Histoires grotesques et sérieuses - 06

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et serrés les uns contre les autres, de sorte que le regard ne peut
pénétrer qu'à une petite distance à travers l'ensemble. Laissant cette
porte ouverte toute grande, Maelzel passe alors derrière la caisse
et, soulevant le manteau de la figure, ouvre une autre porte placée
juste derrière la première déjà ouverte. Tenant une bougie allumée
devant cette porte, et changeant en même temps la machine de place à
plusieurs reprises, il fait ainsi pénétrer une vive lumière à travers
toute l'armoire, qui alors apparaît pleine, absolument pleine d'engins
mécaniques. Les assistants étant bien convaincus de ce fait, Maelzel
repousse la porte de derrière, la referme, ôte la clef de la serrure,
laisse retomber le manteau de la figure, et revient par devant. La
porte marquée du chiffre 1 est restée ouverte, on s'en souvient.
L'exhibiteur procède maintenant à l'ouverture du tiroir placé sous les
armoires au bas de la caisse; car, bien qu'il y ait en apparence deux
tiroirs, il n'y en a qu'un en réalité, les deux poignées et les deux
trous de clef ne figurant que pour l'ornement. Ce tiroir ouvert dans
toute son étendue, on aperçoit un petit coussin, avec une collection
complète d'échecs, fixés dans un châssis de manière à s'y maintenir
perpendiculairement. Laissant ce tiroir ouvert, ainsi que l'armoire
numéro 1, Maelzel ouvre la porte numéro 2 et la porte numéro 3, qui ne
sont, comme on le voit alors, que les deux battants d'une même porte,
ouvrant sur un seul et même compartiment. Toutefois, à la droite de
ce compartiment (c'est-à-dire à la droite du spectateur), il existe
une petite partie séparée, large de six pouces, et occupée par des
pièces mécaniques. Quant au principal compartiment (en parlant de
cette partie de la caisse visible après l'ouverture des portes 2 et 3,
nous l'appellerons toujours le principal compartiment), il est revêtu
d'une étoffe sombre et ne contient pas d'autres engins mécaniques que
deux pièces d'acier, en forme de quart de cercle, placées chacune à
l'un des deux coins supérieurs de derrière du compartiment. Une petite
éminence, de huit pouces de carré environ, également recouverte d'une
étoffe sombre, s'élève de la base du compartiment près du coin le plus
reculé, à la gauche du spectateur. Laissant ouvertes les portes 2 et
3, ainsi que le tiroir et la porte 1, l'exhibiteur se dirige derrière
le principal compartiment, et, ouvrant là une autre porte, en éclaire
parfaitement tout l'intérieur en y introduisant une bougie allumée.
Toute la caisse ayant été ainsi exposée, en apparence, à l'examen
de l'assemblée, Maelzel, laissant toujours les portes et le tiroir
ouverts, retourne complètement _l'Automate_ et expose le dos du Turc en
soulevant la draperie. Une porte d'environ dix pouces de carré s'ouvre
dans les reins de la figure, et une autre aussi, mais plus petite, dans
la cuisse gauche. L'intérieur de la figure, vu ainsi à travers ces
ouvertures, paraît occupé par des pièces mécaniques. En général, chaque
spectateur est dès lors convaincu qu'il a vu et complètement examiné,
simultanément, toutes les parties constitutives de _l'Automate_, et
l'idée qu'une personne ait pu, pendant une exhibition si complète
de l'intérieur, y rester cachée, est immédiatement rejetée par les
esprits, comme excessivement absurde, si toutefois elle a été acceptée
un instant.
M. Maelzel, replaçant la machine dans sa position première, informe
maintenant la société que _l'Automate_ jouera une partie d'échecs
avec quiconque se présentera comme adversaire. Le défi étant accepté,
une petite table est dressée pour l'antagoniste, et placée tout près
de la corde, non pas en face, mais à un bout extrême, pour ne priver
aucune personne de l'assemblée de la vue de _l'Automate_. D'un tiroir
de cette table est tiré un jeu d'échecs, et généralement, mais pas
toujours, Maelzel les range de sa propre main sur l'échiquier, qui
consiste simplement en carrés peints sur la table, selon le nombre
habituel. L'adversaire s'étant assis, l'exhibiteur se dirige vers le
tiroir de la caisse, et en tire le coussin, qu'il place comme support,
sous le bras gauche de _l'Automate_, après lui avoir retiré la pipe
de la main. Prenant ensuite dans le même tiroir le jeu d'échecs de
_l'Automate_, il dispose les pièces sur l'échiquier placé devant la
figure. Puis il repousse les portes et les ferme, laissant le trousseau
de clefs suspendu à la porte numéro 1. Il ferme également le tiroir,
et enfin il monte la machine en introduisant une clef dans un trou
placé à l'extrémité gauche de la machine (gauche du spectateur). La
partie commence, _l'Automate_ faisant le premier coup. La durée de
la partie est généralement limitée à une demi-heure; mais, si elle
n'est pas finie à l'expiration de cette période, et si l'adversaire
prétend qu'il croit pouvoir battre _l'Automate_, M. Maelzel s'oppose
rarement à la continuation de la partie. Ne pas fatiguer l'assemblée,
tel est le motif ostensible, et sans doute réel, de cette limitation de
temps. Naturellement on devine qu'à chaque coup joué par l'adversaire
à sa propre table, M. Maelzel lui-même, agissant comme représentant
de l'adversaire, exécute le coup correspondant sur la caisse de
_l'Automate_. De même, quand le Turc joue, le coup correspondant est
exécuté, à la table de l'adversaire, par M. Maelzel, agissant alors
comme représentant de _l'Automate_. De cette façon, il est nécessaire
que l'exhibiteur passe souvent d'une table vers l'autre. Souvent aussi
il retourne vers la figure pour emporter les pièces qu'elle a prises et
qu'il dépose au fur et à mesure, sur la caisse, à gauche de l'échiquier
(à sa propre gauche). Quand _l'Automate_ hésite relativement à un coup,
on voit quelquefois l'exhibiteur se placer très-près de sa droite, et
poser sa main de temps à autre, d'une façon négligente, sur la caisse.
Il a aussi une certaine trépidation des pieds, propre à insinuer dans
les esprits qui sont plus rusés que sagaces l'idée d'une connivence
entre la machine et lui. Ces particularités sont sans doute de purs
tics de M. Maelzel, ou, s'il en a conscience, il s'en sert dans le
but de suggérer aux spectateurs cette fausse idée qu'il n'y a dans
_l'Automate_ qu'un pur mécanisme.
Le Turc joue de la main gauche. Tous les mouvements sont opérés à angle
droit. Ainsi, la main (qui est gantée et pliée d'une façon naturelle)
est portée directement au-dessus de la pièce qu'il faut mouvoir, puis
finalement s'abaisse dessus, et dans beaucoup de cas les doigts s'en
emparent sans difficulté. Quelquefois, cependant, quand la pièce
n'est pas précisément et exactement sur la place qu'elle doit occuper,
_l'Automate_ échoue dans son effort pour la saisir. Quand cet accident
se produit, il ne fait pas un second effort, mais le bras continue son
mouvement dans le sens primitivement voulu, tout comme si les doigts
s'étaient emparés de la pièce. Ayant ainsi désigné la place où le coup
aurait dû être fait, le bras se retire vers le coussin, et Maelzel
exécute le mouvement indiqué par _l'Automate_. A chaque mouvement de
la figure, on entend remuer la mécanique. Pendant la marche de la
partie, le Turc, de temps à autre, roule ses yeux comme s'il examinait
l'échiquier, remue la tête, et prononce le mot _échec_, quand il y a
lieu[3].
L'antagoniste a-t-il joué à faux, il tape vivement sur la caisse
avec les doigts de sa main droite, secoue énergiquement la tête, et,
remettant à sa place première la pièce déplacée à tort, prend pour
lui le droit de jouer le coup suivant. Quand il a gagné la partie, il
balance sa tête avec un air de triomphe, regarde complaisamment les
spectateurs autour de lui, et, reculant son bras gauche plus loin que
d'ordinaire, laisse ses doigts seulement reposer sur le coussin. En
général, le Turc est victorieux;--_une ou deux fois il a été battu_.
La partie finie, Maelzel exhibera de nouveau, si on le désire, le
mécanisme de la caisse, de la même manière qu'au commencement. La
machine est roulée en arrière, et un rideau qui se déploie la cache aux
yeux des spectateurs.
Plusieurs tentatives ont été faites pour résoudre le mystère de
_l'Automate_. L'opinion la plus générale, opinion trop souvent adoptée
par des gens de qui l'intelligence promettait mieux, a été, comme
nous l'avons déjà dit, que l'action humaine n'y entrait pour rien,
que la machine était une pure machine, et rien de plus. Quelques-uns,
toutefois, ont soutenu que l'exhibiteur lui-même réglait les mouvements
de _l'Automate_ par quelque moyen mécanique agissant à travers les
pieds de la caisse. D'autres, à leur tour, ont parlé audacieusement
d'un aimant. De la première de ces opinions, nous n'avons, pour le
présent, rien à dire de plus que ce que nous en avons déjà dit.
Relativement à la seconde, il suffira de répéter ce que nous avons
déjà mentionné, à savoir que la machine roule sur des cylindres, et
est, à la requête d'un spectateur quelconque, poussée dans n'importe
quel endroit de la salle, même pendant toute la durée de la partie. La
supposition d'un aimant est également insoutenable;--car, si un aimant
servait d'agent, un autre aimant caché dans la poche d'un spectateur
dérangerait tout le mécanisme. D'ailleurs, l'exhibiteur ne s'opposera
pas à ce qu'on laisse sur la caisse une pierre aimantée, la plus
puissante même, pendant toute la durée de l'exhibition.
Le premier essai d'explication écrit, le premier du moins dont nous
ayons connaissance, s'est produit dans une grosse brochure imprimée à
Paris en 1785. L'hypothèse de l'auteur se réduisait à ceci: qu'un nain
faisait mouvoir la machine. Il était supposé que ce nain se cachait
pendant qu'on ouvrait la caisse, en fourrant ses jambes dans deux
cylindres creux (qu'on représentait comme faisant partie du mécanisme
de l'armoire n°1, bien qu'ils n'y figurent pas), pendant que son corps
restait entièrement hors de la caisse, recouvert par le manteau du
Turc. Quand les portes étaient fermées, le nain trouvait le moyen de
passer son corps dans la caisse, le bruit produit par quelque partie
de la mécanique lui permettant de le faire sans être entendu, et
aussi de fermer la porte par laquelle il était entré. L'intérieur de
_l'Automate_ étant ainsi exhibé, et aucune personne n'y étant vue,
les spectateurs, dit l'auteur de la brochure, sont convaincus qu'il
n'y a en effet personne dans aucune partie de la machine.--Toute
l'hypothèse est trop visiblement absurde pour mériter un commentaire
ou une réfutation, et aussi apprenons-nous qu'elle n'attira que fort
médiocrement l'attention publique.
En 1789, un livre fut publié à Dresde par M. I.-F. Freyhere, dans
lequel se trouvait un nouvel essai d'explication du mystère. Le livre
de M. Freyhere était passablement gros et copieusement illustré de
planches coloriées. Quant à lui, il supposait «qu'un grand garçon,
fort instruit et juste assez mince pour pouvoir se cacher dans un
tiroir placé immédiatement au-dessous de l'échiquier,» jouait la
partie d'échecs et effectuait toutes les évolutions de _l'Automate_.
Cette idée, quoique encore plus sotte que celle de l'auteur parisien,
reçut toutefois un meilleur accueil, et fut, jusqu'à un certain
point, adoptée comme la vraie solution du miracle, jusqu'au moment où
l'inventeur mit fin à la discussion en autorisant un soigneux examen du
couvercle de la caisse.
Ces bizarres essais d'explication furent suivis d'autres non moins
bizarres. Dans ces dernières années, toutefois, un écrivain anonyme,
tout en suivant une voie de raisonnement fort peu philosophique,
est parvenu à tomber sur une solution plausible,--quoique nous ne
puissions la considérer comme la seule absolument vraie. Son article
fut publié primitivement dans un journal hebdomadaire de Baltimore,
illustré de gravures, et portant pour titre: _une Tentative d'analyse
de l'Automate joueur d'échecs de M. Maelzel_. Nous croyons que cet
article est l'édition primitive de la brochure à laquelle sir Brewster
fait allusion dans ses _Lettres sur la magie naturelle_, et qu'il
n'hésite pas à déclarer une parfaite et satisfaisante explication.
Les _résultats_ de l'analyse sont, en somme, et sans aucun doute,
justes; mais, pour que Brewster ait consenti à y voir une parfaite
et satisfaisante explication, il faut supposer qu'il ne l'a lue que
d'une manière distraite et précipitée. Dans le compendium de cet
essai, présenté dans les _Lettres sur la magie naturelle_, il est
absolument impossible d'arriver à une conclusion claire relativement
à la perfection ou à l'imperfection de l'analyse, à cause du
très-mauvais arrangement et de l'insuffisance des lettres de renvoi.
Le même défaut se trouve dans la _Tentative d'analyse_, telle que
nous l'avons lue sous sa première forme. La solution consiste dans
une série d'explications minutieuses (accompagnées de gravures sur
bois, le tout occupant un grand nombre de pages), dont le but est de
montrer _la possibilité de déplacer les compartiments_ de la caisse,
de telle façon qu'un être humain, caché dans l'intérieur, puisse
transporter des parties de son corps d'un lieu à l'autre de la caisse,
pendant l'exhibition du mécanisme, et échapper ainsi à l'attention des
spectateurs. Il n'y a pas lieu de douter, comme nous l'avons déjà fait
observer et comme nous allons essayer de le prouver, que le principe,
ou plutôt le résultat de cette explication, ne soit le seul vrai. Il y
a une personne cachée dans la caisse pendant tout le temps employé à
en montrer l'intérieur. Toutefois, nous repousserons toute la verbeuse
description de la _manière_ selon laquelle doivent se mouvoir les
compartiments pour se prêter aux mouvements de la personne cachée. Nous
la repoussons comme une pure théorie admise _à priori_, et à laquelle
les circonstances devront ensuite s'adapter. Nous ne sommes amenés et
nous ne pouvons être amenés à cette théorie par aucun raisonnement
d'induction. La manière quelconque dont s'opère le déplacement est ce
qui échappe à l'observation à chaque point de l'exhibition. Montrer
qu'il n'est pas impossible que certains mouvements s'effectuent d'une
certaine manière n'est pas du tout montrer qu'ils ont été positivement
effectués de cette manière-là. Il peut exister une infinité d'autres
méthodes par lesquelles les mêmes résultats peuvent être obtenus. La
probabilité que la seule supposée se trouve être la seule juste est
donc dans le rapport de l'unité à l'infini. Mais, en réalité, ce point
particulier--la mobilité des compartiments--est sans aucune importance.
Il est absolument inutile de consacrer sept ou huit pages à vouloir
prouver ce qu'aucune personne de bon sens ne niera,--à savoir que le
puissant génie mécanique du baron Kempelen a pu découvrir les moyens
nécessaires pour fermer une porte ou faire glisser un panneau, avec
un agent humain également à son service et en contact immédiat avec
le panneau ou la porte, ainsi que toutes les opérations exécutées de
manière à échapper entièrement à l'observation des spectateurs,--comme
le montre l'auteur de l'_Essai_, et comme nous essayerons nous-mêmes de
le montrer plus complètement.
Dans cette tentative d'explication de _l'Automate_, nous montrerons
d'abord comment ses opérations s'effectuent, et ensuite nous décrirons,
aussi brièvement que possible, la nature des _observations_ d'où nous
avons déduit notre résultat.
Il est nécessaire, pour bien faire comprendre la question, que nous
répétions ici en peu de mots la routine adoptée par l'exhibiteur
pour montrer l'intérieur de la caisse,--routine dont il ne s'écarte
jamais en aucun point, ni en aucun détail. D'abord il ouvre la porte
n°1. La laissant ouverte, il tourne derrière la caisse et ouvre une
porte située précisément en face de la porte n°1. A cette porte de
derrière il tient une bougie allumée. Il repousse _alors_ la porte
de derrière, la ferme, et, revenant par devant, ouvre le tiroir dans
toute sa longueur. Ceci fait, il ouvre les portes n°2 et n°3 (les
deux battants), et découvre l'intérieur du compartiment principal.
Laissant ouverts ce principal compartiment, le tiroir et la porte de
face de l'armoire n°1, il retourne encore par derrière et ouvre la
porte de derrière du principal compartiment. Pour refermer la caisse,
il n'observe aucun ordre particulier, sauf que la porte à battants est
toujours fermée avant le tiroir.
Maintenant, supposons que, quand la machine est traînée en présence
des spectateurs, un homme soit déjà caché dedans. Son corps est placé
derrière le fouillis de mécaniques dans l'armoire n°1 (la partie
postérieure de cet appareil mécanique étant disposée pour glisser
_en masse_ du principal compartiment dans l'armoire n°1, quand la
circonstance l'exige), et ses jambes sont étendues dans le principal
compartiment. Quand Maelzel ouvre la porte n°1, l'homme caché ne risque
pas d'être découvert, car l'œil le plus exercé ne peut pas pénétrer
au delà de deux pouces dans les ténèbres. Mais le cas est bien
différent quand la porte de derrière de l'armoire n° 1 est ouverte.
Une lumière brillante pénètre alors l'armoire, et le corps de l'homme
serait découvert s'il y était resté. Mais il n'en est pas ainsi. La
clef placée dans la serrure de la porte de derrière a été un signal au
bruit duquel la personne cachée a ramené son corps en avant jusqu'à un
angle aussi aigu que possible,--se fourrant entièrement, ou à peu près,
dans le principal compartiment. Mais c'est là une position pénible,
dans laquelle on ne peut pas longtemps se maintenir. Aussi voyons-nous
que Maelzel _ferme la porte de derrière_. Ceci fait, rien n'empêche que
le corps de l'homme ne reprenne sa position première,--car l'armoire
est redevenue assez sombre pour défier l'examen. Le tiroir est alors
ouvert, et les jambes de la personne cachée tombent, par derrière, dans
l'espace qu'il occupait tout à l'heure[4].
Il n'y a donc plus aucune partie de l'homme dans le compartiment
principal, son corps étant placé derrière le mécanisme de l'armoire
n° 1, et ses jambes dans l'espace occupé naguère par le tiroir.
L'exhibiteur est donc libre maintenant de montrer le compartiment
principal. C'est ce qu'il fait,--ouvrant les deux portes, celle de face
et celle de derrière;--et l'on n'y aperçoit personne. Les spectateurs
sont maintenant convaincus que tout l'ensemble de la caisse est exposé
à leurs regards, ainsi que toutes les parties, dans un seul et même
instant. Mais évidemment il n'en est pas ainsi. Ils n'aperçoivent ni
l'espace compris derrière le tiroir ouvert, ni l'intérieur de l'armoire
n°1,--dont Maelzel a virtuellement fermé la porte de face quand il
fermait la porte de derrière. Ayant fait alors tourner la machine
sur elle-même, soulevé le manteau du Turc, ouvert les portes du dos
et de la cuisse et montré le tronc de _l'Automate_ plein de pièces
mécaniques, il ramène le tout à sa position première et ferme les
portes. L'homme est libre maintenant de se mouvoir. Il se hausse dans
le corps du Turc juste assez pour que ses yeux se trouvent au niveau
de l'échiquier. Il est très-probable qu'il s'assied sur le petit bloc
carré, la petite éminence qu'on a aperçue dans un coin du compartiment
principal, alors que les portes étaient ouvertes. Dans cette position,
il voit l'échiquier à travers la poitrine du Turc, qui est en gaze.
Ramenant son bras droit par devant sa poitrine, il fait mouvoir le
petit mécanisme nécessaire pour diriger le bras gauche et les doigts
de la figure. Ce mécanisme est placé juste au-dessous de l'épaule
gauche du Turc et peut donc être facilement atteint par la main droite
de l'homme caché, si nous supposons son bras droit ramené sur sa
poitrine. Les mouvements de la tête, des yeux et du bras droit de la
figure, ainsi que le bruit imitant le mot _échec_, sont produits par un
autre mécanisme intérieur, et opérés à volonté par l'homme caché. Tout
l'ensemble de ce mécanisme, c'est-à-dire tout le mécanisme essentiel à
l'automate, est très-probablement contenu dans la petite armoire (large
de six pouces environ) qui occupe la droite du principal compartiment
(droite du spectateur).
Dans cette analyse des opérations de _l'Automate_, nous avons
volontairement évité de parler de la manière dont se meuvent les
compartiments, et l'on comprendra facilement que cette question est
sans aucune importance, puisque l'habileté du charpentier le plus
ordinaire fournit une infinité de moyens d'y satisfaire, et puisque
nous avons montré que, quelle que soit la manière dont l'opération a
lieu, elle a lieu hors de la vue du spectateur. Notre résultat est
fondé sur les _observations_ suivantes, relevées durant de fréquentes
visites que nous avons faites à _l'Automate_ de Maelzel[5].
I
Les coups joués par le Turc n'ont pas lieu à des intervalles de
temps réguliers, mais se conforment aux intervalles des coups de
l'adversaire,--bien que cette condition (la régularité), si importante
dans toute espèce de combinaison mécanique, eut pu facilement être
remplie en limitant le temps accordé pour les coups de l'adversaire.
Si, par exemple, cette limite était de trois minutes, les coups de
_l'Automate_ pourraient avoir lieu à des intervalles quelconques plus
longs que trois minutes. Donc, le fait de l'irrégularité, quand la
régularité aurait pu être si facilement obtenue, sert à prouver que
la régularité n'a pas d'importance dans l'action de _l'Automate_,--en
d'autres termes, que _l'Automate_ n'est pas _une pure machine_.

II
Quand _l'Automate_ est au moment de remuer une pièce, un mouvement
distinct peut être aperçu juste au-dessous de l'épaule gauche, lequel
mouvement fait trembler très-légèrement la draperie qui recouvre le
devant de l'épaule gauche. Ce tremblement précède invariablement de
deux secondes à peu près le mouvement du bras lui-même, et le bras
ne se meut jamais, dans aucun cas, sans ce mouvement précurseur de
l'épaule. Or, supposons que l'adversaire pousse une pièce, et que le
coup correspondant soit exécuté par Maelzel, selon son habitude, sur
l'échiquier de _l'Automate_; supposons que l'adversaire surveille
attentivement _l'Automate_ jusqu'à ce qu'il découvre ce mouvement
précurseur de l'épaule. Aussitôt qu'il a découvert ce mouvement
et avant que le bras mécanique commence à se mouvoir, supposons
qu'il retire sa pièce, comme s'il s'apercevait d'une erreur dans sa
manœuvre; on verra alors que le mouvement du bras, qui, dans tous
les autres cas, succède immédiatement au mouvement de l'épaule, est
cette fois retenu,--n'a pas lieu,--quoique Maelzel n'ait pas encore
exécuté sur l'échiquier de _l'Automate_ le coup correspondant à la
retraite de l'adversaire. Dans ce cas, il est évident que _l'Automate_
allait jouer,--et que, s'il n'a pas joué, ça été un effet simplement
produit par la retraite de l'adversaire, et sans aucune intervention de
Maelzel.
Ce fait prouve nettement,--_primo_, que l'intervention de Maelzel,
exécutant sur l'échiquier du Turc les coups de l'adversaire, n'est
pas indispensable pour les mouvements du Turc,--_secundo_, que les
mouvements de _l'Automate_ sont réglés par l'_esprit_, par quelque
personne pouvant apercevoir l'échiquier de l'adversaire,--_tertio_, que
ses mouvements ne sont pas réglés par l'esprit de Maelzel, qui avait
le dos tourné du côté de l'adversaire pendant que celui-ci opérait son
mouvement de retraite.
III
_L'Automate_ ne gagne pas invariablement. Si la machine était une pure
machine, il n'en serait pas ainsi; elle devrait _toujours_ gagner.
Étant découvert le _principe_ par lequel une machine peut _jouer_ une
partie d'échecs, l'extension du même principe la doit rendre capable
de la _gagner_, et une extension plus grande, de gagner _toutes_ les
parties, c'est-à-dire de battre n'importe quel adversaire. Il suffira
d'un peu de réflexion pour convaincre chacun qu'il n'est pas plus
difficile, en ce qui regarde le principe des opérations nécessaires,
de faire une machine gagnant toutes les parties que d'en faire une qui
n'en gagne qu'une seule. Si donc nous regardons _le Joueur d'échecs_
comme une machine, nous devons supposer (ce qui est singulièrement
improbable) que l'inventeur a mieux aimé la laisser incomplète que la
faire parfaite,--supposition qui apparaît encore plus absurde si nous
réfléchissons qu'en la laissant incomplète, il fournissait un argument
contre la possibilité supposée d'une pure machine;--c'est justement
l'argument dont nous profitons ici.
IV
Quand la situation de la partie est difficile ou complexe, nous ne
voyons jamais le Turc secouer la tête ou rouler ses yeux. C'est
seulement quand son prochain coup est d'une nature évidente, ou quand
la partie se présente de telle façon que pour l'homme placé dans
_l'Automate_ il n'y a pas nécessité de réfléchir. Or, ces mouvements
particuliers de la tête et des yeux sont des mouvements propres aux
personnes plongées dans une méditation, et l'ingénieux baron Kempelen
aurait ajusté ces mouvements (si la machine était une pure machine)
aux occasions qui leur serviraient de prétexte naturel,--c'est-à-dire
aux occasions de complexité. Mais c'est l'inverse qui a lieu, et cet
inverse s'accorde justement avec notre supposition d'un homme caché
dans l'intérieur. Quand il est contraint de méditer son jeu, il n'a pas
assez de loisir pour faire jouer la mécanique qui met en branle la tête
et les yeux. Mais, quand le coup à jouer est évident, il a le temps de
regarder autour de lui, et c'est pourquoi nous voyons alors le tête
s'agiter et les yeux rouler.
V
Quand la machine est tournée pour permettre aux spectateurs d'examiner
le dos du Turc, et quand la draperie est enlevée et les portes du
tronc et de la cuisse ouvertes, l'intérieur du tronc paraît encombré
de mécaniques. En examinant les mécaniques pendant que _l'Automate_
était en mouvement, c'est-à-dire pendant que la machine roulait sur
ses roulettes, il nous a semblé que certaines parties du mécanisme
changeaient de forme et de position à un degré trop marqué pour
être expliqué par les simples lois de la perspective; et plusieurs
examens subséquents nous ont convaincu que ces altérations exagérées
devaient être attribuées à des miroirs placés dans l'intérieur du
tronc. L'introduction des miroirs dans le mécanisme ne peut pas avoir
pour but d'agir, à un degré quelconque, sur le mécanisme même. Leur
action, quelle que soit cette action, ne peut être dirigée que sur
l'œil du spectateur. Nous conclûmes tout de suite que ces miroirs
étaient disposés pour multiplier aux yeux du public les quelques pièces
mécaniques du tronc de manière à faire croire qu'il en est rempli.
De ceci nous inférons directement que la machine n'est pas une pure
machine; car, si telle elle était, l'inventeur, bien loin de désirer
que son mécanisme parût très-compliqué et d'user de supercherie pour
lui donner cette apparence, aurait été particulièrement soigneux de
convaincre les spectateurs de la _simplicité_ des moyens par lesquels
il obtenait de si miraculeux résultats.
VI
La physionomie extérieure, et particulièrement la gesticulation
du Turc, ne sont, considérées comme imitations de la vie, que des
imitations très-banales. La physionomie est une œuvre qui ne
témoigne d'aucune ingéniosité, et elle est bien dépassée, dans la
ressemblance humaine, par les plus vulgaires ouvrages en cire. Les
yeux roulent dans la tête sans aucun naturel et sans mouvements
correspondants des lèvres ou des sourcils. Le bras, surtout, accomplit
ses opérations d'une manière excessivement roide, disgracieuse,
convulsive et rectangulaire. Or, tout cela est le résultat de
l'impuissance de Maelzel à faire mieux, ou d'une négligence
volontaire,--la négligence accidentelle devant être mise hors de
question, quand nous voyons que l'ingénieux propriétaire emploie tout
son temps à perfectionner ses machines. Assurément, nous ne devons pas
attribuer à l'incapacité cette apparence hors nature; car tous les
autres automates de Maelzel prouvent sa miraculeuse habileté à copier
exactement les mouvements et toutes les caractéristiques de la vie.
Ses danseurs de corde, par exemple, sont inimitables. Quand le clown
rit, ses lèvres, ses sourcils, ses paupières, tous les traits de sa
physionomie enfin, sont pénétrés de leur expression naturelle. Chez
lui et chez son compagnon, chaque geste est si parfaitement aisé, si
bien délivré de toute trace d'artifice, que, si ce n'était l'exiguïté
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