Histoires grotesques et sérieuses - 05

Total number of words is 4453
Total number of unique words is 1569
32.3 of words are in the 2000 most common words
44.9 of words are in the 5000 most common words
51.3 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
à retrouver les malfaiteurs. L'intérêt bien entendu conseillait cela.
Il a été vu avec la jeune fille; il a traversé la rivière avec elle
dans un bac découvert. La dénonciation des assassins aurait apparu,
même à un idiot, comme le plus sûr, comme le seul moyen d'échapper
lui-même aux soupçons. Nous ne pouvons pas le supposer, dans cette nuit
fatale du dimanche, à la fois innocent et non instruit de l'attentat
commis. Cependant ce ne serait que dans ces circonstances impossibles
que nous pourrions comprendre qu'il eût manqué, lui vivant, au devoir
de dénoncer les assassins.
«Et quels moyens possédons-nous d'arriver à la vérité? Nous verrons
ces moyens se multiplier et devenir plus distincts à mesure que nous
avancerons. Passons au crible cette vieille histoire d'une première
fuite. Prenons connaissance de l'histoire entière de cet officier,
ainsi que des circonstances actuelles où il est placé et des lieux où
il se trouvait à l'époque précise du meurtre. Comparons soigneusement
entre elles les diverses communications envoyées au journal du soir,
ayant pour but d'incriminer une _bande_. Ceci fait, comparons ces
communications, pour le style et l'écriture, avec celles envoyées au
journal du matin, à une époque précédente, et insistant si fortement
sur la culpabilité de Mennais. Tout cela fini, comparons encore
ces communications avec l'écriture connue de l'officier. Essayons
d'obtenir, par un interrogatoire plus minutieux de madame Deluc
et de ses enfants, ainsi que de Valence, le conducteur d'omnibus,
quelque chose de plus précis sur l'apparence physique et les allures
de _l'homme au teint sombre_. Des questions, habilement dirigées,
tireront, à coup sûr, de quelqu'un de ces témoins des renseignements
sur ce point particulier (ou sur d'autres),--renseignements que les
témoins eux-mêmes possèdent peut-être sans le savoir. Et puis alors,
suivons la trace de ce _bateau_ recueilli par le batelier dans la
matinée du lundi, 23 juin, et qui a disparu du bureau de navigation,
à l'insu de l'officier de service, et _sans son gouvernail_, à une
époque précédant la découverte du cadavre. Avec du soin, avec une
persévérance convenable, nous suivrons infailliblement ce bateau; car
non-seulement le batelier qui l'a arrêté peut en constater l'identité,
mais _on a le gouvernail sous la main_. Il n'est pas possible que
qui que ce soit ait, de gaieté de cœur, et sans aucune recherche,
abandonné le gouvernail d'un bateau à voiles. Il n'y a pas eu
d'_avertissement public_ relativement à la découverte de ce bateau. Il
a été silencieusement amené au bureau de navigation, et silencieusement
il est parti. Mais comment _se fait-il_ que le propriétaire ou le
locataire de ce bateau ait pu, _sans annonce publique_, à une époque
aussi rapprochée que mardi matin, être informé du lieu où était amarré
le bateau saisi lundi, à moins que nous ne le supposions en rapports
quelconques avec _la Marine_,--rapports personnels et permanents,
impliquant la connaissance des plus petits intérêts et des petites
nouvelles locales?
«En parlant de l'assassin solitaire traînant son fardeau vers le
rivage, j'ai déjà insinué qu'il avait dû se procurer un _bateau_. Nous
comprenons maintenant que Marie Roget a dû être jetée d'un bateau. La
chose, très-naturellement, s'est passée ainsi. Le cadavre n'a pas dû
être confié aux eaux basses de la rive. Les marques particulières,
trouvées sur le dos et les épaules de la victime, dénoncent les
membrures d'un fond de bateau. Que ce corps ait été trouvé sans un
poids, cela ne fait que corroborer notre idée. S'il avait été jeté
de la rive, on y aurait évidemment attaché un poids. Seulement, nous
pouvons expliquer l'absence de ce poids, en supposant que le meurtrier
n'a pas pris la précaution de s'en procurer un avant de pousser au
large. Quand il a été au moment de confier le cadavre à la rivière,
il a dû, incontestablement, s'apercevoir de son étourderie; mais il
n'avait pas sous la main de quoi y remédier. Il a mieux aimé tout
risquer que de retourner à la rive maudite. Une fois délivré de son
funèbre chargement, le meurtrier a dû se hâter de retourner vers la
ville. Alors, sur quelque quai obscur, il aura sauté à terre. Mais
le bateau, l'aura-t-il mis en sûreté? Il était bien trop pressé pour
songer à une pareille niaiserie! Et même, en l'amarrant au quai, il
aurait cru y attacher une preuve contre lui-même; sa pensée la plus
naturelle a dû être de chasser loin de lui, aussi loin que possible,
tout ce qui avait quelque rapport avec son crime. Non-seulement il
aura fui loin du quai, mais il n'aura pas permis au bateau d'y rester.
Assurément, il l'aura lancé à la dérive.
«Poursuivons notre pensée.--Le matin, le misérable est frappé d'une
indicible horreur en voyant que son bateau a été ramassé et est retenu
dans un lieu où son devoir, peut-être, l'appelle fréquemment. La nuit
suivante, _sans oser réclamer le gouvernail_, il le fait disparaître.
Maintenant, _où_ est ce bateau sans gouvernail? Allons à la découverte;
que ce soit là une de nos premières recherches. Avec le premier
éclaircissement que nous en pourrons avoir commencera l'aurore de notre
succès. Ce bateau nous conduira, avec une rapidité qui nous étonnera
nous-mêmes, vers l'homme qui s'en est servi dans la nuit du fatal
dimanche. La confirmation s'augmentera de la confirmation, et nous
suivrons le meurtrier à la piste.»
Pour des raisons que nous ne spécifierons pas, mais qui sautent aux
yeux de nos nombreux lecteurs, nous nous sommes permis de supprimer
ici, dans le manuscrit remis entre nos mains, la partie où se trouve
détaillée l'investigation faite à la suite de l'indice, en apparence si
léger, découvert par Dupin. Nous jugeons seulement convenable de faire
savoir que le résultat désiré fut obtenu, et que le préfet remplit
ponctuellement, mais non sans répugnance, les termes de son contrat
avec le chevalier.
L'article de M. Poe conclut en ces termes[25]:
On comprendra que je parle de simples coïncidences et de _rien de
plus_. Ce que j'ai déjà dit sur ce sujet doit suffire. Il n'y a dans
mon cœur aucune foi au surnaturel. Que la Nature et Dieu fassent
deux, aucun homme, capable de penser, ne le niera. Que ce dernier,
ayant créé la première, puisse, à sa volonté, la gouverner ou la
modifier, cela est également incontestable. Je dis: _à sa volonté_;
car c'est une question, de volonté, et non pas de puissance, comme
l'ont supposé d'absurdes logiciens. Ce n'est pas que la Divinité _ne
puisse pas_ modifier ses lois, mais nous l'insultons en imaginant
une nécessité possible de modification. Ces lois ont été faites, dès
l'origine, pour embrasser _toutes_ les contingences qui _peuvent_ être
enfouies dans le _Futur_. Car pour Dieu tout est _Présent_.
Je répète donc que je parle de ces choses simplement comme de
coïncidences. Quelques mots encore. On trouvera dans ma narration de
quoi établir un parallèle entre la destinée de la malheureuse Mary
Cecilia Rogers, autant du moins que sa destinée est connue, et la
destinée d'une nommée Marie Roget jusqu'à une certaine époque de son
histoire,--parallèle dont la minutieuse et surprenante exactitude est
faite pour embarrasser la raison. Oui, on sera frappé de tout cela.
Mais qu'on ne suppose pas un seul instant que, en continuant la triste
histoire de Marie depuis le point en question et en poursuivant jusqu'à
son _dénoûment_ le mystère qui l'enveloppait, j'aie eu le dessein
secret de suggérer une extension du parallèle, ou même d'insinuer que
les mesures adoptées à Paris pour découvrir l'assassin d'une grisette,
ou des mesures fondées sur une méthode de raisonnement analogue,
produiraient un résultat analogue.
Car, relativement à la dernière partie de la supposition, on doit
considérer que la plus légère variation dans les éléments des deux
problèmes pourrait engendrer les plus graves erreurs de calcul, en
faisant diverger absolument les deux courants d'événements; à peu
près de la même manière qu'en arithmétique une erreur qui, prise
individuellement, peut être inappréciable, produit à la longue, par la
force accumulative de la multiplication, un résultat effroyablement
distant de la vérité.
Et, relativement à la première partie, nous ne devons pas oublier
que ce même calcul des probabilités, que j'ai invoqué, interdit
toute idée d'extension du parallèle,--l'interdit avec une rigueur
d'autant plus impérieuse que ce parallèle a déjà été plus étendu
et plus exact. C'est là une proposition anormale qui, bien qu'elle
paraisse ressortir du domaine de la pensée générale, de la pensée
étrangère aux mathématiques, n'a, jusqu'à présent, été bien comprise
que par les mathématiciens. Rien, par exemple, n'est plus difficile
que de convaincre le lecteur non spécialiste que, si un joueur de
dés a amené les six deux fois coup sur coup, ce fait est une raison
suffisante de parier gros que le troisième coup ne ramènera pas les
six. Une opinion de ce genre est généralement rejetée tout d'abord par
l'intelligence. On ne comprend pas comment les deux coups déjà joués,
et qui sont maintenant complètement enfouis dans le Passé, peuvent
avoir de l'influence sur le coup qui n'existe que dans le Futur. La
chance pour amener les six semble être précisément ce qu'elle était à
n'importe quel moment, c'est-à-dire soumise seulement à l'influence
de tous les coups divers que peuvent amener les dés. Et c'est là une
réflexion qui semble si parfaitement évidente, que tout effort pour
la controverser est plus souvent accueilli par un sourire moqueur
que par une condescendance attentive. L'erreur en question, grosse
erreur, grosse souvent de dommages, ne peut pas être critiquée dans les
limites qui me sont assignées ici; et pour les philosophes elle n'a pas
besoin de l'être. Il suffit de dire qu'elle fait partie d'une infinie
série de méprises auxquelles la Raison s'achoppe dans sa route, par sa
propension malheureuse à chercher la vérité _dans le détail_.

[1] Lors de la publication originale de _Marie Roget_, les notes
placées au bas des pages auraient été considérées comme superflues.
Mais plusieurs années se sont écoulées depuis le drame sur lequel ce
conte est basé, et il nous a paru bon de les ajouter ici, avec quelques
mots d'explication relativement au dessein général. Une jeune fille,
Mary Cecilia Rogers, fut assassinée dans les environs de New-York;
et bien que sa mort ait excité un intérêt intense et persistant, le
mystère dont elle était enveloppée n'était pas encore résolu à l'époque
où ce morceau fut écrit et publié (novembre 1842). Ici, sous le
prétexte de raconter la destinée d'une grisette parisienne, l'auteur a
tracé minutieusement les faits essentiels, en même temps que ceux non
essentiels et simplement parallèles, du meurtre réel de Mary Rogers.
Ainsi tout argument fondé sur la fiction est applicable à la vérité; et
la recherche de la vérité est le but.
_Le Mystère de Marie Roget_ fut composé loin du théâtre du crime,
et sans autres moyens d'investigation que les journaux que l'auteur
put se procurer. Ainsi fut-il privé de beaucoup de documents dont il
aurait profilé s'il avait été dans le pays et s'il avait inspecté
les localités. Il n'est pas inutile de rappeler, toutefois, que les
aveux de _deux_ personnes (dont l'une est la madame Deluc du roman),
faits à différentes époques et longtemps après cette publication,
out pleinement confirmé, non-seulement la conclusion générale, mais
aussi _tous_ les principaux détails hypothétiques sur lesquels cette
conclusion avait été basée.
[2] Nassau-Street.
[3] Anderson.
[4] L'Hudson.
[5] Weehawken.
[6] Aux amateurs de la stricte vérité locale, je ferai observer,
relativement à ce passage et à d'autres qui suivent, ainsi qu'à
plusieurs de _Double assassinat dans la rue Morgue_, que l'auteur
raconte les choses à l'américaine, et que l'aventure n'est que
très-superficiellement déguisée; mais que des mœurs parisiennes
imaginaires n'infirment pas la valeur de l'analyse, pas plus qu'un plan
de Paris imaginaire.--C. B.
[7] Voir _Double assassinat dans la rue Morgue_ et _La Lettre volée._
Il est évident que Poe a pensé à M. Gisquet, qui d'ailleurs ne se
serait guère reconnu dans le personnage G.--C. B.
[8] Payne.
[9] Crommelin
[10] _The New-York Mercury_.
[11] _The New-York Brother Jonathan_, édité par H. Hastings Weld,
Esquire.
[12] New-York, _Journal of Commerce_.
[13] Philadelphie, _Saturday Evening Post_, édité par C. T. Peterson,
Esquire.
[14] Adam.
[15] Voir _Double assassinat dans la rue Morgue_.
[16] _The New-York Commercial Advertiser_, édité par Col. Stone.
[17] Une théorie basée sur les qualités d'un objet ne peut pas avoir
le développement total demandé par tous les objets auxquels elle
doit s'appliquer; et celui qui arrange des faits par rapport à leurs
causes perd la faculté de les estimer selon leurs résultats. Ainsi
la jurisprudence de toutes les nations montre que la Loi, quand
elle devient une science et un système, cesse d'être la justice.
Les erreurs, dans lesquelles une dévotion aveugle aux principes de
classification a jeté le droit commun, sont faciles à vérifier si l'on
veut observer combien de fois la puissance législative a été obligé
d'intervenir pour rétablir l'esprit d'équité qui avait disparu de ses
formules.--LANDOR.
[18] _New-York Express_
[19] _New-York Herald_
[20] _New-York Courier and Inquirer_.
[21] Mennais était un des individus primitivement soupçonnés et
arrêtés; plus tard, il avait été relâché par suite du manque total de
preuves.
[22] _New-York Courier and Inquirer_.
[23] _New-York Evening Post_.
[24] _New-York Standard_.
[25] Note des éditeurs du _Magazine_ dans lequel fut primitivement
publié _Le Mystère de Marie Roget_.


LE JOUEUR D'ÉCHECS DE MAELZEL

Aucune exhibition du même genre n'a jamais peut-être autant excité
l'attention publique que _le Joueur d'échecs_ de Maelzel. Partout où
il s'est fait voir, il a été, pour toutes les personnes qui pensent,
l'objet d'une intense curiosité. Toutefois la question du _modus
operandi_ n'est pas encore résolue. Rien n'a été écrit sur ce sujet qui
puisse être considéré comme décisif. En effet, nous rencontrons partout
des hommes doués du génie de la mécanique, doués d'une perspicacité
générale fort grande et d'un rare discernement, qui n'hésitent pas
à déclarer que l'automate en question est une _pure machine_, dont
les mouvements n'ont aucun rapport avec l'action humaine, et qui est
conséquemment, sans aucune comparaison, la plus étonnante de toutes
les inventions humaines. Et cette conclusion, disons-le, serait
irréfutable, si la supposition qui la précède était juste et plausible.
Si nous adoptions leur hypothèse, il serait vraiment absurde de
comparer au _Joueur d'échecs_ tout autre individu analogue, soit des
temps anciens, soit des temps modernes. Cependant il a existé bien des
automates, et des plus surprenants. Dans les lettres de Brewster sur la
_Magie naturelle_, nous en trouvons une liste des plus remarquables.
Parmi ceux-là, on peut citer d'abord, comme ayant positivement existé,
le carrosse inventé par M. Camus pour l'amusement de Louis XIV, alors
enfant. Une table, ayant quatre pieds de carré environ, était placée
dans la chambre destinée à l'expérience. Sur cette table était posé un
carrosse long de six pouces, en bois, et traîné par deux chevaux faits
de la même matière. Une glace étant abaissée, on apercevait une dame
sur la banquette postérieure. Sur le siège un cocher tenait les rênes,
et par derrière, un valet de pied et un page occupaient leurs places
ordinaires. M. Camus touchait alors un ressort; immédiatement le cocher
faisait claquer son fouet, et les chevaux marchaient naturellement le
long du bord de la table, traînant le carrosse derrière eux. Étant
allés aussi loin que possible dans ce premier sens, ils opéraient
brusquement un tour sur la gauche, et le véhicule reprenait sa course à
angle droit, toujours le long du bord extrême de la table. Le carrosse
continuait ainsi jusqu'à ce qu'il fût arrivé en face du fauteuil occupé
par le jeune prince. Là, il s'arrêtait; le page descendait et ouvrait
la portière; la dame mettait pied à terre et présentait une pétition
à son souverain, puis elle rentrait. Le page relevait le marchepied,
fermait la portière et reprenait sa place; le cocher fouettait ses
chevaux, et le carrosse retournait vers sa position première.
_Le Magicien_ de M. Maillardet mérite également d'être noté. Nous
copions le compte rendu suivant dans les _Lettres_ déjà citées
du docteur Brewster, qui a tiré ses principaux renseignements de
l'_Encyclopédie d'Édimbourg._
«Une des pièces mécaniques les plus populaires que nous ayons vues
est le _Magicien_ construit par M. Maillardet, dont la spécialité
consiste à répondre à certaines questions données. Une figure habillée
en magicien apparaît assise au pied d'un mur, tenant une baguette dans
la main droite, et dans l'autre un livre. Des questions en un certain
nombre, préparées à l'avance, sont inscrites dans des médaillons
ovales; le spectateur ayant détaché celles de son choix, pour
lesquelles il demande une réponse, et les ayant placées dans un tiroir
destiné à les recevoir, le tiroir se ferme par un ressort jusqu'à ce
que la réponse soit transmise. Le magicien se lève alors de son siège,
incline la tête, décrit des cercles, et, consultant son livre, comme
préoccupé par une profonde pensée, l'élève à la hauteur de son visage.
Feignant ainsi de méditer sur la question posée, il lève sa baguette
et en frappe le mur au-dessus de sa tête; les deux battants d'une
porte s'ouvrent et laissent voir une réponse appropriée à la question.
La porte se referme; le magicien reprend son attitude primitive,
et le tiroir s'ouvre pour rendre le médaillon. Ces médaillons sont
au nombre de vingt, contenant tous des questions différentes,
auxquelles le magicien riposte par des réponses adaptées d'une façon
étonnante. Les médaillons sont faits de minces planches de cuivre, de
forme elliptique, se ressemblant toutes exactement. Quelques-uns des
médaillons portent une question écrite de chaque côté, et dans ce cas
le magicien répond successivement aux deux. Si le tiroir se referme
sans qu'un médaillon y ait été déposé, le magicien se lève, consulte
son livre, secoue la tête et se rassied; les deux battants de la porte
restent fermés et le tiroir revient vide. Si deux médaillons sont mis
ensemble dans le tiroir, on n'obtient de réponse que pour celui qui est
placé en dessous. Quand la machine est montée, le mouvement peut durer
une heure à peu près, et, pendant ce temps, l'automate peut répondre à
environ cinquante questions. L'inventeur affirmait que les moyens par
lesquels les divers médaillons agissaient sur la machine, pour produire
les réponses convenables aux questions inscrites, étaient excessivement
simples.»
Le canard de Vaucanson était encore plus remarquable. Il était de
grosseur naturelle et imitait si parfaitement l'animal vivant, que tous
les spectateurs subissaient l'illusion. Il exécutait, dit Brewster,
toutes les attitudes et tous les gestes de la vie; mangeait et buvait
avec avidité; accomplissait tous les mouvements de tête et de gosier
qui sont le propre du canard, et, comme lui, troublait vivement l'eau,
qu'il aspirait avec son bec. Il produisait aussi le cri nasillard
de la bête avec une vérité complète de naturel. Dans la structure
anatomique, l'artiste avait déployé la plus haute habileté. Chaque os
du canard réel avait son correspondant dans l'automate, et les ailes
étaient anatomiquement exactes. Chaque cavité, apophyse ou courbure
était strictement imitée, et chaque os opérait son mouvement propre.
Quand on jetait du grain devant lui, l'animal allongeait le cou pour le
becqueter, l'avalait et le digérait[1].
Si ces machines révélaient du génie, que devrons-nous donc penser
de la _machine à calculer_ de M. Babbage? Que penserons-nous d'une
mécanique de bois et de métal qui non-seulement peut computer les
tables astronomiques et nautiques jusqu'à n'importe quel point donné,
mais encore confirmer la certitude mathématique de ses opérations
par la faculté de corriger les erreurs possibles? Que penserons-nous
d'une mécanique qui non-seulement peut accomplir tout cela, mais
encore imprime matériellement les résultats de ses calculs compliqués,
aussitôt qu'ils sont obtenus, et sans la plus légère intervention de
l'intelligence humaine? On répondra peut-être qu'une machine telle
que celle que nous décrivons est, sans aucune comparaison possible,
bien au-dessus du _Joueur d'échecs_ de Maelzel. En aucune façon; elle
est au contraire bien inférieure; pourvu toutefois que nous ayons
admis d'abord (ce qui ne saurait être raisonnablement admis un seul
instant) que _le Joueur d'échecs_ est une _pure machine_ et accomplit
ses opérations sans aucune intervention humaine immédiate. Les calculs
arithmétiques ou algébriques sont, par leur nature même, fixes et
déterminés. Certaines données étant acceptées, certains résultats
s'ensuivent nécessairement et inévitablement. Ces résultats ne
dépendent de rien et ne subissent d'influence de rien que des données
primitivement acceptées. Et la question à résoudre marche, ou devrait
marcher, vers la solution finale, par une série de points infaillibles
qui ne sont passibles d'aucun changement et ne sont soumis à aucune
modification. Ceci étant adopté, nous pouvons, sans difficulté,
concevoir la _possibilité_ de construire une pièce mécanique qui,
prenant son point de départ dans les _données_ de la question à
résoudre, continuera ses mouvements régulièrement, progressivement,
sans déviation aucune, vers la solution demandée, puisque ces
mouvements, quelque complexes qu'on les suppose, n'ont jamais pu être
conçus que finis et déterminés. Mais dans le cas du _Joueur d'échecs_
il y a une immense différence. Ici, il n'y a pas de marche déterminée.
Aucun coup, dans le jeu des échecs, ne résulte nécessairement d'un
autre coup quelconque. D'aucune disposition particulière des pièces,
à un point quelconque de la partie, nous ne pouvons déduire leur
disposition future à un autre point quelconque. Supposons le _premier
coup_ d'une partie d'échecs mis en regard des _données_ d'un problème
algébrique, et nous saisirons immédiatement l'énorme différence qui
les distingue. Dans le cas des _données_ algébriques, le second pas
de la question, qui en dépend absolument, en résulte inévitablement.
Il est créé par la _donnée_. Il faut qu'il soit ce qu'il est et non
pas un autre. Mais le premier coup dans une partie d'échecs n'est
pas nécessairement suivi d'un second coup déterminé. Pendant que
le problème algébrique marche vers la solution, la _certitude_ des
opérations reste entièrement intacte. Le second pas n'étant que la
conséquence des _données_, le troisième est également une conséquence
du second, le quatrième du troisième, le cinquième du quatrième,
et ainsi de suite, _sans aucune alternative possible_, jusqu'à la
fin. Mais, dans les échecs, l'_incertitude_ du coup suivant est en
proportion de la marche de la partie. Quelques coups ont eu lieu, mais
_aucun_ pas certain n'a été fait. Différents spectateurs pourront
conseiller différents coups. Tout dépend donc ici du jugement variable
des joueurs. Or, même en accordant (ce qui ne peut pas être accordé)
que les mouvements de _l'Automate joueur d'échecs_ soient en eux-mêmes
déterminés, ils seraient nécessairement interrompus et dérangés par
la volonté non déterminée de son antagoniste. Il n'y a donc aucune
analogie entre les opérations du _Joueur d'échecs_ et celles de la
machine à calculer de M. Babbage; et s'il nous plaît d'appeler le
premier une _pure machine_, nous serons forcés d'admettre qu'il est,
sans aucune comparaison possible, la plus extraordinaire invention de
l'humanité. Cependant son premier introducteur, le baron Kempelen,
ne se faisait pas scrupule de le déclarer «une pièce mécanique
très-ordinaire,--une _babiole_ dont les effets ne paraissaient si
merveilleux que par l'audace de la conception et le choix heureux
des moyens adoptés pour favoriser l'illusion.» Mais il est inutile
de s'appesantir sur ce point. Il est tout à fait certain que les
opérations de _l'Automate_ sont réglées par l'_esprit_, et non par
autre chose. On peut même dire que cette affirmation est susceptible
d'une démonstration mathématique, _à priori_. La seule chose en
question est donc la manière dont se produit l'intervention humaine.
Avant d'entrer dans ce sujet, il serait sans doute convenable de donner
l'histoire et la description très-brèves du _Joueur d'échecs_, pour
la commodité de ceux de nos lecteurs qui n'ont jamais eu l'occasion
d'assister à l'exhibition de M. Maelzel.
[Illustration: L'automate.]
_L'Automate joueur d'échecs_ fut inventé, en 1769, par le baron
Kempelen, gentilhomme de Presbourg, en Hongrie, qui postérieurement le
céda, avec le secret de ses opérations, à son propriétaire actuel[2].
Peu de temps après son achèvement, il fut exposé à Presbourg, à Paris,
à Vienne, et dans d'autres villes du continent. En 1783 et 1784, il
fut transporté à Londres par M. Maelzel. Dans ces dernières années,
_l'Automate_ a visité les principales villes des États-Unis. Partout
où il s'est fait voir, il a excité la plus vive curiosité, et de
nombreuses tentatives ont été faites, par des hommes de toutes classes,
pour pénétrer le mystère de ses mouvements. La gravure qui précède
donne une représentation passable de la figure que les citoyens de
Richmond ont pu contempler, il y a quelques semaines. Le bras droit,
toutefois, devrait s'étendre plus avant sur la caisse; un échiquier
devrait aussi s'y faire voir; enfin le coussin ne devrait pas être
aperçu tant que la main tient la pipe. Quelques altérations sans
importance ont eu lieu dans le costume du _Joueur d'échecs_ depuis
qu'il est la propriété de M. Maelzel;--ainsi, dans le principe, il ne
portait pas de plumet.
A l'heure marquée pour l'exhibition, un rideau est tiré, ou bien une
porte à deux battants s'ouvre, et la machine est roulée à environ
douze pieds du spectateur le plus rapproché, devant lequel une corde
reste tendue. On aperçoit une figure, habillée à la turque, et assise,
les jambes croisées, devant une vaste caisse qui semble faite de bois
d'érable, et qui lui sert de table.
L'exhibiteur roulera, si on l'exige, la machine vers n'importe
quel endroit de la salle, la laissera stationner sur n'importe
quel point désigné, ou même la changera plusieurs fois de place
pendant la durée de la partie. La base de la caisse est assez élevée
au-dessus du plancher, au moyen de roulettes ou de petits cylindres
de cuivre sur lesquels on la fait mouvoir, et les spectateurs peuvent
ainsi apercevoir toute la portion d'espace comprise au-dessous de
_l'Automate_. La chaise sur laquelle repose la figure est fixe et
adhérente à la caisse. Sur le plan supérieur de cette caisse est un
échiquier, également adhérent. Le bras droit du _Joueur d'échecs_ est
étendu tout du long devant lui, faisant angle droit avec son corps, et
appuyé dans une pose indolente, au bord de l'échiquier. La main est
tournée, le dos en dessus. L'échiquier a dix-huit pouces de carré. Le
bras gauche de la figure est fléchi au coude, et la main gauche tient
une pipe.
Une draperie verte cache le dos du Turc et recouvre en partie le devant
des deux épaules. La caisse, si l'on en juge par son aspect extérieur,
est divisée en cinq compartiments,--trois armoires d'égale dimension
et deux tiroirs qui occupent la partie du coffre placée au dessous
des armoires. Les observations précédentes ont trait à l'aspect
de _l'Automate_, considéré au premier coup d'œil, quand il est
introduit en présence des spectateurs.
M. Maelzel annonce alors à l'assemblée qu'il va exposer à ses yeux le
mécanisme de _l'Automate._ Tirant de sa poche un trousseau de clefs, il
ouvre avec l'une d'elles la porte marquée du chiffre 1 dans la gravure
page 122, et livre ainsi tout l'intérieur de l'armoire à l'examen
des personnes présentes. Tout cet espace est en apparence rempli de
roues, de pignons, de leviers et d'autres engins mécaniques, entassés
You have read 1 text from French literature.
Next - Histoires grotesques et sérieuses - 06
  • Parts
  • Histoires grotesques et sérieuses - 01
    Total number of words is 4514
    Total number of unique words is 1521
    37.3 of words are in the 2000 most common words
    49.8 of words are in the 5000 most common words
    55.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 02
    Total number of words is 4669
    Total number of unique words is 1341
    37.4 of words are in the 2000 most common words
    48.5 of words are in the 5000 most common words
    53.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 03
    Total number of words is 4586
    Total number of unique words is 1464
    36.5 of words are in the 2000 most common words
    48.6 of words are in the 5000 most common words
    54.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 04
    Total number of words is 4615
    Total number of unique words is 1427
    36.1 of words are in the 2000 most common words
    48.2 of words are in the 5000 most common words
    53.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 05
    Total number of words is 4453
    Total number of unique words is 1569
    32.3 of words are in the 2000 most common words
    44.9 of words are in the 5000 most common words
    51.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 06
    Total number of words is 4512
    Total number of unique words is 1233
    35.1 of words are in the 2000 most common words
    47.6 of words are in the 5000 most common words
    53.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 07
    Total number of words is 4519
    Total number of unique words is 1498
    33.5 of words are in the 2000 most common words
    46.3 of words are in the 5000 most common words
    51.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 08
    Total number of words is 4554
    Total number of unique words is 1818
    30.6 of words are in the 2000 most common words
    40.6 of words are in the 5000 most common words
    45.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 09
    Total number of words is 4590
    Total number of unique words is 1683
    36.3 of words are in the 2000 most common words
    48.5 of words are in the 5000 most common words
    54.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 10
    Total number of words is 4461
    Total number of unique words is 1580
    35.8 of words are in the 2000 most common words
    48.4 of words are in the 5000 most common words
    52.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 11
    Total number of words is 4450
    Total number of unique words is 1593
    33.0 of words are in the 2000 most common words
    45.4 of words are in the 5000 most common words
    51.0 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 12
    Total number of words is 4514
    Total number of unique words is 1570
    30.8 of words are in the 2000 most common words
    44.5 of words are in the 5000 most common words
    50.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 13
    Total number of words is 4482
    Total number of unique words is 1648
    32.1 of words are in the 2000 most common words
    45.6 of words are in the 5000 most common words
    52.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 14
    Total number of words is 4453
    Total number of unique words is 1579
    32.9 of words are in the 2000 most common words
    44.5 of words are in the 5000 most common words
    49.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Histoires grotesques et sérieuses - 15
    Total number of words is 2752
    Total number of unique words is 972
    37.3 of words are in the 2000 most common words
    47.0 of words are in the 5000 most common words
    52.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.