumulative, portant intérêts
comme le capital, dans les facultés comme dans les résultats.
Le jeu, même dirigé par la science, force intermittente, sera
vaincu, si fructueux quil soit, par le travail, si petit quil
soit, mais continu.
Si un poète demandait à lÉtat le droit davoir quelques bourgeois
dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois
demandait du poète rôti, on le trouverait tout naturel.
Ce livre ne pourra pas scandaliser mes femmes, mes filles, ni mes
soeurs.
Tantôt il lui demandait la permission de lui baiser la jambe, et
il profitait de la circonstance pour baiser cette belle jambe dans
telle position quelle dessinât son contour sur le soleil
couchant.
Minette, minoutte, minouille, mon chat, mon loup, mon petit singe,
grand singe, grand serpent, mon petit âne mélancolique.
De pareils caprices de langue, trop répétés, de trop fréquentes
appellations bestiales témoignent dun côté satanique dans
lamour; les satans nont-ils pas des formes de bêtes? Le chameau
de Cazotte, -- chameau, Diable et femme.
Un homme va au tir au pistolet, accompagné de sa femme. -- Il
ajuste une poupée, et dit à sa femme: Je me figure que cest toi.
-- Il ferme les yeux et abat la poupée. -- Puis il dit en baisant
la main de sa compagne: Cher ange, que je te remercie de mon
adresse!
Quand jaurai inspiré le dégoût et lhorreur universels, jaurai
conquis la solitude.
Ce livre nest pas fait pour mes femmes, mes filles et mes soeurs.
-- Jai peu de ces choses.
Il y a des peaux carapaces avec lesquelles le mépris nest plus un
plaisir.
Beaucoup damis, beaucoup de gants, -- de peur de la gale.
Ceux qui mont aimé étaient des gens méprisés, je dirais même
méprisables, si je tenais à flatter les _honnêtes gens_.
Dieu est un scandale, -- un scandale qui rapporte.
XII
Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun,
cest son génie.
Il ny a que deux endroits où lon paye pour avoir le droit de
dépenser, les latrines publiques et les femmes.
Par un concubinage ardent, on peut deviner les jouissances dun
jeune ménage.
Le goût précoce des femmes. Je confondais lodeur de la fourrure
avec lodeur de la femme. Je me souviens... Enfin, jaimais ma
mère pour son élégance. Jétais donc un dandy précoce.
Mes ancêtres, idiots ou maniaques, dans des appartements
solennels, tous victimes de terribles passions.
Les pays protestants manquent de deux éléments indispensables au
bonheur dun homme bien élevé, la galanterie et la dévotion.
Le mélange du grotesque et du tragique est agréable à lesprit
comme la discordance aux oreilles blasées.
Ce quil y a denivrant dans le mauvais goût, cest le plaisir
aristocratique de déplaire.
LAllemagne exprime la rêverie par la ligne, comme lAngleterre
par la perspective.
Il y a dans lengendrement de toute pensée sublime une secousse
nerveuse qui se fait sentir dans le cervelet.
LEspagne met dans la religion la férocité naturelle de lamour.
STYLE.
La note éternelle, le style éternel et cosmopolite. Chateaubriand,
Alph. Rabbe, Edgar Poe.
XIII
SUGGESTIONS
Pourquoi les démocrates naiment pas les chats, il est facile de
le deviner. Le chat est beau; il révèle des idées de luxe, de
propreté, de volupté, etc...
Un peu de travail, répété trois cent soixante-cinq fois, donne
trois cent soixante-cinq fois un peu dargent, cest-à-dire une
somme énorme. En même temps, _la gloire est faite_.
De même, une foule de petites jouissances composent le bonheur.
Créer un poncif, cest le génie.
Je dois créer un poncif.
Le concetto est un chef-doeuvre.
Le ton Alphonse Rabbe.
Le ton fille entretenue (_Ma toute-belle! Sexe volage!_).
Le ton _éternel_.
Coloriage, cru, dessin profondément entaillé.
_La prima Donna et le garçon boucher_.
Ma mère est fantastique; il faut la craindre et lui plaire.
Lorgueilleux Hildebrand.
Césarisme de Napoléon III. (Lettre à Edgar Ney). Pape et Empereur.
XIV
SUGGESTIONS.
Se livrer à Satan, quest-ce que cest?
Quoi de plus absurde que le Progrès, puisque lhomme, comme cela
est prouvé par le fait journalier, est toujours semblable et égal
à lhomme, cest-à-dire toujours à létat sauvage. Quest-ce que
les périls de la forêt et de la prairie auprès des chocs et des
conflits quotidiens de la civilisation? Que lhomme enlace sa dupe
sur le Boulevard, ou perce sa proie dans des forêts inconnues,
nest-il pas lhomme éternel, cest-à-dire lanimal de proie le
plus parfait?
-- On dit que jai trente ans; mais si jai vécu trois minutes en
une... nai-je pas quatre-vingt-dix ans?
... Le travail, nest-ce pas le sel qui conserve les âmes momies?
Début dun roman, commencer un sujet nimporte où et, pour avoir
envie de le finir, débuter par de très belles phrases.
XV
Je crois que le charme infini et mystérieux qui gît dans la
contemplation dun navire en mouvement, tient, dans le premier
cas, à la régularité et à la symétrie qui sont un des besoins
primordiaux de lesprit humain, au même degré que la complication
et lharmonie, -- et, dans le second cas, à la multiplication et à
la génération de toutes les courbes et figures imaginaires opérées
dans lespace par les éléments réels de lobjet.
Lidée poétique qui se dégage de cette opération du mouvement dans
les lignes est lhypothèse dun être vaste, immense, compliqué,
mais eurythmique, dun animal plein de génie, souffrant et
soupirant tous les soupirs et toutes les ambitions humaines.
Peuples civilisés, qui parlez toujours sottement de _sauvages_ et
de _barbares_, bientôt, comme le dit dAurevilly, vous ne vaudrez
même plus assez pour être idolâtres.
Le stoïcisme, religion qui na quun sacrement, -- le suicide!
Concevoir un canevas pour une bouffonnerie lyrique ou féerique,
pour une pantomime, et traduire cela en un roman sérieux. Noyer le
tout dans une atmosphère anormale et songeuse, -- dans
latmosphère des _grands jours_. -- Que ce soit quelque chose de
berçant, -- et même de serein dans la passion. -- Régions de la
Poésie pure.
Ému au contact de ces voluptés qui ressemblaient à des souvenirs,
attendri par la pensée dun passé mal rempli, de tant de fautes,
de tant de querelles, de tant de choses à se cacher
réciproquement, il se mit à pleurer; et ses larmes chaudes
coulèrent dans les ténèbres sur lépaule nue de sa chère et
toujours attirante maîtresse. Elle tressaillit; elle se sentit,
elle aussi, attendrie et remuée. Les ténèbres rassuraient sa
vanité et son dandysme de femme froide. Ces deux êtres déchus,
mais souffrant encore de leur reste de noblesse, senlacèrent
spontanément, confondant dans la pluie de leurs larmes et de leurs
baisers les tristesses de leur passé avec leurs espérances bien
incertaines davenir. Il est présumable que jamais pour eux la
volupté ne fut si douce que dans cette nuit de mélancolie et de
charité; -- volupté saturée de douleur et de remords.
A travers la noirceur de la nuit, il avait regardé derrière lui
dans les années profondes, puis il sétait jeté dans les bras de
sa coupable amie pour y retrouver le pardon quil lui accordait.
-- Hugo pense souvent à Prométhée. Il sapplique un vautour
imaginaire sur une poitrine qui nest lancinée que par les moxas
de la vanité. Puis lhallucination se compliquant, se variant,
mais suivant la marche progressive décrite par les médecins, il
croit que par un _fiat_ de la Providence, Sainte-Hélène a pris la
place de Jersey.
Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré, quil ferait
horreur même à un notaire.
Hugo-Sacerdoce a toujours le front penché; -- trop penché pour
rien voir, excepté son nombril.
Quest-ce qui nest pas un sacerdoce aujourdhui? La jeunesse
elle-même est un sacerdoce, -- à ce que dit la jeunesse.
Et quest-ce qui nest pas une prière? -- Chier est une prière, à
ce que disent les démocrates quand ils chient.
M. de Pontmartin, -- un homme qui a toujours lair darriver de sa
province...
Lhomme, cest-à-dire chacun, est si naturellement dépravé quil
souffre moins de labaissement universel que de létablissement
dune hiérarchie raisonnable.
Le monde va finir. La seule raison pour laquelle il pourrait
durer, cest quil existe. Que cette raison est faible, comparée à
toutes celles qui annoncent le contraire, particulièrement à
celle-ci: quest-ce que le monde a désormais à faire sous le ciel?
-- Car, en supposant quil continuât à exister matériellement,
serait-ce une existence digne de ce nom et du dictionnaire
historique? Je ne dis pas que le monde sera réduit aux expédients
et au désordre, bouffon des républiques du Sud-Amérique, -- que
peut-être même nous retournerons à létat sauvage, et que nous
irons, à travers les ruines herbues de notre civilisation,
chercher notre pâture, un fusil à la main. Non; -- car ce sort et
ces aventures supposeraient encore une certaine énergie vitale,
écho des premiers âges. Nouvel exemple et nouvelles victimes des
inexorables lois morales, nous périrons par où nous avons cru
vivre. La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès
aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que
rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilèges, ou anti-
naturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats
positifs. Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui
subsiste de la vie. De la religion, je crois inutile den parler
et den chercher les restes, puisque se donner encore la peine de
nier Dieu est le seul scandale en pareilles matières. La propriété
avait disparu virtuellement avec la suppression du droit
daînesse; mais le temps viendra où lhumanité, comme un ogre
vengeur, arrachera leur dernier morceau à ceux qui croiront avoir
hérité légitimement des révolutions. Encore, là ne serait pas le
mal suprême.
Limagination humaine peut concevoir sans trop de peine, des
républiques ou autres états communautaires, dignes de quelque
gloire, sils sont dirigés par des hommes sacrés, par de certains
aristocrates. Mais ce nest pas particulièrement par des
institutions politiques que se manifestera la ruine universelle,
ou le progrès universel; car peu mimporte le nom. Ce sera par
lavilissement des coeurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui
restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de
lanimalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour
se maintenir et pour créer un fantôme dordre, de recourir à des
moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant
si endurcie? -- Alors, le fils fuira la famille, non pas à dix-
huit ans, mais à douze, émancipé par sa précocité gloutonne; il la
fuira, non pas pour chercher des aventures héroïques, non pas pour
délivrer une beauté prisonnière dans une tour, non pas pour
immortaliser un galetas par de sublimes pensées, mais pour fonder
un commerce, pour senrichir, et pour faire concurrence à son
infâme papa, -- fondateur et actionnaire dun journal qui répandra
les lumières et qui ferait considérer le _Siècle_ dalors comme un
suppôt de la superstition. Alors, les errantes, les déclassées,
celles qui ont eu quelques amants, et quon appelle parfois des
Anges, en raison et en remerciement de létourderie qui brille,
lumière de hasard, dans leur existence logique comme le mal, --
alors celles-là, dis-je, ne seront plus quimpitoyable sagesse,
sagesse qui condamnera tout, fors largent, tout, même _les
erreurs des sens_! .... Alors, ce qui ressemblera à la vertu, --
que dis-je, -- tout ce qui ne sera pas lardeur vers Plutus sera
réputé un immense ridicule. La justice, si, à cette époque
fortunée, il peut encore exister une justice, fera interdire les
citoyens qui ne sauront pas faire fortune. -- Ton épouse, ô
Bourgeois! ta chaste moitié dont la légitimité fait pour toi la
poésie, introduisant désormais dans la légalité une infamie
irréprochable, gardienne vigilante et amoureuse de ton coffre-
fort, ne sera plus que lidéal parfait de la femme entretenue. Ta
fille, avec une nubilité enfantine, rêvera dans son berceau,
quelle se vend un million. Et toi-même, ô Bourgeois, -- moins
poète encore que tu nes aujourdhui, -- tu ny trouveras rien à
redire; tu ne regretteras rien. Car il y a des choses dans
lhomme, qui se fortifient et prospèrent à mesure que dautres se
délicatisent et samoindrissent, et, grâce au progrès de ces
temps, il ne te restera de tes entrailles que des viscères!
Quant à moi qui sens quelquefois en moi le ridicule dun prophète,
je sais que je ny trouverai jamais la charité dun médecin. Perdu
dans ce vilain monde, coudoyé par les foules, je suis comme un
homme lassé dont loeil ne voit en arrière, dans les années
profondes, que désabusement et amertume, et devant lui quun orage
où rien de neuf nest contenu, ni enseignement, ni douleur. Le