Histoires extraordinaires - 18

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la supériorité de vitesse dans la descente était pour la sphère la
troisième,—que, de deux masses d'un volume égal, l'une cylindrique et
l'autre de n'importe quelle autre forme, le cylindre était absorbé le
plus lentement.
«Depuis ma délivrance, j'ai eu à ce sujet quelques conversations avec un
vieux maître d'école du district; et c'est de lui que j'ai appris
l'usage des mots cylindre et sphère. Il m'a expliqué—mais j'ai oublié
l'explication—que ce que j'avais observé était la conséquence naturelle
de la forme des débris flottants, et il m'a démontré comment un
cylindre, tournant dans un tourbillon, présentait plus de résistance à
sa succion et était attiré avec plus de difficulté qu'un corps d'une
autre forme quelconque et d'un volume égal[33].
«Il y avait une circonstance saisissante qui donnait une grande force à
ces observations, et me rendait anxieux de les vérifier: c'était qu'à
chaque révolution nous passions devant un baril ou devant une vergue ou
un mât de navire, et que la plupart de ces objets, nageant à notre
niveau quand j'avais ouvert les yeux pour la première fois sur les
merveilles du tourbillon, étaient maintenant situés bien au-dessus de
nous et semblaient n'avoir guère bougé de leur position première.
«Je n'hésitai pas plus longtemps sur ce que j'avais à faire. Je résolus
de m'attacher avec confiance à la barrique que je tenais toujours
embrassée, de larguer le câble qui la retenait à la cage, et de me jeter
avec elle à la mer. Je m'efforçai d'attirer par signes l'attention de
mon frère sur les barils flottants auprès desquels nous passions, et je
fis tout ce qui était en mon pouvoir pour lui faire comprendre ce que
j'allais tenter. Je crus à la longue qu'il avait deviné mon dessein
mais, qu'il l'eût ou ne l'eût pas saisi, il secoua la tête avec
désespoir et refusa de quitter sa place près du boulon. Il m'était
impossible de m'emparer de lui; la conjoncture ne permettait pas de
délai. Ainsi, avec une amère angoisse, je l'abandonnai à sa destinée; je
m'attachai moi-même à la barrique avec le câble qui l'amarrait à
l'échauguette, et, sans hésiter un moment de plus, je me précipitai avec
elle dans la mer.
«Le résultat fut précisément ce que j'espérais. Comme c'est moi-même qui
vous raconte cette histoire,—comme vous voyez que j'ai échappé,—et
comme vous connaissez déjà le mode de salut que j'employai et pouvez dès
lors prévoir tout ce que j'aurais de plus à vous dire, j'abrégerai mon
récit et j'irai droit à la conclusion.
«Il s'était écoulé une heure environ depuis que j'avais quitté le bord
du semaque, quand, étant descendu à une vaste distance au-dessous de
moi, il fit coup sur coup trois ou quatre tours précipités, et,
emportant mon frère bien-aimé, piqua de l'avant décidément et pour
toujours, dans le chaos d'écume. Le baril auquel j'étais attaché nageait
presque à moitié chemin de la distance qui séparait le fond du gouffre
de l'endroit où je m'étais précipité par dessus bord, quand un grand
changement eut lieu dans le caractère du tourbillon. La pente des parois
du vaste entonnoir se fit de moins en moins escarpée. Les évolutions du
tourbillon devinrent graduellement de moins en moins rapides. Peu à peu
l'écume et l'arc-en-ciel disparurent, et le fond du gouffre sembla
s'élever lentement.
«Le ciel était clair, le vent était tombé, et la pleine lune se couchait
radieusement à l'ouest, quand je me retrouvai à la surface de l'Océan,
juste en vue de la côte de Lofoden, et au-dessus de l'endroit où était
_naguère_ le tourbillon du Moskoe-Strom. C'était l'heure de
l'accalmie,—mais la mer se soulevait toujours en vagues énormes par
suite de la tempête. Je fus porté violemment dans le canal du Strom et
jeté en quelques minutes à la côte, parmi les pêcheries. Un bateau me
repêcha,—épuisé de fatigue;—et, maintenant que le danger avait
disparu, le souvenir de ces horreurs m'avait rendu muet. Ceux qui me
tirèrent à bord étaient mes vieux camarades de mer et mes compagnons de
chaque jour,—mais ils ne me reconnaissaient pas plus qu'ils n'auraient
reconnu un voyageur revenu du monde des esprits. Mes cheveux, qui la
veille étaient d'un noir de corbeau, étaient aussi blancs que vous les
voyez maintenant. Ils dirent aussi que toute l'expression de ma
physionomie était changée. Je leur contai mon histoire,—ils ne
voulurent pas y croire.—Je vous la raconte, à vous, maintenant, et
j'ose à peine espérer que vous y ajouterez plus de foi que les plaisants
pêcheurs de Lofoden.»


LA VÉRITÉ SUR LE CAS DE M. VALDEMAR

Que le cas extraordinaire de M. Valdemar ait excité une discussion, il
n'y a certes pas lieu de s'en étonner. C'eût été un miracle qu'il n'en
fût pas ainsi,—particulièrement dans de telles circonstances. Le désir
de toutes les parties intéressées à tenir l'affaire secrète, au moins
pour le présent ou en attendant l'opportunité d'une nouvelle
investigation, et nos efforts pour y réussir ont laissé place à un récit
tronqué ou exagéré qui s'est propagé dans le public, et qui, présentant
l'affaire sous les couleurs les plus désagréablement fausses, est
naturellement devenu la source d'un grand discrédit.
Il est maintenant devenu nécessaire que je donne les faits, autant du
moins que je les comprends moi-même. Succinctement les voici:
Mon attention, dans ces trois dernières années, avait été à plusieurs
reprises attirée vers le magnétisme; et, il y a environ neuf mois, cette
pensée frappa presque soudainement mon esprit que, dans la série des
expériences faites jusqu'à présent, il y avait une très-remarquable et
très-inexplicable lacune:—personne n'avait encore été magnétisé _in
articulo mortis_. Restait à savoir, d'abord si dans un pareil état
existait chez le patient une réceptibilité quelconque de l'influx
magnétique; en second lieu, si, dans le cas d'affirmative, elle était
atténuée ou augmentée par la circonstance; troisièmement, jusqu'à quel
point et pour combien de temps les empiétements de la mort pouvaient
être arrêtés par l'opération. Il y avait d'autres points à vérifier,
mais ceux-ci excitaient le plus ma curiosité,—particulièrement le
dernier, à cause du caractère immensément grave de ses conséquences.
En cherchant autour de moi un sujet au moyen duquel je pusse éclairer
ces points, je fus amené à jeter les yeux sur mon ami, M. Ernest
Valdemar, le compilateur bien connu de la _Bibliotheca forensica_, et
auteur (sous le pseudonyme d'Issachar Marx) des traductions polonaises
de _Wallenstein_ et de _Gargantua_. M. Valdemar, qui résidait
généralement à Harlem (New York) depuis l'année 1839, est ou était
particulièrement remarquable par l'excessive maigreur de sa
personne,—ses membres inférieurs ressemblant beaucoup à ceux de John
Randolph,—et aussi par la blancheur de ses favoris qui faisaient
contraste avec sa chevelure noire, que chacun prenait conséquemment pour
une perruque. Son tempérament était singulièrement nerveux et en faisait
un excellent sujet pour les expériences magnétiques. Dans deux ou trois
occasions, je l'avais amené à dormir sans grande difficulté; mais je fus
désappointé quant aux autres résultats que sa constitution particulière
m'avait naturellement fait espérer. Sa volonté n'était jamais
positivement ni entièrement soumise à mon influence, et relativement à
la _clairvoyance_ je ne réussis à faire avec lui rien sur quoi l'on pût
faire fond. J'avais toujours attribué mon insuccès sur ces points au
dérangement de sa santé. Quelques mois avant l'époque où je fis sa
connaissance, les médecins l'avaient déclaré atteint d'une phtisie bien
caractérisée. C'était à vrai dire sa coutume de parler de sa fin
prochaine avec beaucoup de sang-froid, comme d'une chose qui ne pouvait
être ni évitée ni regrettée.
Quand ces idées, que j'exprimais tout à l'heure, me vinrent pour la
première fois, il était très-naturel que je pensasse à M. Valdemar. Je
connaissais trop bien la solide philosophie de l'homme pour redouter
quelques scrupules de sa part, et il n'avait point de parents en
Amérique qui pussent plausiblement intervenir. Je lui parlai franchement
de la chose; et, à ma grande surprise, il parut y prendre un intérêt
très-vif. Je dis à ma grande surprise, car, quoiqu'il eût toujours
gracieusement livré sa personne à mes expériences, il n'avait jamais
témoigné de sympathie pour mes études. Sa maladie était de celles qui
admettent un calcul exact relativement à l'époque de leur _dénoûment_;
et il fut finalement convenu entre nous qu'il m'enverrait chercher
vingt-quatre heures avant le terme marqué par les médecins pour sa mort.
Il y a maintenant sept mois passés que je reçus de M. Valdemar le billet
suivant:
«Mon cher P...,
«Vous pouvez aussi bien venir _maintenant_. D... et F... s'accordent à
dire que je n'irai pas, demain, au delà de minuit; et je crois qu'ils
ont calculé juste, ou bien peu s'en faut.
«VALDEMAR.»
Je recevais ce billet une demi-heure après qu'il m'était écrit, et, en
quinze minutes au plus, j'étais dans la chambre du mourant. Je ne
l'avais pas vu depuis dix jours, et je fus effrayé de la terrible
altération que ce court intervalle avait produite en lui. Sa face était
d'une couleur de plomb; les yeux étaient entièrement éteints, et
l'amaigrissement était si remarquable que les pommettes avaient crevé la
peau. L'expectoration était excessive; le pouls à peine sensible. Il
conservait néanmoins d'une manière fort singulière toutes ses facultés
spirituelles et une certaine quantité de force physique. Il parlait
distinctement,—prenait sans aide quelques drogues palliatives,—et,
quand j'entrai dans la chambre, il était occupé à écrire quelques notes
sur un agenda. Il était soutenu dans son lit par des oreillers. Les
docteurs D... et F... lui donnaient leurs soins.
Après avoir serré la main de Valdemar, je pris ces messieurs à part et
j'obtins un compte rendu minutieux de l'état du malade. Le poumon gauche
était depuis dix-huit mois dans un état semi-osseux ou cartilagineux, et
conséquemment tout à fait impropre à toute fonction vitale. Le droit,
dans sa région supérieure, s'était aussi ossifié, sinon en totalité, du
moins partiellement, pendant que la partie inférieure n'était plus
qu'une masse de tubercules purulents, se pénétrant les uns les autres.
Il existait plusieurs perforations profondes, et en un certain point il
y avait adhérence permanente des côtes. Ces phénomènes du lobe droit
étaient de date comparativement récente. L'ossification avait marché
avec une rapidité très-insolite—un mois auparavant on n'en découvrait
encore aucun symptôme—et l'adhérence n'avait été remarquée que dans ces
trois derniers jours. Indépendamment de la phtisie, on soupçonnait un
anévrisme de l'aorte, mais sur ce point les symptômes d'ossification
rendaient impossible tout diagnostic exact. L'opinion des deux médecins
était que M. Valdemar mourrait le lendemain dimanche vers minuit. Nous
étions au samedi, et il était sept heures du soir.
En quittant le chevet du moribond pour causer avec moi, les docteurs
D... et F... lui avaient dit un suprême adieu. Ils n'avaient pas
l'intention de revenir; mais, à ma requête, ils consentirent à venir
voir le patient vers dix heures de la nuit.
Quand ils furent partis, je causai librement avec M. Valdemar de sa mort
prochaine, et plus particulièrement de l'expérience que nous nous étions
proposée. Il se montra toujours plein de bon vouloir; il témoigna même
un vif désir de cette expérience et me pressa de commencer tout de
suite. Deux domestiques, un homme et une femme, étaient là pour donner
leurs soins; mais je ne me sentis pas tout à fait libre de m'engager
dans une tâche d'une telle gravité sans autres témoignages plus
rassurants que ceux que pourraient produire ces gens-là en cas
d'accident soudain. Je renvoyais donc l'opération à huit heures, quand
l'arrivée d'un étudiant en médecine, avec lequel j'étais un peu lié, M.
Théodore L..., me tira définitivement d'embarras. Primitivement j'avais
résolu d'attendre les médecins; mais je fus induit à commencer tout de
suite, d'abord par les sollicitations de M. Valdemar, en second lieu par
la conviction que je n'avais pas un instant à perdre, car il s'en allait
évidemment.
M. L... fut assez bon pour accéder au désir que j'exprimai qu'il prît
des notes de tout ce qui surviendrait; et c'est d'après son
procès-verbal que je décalque pour ainsi dire mon récit. Quand je n'ai
pas condensé, j'ai copié mot pour mot.
Il était environ huit heures moins cinq, quand, prenant la main du
patient, je le priai de confirmer à M. L..., aussi distinctement qu'il
le pourrait, que c'était son formel désir, à lui Valdemar, que je fisse
une expérience magnétique sur lui, dans de telles conditions.
Il répliqua faiblement, mais très-distinctement: «Oui, je désire être
magnétisé»; ajoutant immédiatement après: «Je crains bien que vous
n'ayez différé trop longtemps.»
Pendant qu'il parlait, j'avais commencé les passes que j'avais déjà
reconnues les plus efficaces pour l'endormir. Il fut évidemment
influencé par le premier mouvement de ma main qui traversa son front;
mais, quoique je déployasse toute ma puissance, aucun autre effet
sensible ne se manifesta jusqu'à dix heures dix minutes, quand les
médecins D... et F... arrivèrent au rendez-vous. Je leur expliquai en
peu de mots mon dessein; et, comme ils n'y faisaient aucune objection,
disant que le patient était déjà dans sa période d'agonie, je continuai
sans hésitation, changeant toutefois les passes latérales en passes
longitudinales, et concentrant tout mon regard juste dans l'œil du
moribond.
Pendant ce temps, son pouls devint imperceptible, et sa respiration
obstruée et marquant un intervalle d'une demi-minute.
Cet état dura un quart d'heure, presque sans changement. À l'expiration
de cette période, néanmoins, un soupir naturel, quoique horriblement
profond, s'échappa du sein du moribond, et la respiration ronflante
cessa, c'est-à-dire que son ronflement ne fut plus sensible; les
intervalles n'étaient pas diminués. Les extrémités du patient étaient
d'un froid de glace.
À onze heures moins cinq minutes, j'aperçus des symptômes non équivoques
de l'influence magnétique. Le vacillement vitreux de l'œil s'était
changé en cette expression pénible de regard _en dedans_ qui ne se voit
jamais que dans les cas de somnambulisme et à laquelle il est impossible
de se méprendre; avec quelques passes latérales rapides, je fis palpiter
les paupières, comme quand le sommeil nous prend, et, en insistant un
peu, je les fermai tout à fait. Ce n'était pas assez pour moi, et je
continuai mes exercices vigoureusement et avec la plus intense
projection de volonté jusqu'à ce que j'eusse complètement paralysé les
membres du dormeur, après les avoir placés dans une position en
apparence commode. Les jambes étaient tout à fait allongées, les bras à
peu près étendus, et reposant sur le lit à une distance médiocre des
reins. La tête était très-légèrement élevée.
Quand j'eus fait tout cela, il était minuit sonné, et je priai ces
messieurs d'examiner la situation de M. Valdemar. Après quelques
expériences, ils reconnurent qu'il était dans un état de catalepsie[34]
magnétique extraordinairement parfaite. La curiosité des deux médecins
était grandement excitée. Le docteur D... résolut tout à coup de passer
toute la nuit auprès du patient, pendant que le docteur F... prit congé
de nous en promettant de revenir au petit jour; M. L... et les
gardes-malades restèrent.
Nous laissâmes M. Valdemar absolument tranquille jusqu'à trois heures du
matin; alors, je m'approchai de lui et le trouvai exactement dans le
même état que quand le docteur F... était parti,—c'est-à-dire qu'il
était étendu dans la même position; que le pouls était imperceptible, la
respiration douce, à peine sensible—excepté par l'application d'un
miroir aux lèvres, les yeux fermés naturellement, et les membres aussi
rigides et aussi froids que du marbre. Toutefois, l'apparence générale
n'était certainement pas celle de la mort.
En approchant de M. Valdemar, je fis une espèce de demi-effort pour
déterminer son bras droit à suivre le mien dans les mouvements que je
décrivais doucement çà et là au-dessus de sa personne. Autrefois, quand
j'avais tenté ces expériences avec le patient, elles n'avaient jamais
pleinement réussi, et assurément je n'espérais guère mieux réussir cette
fois; mais, à mon grand étonnement, son bras suivit très-doucement,
quoique les indiquant faiblement, toutes les directions que le mien lui
assigna. Je me déterminai à essayer quelques mots de conversation.
—Monsieur Valdemar, dis-je, dormez-vous?
Il ne répondit pas, mais j'aperçus un tremblement sur ses lèvres, et je
fus obligé de répéter ma question une seconde et une troisième fois. À
la troisième tout son être fut agité d'un léger frémissement; les
paupières se soulevèrent d'elles-mêmes comme pour dévoiler une ligne
blanche du globe; les lèvres remuèrent paresseusement et laissèrent
échapper ces mots dans un murmure à peine intelligible:
—Oui; je dors maintenant. Ne m'éveillez pas!...—Laissez-moi mourir
ainsi!
Je tâtai les membres et les trouvai toujours aussi rigides. Le bras
droit, comme tout à l'heure, obéissait à la direction de ma main. Je
questionnai de nouveau le somnambule.
—Vous sentez-vous toujours mal à la poitrine, monsieur Valdemar?
La réponse ne fut pas immédiate; elle fut encore moins accentuée que la
première:
—Mal?—non,—je meurs.
Je ne jugeai pas convenable de le tourmenter davantage pour le moment,
et il ne se dit, il ne se fit rien de nouveau jusqu'à l'arrivée du
docteur F..., qui précéda un peu le lever du soleil, et éprouva un
étonnement sans bornes en trouvant le patient encore vivant. Après avoir
tâté le pouls du somnambule et lui avoir appliqué un miroir sur les
lèvres, il me pria de lui parler encore.
—Monsieur Valdemar, dormez-vous toujours?
Comme précédemment, quelques minutes s'écoulèrent avant la réponse; et,
durant l'intervalle, le moribond sembla rallier toute son énergie pour
parler. À ma question répétée pour la quatrième fois, il répondit
très-faiblement, presque inintelligiblement:
—Oui, toujours;—je dors,—je meurs.
C'était alors l'opinion, ou plutôt le désir des médecins, qu'on permît à
M. Valdemar de rester sans être troublé dans cet état actuel de calme
apparent, jusqu'à ce que la mort survînt; et cela devait avoir lieu,—on
fut unanime là-dessus,—dans un délai de cinq minutes. Je résolus
cependant de lui parler encore une fois, et je répétai simplement ma
question précédente.
Pendant que je parlais, il se fit un changement marqué dans la
physionomie du somnambule. Les yeux roulèrent dans leurs orbites,
lentement découverts par les paupières qui remontaient; la peau prit un
ton général cadavéreux, ressemblant moins à du parchemin qu'à du papier
blanc; et les deux taches hectiques[35] circulaires, qui jusque-là
étaient vigoureusement fixées dans le centre de chaque joue,
s'_éteignirent_ tout d'un coup. Je me sers de cette expression, parce
que la soudaineté de leur disparition me fait penser à une bougie
soufflée plutôt qu'à toute autre chose. La lèvre supérieure, en même
temps, se tordit en remontant au dessus des dents que tout à l'heure
elle couvrait entièrement, pendant que la mâchoire inférieure tombait
avec une saccade qui put être entendue, laissant la bouche toute grande
ouverte, et découvrant en plein la langue noire et boursouflée. Je
présume que tous les témoins étaient familiarisés avec les horreurs d'un
lit de mort; mais l'aspect de M. Valdemar en ce moment était tellement
hideux, hideux au delà de toute conception, que ce fut une reculade
générale loin de la région du lit.
Je sens maintenant que je suis arrivé à un point de mon récit où le
lecteur révolté me refusera toute croyance. Cependant, mon devoir est de
continuer.
Il n'y avait plus dans M. Valdemar le plus faible symptôme de vitalité:
et, concluant qu'il était mort, nous le laissions aux soins des
gardes-malades, quand un fort mouvement de vibration se manifesta dans
la langue. Cela dura pendant une minute peut-être. À l'expiration de
cette période, des mâchoires distendues et immobiles jaillit une
voix,—une voix telle que ce serait folie d'essayer de la décrire. Il y
a cependant deux ou trois épithètes qui pourraient lui être appliquées
comme des à-peu-près: ainsi, je puis dire que le son était âpre,
déchiré, caverneux; mais le hideux total n'est pas définissable, par la
raison que de pareils sons n'ont jamais hurlé dans l'oreille de
l'humanité. Il y avait cependant deux particularités qui—je le pensai
alors, et je le pense encore,—peuvent être justement prises comme
caractéristiques de l'intonation, et qui sont propres à donner quelque
idée de son étrangeté extra-terrestre. En premier lieu, la voix semblait
parvenir à nos oreilles,—aux miennes du moins,—comme d'une très
lointaine distance ou de quelque abîme souterrain. En second lieu, elle
m'impressionna (je crains, en vérité, qu'il me soit impossible de me
faire comprendre) de la même manière que les matières glutineuses ou
gélatineuses affectent le sens de toucher.
J'ai parlé à la fois de son et de voix. Je veux dire que le son était
d'une syllabisation distincte, et même terriblement, effroyablement
distincte. M. Valdemar _parlait_, évidemment pour répondre à la question
que je lui avais adressée quelques minutes auparavant. Je lui avais
demandé, on s'en souvient, s'il dormait toujours. Il disait maintenant:
—Oui,—non,—_j'ai dormi_,—et maintenant,—maintenant, _je suis mort_.
Aucune des personnes présentes n'essaya de nier ni même de réprimer
l'indescriptible, la frissonnante horreur que ces quelques mots ainsi
prononcés étaient si bien faits pour créer. M. L..., l'étudiant,
s'évanouit. Les gardes-malades s'enfuirent immédiatement de la chambre,
et il fut impossible de les y ramener. Quant à mes propres impressions,
je ne prétends pas les rendre intelligibles pour le lecteur. Pendant
près d'une heure, nous nous occupâmes en silence (pas un mot ne fut
prononcé) à rappeler M. L... à la vie. Quand il fut revenu à lui, nous
reprîmes nos investigations sur l'état de M. Valdemar.
Il était resté à tous égards tel que je l'ai décrit en dernier lieu, à
l'exception que le miroir ne donnait plus aucun vestige de respiration.
Une tentative de saignée au bras resta sans succès. Je dois mentionner
aussi que ce membre n'était plus soumis à ma volonté. Je m'efforçai en
vain de lui faire suivre la direction de ma main. La seule indication
réelle de l'influence magnétique se manifestait maintenant dans le
mouvement vibratoire de la langue. Chaque fois que j'adressais une
question à M. Valdemar, il semblait qu'il fit un effort pour répondre,
mais que sa volition ne fût pas suffisamment durable. Aux questions
faites par une autre personne que moi il paraissait absolument
insensible,—quoique j'eusse tenté de mettre chaque membre de la société
en rapport magnétique avec lui. Je crois que j'ai maintenant relaté tout
ce qui est nécessaire pour faire comprendre l'état du somnambule dans
cette période. Nous nous procurâmes d'autres infirmiers, et, à dix
heures, je sortis de la maison, en compagnie des deux médecins et de M.
L...
Dans l'après-midi, nous revînmes tous voir le patient. Son état était
absolument le même. Nous eûmes alors une discussion sur l'opportunité et
la possibilité de l'éveiller; mais nous fûmes bientôt d'accord en ceci
qu'il n'en pouvait résulter aucune utilité. Il était évident que
jusque-là, la mort, ou ce que l'on définit habituellement par le mot
_mort_, avait été arrêtée par l'opération magnétique. Il nous semblait
clair à tous qu'éveiller M. Valdemar c'eût été simplement assurer sa
minute suprême, ou au moins accélérer sa désorganisation.
Depuis lors, jusqu'à la fin de la semaine dernière,—_un intervalle de
sept mois à peu près_,—nous nous réunîmes journellement dans la maison
de M. Valdemar, accompagnés de médecins et d'autres amis. Pendant tout
ce temps, le somnambule resta _exactement_ tel que je l'ai décrit. La
surveillance des infirmiers était continuelle.
Ce fut vendredi dernier que nous résolûmes finalement de faire
l'expérience du réveil, ou du moins d'essayer de l'éveiller; et c'est le
résultat, déplorable peut-être, de cette dernière tentative, qui a donné
naissance à tant de discussions dans les cercles privés, à tant de
bruits dans lesquels je ne puis m'empêcher de voir le résultat d'une
crédulité populaire injustifiable.
Pour arracher M. Valdemar à la catalepsie magnétique, je fis usage des
passes accoutumées. Pendant quelque temps, elles furent sans résultat.
Le premier symptôme de retour à la vie fut un abaissement partiel de
l'iris. Nous observâmes comme un fait très-remarquable que cette
descente de l'iris était accompagnée de flux très-abondant d'une liqueur
jaunâtre (de dessous les paupières) d'une odeur âcre et fortement
désagréable.
On me suggéra alors d'essayer d'influencer le bras du patient, comme par
le passé. J'essayai, je ne pus. Le docteur F... exprima le désir que je
lui adressasse une question. Je le fis de la manière suivante:
—Monsieur Valdemar, pouvez-vous nous expliquer quels sont maintenant
vos sensations ou vos désirs?
Il y eut un retour immédiat des cercles hectiques sur les joues; la
langue trembla ou plutôt roula violemment dans la bouche (quoique les
mâchoires et les lèvres demeurassent toujours immobiles), et à la longue
la même horrible voix que j'ai décrite fit éruption:
—Pour l'amour de Dieu!—vite!—vite!—faites-moi dormir,—ou bien,
vite! éveillez-moi!—vite! _Je vous dis que je suis mort!_
J'étais totalement énervé, et pendant une minute, je restai indécis sur
ce que j'avais à faire. Je fis d'abord un effort pour calmer le patient;
mais, cette totale vacance de ma volonté ne me permettant pas d'y
réussir, je fis l'inverse et m'efforçai aussi vivement que possible de
le réveiller. Je vis bientôt que cette tentative aurait un plein
succès,—ou du moins je me figurai bientôt que mon succès serait
complet,—et je suis sûr que chacun dans la chambre s'attendait au
réveil du somnambule.
Quant à ce qui arriva en réalité, aucun être humain n'aurait jamais pu
s'y attendre: c'est au delà de toute possibilité.
Comme je faisais rapidement les passes magnétiques à travers les cris de
«Mort! Mort!» qui faisaient littéralement explosion sur la langue et non
sur les lèvres du sujet,—tout son corps,—d'un seul coup,—dans
l'espace d'une minute, et même moins,—se déroba,—s'émietta,—se
_pourrit_ absolument sous mes mains. Sur le lit, devant tous les
témoins, gisait une masse dégoûtante et quasi liquide,—une abominable
putréfaction.


RÉVÉLATION MAGNÉTIQUE

Bien que les ténèbres du doute enveloppent encore toute la théorie
positive du magnétisme, ses foudroyants effets sont maintenant presque
universellement admis. Ceux qui doutent de ces effets sont de purs
douteurs de profession, une impuissante et peu honorable caste. Ce
serait absolument perdre son temps aujourd'hui que de s'amuser à prouver
que l'homme, par un pur exercice de sa volonté, peut impressionner
suffisamment son semblable pour le jeter dans une condition anormale,
dont les phénomènes ressemblent littéralement à ceux de la mort, ou du
moins leur ressemblent plus qu'aucun des phénomènes produits dans une
condition normale connue; que, tout le temps que dure cet état, la
personne ainsi influencée n'emploie qu'avec effort, et conséquemment
avec peu d'aptitude, les organes extérieurs des sens, et que néanmoins
elle perçoit, avec une perspicacité singulièrement subtile et par un
canal mystérieux, des objets situés au delà de la portée des organes
physiques; que de plus, ses facultés intellectuelles s'exaltent et se
fortifient d'une manière prodigieuse; que ses sympathies avec la
personne qui agit sur elle sont profondes; et que finalement sa
_susceptibilité_ des impressions magnétiques, croît en proportion de
leur fréquence, en même temps que les phénomènes particuliers obtenus
s'étendent et se prononcent davantage et dans la même proportion. Je dis
qu'il serait superflu de démontrer ces faits divers, où est contenue la
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