Histoires extraordinaires - 19

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loi générale du magnétisme, et qui en sont les traits principaux.
Je n'infligerai donc pas aujourd'hui à mes lecteurs une démonstration
aussi parfaitement oiseuse. Mon dessein, quant à présent, est en vérité
d'une tout autre nature. Je sens le besoin, en dépit de tout un monde de
préjugés, de raconter, sans commentaires, mais dans tous ses détails, un
très-remarquable dialogue qui eut lieu entre un somnambule et moi.
J'avais depuis longtemps l'habitude de magnétiser la personne en
question, M. Vankirk, et la _susceptibilité_ vive, l'exaltation du sens
magnétique s'étaient déjà manifestées. Pendant plusieurs mois, M.
Vankirk avait beaucoup souffert d'une phtisie avancée, dont les effets
les plus cruels avaient été diminués par mes passes, et, dans la nuit du
mercredi, 15 courant, je fus appelé à son chevet.
Le malade souffrait des douleurs vives dans la région du cœur et
respirait avec une grande difficulté, ayant tous les symptômes
ordinaires d'un asthme. Dans des spasmes semblables, il avait
généralement trouvé du soulagement dans des applications de moutarde aux
centres nerveux; mais ce soir-là, il y avait eu recours en vain.
Quand j'entrai dans sa chambre, il me salua d'un gracieux sourire, et,
quoiqu'il fût en proie à des douleurs physiques aiguës, il me parut
absolument calme quant au moral.
—Je vous ai envoyé chercher cette nuit, dit-il, non pas tant pour
m'administrer un soulagement physique que pour me satisfaire
relativement à de certaines impressions psychiques qui m'ont récemment
causé beaucoup d'anxiété et de surprise. Je n'ai pas besoin de vous dire
combien j'ai été sceptique jusqu'à présent sur le sujet de l'immortalité
de l'âme. Je ne puis pas vous nier que, dans cette âme que j'allais
niant, a toujours existé comme un demi-sentiment assez vague de sa
propre existence. Mais ce demi-sentiment ne s'est jamais élevé à l'état
de conviction. De tout cela ma raison n'avait rien à faire. Tous mes
efforts pour établir là-dessus une enquête logique n'ont abouti qu'à me
laisser plus sceptique qu'auparavant. Je me suis avisé d'étudier Cousin;
je l'ai étudié dans ses propres ouvrages aussi bien que dans ses échos
européens et américains. J'ai eu entre les mains, par exemple, le
_Charles Elwood_ de Brownson[36]. Je l'ai lu avec une profonde
attention. Je l'ai trouvé logique d'un bout à l'autre; mais les portions
qui ne sont pas de la pure logique sont malheureusement les arguments
primordiaux du héros incrédule du livre. Dans son résumé, il me parut
évident que le raisonneur n'avait pas même réussi à se convaincre
lui-même. La fin du livre a visiblement oublié le commencement, comme
Trinculo son gouvernement[37]. Bref, je ne fus pas longtemps à
m'apercevoir que, si l'homme doit être intellectuellement convaincu de
sa propre immortalité, il ne le sera jamais par les pures abstractions
qui ont été si longtemps la manie des moralistes anglais, français et
allemands. Les abstractions peuvent être un amusement et une
gymnastique, mais elles ne prennent pas possession de l'esprit. Tant que
nous serons sur cette terre, la philosophie, j'en suis persuadé, nous
sommera toujours en vain de considérer les qualités comme des êtres. La
volonté peut consentir,—mais l'âme,—mais l'intellect, jamais.
«Je répète donc que j'ai seulement senti à moitié, et que je n'ai jamais
cru intellectuellement. Mais, dernièrement, il y eut en moi un certain
renforcement de sentiment, qui prit une intensité assez grande pour
ressembler à un acquiescement de la raison, au point que je trouve fort
difficile de distinguer entre les deux. Je crois avoir le droit
d'attribuer simplement cet effet à l'influence magnétique. Je ne saurais
expliquer ma pensée que par une hypothèse, à savoir que l'exaltation
magnétique me rend apte à concevoir un système de raisonnement qui dans
mon existence anormale me convainc, mais qui, par une complète analogie
avec le phénomène magnétique, ne s'étend pas, excepté par son effet,
jusqu'à mon existence normale. Dans l'état somnambulique, il y a
simultanéité et contemporanéité entre le raisonnement et la conclusion,
entre la cause et son effet. Dans mon état naturel, la cause
s'évanouissant, l'effet seul subsiste, et encore peut-être fort
affaibli.
«Ces considérations m'ont induit à penser que l'on pourrait tirer
quelques bons résultats d'une série de questions bien dirigées,
proposées à mon intelligence dans l'état magnétique. Vous avez souvent
observé la profonde connaissance de soi-même manifestée par le
somnambule et la vaste science qu'il déploie sur tous les points
relatifs à l'état magnétique. De cette connaissance de soi-même on
pourrait tirer des instructions suffisantes pour la rédaction
rationnelle d'un catéchisme.»
Naturellement, je consentis à faire cette expérience. Quelques passes
plongèrent M. Vankirk dans le sommeil magnétique. Sa respiration devint
immédiatement plus aisée, et il ne parut plus souffrir aucun malaise
physique. La conversation suivante s'engagea.—_V_ dans le dialogue
représentera le somnambule, et _P_, ce sera moi.
_P._ Êtes-vous endormi?
_V._ Oui,—non. Je voudrais bien dormir plus profondément.
_P._ _(après quelques nouvelles passes)_. Dormez-vous bien maintenant?
_V._ Oui.
_P._ Comment supposez-vous que finira votre maladie actuelle?
_V._ _(après une longue hésitation et parlant comme avec effort)_. J'en
mourrai.
_P._ Cette idée de mort vous afflige-t-elle?
_V._ _(avec vivacité)_. Non, non!
_P._ Cette perspective vous réjouit-elle?
_V._ Si j'étais éveillé, j'aimerais mourir. Mais maintenant il n'y a pas
lieu de le désirer. L'état magnétique est assez près de la mort pour me
contenter.
_P._ Je voudrais bien une explication un peu plus nette, monsieur
Vankirk.
_V._ Je le voudrais bien aussi; mais cela demande plus d'effort que je
ne me sens capable d'en faire. Vous ne me questionnez pas
convenablement.
_P._ Alors, que faut-il vous demander?
_V._ Il faut que vous commenciez par le commencement.
_P._ Le commencement! Mais où est-il, le commencement?
_V._ Vous savez bien que le commencement est DIEU. _(Ceci fut dit sur un
ton bas, ondoyant, et avec tous les signes de la plus profonde
vénération.)_
_P._ Qu'est-ce que Dieu?
_V._ _(hésitant quelques minutes)_. Je ne puis pas le dire.
_P._ Dieu n'est-il pas un esprit?
_V._ Quand j'étais éveillé, je savais ce que vous entendiez par esprit.
Mais maintenant, cela ne me semble plus qu'un mot,—tel, par exemple,
que vérité, beauté,—une qualité enfin.
_P._ Dieu n'est-il pas immatériel?
_V._ Il n'y a pas d'immatérialité;—c'est un simple mot. Ce qui n'est
pas matière n'est pas,—à moins que les qualités ne soient des êtres.
_P._ Dieu est-il donc matériel?
_V._ Non. _(Cette réponse m'abasourdit.)_
_P._ Alors, qu'est-il?
_V._ _(après une longue pause, et en marmottant)_. Je le vois,—je le
vois,—mais c'est une chose très-difficile à dire. _(Autre pause
également longue.)_ Il n'est pas esprit, car il existe. Il n'est pas non
plus matière, _comme vous l'entendez_. Mais il y a des _gradations_ de
matière dont l'homme n'a aucune connaissance, la plus dense entraînant
la plus subtile, la plus subtile pénétrant la plus dense. L'atmosphère,
par exemple, met en mouvement le principe électrique, pendant que le
principe électrique pénètre l'atmosphère. Ces _gradations_ de matière
augmentent en raréfaction et en subtilité jusqu'à ce que nous arrivions
à une matière _imparticulée_,—sans molécules—indivisible,—_une_; et
ici la loi d'impulsion et de pénétration est modifiée. La matière
suprême ou _imparticulée_ non seulement pénètre les êtres, mais met tous
les êtres en mouvement—et ainsi elle _est_ tous les êtres en un, qui
est elle-même. Cette matière est Dieu. Ce que les hommes cherchent à
personnifier dans le mot _pensée_, c'est la matière en mouvement.
_P._ Les métaphysiciens maintiennent que toute action se réduit à
mouvement et pensée, et que celle-ci est l'origine de celui-là.
_V._ Oui; je vois maintenant la confusion d'idées. Le mouvement est
l'action de l'esprit, non de la pensée. La matière imparticulée, ou
Dieu, à l'état de repos, est, autant que nous pouvons le concevoir, ce
que les hommes appellent esprit. Et cette faculté
d'automouvement—équivalente en effet à la volonté humaine—est dans la
matière imparticulée le résultat de son unité et de son omnipotence;
comment, je ne le sais pas, et maintenant je vois clairement que je ne
le saurai jamais; mais la matière imparticulée, mise en mouvement par
une loi ou une qualité contenue en elle, est pensante.
_P._ Ne pouvez-vous pas me donner une idée plus précise de ce que vous
entendez par matière imparticulée?
_V._ Les matières dont l'homme a connaissance échappent aux sens, à
mesure que l'on monte l'échelle. Nous avons, par exemple, un métal, un
morceau de bois, une goutte d'eau, l'atmosphère, un gaz, le calorique,
l'électricité, l'éther lumineux. Maintenant, nous appelons toutes ces
choses matière, et nous embrassons toute matière dans une définition
générale; mais, en dépit de tout ceci, il n'y a pas deux idées plus
essentiellement distinctes que celle que nous attachons au métal et
celle que nous attachons à l'éther lumineux. Si nous prenons ce dernier,
nous sentons une presque irrésistible tentation de le classer avec
l'esprit ou avec le néant. La seule considération qui nous retient est
notre conception de sa constitution atomique. Et encore ici même,
avons-nous besoin d'appeler à notre aide et de nous remémorer notre
notion primitive de l'atome, c'est-à-dire de quelque chose possédant
dans une infinie exiguïté la solidité, la tangibilité, la pesanteur.
Supprimons l'idée de la constitution atomique, et il nous sera
impossible de considérer l'éther comme une entité, ou au moins comme une
matière. Faute d'un meilleur mot, nous pourrions l'appeler esprit.
Maintenant, montons d'un degré au delà de l'éther lumineux, concevons
une matière qui soit à l'éther, quant à la raréfaction, ce que l'éther
est au métal, et nous arrivons enfin, en dépit de tous les dogmes de
l'école, à une masse unique,—à une matière imparticulée. Car, bien que
nous puissions admettre une infinie petitesse dans les atomes eux-mêmes,
supposer une infinie petitesse dans les espaces qui les séparent est une
absurdité. Il y aura un point,—il y aura un degré de raréfaction, où,
si les atomes sont en nombre suffisant, les espaces s'évanouiront, et où
la masse sera absolument une. Mais la considération de la constitution
atomique étant maintenant mise de côté, la nature de cette masse glisse
inévitablement dans notre conception de l'esprit. Il est clair,
toutefois, qu'elle est tout aussi _matière_ qu'auparavant. Le vrai est
qu'il est aussi impossible de concevoir l'esprit que d'imaginer ce qui
n'est pas. Quand nous nous flattons d'avoir enfin trouvé cette
conception, nous avons simplement donné le change à notre intelligence
par la considération de la matière infiniment raréfiée.
_P._ Il me semble qu'il y a une insurmontable objection à cette idée de
cohésion absolue,—et c'est la très-faible résistance subie par les
corps célestes dans leurs révolutions à travers l'espace,—résistance
qui existe à un degré quelconque, cela est aujourd'hui démontré,—mais à
un degré si faible qu'elle a échappé à la sagacité de Newton lui-même.
Nous savons que la résistance des corps est surtout en raison de leur
densité. L'absolue cohésion est l'absolue densité; là où il n'y a pas
d'intervalles, il ne peut pas y avoir de passage. Un éther absolument
dense constituerait un obstacle plus efficace à la marche d'une planète
qu'un éther de diamant ou de fer.
_V._ Vous m'avez fait cette objection avec une aisance qui est à peu
près en raison de son apparente irréfutabilité.—Une étoile marche;
qu'importe que l'étoile passe à travers l'éther ou l'éther à travers
elle? Il n'y a pas d'erreur astronomique plus inexplicable que celle qui
concilie le retard connu des comètes avec l'idée de leur passage à
travers l'éther; car, quelque raréfié qu'on suppose l'éther, il fera
toujours obstacle à toute révolution sidérale, dans une période
singulièrement plus courte que ne l'ont admis tous ces astronomes qui se
sont appliqués à glisser sournoisement sur un point qu'ils jugeaient
insoluble. Le retard réel est d'ailleurs à peu près égal à celui qui
peut résulter du frottement de l'éther dans son passage incessant à
travers l'astre. La force de retard est donc double, d'abord momentanée
et complète en elle-même, et en second lieu infiniment croissante.
_P._ Mais dans tout cela,—dans cette identification de la pure matière
avec Dieu, n'y a-t-il rien d'irrespectueux? _(Je fus forcé de répéter
cette question pour que le somnambule pût complètement saisir ma
pensée.)_
_V._ Pouvez-vous dire pourquoi la matière est moins respectée que
l'esprit? Mais vous oubliez que la matière dont je parle est, à tous
égards et surtout relativement à ses hautes propriétés, la véritable
_intelligence_ ou _esprit_ des écoles et en même temps la _matière_ de
ces mêmes écoles. Dieu, avec tous les pouvoirs attribués à l'esprit,
n'est que la perfection de la matière.
_P._ Vous affirmez donc que la matière imparticulée en mouvement est
pensée?
_V._ En général, ce mouvement est la pensée universelle de l'esprit
universel. Cette pensée crée. Toutes les choses créées ne sont que les
pensées de Dieu.
_P._ Vous dites: en général.
_V._ Oui, l'esprit universel est Dieu; pour les nouvelles
individualités, la _matière_ est nécessaire.
_P._ Mais vous parlez maintenant d'esprit et de matière comme les
métaphysiciens.
_V._ Oui, pour éviter la confusion. Quand je dis esprit, j'entends la
matière imparticulée ou suprême; sous le nom de matière, je comprends
toutes les autres espèces.
_P._ Vous disiez: pour les nouvelles individualités, la matière est
nécessaire.
_V._ Oui, car l'esprit existant incorporellement, c'est Dieu. Pour créer
des êtres individuels pensants, il était nécessaire d'incarner des
portions de l'esprit divin. C'est ainsi que l'homme est individualisé;
dépouillé du vêtement corporel, il serait Dieu. Maintenant, le mouvement
spécial des portions incarnées de la matière imparticulée, c'est la
pensée de l'homme, comme le mouvement de l'ensemble est celle de Dieu.
_P._ Vous dites que, dépouillé de son corps, l'homme sera Dieu?
_V._ _(après quelque hésitation)_. Je n'ai pas pu dire cela, c'est une
absurdité.
_P._ _(consultant ses notes)_. Vous avez affirmé que, dépouillé du
vêtement corporel, l'homme serait Dieu.
_V._ Et cela est vrai. L'homme ainsi dégagé serait Dieu, il serait
désindividualisé; mais il ne peut être ainsi dépouillé,—du moins il ne
le sera jamais;—autrement, il nous faudrait concevoir une action de
Dieu revenant sur elle-même, une action futile et sans but. L'homme est
une créature; les créatures sont les pensées de Dieu, et c'est la nature
d'une pensée d'être irrévocable.
_P._ Je ne comprends pas. Vous dites que l'homme ne pourra jamais
rejeter son corps.
_V._ Je dis qu'il ne sera jamais sans corps.
_P._ Expliquez-vous.
_V._ Il y a deux corps: le rudimentaire et le complet, correspondant aux
deux conditions de la chenille et du papillon. Ce que nous appelons mort
n'est que la métamorphose douloureuse; notre incarnation actuelle est
progressive, préparatoire, temporaire; notre incarnation future est
parfaite, finale, immortelle. La vie finale est le but suprême.
_P._ Mais nous avons une notion palpable de la métamorphose de la
chenille.
_V._ Nous, certainement, mais non la chenille. La matière dont notre
corps rudimentaire est composé est à la portée des organes de ce même
corps, ou, plus distinctement, nos organes rudimentaires sont appropriés
à la matière dont est fait le corps rudimentaire, mais non à celle dont
le corps suprême est composé. Le corps ultérieur ou suprême échappe donc
à nos sens rudimentaires, et nous percevons seulement la coquille qui
tombe en dépérissant et se détache de la forme intérieure, et non la
forme intime elle-même; mais cette forme intérieure, aussi bien que la
coquille, est appréciable pour ceux qui ont déjà opéré la conquête de la
vie ultérieure.
_P._ Vous avez dit souvent que l'état magnétique ressemblait
singulièrement à la mort. Comment cela?
_V._ Quand je dis qu'il ressemble à la mort, j'entends qu'il ressemble à
la vie ultérieure, car, lorsque je suis magnétisé, les sens de ma vie
rudimentaire sont en vacance, et je perçois les choses extérieures
directement, sans organes, par un agent qui sera à mon service dans la
vie ultérieure ou inorganique.
_P._ Inorganique?
_V._ Oui. Les organes sont des mécanismes par lesquels l'individu est
mis en rapport sensible avec certaines catégories et formes de la
matière, à l'exclusion des autres catégories et des autres formes. Les
organes de l'homme sont appropriés à sa condition rudimentaire, et à
elle seule. Sa condition ultérieure, étant inorganique, est propre à une
compréhension infinie de toutes choses, une seule exceptée,—qui est la
nature de la volonté de Dieu, c'est-à-dire le mouvement de la matière
imparticulée. Vous aurez une idée distincte du corps définitif en le
concevant tout cervelle; il n'est pas cela, mais une conception de cette
nature vous rapprochera de l'idée de sa constitution réelle. Un corps
lumineux communique une vibration à l'éther chargé de transmettre la
lumière; cette vibration en engendre de semblables dans la rétine,
lesquelles en communiquent de semblables au nerf optique; le nerf les
traduit au cerveau, et le cerveau à la matière imparticulée qui le
pénètre; le mouvement de cette dernière est la pensée, et sa première
vibration, c'était la perception. Tel est le mode par lequel l'esprit de
la vie rudimentaire communique avec le monde extérieur, et ce monde
extérieur est, dans la vie rudimentaire, limité par l'idiosyncrasie des
organes. Mais, dans la vie ultérieure, inorganique, le monde extérieur
communique avec le corps entier,—qui est d'une substance ayant quelque
affinité avec le cerveau, comme je vous l'ai dit,—sans autre
intervention que celle d'un éther infiniment plus subtil que l'éther
lumineux; et le corps tout entier vibre à l'unisson avec cet éther et
met en mouvement la matière imparticulée dont il est pénétré. C'est donc
à l'absence d'organes idiosyncrasiques qu'il faut attribuer la
perception quasi illimitée de la vie ultérieure. Les organes sont des
cages nécessaires où sont enfermés les êtres rudimentaires jusqu'à ce
qu'ils soient garnis de toutes leurs plumes.
_P._ Vous parlez d'êtres rudimentaires, y a-t-il d'autres êtres
rudimentaires pensants que l'homme?
_V._ L'incalculable agglomération de matière subtile dans les
nébuleuses, les planètes, les soleils et autres corps qui ne sont ni
nébuleuses, ni soleils, ni planètes a pour unique destination de servir
d'aliment aux organes idiosyncrasiques d'une infinité d'êtres
rudimentaires; mais, sans cette nécessité de la vie rudimentaire,
acheminement à la vie définitive, de pareils mondes n'auraient pas
existé; chacun de ces mondes est occupé par une variété distincte de
créatures organiques, rudimentaires, pensantes; dans toutes, les organes
varient avec les caractères généraux de l'habitacle. À la mort ou
métamorphose, ces créatures, jouissant de la vie ultérieure, de
l'immortalité, et connaissant tous les secrets, excepté l'_unique_,
opèrent tous leurs actes et se meuvent dans tous les sens par un pur
effet de leur volonté; elles habitent non plus les étoiles qui nous
paraissent les seuls mondes palpables et pour la commodité desquelles
nous croyons stupidement que l'espace a été créé, mais l'espace
lui-même, cet infini dont l'immensité véritablement substantielle
absorbe les étoiles comme des ombres et pour l'œil des anges les efface
comme des non-entités.
_P._ Vous dites que, sans la _nécessité_ de la vie rudimentaire, les
astres n'auraient pas été créés. Mais pourquoi cette nécessité?
_V._ Dans la vie inorganique, aussi bien que généralement dans la
matière inorganique, il n'y a rien qui puisse contredire l'action d'une
loi simple, unique, qui est la Volition divine. La vie et la matière
organiques,—complexes, substantielles et gouvernées par une loi
multiple,—ont été constituées dans le but de créer un empêchement.
_P._ Mais encore,—où était la nécessité de créer cet empêchement?
_V._ Le résultat de la loi inviolée est perfection, justice, bonheur
négatif. Le résultat de la loi violée est imperfection, injustice,
douleur positive. Grâce aux empêchements apportés par le nombre, la
complexité ou la substantialité des lois de la vie et de la matière
organiques, la violation de la loi devient jusqu'à un certain point
praticable. Ainsi la douleur, qui est impossible dans la vie
inorganique, est possible dans l'organique.
_P._ Mais en vue de quel résultat satisfaisant la possibilité de la
douleur a-t-elle été créée?
_V._ Toutes choses sont bonnes ou mauvaises par comparaison. Une
suffisante analyse démontrera que le plaisir, dans tous les cas, n'est
que le contraste de la peine. Le plaisir positif est une pure idée. Pour
être heureux jusqu'à un certain point, il faut que nous ayons souffert
jusqu'au même point. Ne jamais souffrir serait équivalent à n'avoir
jamais été heureux. Mais il est démontré que dans la vie inorganique la
peine ne peut pas exister; de là la nécessité de la peine dans la vie
organique. La douleur de la vie primitive sur la terre est la seule
base, la seule garantie du bonheur dans la vie ultérieure, dans le ciel.
_P._ Mais encore il y a une de vos expressions que je ne puis absolument
pas comprendre: l'immensité véritablement _substantielle_ de l'infini.
_V._ C'est probablement parce que vous n'avez pas une notion
suffisamment générique de l'expression _substance_ elle-même. Nous ne
devons pas la considérer comme une qualité, mais comme un sentiment;
c'est la perception, dans les êtres pensants, de l'appropriation de la
matière à leur organisation. Il y a bien des choses sur la Terre qui
seraient néant pour les habitants de Vénus, bien des choses visibles et
tangibles dans Vénus, dont nous sommes incompétents à apprécier
l'existence. Mais, pour les êtres inorganiques,—pour les anges,—la
totalité de la matière imparticulée est substance, c'est-à-dire que,
pour eux, la totalité de ce que nous appelons espace est la plus
véritable substantialité. Cependant, les astres, pris au point de vue
matériel, échappent au sens angélique dans la même proportion que la
matière imparticulée, prise au point de vue immatériel, échappe aux sens
organiques.
Comme le somnambule, d'une voix faible, prononçait ces derniers mots,
j'observai dans sa physionomie une singulière expression qui m'alarma un
peu et me décida à le réveiller immédiatement. Je ne l'eus pas plus tôt
fait qu'il tomba en arrière sur son oreiller et expira, avec un brillant
sourire qui illuminait tous ses traits. Je remarquai que moins d'une
minute après son corps avait l'immuable rigidité de la pierre; son front
était d'un froid de glace, tel sans doute je l'eusse trouvé après une
longue pression de la main d'Azraël[38]. Le somnambule, pendant la
dernière partie de son discours, m'avait-il donc parlé du fond de la
région des ombres?


LES SOUVENIRS DE M. AUGUSTE BEDLOE

Vers la fin de l'année 1827, pendant que je demeurais près de
Charlottesville, dans la Virginie, je fis par hasard la connaissance de
M. Auguste Bedloe. Ce jeune gentleman était remarquable à tous égards et
excitait en moi une curiosité et un intérêt profonds. Je jugeai
impossible de me rendre compte de son être tant physique que moral. Je
ne pus obtenir sur sa famille aucun renseignement positif. D'où
venait-il? Je ne le sus jamais bien. Même relativement à son âge,
quoique je l'aie appelé un jeune gentleman, il y avait quelque chose qui
m'intriguait au suprême degré. Certainement il semblait jeune, et même
il affectait de parler de sa jeunesse; cependant, il y avait des moments
où je n'aurais guère hésité à le supposer âgé d'une centaine d'années.
Mais c'était surtout son extérieur qui avait un aspect tout à fait
particulier. Il était singulièrement grand et mince;—se voûtant
beaucoup;—les membres excessivement longs et émaciés;—le front large
et bas;—une complexion absolument exsangue;—sa bouche, large et
flexible, et ses dents, quoique saines, plus irrégulières que je n'en
vis jamais dans aucune bouche humaine. L'expression de son sourire,
toutefois, n'était nullement désagréable, comme on pourrait le supposer;
mais elle n'avait aucune espèce de nuance. C'était une profonde
mélancolie, une tristesse sans phases et sans intermittences. Ses yeux
étaient d'une largeur anormale et ronds comme ceux d'un chat. Les
pupilles elles-mêmes subissaient une contraction et une dilatation
proportionnelles à l'accroissement et à la diminution de la lumière,
exactement comme on l'a observé dans les races félines. Dans les moments
d'excitation, les prunelles devenaient brillantes à un degré presque
inconcevable et semblaient émettre des rayons lumineux d'un éclat non
réfléchi, mais intérieur, comme fait un flambeau ou le soleil;
toutefois, dans leur condition habituelle, elles étaient tellement
ternes, inertes et nuageuses qu'elles faisaient penser aux yeux d'un
corps enterré depuis longtemps.
Ces particularités personnelles semblaient lui causer beaucoup d'ennui,
et il y faisait continuellement allusion dans un style semi-explicatif,
semi-justificatif qui, la première fois que je l'entendis,
m'impressionna très-péniblement. Toutefois, je m'y accoutumai bientôt et
mon déplaisir se dissipa. Il semblait avoir l'intention d'insinuer,
plutôt que d'affirmer positivement, que physiquement il n'avait pas
toujours été ce qu'il était; qu'une longue série d'attaques névralgiques
l'avait réduit d'une condition de beauté personnelle non commune à celle
que je voyais. Depuis plusieurs années, il recevait les soins d'un
médecin nommé Templeton,—un vieux gentleman âgé de soixante-dix ans,
peut-être,—qu'il avait pour la première fois rencontré à Saratoga et
des soins duquel il tira dans ce temps, ou crut tirer, un grand secours.
Le résultat fut que Bedloe, qui était riche, fit un arrangement avec le
docteur Templeton, par lequel ce dernier, en échange d'une généreuse
rémunération annuelle, consentit à consacrer exclusivement son temps et
son expérience médicale à soulager le malade.
Le docteur Templeton avait voyagé dans les jours de sa jeunesse, et
était devenu à Paris un des sectaires les plus ardents des doctrines de
Mesmer. C'était uniquement par le moyen des remèdes magnétiques qu'il
avait réussi à soulager les douleurs aiguës de son malade; et ce succès
avait très-naturellement inspiré à ce dernier une certaine confiance
dans les opinions qui servaient de base à ces remèdes. D'ailleurs, le
docteur, comme tous les enthousiastes, avait travaillé de son mieux à
faire de son pupille un parfait prosélyte, et finalement il réussit si
bien qu'il décida le patient à se soumettre à de nombreuses expériences.
Fréquemment répétées, elles amenèrent un résultat qui, depuis longtemps,
est devenu assez commun pour n'attirer que peu ou point l'attention,
mais qui, à l'époque dont je parle, s'était très-rarement manifesté en
Amérique. Je veux dire qu'entre le docteur Templeton et Bedloe s'était
établi peu à peu un rapport magnétique très-distinct et très-fortement
accentué. Je n'ai pas toutefois l'intention d'affirmer que ce rapport
s'étendît au delà des limites de la puissance somnifère; mais cette
puissance elle-même avait atteint une grande intensité. À la première
tentative faite pour produire le sommeil magnétique, le disciple de
Mesmer échoua complètement. À la cinquième ou sixième, il ne réussit que
très-imparfaitement, et après des efforts opiniâtres. Ce fut seulement à
la douzième que le triomphe fut complet. Après celle-là, la volonté du
patient succomba rapidement sous celle du médecin, si bien que, lorsque
je fis pour la première fois leur connaissance, le sommeil arrivait
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