Histoires extraordinaires - 11

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est beaucoup plus large, et que la vis est considérablement plus petite.
Le ballon est en outre muni d'un grappin et d'un _guide-rope_, ce
dernier étant de la plus indispensable utilité. Quelques mots
d'explication seront nécessaires ici pour ceux de nos lecteurs qui ne
sont pas versés dans les détails de l'aérostation.
Aussitôt que le ballon quitte la terre, il est sujet à l'influence de
mille circonstances qui tendent à créer une différence dans son poids,
augmentant ou diminuant sa force ascensionnelle. Par exemple, il y a
parfois sur la soie une masse de rosée qui peut aller à quelques
centaines de livres; il faut alors jeter du lest, sinon l'aérostat
descendra. Ce lest jeté, et un bon soleil vaporisant la rosée et
augmentant la force d'expansion du gaz dans la soie, le tout montera de
nouveau très-rapidement. Pour modérer notre ascension, le seul moyen est
(ou plutôt était jusqu'au _guide-rope_ inventé par M. Charles Green) la
faculté de faire échapper du gaz par une soupape; mais la perte du gaz
impliquait une déperdition proportionnelle de la force d'ascension; si
bien que, dans un laps de temps comparativement très-bref, le ballon le
mieux construit devait nécessairement épuiser toutes ses ressources et
s'abattre sur le sol. C'était là le grand obstacle aux voyages un peu
longs.
Le _guide-rope_ remédie à la difficulté de la manière la plus simple du
monde. C'est simplement une très-longue corde qu'on laisse traîner hors
de la nacelle, et dont l'effet est d'empêcher le ballon de changer de
niveau à un degré sensible. Si, par exemple, la soie est chargée
d'humidité, et si conséquemment la machine commence à descendre, il n'y
a pas de nécessité de jeter du lest pour compenser l'augmentation du
poids, car on y remédie ou on la neutralise, dans une proportion exacte,
en déposant à terre autant de longueur de corde qu'il est nécessaire.
Si, au contraire, quelques circonstances amènent une légèreté excessive
et une ascension précipitée, cette légèreté sera immédiatement
neutralisée par le poids additionnel de la corde qu'on ramène de terre.
Ainsi le ballon ne peut monter ou descendre que dans des proportions
très-petites, et ses ressources en gaz et en lest restent à peu près
intactes. Quand on passe au-dessus d'une étendue d'eau, il devient
nécessaire d'employer de petits barils de cuivre ou de bois remplis d'un
lest liquide plus léger que l'eau. Ils flottent et remplissent l'office
d'une corde sur la terre. Un autre office très-important du _guide-rope_
est de marquer la direction du ballon. La corde _drague_ pour ainsi
dire, soit sur terre, soit sur mer, quand le ballon est libre; ce
dernier conséquemment, toutes les fois qu'il marche, est en avance;
ainsi, une appréciation faite, au compas, des positions des deux objets,
indiquera toujours la direction. De la même façon, l'angle formé par la
corde avec l'axe vertical de la machine indique la vitesse. Quand il n'y
a pas d'angle,—en d'autres termes, quand la corde descend
perpendiculairement, c'est que la machine est stationnaire; mais plus
l'angle est ouvert, c'est-à-dire plus le ballon est en avance sur le
bout de la corde, plus grande est la vitesse;—et réciproquement.
Comme le projet des voyageurs, dans le principe, était de traverser le
canal de la Manche, et de descendre aussi près de Paris qu'il serait
possible, ils avaient pris la précaution de se munir de passeports visés
pour toutes les parties du continent, spécifiant la nature de
l'expédition comme dans le cas du voyage sur _le Nassau_, et assurant
aux courageux aventuriers une dispense des formalités usuelles de
bureaux; mais des événements inattendus rendirent les passeports
superflus. L'opération du gonflement commença fort tranquillement samedi
matin, 6 du courant, au point du jour, dans la grande cour de
Weal-Vor-House, résidence de M. Osborne, à un mille environ de
Penstruthal, dans la Galles du Nord; et, à onze heures sept minutes,
tout étant prêt pour le départ, le ballon fut lâché et s'éleva
doucement, mais constamment, dans une direction presque sud. On ne fit
point usage, pendant la première demi-heure, de la vis ni du gouvernail.
Nous nous servons maintenant du journal, tel qu'il a été transcrit par
M. Forsyth d'après les manuscrits réunis de MM. Monck, Mason et
Ainsworth. Le corps du journal, tel que nous le donnons, est de la main
de M. Mason, et il a été ajouté un post-scriptum ou appendice de M.
Ainsworth, qui a en préparation et donnera très-prochainement au public
un compte rendu plus minutieux du voyage, et, sans aucun doute, d'un
intérêt saisissant.

Le journal
_Samedi, 6 avril_.—Tous les préparatifs qui pouvaient nous embarrasser
ont été finis cette nuit; nous avons commencé le gonflement ce matin au
point du jour; mais, par suite d'un brouillard épais qui chargeait d'eau
les plis de la soie et la rendait peu maniable, nous ne nous sommes pas
élevés avant onze heures à peu près. Alors, nous fîmes tout larguer,
dans un grand enthousiasme, et nous nous élevâmes doucement, mais sans
interruption, par une jolie brise du nord, qui nous porta dans la
direction du canal de la Manche. Nous trouvâmes la force ascensionnelle
plus forte que nous ne l'avions espéré, et, comme nous montions assez
haut pour dominer toutes les falaises et nous trouver soumis à l'action
plus prochaine des rayons du soleil, notre ascension devenait de plus en
plus rapide. Cependant je désirais ne pas perdre de gaz dès le
commencement de notre tentative, et je résolus qu'il fallait monter pour
le moment présent. Nous retirâmes bien vite à nous notre _guide-rope_;
mais, même après l'avoir absolument enlevé de terre, nous continuâmes à
monter très-rapidement. Le ballon marchait avec une assurance singulière
et avait un aspect magnifique. Dix minutes environ après notre départ,
le baromètre indiquait une hauteur de 15 000 pieds.
Le temps était remarquablement beau, et l'aspect de la campagne placée
sous nos pieds,—un des plus romantiques à tous les points de
vue,—était alors particulièrement sublime. Les gorges nombreuses et
profondes présentaient l'apparence de lacs, en raison des épaisses
vapeurs dont elles étaient remplies, et les hauteurs et les rochers
situés au sud-est, empilés dans un inextricable chaos, ressemblaient
absolument aux cités géantes de la fable orientale. Nous approchions
rapidement des montagnes vers le sud; mais notre élévation était plus
que suffisante pour nous permettre de les dépasser en toute sûreté. En
quelques minutes, nous planâmes au-dessus magnifiquement, et M.
Ainsworth ainsi que les marins furent frappés de leur apparence peu
élevée, vue ainsi de la nacelle; une grande élévation en ballon ayant
pour résultat de réduire les inégalités de la surface située au-dessous
à un niveau presque uni. À onze heures et demie, nous dirigeant toujours
vers le sud, ou à peu près, nous aperçûmes pour la première fois le
canal de Bristol; et, quinze minutes après, la ligne des brisants de la
côte apparut brusquement au-dessous de nous, et nous marchâmes rondement
au-dessus de la mer. Nous résolûmes alors de lâcher assez de gaz pour
laisser notre _guide-rope_ traîner dans l'eau avec les bouées
attenantes. Cela fut fait à la minute, et nous commençâmes à descendre
graduellement. Au bout de vingt minutes environ, notre première bouée
toucha, et, au plongeon de la seconde, nous restâmes à une élévation
fixe. Nous étions tous très-inquiets de vérifier l'efficacité du
gouvernail et de la vis, et nous les mîmes immédiatement en réquisition
dans le but de déterminer davantage notre route vers l'est et de _mettre
le cap_ sur Paris.
Au moyen du gouvernail, nous effectuâmes à l'instant le changement
nécessaire de direction, et notre route se trouva presque à angle droit
avec le vent; puis nous mîmes en mouvement le ressort de la vis, et nous
fûmes ravis de voir qu'elle nous portait docilement dans le sens voulu.
Là-dessus, nous poussâmes neuf fois un fort vivat, et nous jetâmes à la
mer une bouteille qui contenait une bande de parchemin avec le bref
compte rendu du principe de l'invention. Toutefois, nous en avions à
peine fini avec nos manifestations de triomphe qu'il survint un accident
imprévu qui n'était pas peu propre à nous décourager.
La verge d'acier qui reliait le levier au propulseur fut soudainement
jetée hors de sa place par le bout qui confinait à la nacelle (ce fut
l'effet de l'inclinaison de la nacelle par suite de quelque mouvement de
l'un des marins que nous avions pris avec nous), et, en un instant, se
trouva suspendue et dansante hors de notre portée, loin du pivot de
l'axe de la vis. Pendant que nous nous efforcions de la rattraper, et
que toute notre attention y était absorbée, nous fûmes enveloppés dans
un violent courant d'air de l'est qui nous porta avec une force rapide
et croissante du côté de l'Atlantique.
Nous nous trouvâmes chassés en mer par une vitesse qui n'était
certainement pas moins de cinquante ou de soixante milles à l'heure, si
bien que nous atteignîmes le cap Clear, à quarante milles vers notre
nord, avant d'avoir pu assurer la verge d'acier et d'avoir eu le temps
de penser à virer de bord. Ce fut alors que M. Ainsworth fit une
proposition extraordinaire, mais qui, dans mon opinion, n'était
nullement déraisonnable ni chimérique, dans laquelle il fut
immédiatement encouragé par M. Holland,—à savoir, que nous pourrions
profiter de la forte brise qui nous emportait, et tenter, au lieu de
rabattre sur Paris, d'atteindre la côte du Nord-Amérique.
Après une légère réflexion, je donnai de bon gré mon assentiment à cette
violente proposition, qui, chose étrange à dire, ne trouva d'objections
que dans les deux marins.
Toutefois, comme nous étions la majorité, nous maîtrisâmes leurs
appréhensions, et nous maintînmes résolument notre route. Nous
gouvernâmes droit à l'ouest; mais, comme le traînage des bouées faisait
un obstacle matériel à notre marche, et que nous étions suffisamment
maîtres du ballon, soit pour monter, soit pour descendre, nous jetâmes
tout d'abord cinquante livres de lest, et nous ramenâmes, au moyen d'une
manivelle, toute la corde hors de la mer. Nous constatâmes immédiatement
l'effet de cette manœuvre par un prodigieux accroissement de vitesse;
et, comme la brise fraîchissait, nous filâmes avec une vélocité presque
inconcevable; le _guide-rope_ s'allongeait derrière la nacelle comme un
sillage de navire. Il est superflu de dire qu'il nous suffit d'un
très-court espace de temps pour perdre la côte de vue. Nous passâmes
au-dessus d'innombrables navires de toute espèce, dont quelques-uns
louvoyaient avec peine, mais dont la plupart restaient en panne. Nous
causâmes à leur bord le plus grand enthousiasme,—enthousiasme fortement
savouré par nous-mêmes, et particulièrement par nos deux hommes, qui,
maintenant, sous l'influence de quelques petits verres de genièvre,
semblaient résolus à jeter au vent toutes craintes et tous scrupules.
Plusieurs navires tirèrent le canon de signal; et tous nous saluèrent
par de grands vivats que nous entendions avec une netteté surprenante,
et par l'agitation des chapeaux et des mouchoirs. Nous marchâmes ainsi
tout le jour, sans incident matériel, et, comme les premières ombres se
formaient autour de nous, nous fîmes une estimation approximative de la
distance parcourue. Elle ne pouvait pas être de moins de cinq cents
milles, probablement davantage. Pendant tout ce temps le propulseur
fonctionna et, sans aucun doute, aida positivement notre marche. Quand
le soleil se coucha, la brise fraîchit et se transforma en une vraie
tempête. Au-dessous de nous, l'Océan était parfaitement visible en
raison de sa phosphorescence. Le vent souffla de l'est toute la nuit, et
nous donna les plus brillants présages de succès. Nous ne souffrîmes pas
peu du froid, et l'humidité de l'atmosphère nous était fort pénible;
mais la place libre dans la nacelle était assez vaste pour nous
permettre de nous coucher, et au moyen de nos manteaux et de quelques
couvertures nous nous tirâmes passablement d'affaire.
_Post-scriptum (par M. Ainsworth)_.—Ces neuf dernières heures ont été
incontestablement les plus enflammées de ma vie. Je ne peux rien
concevoir de plus enthousiasmant que l'étrange péril et la nouveauté
d'une pareille aventure. Dieu veuille nous donner le succès! Je ne
demande pas le succès pour le simple salut de mon insignifiante
personne, mais pour l'amour de la science humaine et pour l'immensité du
triomphe. Et cependant l'exploit est si évidemment faisable que mon seul
étonnement est que les hommes aient reculé jusqu'à présent devant la
tentative. Qu'une simple brise comme celle qui nous favorise
maintenant,—qu'une pareille rafale pousse un ballon pendant quatre ou
cinq jours (ces brises durent quelquefois plus longtemps), et le
voyageur sera facilement porté, dans ce laps de temps, d'une rive à
l'autre. Avec une pareille brise, le vaste Atlantique n'est plus qu'un
lac.
Je suis plus frappé, au moment où j'écris, du silence suprême qui règne
sur la mer, malgré son agitation, que d'aucun autre phénomène. Les eaux
ne jettent pas de voix vers les cieux. L'immense Océan flamboyant
au-dessous de nous se tord et se tourmente sans pousser une plainte. Les
houles montagneuses donnent l'idée d'innombrables démons, gigantesques
et muets, qui se tordaient dans une impuissante agonie. Dans une nuit
telle qu'est pour moi celle-ci, un homme vit,—il vit un siècle de vie
ordinaire,—et je ne donnerais pas ce délice ravissant pour ce siècle
d'existence vulgaire.
_Dimanche, 7 (manuscrit de M. Mason)_.—Ce matin, vers dix heures, la
tempête n'était plus qu'une brise de huit ou neuf nœuds (pour un navire
en mer), et elle nous fait parcourir peut-être trente milles à l'heure,
peut-être davantage. Néanmoins, elle a tourné ferme vers le nord; et,
maintenant, au coucher du soleil, nous nous dirigeons droit à l'ouest,
grâce surtout à la vis et au gouvernail, qui fonctionnent admirablement.
Je regarde l'entreprise comme entièrement réussie, et la navigation
aérienne dans toutes les directions (si ce n'est peut-être avec le vent
absolument debout) comme un problème résolu. Nous n'aurions pas pu faire
tête à la rude brise d'hier; mais, en montant, nous aurions pu sortir du
champ de son action, si nous en avions eu besoin. Je suis convaincu
qu'avec notre propulseur, nous pourrions marcher contre une jolie brise
carabinée. Aujourd'hui, à midi, nous nous sommes élevés à une hauteur de
25 000 pieds, en jetant du lest. Nous avons agi ainsi pour chercher un
courant plus direct, mais nous n'en avons pas trouvé de plus favorable
que celui dans lequel nous sommes à présent. Nous avons surabondamment
de gaz pour traverser ce petit lac, dût le voyage durer trois semaines.
Je n'ai pas la plus légère crainte relativement à l'issue de notre
entreprise. Les difficultés ont été étrangement exagérées et
incomprises. Je puis choisir mon courant, et, eussé-je contre moi tous
les courants, je puis faire passablement ma route avec mon propulseur.
Nous n'avons pas eu d'incidents notables. La nuit s'annonce bien.
_Post-scriptum (par M. Ainsworth)_.—J'ai peu de chose à noter, excepté
le fait (fort surprenant pour moi) qu'à une élévation égale à celle du
Cotopaxi, je n'ai éprouvé ni froid trop intense, ni migraine, ni
difficulté de respiration; M. Mason, M. Holland, sir Everard n'ont pas
plus souffert que moi, je crois. M. Osborne s'est plaint d'une
constriction de la poitrine,—mais cela a disparu assez vite. Nous avons
filé avec une grande vitesse toute la journée, et nous devons être à
plus de moitié chemin de l'Atlantique. Nous avons passé au-dessus de
vingt ou trente navires de toute sorte, et tous semblaient
délicieusement étonnés. Traverser l'Océan en ballon n'est pas une
affaire si difficile après tout! _Omne ignotum pro magnifico_.
_Nota_.—À une hauteur de 25 000 pieds, le ciel apparaît presque noir,
et les étoiles se voient distinctement; pendant que la mer, au lieu de
paraître convexe, comme on pourrait le supposer, semble absolument et
entièrement concave[15].
_Lundi, 8 (manuscrit de M. Mason)_.—Ce matin, nous avons encore eu
quelque embarras avec la tige du propulseur, qui devra être entièrement
modifiée, de crainte de sérieux accidents;—je parle de la tige d'acier
et non pas des palettes; ces dernières ne laissaient rien à désirer. Le
vent a soufflé tout le jour du nord-est, roide et sans interruption,
tant la fortune semble résolue à nous favoriser. Juste avant le jour,
nous fûmes tous un peu alarmés par quelques bruits singuliers et
quelques secousses dans le ballon, accompagnés de la soudaine
interruption du jeu de la machine. Ces phénomènes étaient occasionnés
par l'expansion du gaz, résultant d'une augmentation de chaleur dans
l'atmosphère, et la débâcle naturelle des particules de glace dont le
filet s'était incrusté pendant la nuit. Nous avons jeté quelques
bouteilles aux navires que nous avons aperçus. L'une d'elles a été
recueillie par un grand navire, vraisemblablement un des paquebots qui
font le service de New York. Nous avons essayé de déchiffrer son nom,
mais nous ne sommes pas sûrs d'y avoir réussi. Le télescope de M.
Osborne nous a laissé lire quelque chose comme _l'Atalante_. Il est
maintenant minuit, et nous marchons toujours à peu près vers l'ouest
d'une allure rapide. La mer est singulièrement phosphorescente.
_Post-scriptum (par M. Ainsworth)_.—Il est maintenant deux heures du
matin, et il fait presque calme, autant du moins que j'en peux
juger;—mais c'est un point qu'il est fort difficile d'apprécier, depuis
que nous nous mouvons si complètement avec et dans l'air. Je n'ai point
dormi depuis que j'ai quitté Weal-Vor, mais je ne peux plus y tenir, et
je vais faire un somme. Nous ne pouvons pas être loin de la côte
d'Amérique.
_Mardi, 9 (manuscrit de M. Ainsworth)_.—Une heure de
l'après-midi.—Nous sommes en vue de la côte basse de la Caroline du
Sud! Le grand problème est résolu. Nous avons traversé
l'Atlantique,—nous l'avons traversé en ballon, facilement, rondement!
Dieu soit loué! Qui osera dire maintenant qu'il y a quelque chose
d'impossible?
Ici finit le journal. Quelques détails sur la descente ont été
communiqués toutefois par M. Ainsworth à M. Forsyth. Il faisait presque
un _calme plat_ quand les voyageurs arrivèrent en vue de la côte, qui
fut immédiatement reconnue par les deux marins et par M. Osborne. Ce
gentleman ayant des connaissances au fort Moultrie, on résolut
immédiatement de descendre dans le voisinage.
Le ballon fut porté vers la plage; la marée était basse, le sable ferme,
uni, admirablement approprié à une descente, et le grappin mordit du
premier coup et tint bon. Les habitants de l'île et du fort se
pressaient naturellement pour voir le ballon; mais ce n'était qu'avec
difficulté qu'on ajoutait foi au voyage accompli,—la _traversée de
l'Atlantique!_ L'ancre mordait à deux heures de l'après-midi; ainsi le
voyage entier avait duré soixante-quinze heures; ou plutôt un peu moins,
si on compte simplement le trajet d'un rivage à l'autre. Il n'était
arrivé aucun accident sérieux. On n'avait eu à craindre aucun danger
réel. Le ballon fut dégonflé et serré sans peine; et ces messieurs
étaient encore au fort Moultrie, quand les manuscrits d'où ce récit est
tiré partaient par le courrier de Charleston. On ne sait rien de positif
sur leurs intentions ultérieures; mais nous pouvons promettre en toute
sûreté à nos lecteurs quelques informations supplémentaires, soit pour
lundi, soit pour le jour suivant au plus tard.
Voilà certainement l'entreprise la plus prodigieuse, la plus
intéressante, la plus importante qui ait jamais été accomplie ou même
tentée par un homme. Quels magnifiques résultats on en peut tirer,
n'est-il pas superflu maintenant de le déterminer?


AVENTURE SANS PAREILLE D'UN CERTAIN HANS PFAALL
Avec un cœur plein de fantaisies délirantes
Dont je suis le capitaine,
Avec une lance de feu et _un cheval d'air_,
À travers l'immensité je voyage.
_Chanson de Tom O'Bedlam_[16].

D'après les nouvelles les plus récentes de Rotterdam, il paraît que
cette ville est dans un singulier état d'effervescence philosophique. En
réalité, il s'y est produit des phénomènes d'un genre si complètement
inattendu, si entièrement nouveau, si absolument en contradiction avec
toutes les opinions reçues que je ne doute pas qu'avant peu toute
l'Europe ne soit sens dessus dessous, toute la physique en fermentation,
et que la raison et l'astronomie ne se prennent aux cheveux.
Il paraît que le... du mois de... (je ne me rappelle pas positivement la
date), une foule immense était rassemblée, dans un but qui n'est pas
spécifié, sur la grande place de la Bourse de la confortable ville de
Rotterdam. La journée était singulièrement chaude pour la saison, il y
avait à peine un souffle d'air, et la foule n'était pas trop fâchée de
se trouver de temps à autre aspergée d'une ondée amicale de quelques
minutes, qui s'épanchait des vastes masses de nuages blancs abondamment
éparpillés à travers la voûte bleue du firmament.
Toutefois, vers midi, il se manifesta dans l'assemblée une légère mais
remarquable agitation, suivie du brouhaha de dix mille langues; une
minute après, dix mille visages se tournèrent vers le ciel, dix mille
pipes descendirent simultanément du coin de dix mille bouches, et un
cri, qui ne peut être comparé qu'au rugissement du Niagara, retentit
longuement, hautement, furieusement, à travers toute la cité et tous les
environs de Rotterdam.
L'origine de ce vacarme devint bientôt suffisamment manifeste. On vit
déboucher et entrer dans une des lacunes de l'étendue azurée, du fond
d'une de ces vastes masses de nuages, aux contours vigoureusement
définis, un être étrange, hétérogène, d'une apparence solide, si
singulièrement configuré, si fantastiquement organisé que la foule de
ces gros bourgeois qui le regardaient d'en bas, bouche béante, ne
pouvait absolument y rien comprendre ni se lasser de l'admirer.
Qu'est-ce que cela pouvait être? Au nom de tous les diables de
Rotterdam, qu'est-ce que cela pouvait présager? Personne ne le savait,
personne ne pouvait le deviner; personne,—pas même le bourgmestre
Mynheer Superbus Von Underduk,—ne possédait la plus légère donnée pour
éclaircir ce mystère; en sorte que, n'ayant rien de mieux à faire, tous
les Rotterdamois, à un homme près, remirent sérieusement leurs pipes
dans le coin de leurs bouches, et gardant toujours un œil braqué sur le
phénomène, se mirent à pousser leur fumée, firent une pause, se
dandinèrent de droite à gauche, et grognèrent significativement,—puis
se dandinèrent de gauche à droite, grognèrent, firent une pause, et
finalement, se remirent à pousser leur fumée.
Cependant, on voyait descendre, toujours plus bas vers la béate ville de
Rotterdam, l'objet d'une si grande curiosité et la cause d'une si grosse
fumée. En quelques minutes, la chose arriva assez près pour qu'on pût la
distinguer exactement. Cela semblait être,—oui! _c'était_
indubitablement une espèce de ballon, mais jusqu'alors, à coup sûr,
Rotterdam n'avait pas vu de pareil ballon. Car qui—je vous le
demande—a jamais entendu parler d'un ballon entièrement fabriqué avec
des journaux crasseux? Personne en Hollande, certainement; et cependant,
là, sous le nez même du peuple ou plutôt à quelque distance au-dessus de
son nez, apparaissait la chose en question, la chose elle-même,
faite—j'ai de bonnes autorités pour l'affirmer—avec cette même matière
à laquelle personne n'avait jamais pensé pour un pareil dessein. C'était
une énorme insulte au bon sens des bourgeois de Rotterdam.
Quant à la forme du phénomène, elle était encore plus répréhensible,—ce
n'était guère qu'un gigantesque bonnet de fou tourné sens dessus
dessous. Et cette similitude fut loin d'être amoindrie, quand, en
l'inspectant de plus près, la foule vit un énorme gland pendu à la
pointe, et autour du bord supérieur ou de la base du cône un rang de
petits instruments qui ressemblaient à des clochettes de brebis et
tintinnabulaient incessamment sur l'air de _Betty Martin_.
Mais voilà qui était encore plus violent:—suspendu par des rubans bleus
au bout de la fantastique machine, se balançait, en manière de nacelle,
un immense chapeau de castor gris américain, à bords superlativement
larges, à calotte hémisphérique, avec un ruban noir et une boucle
d'argent. Chose assez remarquable toutefois, maint citoyen de Rotterdam
aurait juré qu'il connaissait déjà ce chapeau, et, en vérité, toute
l'assemblée le regardait presque avec des yeux familiers; pendant que
dame Grettel Pfaall poussait en le voyant une exclamation de joie et de
surprise, et déclarait que c'était positivement le chapeau de son cher
homme lui-même. Or, c'était une circonstance d'autant plus importante à
noter que Pfaall, avec ses trois compagnons, avait disparu de Rotterdam,
depuis cinq ans environ, d'une manière soudaine et inexplicable, et,
jusqu'au moment où commence ce récit, tous les efforts pour obtenir des
renseignements sur eux avaient échoué. Il est vrai qu'on avait découvert
récemment, dans une partie retirée de la ville, à l'est, quelques
ossements humains, mêlés à un amas de décombres d'un aspect bizarre; et
quelques profanes avaient été jusqu'à supposer qu'un hideux meurtre
avait dû être commis en cet endroit, et que Hans Pfaall et ses camarades
en avaient été très-probablement les victimes. Mais revenons à notre
récit.
Le ballon (car c'en était un, décidément) était maintenant descendu à
cent pieds du sol, et montrait distinctement à la foule le personnage
qui l'habitait. Un singulier individu, en vérité. Il ne pouvait guère
avoir plus de deux pieds de haut. Mais sa taille, toute petite qu'elle
était, ne l'aurait pas empêché de perdre l'équilibre, et de passer
par-dessus le bord de sa toute petite nacelle, sans l'intervention d'un
rebord circulaire qui lui montait jusqu'à la poitrine, et se rattachait
aux cordes du ballon. Le corps du petit homme était volumineux au delà
de toute proportion, et donnait à l'ensemble de son individu une
apparence de rotondité singulièrement absurde. De ses pieds,
naturellement, on n'en pouvait rien voir. Ses mains étaient
monstrueusement grosses, ses cheveux, gris et rassemblés par derrière en
une queue; son nez, prodigieusement long, crochu et empourpré; ses yeux
bien fendus, brillants et perçants, son menton et ses joues,—quoique
ridées par la vieillesse,—larges, boursouflés, doubles; mais, sur les
deux côtés de sa tête, il était impossible d'apercevoir le semblant
d'une oreille.
Ce drôle de petit monsieur était habillé d'un paletot-sac de satin bleu
de ciel et de culottes collantes assorties, serrées aux genoux par une
boucle d'argent. Son gilet était d'une étoffe jaune et brillante; un
bonnet de taffetas blanc était gentiment posé sur le côté de sa tête;
et, pour compléter cet accoutrement, un foulard écarlate entourait son
cou, et, contourné en un nœud superlatif, laissait traîner sur sa
poitrine ses bouts prétentieusement longs.
Étant descendu, comme je l'ai dit, à cent pieds environ du sol, le vieux
petit monsieur fut soudainement saisi d'une agitation nerveuse, et parut
peu soucieux de s'approcher davantage de la _terre ferme_. Il jeta donc
une quantité de sable d'un sac de toile qu'il souleva à grand-peine, et
resta stationnaire pendant un instant. Il s'appliqua alors à extraire de
la poche de son paletot, d'une manière agitée et précipitée, un grand
portefeuille de maroquin. Il le pesa soupçonneusement dans sa main,
l'examina avec un air d'extrême surprise, comme évidemment étonné de son
poids. Enfin, il l'ouvrit, en tira une énorme lettre scellée de cire
rouge et soigneusement entortillée de fil de même couleur, et la laissa
tomber juste aux pieds du bourgmestre Superbus Von Underduk.
Son Excellence se baissa pour la ramasser. Mais l'aéronaute, toujours
fort inquiet, et n'ayant apparemment pas d'autres affaires qui le
retinssent à Rotterdam, commençait déjà à faire précipitamment ses
préparatifs de départ; et, comme il fallait décharger une portion de son
lest pour pouvoir s'élever de nouveau, une demi-douzaine de sacs qu'il
jeta l'un après l'autre, sans se donner la peine de les vider, tombèrent
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